France: Saint-Vincent-De-Reins
24/Oct/2010
Le Bulletin a souvent l'occasion de faire admirer à ses lecteurs les belles réalisations que sont les beaux et grands collèges édifiés en divers pays : vastes bâtiments, nombreux élèves, corps professoral imposant, laboratoire, musées scolaires, champs de sports, chapelles splendides, derniers perfectionnements matériels ; tout cela est à l'honneur de l'Institut et de l'enseignement chrétien.
Il ne faudrait cependant pas oublier ces écoles modestes de nos campagnes où se continue sous sa forme primitive l'œuvre entreprise par notre Bienheureux Fondateur. Il en reste encore, Dieu merci, un bon nombre. Elles ne font guère de bruit, mais beaucoup de bien.
Nous pouvons bien, aujourd'hui, rendre visite un instant à l'une d'entre elles.
Saint-Vincent-de-Reins. — Cette paroisse d'environ un millier d'habitants est située au diocèse de Lyon à la limite des deux départements du Rhône et de la Loire, à une heure d'auto de Saint-Genis. La contrée est un peu montagneuse et fait partie de cette région bien chrétienne où la foi et les pratiques chrétiennes se sont bien conservées, grâce pour une bonne part aux nombreuses écoles tenues par nos Frères et les Sœurs de diverses Congrégations. Une des communes voisines a donné le jour au Révérend Frère Louis-Marie et non loin aussi est né le Vénérable Père Colin.
Le paysage est agréable, étant formé de petites collines couvertes de prairies et de diverses cultures avec des sommets souvent couronnés de bois de sapins.
Le village, au lieu de former un bloc, s'étend sur une longueur de sept kilomètres dans la vallée. On y subit un hiver un peu long et c'est peut-être ce qui a fait naître une industrie de tissage, pratiquée dans bon nombre de familles avec de petits métiers.
Notre école. — Les Frères Maristes furent appelés à Saint-Vincent en 1848 et y restèrent jusqu'en 1890 ; à la suite de la vague de laïcisation qui déferlait sur la France, le maire d'alors se débarrassa des maîtres religieux. Ce ne fut qu'en 1920 que l'école nous fut rendue dans les conditions qu'il fallait subir, puisque les Frères étaient, comme on dit, sécularisés .Ils étaient deux, en civil, faisant la classe à une soixantaine d'enfants divisés en deux classes. Actuellement, les Frères continuent à être deux, mais ils sont en soutane, comme partout en France. Il y a ceci de particulier qu'ils sont ensemble depuis plus de 25 ans, chacun devenant Directeur à son tour tous les six ans. Leur vie est tranquille au bout du village où est bâtie l'école, mais elle est fort laborieuse. Il faut, en effet mener à bien toutes les tâches non seulement de l'enseignement mais encore de l'entretien de la maison et une bonne partie de la cuisine. Une bonne dame vient bien vers les dix heures préparer le dîner des Frères, et aussi celui d'un certain nombre d'enfants qui restent à midi vu la longueur du chemin jusqu'à leur maison. Le matin et le soir, les Frères doivent assurer leurs repas. On fait le dîner un peu plus abondant et on se contente de faire réchauffer le souper. Avec une étude du soir, et la surveillance des repas et des récréations, nos deux braves Frères ne se retrouvent ensemble que vers 5 heures 45. Comme un bon petit jardin est annexé à l'école, le jeudi est le jour du travail manuel. Et ainsi s'écoule la vie de ces bons religieux qui, proches de l'église, vivent à l'ombre du clocher. C'est la vie primitive de nos aînés du temps du Bienheureux Fondateur, avec pourtant en moins un petit Frère cuisinier, comme on en avait alors partout.
Résultats. — On ne peut évidemment faire de comparaisons entre une de ces modestes écoles de campagne et l'un de nos grands collèges en fait de diplômes obtenus. On ne peut citer parmi les anciens élèves ni des avocats remarquables, ni des médecins réputés. Mais, à la place, on obtient les résultats suffisants pour la population de la paroisse. Les enfants obtiennent le certificat d'études qui termine les études primaires, dans la proportion de près de 9 sur 10. Ce qui est mieux, c'est qu'ils restent de bons chrétiens suffisamment instruits et assidus à l'église. Un des derniers curés a bien voulu affirmer que c'était à l'école qu'il attribuait la bonne marche de sa paroisse. Il faut songer que l'école officielle, l'école laïque est ordinairement vide ou bien n'a que deux ou parfois trois garçons de la paroisse et pas toujours. Les parents, tous ainsi anciens élèves estiment et aiment leurs anciens maîtres. Une de ces dernières années, les classes ayant besoin d'être rafraîchies, ce sont eux qui sont venus bénévolement repeindre les murs et les boiseries.
La piété est en honneur parmi les enfants et même les anciens. Une Croisade Eucharistique fervente maintient l'assistance fréquente à la messe quotidienne et à la communion d'une élite. Les prières, le catéchisme sont l'objet d'un soin particulier et le mois de Marie, cher au Bienheureux Fondateur est une fête pour les enfants. A cette occasion, chaque année le Frère Directeur propose aux enfants d'écrire une lettre à la Sainte Vierge, qui est déposée aux pieds de la statue ornée de fleurs abondantes qui trône dans un angle de la classe.
On va citer ici, en respectant le style, une de ces lettres d'enfants, un peu naïves, sans doute, mais bien instructives sur la mentalité d'un élève de treize ans, d'une famille chrétienne de la campagne. Elle a été choisie entre d'autres pareilles à cause du « mouton » qui fait songer aux agneaux du petit Marcellin Champagnat.
« Sainte Vierge Marie,
« Je vous écris cette lettre pour vous dire que je vous aime bien et que je pense à vous. Pendant le mois de mai, je ferai trois communions, si ce n'est quatre. Je dirai chaque soir ma dizaine de chapelet avant de me coucher. Je me lèverai plus tôt le dimanche pour venir communier. Je ferai le signe de la croix en sortant du lit et je dirai un « Je vous salue ». Je m'appliquerai bien à mes leçons. Je vous demande de m'aider à devenir moins paresseux. Je vous demande que le jour de ma fête, je puisse avoir un vélo pour aller en classe et faire les commissions. Je vous demande que toute la famille va bien. Je vous prierai pour les soldats qui sont en Algérie. Je voudrais bien que mon papa me laisse faire un pré à côté du jardin pour mon mouton et qu'il grossisse bien vite. Je voudrais bien que ma Tante me donne les lapins qu'elle devait m'apporter en venant chez nous. Je prierai pour qu'il y ait des vocations à l'école pour que les Frères ne manquent pas. Pour les choses matérielles, donnez-nous de bonnes récoltes, des fruits et du miel. Il leur faut du beau temps. Je voudrais un gros livre de messe.
« Je compte que je serai exaucé et en retour je vous offre mon mois de mai.
Votre enfant qui vous demande le ciel au bout de sa vie ».
Ce texte et d'autres analogues feraient probablement sourire des Bénédictins de Solesmes, habitué à prier Dieu avec les sublimes élévations de la Sainte Ecriture et de la liturgie. Mais, tout de même, nous qui sommes familiarisés avec les enfants, nous pouvons être heureux d'avoir rendu nos élèves capables de parler avec tant de confiance et d'abandon à leur divine Mère.
Conclusion. — Il serait bien mieux, bien sûr, d'avoir à Saint-Vincent une communauté de trois Frères, dont un pour la cuisine ; le travail serait moins absorbant. Mais il faut songer qu'en France le temps de la sécularisation n'a pas été normal, qu'il a raréfié les vocations et par suite le personnel de nos vieilles Provinces de jadis. Il a fallu conserver des écoles avec un minimum de personnel, et d'autre part, ces écoles n'ont qu'un budget fort mince. Aussi, la vie y est forcément modeste et sans doute assez semblable encore à ce qui existait du temps du Bienheureux Père. Une tasse de café aux dimanches et jours de fête est bien à peu près tout ce qu'on se permet d'extraordinaire. Il est vrai qu'à Saint-Vincent, il y a quelques ruches et que le miel peut agrémenter le menu du déjeuner. C'est ce qui fait qu'avec l'appoint du jardin et de quelques bénéfices dus aux dîners des élèves qui profitent de la cuisine de midi, la toute petite communauté de Saint-Vincent, comme celle de diverses autres écoles de nos campagnes, fait encore un bon versement à la Caisse de la Province. C'est qu'il faut songer aux Juvénats et Noviciats. Et à Saint-Vincent on y songe doublement, puisqu'on y met tout en œuvre pour créer une atmosphère favorable aux vocations. Malgré le petit nombre d'enfants, voilà qu'en une vingtaine d'années l'école a donné six Frères Maristes et il y a encore des juvénistes en route.
Que la Sainte Vierge nous conserve encore longtemps et même nous permette de multiplier de telles écoles dans nos campagnes. Notre Bienheureux Fondateur doit les regarder avec une singulière complaisance.