La prière: son excellence, ses fruits
25/Sep/2010
Si parmi les grands devoirs de la religion, où tout s'enchaîne avec une solidarité si étroite, il était possible d'établir une hiérarchie, il faudrait certainement placer la prière au rang des plus incontestables, des plus essentiels et des plus avantageux pour nous.
Elle est la forme la plus naturelle du tribut d'hommage, de louange, de respect, de reconnaissance et d'amour qu'en tant qu'êtres raisonnables nous devons à notre créateur. Elle seule nous permet, en tant qu'êtres déchus, de combler le vide immense que crée en nous le souvenir de notre première origine. Elle est pour notre pauvreté, pour notre misère, le grand moyen de se manifester à Celui qui seul peut y porter remède, et de lui demander son secours.
En tant que chrétiens et religieux, elle est une pratique dont le Divin Maître nous a fait un précepte formel. Demandez, nous dit-il, et vous recevrez, faisant ainsi de la prière, non seulement le divin canal par où tous les biens célestes doivent nous être communiqués, et la clef de tous les trésors de la miséricorde ; mais la condition de la concession du secours de la grâce sans lequel nous ne pouvons rien dans l'ordre du salut. D'où il suit, dit Bourdaloue, en s'appuyant sur le Docteur angélique, que toute confiance en Dieu qui ne serait pas fondée sur la prière et soutenue par la prière, serait une confiance vaine et présomptueuse.
Forme naturelle du tribut d'hommage et de louange que nous devons à Dieu notre créateur, moyen par excellence de nous élever à Lui pour lui exposer nos besoins ou lui demander son secours, et clef unique des indispensables trésors de la grâce, la prière est ainsi, dans un sens très réel, la condition de notre salut; aussi n'y a-t-il qu'une voix parmi les Saints Pères, les Docteurs de l'Eglise et les Maîtres de la vie spirituelle pour en proclamer la nécessité, pour en célébrer les privilèges, pour en exalter les bienfaits et pour en recommander la pratique, de même que tous les saints de l'ancien et du nouveau testament ont été d'accord pour en faire un fréquent et fervent usage.
St. Pierre exhorte les premiers fidèles à unir la prière à la vigilance pour éviter les surprises du démon, notre ennemi, qui rôde sans cesse autour de nous comme un lion rugissant en quête d'une proie. St. Paul enseigne que la piété, dont la prière est l'expression par excellence, est utile à tout; qu'elle a les promesses de la vie présente et celles de la vie future. St. Ambroise compare la prière à un bouclier impénétrable contre lequel viennent se briser tous les traits de l'ennemi, et nous invite à y recourir si souvent qu'il ne s'écoule, pour ainsi dire, aucun moment de notre vie sans que nous priions. St. Augustin, après avoir appelé la prière la colonne des saintes vertus et l'échelle du ciel, affirme que c'est savoir bien vivre que de savoir prier.
Selon St. Jean Chrysostome, la puissance de la prière est si grande qu'elle sait rendre possible ce qui était impossible, et facile ce qui était difficile. Le rugissement du lion est moins propre à mettre les animaux en fuite que la prière à chasser les démons. C'est une arme commode, un trésor continuel, une mine inépuisable, un port tranquille. C'est la créatrice, la mère, la racine et la source de tous les biens. Pour Saint Grégoire de Nysse, elle est la défense de la chasteté, la sauvegarde de la sainteté, le frein de la colère, la ruine de l'envie, la mort des vices, la gardienne des vertus, le soutien de ceux qui veillent, la consolation des affligés, etc. Saint Bonaventure la compare très justement à une pompe, au moyen de laquelle nous puisons la grâce du Saint-Esprit à cette source de douceur qui déborde de la Trinité sainte. Dans la prière, dit Saint Bernard, on boit le vin céleste qui réjouit le cœur de l'homme, le vin du Saint-Esprit, qui enivre l'âme et fait oublier les plaisirs charnels, ce vin qui convertit en la substance de l'âme les aliments des bonnes œuvres et nourrit toutes les facultés, fortifiant la foi, consolidant l'espérance, donnant de la vigueur et de l'ardeur à la charité, et affermissant les mœurs.
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Mais, parmi tous ces apologistes de la prière, celui qui renchérit sur tous les autres et insiste avec le plus d'instance sur la nécessité où nous sommes d'y recourir souvent et d'une manière fervente, est encore saint Alphonse de Liguori, dont nous ne croyons pas pouvoir mieux faire que de résumer ici la remarquable doctrine à ce sujet.
"Convaincu, comme je suis, dit-il, de la nécessité de la prière, je voudrais que tous les livres qui traitent de spiritualité, tous les prédicateurs dans leurs sermons, tous les confesseurs au tribunal de la pénitence se fissent un devoir de s'attacher pardessus tout à persuader fortement ceux qui les lisent ou les écoutent du besoin où nous sommes de prier sans cesse, ne se lassant jamais de leur dire et de leur redire:
Priez, priez, priez,
et ne cessez jamais de prier. Si vous ne priez pas il est certain que vous vous damnerez…
Il est vrai qu'on recommande aux âmes plusieurs autres moyens fort bons pour se conserver dans la grâce de Dieu, comme de fuir les mauvaises occasions, de fréquenter les sacrements, de résister aux tentations, d'écouter la parole divine, de méditer les vérités éternelles, etc., autant de pratiques salutaires, tout le monde en convient; mais, je le demande, à quoi servent les sermons, les méditations et tous les autres moyens que donnent les maîtres de la vie spirituelle, sans la prière, puisque le Seigneur a déclaré ne vouloir accorder ses grâces qu'à ceux qui prient: Demandez et vous recevrez! — Sans la prière, selon la conduite ordinaire de la Providence, toutes nos méditations, toutes nos résolutions toutes nos promesses seront inutiles. Si nous ne prions pas, nous serons toujours infidèles à toutes les lumières que nous recevrons de Dieu et à tous les engagements que nous aurons pris.
La raison en est que, pour faire actuellement le bien, pour vaincre les tentations, pour exercer les vertus, en un mot pour observer entièrement la loi divine, les lumières reçues, nos propres considérations, nos bon propos, ne suffisent point: il faut de plus le secours actuel de Dieu, or, ce secours actuel, le Seigneur l'accorde à ceux-là seuls qui prient avec persévérance. Les traits de lumière, les considérations, les bons propos, font que dans les tentations et les dangers de transgresser la loi de Dieu, nous recourons actuellement à la prière, et par la prière nous obtenons le secours qui nous préserve du péché. Si dans ce cas nous négligions de prier, nous tomberions…
Les textes de l'Écriture qui prouvent la nécessité où nous sommes de prier si nous voulons nous sauver sont extrêmement clairs: IL FAUT toujours prier. Veillez et PRIEZ, afin que vous ne tombiez pas en tentation. DEMANDEZ et il vous sera donné. Ces termes disent les théologiens sont impératifs, ils imposent une obligation. C'est pourquoi, selon le savant Lessius, on ne peut nier sans pécher contre la foi que la prière soit nécessaire aux adultes pour se sauver, puisqu'il est évident, d'après les saintes Ecritures, que la prière est pour eux l'unique moyen d’obtenir les secours nécessaires au salut.
"Et s'il faut en donner la raison, nous la trouvons dans le fait que sans le secours de la grâce nous ne pouvons rien, selon la parole de Jésus-Christ, qui a dit expressément: Sans moi vous ne pouvez rien faire. Saint Augustin remarque à ce sujet que le Sauveur n'a pas dit: Vous ne pouvez rien achever; mais: vous ne pouvez rien faire. De là cette sentence de Gennade: "Nul ne parvient au salut sans le secours de Dieu; nul n'obtient ce secours sans la prière".
Ce n'est pas, dit Saint Thomas, qu'il soit nécessaire de prier pour que Dieu connaisse nos besoins; mais Dieu nous oblige de prier afin que nous comprenions nous-mêmes la nécessité de recourir à Lui pour recevoir les secours nécessaires au salut, et que par là nous le reconnaissions pour l'unique auteur de tous les biens que nous avons…
D'ailleurs, Dieu, qui est la vérité même, promet d'accorder tout ce qu'on lui demande dans l'ordre du salut. Pour nous en convaincre, pesons bien les termes dont se sert notre divin Sauveur: Demandez, dit-il, et vous recevrez; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira… Votre Père céleste donnera ses biens à ceux qui les lui demandent quiconque demande obtient, et obtient tout ce qu'il veut. Tout ce que vous voudrez, demandez-le et cela vous sera accordé. Mais il faut prier au nom de Jésus. En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous l'accordera –pourvu que la prière soit confiante: Quoi que ce soit que vous demandiez dans la prière, croyez que vous l'obtiendrez.
Par ces promesses, Dieu s'est engagé à nous accorder, dans l'ordre du salut, toutes les grâces que nous demandons. Il n'est donc pas d'homme plus puissant que celui qui prie, parce que la prière le rend participant de la puissance même de Dieu. La prière, en d'autres termes, est toute-puissante; notre âme acquiert par elle une vertu divine qui la met au-dessus de toutes les puissances créées.
"Qu'on ne dise donc pas avec Luther et Calvin que l'observation de la loi de Dieu est impossible aux mortels depuis le péché d'Adam, ni avec Jansénius que nous sommes privés de la grâce qui nous aurait rendu possible l'accomplissement des préceptes divins. L'Église a condamné ces doctrines au concile de Trente, elle a expressément affirmé que Dieu ne nous commande rien d'impossible; mais qu'il nous avertit de faire ce que nous pouvons avec l'aide de la grâce ordinaire, et de lui demander par la prière l'augmentation de grâce nécessaire pour accomplir ce que nous ne pouvons faire sans ce secours; et alors il nous rend la chose possible en suppléant à notre faiblesse. D'où il suit que Dieu donne ou du moins offre à tous les hommes soit la grâce prochaine nécessaire pour observer ses commandements, soit au moins la grâce éloignée, c'est-à-dire la grâce de la prière, par laquelle chacun obtient la grâce prochaine dont il a besoin pour remplir les commandements que la loi de Dieu lui impose. Le Seigneur est prêt à nous accorder le salut et les grâces nécessaires pour y parvenir; mais il exige que nous les lui demandions sans cesse, même jusqu'à l'importunité…
"La conclusion de tout ceci est que notre salut dépend réellement de la prière; que celui qui prie se sauve certainement, et que celui qui ne prie pas se damne d'une manière non moins certaine. Tous les élus, hormis les enfants, se sont sauvés par la prière, et tous les damnés se sont perdus, pour n'avoir pas prié; s'ils eussent prié, ils ne se seraient point perdus. Leur plus grand désespoir, dans l'enfer, est et sera toujours d'avoir pu se sauver si facilement en demandant à Dieu les grâces dont ils avaient besoin et de n'être plus à même de les demander.
Ainsi donc, PRIEZ, PRIEZ, PRIEZ ! Sainte Thérèse aurait voulu, disait-elle, se placer sur une montagne d'où elle eût pu se faire entendre à tous les hommes uniquement pour leur crier de toutes ses forces:
Priez. priez… priez1 !
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Le moyen — pour un chrétien et surtout pour un religieux vraiment soucieux de son salut et de celui du prochain — de demeurer sourd à une invitation si instante et si solidement motivée, venue de deux esprits si éclairés, de deux âmes si saintes, et qui n'est d'ailleurs que l'écho de celle du divin Maître lui-même ?…
Oui, la prière étant à la fois si nécessaire, si puissante, si bienfaisante, il faut prier, il faut prier beaucoup, il faut prier fervemment, et avec toutes les conditions de foi, d'attention, de confiance et de persévérance qui donnent à la prière, en la rendant agréable à Dieu, toute son efficacité propre. Il faut. prier pour nous, prier pour nos parents, pour nos Supérieurs, pour nos confrères, pour nos élèves, pour la Sainte Eglise, pour notre Institut et toutes ses œuvres.
Ce n'est même pas assez de prier actuellement le plus fréquemment et le plus fervemment possible; il faut encore nous efforcer d'acquérir ou de fortifier en nous la piété, l'esprit de prière, qui fait que nous prions, et d'une façon très réelle non seulement pendant les moments nécessairement limités que nous consacrons à la prière proprement dite, mais que, par l'effet de la grâce sanctifiante qui habite en nous et de l'intention surnaturelle que nous avons soin de leur donner, toutes nos actions sont autant de vraies prières.
C'est de cette façon, et de cette façon seule, observe Fénelon, que nous pouvons accomplir le précepte du Divin Maître, qui nous ordonne de prier sans cesse et sans jamais nous lasser: opportet semper orare et nunquam deficere. Evidemment nous ne pouvons pas toujours réciter des prières vocales, toujours méditer, toujours être à genoux à la chapelle ou à la salle des exercices : appelés comme nous sommes à une vie active dans la société, nous avons des devoirs qui seraient incompatibles avec un pareil commandement; mais ce que nous pouvons et devons toujours tâcher de faire, c'est d'agir toujours avec une intention pure en nous renouvelant souvent dans le désir de tout faire selon Dieu et pour Dieu.
Par là, tout dans notre être: pensées, désirs, volontés, actions, devient une prière continuelle, un hymne sans fin, une immolation de tous les instants au bon plaisir de Dieu. Ce qui faisait dire en termes presqu'identiques: à saint Augustin, que le juste ne cesse jamais de prier, parce que c'est toujours prier que de toujours bien vivre; à saint Bonaventure, que le juste prie toujours tant qu'il fait tout selon Dieu, qu'il ne cesse de prier qu'en cessant d'être; et au B. Thomas à Kempis que c'est toujours prier que de bien faire, et qu'on ne cesse pas de prier tant qu'on gémit sur les maux du passé et qu'on soupire après les biens de l'avenir.
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1 D'après le P. de Saint-Omer, Red.: Les plus belles Prières de St. Alphonse de Liguori, introduction.