Après 25 ans
05/Sep/2010
Comme le chante l'Eglise dans la préface de la messe, il est vraiment juste de rendre grâce au Seigneur en tout temps ; car, ses bienfaits à notre égard étant continuels, continuelle aussi doit être la reconnaissance.
Il est pourtant des jours où ce grand devoir s'impose à nos cœurs d'une façon toute spéciale : ce sont les jours qui nous rappellent quelque bienfait de choix, quelqu'une de ces faveurs insignes qui ont été l'origine d'une multitude d'autres.
Tel est, par exemple, pour les individus, l'anniversaire de leur naissance, et pour les sociétés l'anniversaire analogue de leur fondation, surtout s'il ne clôt pas seulement une année quelconque, mais un cycle d'années plus ou moins étendu.
Le 24 août dernier, était un de ces jours, pour nos Frères de la province du Canada et des Etats-Unis. C'était son vingt-cinquième retour depuis qu'il avait éclairé leurs humbles débuts sur cette terre généreuse de l'Amérique du Nord, où Dieu les a déjà multipliés au centuple, et leur a donné de faire, par sa grâce, a une nombreuse phalange d'enfants, un bien qu'on a toute raison de croire réel et durable. Au souvenir de cette bénédiction céleste, qui avait donné à. leurs efforts une si heureuse fécondité, ils sentaient le besoin de donner libre cours aux sentiments de gratitude qui se pressaient dans leurs âmes ; et ce fut le motif de la fête tout intime, mais pleine d'un religieux enthousiasme, dont nous avons reproduit quelques échos en novembre dernier.
Nous trompons-nous en pensant que ces quelques lignes, justement a cause de leur laconisme forcé, auront éveillé chez un grand nombre de lecteurs du Bulletin le désir de trouver dans ses pages un aperçu un peu moins sommaire sur l'origine et les progrès de cette partie si intéressante des œuvres de l'Institut ? Nous ne le croyons pas ; et c'est dans l'espoir de leur être agréables que nous l'avons entrepris, en nous servant des notes qu'a bien voulu nous fournir le C. F. Angélicus, Assistant général, qui vient d'en faire la visite régulière, en qualité de Délégué du R. F. Supérieur.
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Il y a longtemps que les apôtres de l'Amérique et les Petits Frères de Marie sentaient les uns pour les autres une attraction réciproque et qu'ils se tendaient, pour ainsi dire, la main à travers l'Océan, en vue d'unir leurs efforts pour le bien spirituel et moral de ces peuples dont le développement et l'activité ont pris, depuis un siècle, un essor si rapide.
On sait, en effet, qu'en 1824 le Vénérable Fondateur, en hutte à une persécution qui menaçait sérieusement l'existence de son œuvre, avait formé le dessein de partir pour les missions de l'Amérique avec ses premiers Frères, et que très probablement il l'aurait mis à exécution sans l'appui inespéré qu'il trouva tout à coup dans Mgr. De Pins.
Treize ans plus lard, il répondait à monsieur Fontbonne, missionnaire à Saint- Louis, dans les Etats-Unis, qui l'invitait instamment à lui envoyer de ses Frères comme auxiliaires : Nous vous en enverrions volontiers s'il nous était possible. Nous espérons que la divine Providence nous aplanira les difficultés .et nous facilitera, les moyens de parvenir jusqu'à vous, quand les temps que le Père a marqués à son souverain pouvoir seront arrivés.
En 1872, un autre pressant appel fut adressé au R. Frère Louis-Marie, alors Supérieur Général, par M. le Curé de Bâton-Rouge, ancienne, capitale de l'Etat de la Louisiane, dans les Etats-Unis. Mais l'heure de la Providence, entrevue par le Vénérable Fondateur, n'était pas encore venue. C'était l'époque où les demandes de fondation affluaient, en France, et les Frères qu'une vocation plus spéciale destinait aux missions pouvaient à peine suffire aux besoins des chrétientés fondées en Océanie par les RR. PP. Maristes, auxquels nos Frères se trouvaient associés depuis l'origine. Il avait donc été décidé qu'on n'accepterait plus aucune fondation en dehors de la France, et l'on dut, quoique à regret, répondre à ce bon curé que pour le moment, il était impossible de seconder son désir.
Cette heure marquée dans les desseins de Dieu s'avançait cependant, et elle n'allait pas tarder à sonner. Au mois d'août de 1884, deux ecclésiastiques de la province canadienne de Québec, M. l'abbé Gravel, curé de St-Hyacinthe1 et M. l'abbé Thibaudier, secrétaire de Mgr. l'évêque de la même ville, vinrent faire une visite aux Supérieurs, à Saint-Genis-Laval ; et ce, qu'ils dirent de la prospérité économique de leur pays, de son caractère tout français comme sa langue, de son attachement a la foi catholique, et des dispositions bienveillantes de son gouvernement à l'égard des religieux intéressèrent vivement plusieurs membres du Régime, surtout le Révérend Frère Supérieur Général actuel, qui était alors Assistant, comme on sait, de la province de l'Hermitage. Les deux visiteurs se retirèrent avec l'impression que, si les circonstances s'y prêtaient tant soit peu, les Petits Frères de Marie ne répugneraient pas à tenter un établissement sur les rives du Saint-Laurent.
De retour dans leur pays, ils firent part de cette impression à leur vénérable évêque, S. G. Mgr. Moreau, de pieuse mémoire, qui s'en montra tout heureux ; et vers le milieu du mois de décembre suivant, les Supérieurs recevaient de lui une lettre pleine de bienveillance, dans laquelle il offrait à nos Frères la direction de deux écoles dans son diocèse ; une à Saint-Athanase d'Iberville et l'autre à Sorel, en priant instamment les Supérieurs de les accepter pour 1885.
" Nous savez, ajoutait-il en terminant, que le Canada est une terre française et un pays où la foi est encore vive. Vous pouvez donc compter que votre Institut y trouvera des vocations, comme tous les ordres religieux qui y sont établis.
La proposition était engageante et elle montrait, dans le vénérable prélat qui la faisait, tant de cœur et de généreuse sympathie qu'il eût été bien pénible de ne point l'accueillir ; mais la grande difficulté était toujours là : où trouver le personnel nécessaire ? car en France, malgré la fièvre de laïcisation qui battait alors son plein, les demandes de fondation se multipliaient de telle sorte qu'on se trouvait à peine dans la possibilité de faire droit aux plus pressées. Quelle serait la province qui voudrait assumer la charge de fournir le personnel ? Déjà la plupart des Frères Assistants s'étaient récusés pour les provinces de leur juridiction respective, quand le C. Frère Stratonique, qui, au mois d'août précédent, avait été si vivement intéressé par la conversation des deux visiteurs, l'accepta résolument pour celle de N. D. de l'Hermitage, avec la conviction de correspondre à un dessein de la Providence.
A la date 14 janvier 1885, il fut donc répondu à Mgr. Moreau que l'école de Sorel paraissait un peu au-dessus de ce que nos moyens, pour le moment, nous permettaient de faire, mais que nous accepterions volontiers celle de Saint-Athanase, qui, par son caractère modeste, était plus en rapport avec l'esprit et les habitudes de notre Institut.
Le vénérable prélat s'en montra extrêmement satisfait. " Vous ne sauriez imaginer, écrivait-il à la date du 8 février, le plaisir et le bonheur que vous m'avez causés en acceptant de venir dans mon diocèse, et de vous charger de l'académie de Saint Athanase. J'ai confiance que vous ne regretterez pas de vous expatrier, car vous trouverez ici une ample moisson d'enseignement à recueillir et vous y rencontrerez des cœurs amis, des compatriotes même, puisque le Canada se fait gloire de venir de la France, et de conserver intactes les belles traditions de la France, surtout sa langue et sa religion, qui font ici notre suprême force au milieu de toutes les religions et de toutes les nationalités dont nous sommes environnés. Vos Frères viendront donc en un pays où ils se sentiront tout à l'aise et pourront donner un libre cours à leur zèle pour l'instruction chrétienne des enfants, qui heureusement ne subit aucune entrave de la part de nos gouvernants.
Dans le courant de l'été, les conditions de la fondation furent définitivement arrêtées avec la Commission scolaire et, dans les premiers jours du mois d'août, les six Frères désignés pour la nouvelle fondation s'embarquaient au Havre, sous la direction du C. F. Césidius, à destination de New-York et de Saint Athanase d'Iberville2, qui se trouve sur la voie ferrée de New York à Montréal. Arrivés le 24 août, ils furent accueillis avec la plus grande cordialité par M. l'abbé Saint-Georges, curé de la paroisse, qui, depuis lors, en toute occasion, s'est montré pour eux un vrai père, et par les notabilités du pays, qui tinrent à venir leur présenter, avec leurs souhaits de bienvenue, l'assurance de leur entière sympathie.
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L'école ou ‘’académie’’ de Saint Athanase, dont ils venaient prendre la direction, était installée dans un local assez convenable, appartenant à la Commission scolaire, et comptait quatre classes. L'enseignement s'y donnait en français ; mais l'anglais était enseigné comme seconde langue dans les deux classes les plus avancées.
Comme à peu près partout, les Frères, au début, eurent beaucoup à faire pour suffire aux soins de la première organisation, d'autant plus que, dès les premiers jours, ils avaient annexé à l'école un petit pensionnat dont les principaux éléments existaient déjà ; mais leur dévouement se trouva à la hauteur de la tâche, de sorte que les fondateurs eurent lieu de se montrer pleinement satisfaits.
Bientôt après, Monseigneur pouvait écrire au Révérend Frère Supérieur :
Mon Très Révérend Frère,
« C'est le 3 novembre que j'ai pu voir vos chers enfants et bénir leur maison en présence de leurs élèves et d'un grand nombre de paroissiens… J'ai le bonheur de vous dire que les parents et les enfants sont satisfaits des instituteurs qui leur ont été donnés ; et une preuve palpable de cette satisfaction générale, c'est que les classes regorgent d'élèves. Les commencements de votre œuvre canadienne sont certainement très consolants et donnent beaucoup à espérer. Ces espérances se réaliseront sans aucun doute avec la bénédiction du Seigneur.
Je remercie le ciel de cette acquisition si précieuse que vient de faire mon diocèse dans la personne de vos chers religieux. Et à vous, Révérend Frère, je dois une éternelle reconnaissance pour avoir bien voulu accueillir ma demande avec un si bienveillant empressement »
Ce sont les Petits Frères de Marie, au contraire, qui doivent au vénérable prélat une reconnaissance qui ne pourra jamais être trop grande : non seulement à cause de son bienveillant appel et de son généreux accueil, mais encore à cause de la bonté toute paternelle qu'il ne cessa jamais de leur témoigner.
Les classes, ouvertes au commencement de septembre, avec 180 élèves, chiffre de l'année précédente, en comptaient déjà deux cents avant la fin de décembre. La charge des Frères devenait écrasante et, au mois de janvier 1886, deux nouveaux confrères durent leur être envoyés.
Dès le principe, les Frères s'étaient préoccupés de trouver, soit parmi les élèves soit en dehors, quelques bons enfants postulants qui, leur noviciat terminé, pussent devenir leurs auxiliaires, et leur aider, de concert avec les renforts qu'ils attendaient de l'Hermitage, à fortifier et à développer la naissante fondation.
Monseigneur Moreau, qui s'intéressait beaucoup à cette œuvre, y donna non seulement sa pleine approbation, mais ses plus paternels encouragements. Le 26 juillet 1886, il adressa à tous les prêtres du diocèse une lettre circulaire où il leur recommandait de diriger vers le noviciat des Frères Maristes, dont il avait commencé par faire un bienveillant éloge, les jeunes gens en qui ils reconnaîtraient les marques de la vocation religieuse, et Province du Canada et des Etats-Unis. en même temps il prescrivait pour le 15 août suivant une quête dont le produit serait consacré à couvrir les premiers frais d'installation.
Avec ce secours, complété par une souscription des habitants de la localité, on acheta, à côté de la maison d'école, un terrain destiné à l'érection d'un local convenable ; en attendant les moyens d'y élever une maison en briques, on commença par y faire une construction en bois, et le noviciat put s'ouvrir au mois de mars 1887, avec trois postulants, sous le vocable de N.-D. du Saint Rosaire.
En même temps que la maison d'Iberville s'organisait ainsi peu à peu, d'autres demandes de fondations commençaient à venir. La première en date fut celle de Saint-Pierre de Montréal, faite par le R. P. Lefebvre, supérieur des oblats de Marie Immaculée, qui avait fait connaissance avec notre Institut par l'intermédiaire de M. l'abbé Gravel, dont nous avons déjà prononcé le nom. Les conditions proposées par les Supérieurs ayant été agréées, six de nos Frères, sous la direction du Frère Suries vinrent en prendre la direction le 1ier septembre 1886. Les élèves, pendant cette première année, furent au nombre de 250 et les classes se firent provisoirement dans le local de la maîtrise.
A la demande des RR. PP. Dominicains, une école de trois classes venait également d'être fondée à Lewiston (Maine) dans la région N-E des Etats-Unis et nombre d'autres localités : Sorel, St-Aimé, St-Guillaume, Worcester, Nicolet, Chambly, Roxton Falls, St-Ephrem d'Upton, St-Georges d'Henryville, Plattsburg, Manchester, etc., sollicitaient des Frères.
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Devant cette vaste perspective de développement qui semblait s'ouvrir, dans ces régions, à l'activité de l'Institut, une visite des premiers supérieurs devenait nécessaire, afin qu'ils pussent voir les choses sur place et prendre à bon escient les dispositions opportunes. Le R. F. Supérieur, Frère Théophane, résolut de l'entreprendre dans le courant de l'été de 1887, en compagnie du C. F. Stratonique, Assistant de N.-Dame de l'Hermitage, qui avait été rame de la fondation et sous la juridiction duquel le district se trouvait placé.
Partis du Havre le 21 mai, ils arrivèrent à New-York le 29 du même mois, et le 3 juin, ils étaient h Iberville. Comme il est facile de le comprendre, le bonheur des Frères fut grand, à leur arrivée. Les quinze cents lieues qui les séparaient du centre de la Congrégation paraissaient avoir disparu, et il leur semblait être à Saint-Genis ou à l'Hermitage. De leur côté, les deux supérieurs n'étaient pas moins heureux de se voir si filialement accueillis de l'autre côté de l'Océan ; mais ce qui rendit leur consolation encore plus vive, ce fut de pouvoir constater combien étaient grands, parmi les Frères, l’esprit religieux, l'amour de leur état, et leur dévouement à leur œuvre.
A la clôture de la retraite, ils eurent la joie de donner le saint habit au premier jeune Frère canadien, qui, en souvenir de la circonstance, reçut le nom de Frère Marie-Théophane. Il ne lui a point fait déshonneur, Dieu merci, et il se trouve aujourd'hui à la tête d'une des plus importantes maisons de la province.
Pendant un séjour de cinq semaines, qu'ils firent dans la région, ils purent non seulement visiter les établissements existants, mais aller voir quelques-unes des localités où l'on demandait des Frères. Et ils en revinrent avec la conviction qu'il y avait lieu de favoriser les bonnes dispositions de ces populations chrétiennes relativement à l'éducation de leurs enfants. Evidemment il n'était pas possible de faire droit en même temps à toutes les demandes de fondation qui avaient été présentées ; on commença du moins par accepter celles de Sainte Martine, de Roxton Falls et de Saint-Ephrem d'Upton. Cela portait à six le nombre de nos établissements américains, qui, à l'exception de Lewiston, se trouvaient relativement rapprochés les uns des autres, dans la région de Montréal.
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L'année suivante, eut lieu une septième fondation dans une région un peu plus éloignée, qui allait bientôt devenir un autre centre. A 220 kilomètres au N.-E. de Montréal, en face de Québec, sur la rive droite du Saint-Laurent, s'élève la jolie ville de Lévis, peuplée d'environ 10.000 âmes, et dont le nom rappelle celui de l’héroïque successeur de Montcalm, en même temps que la dernière 'victoire française dans cette belle contrée.
En 1888, M. l'Abbé Gauvreau, qui en était curé, entendit parler du bien que faisaient les Frères Maristes dans la région de Montréal et il conçut le désir d'en avoir pour sa paroisse. Il adressa aux supérieurs, dans ce sens, une demande qui fut agréée, et le 18 août de la même année, cinq de nos Frères, sous la conduite du Frère Marie-Céphas, arrivaient à Lévis pour prendre la direction des écoles paroissiales. La résidence des Frères avec deux classes fut établie sur la Côte du Passage, et deux autres classes furent provisoirement installées dans une vieille maison en bois près de l'église. Dès le début, la méthode des Frères et la direction qu'ils avaient imprimée à l'enseignement furent très appréciées des autorités scolaires et des pères de famille. Peu de jours après l'ouverture des classes, une députation des notables de la ville se rendit chez M. le Curé pour le féliciter et le remercier d'avoir procuré à la population des éducateurs si dignes de sa confiance. L'année ne s'était pas écoulée que les classes étaient devenues insuffisantes, et qu'il fallait créer un troisième centre avec deux classes nouvelles.
Dans la région de Montréal, cette même année 1888, l'Institut avait pris à sa charge la direction de l'école paroissiale de Saint-Vincent-de-Paul, à laquelle fut bientôt annexé un petit pensionnat, dont l'importance, plus tard, s'est notablement accrue. En 1889, il accepta de même l'école paroissiale de Waterloo, et en 1890 le collège commercial de Granby, dont les débuts furent humbles, mais qui allait devenir, avec l'école paroissiale qui lui est annexée, un des principaux établissements de la future province.
L'année 1891 fut une des rares qui n'amenèrent pas de nouvelle fondation ; elle préparait silencieusement celle de 1892, qui devait être, en revanche, une des plus fécondes.
Depuis 1885, le pensionnat de Saint-Athanase d'Iberville avait pris de considérables accroissements. La maison en bois construite en 1886 était bientôt devenue insuffisante pour permettre de recevoir tous les internes qui se présentaient, et en 1889, on avait dû entreprendre la construction d'un bâtiment assez vaste pour en loger environ une centaine. Le noviciat, dont les rangs s'étaient également élargis, avait besoin d'un local plus ample que celui qui lui avait servi de berceau ; et, d'autre part, Mgr. Moreau, évêque de St Hyacinthe, qui avait appelé les Frères, désirait que leur noviciat fût dans sa ville épiscopale. En 1888, il avait donné un terrain pour cela ; mais on n'avait pas pu en profiter, parce qu'il fallait y bâtir une maison et qu'on n'avait pas les fonds nécessaires. En 1892, il consentit à échanger cette propriété contre la villa Bédini, qui avait une maison toute construite, et le noviciat s'y transporta le 23 novembre. Il y est toujours demeuré depuis, en s'y développant lentement, et il a déjà donné l'habit religieux à près de 350 postulants.
Le vénérable curé d'Iberville, M. l'abbé Saint-Georges, qui n'avait pu voir sans un grand regret le noviciat quitter sa paroisse, voulut du moins y retenir le juvénat qu'on venait d'y fonder. Par sa généreuse entremise, la Congrégation put acquérir un spacieux immeuble d'environ 12 hectares, avec une maison assez petite et incommode, il est vrai, mais où les juvénistes. encore peu nombreux purent trouver une installation provisoire, en attendant qu’une maison construite ad hoc leur permit de se mettre plus au large et de recevoir les nouveaux condisciples que la Providence leur destinait.
En mène temps, sur la demande de M. l'abbé Tétreau, curé de Saint -Jean-Baptiste à New-York, et avec l'approbation de Mgr. Corrigan, archevêque de cette ville, une première maison de l'Institut venait d'être fondée dans la grande métropole américaine. Les débuts en furent humbles, modestes, mais, par leur patience, leur dévouement et leurs efforts bénis de Dieu, les Frères en obtinrent le développement progressif. Bientôt même à côté de l'école paroissiale, ils purent ouvrir à leurs risques et périls, sous le titre d'Académie Sainte-Anne, une école payante, où l'enseignement se donnait en français et en anglais, et qui en peu d'années devint relativement prospère. Depuis lors, le besoin de loger les élèves internes et externes qui se présentaient de plus en plus nombreux joint à la nécessité d'un scolasticat pour l'étude de la langue anglaise, dont la connaissance est indispensable aux Etats-Unis, ont amené la Congrégation à y faire — non sans de grands frais, il est vrai — des agrandissements considérables, grâce auxquels il est devenu un très bel établissement.
Enfin, à peu près de la même époque, date la fondation de trois autres maisons importantes, également situées sur le territoire des Etats-Unis, dans la région de Boston. Ce sont celles de Manchester, de Lowell et de Lawrence3, qui ensemble comptent actuellement plus de 2.000 élèves.
La population de ces villes manufacturières, dont la prospérité relativement récente est due principalement à l’immense pouvoir hydraulique que leur fournit la rivière Merrimac, aux bords de laquelle elles sont situées, renferme un grand nombre de canadiens-français, attirés par la perspective de salaires plus rémunérateurs. Pour les aider à conserver en même temps leur foi et leur langue, des prêtres zélés se sont efforcés de les grouper autour de leurs églises et de leur créer des écoles, où leurs enfants viendraient recevoir une éducation chrétienne telle qu'ils l'auraient trouvée dans la mère patrie. C'est à diriger ces intéressantes écoles que nos Frères furent alors appelés ; et, pendant les 18 ans qui se sont écoulés depuis, ils y ont eu des consolations qui les ont amplement dédommagés de leur dévouement et de leurs fatigues, notamment celle de voir plus de 7.000 enfants, préparés par leurs soins, s'approcher pour la première fois de la Table sainte avec les plus édifiantes dispositions.
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Dans les années suivantes, à mesure que le permettait l'augmentation du nombre de sujets, soit qu'ils vinssent de France ou qu’ils fussent recrutés et formés dans le pays même, on put encore satisfaire à quelques-unes des nombreuses demandes faites par des localités plus ou moins voisines de celles ou les Frères étaient déjà établis. En 1894, on fonda Beauceville ou St. François de Beauce, à la demande de M. L. Z. Lambert, curé de la paroisse ; en 1897, St. Romuald, près de Québec, et Roberval, plus au nord, sur la rive occidentale du lac Saint-Jean ; en 1899, Saint-Malo, à Québec, et le Juvénat de Lévis, commencé petitement avec 8 juvénistes, dont trois venaient d'Iberville, mais qui a grandi peu à peu et a déjà envoyé 95 de ses enfants au noviciat de Saint-Hyacinthe ; en 1900, Belœil, dans la région de Montréal et Charlesbourg dans celle de Québec ; puis, bientôt après (1901 et 1902) Bagotville et Chicoutimi dans la région du lac Saint-Jean, et La Malbaie ou Murray-Bay, sur la rive gauche de l'estuaire du Saint-Laurent.
Pendant ce temps, le noviciat de Saint-Hyacinthe s'était développé, et la villa Bédini étant devenue trop petite pour le contenir, une nouvelle consruction terminée en 1896 avait donné un espace suffisant pour une soixantaine de novices. Complètement détruit par un incendie en 1903, ce bâtiment fut promptement reconstruit avec des proportions encore plus grandes ; et, comme la persécution qui éclata alors en France avait amené au Canada un grand nombre de jeunes Frères désireux de mettre leur vocation à l'abri, le juvénat d'Iberville leur céda soi local, pour venir, après un séjour de quelques mois à Granby et à Roxton-Falls, s'installer lui aussi à Saint-Hyacinthe.
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Avec ses 30 établissements, ses 260 Frères en exercice, et ses trois maisons de formation peuplées de 40 scolastiques, de 45 novices ou postulants et d'une soixantaine de juvénistes, le rameau mariste de l'Amérique du Nord avait acquis un développement et une organisation qui lui permettait désormais de vivre de sa vie propre ; mais il n'était encore qu'un district de la province de N.-D. de l'Hermitage, qui pendant 18 ans avait contribué pour la plus large part à son alimentation, en lui envoyant chaque année un bon nombre de ses meilleurs sujets. Le chapitre général de 1903 jugea que le temps était venu de l'émanciper, et avec la permission du Saint-Siège, il l'érigea en Province du Canada et des Etats-Unis.
C'était une nouvelle période de son évolution qui commençait, mais sans secousse ni brusque transition. Tout en ayant son gouvernement autonome, la jeune province resta sous la juridiction immédiate du même Frère Assistant, qui avait fait de son développement et de sa prospérité une des plus chères préoccupations de sa vie, et, pendant des années encore, elle continua à recevoir de la province-mère un bon contingent d'excellentes recrues, ce qui lui permit non seulement de renforcer considérablement plusieurs des maisons existantes, mais d'en créer un certain nombre de nouvelles, telles que celles de Haverhill, dans la vallée inférieure du Merrimac, de Sainte Agnès à New – York, et de Baie Saint-Paul, sur l'estuaire du Saint- Laurent, etc. …
Cependant depuis des années déjà, surtout depuis la fondation des établissements des Etats-Unis, le besoin d'une maison de formation peuplée de sujets de langue anglaise se faisait impérieusement sentir. C’est. pourquoi, en 1905, on se mit en devoir de chercher, dans les environs de New-York un immeuble qui pût répondre au but désiré. On en trouva un à Poughkeepsie, sur la rive gauche de l'Hudson, sur la voie ferrée de New-York à Albany, à peu près à égale distance (environ 100 Km.) de chacune de ces deux villes, qui remplissait la plupart des conditions désirables, et on en fit l'acquisition, après avoir obtenu de Mgr l'archevêque de New-York l'autorisation de fonder le nouvel établissement dans son diocèse. Le petit juvénat qui y fut installé en 1906 s'y est peuplé d'une quarantaine d'enfants qui donnent de belles espérances ; le noviciat qui ut érigé en 1908 dans une maison toute voisine a déjà donné l'habit religieux à une trentaine de postulants, et tout dernièrement, le scolasticat de New-York s'y est également transporté.
Cela fait qu'actuellement (1ier janvier 1911) la province compte en tout sept foyers de formation, savoir :
1° Le Juvénat de Saint Hyacinthe avec 32 juvénistes
2° Le Juvénat de Lévis 50 ‘’
3' Le Juvénat de Poughkeepsie 36 ‘’
4' Le Noviciat de St. Hyacinthe 28 novices ou postulants
5' Le Noviciat de Poughkeepsie 26 ‘’
6" Le Scolasticat d'Iberville 18 étudiants
7" Le Scolasticat de Poughkeepsie 8 ‘’
Soit, au total, 198 sujets en préparation.
Quant aux établissements scolaires, en y comprenant ceux qui ont été fondés ces dernières années et dont nous n'avons pas encore fait mention, ils sont au nombre de 36, placés par ordre de fondation dans le tableau de la page 98, qui donne en outre une idée de leur importance relative. 276 Frères y donnent l'instruction et l'éducation chrétiennes à 9.542 enfants.
Enfin, si aux sujets en préparation et à ceux qui sont employés dans les écoles, nous ajoutons les 79 qui sont occupés dans l'administration et dans les divers offices des maisons de formation nous arrivons au total de 553 sujets.
Nos Frères de ces régions avaient donc, au mois d'août dernier, de bien justes motifs de se réjouir saintement et de chanter de cœur et d'âme au Seigneur, comme nous le disions en commençant, le Te Deum et le Magnificat de l'action de grâces, puisque l'humble grain de sénevé semé par eux en 1885, a pris sous sa bénédiction, au cours de ces 25 ans, une vigueur et des proportions si consolantes.
Mais qu'il a besoin de grandir encore, avant de pouvoir abriter sous son feuillage tant d'âmes d'enfants, qui, dans ces terres immenses, s'égarent dans les sentiers du vice, de l'indifférence ou de l'erreur, faute de trouver un asile où leur esprit et leur cœur soient à l'abri des mille embûches tendues à leur inexpérience !
Prions le Sacré-Cœur, par l'intercession de Marie et de la bonne sainte Anne, de le faire croître et prospérer de plus en plus, et souhaitons que nos Frères d'Amérique, par leur régularité, leur ferveur, leur esprit religieux et leur zèle pour le salut de ces chères âmes, méritent une abondance toujours plus grande de la bénédiction d'en haut qui les a si visiblement favorisés jusqu'ici.
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1 Il fut promu bientôt après évêque de Nicolet, et se montra toujours l'ami dévoué de notre Institut.
2 Cette localité, sous le patronage de St. Athanase, porte maintenant officiellement le nom d'Iberville, depuis son incorporation comme ville.
3 La fondation de Manchester remonte à 1890 ; celle de Lawrence et de Lowell est de 1892.