Collège de Mataró

09/Sep/2010

Selon la juste remarque d'Elisée Reclus, on ne saurait guère trouver, en Espagne ni probablement ailleurs, de pays plus charmant que l'ancienne Laïétanie, c'est-à-dire le littoral maritime qui de Barcelone et Badalona s'étend dans la direction du N.E. jusqu'à l'embouchure du rio Tordera.

Les montagnes projettent dans la mer des promontoires couverts à la cime de pins et de chênes-lièges, cultivés en vignes sur leurs pentes, et portant, çà et là, sur une arête, quelque vieux castel ou un bourg crénelé. Chaque vallée intermédiaire est une campagne bariolée de vergers et de jardins qu'entourent des haies d'aloès. Des villes, des villages aux maisons peintes occupent en un faubourg continu le bord semi-circulaire des plages où sont échouées les barques, où sèchent les filets.

Le chemin de fer longe le flot, puis il passe au milieu d'une ville, traverse un bosquet d'orangers, perce en souterrain un cap de rochers pour entrer de nouveau dans une plaine de verdure et de fruits.

C'est un tableau toujours changeant, toujours beau et fort instructif au point de vue de l'histoire. Du même regard, on embrasse, au sommet des collines, des villages peureusement entourés de murs comme s'ils redoutaient encore les corsaires barbaresques ; et, sur le bord de la mer, les libres habitations modernes, qui ne craignent plus l'attaque des pirates et s'ouvrent toutes grandes pour le commerce1.

Au milieu de toutes ces localités d'aspect gracieux ou sévère, trône, comme une princesse au milieu des dames de sa cour, la cité de Mataró, dont la physionomie semble refléter à la fois ces deux caractères. Au temps de la domination romaine, sous le nom d'Huro, elle rivalisait de richesse, de renom et d'activité avec Barcelone (Bareino), sa puissante voisine d'aujourd'hui, et avec les autres florissantes colonies gréco-romaines de la même côte. Sous la domination des Goths et des. Sarrazins, elle déclina peu à peu jusqu'à disparaitre presque entièrement, à la fin du X° siècle, devant la fureur dévastatrice des Soldats d'Al-Manzor.

Elle ne tarda pas, il est vrai, à se reformer autour de son église paroissiale de Santa Maria ; mais pendant longtemps elle dut se résigner à n'être qu’une simple bourgade rurale. Son illustre nom d'Huro s'était déjà transformé par corruption en celui d'Alarona, qui disparut bientôt lui-même pour faire place à celui de Cintat Treta (Civitas fracte), ville partagée, parce qu'en effet elle était à cheval sur la limite des possessions de deux seigneurs dont les manoirs dominaient ses alentours : celui de Burriac et celui de Mataró. Plus tard, étant passée tout entière sous la domination de ce dernier, elle en prit le nom qu'elle conserve encore aujourd'hui.

Vers la fin du XVI° siècle, elle avait commencé, en s'entourant de murs, à reprendre son aspect de cité. En récompense de quelques services signalés rendus à la cause royale, Philippe V lui en octroya officiellement le titre par lettres patentes du 20 mars 1702, non sans grande jalousie de la part de Barcelone, où l'on s'en vengea, faute de mieux, en faisant pleuvoir sur "l'humble bourgade aux têtes de bœuf2’’une véritable averse de brocards et de lazzis.

Mais Mataró laissa dire ; et, fière d'avoir enfin recouvré le titre auquel lui donnaient droit son importance et sa splendeur passées, elle chercha à le justifier par de constantes améliorations dans ses conditions d'existence. Longtemps ses visées allèrent surtout au commerce, et plus d'une fois elle eut des velléités de restaurer son antique port, dont les vestiges subsistent encore ; mais l'insuffisance des capitaux et les entraves que n'a cessé de lui créer l'influence de sa puissante voisine ne lui ont pas permis jusqu'à présent de réaliser ses aspirations à cet égard. C'est pourquoi, depuis environ un siècle et demi, les efforts de son activité s'orientent plus volontiers vers l'industrie manufacturière, où elle s'est déjà fait une place distinguée. En même temps, elle voyait sa population prendre un accroissement rapide, ses rues s'embellir de remarquables édifices, et, dans son centre ou à sa périphérie, se créer de nombreux centres d’éducation et d’enseignement qui ne sont pas aujourd'hui une de ses moindres gloires. Il est vrai que si, d'après la remarque d'un illustre écrivain espagnol, la pureté du ciel, le calme et la tranquillité du séjour, les lignes harmonieuses de l'horizon et le charme de la campagne ont une influence éminemment favorable à l'épanouissement de toutes les facultés de l'esprit et du cœur, peu d'endroits étaient aussi visiblement prédestinés que Mataró à devenir une ville d'études.

*
*    *

C'est ce qui dut tout particulièrement frapper le Dr D. Hermenegildo Coll de Valldemia, lorsque, vers le milieu du dernier siècle, il était en quête d'un emplacement pour le Collège dont il avait formé le projet, et qui a conservé son nom.

Revenu dans sa patrie, après avoir consacré ses meilleures années à la formation de la jeunesse dans les contrées d'outre-mer, ce vénérable et savant ecclésiastique souffrait de voir ses jeunes compatriotes déserter en si grand nombre l’éducation nationale pour aller se former à l'extérieur, d'on ils revenaient espagnols de nom, mais étrangers de cœur et de mœurs.

Pour leur ôter toute raison de s'expatrier ainsi dans un âge on leur âme aurait dû recevoir le plus fortement l'empreinte de l'âme nationale, il résolut de créer pour eux en Catalogne un collège où ils trouveraient tous les avantages qu'ils allaient chercher à l'étranger. Il visita donc les collèges les plus en renom en France, en Belgique, en Angleterre, en Suisse, en Autriche, aux Etats-Unis, etc. …, afin que, dans l'installation matérielle comme dans tout le reste, son établissement n’eût rien à envier aux meilleurs des autres pays.

Il cherchait donc avant tout un site convenable quand le hasard des circonstances, ou plutôt sans doute la Providence, l'amena à visiter un immeuble situé à l'extrémité nord de la ville de Mataró. Et à peine l'eut-il examiné avec quelque détail qu'il crut avoir trouvé là l'idéal de ses rêves. Ciel d'une admirable pureté, climat comparable à celui de Cannes ou de Nice, eaux magnifiques et abondantes, plage délicieuse à proximité, campagne splendide, paysage charmant, tous les avantages que peut offrir le voisinage d'une grande ville sans aucun des inconvénients qui en sont trop souvent la contrepartie : en un mot, tout ce qu'on pouvait souhaiter de plus désirable. On conçoit qu'il ne songea pas à pousser ses investigations plus loin. L'immeuble fut donc acquis ; puis on se mit sans retard à l'œuvre pour l'approprier à sa noble destination et lui donner le magnifique aspect avec le rare ensemble de commodités qu'on lui voit aujourd'hui, déduction faite cependant des nombreuses améliorations que le travail de la nature et les soins de la direction y ont successivement ajoutées, depuis.

Contigu au prolongement d'une des principales artères de la ville, le parc qui lui sert d'emplacement a une superficie de prés de deux hectares, Naguère encore, en y pénétrant du côté du sud, on se trouvait d'abord en face d’une majestueuse avenue de 120 mètres de long, bordée de platanes superbes dont le tronc colossal mesure jusqu'à trois mètres de tour et dont la hauteur atteint de 25 à 30 mètres. Elle conduisait au pied de la terrasse ornée d'une belle balustrade qui sert de seuil au bâtiment. A droite et à gauche, on avait deux champs d'orangers ; puis de spacieuses cours de récréation divisées, par des haies de verdure à hauteur d'appui, en compartiments destinés aux diverses catégories d'élèves : grands, petits, moyens, etc. …, avec des moyens d’amusement appropriés à chaque âge. Enfin, au delà des cours, de chaque côté, s'allongeait, parallèlement à l'avenue centrale, une autre avenue bordée aussi de platanes, mais plus petits el taillés en boule. C'est bien encore la même disposition qui existe aujourd'hui ; mais, depuis la construction du mur de clôture, l'entrée a été changée, et, quand on visite le parc, on doit suivre un ordre inverse.

En arrière de la terrasse dont nous avons parlé ; s'élève le bâtiment principal du collège dont le plan rectangulaire couvre une superficie de 1.544 mètres carrés. Extérieurement, il n'a point l'aspect austère et l'air de gravité un peu maussade que présente ordinairement une maison d'étude, mais la physionomie riante d'une villa ; et à l’intérieur, tout avait été combiné de façon à satisfaire a la fois, dans la mesure du possible, les exigences respectives de la commodité, de la moralité, de la religion, de la pédagogie et de l'hygiène, du moins selon qu'on en avait alors. Non seulement les salles étaient relativement spacieuses, largement éclairées, bien ventilées, mais dans un spacieux hémicycle situé en arrière de la partie centrale, se trouvait installé d'une manière aussi originale qu'élégante, un lavabo monumental avec salles de bains. Un cabinet de physique, un autre de chimie et un musée d'histoire naturelle facilitaient l’enseignement pratique de ces sciences, une salle de dessin et de peinture, pourvue de modèles de bon goût contribuaient à l'éducation esthétique.

A l'extrémité gauche de l'édifice, une élégante chapelle, consacrée à Notre-Dame des Lumières (Nuestra Señora de la Luz), patronne du Collège, permettait de donner au service religieux la place importante qui lui revient dans un établissement d'éducation chrétienne.

Les dortoirs avaient été l'objet d'une attention toute spéciale et formaient un des éléments les plus intéressants de cette remarquable installation. Ils occupaient tout l'étage supérieur, divisé en deux parties égales par le vestibule central. Chacune de ces deux parties était ensuite subdivisée, dans le sens de la longueur par une cloison médiane en deux compartiments, contenant chacun une double rangée d'alcôves s'ouvrant sur un corridor parallèle à la cloison ; ces alcôves terminées supérieurement par un ciel à claire-voie, ne pouvaient s'ouvrir que du dehors, de manière que les enfants, isolés les uns des autres, profitaient de l'air abondant de la grande salle où les alcôves étaient contenues. Inutile de dire qu'en cas de besoin l'enfant pouvait facilement appeler le surveillant, qui s'empressait d'accourir.

Dans les cours de récréation, un vélodrome, un portique de gymnastique, un manège et divers autres appareils appropriés aux besoins et aux goûts des différents âges favorisaient les exercices du corps, et exerçaient une heureuse influence sur la santé en même temps que sur la souplesse des organes et la distinction des manières.

Enfin, au sommet de la tour qui surmonte la partie centrale de l'édifice, était installé un petit observatoire météorologique.

D'autre part, en ce qui concerne l'organisation et l'ampleur des études, M. Valldemia et les collaborateurs distingués qu'il s'était adjoints ne négligèrent rien pour que le nouveau Collège fût au moins à la hauteur des établissements similaires les plus en renom dans les diverses contrées qu'il avait visitées.

Aussi le succès ne tarda-t-il pas à couronner leurs espérances. En peu d'années, le Collège de Catalogne — car c'est le nom qu'avait d'abord reçu l'établissement — s'acquit une réputation aussi flatteuse que méritée, et son enceinte, malgré ses respectables dimensions, se trouva trop petite pour recevoir les enfants d'excellentes familles qu'on y voyait affluer non seulement des diverses régions de l'Espagne, mais de plusieurs contrées de l'Amérique latine.

Parmi toute cette jeunesse régnait un excellent esprit : avec l'amour intense de l'étude, excité et entretenu par les leçons de maitres habiles et par une émulation de bon aloi, on y voyait fleurir la piété, l'enthousiasme du bien, et une sorte culte filial pour l'éminent Supérieur, qu'on vénérait pour ses vertus et dont la brillante réputation comme orateur sacré faisait rejaillir un reflet de gloire sur le collège. Il ne fut pas peu étonné, a son retour d'une station qu'il venait de prêcher à la cour, de trouver partout, dans l'établissement, le nom de Collège de Catalogne changé en celui de Collège Valldemia. En vain il essaya de protester : l'affectueuse admiration de ses enfants spirituels et de leurs maîtres leur suggéra des raisons si plausibles qu'il dut s'incliner devant le fait accompli.

Il ne manquait donc que d'assurer d'avenir, et c'était un des grands soucis du méritant fondateur et de ceux qui partageaient avec lui la responsabilité de l'œuvre. Dans ce but, ils avaient pensé plusieurs fois à le faire passer entre les mains d'une Congrégation religieuse, solution qu'ils considéraient comme la seule capable d'aboutir au résultat souhaité, mais des difficultés qu'on ne parvint pas à résoudre firent différer la chose d'année en année, de sorte que la mort de M. Valldemia arriva avant qu'on eût pu en venir à l'exécution,

Comme il est facile de se l’imaginer, la disparition de cet homme supérieur fut une épreuve bien rude pour la maison dont la prospérité avait tenu pour une si grande part à son prestige et à son mérite. Sans doute sous la direction de M. Pélégrin Ferrer, son fidèle ami et son associe de la première heure, elle eut bien encore ses jours de gloire ; et, à l'exposition universelle de Paris, en 1878, son installation matérielle, son organisation pédagogique et les travaux présentés par ses élèves excitèrent vivement l'intérêt du jury international, qui lui décerna une de ses plus hautes récompenses : une médaille d'or.

Néanmoins, une suite de circonstances, dans le détail desquelles les limites de ce travail ne nous permettent pas d'entrer, amenèrent bientôt une lente décadence, que le mérite — bien réel pourtant — du personnel dirigeant et enseignant ne put parvenir à enrayer. D'année en année, le nombre des pensionnaires alla diminuant par degrés, jusqu'à se réduire, en 1888, à une quinzaine.

*
*    *

Le respectable M. Pélégrin Ferrer voyait cette crise du collège avec d'autant plus de peine qu'il avait été non seulement l'heureux témoin, mais, après M. Valldemia, l'ouvrier le plus actif de sa prospérité d'autrefois. Sentant d'ailleurs le fardeau de l’âge peser chaque jour plus lourdement sur ses épaules, il se ressouvint de la pensée chère à l'éminent fondateur que "le seul moyen efficace d'assurer l'avenir de l'œuvre serait de la mettre entre les mains d'une Congrégation religieuse" et il résolut de profiter d'une occasion qui se présentait pour la réaliser.

Il y avait à peine un an que nos Frères avaient ouvert à Gérone, dans les modestes conditions que l'on sait, la première école que nous ayons eue en Espagne, et Dieu l'avait bénie si abondamment que non seulement elle comptait près de 200 élèves ; mais qu'elle avait déjà provigné. Depuis quelques mois, trois Frères avaient pu s'en détacher pour aller fonder à Mataró l'Ecole Saint-Simon, qui fut aussi accueillie avec enthousiasme. C'est là que M. Pélégrin Ferrer et ses collaborateurs firent connaissance avec les Petits Frères de Marie. Des rapports pleins de cordialité s'établirent entre l'école Saint-Simon et le collège Valldemia, et l'on ne tarda pas à se demander s'il ne serait pas possible que les deux établissements fussent dirigés par des religieux du même Institut.

Pour le collège, ce serait la réalisation d'un vœu souvent exprimé par son fondateur, et pour les Petits Frères de Marie le moyen de prendre un point d'appui solide sur la terre d'Espagne, où ils trouvaient tant de sympathie.

Des propositions dans ce sens furent faites aux Supérieurs, qui les agréèrent. Le relèvement du Collège, à la vérité, paraissait difficile, au moins pour longtemps ; surtout entre les mains de nouveaux-venus qui avaient à se familiariser avec une langue étrangère et un système d'enseignement assez différent de celui qu'ils avaient pratiqué jusque là, mais le local se prêtait fort bien, en attendant, à l'installation d'une maison de formation dont le besoin commençait à se faire vivement sentir, et ce fut une considération déterminante.

L'immeuble et son mobilier furent donc loués pour trois ans, et, au mois de septembre 1888, les Frères prirent la direction du collège, dont le nom et le programme furent conservés, ainsi que quelques-uns des membres de l'ancien corps enseignant3.

La première rentrée ne fut pas ce qu'on peut appeler "brillante’’ : quinze internes seulement avec une trentaine d'externes qui arrivèrent à quarante avant la fin de l'année. Elle dépassa cependant les prévisions et le premier contact des élèves avec leurs nouveaux maîtres fut en somme d'un bon augure. Un certain nombre eurent bien quelque peine à se faire a un système de discipline auquel ils n'étaient pas habitués ; mais, sentant qu'on ne cherchait en réalité que leur bien et que d'ailleurs ils ne pourraient pas gagner grand’ chose à la résistance, ils en prirent assez aisément leur parti, et l'esprit de la maison demeura excellent.

Il se conserva de même, pendant les années suivantes, qui furent marquées chacune par une assez notable augmentation dans le nombre des inscrits : non seulement la courbe des présences s'était définitivement arrêtée dans son mouvement de dépression ; mais elle semblait prendre une allure ascensionnelle si nettement accusée qu’on pouvait concevoir de réelles espérances.

La maison néanmoins était encore loin d’être remplie, et en 1891 on put y trouver place pour un petit juvénat-noviciat qui ne devait pas y demeurer longtemps, mais qu'on peut considérer comme la ruche-mère, d'où sont sortis les nombreux essaims dont se compose aujourd'hui la province d'Espagne. Sa croissance rapide coïncidant avec celle du pensionnat, il dut céder la place, l'année suivante, et alla s'établir ailleurs. La Providence lui fit rencontrer, à Canet de Mar, un site charmant à l'ombre bénie du sanctuaire de N.-D. de la Miséricorde, où il trouva, avec la paix et le bon air de la campagne, le ministère dévoué d'un prêtre selon le cœur de Dieu, dont l'âme s'attacha, pour ainsi dire, à son âme et qui exerça sur son esprit, durant de longues années, la plus heureuse influence.

Le Collège Valldemia, ainsi remis en possession de tout son local4, continua, sous la protection de Notre-Dame des Lumières à s'y développer et â recouvrer graduellement son ancienne prospérité, comme le montre, dans le tableau ci-après, la remarquable progression du nombre des élèves, surtout des internes, qui constituent depuis les débuts la population fondamentale de l'établissement.

 

Population du Collège Valldemia de 1888 À 1896.

 

Année

Externes

INTernes

Tot.

année

Internes

EXTERNES

Total

1888-89

15

50

65

1892-93

102

60

162

1889-90

34

52

86

1893-94

98

53

155

1990-91

43

64

107

1894-95

108

52

160

1891-92

63

60

123

1895-96

112

48

160

 

En même temps les études y reçurent une impulsion vigoureuse ; et cela permit aux Elèves — tout en leur procurant la satisfaction intime qu'on éprouve toujours à la suite d'une difficulté courageusement vaincue — d’obtenir aux examens des succès qui étendirent au loin la renommée de la maison, pour laquelle ils s'étaient épris d'une affection sincère. En la quittant, ils n’en emportaient que d'agréables souvenirs, et une de leurs plus chères satisfactions était de pouvoir s'y faire remplacée par quelqu'un de leurs prosélytes5.

C'est peut-être ici le lieu de donner un aperçu sur l'Enseignement du Collège, qui est pour ainsi dire triple. Il comprend, avec le programme de l'Enseignement primaire et primaire supérieur, celui de l'Enseignement secondaire, et ceux de l'Ecole de Commerce de Barcelone et de l'Ecole Industrielle de Tarrasa.

L'Enseignement primaire, à ses deux degrés, embrasse à peu près les mêmes matières qu'en France et la plupart des autres pays européens ; mais il n'est couronné officiellement par aucun diplôme spécial.

L'Enseignement secondaire comprend six années terminées chacune par un examen qu'il faut subir avec succès pour être admis aux cours de l'année suivante. Le programme est le même que dans les Instituts officiels ou Lycées et mène au même terme, c'est-a-dire au Baccalauréat à la fin de la sixième année. Seulement les examens, pour avoir une valeur officielle, doivent se passer à l'Institut de Barcelone.

L'Enseignement commercial selon le programme de l'Ecole de Commerce de Barcelone mène au titre fort apprécié de Comptable de Commerce (Contador Mercantil) et l'Enseignement industriel selon le programme de l'Ecole Industrielle de Tarrasa conduit au diplôme d'Expert d'Industrie (Perito Industrial), qui donne droit d'entrée aux Ecoles d'Ingénieurs d'Industrie de Madrid, Barcelone et Bilbao.

Il y a en outre, au Collège, des cours spéciaux de dessin linéaire et d’ornement, de musique, de dactylographie et de gymnastique.

Comme dans tous nos autres Etablissements, l'enseignement religieux a naturellement la place d'honneur et se donne avec soin dans tous les cours, en se proportionnant à l'âge, au degré d'instruction et aux besoins présents et futurs des Elèves. On y donne une attention toute particulière à la préparation à la Première Communion, qui a lieu habituellement vers la fin du mois de mai ; et l'Apostolat de la Prière, très bien organisé, réunit en une société d'élite, les élèves qui se distinguent le plus spécialement par leur piété, leur bonne conduite et leur bon esprit.

La chapelle occupait l'extrémité orientale du rez-de-chaussée, au bâtiment principal. Elle était pieuse, recueillie, mais malheureusement trop petite. En 1896, on en construisit une nouvelle, qui, prenant à la partie centrale du bâtiment, à la place du lavabo 'se prolonge vers le nord en donnant au plan d'ensemble la forme d'un T renverse. Elle est de style gothique, d'une grande simplicité, mais spacieuse, commode, élégante et gracieusement décorée. Le bon Frère Restitut, qui y remplit pendant longtemps les fonctions de sacristain, employa pour la rendre aussi digne que possible de l'Hôte divin qui l'habite et de N.-D. des Lumières à qui elle est consacrée, toutes les ressources de son talent d'artiste, de son modeste avoir de famille et de son éloquence de quêteur du bon Dieu, et il avait vraiment droit d'être satisfait. Surtout aux jours de grande fête, elle fait l'effet d'un vrai bijou.

En 1897, le soulèvement des Cubains contre la métropole et la guerre hispano-américaine qui vint bientôt s'y greffer (1898), amenèrent dans la prospérité du collège une crise dont les effets se firent sentir à des degrés divers pendant une période d'au moins 7 à 8 ans. D’abord les Cubains, qui formaient une portion très appréciable de la population du collège, ne vinrent pas, puis les énormes dépenses qu'entraîna la guerre et la crise économique qui s'ensuivit eurent un retentissement douloureux dans la situation financière de beaucoup familles, qui durent réduire notablement les dépenses qu'elles auraient faites pour l'éducation de leurs enfants. La conséquence fut que le nombre des pensionnaires fléchit d'une manière assez notable. De 112 qu'il avait été 1896, il tomba successivement, jusqu'en 1902, à 93, 90, 8, 77, 70 et 69. Mais cette diminution ne tarda pas à s'arrêter avec les causes qui l'avaient provoquée, puis se changer en une augmentation correspondante, qui au cours de ces dernières années, s'est accentuée jusqu'à dépasser les plus optimistes prévisions. Le tableau suivant montre, année par année, cette progression ascendante.

 

POPULATION DU COLLÈGE VALLDEMIA de 1903 à 1913.

 

Année

INTernes

Externes

Tot.

année

Internes

EXTERNES

Total

1903-04

78

39

114

1908-09

94

35

129

1904-05

83

45

128

1909-10

94

35

129

1905-06

91

40

131

1910-11

131

35

166

1906-07

94

35

129

1911-12

148

37

185

1907-08

98

35

131

1912-13

161

39

200

 

*
*    *

Malgré d'assez nombreuses transformations de détail, le local dans son ensemble était resté à peu près tel que nous l'avons décrit plus haut, quand il était sous la direction du Dr Valldemia, sauf les deux améliorations importantes qui avaient été la construction de la chapelle et celle du mur de Clôture.

Quoique de plus en plus nombreux les élèves, jusqu'à ces dernières années, étaient parvenus — non cependant sans un peu de gêne — à s'y loger assez convenablement ; mais, avec la considérable augmentation des années 1911 et 1912, l'espace avait commencé sérieusement à y faire défaut, et l'inconvénient ne pouvait que s'aggraver par l'augmentation plus grande encore qui s'annonçait pour cette année.

Force fut donc de se décider à agrandir, et une étude sérieuse de la question montra que le moyen en même temps le plus pratique et le moins dispendieux, serait d'ajouter au bâtiment principal un second étage, où l'on établirait les dortoirs en réservant l'étage inférieur pour les classes. Il s'agissait seulement d'aller vite, car on n'avait pour l'exécution de cet important travail que les deux mois de vacances.

Avec la permission du Conseil Général, on se mit à l'œuvre vers la mi-juillet, et, grâce a la prévoyance et à la vigueur avec laquelle tout fut mené, le gros de la construction se trouva prêt pour la rentrée des classes qui dut être retardée seulement de quelques jours.

Pendant plusieurs mois encore il fallut se résigner aux multiples désagréments que ne manque pas d'entraîner, dans une maison d'études, la présence de toute une troupe d'ouvriers ; mais l'avant-goût de la satisfaction qu'on aurait bientôt de se trouver largement et commodément logé les fit supporter sans trop de peine.

Aujourd'hui tout est virtuellement terminé, et l'on s'accorde à dire que la transformation, sous tous les rapports, a été des mieux comprises. Aisance, simplicité, ampleur, hygiène, on a trouvé le moyen de tout y accorder si heureusement que la maison, sans rien perdre de son caractère esthétique, est devenue un vrai modèle de commodité.

Là voilà donc armée, s'il plaît à Dieu, pour une ère de prospérité nouvelle que nous sommes heureux de lui souhaiter, au nom des Lecteurs du Bulletin, au moment on elle s'apprête à célébrer le 25’anniversaire du jour on elle passa sous la direction de l'Institut. Ce sera pour elle un moyen de prolonger, en l'amplifiant encore, l'œuvre de bien déjà si considérable qu'il lui a été donné de réaliser.

Depuis sa fondation, elle a été l'aima mater de près de 2.000 enfants qui, dans les situations diverses mais généralement très honorables où les ont éparpillés les traditions de leurs familles, leurs aptitudes personnelles et les nécessités de la lutte pour l'existence, se souviennent avec bonheur du temps qu'ils y ont passé, et font généralement grand honneur, par leurs sentiments chrétiens et la dignité de leur caractère aussi bien que par leur intelligence et leur savoir, à la formation qu'ils y ont reçue.

Seulement depuis 1888, deux cent vingt en sont sortis avec le grade de bachelier et cent cinquante avec le titre de perito industrial, de contador mercantil ou un autre titre à peu près équivalent, environ 400 y ont fait leur Première Communion.

Ces dernières années, il s’est formé par les anciens élèves une Association Amicale qui a son siège dans l'Etablissement et qui compte déjà plus de 120 adhérents. Elle a pour but, tout en servant de centre d'union à tous ceux qui ont fait leurs études au Collège, de favoriser l'éducation religieuse en lui prêtant son appui moral et de venir en aide, dans la mesure du possible, ceux de ses membres qui se trouveraient dans le besoin ou seraient frappés par le malheur. Elle offre annuellement un prix spécial à celui des élèves actuels qui a termine ses études dans les conditions les plus brillantes ; et quelques-uns d'entre, ses membres, qui occupent des positions très en vue dans le magistère, le barreau, la médecine, etc. …, se prêtent aussi amicalement, de temps à autre, à donner en faveur de leurs successeurs d'aujourd'hui des conférences dites "d'extension universitaire’’ sur des sujets d'actualité. Au cours de l'année 1911, celle de M. le Dr Manuel Mascareñas, professeur de l'université de Barcelone, sur l’air liquide (7 mai) et celle de M. le Dr Pedro Fusté, membre du Comité Sanitaire de Sabadell, sur la tuberculose considérée comme fléau social, eurent un succès aussi brillant que mérité.

Le 2 février de chaque année, l'Association tient au Collège — qui célèbre ce jour-là sa fête patronale — Une réunion générale où l'édification et les réconfortantes expansions de l'amitié chrétienne trouvent également leur compte.

Dès le matin, une première messe où un bon nombre font la sainte communion à côté des élèves actuels les réunit a la chapelle. Puis une messe solennelle généralement célébrée par quelqu'un d'entre eux (car un certain nombre sont prêtres) ; une séance générale où le Comité Directeur rend compte de sa gestion pendant l’année courante ; un banquet amical où l'on porte, des toasts chaleureux en l'honneur des personnes révérées et aimées qui s'y trouvent réunies, en même temps que des causes sympathiques dont le souvenir est évoqué, et une séance récréative et littéraire, où les élèves actuels rivalisent d'industrie et de bonne grâce pour égayer et intéresser leurs aînés, remplissent agréablement une journée qui n’a que le défaut d'être toujours trop courte.

On dirait une réunion de famille, où le Présent et le Passé de l'institution, après des heures comptées de bonheur intense vécues en commun auprès d'une mère vénérée, peuvent à peine se figurer que l'heure de la séparation soit déjà venue.

D'ici à quelques années, le Présent et le Passé d'aujourd'hui ne seront plus qu'un. Puissent-ils pendant longtemps, en revenant ensemble dans cette. enceinte, y trouver grand et fort, beau de jeunesse, de vigueur, de santé et gardien saintement jaloux des nobles traditions de la famille, leur frère plein d'espérance qui se nomme encore l'Avenir !

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1 Cf. Elisée Reclus : Nouvelle Géographie Universelle, Tome 1ier, p. 859.

2 C’est une des appellations injurieuses sous lesquelles on s'y plaisait à désigner Mataró, sans doute par une allusion maligne à la frise dorique qui ornait une de ses portes. On sait, en effet, que, dans les frises de l'ordre dorique, les métopes ou espaces compris, entre les triglyphes sont ordinairement ornés de bucrania, ou têtes de bœuf, réunis par des guirlandes en festons.

3 Parmi eux, il convient de faire ici une mention spéciale de M. José Maria Pellicer, l'auteur distingué de remarquables Etudes sur Huro. Non seulement, pendant les quelques années qu'il vécut encore, il se montra très attaché A la maison et rendit de dévoués services aux Frères pour l'étude de la langue espagnole ; mais il consacra ses loisirs à composer en cette langue une Vie abrégée du Vénérable Champagnat, et à traduire plusieurs autres de nos ouvrages.

4 Comme nous avons dit, ce local et son mobilier n'avaient été d'abord que loués ; en 1891 ils furent acquis par la Congrégation au prix global de 100.000 pesetas. 

5 Au cours des années 1896 et 1897, le Collège eut l'honneur de compter parmi ses educandos un prince de la famille royale, S. A. D. Albert-Marie de Bourbon d'Ast, descendant au 3° degré du roi Charles III, et dont le nom figure encore actuellement parmi les membres de la Société des Anciens Elèves. En 1871-1873, il en avait eu un autre : S. A. Ferdinand d'Orléans et de Bourbon, petit fils de Louis Philippe, roi des Français, et de Ferdinand VII, roi d'Espagne.

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