Espagne – Quelques Ă©pisodes de la lutte
13/Oct/2010
Autant l'on voit dans la guerre d'Espagne les combattants de la zone rouge accumuler les sacrilèges, les massacres et les incendies, autant on voit, de l'autre côté du front, des soldats qui combattent pour leurs foyers chrétiens et pour la cause de Dieu.
Nous avons eu assez de victimes des massacres que tous les Ordres religieux ont subis pour nous réjouir de ce que nos Frères exposés aux dangers des batailles ne sont tombés qu'en bien moindre nombre.
Toutefois, les deuils se multiplient là aussi. On compte actuellement déjà 17 victimes: 8 de Léon, 4 d'Espagne, 3 d'Anzuola, 1 du Mexique et 1 de St François-Xavier.
Mais ceux qui sont morts ont fait comme leurs confrères massacrés, figure de martyrs, tant ils ont combattu avant tout pour la cause de Dieu.
Les trois faits suivants en témoigneront.
Messe de Pâques. — Voici quelques lignes tirées d'une lettre d'un de nos Frères soldats :
« Nous avons été en repos quelques jours dans le village de la Marañosa. Nous avons pu ainsi avoir pour les soldats la Communion pascale. Quel spectacle émouvant et consolant ! Devant un autel improvisé et fort simple comme nous y obligeaient les circonstances, s'était rangé tout le premier Bataillon. Sur un fond aux couleurs nationales, on avait placé la Vierge immaculée, notre Patronne. Pour ornements, des armes, mortiers, canons, mitrailleuses.
A neuf heures commence le saint sacrifice. Au moment de la communion, le lieutenant-colonel, les capitaines, les lieutenants, adjudants, sergents, absolument tous les officiers viennent communier et la troupe continue presque jusqu'au dernier homme, car quelques très rares soldats font exception, ce qui prouve que la piété de leurs camarades est sincère et spontanée. Je n'ajoute aucun commentaire, mais je puis avouer que j'ai pleuré d'émotion. »
Un de nos Frères tué sur le champ de bataille. — Il y a quelques jours se présentait chez nos Frères de Saragosse un des combattants de Teruel. Il était envoyé par l'aumônier militaire. Celui-ci s'était trouvé devant le cadavre d'un des soldats tombés dans ce secteur si meurtrier. Un papier sortait à-demi de la poche, Pensant y trouver de quoi identifier le défunt, il le prit et n'y lut pas sans surprise les pensées et résolutions d'un bon religieux.
En voici quelques-unes : « Je veux être mariste jusqu'à la moelle des os…
« Te veux être digne de Marie, je serai toujours comme un enfant dans les bras de sa mère.
« Je serai fidèle à mon chapelet. Jamais moins de trois chaque jour. Qu'on dise ce qu'on voudra, jamais, ô ma Mère, je n'abandonnerai mon chapelet. Mon chapelet, c'est mon jardin de délices, mon passe-temps, c'est le sourire de ma mère, c'est son souvenir, c'est le compagnon inséparable de ma vie.
« Pour ce qui dépend de moi, je sacrifierai tout á la messe et à la communion. Un jour sans communion, c'est un jour sans soleil, une année sans printemps.
« Je serai fidèle, autant que les circonstances le permettront à mes pratiques de dévotion envers Jésus, envers ma mère, envers Saint Joseph.
« … Ma résolution comme Petit Frère de Marie sera de vivre sous le regard de ma Mère, tout près d'elle, caché sous son manteau… »
Le bon aumônier militaire conclut bien vite qu'il avait devant lui le corps d'un de nos Frères et c'est pourquoi il avait fait remettre les notes, dont on vient le lire quelques courts extraits, à la communauté la plus voisine. Il demandait en même temps qu'on voulût bien lui conserver l'original ou au moins une copie, ce qu'on s'est empressé de faire.
Il n'a malheureusement pas été encore possible d'identifier le défunt. Ce sera pour nous un peu comme le Soldat inconnu, et ses paroles venues d'outre tombe n'en seront pour nous que plus solennelles.
(On croit qu'il s'agit d'un des novices du Mexique.)
Mariste jusqu'après la mort. — Voici un troisième exemple qui pourra édifier tout l'Institut et inspirer de bonnes pensées à notre jeunesse.
Il nous vient du Frère Carlos-Efren, qui est tombé lui aussi sur le front de Teruel. Se rendant bien compte du danger qu'il courait dans ce secteur, où les combats furent si durs, il avait, avant de partir à l'assaut, écrit sur un morceau de carton d'une boîte de cartouches, glissé ensuite-dans sa poche, son nom et son suprême désir : « Domiciano Ubierna… Je suis un religieux mariste ; ne pas m'enterrer ici, mais au cimetière des Frères, à Anzuola. »
On sait que dans l'Espagne chrétienne, toutes les fois qu'il est possible, on transporte dans leur paroisse les corps des soldats tués, afin de les y enterrer, auprès des familles qui les ont perdus.
Notre bon petit Frère fut donc transporté, selon son désir, à Anzuola. « Il nous est arrivé, écrit-on de là-bas, le 21 février, à 4 h. de l'après-midi. Sa poitrine enfoncée par la mitraille nous indiquait que la mort avait été instantanée. Le carton baigné de son sang nous disait que sa dernière pensée avait été pour sa Congrégation qu'il aimait tant. Je ne connais pas de plus beau témoignage d'attachement à sa vocation, qu'il voulait conserver à tout prix.
Nous avons posé sur son corps une soutane, ne pouvant l'en revêtir, dans l'état où il était. C'est certainement ainsi qu'il désirait être enterré. »
Un jeune Frère franchit les lignes. — D'une lettre du C. F. Léon-Felipe, un peu résumée : Le 9 octobre donc, nous avons été enlevés de notre maison de … pour être incorporés dans les troupes républicaines. (Il s'agit de jeunes scolastiques.) Le 3 décembre, fête de St François Xavier, nous étions tous les 5 envoyés sur le front. Nous faisions avec ferveur, en ce moment, une neuvaine à l'Immaculée Conception.
Le premier jour, je ne fis qu'examiner le terrain, pour y découvrir le chemin le plus court vers les positions nationales. Le second jour, à la nuit venue, je pris sur moi tout le linge de mon sac, glissai dans mes poches trois grenades et passai la nuit sans dormir, me recommandant sans fin à la très Sainte Vierge. A quatre heures du matin, on m'appela pour monter la garde dans la tranchée.
J'y montai, fusil en main, enveloppé dans mon manteau, car le vent soufflait.
Un moment après, me voyant seul, je grimpai sur le parapet, jetai mon fusil, me débarrassai de mon manteau et me mis à courir à. travers le terrain bosselé, craignant de tomber, par malchance, sur quelque patrouille rouge. Puis je ralentis le pas en arrivant aux lignes nationales. La sentinelle ne m'aperçut que quand j'étais près d'elle.
A son cri : « Qui vive ! » je répondis en criant : « Vive le Christ Roi ! Vive la Pilarica ! Vive Franco ! » (La Pilarica est, comme on sait, N.-D. del Pilar, patronne des armées espagnoles.)
Dix pas en arrière ! me cria l'homme et en haut les mains !
Je m'exécutai, en laissant tomber la grenade que je tenais encore. Puis, ayant échangé quelques mots, il me dit d'avancer et me conduisit à un officier qui m'interrogea.
Peu après on me mena a la gendarmerie, oh on nous servit à manger, car nous étions huit évadés dans ce secteur, cette nuit-là. Il y avait longtemps que je n'avais pas fait un si bon repas. De là on nous mena à Saragosse, au camp des déserteurs, où se fait le triage. J'ai pu continuer à faire mes exercices de piété comme au Noviciat, excepté l'office de la Sainte Vierge que je remplace par six chapelets.
J'aurais bien voulu pouvoir aller au sanctuaire de N.-D. del Pilar et y communier, pour le 8 décembre, parce que c'est l'anniversaire des mes premiers vœux, mais on ne me l'a pas accordé. Enfin, nous avons la messe ici, et comme on aura bientôt réuni les témoignages qui confirment que je suis Frère mariste, je serai bientôt délivré. »
Ajoutons qu'à l'heure actuelle 8 des compagnons de noviciat ce jeune Frère de la Province du Mexique ont pu passer les lignes et s'échapper, comme lui et tant de milliers d'autres, des rangs des milices rouges.
Nos Frères en zone rouge. — Les nouvelles de nos Frères qui se trouvent enfermés depuis deux ans dans la zone rouge sont de plus en plus rares et tristes.
D'une lettre du 6 mai arrivée à Grugliasco, par une voie détournée, le 25 mai, il résulte que son auteur, un de nos Frères, est encore en relation avec bon nombre de confrères d'une des communautés de sa région et il donne des nouvelles de 13 d'entre eux. Elles ne sont vraiment pas bien rassurantes. C'est une vie précaire qui est la leur et tous souffrent de plus en plus de l'isolement, du dénuement, de la disette et de bien d'autres choses.
L'un a pu rester dissimulé depuis le début dans une bonne famille qui le cache au péril de sa vie. Un autre est professeur dans une école publique. Celui-ci est employé dans un hôpital, celui-là, caissier d'une Société.
Plusieurs arrivent à vivre en donnant des leçons. Un est encore en prison, dans la région où le Frère réside. La lettre ne signale aucun mort pourtant, mais deux Frères qui ont passé bien près du danger. Ce sont deux soldats.
L'un a failli être atteint de trois coups de fusil tirés sur lui au moment où il était en sentinelle; le deuxième était dans un train qui transportait son bataillon, lorsqu'une énorme bombe d'avion, tombant sur les wagons, en mit trois en pièces avec ceux qui étaient dedans.
Un troisième a été renversé par un camion militaire qui lui a fracturé le crâne, mais il est hors de danger.
Il n'a aucune nouvelle des Frères de la région de Barcelone et finit par croire qu'il n'en reste plus guère de vivants. Comme il insiste beaucoup sur les difficultés et le danger qu'il y a de communiquer, même à l'intérieur, là où il est, il faut espérer que ses craintes sont vaines. En tout cas, la vie est très pénible et nous ne pouvons plus guère venir au secours de ces pauvres Frères.
Que le bon Dieu envoie au plus, vite la victoire à ceux qui combattent pour les délivrer !
Les dernières nouvelles (10 juin) signalent une recrudescence de mesures violentes. Nombre de nos Frères auraient été emprisonnés de nouveau; 18 d'entre eux seraient condamnés aux travaux forcés dans la région d' Orihuela.