Frères catéchistes dans, le présent
23/Mar/2010
(Sous ce titre, un rapport a été présenté aux Journées Nationales d'Études de l'Union des Frères Enseignants (l' U.F.E.), tenues à Paris, les 12, 13, 14 juillet 1950. C'est le résultat d'une large enquête provoquée par un questionnaire d'information envoyé aux divers Instituts de Frères Enseignants et à toutes nos provinces. Comme le compte rendu des Journées ne parviendra pas à toutes nos communautés, on a demandé la reproduction de ce rapport dans le Bulletin de l'Institut. En voici la première partie.)
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Nous venons d'entendre l'éminent auteur de la monumentale histoire de l'Institut des FF. des E.C.1. Nul, mieux que lui, ne pouvait se pencher avec une conscience professionnelle plus avertie sur de vénérables textes et nous dire quel fut le grand idéal de saint Jean-Baptiste de la Salle — qu'un récent décret pontifical a proclamé notre glorieux patron à tous — et celui des Fondateurs qui, depuis, ont marché humblement sur ses traces.
Tous nos Pères en Dieu, en des régions différentes et en des circonstances analogues, profondément émus de la misère spirituelle d'une infinité d'âmes d'enfants, ont voulu établir non pas de simples instituteurs, ni même uniquement des catéchistes, mais des religieux enseignants donnant avant tout à la jeunesse l'instruction et l'éducation chrétiennes.
Il importe, semble-t-il, au début de cette communication de mettre l'accent sur cet aspect de la physionomie du Frère enseignant. Il est essentiellement catéchiste, non seulement pendant le temps restreint fixé par ses Règles mais à longueur de journée et de vie, puisque toute l'activité religieuse et professionnelle d'un Frère est vouée à l'apostolat. Il ost et doit être religieux éducateur, quelle que soit d'ailleurs la situation momentanée que lui crée l'obéissance. Il s'ensuit que le Frère enseignant qui réalise pleinement le double but de sa vocation peut être considéré, à juste titre, comme le « catéchiste idéal », selon l'expression de F. Celse-Pierre dans la Revue Catéchistes (n° 1, p. 27).
La mission du Frère enseignant, glorieuse et fructueuse dans le passé, a répondu aux désirs de l'Église, à la confiance des familles, aux besoins spirituels de la société. Comment le rôle du Frère catéchiste se présente-t-il aujourd'hui ? Est-il encore d'une vivante actualité ?
Dans une brochure : « Ce que les Papes ont dit du catéchisme », on cite des textes de Pie X présentant l'ignorance religieuse comme un mal universel, cause de la corruption des mœurs et de la perte des âmes ; pour Pie XI, elle est la grande honte des nations catholiques et Pie XII la signale aux hommes d'Action Catholique comme une plaie ouverte aux flancs de l'Église. Et les Souverains Pontifes indiquent les remèdes à apporter à ce mal. Le premier est le catéchisme qu'ils nomment le premier des apostolats ; le deuxième est une pédagogie chrétienne donnant un enseignement solide, exposant la vérité en fonction de la vie, pédagogie conforme à la psychologie, soucieuse d'agir sur le milieu de vie préoccupée de créer une ambiance et avide de progrès ; le troisième remède est la préparation des maîtres et le quatrième, l'organisation catéchistique. Mais tous les Instituts de Frères enseignants sont, par définition et vocation spéciale, des bataillons d'élite qui répondent aux appels des Papes et ne méritent-ils pas le titre « d'apôtres du catéchisme » que le Saint-Père Pie X a décerné à nos aînés et à nos modèles, les Frères des E.C. ?
La Commission organisatrice des Journées d'Études de l'U.F.E. pour 1950 ayant inscrit au programme ce thème : Le Frère Catéchiste dans le présent, un questionnaire d'information a été adressé à tous les Secrétaires Généraux des dits Instituts. Des réponses sont, venues des écoles primaires, secondaires, des externats et des internats, des milieux ruraux, ouvriers et bourgeois de diverses régions de France d'abord. Mais des rapports envoyés de Belgique, d'Italie et d'Espagne, de Grande-Bretagne et d'Irlande, de Grèce et de Liban-Syrie, du Canada et des États-Unis, du Mexique et de Colombie, du Chili et du Pérou, du Brésil et de l'Uruguay et même des lointaines provinces d'Australie et de Nouvelle-Zélande, donnent à la consultation un certain caractère d'universalité. Bref ! c'est un dossier de 77 relations individuelles ou collectives qui documente les notes soumises à cette vénérable assemblée.
Qu'il soit permis, avant d'en tenter un compte rendu plus ou moins fidèle, d'adresser les plus vifs et fraternels mercis aux confrères des Écoles chrétiennes, de Ploërmel,, de Saint-Viateur, de Saint-Gabriel, de la Sainte Famille et des Petits Frères de Marie qui ont bien voulu fournir de précieux renseignements.
En suivant à peu près le schéma du questionnaire, nous verrons d'abord les difficultés nombreuses auxquelles se heurtent aujourd'hui les Frères en tous pays ; puis quel ensemble de qualités ou aptitudes exige une sérieuse formation d'ordre spirituel, doctrinal et pédagogique qui pourra surmonter ces obstacles et ainsi assurer à son apostolat catéchistique le maximum d'action salvatrice des âmes.
I. LES DIFFICULTÉS QUE RENCONTRE LE FRÈRE CATÉCHISTE OU PROFESSEUR DE RELIGION
Prévenons une objection d'ordre méthodique. Pourquoi faire état en premier lieu des obstacles ? Si, d'après les indications pontificales, le catéchisme est un remède, il s'agit de l'appliquer d'après un diagnostic suffisant du malade, du milieu où il vit et des réactions plus ou moins favorables ou hostiles. La connaissance des difficultés s'avère indispensable, car elle conditionne tout le système des adaptations possibles à la réalité mouvante qu'est la psychologie en devenir des sujets à catéchiser.
a) Difficultés venant des parents et du milieu familial.
Sans doute, les notations relevées ici sont d'une banalité évidente ; cependant ce qui leur donne peut-être quelque valeur, c'est leur nombre et leur convergence. Ce qui est donné comme d'importance primordiale, c'est la formation chrétienne de la première enfance. Quand le sens religieux n'a pas été cultivé de bonne heure, les âmes sont peu perméables les instructions religieuses peu efficaces.
Or, il y a des parents oublieux de leurs devoirs. Beaucoup n'ont pas le sens de l'éducation et ne savent pas la donner à leurs enfants. On signale de belles exceptions dans de jeunes foyers J.O.C. et J.A.C.
Il y a les non pratiquants qui ne s'intéressent pas aux questions religieuses, le cours de religion n'étant point matière d'examen inscrite au programme officiel.
Le gros obstacle le plus généralement signalé est l'indifférence de la famille. L'enseignement de l'école est mis eu échec à la maison par les propos et la conduite des parents. On parle imprudemment de tout devant les enfants. Il y en a qui manifestent ouvertement leurs dispositions agressives et prennent le contre-pied de l'enseignement religieux.
D'autres critiquent en famille les leçons du Frère, ses initiatives, les efforts qu'il demande ; l'élan de l'enfant en est brisé et diminuée la confiance en son maitre ; l'enfant sera plus sensible à un mot des parents qu'à un bon argument du professeur…. On insinue que, si le Frère est aimé, peut-être parviendra-t-il à conquérir l'âme de ses élèves…
Si ce n'est pas l'indifférence plus ou moins affichée, c'est souvent un formalisme sans vitalité, une fidélité de surface ou des coutumes ne modifiant pas la vie quotidienne.
Même lorsque la famille est chrétienne, l'ambiance fait vivre dans une atmosphère matérialisée où Dieu est oublié. L'enseignement religieux est considéré comme un vernis de bon ton et on s'inquiète uniquement de la formation aux bonnes manières.
Beaucoup ne voient pas la nécessité de la religion dans la vie pratique. Il n'est pas étonnant que l'enfant en vienne aussi à admettre que l'enseignement religieux reste en dehors de la vie.
L'apathie, l'indifférence des parents font des enfants gâtés, égoïstes, blasés et ne vibrant point devant les grandes causes. On donnera 20 francs pour une œuvre, mais on achètera pour 200 francs de pâtisseries. Une maman enverra des gâteaux à son petit, mais avec la recommandation expresse de les manger tout seul.
Ces constatations affluent de tous les points de l'horizon. Un observateur de Nouvelle-Zélande déplore cette carence d'éducation religieuse au foyer, Un autre des États-Unis souligne la lutte à entreprendre pour amener les enfants à pratiquer ce que les parents ne font pas. Du Chili, on déplore la perte du sens chrétien, fruit de la déchristianisation de la famille.
Il y a le pire : les exemples scandaleux ; les parents sont séparés ou divorcés ; ce lamentable spectacle soulève fatalement des problèmes dans l'esprit des enfants et les explications du Frère catéchiste sur la prière, les sacrements, le mariage, etc. …, s'y heurtent violemment. Si les parents contrecarrent l'enseignement de l'école, les enfants n'ayant pas la foi robuste — si toutefois ils l'ont — considèrent les années préparatoires à la communion comme une corvée dont ils ont hâte de se débarrasser.
Certains parents sachant que le catéchisme figure au programme scolaire prétendent que cet enseignement est inutile après la communion solennelle. Que, dans les familles indifférentes ou non pratiquantes, les enfants rencontrent de sérieux obstacles pour l'accomplissement de leurs devoirs religieux, c'est un fait notoire. Cette fréquentation des sacrements n'est même pas favorisée dans les familles chrétiennes. Pour certains parents, le catéchisme est une préparation à un examen pour obtenir une bonne place au défilé de la première communion, d'où absence de souci de vie profonde chez les parents et chez les enfants.
En divers pays, on note cet illogisme que des parents, froids pour la pratique religieuse ou peu exemplaires dans leur conduite, aiment cependant. que leurs fils croissent avec des principes religieux.
En des régions mieux conservées, il y a des réactions splendides des familles désirant voir leurs enfants se comporter en chrétiens convaincus et elles continuent l'action du Frère catéchiste.
Une cause de l'insuccès du catéchisme, on l'a noté, c'est le manque de collaboration entre parents et catéchistes.
1) Observations spéciales aux milieux ruraux. Disons qu'elles émanent d'un grand nombre de relations. On constate que généralement les enfants de ces milieux ont bon fonds, que leur cœur est accessible, qu'ils écoutent mieux que les citadins. Mais les travaux de la ferme, la garde des troupeaux absorbent parents et enfants au détriment de l'étude et de la formation.
Le développement intellectuel est plus lent, l'esprit peu ouvert, les enfants amorphes et passifs subissent plutôt qu'ils ne vivent la leçon de catéchisme ; leur vocabulaire restreint ne s'exprime qu'avec peine. Les exemples de vie animale qu'ils ont sous les yeux demandent une initiation précoce.
Il y a un grand fonds de foi ancestrale dans ce milieu rural. La pratique est traditionnelle, formaliste et routinière ; le sens vrai du christianisme n'est pas toujours bien compris. On y est sympathique et accueillant à l'enseignement religieux. Les familles restées chrétiennes et pratiquantes poussent à l'étude du catéchisme. Elles en veulent la connaissance. Selon l'expression authentique d'un brave paysan parlant de son fils : « Il faut qu'il sait au moins son catéchisme ! » Et les enfants acceptent volontiers cet enseignement s'il est donné d'une façon vivante. Un travail en profondeur est jugé possible à la longue. Une mentalité existe. Le catéchiste peut profiter pour ses leçons des spectacles de la nature qui rapprochent de Dieu.
Mais il y a des parents trop englués à la terre, trop attachés à l'argent et pénétrés d'un certain matérialisme et parfois peu généreux ; cet attachement opère une scission entre l'enseignement religieux et la vie pratique.
2) Dans les milieux ouvriers. — On note que dans les milieux ouvriers, en ville, l'enfant est plus ouvert, spontané, renseigné, saisissant vite, susceptible d'activité qui le fait paraître indiscipliné. Si l'enfant appartient à une famille quelconque, l'idée chrétienne pénètre moins, il reste toujours pauvre garçon. S'il appartient à une famille honnête, il est facile à atteindre. Si l'on réussit à l'accrocher, l'enfant s'enthousiasme plus vite pour un bel idéal que le camarade rural.
Des enfants élevés à la dure, connaissant le froid, la faim, la fatigue, la privation de jouets sont attirés par le côté matériel. Ils cherchent autour d'eux des satisfactions que la famille n'a pas données. On a souvent affaire à des caractères trempés, rudes, pouvant devenir d'excellents entraîneurs ; malheureusement on ne voit en eux trop souvent aussi que l'écorce rugueuse et on les délaisse.
On rencontre en certaines familles ouvrières une foi simple, profonde, un dynamisme qui aide énormément le catéchiste dans la formation religieuse. Mais il reste vrai que, pour un grand nombre de familles ouvrières, le milieu est le plus « handicapé » par les courants matérialistes modernes. Les milieux besogneux attachent peu d'importance à ce qui ne rapporte rien. Ils apprécient plus les succès aux examens que les études religieuses. On relève comme assez générale leur incompréhension de l'enseignement religieux. Quand le père et la mère ne pratiquent pas, leur influence est effrayante pour l'éducation religieuse. Sur les enfants sortis de ces milieux ouvriers indifférents, insouciants, parfois hostiles, les leçons de religion données à la masse ne portent pas.
Dans une population scolaire mêlée, le comportement des enfants au catéchisme et à la prière correspond à la mentalité des familles.
3) Dans les milieux bourgeois. Les habitudes de vie facile que procurent le confort et la richesse rendent mous, jouisseurs, égoïstes, indifférents, réfractaires aux notions de sacrifice et d'effort. Les volontés se trouvent moins aguerries devant les tentations et aux heures de crise de l'adolescence. D'où les déceptions nombreuses et attristantes que l'on enregistre parmi eux. Un certain scepticisme voltairien règne assez fréquemment dans le milieu bourgeois et l'on signale ce que les Cahiers de l'Éducateur (n° 4, mai 1950. p. 235) appellent un décalage entre la morale et l'idéal prêchés par l'école et la morale et l'idéal vécus dans le monde.
Quand le christianisme est resté vivant dans ce milieu, de belles âmes s'y conservent et les vocations supérieures s'y épanouissent. L'aisance des parents leur permet en effet de s'occuper de l'enfant. Le climat est plus favorable à l'enseignement religieux. On observe cependant une certaine appréhension de la doctrine sociale de l'Église. Les jeunes, timidement généreux, ont peur de l'engagement et l'en a parfois du mal à les lancer dans l'apostolat.
Dans un milieu petit bourgeois et commerçant, la religion paraît bonne dans la mesure où elle rapporte. « Je suis bien obligé d'aller à la messe, avouait l'un de ces esprits mercantiles, et de mettre les gosses à l'école libre, si je veux que le commerce marche ! »
D'autres petits commerçants ou fonctionnaires indifférents y envoient leurs fils parce qu'ils sont « vissés » et suivis dans les études, sauf à laisser l'adolescent sans contrôle. On signale dans la bourgeoisie de certain pays qu'une cloison s'établit entre la vie familiale et la conduite presque païenne en public. Les adolescents saisissent le contraste et subissent la crise religieuse. Au catéchiste alors de former leur critérium, tâche qui s'avère difficile, surtout quand le confort, l'argent, le pouvoir favorisent un paganisme raffiné.
b) Difficultés venant de l'ambiance générale du monde actuel.
Notons les influences exercées par le logement, les rues, les camarades, les illustrés, les affiches, le cinéma, la radio, les sports. C'est un climat auquel n'échappent pas les enfants et qui rend singulièrement délicat et malaisé le travail du Frère catéchiste.
1) Influence du logement. — Un nombre considérable de notes parlent de l'exiguïté inconfortable des locaux. Par exemple, une seule pièce où vivent six, sept, huit personnes. C'est une promiscuité déplorable dos âges, des sexes, faisant perdre la délicatesse et le sens de la pudeur occasionnant des chutes morales et gâtant le cœur de l'enfant de très bonne heure. Pour beaucoup de familles, les conditions défectueuses d'hygiène et d'espace obligent les enfants à prendre leurs ébats dans la rue. Pas de tranquillité possible pour l'étude.
Pour les familles aisées, le logement en général est favorable à la vie morale des enfants. C'est un immense avantage de jouir de locaux spacieux et aérés. Le luxe de certaines demeures fait saillir un contraste violent avec les conditions des habitations ouvrières.
2) Influence des rues. — Par le dévergondage des devantures de magasins, les étalages licencieux, les spectacles provocants, par les rencontres, les promiscuités audacieuses, les lectures, les conversations, les costumes et les attitudes, la rue, en bien des pays est devenue l'école du vice ; elle crée une psychose contrecarrant les convictions données à l'école ; elle dit le contraire du catéchiste. Selon l'expression imagée d'un observateur, «la rue est la gomme qui efface ». Son E. Mgr Siri, archevêque de Gênes, dans une lettre à son clergé, où il jette un cri d'alarme pour sauver la jeunesse, invite à constater « que la rue est désormais douloureusement devenue pour le grand nombre des enfants, la vraie maison et ce fait de la prépondérance de la rue sur la maison est fondamental pour comprendre la situation des garçons » (cf. « Salvare la gioventù », Rivista, diocesana Genovese, dic. 1949).
Les heures des sorties des écoles et des collèges sont le rendez-vous des garçons et' des filles. Beaucoup de grands garçons se font gloire d'avoir une bonne amie. On se demande s'il ne faut pas trouver là la raison du dégoût pour la religion manifesté par certains grands élèves. Même dans les écoles rurales, le retour de l'école par garçons et filles d'un même hameau ou quartier peut être préjudiciable pour les rencontres.
3) Influence des camarades. L'enfant la subit à l'école et hors de l'école. Après la classe, les jours de congé, les dimanches et jours de fête, les enfants se groupent pour les jeux. L'influence des camarades de quartier insuffisamment surveillée peut être malfaisante. Les fréquentations des vacances provoquent souvent une baisse morale difficile à restaurer au retour. On signale l'action néfaste des bandes où de petits meneurs brutaux, vicieux, gâtent de tout jeunes compagnons. C'est ainsi que les rencontres, sur les terrains de jeu, de garçons d'âge différent peuvent devenir des occasions de perversion.
Plusieurs relations parlent des mouvements spécialisés comme de pépinières de bons camarades. Mais le respect humain sévit parmi les adolescents, paralysant leurs meilleures tendances : par exemple, la fréquentation des sacrements dans telle classe ou le recrutement d'une section de J.E.C. dans telle division de grands. Si, dans un groupe, beaucoup s'intéressent aux études religieuses, il suffira qu'un esprit fort les traite avec dédain parce qu'elles ne sont pas matière d'examen pour que plusieurs les négligent. D'autres, par pose, affectent de ne pas tenir compte des leçons d'instruction religieuse ou les critiquent pour excuser des écarts qu'elles condamnent. Parfois, par impiété précoce, la messe et la communion sont ridiculisées. Il arrive ainsi que de bons élèves dans une institution sont noyés dans une masse qui ne réagit pas aux choses religieuses. Pour neutraliser l'influence de ces petits leaders dans une classe ou une division, des catéchistes habiles utilisent « la cellule d'action sociale ».
4) Illustrés et affiches. — C'est le point de l'enquête qui semble avoir le plus retenu l'attention. Voici le sommaire de plus d'une trentaine de réponses. Un des rapports les plus suggestifs exprime la nuisance des illustrés ct affiches en ces termes : « Il y a souvent entre le jeune homme et la parole de Dieu comme un nuage d'impureté provenant des affiches, des lectures, des séances de cinéma, de conversations ou fautes personnelles. Difficulté énorme, car l'homme animal ne comprend rien aux choses de Dieu. On devrait écouter la leçon de religion en état de grâce pour se mettre sur la même longueur d'onde que Dieu et le professeur ! »
Un autre constate l'indifférence du milieu areligieux, laïcisé dans les moelles, d'une neutralité sans âme, civilisation matérialiste et matérialisante. Tout y conduit : cinéma, radio, presse, sport. Tous les rapports sont d'accord peur dire combien les enfants sont friands d'illustrés en couleurs. Il y en a de bons, d'inoffensifs, de mauvais. Ils sont vus aux kiosques, aux étalages ; les enfants les achètent ; les plus pauvres trouvent de l'argent ou les empruntent ; ils en retiennent les images, reproduisent les gestes et les attitudes des personnages. On signale l'avalanche des périodiques illustrés, la marée de la presse pornographique qui déferle et submerge… Que d'imaginations souillées a jamais par la lecture de ces revues aux couvertures bariolées et tentatrices !… « Les illustrés, remarque un observateur mexicain, ont fait de la littérature et de la photographie des instruments de perdition. » Du Pérou, on se lamente des germes délétères apportés par les illustrés nord-américains et argentins. La négligence ou l'insouciance des familles pour le contrôle des lectures est effarante parfois. Parents et élèves ignorent l'Index ou ne l'admettent pas et lisent sans sourciller des œuvres nommément interdites.
Même en pays où la censure est vigilante, les illustrés sont dévorés par les collégiens dans les mi-temps des matches ou entre deux sessions de cinéma. Sans être immorales, certaines illustrations surexcitent l'imagination par des scènes fantastiques, absurdes, irréelles qui ôtent l'intérêt à la vie d'étude, à la vie vraie, à la vie religieuse.
Les affiches de toutes couleurs, de toutes dimensions, en répétition pour tous les murs sont hallucinantes, obsédantes pour des adolescents quand elles sont obscènes, porteuses de blasphèmes atroces sur Notre-Seigneur ou de négations impies sur les vérités fondamentales. Depuis longtemps, elles sont des moyens de propagande et de corruption. Équivoques, séduisantes elles pénètrent dans l'intérieur de commerçants de soi-disant bonne moralité. « Il y a de bonnes affiches pour le bien, dit un observateur belge, mais rara avis… » « Cette technique moderne de l'affiche, ajoute une note de Colombie, est une école intuitive, séductrice, habituant l'enfant à l'apprentissage objectif qu'il est quasi impossible de faire retrouver au catéchisme, car on n'a pas toujours sous la main le matériel catéchistique approprié : tableaux, schémas pour éduquer le sens esthétique en même temps qu'enseigner le catéchisme. Il est des initiatives heureuses d'affiches et d'illustrés magnifiant le bien, le beau, l'idéal et éveillant des vocations supérieures… »
Malgré la censure, illustrés et affiches restent de redoutables ennemis et rendent difficiles des appels à la pudeur, au renoncement, aux sentiments généreux. C'est tout le problème de l'image à repenser par rapport à l'enfant et qui est posé avec plus d'acuité encore par le cinéma.
3) Cinéma. — Nous abordons une question cruciale pour l'éducation en général et pour le catéchisme en particulier. Médecins, psychologues, parents, éducateurs constatent les effets du cinéma dans la vie des enfants et des adolescents. C'est un thème à inépuisables controverses. Les revues qui s'intéressent à l'éducation, par exemple Pédagogie, Cahiers de l'Éducateur, etc. …, étudient ce problème en une instructive série d'articles. Un fait ressort d'une évidence aveuglante : le cinéma est entré dans les mœurs populaires. La jeunesse en est passionnée ; sa psychologie s'en trouve bouleversée. Les parents y conduisent leurs enfants sans souci de la moralité des films. Fratello Tito dans un pénétrant article : Salviamo i giovani dai divertimenti pericolosi décrit dans l'excellente revue Sussidi, «le lent et fatal grignotement des forces de résistance que la jeune âme cherche A accumuler dans l'instruction religieuse et la fréquentation des sacrements. Alors, hélas ! il arrive, dit-il, ce que la guerre nous a trop souvent mis sous les yeux : qu'il suffit de quelques minutes pour détruire ce que des années avaient réussi à construire. »
Ainsi certaines réponses au questionnaire déplorent, non sans quelque pessimisme, les ravages désastreux du cinéma démolissant les convictions que le catéchiste essaye d'inculquer. Le sens moral des jeunes s'émousse et ils ne s'en doutent pas. Le cinéma leur apprend à parler avec le sourire du flirt, de l'amour libre et de l'adultère…
Les films des cinémas paroissiaux, même s'ils donnent, çà et là, des résultats satisfaisants, ne sont pas en général pensés pour les enfants et ils les détraquent.
« Le bilan moral accuse un triste passif, remarque Fratello Tito, car le cinéma, hélas ! a fait jusqu'à présent plus de mal que de bien, a inspiré plus de pensées et de désirs malsains que d'impulsions généreuses. » Faut-il le condamner et empêcher d'y aller ? Autant vouloir barrer la route à un torrent. Alors ?… Il faut se servir du 7» art comme d'une forme d'apostolat absolument nouvelle et nécessaire. L'ignorer systématiquement serait fermer les yeux à une lumière éclatante. Un peu partout aujourd'hui se constituent des organismes, des associations pour lutter contre les films immoraux et produire des films artistiques irréprochables. C'est un travail urgent d'Action Catholique…
Que peut faire le Frère catéchiste en l'occurrence ? Former le jugement et la conscience pour se défendre du cinéma corrupteur. Tout le reste est temps perdu, écrit-on d'Amérique. On cite les initiatives de Frères donnant chaque semaine la liste des films sans danger qui passent sur les écrans de la ville. Les enfants en parlent à la maison et le lundi en classe où ils sont questionnés.
6) Les sports. D'après l'ensemble des renseignements reçus, il résulte que le sport a toute la faveur des jeunes. S'il reste en de justes limites, il est à louer et à encourager ; il contribue au développement du corps et de l'âme par l'exercice viril et noble ; il favorise l'effort ; la volonté peut y gagner en endurance et obtenir bon résultat au plan moral. Il n'y a rien à attendre d'un jeune qui redoute la difficulté. Un adolescent ardent au jeu est souvent plus travailleur et presque toujours plus pur que des enfants retenus au foyer où ils s'ennuient. Le sport est un dérivatif, la fatigue est bonne et un remède contre le vice. L'adolescent ayant besoin de se dépenser, il vaut mieux, en un sens, le voir épris de sport que de cinéma et de lectures.
Dans les temps actuels, le sport est jugé le plus attrayant allié des Frères dans la formation des enfants. Le Frère catéchiste devra donc s'intéresser aux sports devant ses élèves, cela peut lui donner une entrée de plus dans les cœurs. Bien des choses seraient encore à noter sur le rôle préservateur des organisations sportives dans les écoles et collèges si elles sont bien dirigées.
c) Difficultés venant des élèves, surtout en période d'adolescence.
En divers pays, on note que les enfants sont assez perméables à l'enseignement religieux jusqu'à 11-12 ans dans les classes primaires et inférieures du secondaire. Avec les 12-16 ans, on se trouve en face de garçons d'une psychologie mouvante, toute en devenir : celle de « l'âge difficile » dont les aspects ont été analysés naguère par Son E. Mgr Blanchet (Pédagogie, n° 5, mai 1950, p. 268) et qui complique singulièrement e travail de l'éducateur religieux. Les maîtres des classes de 4ième 3ième 2nde et 1ière sont unanimes à relever chez les grands élèves une diminution d'intérêt pour les choses religieuses, moins d'ouverture aux mystères de la foi, moins de générosité, d'esprit de sacrifice, et ils en signalent les causes avec une éclairante précision :
1. Le garçon perçoit le désaccord plus ou moins complet entre l'enseignement religieux qui lui est donné et le milieu familial surtout s'il est areligieux et mène une vie de plaisir et de richesse. Il est quasi impossible alors de combattre l'influence de la famille sur des gars de 14-15 ans.
2. Dans l'atmosphère déchristianisée par la littérature, le théâtre, la radio, le cinéma, les vertus chrétiennes sont méconnues, calomniées, méprisées ; les principes d'autorité sont démolis. Les jeunes, imbus de cette mentalité qui considère comme amoral ce qui est immoral, perdent le sens du péché.
3. Le besoin de distractions et la facilité des divertissements, l'enthousiasme pour les valeurs humaines et les progrès techniques, le besoin du changement, la passion de la mécanique, des voitures, des engins nouveaux leur font prendre en dégoût la leçon de religion où ils paraissent lassés, saturés par les redites agaçantes.
4. Il y a la crise de l'indépendance dont l'une des manifestations est l'esprit critique. L'adolescent veut juger avec les lumières de sa raison ; il regimbe contre les exigences de la foi, de la morale, les prescriptions de l'Église ; il veut échapper au contrôle de ses éducateurs ; attitude qui devient parfois une hostilité agressive.
5. Il y a même chez les meilleurs la crise de la piété : cette évolution de la piété enfantine sentimentale passant par la sécheresse spirituelle. Elle est compliquée et aggravée par un manque d'entraînement à la vie liturgique, par la routine de pratiques religieuses imposées, les mêmes, dans certains établissements, depuis les 6 ans jusqu'aux 19 ans.
6. Il y a la crise des sens survenant avec les nouvelles puissances de virilité qui se développent dans le corps des garçons. Si, perdant la maîtrise d'eux-mêmes, ils se laissent aller aux poussées de l'instinct et de la sensibilité et prennent de mauvaises habitudes, ils abandonnent assez tôt la pratique religieuse.
7. Il y a la crise du cœur, délicate et complexe qui pose le problème de l'amour par suite des études littéraires, des lectures et des relations avec les jeunes filles.
8. On note aussi que la classe de première est l'une des plus ingrates parce que les élèves y sont hypnotisés par la préparation intense des examens du baccalauréat. Le problème religieux passe au second plan, surtout si, comme en beaucoup de pays, il ne figure pas au programme des examens officiels. Ils n'en voient pas l'utilité pratique dans la vie. Par contre, en Philo-Mathématiques, la curiosité s'éveille sur les solutions données par la philosophie aux graves questions qu'elle soulève.
9. Tandis que l'adolescent affiche des prétentions à l'indépendance, il est victime du respect humain. Il a une peur extrême du ridicule et n'ose pas braver un sourire désapprobateur. Le respect humain a fait échouer des tentatives de mouvements spécialisés en certains établissements.
d) Difficultés venant des manuels.
Dans le primaire comme dans le secondaire, c'est l'éternelle insuffisance des manuels d'enseignement de la religion. On les dit arides, froids, abstraits, inadaptés aux programmes actuels, insouciants de la pédagogie et de la formation religieuse.
Pour les catéchismes diocésains, c'est un rabâchage s'étendant sur 6 et 8 années, à provoquer la nausée et le dégoût de la leçon de religion. En certaines écoles, il y a aussi la difficulté d'adaptation à des intelligences différentes, à des classements défectueux d'élèves venant de divers milieux, à des divisions multiples dans la même classe.
Les séries de manuels publiés récemment pour l'enseignement religieux dans les cours secondaires en Belgique, en France, en Italie, en Espagne et ailleurs représentent un effort remarquable de pédagogie religieuse.
e) Difficultés venant du clergé paroissial.
Les attitudes du clergé paroissial dans ses rapports avec les Frères catéchistes s'étendent sur une gamme allant de l'incompréhension radicale et la mésestime manifeste jusqu'à la confiance totale et la collaboration étroite.
Il est des cas où aucune entente n'existe entre la paroisse et l'école sur le programme. En quelques régions, les prêtres veulent avoir la haute main sur l'enseignement religieux. Ils ont la prétention intolérable de nier la fonction catéchistique des Frères et de vouloir réduire ceux-ci à l'enseignement des matières dites profanes. Il est d'ailleurs des pays où la vocation religieuse du Frère enseignant n'est ni comprise ni estimée.
En d'autres endroits, l'organisation imposée par les curés ou les vicaires laisse aux Frères la partie ingrate : celle des répétiteurs. Ils doivent faire réciter la leçon aux élèves du catéchisme paroissial. On se trouve parfois avec plusieurs programmes paroissiaux différents pour une même classe, les classements se faisant par âge et non d'après le niveau intellectuel : idée étroite du sens paroissial, qui fait qu'un élève de dixième doit suivre avec ceux de septième et provoque la nausée chez certains enfants.
Grâce à Dieu, il n'y a pas que les incompréhensions réciproques. Il y a les situations où l'on témoigne une estime et une confiance entières aux Frères enseignants. Toute liberté leur est laissée avec le contrôle le plus bienveillant. Il y a coordination prévue, concertée entre la paroisse et l'école. La collaboration est étroite et se fait dans un grand esprit de compréhension.
f) Difficultés provenant de l'éducateur.
Signalées par des maîtres très informés de la psychologie de l'adolescent.
I. La méconnaissance de la mentalité évoluée des élèves, l'incompréhension de leurs façons de réagir. Le Frère catéchiste risque de s'aliéner l'esprit des élèves et par suite de ne pas les accrocher, comme on dit aujourd'hui.
2. La présentation trop accusée des aspects négatifs du dogme et de la .morale donnant l'impression que la religion est un code de mesures restrictives de la liberté.
3. L'exposé dogmatique trop abstrait, trop séparé des valeurs humaines qui enthousiasment les jeunes et donne l'idée d'un conflit irréductible entre les valeurs humaines et la vie pleinement chrétienne.
4. La culture générale insuffisante du professeur et le manque d'intérêt de l'enseignement donné.
5. L'incohérence et la contradiction observée entre la doctrine et la vie dans le catéchiste.
6. La vie surchargée, bousculée du Frère éducateur à qui manque le temps matériel pour enrichir sa valeur personnelle et soigner ses leçons d'instruction religieuse.
Ces remarques très pertinentes nous amènent logiquement à examiner les qualités et la préparation requises du Frère catéchiste.
(A suivre.)
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1 M. Georges Rigault, avait traité le thème : Le Frère catéchiste dans le passé.