Enseignement religieux dans nos Ă©coles

11/Sep/2010

Beaucoup de confrères seront certainement heureux de lire quelques détails sur la façon dont est donné l'enseignement religieux dans nos Collèges d'Orient de la région de Constantinople. Nous nous y trouvons en effet dans des conditions très particulières qui étonneront peut-être ceux qui, plus heureux, n'ont affaire qu'à des élèves catholiques. Puissent-ils au moins nous venir en aide par quelques bonnes prières!

Ce qui frappe tout d'abord, quand on examine la population scolaire d'un Collège, dans nos régions, c'est sa diversité au point de vue de la religion. Pour être plus précis je choisis comme exemple notre Collège de Scutari.

Les enfants catholiques ne forment qu'une toute petite minorité, puisqu'ils sont à peine le dixième. Le reste peut être rangé en deux groupes à peu près égaux: une bonne centaine de chrétiens, soit grecs, soit arméniens, et à peu près autant d'infidèles, soit musulmans, soit juifs.

En vérité, c'est la tour de Babel, mais c'est l'état ordinaire de beaucoup de contrées d'Orient, où se coudoient sans se mélanger toutes les nationalités et toutes les religions.

Disons un mot sur chacun de ces groupes. Les grecs ou orthodoxes, comme ils se nomment, sont les chrétiens séparés de l'Eglise catholique du temps de Photius. Ils sont nombreux clans toutes les villes du Littoral et forment même des villages entiers dans l'intérieur, outre qu'ils composent la presque totalité en Grèce et dans les îles.

Les Arméniens, séparés au 5ième siècle, sont restés bien plus isolés dans leurs montagnes de l'Arménie, mais ils sont aussi répandus dans beaucoup de villes et notamment à Constantinople.

Ces deux groupes chrétiens diffèrent peu des catholiques dans leurs croyances, ils sont d'ailleurs trop peu instruits, en général, pour avoir des raisons claires de rester séparés, mais un nuage épais de préjugés séculaires et de méfiances irréfléchies les tient à cent lieues de nous.

Tous les peuples jadis asservis par l'islam n'ont conservé l'espoir d'une résurrection déjà réalisée en partie pour la plupart qu'en s'attachant désespérément à ce qui fait leur nationalité, c'est-à-dire leur langue, leur religion, leurs coutumes. C'est pourquoi, sans avoir de griefs précis à combattre, la plupart du temps, surtout chez des enfants, si l'on excepte l'obéissance au Pape, nous avons surtout à faire disparaître des méfiances et des préjugés.

Quant aux musulmans et aux juifs, chacun connait l'abîme qui les sépare de nous, sans compter cette sorte de haine native qui est leur état normal.

Venons-en à l'enseignement religieux que nous distribuons à cette jeunesse.

Tout d'abord, pour ce qui est des élèves catholiques, ils n'ont, je crois, rien à envier à leurs camarades des pays entièrement catholiques. On fait pour eux le possible et l'impossible afin de contrebalancer au moins, l'influence néfaste du milieu où ils sont noyés.

Mais ce n'est pas là le point original. Tous les autres chrétiens sont soumis au même enseignement du catéchisme catholique qui se fait dans les classes. Le catéchisme du diocèse de Constantinople est à peu près celui de S. S. Pie X. Il est édité en français, puisque la plupart des écoles catholiques de la région sont françaises. Une traduction en grec est disposée en regard. Le tout forme trois petits volumes qui permettent de graduer l'enseignement.

Tous les chrétiens récitent les mêmes prières que les catholiques et ils s'y soumettent maintenant volontiers. Beaucoup portent des médailles. Ils demandent des chapelets et le récitent avec piété tout en s'étonnant que leurs églises n'aient pas cette pratique. Chaque année nous avons une retraite pour les catholiques. Leurs camarades chrétiens y sont admis sur leur demande et en suivent les exercices avec profit.

Il y a plus, ils se mêlent assez volontiers, sous l'oeil bienveillant des parents, aux diverses cérémonies publiques du culte catholique. Nous voyons chaque année à la Procession de la Pète-Dieu à peu près tous les élèves chrétiens se joindre à leurs camarades catholiques et faire retentir les rues du quartier de quelques cantiques populaires qu'on leur a préalablement appris.

Reste à parler des infidèles: les musulmans et les juifs sur lesquels il est bien plus difficile d'avoir de l'action. Afin de les atteindre et d'empêcher qu'ils ne grandissent dans une école chrétienne, un peu à la laïque, on eut l'idée de créer à côté des cours de catéchisme auxquels on ne pouvait les astreindre, des cours de morale communs à tous les élèves.

Ce ne fut pas sans difficultés que la chose put être établie. Du moins aujourd'hui, elle fonctionne sans encombre. Catholiques, grecs, arméniens, musulmans et juifs assis côte à côte reçoivent les mêmes leçons de morale.

Evidemment, c'est la morale chrétienne qu'on leur enseigne. Il suffit d'un peu d'habileté pour faire arriver par ces leçons tout l'enseignement moral du catéchisme dans ces âmes qui ont d'ailleurs le plus souvent un fonds sérieux de sentiments religieux.

L'existence de Dieu, ses attributs, spécialement sa bonté, sa justice, la vie future, le bonheur du Ciel, les pensées de l'Enfer, la prière, le péché, la contrition et bien d'autres choses encore passent dans ces cours de morale. Les exemples sont puisés souvent dans la vie des Saints, les maximes et les pensées, dans la Ste Ecriture, de sorte qu'en somme, c'est d'une pensée, d'une atmosphère chrétienne que ces jeunes intelligences sont imprégnées pendant des années.

Quel est maintenant, demandera-t-on le résultat de tous ces efforts? Si l'on veut aligner le chiffre des conversions proprement dites, il faut avouer que, sans être nul, c'est plutôt maigre. Le cas le plus fréquent est de rattacher â l'Eglise catholique des enfants nés de mariages mixtes et que leur famille dirigeait ailleurs.

Mais il faut certainement donner une bien plus grande importance au mouvement général des esprits, au changement profond qui s'opère à la longue dans les idées en faveur de notre sainte religion. Il est bien évident que le nombre respectable des élèves qui sortent chaque aimée de nos écoles catholiques s'en va avec des idées bien différentes de celles qu'ils avaient avant de nous fréquenter. Ils étaient arrivés mis en garde contre nous par leurs parents; leur visage même bien souvent trahissait leur méfiance, mais petit à petit l'atmosphère de l'école a suffi pour dissiper cet état déplorable. Ils finissent par nous considérer avec un certain respect et les cœurs s'ouvrent à la confiance.

On peut conclure qu'il y a un grand pas de fait quand on considère à distance le chemin parcouru ce dernier quart de siècle.

Ils étaient bien rares les élèves musulmans qui osaient mettre le pied dans nos écoles; les grecs et les arméniens s'y montraient toujours arrogants, souvent en cabale, parfois en révolte ouverte pour des questions de prière ou de catéchisme. Autorités religieuses et civiles se liguaient contre nous; excommunication et policiers étaient d'usage fréquent. Aujourd'hui il est commun de voir des fils de fonctionnaires, d'imans (prêtres turcs) ou de papas (prêtres grecs et arméniens) fréquenter nos écoles réputées excellentes. C'est une étape franchie, la plus pénible et la moins consolante. Ce furent les semailles. Puisse la moisson commencer bientôt!

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