60 années de vêture du Révérend Frère Diogène
09/Oct/2010
Heureux les habitants de la Maison-mère ! Ils ont pu voir y affluer de toutes les parties de l'Institut, proches et lointaines, les témoignages de respect et d'affection qui ont été adressés d'un cœur filial à notre bien-aimé Supérieur Général, le 20 mai dernier. C'est le jour qui avait été choisi par les Chers Frères Assistants pour fêter les 60 années de vêture du Révérend Frère Diogène.
Les Frères éloignés qui ont prié, ce jour-là, en union avec la Maison-mère, qui ont envoyé tant et de si belles offrandes spirituelles ou matérielles, ont bien droit n, ce qu'il leur soit fait un compte rendu un peu copieux de cette fête de famille, où, quoique absents, ils étaient de cœur au milieu de nous.
Le Bulletin va donc, dans ces pages, essayer d'être l'écho fidèle de tout ce qui, à Grugliasco, s'est déroulé de manifestations pieuses, joyeuses et filiales autour du vénéré Jubilaire et de ses deux compagnons: le C. F. Flamien, A. G., et le C. F. Michaélis, A. G., qui, tous deux aussi, furent fêtés le même jour pour les mêmes raisons : leurs 60 ans de vie religieuse.
Les préparatifs. — Maintes lettres venues de loin avaient, depuis deux ans et plus, demandé quel jour serait fixé pour fêter l'heureux anniversaire. On y rappelait que les Noces d'Or avaient eu lieu en 1923 et il semblait que le Régime s'oubliait un peu. Il n'en était rien, il faisait seulement prendre patience, car, en 1923, on avait fêté un peu hâtivement les 50 ans de l'arrivée au postulat de Beaucamps et on voulait cette fois marquer la date de la vêture, qui n'avait eu lieu qu'en 1875.
Bref, en décembre dernier, les CC. FF. Assistants, par une lettre commune, avertirent leurs provinces respectives que le 20 mai suivant la fête de famille aurait lieu. Et aussitôt, sous toutes les latitudes, on s'était mis à préparer l'heureux événement en s'y unissant de toutes les façons qui seront énumérées plus loin.
A la Maison-mère, en tapinois, dans tous les secteurs, des préparatifs occultes avaient lieu. Panneaux décoratifs, écussons, banderoles, guirlandes se préparaient, s'empilaient ou s'allongeaient sans bruit.
A Carmagnola, caisses, colis, rouleaux arrivaient et le F. Directeur faisait à Grugliasco des voyages inquiétants par leur nombre.
Le vénéré Jubilaire, qui est bien trop perspicace pour ne pas deviner ce qui se tramait dans l'ombre, finit par demander des explications au C. F. Flamien, premier Assistant. Comme tout était trop avancé pour reculer maintenant et, qu'en somme, leur père ne sait pas se dérober aux manifestations d'amour filial, il y eut une approbation tacite, avec, hélas! une sourdine mise à certaines parties du programme.
Heureusement que l'on avait décidé que tout se passerait en famille, et qu'il n'y aurait aucune indiscrétion capable d'attirer l'attention publique. Cela répondait aux désirs de celui qu'on allait fêter et facilita toutes choses.
On s'était borné à inviter quelques Frères des communautés voisines : S. Maurizio, Santa Maria, Bairo, Gassino et Carmagnola, ainsi que, connue aux Noces. d'Or, les Frères Provinciaux les plus proches, ceux de St Genis, de l'Hermitage, de St Paul, d'Aubenas, de Varennes et d'Italie; en tout une vingtaine de Frères.
La veille. — Le. 19 mai, au soir, vers les 4 heures, la vaste salle capitulaire, admirablement décorée, voyait une belle assemblée s'y réunir pour la présentation des. vœux et des offrandes de tout l'Institut, à son chef vénéré.
Le Révérend Frère Supérieur prit place sur l'estrade, où d'habiles mains avaient placé une décoration de circonstance, rappelant toutes les dates principales des soixante ans qu'on fêtait (Voir p. 367).
A ses côtés étaient le C. F. Flamien et le C. F. Michaélis. Après un joli chant qui ouvrit la séance, plusieurs adresses furent lues, la première, au nom de tout l'Institut, la deuxième, au nom de la Maison-mère, la troisième, au nom du secteur important du Grand Noviciat, la quatrième, par un Juvéniste de St François Xavier. Tout fut fort beau, mais, il va de soi, un peu long, aussi, pour ne pas se répéter, on donnera ici seulement la première adresse presque en entier et un aperçu des autres, à la suite.
Révérend Frère Supérieur Général,
Le 20 mai est pour notre Institut une grande date. C'est l'anniversaire du jour mémorable où notre Vénérable Fondateur commença sur la terre cette vie si remplie, si sainte et si féconde, qui devait avoir pour nous tous de si heureuses conséquences.
L'une d'entre elles est de nous grouper aujourd'hui autour de son vénéré successeur, depuis les membres du Régime, les Frères et les juvénistes de la maison-mère, jusqu'aux plus lointains de vos enfants des 29 Provinces de l'Institut, tous présents de cœur avec nous, afin de vous offrir, en cette heureuse circonstances, l'hommage de nos félicitations respectueuses et de notre affection filiale.
C'est en effet, à quelques jours près, le carême ayant étendu son ombre sainte sur nos projets de joyeuse fête, le 60ième anniversaire de votre prise d'habit, qui eut lieu à Beaucamps le 5 avril 1875. Oh ! jour glorieux où notre Institut eut la bonne fortune de vous ouvrir ses rangs, jour béni où le Frère Théophane, qui présidait la cérémonie de la vêture, vous ouvrit la carrière que vous deviez si bien remplir parmi nous! Il ignorait, lui, futur Supérieur Général de notre grande famille, qu'il avait devant lui, agenouillé et pieusement ému, son futur successeur. Mais le ciel le savait et, sans doute, la sainte Vierge dut demander au bon Dieu de vous accorder alors pour de longues années, non seulement la santé, la force, le courage et le savoir qui ne vous ont jamais manqué, mais surtout les vertus éminentes dont vous avez montré depuis, partout, l'éclatant exemple, afin d'être à la fois notre chef et notre modèle.
C'est la troisième fois, en trente ans, que notre Institut a la joie de célébrer les Noces de diamant de son chef. Ce fut d'abord en 1905, pour le R. F. Théophane, ici même, à Grugliasco et cette fête de famille fut la première lueur de l'arc-en-ciel, après l'orage de la dispersion. En 1918, ce fut pour le R. F. Stratonique, qu'entourait une belle phalange d'anciens, mais dans des circonstances peu favorables, la guerre n'ayant pas achevé ses ravages. Aujourd'hui, nous pouvons nous réjouir plus à l'aise, les causes de tristesse ne dépassant pas la moyenne de celles que nous rencontrons constamment dans cette vallée de larmes.
A vos côtés, Révérend Frère Supérieur Général, nous saluons, pour leur faire part de nos hommages, deux hommes éminents qui cheminent avec vous à la tête de l'Institut depuis plus d'un quart de siècle, deux religieux actifs et modestes dont la vertu et la sagesse sont l'ornement de vos Conseils et la gloire de notre famille religieuse. L'un, le C. F. Flamien achève précisément en ce 20 mai, sa 61ième année de vêture et l'autre, le C. F. Michaélis, l'hôpital vient de nous le rendre tout ragaillardi, pour lui permettre d'atteindre dans peu de mois et de dépasser ensuite longuement ses 60 ans de vie religieuse.
Le premier nous fait penser aux chênes de sa robuste Ardèche sur qui les vents n'ont pas de prise, et si le deuxième nous fait penser plutôt parfois au roseau, c'est, comme dans la fable, par suite d'une heureuse illusion que nous plaignons son sort, car il plie, mais lui aussi, il ne rompt pas.
Tous deux portent, avec vous, le poids du jour et de la chaleur et tous deux partagent toutes vos sollicitudes. C'est la bonne Providence qui nous permet de les associer à vos Noces de Diamant en leur souhaitant, comme à vous, d'arriver ensemble aux noces de Rubis.1
Le bon Dieu semble vouloir accorder à nos Supérieurs la bénédiction spéciale d'une longévité patriarcale. Qu'il en soit béni: L'Institut a tout à y gagner. Il est visible que ces dernières années, où le gouvernail fut entre les mains d'hommes à cheveux blancs, notre chère famille religieuse a constamment prospéré et s'est fortifiée contre tous les périls. La sagesse a été sur leurs lèvres et a présidé à leurs conseils. Leur expérience n'a jamais été prise au dépourvu et les épreuves qui n'ont pourtant pas manqué ont toutes été surmontées, aussi bien la persécution violente de 1903, que la guerre terrible de 1914 et la crise économique actuelle.
A la tête de l'Eglise aussi, lorsque les tempêtes furent plus furieuses, la divine Providence laissa pour des périodes plus longues et le vénéré Pie IX qui, 32 .ans durant, tint la barre du navire en péril et le sage Léon XIII qui, dépassant aussi les années de Pierre, eut le temps d'enterrer les plus redoutables ennemis de l'Eglise.
Quel beau spectacle, Révérend Frère Supérieur Général que celui de vos 60 années de vie religieuse, consacrées à Dieu dans notre Institut! Quel beau spectacle .surtout pour les anges qui ont pu la contempler de l'intérieur et non pas simplement, comme nous, du dehors ! Ils ont suivi pas à pas le petit novice pieux et le jeune Frère docile. Ils ont contemplé le zèle du professeur, inculquant la bonne doctrine à des centaines d'enfants, depuis les bambins de Lens et de Lille, jusqu'aux jeunes gens de Paris et d'Haubourdin. Ils ont admiré la piété et le dévouement du maître des scolastiques, qui a guidé avec tant d'amour les âmes de ses élèves dans le chemin de la science et de la vertu. Ils ont pu apprécier l'action du Visiteur, du Provincial et de l'Assistant qui, en 1903, sauva tout ce qui pouvait être sauvé et fit rayonner la province de Beau- camps jusqu'en Amérique du sud, au Danemark, en Allemagne et an Congo. Ils ont dû être bien des fois émus de votre dévouement à nos vieillards de Beaucamps, bloqués sous les obus et dont vous fûtes la Providence, en même temps que celle de tous les malheureux des environs. Ils peuvent voir avec quel amour vous avez dilaté votre cœur de Supérieur Général pour y abriter tous vos Frères de tous les pays, de toutes les nations et de toutes les langues. C'est bien pour vous qu'ont été écrits ces mots du poète:
Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier.
Que d'actes des vertus les plus difficiles, que de recours à Dieu, que de soupirs pour sa gloire et son règne, que d'efforts obscurs et silencieux pour le bien de vos enfants, que d'épreuves soutenues avec fermeté, que d'amertumes gardées dans le secret. Tout cela, les anges l'ont admiré et l'ont inscrit dans le livre de vie.
Nous, réduits à ne voir que les longues heures de classe et de surveillance, les succès des élèves et la réputation des écoles, les voyages et les démarches pénibles, les exhortations publiques et les entretiens infinies, les lettres innombrables et les fréquentes circulaires, les décisions et les directions de tous les jours, nous devons juger par d'autres moyens moins précis. Il est vrai qu'ils aboutissent au même résultat : exalter votre mérite et l'égaler aux plus grands.
Il n'est pas jusqu'aux gouvernements qui, par d'autres voies encore, ne s'en aperçoivent aussi, puisqu'ils vous ont décerné cette tardive croix de la Légion d'honneur… que vous ne laissez porter qu'à vos images.
C'est pourquoi, Révérend Frère Supérieur Général, nous remercions Dieu, en ce jour, des bienfaits de tout ordre et spécialement des dons merveilleux d'intelligence et de cœur qu'il vous a départis, que nous connaissons bien et dont nous profitons tous, comme nous vous remercions de l'inlassable dévouement que depuis 60 ans vous prodiguez à toutes les œuvres qui vous ont été confiées et en particulier à tout l'Institut depuis 15 ans. C'est une bénédiction du bon Dieu, pour notre Institut de vous avoir à notre tête et nous sommes heureux de vivre sous votre houlette si douce et si ferme, si sage et si aimable.
Votre généralat a été, en effet, extraordinairement fécond, en dépit ou peut-être à cause de ce silence comme absolu dont vous aimez à envelopper votre action incessante. Disons ici qu'il ne manque pas d'esprits qui sont plus frappés par les événements qui font du bruit que par ceux qui se déroulent en silence, dans le cadre des lois providentielles, pour le profit de ceux qui font toujours leur devoir. Ils admirent chez les Ordres célèbres les manifestations éclatantes dont parlent les mille voix des journaux. Ils saluent d'exclamations enthousiastes l'entrée au couvent d'une actrice en vogue ou d'un vieil officier en renom.
Qu'est-ce que cela en face du mouvement de croissance régulier et silencieux qui, dans nos juvénats et noviciats, amène sans bruit, chaque jour, quelques juvénistes et augmente chaque année de quelques centaines les effectifs de l'Institut?
Vous avez trouvé, en 1920, 1.174 juvénistes dans nos juvénats. Il y en a aujourd'hui plus du double. Vous aviez alors sous votre houlette 6.207 sujets. Il y en a actuellement 9.673.
Nous voilà bien près des 10.000, dont le chiffre magique mettait de loin en émoi le cœur du vénéré Frère Stratonique et lui inspirait des exhortations enflammées. Les vôtres sont peut-être moins lyriques et vous nous parlez moins souvent des fameux 10.000. Mais vous nous y faites arriver sans bruit. Vous préférez l'action calme et silencieuse aux appels du clairon que maniait si bien, et d'ailleurs pour notre bien, votre éminent prédécesseur.
Son éloquence était comparable au torrent qui entraîne tout sur son passage. La vôtre ressemble davantage à une rivière tranquille. Il était né sur les bords du Rhône dont les flots sonores éveillent des échos sur ses rives. Vous avez vu le jour dans ces plaines du nord, où les canaux toujours tranquilles font glisser sur leurs ondes calmes des milliers de prosaïques bateaux plats. Mais ils portent la houille qui fournit la force aux usines laborieuses et le ciment qui permet de construire des maisons et des villes.
Et c'est une belle petite ville que celle que nous aurions sous les yeux si l'on pouvait réunir tous les bâtiments que l'Institut a construits sous votre généralat. Et ce serait une bien vaste usine que celle où l'on réunirait les 40.000 nouveaux élèves que ces 15 dernières années ont vu se ranger en bel ordre sous l'œil des maîtres que vous leur avez fournis.
Ah! c'est bien le cas de dire que si les hommes se taisaient les pierres auraient parlé.
On peut bien ici, entre nous, préciser quelques chiffres, aussi bien pour votre consolation, en ce jour où volontiers votre regard se porte vers le passé, que pour celle de vos collaborateurs proches ou lointains, que vous savez si bien inspirer.
Pendant les seules années de votre généralat fécond, notre chère Famille religieuse a augmenté de 54 %. Quelques recherches parmi les Ordres religieux, nos compagnons de labeur dans le champ de l'Eglise montrent, par comparaison, en se bornant aux principaux et à une période de 12 ans, que c'est un résultat consolant dont nous ne saurions trop remercier la Sainte vierge dans les temps semés de bourrasques où nous vivons.
(Suivait ici une statistique un peu sèche, mais fort concluante, qui montre que notre cher Institut est parmi ceux qui ont le plus prospéré depuis 1920).
…De sorte que l'argument d'une augmentation de plus de moitié, à peu près exceptionnelle parmi les Ordres religieux, dans la période que nous venons de considérer, est d'une valeur tout à fait spéciale.
Qui peut dire ce que cela représente de sagesse dans le gouvernement, de soins spirituels donnés aux Frères, de fermeté à maintenir la Règle et nos saintes traditions, de doigté à manier la barre du grand navire, tirant à propos les cordages ou larguant les voiles, suivant l'humeur du temps, huilant à point les machines et tenant les équipages à leur devoir ?
Aussi, Révérend Frère Supérieur Général, nous pouvons ajouter que non seulement nous sommes fiers d'être sur le beau bâtiment de haute mer que vous dirigez si bien, mais surtout que nous vous remercions respectueusement de votre sollicitude pour nous, qui est de tous les instants. Nous vous promettons de suivre fidèlement toutes vos directions et nous pouvons vous assurer que vous aurez toujours l'affection la plus filiale de tous Vos nombreux enfants. C'est le vœu, aussi bien de tous les Membres du Régime et de tous les Fières ici présents que de tous ceux du monde entier, dont les adresses, dans un instant, vont faire cortège à celle-ci.
Demain, nous joindrons en un faisceau puissant nos plus ardentes prières pour remercier le bon Dieu des bienfaits dont il a rempli pour vous ces 60 belles années. Nous lui demanderons aussi d'être toujours des enfants dociles et affectueux, qui vous rendent facile votre lourde tâche et enfin nous le supplierons de vous accorder encore de nombreuses années, afin de vous posséder longtemps à notre tête. — Ad multos annos!
Les autres adresses. — La seconde adresse, du C. F. Raymond-Célestin, après avoir repris sous d'autres variantes les hommages rendus au vénéré Supérieur Général, entrait dans les détails charmants qu'on va lire:
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Que de belles anecdotes il y aurait à conter depuis le jour où les bonnes vieilles de Lens vous aidaient à porter les seaux d'eau, trop lourds pour vos jeunes épaules, jusqu'au jour où, pour célébrer vos 21 ans, vous passiez fièrement sous l'arc de Triomphe, à Paris, par une pluie battante, en compagnie du C. F. Joseph-Dieudonné, arrosant ainsi cette date mémorable.
Que de belles choses les anciens scolastiques de Beaucamps pourraient nous raconter! Ce n'est pas sans enthousiasme qu'ils se souviennent de cette parole chaude, colorée, abondante et toujours précise, qui les pénétrait et forçait l'attention de ceux qu'une classe moins vivante aurait laissés distraits.
Mathématiques, littérature, histoire et géographie: tout était également goûté. Le professeur avait un don spécial de clarté. Les questions d'histoire les plus embrouillées s'éclairaient à la lumière de votre esprit lucide et vif. A la clarté se joignait un enthousiasme révélateur, lorsque la cause était noble et belle. Parfois aussi le professeur trouvait des paroles vengeresses pour fustiger les malfaiteurs de l'histoire.
Et vos fameux « appels » où tout le vestiaire était passé en revue ! Gare au négligent chez qui un bouton manquait à l'appel! Le brave scolastique qui, un soir d'hiver, était à genoux à côté de vous pendant que vous jouiez aux échecs et qui ne faisait guère bien sa pénitence, se rappelait encore, trente ans après, comment vous lui aviez appris à s'acquitter correctement d'une punition.
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…Mais, j'ai hâte de signaler le trait caractéristique de votre vie, la bonté. Qui n'a eu le bonheur d'être l'heureux bénéficiaire de votre inépuisable bonté ! Confident attendri des âmes, vous vous inclinez vers les plus délaissées et les plus obscures; toute faiblesse trouve en vous un appui, tout affligé, un consolateur, toute âme, un sauveur d'âmes. Votre cour est comme un foyer, brûlant constamment du feu de l'amour de Dieu; tous, jeunes et vieux, peuvent venir y chercher à toute heure une chaleur qui les ranime et les réjouit. Vous n'avez qu'une seule ambition : donner l'amour de Dieu aux âmes et, par lui, leur donner le ciel.
Personne n'a eu le bonheur de vous approcher sans être charmé. Les exemples sont légion, j'en prends un entre mille. Il y a quelques années, on voyait au noviciat de Pommerœul un novice de 70 ans. Qui était ce singulier candidat? Un pauvre égaré qui, à la sécularisation de 1903, s'était laissé entraîner par le flot. Dégagé enfin de tout lien terrestre, pauvre enfant prodigue, il vient se jeter dans vos bras, vous supplier de lui permettre de mourir dans la congrégation. En père miséricordieux vous accueilliez la pauvre brebis égarée. Il fit ses vœux souriant à la mort, et peu de mois après, il expira, heureux d'avoir retrouvé sa vocation.
Soixante ans de vie religieuse, c'est une bénédiction extraordinaire… Mais avons nous bien pensé à la somme d'obscurs efforts, aux sacrifices enfouis sans gloire, aux patients labeurs sur les sillons muets, aux énergies déployées dans tant de charges importantes qui remplissent votre vie, aux actes d'humble dévouement qu'il faut renouveler tous les jours, aux abnégations douloureuses qu'impose la tache de Supérieur d'une si nombreuse congrégation?
Nous garderons comme grande leçon de ce bel anniversaire, la fidélité aux devoirs de tous les jours, ayant pour but de faire de chaque labeur, même le plus humble un chef-d’œuvre, et nous contentant au moins de pouvoir écrire chaque soir au bas de notre travail, comme le grand peintre flamand qui décorait la magnifique chasse de sainte Ursule : « C'est de mon mieux! ».
Le Grand Noviciat. — Un magnifique bouquet spirituel accompagnait cette adresse. Il en fut de même pour le Grand Noviciat, dont le C. F. Avit se fit l'interprète, dans un langage qui est tout à l'éloge de cette haute école de spiritualité dont il est la tête. L'espace manque pour l'introduire ici en entier, on ne peut le couper sans disloquer sa solide charpente. Contentons- nous de dire qu'il célébrait, à sa façon majestueuse, l'action puissante du Rév. Frère Supérieur sur ce Grand Noviciat périodique et sans cesse renouvelé, qui garde pourtant son unité intacte et son esprit de suite parfait, pour le plus grand bien de l'Institut. Il en ressortait un éloge merveilleux du cœur du Supérieur qui, dans l'intimité de ses entretiens avec chacun des Grands Novices, sait infuser, dès le bon accueil de son sourire au premier jour, une vie spirituelle intense et comme un sang nouveau dans les organismes fatigués.
Le Juvénat. — Un juvéniste vint ensuite joindre sa voix claire aux voix graves qui avaient jusqu'ici parlé. il acheva son joli petit compliment par ce souhait :
Nous ignorons, mon Révérend Frère, quel nom on donne aux Noces que nous célèbrerons pour vous et vos deux co-jubilaires dans 10 ou 15 ans, mais déjà nous retenons nos places dans cette salle du Second Noviciat, pour 1950. Nous serons alois Grands Novices ; nous saurons mieux vous dire de belles choses, mon Révérend Frère; et vous nous retrouverez toujours avec le même cœur aimant de vos Juvénistes de St François Xavier.
Le défilé des offrandes. — Les compliments achevés, il y avait à présenter les offrandes venues des quatre coins du monde et formant une masse importante. Il fallait aller, hélas un peu en courant, car le temps, lui aussi, ne cessait de courir.
Voici, en un court aperçu, comment eut lieu cet imposant cortège. On avait déposé en bon ordre, sur des tables placées en dehors de la salle, la masse des objets. Chacun, après le long voyage qu'il avait fait, avait été, ou rafraîchi, ou encadré, ou collé sur carton ou an moins orné d'un nœud de ruban, suivant les cas.
Une équipe de juvénistes les apportait tour á tour. devant les jubilaires et souvent ils étaient salués d'unanimes applaudissements.
Le Rév. Frère en prenait connaissance de façon forcément sommaire, se réservant d'y revenir à loisir, puis, ces diverses offrandes circulaient dans la salle sous les yeux émerveillés, ou bien, suivant leur poids. et leurs dimensions, elles étaient posées sur des tables préparées à cet effet ou bien encore elles étaient appendues aux murs.
En moins d'une heure, la salle entière fut ainsi transformée en un musée magnifique dont la photo de la. page 373 donne une idée.
Un Frère les annonçait à leur entrée. « Le défilé sera long, » dit-il d'abord. Impossible donc d'accorder ce soir à chacun des objets l'attention qu'ils méritent tous, des plus grands et des plus volumineux aux plus humbles et aux plus petits. Tel bouquet spirituel à coûté de longues heures de silence, ou de généreux sacrifices, telle page enluminée a demandé des trésors de talents. Telle photographie, tel album, tel graphique exigerait de longues considérations. Mais tous ces envois resteront exposés dans cette salle une quinzaine de jours, pour être admirés avec le soin voulu.
Pour bien commencer, mon Rév. Frère Supérieur Général, il faut d'abord mentionner ce qui ne peut défiler ici.
Et alors furent énumérés les dons des maisons voisines, parmi ceux qui devaient paraître sur nos tables, y compris des homards de New York, du sucre d'érable de l'érablière de Beauceville (Canada) et du miel apporté de l'Hermitage « pour embaumer, non, seulement nos bouches, mais encore nos cœurs, du parfum de la maison natale ».
Puis, il faut mentionner les envois annoncés et non encore arrivés, ne fût-ce que pour consoler les expéditeurs quand ils l'apprendront. La route est longue jusqu'en Australie et en Nouvelle Zélande. L'Argentine, les Etats Unis et le Canada ont fait des envois que nous sommes réduits à attendre. Quelques-uns sont arrivés au dernier moment. Ainsi, il n'y a pas une heure que nous est parvenu le magnifique album du Brésil Méridional, qui a franchi les océans en Zeppelin, pour arriver à temps2.
Il y a aussi les dons en argent. A la vérité, les membres du Conseil Général avaient évité de faire un appel de fonds, bien qu'on l'eût fait il y a douze ans, pour la chapelle -de Rome, qui, grâce à Dieu, aujourd'hui est debout. Mais nombre de provinces ont fait spontanément des envois au C. F. Econome Général, bien embarrassé pour refuser. On a donc songé à en faire bénéficier la chapelle de la Maison-mère. Voyez ici, à droite et à gauche de l'estrade, les anges gracieux qui sont venus sans bruit de Carmagnola. Voyez le beau tapis qui va commencer son service à la chapelle. De plus, un harmonium, obtenu à des conditions de prix exceptionnelles, est arrivé à Turin, hier soir, pour embellir nos chants. Comme il a dû s'ennuyer cette nuit, de n'être pas encore libre des formalités de douane pour notre fête!
C'est ici le lieu de placer une réflexion du Rév. Frère à ce sujet. « Je trouve, dit-il, cet instrument fort intelligent. Il y a tant d'harmonie à la Maison-mère et dans tout l'Institut qu'il s'est demandé s'il pourrait en ajouter et voilà pourquoi il hésite à entier en scène, surtout à pareil jour. »
Les Albums. — Sur ce, commença le défilé, en suivant l'exemple des rois mages qui offrirent l'or à l'enfant Jésus. En effet, heureux de représenter ici tous les Frères lointains qui auraient bien voulu présenter en personne leurs envois, un Frère Colombien présenta lui-même une précieuse médaille faite de l'or le plus pur du Nouveau monde, travail artistique envoyé par le Collège de Manizales.
Puis un Scolastique de St François Xavier, représentant tous les jeunes Frères de l'Institut, offrit à son tour un premier album, contenant un dessin de chacun de ses condisciples, en même temps qu'un second, envoyé par les Scolastiques d'Anzuola. Chacun de ces derniers, en une page merveilleusement enluminée, avait calligraphié une des belles pensées des circulaires du Rév. Frère, où il y en a tant.
Mais continuons! Deux juvénistes apportèrent alors deux magnifiques chasubles, l'une rose, l'autre verte. La première provenait de l'Hermitage, la deuxième de Chine. Elles firent l'admiration de toute la salle. .
Puis d'autres juvénistes parurent, portant deux piles d'albums splendides, représentant, soit des provinces entières, comme la Chine, l'Allemagne, le Chili-Pérou, l'Hermitage, le Brésil méridional, soit des maisons importantes comme Alep, montrant ses salles flambant neuf, Badajoz, Lacabane, São Paulo, Ceylan, etc. … Il y aurait eu pour des heures á feuilleter et admirer. On fit circuler le tout dans l'assemblée.
Les Bouquets spirituels. — Ensuite vinrent les Bouquets spirituels. Il fallait une douzaine de juvénistes pour les présenter, car quelques uns, encadrés ou non, étaient de dimensions importantes. Ils étaient riches, non seulement des fleurs dessinées ou peintes, dont ils étaient généralement entourés, mais surtout d'innombrables prières, communions, mortifications et autres bonnes œuvres.
Le seul bouquet de la province d'Espagne dépasse le million, celui de Saint Genis l'atteint presque, les autres s'échelonnent á la suite.
Celui d'Allemagne était fixé sur cuivre au bas d'un tableau peint à l'huile. On y voyait le Bon Pasteur, portant un petit agneau blanc sur ses épaules. Tout le monde, jusqu'aux juvénistes, comprit l'allusion. Ceux plus vastes de Colombie, de Léon, de l'Hermitage de Bairo, de Chine, etc., étaient des merveilles de décoration. D'autres plus petits, comme ceux de Grugliasco, de Beaucamps, d'Anzuola, de Chang Haï, de Saint Paul, etc. … ne le cédaient en rien. Il y en avait en toutes langues, même en basque, et de toutes dimensions, en tableaux et en cahiers, sur papier et sur parchemin, en noir et en couleurs, il en était venu même du Mexique persécuté, qui avait dû l'expédier en cachette, même de la lointaine Nouvelle Calédonie, même de la chère mission de Madagascar, même de toutes petites écoles, telle l'école St Jean Bosco, à Tourcoing, où, en suivant les signatures d'élèves, on en trouvait une, suivie de la fière mention : juvéniste.
Le total aurait dépassé des millions, si on avait pu le faire, car, faute de rubriques identiques, l'addition était impossible.
Tous ces bouquets, non compris ceux qui sont cachés travers les albums, école par école, ou mêlés aux adresses, joignaient leurs couleurs, pour le plaisir des yeux, à mesure qu'ils circulaient dans les rangs, car, comme dans une bonne famille, le R. F. Supérieur, après en avoir joui lui-même un instant, en faisait part autour de lui.
Les Adresses. — Mais voici le groupe des Adresses. Là, le chroniqueur se déclare impuissant à les dénombrer et cela aidera chaque province, ou chaque groupe à croire qu'il avait rédigé la plus belle, la plus affectueuse, la mieux enluminée.
On se perdrait à les énumérer. Il y en avait non seulement en prose, mais en vers, en sonnets, en acrostiches et en chansons.
Faisons toutefois exception pour la lettre qui fut lue du F. Constantinus, doyen de l'Institut. Ce bon religieux, avant de mourir, à 96 ans, avait écrit, d'une main encore ferme, ses vœux de longue vie à son vénéré Supérieur et la promesse de ses prières, qu'il continue sans doute au ciel.
Notons aussi les quatre courtes adresses chinoises, faites chacune de 4 caractères multicolores, que les juvénistes, après s'y être exercés, prononcèrent de leur mieux, en donnant ensuite la traduction, qu'on avait eu la bonne idée de nous envoyer.
Aux adresses venant des Frères s'ajoutaient nombre d'autres provenant, par exemple, d'un groupe de pères de famille de Guatemala, de notabilités de Colombie, d'élèves de Bahia, etc. … ou de lettres particulières envoyées par des amis du Rév. Frère Supérieur, ayant eu vent de son anniversaire.
Un indiscret aperçut sur son bureau une liasse de télégrammes et sans doute accompagnaient-ils pas mal de lettres dont nous n'aurons pas eu connaissance.
Il y avait d'ailleurs dans la salle un petit groupe d'anciens élèves de Gênes, venus en automobile lui présenter leurs vœux d'heureuse fête.
Divers. — Viennent enfin divers objets qu'on ne pouvait réunir sous le même titre. Voici un tableau religieux byzantin, de vaste envergure, venu de Belgrade et qui, sans doute, avait un prix spécial pour son antiquité. Voici une délicate sculpture sur ivoire, venant des Seychelles, ainsi qu'un plateau et un coupe-papier en écaille de tortue. Voici un tableau d'Athènes, retraçant, par une série de cartes, les vicissitudes de la province de Constantinople. On dépose, à côté, de volumineux cahiers, où la plume féconde du C. F. Ferrier-Joseph a écrit ses souvenirs ou ses chants enthousiastes. La Syrie offre, dans un carton que son ampleur empêche d'étaler à l'aise, des collections de photos magnifiques. Lacabane a envoyé une peinture sur toile ':où l'on aperçoit des silhouettes de ses établissements. St Genis, dans le même ordre d'idées, offre un ample tableau encadré, un vrai chef d'œuvre, où sont représentées les principales maisons et mentionnées toutes les autres (voir p. 377).
Aubenas présente un merveilleux tissu de soie, encadrant son filial hommage d'un parterre de chrysanthèmes. L'Allemagne déploie, sur une vaste carte, un arbre symbolique, portant dans son feuillage tous ses précieux produits pharmaceutiques. La Chine a envoyé de splendides représentations sur soie du Sacré-Cœur, de la Sainte Vierge et du port de Chang-Haï.
Un chapeau de Panama soulève une fusée de rires, car il est offert au Rév. Frère pour le préserver des insolations possibles, quand il chevauchera dans les Andes.
Finissons par l'Espagne qui mous envoie de beaux portraits du R. Frère, ayant été tirés sur les machines de l'Editorial L. Vives, par un procédé nouveau, donnant l'aspect d'un dessin au crayon.
Le bouquet. — La longue série des présentations s'acheva par quelques mots du C. F. Emery, Procureur Général, qui apportait les vœux de nombreux personnages ecclésiastiques de la cour romaine, et les autographes de notre bien-aimé cardinal protecteur, S. Em. Granito di Belmonte, qui avait écrit une belle lettre, ainsi que de S. Em. le Cardinal Lépicier, Préfet de la. S. C. des Religieux et enfin une bénédiction spéciale de N. S. Père le Pape Pie XI signée de sa main (voir p. 368)
Réponse du R. F. Supérieur Général. — Le Rév. Frère prenant alors la parole nous parla à peu près ainsi: « Je dois avouer, mes bien chers Frères et mes chers Enfants, que j'ai d'abord hésité à laisser célébrer aussi solennellement l'heureux anniversaire de ma prise d'habit. Toutefois, elle a été pour moi la source de tant de grâces, reçues pendant ces soixante ans, que j'ai cru devoir accepter le secours de toutes les prières de notre grande famille religieuse pour m'aider, en cette occasion, à rendre grâces au bon Dieu. J'ai aussi besoin qu'on m'aide à demander pardon pour les négligences et les fautes qui ont semé leurs ombres le long de ma vie. Chaque semaine, je vais m'agenouiller au pied du prêtre et mes jours, à ce montent, me paraissent bien moins louables que ne les ont décrits les belles adresses qu'on vient de me lire ou de me présenter. Merci donc à vous, mes chers Frères et mes chers Enfants, qui êtes ici, merci à tous les Frères de l'Institut qui prient pour moi en cette circonstance, et non seulement en ce jour, mais depuis des mois, pour former ces bouquets spirituels qui, de toutes les parties de l'Institut, sont venus se placer sous mes yeux ».
Saisissant ensuite une allusion à un fait de son enfance qu'on venait de lui rappeler, le Rév. Frère poursuit: « Oui, je me souviens avec émotion de ce temps lointain où ma bonne et pieuse grand' mère m'appelait chaque soir auprès d'elle, pour lui lire, dans un vieux livre flamand en lettres gothiques, quelques pages édifiantes. Hélas! j'étais jeune et je trouvais la lecture bien longue, et je tournais sournoisement, quand la page était finie, deux feuillets à la fois. Et grand'mère de m'arrêter alors doucement. — Mais ça ne suit plus, disait-elle. N'auriez-vous pas passé un feuillet?
Il fallait bien revenir en arrière, et reprendre la lecture au bon endroit.
N'importe, ma pieuse grand'mère qui, chaque jour, disait son rosaire entier, m'a inspiré un peu de sa piété. Avec le bon Frère qui, en classe, nous récompensait, en nous permettant d'aller entendre une messe à l'église, toute proche, lorsque nos leçons avaient été vite et bien sues, je lui dois ma vocation ».
Le R. Frère Supérieur s'étend ensuite sur les bénédictions que le bon Dieu lui a départies avec abondance pendant sa longue vie religieuse et sur celles dont jouit notre cher Institut de plus en plus prospère. « C'est un beau résultat, dit-il, que de voir un nombre toujours plus grand de religieux dans nos communautés, de juvénistes et de novices dans nos maisons de formation, d'élèves dans nos écoles. Ce résultat est dû à ces nombreuses prières, dont témoignent éloquemment tous les Bouquets spirituels qu'on m'a envoyés, qui obtiennent du bon Dieu, par l'intercession de la Sainte Vierge, son aide et sa protection ».
Et sa pensée alors va vers ses fils les plus méritants, qui s'imposent des sacrifices de toute sorte pour le bien de l'Institut et des âmes, vers ses enfants du Mexique, notamment, dont il parle avec émotion. Il rappelle, entre autres souvenirs, ces Frères qui s'imposèrent des jeûnes au pain et à l'eau, pour obtenir aux élèves la grâce de pouvoir, malgré la persécution, s'approcher des sacrements à la fin de l'année scolaire.
Le Rév. Frère poursuit longtemps son affectueuse et paternelle allocution, remerciant tour à tour et ceux qui lui ont lu de belles adresses et ceux qui lui en ont écrit et ceux qui ont prié pour lui et tous ceux qui lui ont offert, de loin, de si belles offrandes, témoignant, chacune à sa façon, de leur amour filial.
« Qu'elle est belle, dit-il, cette sainte charité qui règne dans tout l'Institut, cet esprit de famille qui volontiers oublie les fautes des supérieurs, pour ne penser qu'à leur rendre leur tâche facile, par plus d'obéissance et plus d'amour ! »
Il a aussi un mot aimable pour ses deux co-jubilaires, dont il redit brièvement les mérites éminents, en même temps que l'activité de leur longue et féconde collaboration au Conseil Général, depuis plus de 25 ans chacun.
Enfin, après avoir accordé à toutes les sections de la Maison-mère un grand congé, il donna à toute la communauté agenouillée devant lui une paternelle bénédiction.
Chacun sortit sous le charme de cette belle et longue séance, pour se rendre an mois de Marie, dont l'heure était arrivée.
Le 20 mai. – Le temps, interminablement pluvieux depuis le début du mois, s'était, lui aussi, mis en fête.
La journée commença à la chapelle, étincelante de lumière électrique, par le chant du solennel Salve Regina du Centenaire.
Il y eut ce jour-là deux messes. La première fut dite par le R. P. Roguin, notre bon aumônier, hélas! sur le point de nous quitter et la deuxième, à 8 h. par son aimable successeur, le R. P. Lembezat, arrivé la veille.
Il va de soi que les chants furent dignes des nombreux artistes que compte notre imposante communauté. La messe votive de la Sainte Vierge fut chantée en musique à quatre parties. Les voix cristallines et nuancées des juvénistes nous chantèrent un Alléluia et un graduel que Solesmes, l'illustre Solesmes nous avait enviés, bien sûr. Tout le monde pria de son mieux aux intentions du Rév. Frère et de ses co-jubilaires.
La matinée s'acheva par un concert fort agréable, que nous donna la fanfare du juvénat St François Xavier.
Le diner. — On avait dû renoncer à réunir dans une seule salle toute la communauté, grossie encore du juvénat de Gassino, venu participer à la fête. Chaque section dina dans son réfectoire habituel. Autour du Rév. Frère, le Régime et les Frères invités se réunirent dans la salle qui sert au moment de la retraite des supérieurs. Elle était abondamment décorée de ces belles guirlandes italiennes, qui sont d'un si bel effet. La sainte joie régna autour de la table de famille. Des images-souvenirs des trois Jubilaires avaient été. déposées dans chaque assiette. La photo du Bulletin reproduit celle du Rév. Frère. Elle consistait en une belle image en trichromie de la Sainte Vierge: la Madone à l'olivier, de Barabino.
Au dessert quelques toastes agrémentèrent la fin du repas. Le C. F. Joseph-Ovide, provincial d'Aubenas, le C. F. Fleury, provincial de S. Paul exprimèrent les vœux de tous et spécialement de leurs provinces, et le C. F. Henri-Noël, provincial de l'Hermitage, lut une belle et délicate poésie du bon Frère Almaque, un de nos doyens, puisqu'il a 89 ans. Ensuite le F. C. Raffaele, Visiteur d'Italie, qui venait d'arriver, prit à son tour la parole et continua l'offrande de la veille, en y ajoutant un joli tableau, artistement orné, qui mentionnait la belle collecte de 2.120 lires, recueillie parmi les élèves des Collèges du jeune district italien. Le C. F. Vincenz parla en allemand, langue familière au Rév. Frère, au nom du District d'où il arrivait.
Le R. F. Supérieur répondit à chacun, avec cette facilité et cet à propos dont il a le secret, souhaitant l'ancienne prospérité aux vieilles provinces-mères d'Aubenas et de Saint Paul, où une vie nouvelle recommence, ainsi qu'aux Districts d'Allemagne et d'Italie appelés à devenir bientôt, à leur tour, de florissantes provinces.
Toaste du C. F. Flamien, A. G. — Mais le toaste principal avait été prononcé par le C. F. Flamien, qui est parmi nous comme le Doyen du Sacré-Collège. En voici un long extrait que tout le monde lira avec plaisir.
… Ce fut donc le 5 avril 1875, mon R. F. Supérieur Général, que vous avez revêtu l'habit religieux et reçu le nom de Frère Diogène, que vous deviez porter si honorablement. S'il nous était donné de reconstituer cette première soutane et toutes celles qui l'ont suivie, de leur donner une voix et de les interroger, quelles belles choses elles sauraient nous dire ! Chacune pourrait se vanter d'avoir été pour votre Révérence une livrée glorieuse, digne de la vénération de tous ceux qui vous ont connu. Et n'est-ce pas sur une des plus récentes que tous vos enfants du monde entier ont eu la noble fierté de voir, au soir de votre belle vie, resplendir la croix de la Légion d'Honneur?
Soixante ans de vie religieuse! Que de travaux accumulés au profit de notre cher Institut, durant cette longue période et que de mérites acquis! En ce jour mémorable, tournons nos regards vers Dieu, adressons-lui tous cette prière: Seigneur vous nous avez donné un Supérieur idéal, soyez béni pour cette grâce si exceptionnelle! Depuis quinze ans vous le gardez à notre affection, soyez béni, Seigneur, pour tout le bien réalisé pendant son généralat ! Soyez béni pour les qualités d'esprit et de cœur dont vous l'avez doué !
Il serait trop long de les passer en revue. Je me bornerai à trois seulement, que j'illustrerai d'un petit exemple familier, comme il est bien permis de le faire en cette circonstance. Votre bonté, d'abord. En toute occasion vous savez montrer la sollicitude d'une mère à l'égard de tous vos enfants, sans distinction de classe ni de rang. Certes, on le sait à la maison-mère, mais ce qu'on ignore peut-être, c'est qu'à Beaucamps, où vous êtes resté longtemps Directeur du Scolasticat, on admirait déjà cette bonté charmante à l'endroit de tout le personnel de la maison et spécialement de la jeunesse. Un jour, on avait servi à table des cerises. C'étaient des primeurs, apportées par un hôte de passage. A la table des professeurs, il en était resté. Les grâces dites, le C. F. Diogène appelle le réfectorier du jour, un petit Novice. Ce Frère porte aujourd'hui une barbe vénérable dans sa charge importante de Visiteur du Congo. Mais, en ce temps-là, timide et craintif, il approche un peu en tremblant. « Asseyez-vous là, mon petit Frère, dit le F. Diogène, et, plaçant l'assiette devant le Novice, il ajoute : Maintenant vous allez manger toutes ces belles cerises que nous ne pouvons pas laisser perdre. Le petit Frère hésite, puis, rassuré par un bon sourire, il se mit à l'œuvre. Le F. Diogène avait un plaisir de roi à voir son petit Novice content. Tout y passa.
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Vous avez aussi, mon Révérend Frère, cet à propos qui fait le charme de la conversation, et le talent de savoir mettre la note gaie dans les situations les plus embarrassantes. On raconte, à votre actif, qu'un jour, venant de voyage, probablement de la Maison-mère; vous rentriez á la gare de Lille, avec une bouteille d'arquebuse clans votre poche. Le douanier vit-il cette poche trop gonflée? Je ne sais. En tout cas, il vous interpelle dans le style connu: Rien à déclarer? — Non, dit le voyageur, sauf cependant que j'ai là une bouteille, mais c'est une bouteille d'eau. Voyez vous-même.
Et sortant le flacon, vous avez fait lire au préposé l'étiquette flamboyante: Eau d'Arquebuse. L'autre n'y vit que du feu et répondit : Puisque ce n'est que de l'eau, ça va bien; mais je sais pas où qu'est ce pays-là : Arquebuse.
— C'est dans le midi, Monsieur. — Bien! passez.
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Il est une autre vertu que l'on ne peut se lasser d'admirer chez notre R. F. Diogène, c'est la prudence et ce bon jugement, dont on raconte qu'il fit preuve dès l'âge de plus tendre. Ses contemporains rappellent qu'un jour, sortant de classe, des camarades s'en prirent à un arbre fruitier ou commirent quelque autre méfait de ce genre, quand, tout à coup survint le garde-champêtre. Les coupables s'enfuirent comme une volée de moineaux. Le petit Henri, qui pouvait être inquiété comme les autres, bien qu'il fût innocent, ne s'enfuit pas. Au contraire, stoïquement, il alla au-devant du Garde et lui fit comprendre qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre les délinquants. Ils n'avaient pas commis grand mal et-lui même se chargerait de leur faire entendre raison pour les empêcher de recommencer. Le « champêtre » étonné de tant de sang-froid chez un enfant de 11 ans s'apaisa. Et tout finit par là…
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Aussi, depuis les 15 années déjà que vous gouvernez notre Institut, si, à l'extérieur, nous avons subi bien des mesures violentes, du moins en certaines provinces, il est bien consolant de constater qu'à l'intérieur il n'y a eu à déplorer aucune de ces dissensions fatales aux Ordres religieux et qu'il n'y a qu'à remercier Dieu de l'excellent esprit de famille qui règne dans toute la Congrégation.
Aussi, il m'est bien doux de proclamer ici, comme déjà, il y a trois ans, à la fin du Chapitre, que vous aviez présidé avec une maîtrise incomparable, que vous avez bien mérité de l'Institut et que nous sommes fiers de vans avoir à notre tête.
Et, en terminant, mon T. R. Frère, je souhaite, et nous souhaitons tous, très ardemment, que vous portiez longtemps encore l'habit que vous avez tant honoré et qui a toujours été pour vous la triple auréole de la bonté, de la charité et de l'honneur.
Gloire à Dieu, Honneur à Marie et au R. F. Diogène! Ad multos et felices annos!
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Notons que le dîner s'acheva en croquant des bonbons que les juvénistes de Mondovi avaient envoyés au Rév. Frère, pour lui rappeler le temps ou « petit comme eux, mais bien plus sage, il aimait lui aussi les bombons et lui procurer ainsi l'illusion d'être, pour un moment, redevenu jeune comme eux ».
On ne saurait vraiment ni mieux faire, ni mieux dire.
Séance récréative. — A trois heures, une séance récréative était annoncée dans les Ateliers du Juvénat. Magnifiquement décorés et les murs couverts d'oriflammes, ils faisaient oublier leur sol en terre battue et leur état d'inachèvement que la crise fait durer.
Le programme était entièrement mariste, sauf une saynète comique qui nous montra Rabelais dans l'anecdote connue du Poison pour le Roy. Elle s'ouvrit par une poésie de circonstance, écrite en Belgique et que récita un Frère du Congo. Peu après, une autre adresse en vers, envoyé de Syrie, empruntait les accents d'un Frère Canadien.
On revit les scènes tirées de la vie du P. Champagnat. Le F. Laurent parut avec son sac de provisions pour le Bessat, et les petits Frères vinrent réclamer la permission de jeûner. On entendit même, vers la fin, le tintement de la forge où nos aînés fabriquaient des clous, en chantant gaîment.
Pim! pan! travaillons pour vivre !
Pim! pan! gagnons notre pain!
L'un des plus beaux spectacles était encore celui de cette salle où se mêlaient des représentants de vingt races et vingt langues, fraternellement groupés pour fêter leur Père bien-aimé.
Le Rév: Frère, vers la fin de la séance, prit la parole, non seulement pour remercier et louer les acteurs, mais pour présenter les adieux et les regrets de la Maison-mère au dévoué Père Roguin, notre aumônier depuis dix ans, qui laisse parmi nous le plus aimable souvenir. il lui souhaita qu'après quelque temps de repos il puisse de nouveau revenir, sinon à la Maison-mère, où le travail est considérable, du moins à Santa Maria, au pied de la Superga, où il y a moins à faire.
Salut. — Le salut du Saint Sacrement eut lieu à 6h. ½ et comportait le Te Deum de l'action de grâces. Il fut chanté de tout cœur par toutes les voix. Il était à la fois une prière et un symbole. Il semblait, en évoquant les anges et les saints du ciel,, mêlant leurs accents à ceux des milices de l'Eglise de la terre, rappeler combien ce jour avait été un beau spectacle pour nos saints de l'Institut déjà arrivés dans la patrie, .comme pour notre grande famille religieuse dispersée sur toutes les plages de la terre.
De tous les cœurs était monté le chant de la reconnaissance et dans tous avait grandi encore, s'il est possible, la puissance de notre esprit de famille, qui est notre force aujourd'hui et notre espoir pour demain.
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1 Au très cher et très méritant Frère Diogène, Supérieur Général des Petits Frères de Marie, en lui souhaitant, ainsi qu’à tous ses chers fils, les meilleures bénédictions du ciel. – Rome le 20 mai 1935 – Alexis Henri Marie Cardinal Lépicier O.S.M.
2 Ajoutons que, depuis la fête, de magnifiques albums d’Angleterre et du Brésil Central sont arrivés. Et en les admirant on a eu le sentiment que la fête se prolongeait par une heureuse octave imprévue.
3 En particulier, au centre le R. F. Supérieur Général, à sa droite le R. Pr Roguin, à sa gauche le R. P. Lembezat, puis, plus à droite le C. F. Flamien et, plus à gauche, le F. Michaélis, les co-jubilaires. En avant sont des juvénistes.[Note en relation avec la photo de la page 393. f. L.R.]