Centenaire de la mort de la Comtesse de la Granville

F. Jean-LĂ©on

31/Oct/2010

Cette année nous rappelle le centenaire de la mort de Madame la Comtesse de la Granville, dame de haute vertu et insigne bienfaitrice de notre Congrégation. Le Bulletin se fait un devoir de publier ce travail qui vient de Beaucamps où le souvenir de la Comtesse est encore si vivant.

Noble dame, insigne bienfaitrice, choisie par Dieu pour être l'instrument de ses desseins dans le développement de notre Institut, dans le Nord de la France d'abord, puis en d'autres contrées du monde.

 

Ses origines

Caroline de Beaufort naquit à Anvers, le 3 janvier 1793, au cours de l'émigration. Son père, le marquis de Beaufort, descendait d'une très ancienne famille1. Sa mère, Léopoldine de Mérode, était alliée aux Montalembert qui se sont illustrés dans la défense de l'Eglise au 19e siècle. Un Mérode fut le dernier ministre de guerre de Pie IX.

Revenus en France, les Beaufort se fixèrent à Nancy. Caroline poursuivit son éducation à Amiens, au pensionnat des Sœurs du Sacré-Cœur. C'est Madame Barat elle-même qui se chargea de former Mademoiselle de Beaufort. On sait que cette célèbre éducatrice est aujourd'hui sur les autels. Elle mourut quatre mois avant son élève, le 25 mai 1865.

Aux dons naturels de Caroline, intelligence précoce et cœur ouvert aux bons sentiments, s'ajoutèrent les exemples d'une sainte. La jeune fille acquit une piété et un enthousiasme pour le bien qui seront plus tard le principe de tant de bonnes œuvres.

Son éducation terminée, Caroline rejoint ses parents à Nancy où son père remplit les fonctions de maire. Mais sans tarder elle s'éloigne de la Lorraine, car, le 5 août 1818, elle épouse le digne comte Léon Bide de la Granville, dernier rejeton des « de Lauwe » et des « de Flandre ». Madame la Comtesse quitte la bonne Lorraine, non sans regrets, pour venir habiter le château de Beaucamps, petit village de 770 habitants, connu depuis dans tout notre Institut.

 

La châtelaine.

Le changement de climat nuit à la santé de la châtelaine qui doit se rendre en Italie pour se rétablir: remède agréable pour une artiste aimant passionnément les arts et pour une chrétienne attachée à Rome par un amour filial, Ce séjour lui rend la santé et profite à la comtesse. Elle étudie les chefs-d'œuvre si nombreux en terre italienne, à Rome surtout. A son retour dans le Nord, elle publie deux volumes sur les merveilles contemplées. En 1827, la comtesse perd ses parents. Elle en a le cœur brisé, mais sa conscience s'éveille. Ses goûts naturels l'attirent vers Paris, mais ses devoirs la retiennent à Beaucamps. Son choix est promptement fait: le devoir l'emporte et pour toujours. L'élève de Sainte Sophie Barat apparaît alors dans toute sa noblesse. Le comte se fait son auxiliaire généreux et discret de toutes ses libéralités par une fortune considérable.

Monsieur et Madame de la Granville font bâtir le château de Beaucamps au lieu dit «le Grand Fau », et s'y installent. Ils deviennent les agents d'œuvres charitables nombreuses, non seulement à Beaucamps mais dans toute la région.

 

La grande Bienfaitrice.

Madame la Comtesse devient donc la providence de la contrée de Beaucamps. Elle commence par s'intéresser aux églises du voisinage. La Révolution ayant fait abattre Notre-Dame de Grâce de Loos, elle la fait réédifier, en même temps qu'elle répare plusieurs églises de paroisses. En 1832, le choléra ravage Beaucamps. Elle soigne elle-même bon nombre de victimes et appelle les Sœurs de l'Enfant Jésus dans un immeuble qu’elle achète et organise. C'est l'origine de l'école des filles et de l'hospice de la localité. Le fléau passé, les Sœurs resteront et continueront leur œuvre charitable.

Par reconnaissance pour Madame Barat, son ancienne maîtresse, la Comtesse crée à Lille le couvent des Sœurs du Sacré-Cœur, toujours existant à la rue Royale.

Bientôt elle songea à doter Beaucamps d'une école pour garçons. Elle désirait la confier à des Frères enseignants. Proche de l'église, une maison d'école est construite pour externes et pensionnaires. Monsieur Maisnil, régisseur des Granville, est chargé de trouver une congrégation qui en prendra la direction. Il s'adresse, le 27 septembre 1841, au F. Andronic, Directeur de l'école de Saint-Pol-sur-Ternoise (Pas de Calais), et lui dit le désir de la comtesse de fonder une maison d'éducation pour garçons et, par la suite, son intention de faire don de l'immeuble. Sans retard, le R. F. François est mis au courant, accepte la proposition et, en novembre 1842, les Frères Cyprien, Gervais et Gélase arrivent à Beaucamps. Ils ouvrent immédiatement l'école et 150 garçons se présentent immédiatement.

 Le succès de l'œuvre enchante la châtelaine. Dès 1844 elle propose le transfert à Beaucamps du noviciat installé à Saint-Pol. Les Supérieurs acceptent et aussitôt la maison de Beaucamps est agrandie, le noviciat s'y installe et les Frères de la région du Nord y font la retraite pour la première fois en 1846.

A la vue de la modestie, de la piété, du bon esprit des Frères, Madame la Comtesse, devine la belle œuvre qu'elle favorise. Le 21 juin 1849, elle expose par lettre ses desseins au Révérend Frère François, en résidence à Notre-Dame de l'Hermitage: «Il faut organiser fortement la maison, lui dit-elle; y appeler un aumônier, un Frère Visiteur, lancer le noviciat, le pensionnat… Les ressources ne feront pas défaut et les travaux en cours feront de Beaucamps un établissement modèle ».

  

Rencontre du Supérieur et de la Châtelaine.

Le Révérend Frère François s'était chargé personnellement des établissements du Nord. Ces établissements étaient au nombre de sept: Les voici par ordre de fondation:

St.-Pol-sur-Ternoise 1838 – Carvin 1840 – Beaucamps 1842 – Breteuil-sur-Noy (Oise) 1842 – Lens 1844 – Henin-Liétard 1845 – Quesnoy-sur-Deûle 1846. Ensemble ils occupaient 36 Frères.

Malgré son désir, le Révérend Frère ne put se rendre au Nord qu'en 1850. Ce fut grande joie quand le Révérend Frère franchit le seuil de la maison de Beaucamps. Madame la Comtesse était venue partager l'allégresse générale; il lui tardait de connaître le premier Supérieur des Frères; de même le Supérieur souhaitait faire connaissance de la généreuse fondatrice de Beaucamps. Ensemble ils eurent un long entretien. Vivement frappée de l'air de sainteté du R. F. François, la Comtesse déclara: «Je puis dire maintenant: j'ai vu, jugé, apprécié le Supérieur que Dieu a donné à ses Frères! ».

A la suite de cette entrevue, la grande Dame se montra plus libérale que jamais. Voyant que le personnel de la maison, que le nombre de novices et de pensionnaires croissait toujours, elle décida de nouvelles constructions: la chapelle dans la maison manquait notoirement aux novices et aux Frères. Elle voulut en bâtir une belle et spacieuse. La construction demanda deux ans. Elle fut bénite en 1855 par Mgr Régnier, Archevêque de Cambrai.

La chapelle achevée, des agrandissements se poursuivirent, permettant de loger 350 personnes dans l'immeuble. En moins de 20 ans, par ses largesses et son esprit de suite, la Comtesse avait élevé un établissement spacieux, dans un harmonieux ensemble.

Cette maison allait jouer un rôle important jusqu'en 1903. La persécution lui fit subir alors une éclipse de 25 ans. Elle reprendra vie en 1928 et, s'il plaît à Dieu, poursuivra longtemps encore une œuvre d'évangélisation par le moyen de l'école chrétienne.

Pour assurer la survie de ces œuvres, le Comte et la Comtesse se firent un devoir de prendre toutes les précautions conseillées par la prudence. Après tant de largesses et de générosités, ils firent à la Congrégation la cession vraiment royale de toutes les constructions élevées à leurs frais, destinées tant au noviciat qu'au pensionnat et à la Maison provinciale. Dans l'acte fait par devant Maître Brue, notaire à Radinghem, une clause permit de sauver maison et propriété en 1903: « Si pour quelque motif que ce soit, les Frères Maristes, dit la clause, étaient forcés de quitter Beaucamps, la donation serait résolue en faveur de M. le Comte et de Mme la Comtesse de la Granville ou de leurs héritiers » (Cire. Tome 2, p. 496). Effectivement, à la dispersion qui suivit la loi Combes, M. le Comte Henri de Beaufort se mit à la tête des 63 héritiers; s'appuyant sur la clause résolutoire rapportée, il revendiqua les biens faisant l'objet de la donation de sa tante. Un jugement de la Cour de Lyon fit droit à sa demande.

Ajoutons que la charité des Granville ne se limitait pas à la seule maison ou Province de Beaucamps; discrètement mais généreusement ils s'intéressaient à toute la Congrégation.

Ces dons valurent à la Comtesse un double privilège : Le premier fut d'assister, plusieurs années durant, aux conférences données par les Frères Assistants aux retraites de Beaucamps. Le second est plus extraordinaire. En 1854, à l'occasion d'un pèlerinage à N.-D. de la Salette, elle fit une visite à N.-D. de l'Hermitage où le Chapitre Général siégeait. Par une faveur qui ne se répétera probablement jamais, elle assista à une réunion capitulaire, accompagnée du R. P. Matricon, aumônier, et prit grand intérêt aux détails qui lui furent donnés sur la marche et les progrès de l'Institut. A plus d'un capitulant elle demanda les noms religieux et chaque fois elle relevait des particularités de leurs saints Patrons.

 

Ses dernières années.

L'intérêt que Madame la Comtesse portait aux Frères Maristes et aux œuvres de l'Institut ne se démentit jamais. Parmi toutes les œuvres qui l'occupèrent, celles des Frères gardèrent sa préférence. Tout ce qui touchait à l'Institut des Frères Maristes retenait son attention. Quelle joie pour elle, quand elle apprit la reconnaissance légale de l'Institut! « J'irai à N.-D. de Grâce à Loos en action de grâces et demanderai des remerciements avec la même ardeur que j'ai sollicité des prières ».

 Inlassablement elle fit des instances pour obtenir un aumônier pour Beaucamps, soit chez les Pères Maristes, soit à l'évêché du Cambrai.

Dans un post-scriptum qui en dit long sur l'intérêt porté aux œuvres des Frères, elle dit : « Encore un nouveau novice depuis ce matin, leur vue me dilate le cœur! ».

Ainsi le résultat de 23 années de collaboration entre l'insigne Bienfaitrice de Beaucamps et l'Institut des Frères Maristes fut merveilleux.

A sa mort en 1865, la petite école de Beaucamps avait vu grandir à côté d'elle un magnifique pensionnat de 200 internes. Mieux encore, le noviciat fondé en 1846 grâce aux largesses de Madame la Comtesse, avait fourni à la Province de Beaucamps un accroissement continu, se traduisant par les chiffres suivants : 330 Frères exerçant en 54 établissements et 13.000 élèves.

Rentrant de la Province de Gde Bretagne où il avait présidé la retraite de Glasgow, le R. F. Louis-Marie, A. G. trouvait, à son passage à Beaucamps, la Comtesse sur son lit d'agonie. Elle témoigna sa grande satisfaction d'apprendre que son œuvre prospérait et que le Saint-Siège venait d'autoriser l'établissement des Frères au Cap de Bonne Espérance. « De toutes mes œuvres c'est celle des Frères qui me donne le plus de consolation. Je suis trop heureuse de tout le bien qu'ils font ».

Le Révérend Frère la priant de ne pas oublier les Frères devant Dieu: « Vous oublier, mon Rév. Frère, oublier mes Frères de Beaucamps. Oh jamais! jamais! ».

Qu'elle n'eût pas été la joie de la pieuse et généreuse Châtelaine mourante, si l'avenir avait pu se dévoiler à ses yeux…! La Province de Beaucamps en effet a été le tronc d'où sont sorties de fortes branches, au long des années: la Grande Bretagne, l'Australie, la Nouvelle Zélande, la Belgique, l'Allemagne, le Brésil méridional sont aujourd'hui de belles et florissantes Provinces.

L'Institut des Frères Maristes a contracté une lourde dette de reconnaissance à l'égard de Madame la Comtesse de la Granville. Il est exact de dire qu'il n'a pas manqué à ce devoir. En effet, chaque génération de Frères, dès son entrée au noviciat, apprend, par la lecture de la vie du Bienheureux Fondateur, la charitable activité de la noble Châtelaine. Son nom, sa munificence sont inscrits à jamais dans les documents officiels de l'Institut.

Les Frères Maristes de la Province de Beaucamps sont particulièrement obligés à une reconnaissance perpétuelle. On peut assurer que personne n'ignore ce qu'a été Madame la Comtesse. Son nom, ses œuvres sont sur les lèvres et dans le cœur de chacun.

Un mémorial le rappelle à l'église du village: l'œuvre des Sœurs, des Frères, l'église paroissiale sont la sienne.

Les générations ont gardé, peints sur toile, les portraits de Monsieur le Comte et de Madame la Comtesse de la Granville. Avec les Frères, ces tableaux sont partis en exil en 1903. Rentrés à Beaucamps en 1928, le grand parloir du Pensionnat leur assure une place préférentielle, exprimant ainsi d'une manière tangible une reconnaissance perpétuelle.

A l'occasion du centième anniversaire de la mort de la Comtesse, on se propose d'inaugurer un nouveau terrain de sports au pensionnat de Beaucamps. Il portera le nom de «Stade de la Granville ».

Une messe sera célébrée dans l'église paroissiale de Beaucamps, le 6 septembre de cette année, anniversaire de la mort de la grande Comtesse, pour rappeler sa mémoire.

F. Jean-Léon

 

N.B. Dans une deuxième partie, il sera question de la vie plus intime de Madame de la Granville et de sa sainte mort.
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1 II est impossible de donner une généalogie complète de la famille des Beaufort et des Granville. Pierre André Joseph de Flandres, Seigneur de Radinghem, possédait beaucoup de terres à Beaucamps (1747). Sa veuve, Anne Marguerite Desbuissons, acquiert la Seigneurie de Beaucamps en 1776, achète toutes terres libres et devient propriétaire d'un immense domaine. Sa petite-fille, Françoise Joseph Sophie de Flandres, héritière, épouse à Lille, en 1788, Louis Julien François Bide, Comte de Lauwe et Reckem, Seigneur de la Granville. Il leur naquit un fils, Henri Julien Léon Bide, Comte de la Granville, lequel épousa Caroline de Beaufort. Ils moururent sans descendance: le Comte en 1870 et la Comtesse en 1865.

 

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