Collège de Franca

21/Sep/2010

En 1902, à la suite de quelques difficultés survenues avec l'administration du Collège de Congonhas do Campo, le Frère Adorator, alors Visiteur du jeune district du Brésil Central, craignit un moment d'être obligé de retirer les huit Frères employés à l'établissement que nous venons de nommer ; et, tandis qu'il se préoccupait de leur trouver éventuellement un nouveau champ d’apostolat, il apprit que M le Curé d'une autre localité du nom de Franca, situé à quelque 400 kilomètres dans la direction da l'ouest, désirait vivement confier à une congrégation religieuse le collège qu'il avait projeté de fonder dans sa paroisse. En plus de donner du travail aux Frères exposés d'un moment à l'autre à se trouver sans emploi, une telle fondation, dans une agglomération de 12 a 15 mille âmes située à près de 1.000 mètres d'altitude, pourrait servir de sanatorium aux santés éprouvées par le climat de la côte. Une entente paraissait donc désirable et un échange de lettres faisait espérer qu'elle ne rencontrerait pas de difficultés.

Vers la fin de juin, le Frère Visiteur se résolut à entreprendre le voyage, en compagnie du Frère Marie-Amance qui, s'exprimant facilement en portugais, pourrait lui servir d'interprète. Reçus à la station par le P. Luiz Conrado, aumônier des Sœurs de St. Joseph de Chambéry, qui avaient déjà dans le pays un florissant pensionnat, nos deux voyageurs trouvèrent d'abord chez ces bonnes Sœurs, en qualité de religieux et de compatriotes, un accueil des plus sympathiques en même temps que des-renseignements précieux sur les espérances que pouvait concevoir et les difficultés auxquelles devait s'attendre l'œuvre qu'ils désiraient établir.

Puis ils allèrent rendre visite au vénérable curé de la ville, Mgr Rosa, qu'ils trouvèrent assis en tenue de malade, sur le bord de son lit, devant une table-bureau. Il était infirme, mais universellement révéré dans le pays, où il jouissait d'une grande autorité morale. "Depuis des années, leur dit-il en les accueillant, je demandais tous les jours au Sacré Cœur des maîtres religieux pour ma paroisse. Enfin me voilà exaucé: Dieu soit béni!''.

Le lendemain, dans la même salle, il les invita à un dîner où avaient été convoqués en même temps un certain nombre de notables de la localité, parmi lesquels nous devons citer le P. Alonso, vieux prêtre possesseur des immeubles qu'on voulait leur offrir; le P. Luis Conrado, aumônier des Sœurs de St. Joseph, que nous connaissons déjà; M. dos Santos Pereira, médecin; M. Godofredo de Castro, avocat; et M. Cambaro, un français, représentant de la Cie d'Assurances. Là, dans un conseil préliminaire, les conditions de fondation furent discutées et approuvées; puis on se sépara plein d'espérances pour l'avenir de l'œuvre.

Comme il n'arrive que trop souvent, ces espérances réservaient aux deux parties plus d'un mécompte avant d'arriver à leur pleine réalisation; mais de part et d'autre on usa de patience,. de confiance réciproque, de bonne volonté et Dieu bénit enfin les efforts communs en donnant une prospérité consolante à l'œuvre dont les premières années avaient paru d'assez mauvais. augure.

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Avec une prime de cinq contos (env. 7.000 francs) pour frais d'installation et de voyage, les fondateurs donnaient aux Frères: 1° l'usage indéfini et sans charges d'une maison située près de la gare, à deux kilomètres du pays, pour un pensionnat, pouvant fournir l'accommodation nécessaire à une trentaine d'internes; 2° l'usage pour dix ans d'une autre maison située dans le pays même pour un externat payant, moyennant quoi la communauté devait se suffire à elle même.

Le 14 février 1902, une petite communauté composée du Frère Frumentius comme Directeur et des deux jeunes Frères Pierre-Cassien et Marius-Adrien se met en route, en compagnie du Frère Visiteur, pour Franca, afin de préparer au moins sommairement toutes choses pour la rentrée des classes, fixée au 4 mars. Naturellement on trouve maison vide et ce n'est pas petite affaire, dans ce pays inconnu de se procurer même le plus indispensable. Le bois, les outils, la main d'œuvre, tout est très cher, et les ressources qu'on a, très modiques; il faut se montrer fort accommodant. Pour la communauté, passe encore: elle se souvient de La Valla et ne craint pas la pauvreté; mais ce qui est plus préoccupant, c'est le mobilier scolaire, dont les divers articles sont introuvables dans le pays. Il faut recourir à un menuisier, qui, sous la direction du Frère Directeur, les exécute d'une façon solide sinon très élégante. Le jour fixé pour la rentrée, tout est prêt, dans la petite maison de la ville, pour recevoir les externes, qui arrivent au nombre d'une soixantaine. Ils ont l'air bons enfants. Dans la matinée on procède à un classement, et dès onze heures les trois cours fonctionnent.

Vers midi, tandis que les Frères sont tout occupés de leurs classes et ne pensent à rien autre, voici que le portail s'ouvre, et la fanfare pénètre dans la cour au son de tous ses instruments, entraînant après elle une foule de curieux suivie d'un groupe de messieurs en grande tenue. Les classes sont envahies; on organise un bureau, une estrade et l'on procède à une séance solennelle d'ouverture par la lecture d’un document ad hoc, et toute une série de discours où sont exaltés à l'envi les mérites des nouveaux maîtres et les espérances qu'on fonde sur eux. Le Frère Visiteur répond de son mieux en langue française, puis on fait circuler des rafraîchissements, des gâteaux et d'autres friandises que ces messieurs avaient fait apporter. Ainsi ce premier jour de classe que la communauté avait espéré passer sans bruit comme il convient à des fils du V. P. Champagnat, se transformait pour elle, et comme malgré elle, en une installation presque triomphale. C'était l'indice des espérances que la population fondait sur elle. Mais ces espérances n'allaient-elles pas se changer à leur tour en déception. On avait plus d'une raison de le craindre ; du moins résolut-on de faire tout le possible pour que cela n'arrivât pas, en se confiant en Dieu pour le reste.

Les débuts furent encourageants. En peu de mois le nombre des élèves externes avait passé d'une soixantaine à plus de 120 qui donnaient pleine satisfaction et l'on avait même pu recevoir une quinzaine de pensionnaires, qui, tout en suivant les classes de l’externat, où ils prenaient leurs repas avec les Frères, allaient coucher à la maison de la station, qui s'organisait peu à peu, de sorte que vers le mois d'octobre, le Frère Directeur pouvait écrire au Frère Visiteur: En somme, Dieu nous bénit : notre santé est bonne, et nos enfants, dont le nombre s'augmente, vont chaque jour de mieux en mieux. Notre cuisine s'est transportée à la station, où nous couchons tous; c'est bien préférable. Cela triple le chemin que nous avons à faire pour aller à la messe et aux classes; mais nous espérons que bientôt nous pourrons faire à cheval ce trajet de deux kilomètres, ce qui le transformera en plaisir.

Moins d'un mois plus tard, en effet, cette espérance s'était réalisée ; et bientôt après on érigeait dans la maison une petite chapelle où Notre Seigneur résidait en permanence et où la sainte messe était célébrée chaque dimanche et deux ou trois fois chaque semaine. Mais le progrès du petit internat, qui avait pris le nom de Pensionnat Saint-Paul fut plus lent qu'on n'avait prévu. En 1905, lorsque le C. Frère Augustalis fit au Brésil sa première visite, il y trouva seulement 36 élèves, qui occupaient six Frères. C'était beaucoup de dépense pour les recettes que cela donnait, et d'autre part il y avait peu d'espérances d'une augmentation considérable : on commençait à douter que dans de telles conditions l'établissement put être viable. On prit patience cependant; mais, la situation ne s'améliorant que fort peu, ce qui n'avait été d'abord qu'une crainte devint une conviction de jour en jour plus forte: qu'on le veuille ou non, tôt ou tard il faudra fermer.

Cette mesure bientôt regardée comme inévitable, ne pouvait plus être qu'une question de temps. Elle fut précipitée, en 1907, par l'acceptation du Collège Diocésain de Sao Paulo, qu'on ne pouvait refuser à Monseigneur l'Archevêque. Pour former le personnel de cette maison importante, il fallait naturellement sacrifier quelque autre parmi celles dont la disparition serait la moins regrettable, et le Pensionnat Saint Paul était la victime toute désignée.

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La suppression cependant ne se fit pas sans difficultés. En particulier, le P. Luiz Conrado, aumônier, comme on a déjà vu, des Sœurs de Saint-Joseph et coadjuteur de Mgr Rosa dont la santé déclinait de plus en plus, ne voulait pas en entendre parler ; et, à tous les arguments qu'on lui alléguait en faveur de cette mesure inévitable, il trouvait réponse plausible. Seule la promesse de maintenir l'externat et l'espérance de rétablir plus tard le pensionnat dans des conditions moins désavantageuses purent réussir à le calmer un peu.

C'est que l'éventualité de la fermeture de l'externat lui-même était venue, elle aussi, plus d'une fois sur le tapis. Après avoir compté jusqu'à 120 élèves en 1902, cette école était retombée, dès l'année suivante, à 65, et s'était toujours maintenue depuis aux environs de ce chiffre. Au point de vue financier, ce n'était pas là non plus une tâche bien fructueuse pour les quatre Frères qui s'y trouvaient employés. Il leur fallait beaucoup de soins et d'économie pour arriver, à la fin de l'année, à équilibrer leur budget sans faire de dettes. Mais il s'y faisait un bien réel ; la population, dans son ensemble était sympathique, le clergé appréciait l'œuvre, et l'on se résolut à faire des sacrifices pour la maintenir, dans l'espoir que la Providence se mettrait de la partie et que, la grâce de Dieu aidant, la persévérance aurait raison de l'épreuve.

Après la fermeture du pensionnat, l'externat continua donc à fonctionner sans événement remarquable jusqu'en 1912, où devait prendre fin la période pour laquelle le local avait été cédé par Mgr Rosa. Mais aux approches de cette date, les perplexités commencèrent à renaître. Il allait donc falloir déménager pour aller on ne savait où. Convenait-il de chercher un autre local dont le loyer s'ajouterait aux charges déjà si lourdes du pauvre budget de la communauté? Ne serait-il pas préférable en somme, de se résigner résolument à abandonner une œuvre à laquelle on tenait, il est vrai, par de chères attaches, mais condamnée presque fatalement à végéter toujours faute des moyens nécessaires à sa subsistance?

Cette fois encore la confiance en Dieu vint en aide à l'attachement que les Frères avaient pour cette population et leur fit prendre malgré tout le premier parti.

On se mit donc dès 1911 à chercher une maison où, sans faire deux communautés, on pourrait recevoir quelques pensionnaires qui suivraient les mêmes classes que les externes. Si la maison de la station, où avait fonctionné quelque temps le pensionnat, était un peu plus rapprochée de la ville, elle pourrait, moyennant quelques agrandissements et transformations, répondre au but poursuivi; mais peut-on y songer? Elle est à une trop grande distance pour permettre aux externes d'y venir. Dans la ville même, à Franca, comme un peu partout, les maisons susceptibles de réunir la somme de conditions nécessaires à une maison d'éducation sont d'autre part très difficiles sinon impossibles à trouver. A un moment donné cependant, on crut avoir mis la main sur une qui pouvait bien faire; mais le prix était en disproportion avec les ressources de la communauté: il fallut se résoudre à chercher autre chose.

Sur ces entrefaites on entend parler de l'ancien Collège Chiquinho qui est en vente. La situation semble parfaite pour une communauté. Il y a des ombrages, de l'espace, aucun voisinage inquiétant, du terrain pour faire à volonté des plantations d'arbres. Des deux maisons, qui ont contenu parait-il une cinquantaine d'internes, l'une est à démolir, mais l'autre peut suffire pour quelque temps. L'emplacement est à une des extrémités de la ville, ce qui n'est guère favorable pour un externat; mais on fait réflexion qu'autrefois il y avait là un collège relativement prospère, que la distance – modérée d'ailleurs – n'arrêtait pas les élèves, et, tout compte fait, on en vint à trouver que c'était en somme ce qu'il y avait de mieux. Restait la, question du prix. Quoique relativement modeste — une vingtaine de mille francs — il était encore bien lourd pour un établissement qui arrivait à peine à équilibrer ses recettes avec ses dépenses ordinaires. L. P. Conrado, qui avait succédé comme curé de Franca à Mgr Rosa pieusement décédé en 1947, offrit d'en faire l'avance sans demander d'intérêt pour les six premières années et dans ces conditions la charge était plus abordable. L'achat fut donc conclu au mois d'octobre 1912 et c'est dans le nouvel immeuble que se fit la rentrée suivante, au mois de février 1913, avec un nouveau Directeur, le Frère Marie-Jucondien, qui succédait au Frère Jules-Régis.

La première année, ce changement de local eut une répercussion peu encourageante sur le nombre des élèves, qui de 74, descendit à 56; mais par bonheur ce fléchissement ne fut que momentané: dès l'année suivante le chiffre des inscrits atteignait la centaine, ce qui ne lui était jamais arrivé depuis 1902. En même temps le programme s'élargissait. Jusque là l'école n'avait guère eu que des cours primaires ; elle commença avec succès à préparer des élèves pour les écoles supérieures. C'était comme une aurore de prospérité qui commençait à poindre pour elle. Durant l'année 1915,. la courbe du nombre des élèves et conséquemment du montant des recettes subit une nouvelle dépression : dans l'ancien local de l'école, délaissé à la fin de 1912, un collège venait de s'ouvrir, qui grâce à une active et bruyante réclame réussit à lui enlever une vingtaine d'enfants, mais grâces à Dieu ce ne fut que pour peu de temps : la réputation des Frères s'affermissait peu à peu et la confiance des familles leur arrivait en proportion.

En 1916, le Registre matricule inscrivit plus de 170 noms d'enfants dont l'application, la docilité et le bon esprit firent la consolation des Frères. Seulement le local était devenu trop étroit, il devenait indispensable de l'agrandir et une heureuse idée surgit dans l'esprit des supérieurs provinciaux : "Nous nous trouvons, se dirent-ils, à la veille du premier centenaire de la fondation de l'Institut. Si, pour commémorer cette date si chère à tous les Petits Frères de Marie, en même que pour remercier le Seigneur des bienfaits si nombreux et si grands qu'il a répandus sur tout l'Institut et particulièrement sur notre Province, nous érigions à Franca, où le besoin s'en fait vivement sentir, un édifice modeste mais bien conditionné pour abriter l'œuvre intéressante que la Providence nous a confiée dans cette ville et que nous appellerions Institut Champagnat?…''

Communiqué aux Premiers Supérieurs, le projet trouva auprès d'eux un accueil favorable; comme témoignage de son amour pour l'ouvre, le P. Conrado, malgré la gêne financière où le tenait la construction de son église paroissiale, voulut bien promettre de réduire à 10 contos la redevance de 15 contos que nous avions envers lui pour l'avance du prix d'achat de la propriété, et l'entreprise put être confiée presque aussitôt à un praticien d'après le joli plan dressé par le Frère Directeur.

Les travaux furent d'abord menés avec diligence et l’on espérait. que la maçonnerie pourrait être terminée vers la fin de septembre. La crise des transports, dont le Brésil lui-même subissait alors les effets, obligea de les ralentir quelque peu; mais tout finit cependant par venir avec le temps et .la patience. Au mois de décembre, la maison était déjà couverte, et les travaux d'intérieur pouvaient ainsi se continuer malgré les pluies torrentielles dont le pays, pendant plusieurs mois, fut comme inondé.

La rentrée néanmoins ne put pas se faire en février comme il avait été prévu ; elle dut être retardée d'un mois; encore ne put on s'installer que dans un bout de la maison dont la plus grande partie était encore aux mains des ouvriers ; mais les travaux allaient bon train. Dès le mois d'avril on pouvait, à la grande joie des Frères et des élèves, organiser une petite chapelle, où Notre Seigneur venait résider en permanence.

Les élèves étaient arrivés en grand nombre : aux premiers jours, ils étaient 154 et durant le cours de l'année le chiffre des inscriptions arriva a 196. Pour la première fois depuis 1907; quelques pensionnaires étaient venus se joindre aux externes. Malgré les dérangements inhérents à la situation où l’on se trouvait, les classes se poursuivirent avec une remarquable activité, dans l'atmosphère favorable d'un excellent esprit.

Entre temps, au cours des six premiers mois, la nouvelle maison s'était terminée et le 8 septembre, belle fête de la Nativité de Marie, on en faisait l'inauguration solennelle sous la présidence du vénérable Curé de la paroisse, le P. Luiz Conrado, qui voyait réalisé un de ses plus chers désirs, celui de voir les Frères définitivement fixés dans sa paroisse et celle-ci dotée d'un Collège où, à la tête des connaissances humaines, trônerait avec honneur l'enseignement et la pratique fidèle de notre sainte religion.

Ce fut l'objet d'une grande fête, où la solennité des offices religieux et une séance littéraire et musicale attirèrent une affluence sympathique qui réunissait presque toute l'élite du pays. M. le Curé y prêcha un beau sermon de circonstance et la presse locale se plut à célébrer ce jour comme une date mémorable dans l'histoire de la cité, en même temps qu'elle présentait la cérémonie qui en avait été l'objet comme un événement plein de promesses pour l'avenir religieux, intellectuel et moral de la région.

Nous souhaitons que ces prophéties, où traduisent de si grandes espérances, ne soient pas démenties par l'avenir, et que l'Institut Champagnat, après avoir débuté modestement et germé patiemment à l'ombre de la croix comme la Congrégation sa mère, fasse pendant longtemps à Franca le bien qu'on se plait à augurer de lui, pour la gloire de Dieu, pour l'honneur de la sainte Eglise et pour le bonheur des populations que la Providence lui a assignées comme champ d'apostolat!

Dans ses huit classes, quatre primaires et quatre secondaires, il abrite actuellement 255 enfants, dont 60 internes, et il a déjà donné à la maison de formation de Mendes un nombre relativement considérable de bonnes recrues.

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