La Maison de formation de Bairo

17/Sep/2010

A l'époque tristement mémorable de la Grande Dispersion au mois de mai 1903, les débris des maisons de formation de la province de Varennes allèrent pour la plupart chercher un asile pour leur vocation dans la maison d'Amchit (Liban) et formèrent plus tard un appoint important pour le développement de la province de Syrie. Quelques jeunes Frères vinrent abriter la leur à Piossasco, non loin de Turin, avec les réfugiés de N. D. de Lacabane : mais ce ne fut pas pour longtemps. Quelques mois plus tard, leur formation terminée, ils partaient à leur tour, les uns pour la Syrie et les autres pour le Brésil.

Le recrutement de la provint se trouvait ainsi complètement arrêté, le souci de sauver les vocations menacées par la tempête ayant fait oublier un peu, comme c'est naturel, le soin d'en recueillir de nouvelles. Mais, dès que l'horizon se fut un peu rasséréné, on ne tarda pas à sentir combien cet arrêt momentané était préjudiciable aux œuvres, et la prompte reconstitution des juvénats et du noviciat apparut de nouveau, plus nettement que jamais, une question capitale pour leur avenir.

On se remit donc courageusement à l'œuvre, et, grâce à Dieu ce ne fut pas sans fruit. Dès la fin de 1906, la province de Varennes comptait déjà de nouveau, pour sa part, près d'une trentaine de juvénistes ou postulants, réunis provisoirement, avec ceux de la province de S. Denis, dans la maison de San Maurizio ; où l'espace à cette époque n'abondait pas.

Il fallut songer à leur trouver un refuge ailleurs. Or, à l'angle N.-E. de la propriété de Grugliasco, il y avait une maisonnette occupée par un vieux jardinier qui, d'après une réserve insérée dans l'acte d'achat, avait droit d'y résider sa vie durant. Moyennant une indemnité, il consentit à la laisser libre, et, grâce à quelques aménagements, les juvénistes de Varennes, au nombre d'une douzaine, qui se trouvaient à San Maurizio, purent venir s'y installer au mois d'avril 1907.

 Ils y furent les bienvenus ; et, pendant deux ans, leur présence commença à mettre un peu de vie et de gaîté dans cette maison dont les ruines encore mal réparées respiraient je ne sais quelle vague odeur d'attristante solitude. La bénédiction du bon Dieu les y multiplia jusqu'à les faire arriver, au bout de quelques mois ; au nombre de 25 et même de trente et plus ; et, par leur docilité, leur application, leur bon esprit et leur piété, ils faisaient renaître des espérances qu’un moment on avait presque perdues.

Les plus âgés, pendant ce temps, étaient restés à San Maurizio pour faire leur postulat et leur noviciat conjointement avec ceux de la province de Saint-Genis, dont le nombre allait aussi croissant, tandis que la capacité du local restait toujours la même. La ruche était plus que pleine, et les novices, pour faire du large, éprouvaient le besoin d'essaimer à leur tour comme avaient déjà fait les juvénistes. Mais où aller ?…

Cette question ne les préoccupait pas outre mesure, car ils savaient que d'autres y pensaient pour eux ; mais il n'en était pas de même de leur Frère Assistant, le C. F. Augustalis, qui s'épuisa longtemps en vaines recherches d'une situation acceptable.

A la fin, cependant, ses courses et ses fatigues eurent un succès meilleur qu'il n'aurait d'abord osé prétendre. Il a souvent béni Dieu depuis de les avoir poussées jusqu'au bout et de n'avoir pas accepté, pour les abréger, des offres qui n'auraient résolu la question qu'à demi. Donc, après lui avoir laissé essayer successivement bien des pistes dont l'aboutissant commun fut une déception, son bon ange le dirigea du côté d'Ivrée, vers un petit village situé à une cinquantaine de kilomètres au N.E. de Turin. et à une demi-lieue à l'E. de Castellamonte. Là on lui fit voir une maison relativement vaste, en assez bon état de conservation, qui par sa disposition pouvait se prêter facilement à la cohabitions d'un juvénat et d'un noviciat en leur laissant à chacun une indépendance relative, et devant laquelle s'étendait comme annexe un enclos d'un peu plus d'un hectare. Elle appartenait, lui dit-on, à Mr le comte d'Emarese, tout disposé à la vendre ou à la louer.

"Eurêka ! Voilà enfin ce qu'il nous faut", se dit-il à lui même. Et il s'en revint en disant un bon Magnificat’’ Le Révérend Frère et plusieurs autres Supérieurs auxquels il la fit voir, la trouvèrent également fort propice, et des négociations entamées bientôt après avec le propriétaire aboutirent à un bail pour trois ans avec faculté de le prolonger dans les mêmes conditions pendant deux autres périodes égales, et les travaux d'adaptation furent aussitôt entrepris.

Au mois de décembre 1908 les postulants pouvaient déjà s'y transporter, et les juvénistes les y suivaient au mois d'avril 1909 pour laisser place au Juvénat Saint François-Xavier que, pour répondre à un vœu du Chapitre Général de 1907 on avait résolu de fonder à Grugliasco.

Depuis lors, grâce à Dieu, le juvénat-noviciat de Bairo, souvent renforcé d'un scolasticat, n'a pas cessé d'être, comme d'ailleurs tous ses analogues de la région piémontaise, un centre de formation plein d'activité, d'où sont déjà sortis, à destination du Brésil Central et de la Syrie, une soixantaine de jeunes sujets, sans compter ceux qui font actuellement leur scolasticat à Grugliasco et ceux, — en trop grand nombre, hélas ! — qui ont été pris par la mobilisation et sont sous les drapeaux.

Situé en pleine campagne, au milieu des vignobles, des vergers, des prairies et de champs couverts de cultures diverses sous un ciel des plus agréables, la maison présente des avantages de salubrité qu'il serait difficile d'imaginer plus grands et les collines boisées des environs offrent des buts de promenade aussi charmants que variés.

— Mais alors, devez-vous dire, nos chers lecteurs, c'est un vrai paradis terrestre que ce nid de Bairo.

— C'est au moins quelque chose d'approchant vous répondent à l'envi tous ceux du présent et du passé qui ont ou qui ont eu la faveur d'y grandir.

Si vous étiez tentés de croire qu'ils exagèrent tant soit peu, vous seriez peut-être excusables ; mais songez qu'ils ne le sont pas moins : ils n'ont pas vu l'autre paradis terrestre ; et vous — cela se sent — vous n'avez pas vu celui-là.

Il y a quelque trois ans, un des juvénistes, qui allait faire une visite à sa famille, se rencontra dans un wagon de chemin de fer avec un des plus hauts dignitaires de la Congrégation, qu'il ne connaissait pas autrement que par son costume. Il s'approcha néanmoins de lui, le salua gentiment et lui dit qu'il était du juvénat de Bairo. Naturellement la conversation ne tarda pas à tomber sur la maison, dont le jeune homme, parlant de l'abondance de son cœur, se mit à dire spontanément toute sorte de bien. Directeur, aumônier, professeurs, employés, camarades, maison, pays : tout, hommes et choses, eut successivement son petit panégyrique fait sans prétention, mais avec l'assurance aisée et modeste d'un enfant qui parle des choses de sa famille.

— Cependant, avec le nombre que vous êtes, vous devez être bien serrés, lui dit son interlocuteur, qui l'avait écouté avec beaucoup d'édification.

— C'est vrai, répondit-il en souriant, mais l'inconvénient n'est pas grave : on a besoin de si peu de place quand on est petit ! D'ailleurs, s'il plaît à Dieu, nous serons plus au large l'an prochain : nous allons acheter la maison voisine.

En entendant ce "nous" prononcé d'une façon si hardie et si naturelle, l'interlocuteur fut d'abord tenté de sourire ; mais réfléchissant, il demeura plus édifié que jamais. "Voilà en somme, se dit-il, un enfant qui se fait une vraie idée de sa situation flans l'Institut. Si jeune qu'il soit, dès qu'il a été reçu et qu'il a l'intention de persévérer, il fait vraiment partie de la famille, et par conséquent il peut et doit se considérer comme participant de tout ce qu'elle a et de tout ce qu'elle fait. Quand donc elle achète une maison, qui que ce soit qui passe l'acte et en paye le prix, elle est à lui comme à tous les autres membres et il peut, comme eux tous, dire très proprement en parlant : Nous l'avons achetée. C'est un des aspects les plus apparents, sinon les plus élevés, du centuple qu'on trouve dans la vie religieuse’‘.

Cette maison, à laquelle faisait allusion notre sympathique juvéniste, est une fabrique appartenant à un nommé Dupré, située en face de la maison du noviciat-juvénat, dont elle serait un complément très heureux. Son acquisition, dont il était, en effet, sérieusement question à cette époque, n'a pas eu lieu aussitôt qu'on le pensait, la guerre étant venue malheureusement se mettre en travers ; mais tout fait espérer que la divine Providence n'a pas dit son dernier mot à ce sujet, et qu'à l'heure marquée par Elle, novices et juvénistes, longtemps trop serrés, auront enfin, grâce à cette acquisition, le moyen de se mettre au large.

Nous demandons aux lecteurs du Bulletin une prière pour que cette heure ne se fasse pas trop attendre, et pour que le Seigneur continue à répandre sur la chère maison de Bairo les bénédictions dont Il l'a si bien favorisée jusqu'ici.

RETOUR

Le Collège San Leone Magno...

SUIVANT

Le centenaire de lengagement pris par douze j...