Importance et dignité de léducation chrétienne

F. D.

17/Sep/2010

Les motifs qui amenèrent, il y a cent ans, le V. Père Champagnat à faire de la fondation du pieux Institut auquel nous avons le bonheur d'appartenir le pivot de sa vie active durent être multiples. Il voulait certainement, par exemple, glorifier Dieu, honorer Marie, fournir à un grand nombre d'âmes le moyen de se sanctifier par la pratique des conseils évangéliques. Mais, si telles furent, dans l'ordre spéculatif, les fins primordiales qui attiraient sa grande âme, mi ne saurait douter que, dans l'ordre pratique, le mobile qui exerça sur lui l'action la plus pressante, qui aiguillonna le plus puissamment son zèle et finit par l'entraîner à l'action, fut l'intuition admirablement claire et le sentiment extraordinairement profond que Dieu lui avait -donné, d'une part, de l'importance capitale de l'éducation dans l'œuvre du salut des âmes, et d'autre part, de l'éminente dignité de ce ministère, quand on sait s'y adonner en vue de Dieu et en esprit de foi.

Pour en être convaincu, il suffit de se rappeler avec quelle insistance, tandis qu'il conférait avec ses confrères sur les bases à donner à la future Société de Marie, il répéta qu'il fallait des Frères pour faire la classe aux enfants et compléter ainsi l'œuvre des missionnaires, dans quelles circonstances il se décida de mettre la main à son œuvre, et avec quelle persévérance il se refusa à donner des Frères pour toute fonction, pour bonne qu'elle pût être d'ailleurs, si elle n'avait pas un rapport direct avec l'éducation des enfants.

Il sera donc, croyons-nous, tout à fait de circonstance, en commençant le second siècle de notre histoire de famille, de nous arrêter un moment sur la considération de ces deux vérités qui en furent le principe et le point de départ :

1°. Importance de l'éducation chrétienne dans l'œuvre du salut des âmes ;

2°. Eminente dignité de l'éducation chrétienne, quand on la considère avec les yeux de la foi.

Nous conclurons en quelle haute estime nous devons avoir notre vocation, dans quels sentiments d'humilité doit nous tenir la conscience de notre faiblesse en présence de sa grande œuvre, et combien d'application, de zèle et de soins assidus nous devons y apporter.

 

I. — IMPORTANCE DE L'EDUCATION CHRÉTIENNE.

 

C'est une grande vérité que proclamait le Frère Louis, fondateur de l'école de Marlhes, lorsqu'il disait à son jeune confrère :

Nous avons cent enfants dans nos classes ; eh bien, ce sont autant d'âmes dont le salut dépend en grande partie de nous. Ces enfants, pour la plupart, seront toute leur vie, tels que nous les élèverons ; la conduite qu'ils tiendront est entre nos mains. Si nous leur donnons de bons principes, si nous les formons à la vertu, à la piété, ils seront de bons chrétiens, et leur vie sera sainte. Si au contraire nous négligeons de leur faire connaître, aimer et pratiquer la religion ; si nous nous contentons de leur inculquer des connaissances profanes, ils seront à peu près sûrement de mauvais chrétiens, c'est-à-dire des hommes remplis de vices et vides de vertus. De nous on peut dire, en toute vérité, ce que Siméon disait du Saint Enfant Jésus : Ils sont établis pour le salut ou ta perte de plusieurs ; pour le salut de tous ceux dont nous prendrons soin, que nous instruirons et élèverons chrétiennement ; pour la perte de ceux que nous laisserons dans l'ignorance de notre sainte Religion, dont nous ne préserverons pas avec assez de soin l'innocence et que nous ne travaillerons pas à corriger de leurs défauts ‘‘.

Sans doute, il faut se tenir ici en garde contre une tentation fort commune, qui est de surfaire à plaisir les avantages de ce qu'on veut faire estimer, et, sous prétexte de mieux montrer, que l'éducation peut beaucoup, éviter de la représenter comme toute-puissante.

Non, nous devons tout de suite en convenir de bonne foi, l'influence de l'éducation n'est pas souveraine dans la direction d'une vie d'homme : sans compter les cas assez communs où elle rencontre dans les sujets soumis à son action des déficiences ou des prédispositions dont elle ne parvient jamais à triompher, que d'autres fois, hélas ! comme dans les paraboles de l'Evangile, la bonne semence qu'au prix de bien des soins et de fatigues elle avait jetée dans les esprits et dans les cœurs est enlevée par les oiseaux du ciel, séchée, à peine sortie de terre par le vent brûlant des passions naissantes, ou étouffée sous la poussée envahissante de l'ivraie semée nuitamment par " l'homme ennemi’’ !

Mais ces malheurs, tout regrettables qu'ils sont, ne diminuent en rien l'importance de cultiver et de semer. Sans ces deux opérations indispensables, point de récolte possible. Même jetée en terre bien préparée, la semence ne lève pas souvent tout entière, et celle qui lève ne donne que par exception le rendement idéal de cent pour un. Elle ne laisse pas, cependant, en terme moyen, de donner une rémunération raisonnable aux soins du laboureur et de pourvoir à l'alimentation d'une grande partie du genre humain ; tandis que le champ laissé inculte et sans semence ne produirait jamais que des herbes folles et des chardons.

Il en est ainsi de l'éducation chrétienne : elle ne remplit pas toujours pleinement, ni à beaucoup près, toutes les espérances de ceux qui s'étaient appliqués à la bien donner. La fragilité naturelle du cœur ; la légèreté de l'esprit, l'inconstance du caractère ; les mauvais exemples reçus au foyer ; le contact de mauvais camarades ; l'influence tyrannique du milieu plus ou moins libertin ou irréligieux dans lequel la lutte pour l'existence oblige de vivre ; la séduction dé l'orgueil, de l'ambition et des autres passions de toute sorte, sont des dissolvants redoutables auxquels trop souvent ne réussissent pas à résister les sentiments qui semblaient les meilleurs et les plus sincères, les convictions qu'on aurait crues les plus fermes, et les habitudes chrétiennes qui paraissaient les plus solidement enracinées.

Mais, pour affligeant que ce soit, il n'y a lieu de s'en laisser ni déconcerter, ni décourager. Malgré tous les Soins qu'on se donne pour inculquer à tous ceux qui par le baptême sont devenus les enfants de l'Eglise des principes et des sentiments vraiment chrétiens, il y a encore, c'est vrai, parmi eux, des indifférents, des incroyants et même des impies ; mais, grâce à Dieu, grand aussi est le nombre de ceux qui, non contents de professer d'une manière spéculative ces principes et ces sentiments, en font l'âme et la règle de toute leur vie. Or on ne peut certes pas dire que ce soit là un mince résultat. Il est au contraire d'une portée immense pour le salut des âmes, pour la prospérité de l'Eglise et pour le bien de la société.

Il n'est pas contestable d'abord, qu'une bonne et solide éducation chrétienne, si elle n'est un gage infaillible de salut, ne soit au moins, pour l'assurer, un facteur d'une valeur immense.

Elle ne se borne pas, en effet, à faire connaître à l'enfant sa fin surnaturelle avec les moyens d'y parvenir, ce qui serait déjà Lui avantage inestimable : elle lui apprend encore le secret d'être heureux, même des ce monde, par la guerre à ses instincts grossiers, par la pratique des vertus et par le parfait accomplissement de ses devoirs sociaux. Elle éclaire son esprit ; le prévient contre les préjugés et- les fausses maximes ; lui fait goûter, estimer et suivre les bonnes, le met en garde contre les mauvaises passions et les dérèglements auxquels elles conduisent ; lui montre les amabilités et les avantages de la vertu, et lui fait trouver dans la prière et la bonne fréquentation des sacrements, les seuls moyens vraiment efficaces pour y progresser. Elle devient ainsi, selon l'expression d'un écrivain de grand sens et de longue expérience, " l'aliment de sa foi ; une sorte de sens divin qui s'ajoute à ceux de la nature ; un œil qui le porte plus haut que ce bas monde et lui fait entrevoir les splendeurs du ciel ; une oreille qui lui fait entendre des chants d'espérance ; une paire d'ailes qui lui permet de planer au-dessus des vulgarités de la terre, et une sorte de pierre philosophale qui transfigure toutes ses facultés naturelles et les élève à une hauteur admirable’‘.

Qu'il est heureux, l'enfant, le jeune homme, chez qui une éducation vraiment chrétienne féconde ainsi, en les cultivant, tous les dons de Dieu ! En même temps que son intelligence, non obscurcie par la fumée des mauvaises passions, gagne chaque jour en pénétration, en clarté, en étendue ; son cœur s'ouvre comme naturellement à tout ce qui est bon, noble, vertueux ; les prières fréquentes, les réflexions pieuses, les sacrements, les cérémonies religieuses répétées, prolongées, rendues plus attrayantes par la parure des autels, les chants, la magnificence des ornements, l'encens, les fleurs, la musique, la foi, la ferveur, le recueillement des maîtres et des condisciples, exercent sur lui les impressions les plus vives et les plus salutaires. Par tous ses sens et toutes ses puissances, il goûte avec délice combien il y a de douceur sous le joug de la piété, dont les pratiques, qui semblent arides et pesantes à qui ne les connaît pas, deviennent douces et légères à celui qui de bonne heure les a embrassées avec un filial amour. Il fait l'heureuse expérience de tout ce qu'a de vrai ce conseil de l'Esprit-Saint dans l'Ecclésiastique : "Ecoutez, mon fils, recevez l'avis de la sagesse ; mettez vos pieds dans ses fers et engagez votre cou dans ses chaînes ; portez-la et ne vous ennuyez pas de ses liens Quand vous l'aurez une fois embrassée, ne la quittez point ; vous y trouverez à la fin votre repos et elle se changera pour vous en source de joie. Ses fers vous deviendront une protection solide, un fondement de vertus, et ses chaînes un vêtement de gloire ; car il y a en elle une beauté qui donne la vie et ses liens sont des bandages qui guérissent. Trous vous revêtirez d'elle comme d'un vêtement de gloire, et vous la mettrez sur votre tête comme une couronne de joie’’.

Sa jeune vertu, hélas ! est encore loin d'être au port. Avant d'y parvenir, elle devra passer à travers de bien dangereux écueils et essuyer bien des tempêtes ; mais elle est bien orientée, bien pourvue, bien armée, et l'on a de solides raisons d'espérer que, la grâce de Dieu aidant, elle pourra aborder sans de trop graves avaries.

Qu'attendre, au contraire, de celui qu'une bonne éducation religieuse n'a pas préparé à ce périlleux voyage ? Privée du divin flambeau de la foi, sans convictions précises, son intelligence ne sait à quoi se fixer et flotte incertaine à travers un chaos d'opinions contraires au milieu duquel il lui est comme impossible de se reconnaître ; son cœur, affamé d'amour, ne trouvant rien autour de lui des objets si nobles, si purs, si élevés que la religion nous propose, se précipite inconsidérément et comme en désespoir de cause vers les frivolités, les divertissements et les plaisirs du monde. Ses pensées et ses affections n'étant pas tournées vers le ciel penchent de tout leur poids vers les choses matérielles comme on voit s'incliner vers la terre les branches flétries d'une plante qu'un froid précoce a glacée.

Oppressé d'aspirations sans but, comme dit Lacordaire, il s'éloigne des réalités de la vie comme d'une prison où son cœur étouffe ; il demande, mais en vain, à tout ce qui est vague, incertain, dangereux une impression qui le satisfasse en le navrant. Dévoré par une soif brûlante et une faim qu'augmente chaque jour l'insuffisance d'un aliment corrupteur, son cœur se flétrit, ses nobles inclinations se perdent ; il s'épuise avant même d'avoir pu se développer. De mauvais compagnons flattent ses instincts pervers que l'amour du bien n'a point réformés, et toutes ses bonnes dispositions se dessèchent et meurent comme des fleurs trop longtemps privées d'air et de pluie.

Ce qui est plus triste encore, c'est qu'avec l'âge le mal va toujours en croissant. Les exigences des passions devenant plus sérieuses, il verse de plus en plus sa vie dans l'amour des plaisirs dangereux qui ne font que l'amollir et le corrompre. Qu'il se trouve alors en face de quelque grand danger, de quelque séduisante occasion, qu'arrivera-t-il ? Il n'est, hélas ! que trop facile de le prévoir. Sa volonté, non retenue par le frein salutaire de la crainte de Dieu, non entraînée par les luttes journalières contre de moindres tentations et privée de la force surnaturelle qu'apportent le recours à la prière et la bonne fréquentation des sacrements, se laissera presque sûrement entraîner ; et tout fait craindre que, ces chutes se répétant, il ne finisse par devenir esclave de passions qui flétriront sa vie, avant même qu'elle se soit épanouie tout à fait, et qui peut-être ne tarderont pas à lui donner une vieillesse prématurée, sans parler des autres des ordres qui ne manquent guère d'en être la suite.

Pauvre enfant ! Pauvre jeune homme ! issu d'une bonne famille, il arriva peut-être à l'école ou au collège avec toute la fraîcheur de son âme et l'innocente ardeur de ses premières années. Il n'eût pas mieux demandé que de céder aux douces influences de la religion et de la piété ; une voix amie et pieuse eût probablement trouvé en lui un écho fidèle ; la grâce s'y fût ouvert un chemin facile ; l'amour du bien, l'amour de la vertu, en pénétrant dans cette âme, l'auraient largement et délicieusement abreuvée et alimentée : ils l'auraient purifiée, l'auraient fait vivre, et tout en elle se serait comme spontanément orienté. L'existence pour cet enfant aurait eu un but ; il aurait agi pour ce qu'il aimait ; tous ses désirs, toutes ses pensées, toutes ses espérances auraient puisé là une impulsion d'amour ; et quel puissant mobile t'eût été pour le porter à tout ce qui est bon et généreux ! Quel charme divin pour amortir le feu de ses passions naissantes ! Quelle douce joie pour sa belle âme qui s'ouvrait à la vie ! Son cœur était peut-être léger, il avait des ailes qui l'égaraient ; mais, grâce à la religion, grâce à une piété de bon aloi, elles auraient pu lui servir à s'élever ; sa légèreté naturelle n'aurait été qu'une facilité à prendre vers le bien un essor plus rapide et plus hardi1.

Malheureusement tout cela lui a manqué ; au lieu de s'en voir-prêcher l'estime et l'amour par la parole et par l'exemple, il l'a vu traiter avec indifférence et dédain par tous ceux qui étaient au-dessus de lui et autour de lui, lorsqu'on ne s'est pas évertue, même, plus ou moins ouvertement, à lui en inspirer le mépris et la haine. De là les suites.

Oh ! l'éducation chrétienne ! qui l'appréciera à sa vraie valeur ? Qui se fera une juste idée de l'heureuse influence qu'elle peut exercer sur une vie, quand elle a été bien donnée et qu'elle a trouvé dans le cœur de celui qui la recevait une généreuse correspondance ?…

Les impies le savent bien ; et c'est pourquoi, comme le notait encore récemment N. S. P. le Pape, dans la belle Lettre qu'il a daigné écrire au Révérend Frère Supérieur, leur premier soin, partout où ils réussissent à s'infiltrer dans les parties maîtresses de l'organisme social, est toujours de s'attribuer a direction et l'impartition de l'enseignement public, persuadés que s'ils peuvent une fois bannir l'influence chrétienne de l'esprit et du cœur de la jeunesse, ils n'auront pas de peine ensuite à la faire disparaître de la société elle-même. La Sainte Eglise ne l'ignore pas non plus ; et de là, dans l'intérêt du salut des âmes, sa maternelle et constante sollicitude à opposer partout le remède au poison par l'ouverture d'écoles chrétiennes de tous les degrés. En faisant ainsi, du reste, elle ne sauvegarde pas seulement les intérêts spirituels de ses fidèles, mais encore, et de façon très efficace, les intérêts les plus vitaux de la société. "La religion chrétienne, en effet, comme dit avec raison un des plus fermes penseurs de la France contemporain2, est l'arbre où fleurissent les vertus humaines sans lesquelles les sociétés sont condamnées à périr ; partout où elle est vivace les mœurs se relèvent ; partout où elle languit elles baissent. Je vous prie, si vous me faites parler, de le proclamer hautement : on démoralise notre nation en lui arrachant sa foi ; en la déchristianisant on l'assassine. Il n'y a point de sauvegarde sociale hors les vérités du Décalogue. Ce fut la conviction de Le Play ; ce fut celle de Taine et c'est la mienne’’.

 

II. — GRANDEUR ET DIGNITÉ DE L'EDUCATION CHRÉTIENNE.

 

De tout ce que nous venons de dire, on peut aisément conclure la grandeur et la dignité de l'Education chrétienne, non moins que son importance. Elever chrétiennement les enfants, c'est-à-dire éclairer leur intelligence, en y faisant pénétrer la connaissance des choses divines et humaines ; tourner leurs cœurs à la vertu ; tremper leur âme pour la guerre contre les mauvais penchants de leur propre nature et pour les âpres luttes de la vie ; amplifier et multiplier leurs énergies et leurs puissances natives ; chercher à faire de leur cœur et de leur volonté le sanctuaire de vertus dignes de Dieu ; leur montrer le chemin du ciel en leur apprenant à être ici-bas justes, sages pieux et bons ; faire naître ou fortifier en eux les dispositions et les qualités qui font l'homme de bien dans l'intérieur de son foyer et le bon citoyen dans l'exercice des fonctions publiques ; contribuer par là d'une manière très efficace, à faire fleurir dans la société la religion, les bonnes mœurs, la concorde et toutes les vertus qui font son bonheur et sa force : quelle noble, quelle grande, quelle sainte mission ! Elle n'est pas seulement une participation à tout ce qu'il y a de plus grand, de plus digne et de plus honorable ici-bas ; mais encore, et dans un sens très réel, une sorte d'association à l'œuvre même de Dieu.

Elle est comme une image et une extension de l'action créatrice de Dieu le Père. De même, en effet, que l'Esprit du Seigneur plana jadis sur le chaos ténébreux et stérile pour en faire sortir une création splendide ; de même qu'il sépara la lumière d'avec les ténèbres, qu'il peupla le firmament d'astres capables de l'éclairer et que, mettant l'ordre et l'harmonie partout où régnaient auparavant la confusion et le désordre, il embellit son œuvre en répandant sur elle, avec profusion, des splendeurs rayonnantes, reflets de ses perfections infinies ; ainsi l'éducation chrétienne plane sur l'âme encore informe et ténébreuse de l'enfant pour la changer, par la vertu de sa parole, en une âme noble, brillante, pleine de perfections et de charmes. Elle dit, et les ténèbres dont cette âme était enveloppée, se dissipent rapidement pour laisser apparaître les premières lueurs de la vie rationnelle ; du chaos sombre et stérile de sa conscience, surgissent les harmonies du bien ; des astres resplendissants apparaissent au firmament de son intelligence ; des idées sublimes, évoquées des inertes profondeurs du néant, illuminent tout à coup une existence qui, naguère encore, s'ignorait elle-même ; et bientôt cet être si faible, si chétif, a sur les lèvres les paroles ineffables que font monter jusqu'au trône de Dieu la voix et l'amour des anges.

2° Ainsi associée de quelque manière à l'œuvre créatrice de Dieu le Père, l'éducation chrétienne ne l'est pas d'une façon moins étroite et moins admirable à l'œuvre rédemptrice de Dieu le Fils. Quel heureux état, quel sort enviable, celui du premier homme, lorsque, tout rayonnant d'innocence et de justice, il sortit des mains de Dieu qui l'avait créé à son image et ressemblance ! Son corps, modèle de vigueur, de force et de beauté, n'était sujet ni à la maladie, ni aux infirmités, ni á la décrépitude.

Son âme spirituelle, libre et immortelle, était douée de nobles facultés qui concouraient de concert, avec une harmonie admirable à l'acheminer vers sa fin. Son intelligence, naturellement orientée vers le vrai, l'atteignait sûrement, sans efforts, et possédait une science aussi étendue que variée ; sa volonté, exempte de tout penchant vicieux, tendait spontanément au bien, et ses instincts inférieurs obéissaient docilement à ses puissances supérieures. Il ne devait point connaître la mort, destiné qu'il était, après un certain temps d'épreuve, à être transporté en corps et en âme dans le ciel pour y être heureux à jamais.

Malheureusement le péché originel vint troubler tout cela. A peine fut-il consommé, que nos premiers parents sentirent aussitôt l'énormité de leur faute et la profondeur de leur déchéance. D'amis de Dieu qu'ils étaient, ils devinrent ses ennemis et les esclaves du démon ; d'angéliques ou presque angéliques, ils devinrent charnels ; leur corps méconnut la loi de leur esprit ; leurs passions se soulevèrent contre leur raison ; leur vaste science fit place à une ignorance profonde ; leurs instincts pervertis refusèrent d'obéir à leur volonté ; ils furent sujets à la douleur et à la mort ; exclus du paradis terrestre, ils perdirent, avec la grâce sanctifiante, leur droit au royaume du ciel ; et ces lamentables conséquences ne furent pas seulement pour eux, mais pour tous leurs descendants.

Par les mérites de sa naissance, de sa sainte vie et de sa mort sur la croix, qui nous sont appliqués par le Baptême, Jésus, le divin Rédempteur, nous a affranchis de ce qu'il y a d'essentiel dans ces désastreuses conséquences ; mais, comme sujet de conquête et occasion de mérites, il nous a laissé en grande partie ce qu'elles ont d'accidentel et d'accessoire, notamment l'ignorance à dissiper, et les inclinations vicieuses à surmonter. Par la grâce du Baptême, l'enfant redevient l'ami de Dieu et recouvre ses droits au royaume céleste ; mais il lui reste, par ses efforts aidés de la grâce, à réparer lentement, patiemment, en lui les immenses ravages causés par la faute originelle à l'intelligence de notre premier père, à recouvrer, au moins en partie, les lumières qu'il perdit en un instant, et à reconquérir, par une longue suite de victoires sur lui-même, la suprématie primitive de sa raison et de sa volonté sur les passions de son cœur et les mauvais instincts de sa nature pervertie. Or ce travail de réhabilitation de la nature humaine déchue cette reconquête de ses prérogatives perdues, cette restauration en elle de l'œuvre de Dieu dégradée par le péché, cette ré ascension pénible et graduelle de l'homme tombé vers son état d'origine, c'est par l'éducation chrétienne et par exile seule qu'il parvient à l'opérer ; ne peut-on pas dire des lors qu'une telle éducation est bien réellement un rachat, une extension et comme un complément de l'œuvre du Rédempteur ?

Elle est enfin, dans le même ordre d'idées, une participation à l'œuvre sanctificatrice du Saint-Esprit, Cette œuvre mystérieuse, le divin Paraclet l'accomplit silencieusement dans l'âme fidèle, par l'effusion de ses dons, c'est-à-dire par la création en elle d'habitudes surnaturelles qui la perfectionnent, l'embellissent, la rendent docile aux impressions de la grâce et y produisent, quand elles y trouvent une exacte correspondance, des fruits de vertu. C'est par là qu'il nous fait croître pour le salut ; que, de l'enfance dans la vie de la grâce où nous avait mis le Baptême, il nous fait passer à la virilité de parfaits chrétiens, d'athlètes armés pour les luttes de la vertu ; que, nous dépouillant du vieil Adam ou de l'homme selon la nature, il nous revêt de Jésus-Christ, le nouvel Adam ou de l'homme selon la grâce et nous fait vivre de la vie même de l'Homme-Dieu.

Or c'est à un but tout pareil que tend l'éducation vraiment chrétienne. Son idéal, à elle aussi, est d'enter, sur le type restauré de l'homme parfait selon la nature, l'homme parfait se-]on la grâce, le vrai chrétien, l'homme surnaturel, qui ne vit pas seulement de la vie animale, ni même de la vie rationnelle, mais de la vie divine, de la vie de Jésus-Christ. Et pour y parvenir, elle emploie des moyens similaires ; elle tâche également, de son côté, de créer dans l'enfant, de bonnes habitudes qui, en paralysant l'effet de ses tendances vicieuses, l'inclinent efficacement au bien, et qui, secondées par la grâce, produisent en lui, si elles trouvent dans sa bonne volonté la condition nécessaire de leur effet, des fruits de vertus non seulement humaines, mais chrétiennes. Par son action naturelle et extérieure, elle symbolise et seconde d'une façon très réelle, l'action surnaturelle et intérieure de l'Esprit sanctificateur.

 

Ill. — CONCLUSION.

 

Oh ! que ces considérations, si nous les faisons sérieusement, seront propres à nous faire estimer et aimer notre vocation, et nous porteront à remercier Dieu de nous avoir appelés à l'accomplissement d'une mission si grande et si sainte ! Nous ne nous étonnerons pas d'entendre le saint Frère Pascal dire à tel ou tel de ses subordonnés, trop porté à n'avoir qu'une estime insuffisante de sou état : "Voyez, mon cher ami, combien votre tâche est supérieure à celle des compagnons que vous avez laissés dans le monde : ils travaillent sur une matière brute et inerte, et vous, vous travaillez sur des intelligences, sur des âmes capables de connaître Dieu et de l'aimer ; ils gagnent de l'argent et vous gagnez des âmes ; ils courent après les biens de la terre et vous recueillez les biens de la grâce, le prix du sang de Jésus-Christ… Quelle œuvre, mon Frère, que celle qui vous est échue ! qu'avez-vous fait pour que Jésus-Christ vous confie une telle mission ? Instruire cent enfants, travailler au salut de cent âmes, quel trésor de mérites pour le ciel ! Peut-on trouver un emploi plus noble ? Ne me dites pas qu'il est pénible : les choses précieuses chargent si agréablement, qu'on ne voudrait pour rien être débarrassé de leur poids ; plus elles pèsent, au contraire, plus on est content, car plus on est riche… En voyant dans votre lettre que 25 de vos enfants se préparent à la Première Communion, j'ai été saisi d'une sainte envie, Quelle belle tâche d'imiter le saint Précurseur du Sauveur, et de préparer, à son exemple, les voies à Jésus Christ !’‘

Mais d'autre part, au lieu de nous enorgueillir, la dignité d'une si noble et si sainte tâche, quand nous comparons ce qu'elle demanderait avec ce que nous pouvons y apporter, a bien de quoi nous inspirer de justes et profonds sentiments d'humilité. Des anges seraient à peine dignes de l'entreprendre ; que sommes-nous donc pour oser y mettre la main, nous en qui l'expérience, la patience, la sagesse, le zèle, l'esprit de foi, et peut-être bien d'autres vertus nécessaires laissent tant à désirer ? Heureusement crue Dieu demande avant tout la bonne volonté et que, lorsqu'il la rencontre chez ceux qu'il a choisis, il a coutume de suppléer lui-même à ce qui peut leur manquer. Cela doit nous donner confiance ; mais que du moins cette bonne volonté, chez nous, ne soit jamais en défaut. Mettons à l'accomplissement de la belle œuvre qui nous est confiée tout le soin, toute l'application, toute la sollicitude et tout le dévouement dont nous sommes capables : alors, tout en gardant très vif comme il convient, le double sentiment de notre responsabilité et de notre faiblesse, nous aurons droit de nous appliquer les paroles par lesquelles il fit annoncer ici-bas la naissance temporelle de son divin Fils : "Gloire à Dieu dans le ciel et paix sur ta terre aux hommes de bonne volonté’’.

                                                                                                       F. D.
____________________________

1 Cf. Mgr. Amable Béesau : l'Esprit de l'Education, VI.

2 Paul Bourget.

RETOUR

Nos défunts...

SUIVANT

La région du mont Pilat et nos premiers Etab...