La Province du Mexique
13/Sep/2010
L'ouragan de jacobinisme qui s'est déchaîné récemment sur notre province du Mexique donne à tout ce qui s'y rapporte un intérêt de triste actualité ; et nous avons cru opportun de profiter de la circonstance pour offrir à nos lecteurs quelques détails circonstanciés sur son origine, ses progrès et son œuvre féconde. Ce sera répondre, nous le savons, au désir unanime de leurs cœurs, où l'affliction de ces confrères éprouvés a rencontré partout un retentissement si douloureux.
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Dans sa grande masse, le Mexique est un pays foncièrement catholique ; mais, par une anomalie malheureusement trop fréquente, il se trouve enchaîné dans la traduction extérieure de ses croyances par tout un système de lois oppressives qu'a réussi à lui imposer une minorité audacieuse de francs-maçons en se couvrant à ses yeux du fallacieux manteau du libéralisme.
La Constitution de 1857 et les lois dites "de réforme" qui suivirent ont consacré la séparation complète de l'Eglise et de l'Etat la nationalisation des biens ecclésiastiques, l'abolition des Ordres religieux et la confiscation de leurs biens, la sécularisation des cimetières, l'obligation du mariage civil, et le monopole pratique de l'enseignement officiel ; car l'enseignement libre n'est toléré, ou du moins admis à avoir des effets légaux, qu'à condition de suivre les programmes et de subir les examens des établissements de l'Etat.
Cependant, la République étant fédérale, chacun des Etats a le droit de légiférer, même en matière scolaire, en ce qui le regarde spécialement ; et, pendant les dernières années du XIX° siècle et les premières du XX°, la plupart d'entre eux en avaient notablement rabattu sur la rigueur de ces dispositions draconiennes. C'est ainsi qu'en matière d'enseignement nombre de collèges catholiques, même dirigés par des congrégations religieuses, avaient été équiparés aux lycées officiels avec le droit de délivrer des diplômes et cela sans protestation de la part du pouvoir central, qui feignait de l'ignorer pourvu que la chose se fit sans éclat.
Profitant de ces dispositions tolérantes les Evêques pensèrent à réorganiser l'enseignement catholique, jadis florissant, mais tombé presque à rien depuis les proscriptions de Juarez ; et beaucoup d'entre eux, dans leurs voyages à Rome, cherchèrent, dans ce but, à attirer dans leurs diocèses respectifs des congrégations européennes enseignantes. C'est à ce dessein qu'a plusieurs reprises Mgr Loza, Archevêque de Guadalajara, par l'intermédiaire de la Société de Saint Vincent de Paul, avait demandé â nos Supérieurs une communauté de cinq ou six Frères pour sa ville archiépiscopale.
Le défaut de sujets suffisamment formés pour pouvoir enseigner en langue espagnole et les dispositions peu rassurantes de la législation du pays l'égard des Instituts religieux les avaient fait hésiter longtemps ; mais, en 1899, une nouvelle et plus pressante demande leur étant venue, ils crurent y voir une expression de la volonté de Dieu, et, se confiant en la Providence, ils acceptèrent la fondation d'un collège à Guadalajara sous les auspices d'un Comité composé d'honorables ecclésiastiques et de catholiques généreux.
Guadalajara, capitale de l'Etat de Jalisco, est, à tous les points de vue, une des villes les plus importantes de la République Mexicaine. Sa population, éminemment catholique dans son ensemble, dépasse 100.000 âmes ; son climat, sauf dans les mois d'avril et de mai, où il est un peu chaud, est vraiment délicieux, et, pour tout ce qui a trait à la beauté des édifices, à la distinction des manières, à l'élégance de la société et aux commodités de la vie, elle n'a guère à envier aux plus belles cités européennes. La venue des Frères y était vivement désirée et tout laissait espérer qu'ils pourraient y faire du bien.
Partis du Havre le 1ier juillet 1889, les Frères Pierre-Damien, Anselmo et Filogonio, qui devaient former le premier noyau de la communauté, arrivèrent à destination six semaines après et trouvèrent le plus sympathique accueil. Dès la première gare située dans l'Etat de Jalisco. ils se rencontrèrent avec un des principaux membres du Comité, M. Ramón Castañeda, qui était venu les attendre en compagnie d'un de ses jeunes fils ; puis, à la gare de la ville elle-même, ce fut le Comité au complet qui vint à leur rencontre ; et le lendemain, un des journaux catholiques du pays leur souhaitait la bienvenue en Ces termes, après avoir fait un grand éloge de l'esprit qui anime la Congrégation, et de l'œuvre bienfaisante qu'elle accomplit à travers le monde : « Soyez les bienvenus, hommes choisis pour mettre les premiers fondements à la plus noble des entreprises. Nous vous saluons arec reconnaissance, au moment où, pour la première fois vous posez le pied sur le sol de notre cité chérie ; parce que nous savons que pour nos enfants, qui sont le sang de notre sang et l'âme de notre âme, vous n'avez pas hésité à quitter votre belle patrie, et à braver tous les dangers d'une mer orageuse. Vous venez sauver nos fils, soyez bénis »
Les espérances, on le voit, étaient belles : mais elles ne seraient naturellement que plus difficiles à réaliser. C'était bien toutefois la ferme résolution des Frères de faire le possible pour qu'elles ne fussent pas une déception ; et, la grâce de Dieu aidant, ils y parvinrent dans une bonne mesure, Commencé bientôt après, dans une maison qui, lors de l'intervention française, en 1867, avait été le logement du général Bazaine, le Collège de l'lmmaculée-Conception ne tarda pas à être hautement apprécié. Avant la fin de la première année scolaire, il avait atteint le beau chiffre de 120 élèves, et au cours de la seconde, le registre matricule reçut 250 inscriptions. D'autre part les enfants, généralement dociles, affectueux, appliqués et très disposés à la piété faisaient la consolation de ne leurs maitre et les parents se montraient satisfaits.
Il est vrai que le diable, lui, ne l'était pas du tout, ne tarda pas à mettre ses suppôts en campagne pour essayer de ruiner ces promesses de bien. Les ennemis de la religion, qui étaient naturellement aussi ceux du collège, cherchèrent par un dénigrement systématique et des propos calomnieux à lui susciter des entraves : l'incommodité du local et l'insuccès des premières tentatives faites pour l'échanger contre un plus convenable mécontentèrent quelques parents, et une concurrence aussi active qu'inattendue en profita pour lui soutirer des élèves, mais, aux heures les plus mauvaises, la valeur reconnue de son enseignement, l'excellent esprit de la maison et l'indéfectible confiance d'un grand nombre des meilleures familles lui furent toujours un puissant réconfort et lui permirent de se maintenir quand même en très bonne posture. Dernièrement, il était en pleine prospérité, quand l'impiété révolutionnaire l'a brutalement condamné à disparaître, comme on verra plus loin avec toutes les institutions catholiques du même genre, après avoir fait pendant 15 ans l'œuvre de Dieu.
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Eu même temps qu'à Guadalajara, nos frères étaient aussi instamment demandés, à l'autre extrémité du Mexique, à Mérida de Yucatan, par un autre comité catholique, où tenait une place prépondérante la noble et très chrétienne famille de Regil, qui connaissait particulièrement notre Institut.
Un des membres de cette famille, Don Alonso de Regil y Peón avait confié l'éducation de trois de ses fils à nos Frères de Plaisance, et deux d'entre eux avaient, en outre, passés les deux dernières années de leurs études au collège Saint-Joseph de Dumfries. Pour accomplie les dernières volontés de son frère Rafael, qui, en mourant, lui avait laissé une somme considérable à consacrer à des bonnes œuvres, il avait résolu de fonder à Mérida une école d'arts et métiers et des écoles gratuites d'enseignement primaire dont il espérait confier la direction à des religieux de la même famille spirituelle que ceux qui avaient été les éducateurs de ses fils ; mais le Seigneur l'appela à lui avant qu'il eût pu réaliser son dessein.
Sa digne veuve et ses enfants, qui savaient ses intentions, mirent un soin pieux à les accomplir en toute fidélité, Par l'intermédiaire du Frère Gébuin, ancien Directeur du pensionnat de Plaisance, ils reprirent les négociations, qui aboutirent enfin résultat désiré.
En conséquence, le 25 septembre 1899, cinq Frères, sous la conduite du Frère Armance, s'embarquaient à Barcelone pour aller mettre la première main à cette fondation, et le 30 octobre suivant ils abordaient heureusement à Progreso, port de Mérida. Là ils furent accueillis avec la plus grande cordialité par Mr. Péon, président du Comité des écoles catholiques ; et, en attendant qu'on eût mis la dernière main aux préparatifs de la maison qui leur était destinée, ils reçurent une hospitalité aussi aimable que généreuse dans la princière habitation de M. M. de Regil.
Mérida, capitale du Yucatan, est une ville d'environ 60.000 âmes. Bâtie au milieu d'une belle plaine sans accident d'aucune sorte, et dont le niveau dépasse à peine de sept ou huit mètres celui de la mer, elle a la forme d'un vaste rectangle dont les côtés mesurent respectivement 5 et 6 kilomètres. Ses rues droites, spacieuses et propres, qui se croisent invariablement angle droit, empruntent à la foule de métis en costume blanc qui les anime une physionomie originale. Elles sont bordées de maisons basses mais coquettes, dans leur architecture moresque, du milieu desquelles émergent ça et là quelques beaux monuments. La chaleur est torride, et pendant longtemps la fièvre jaune y fut endémique ; mais les modernes travaux d'assainissement qu'elle a reçus ont réussi à beaucoup diminuer les ravages de cette terrible maladie, sinon à les détruire tout à fait.
Le Collège St Joseph, généralement connu sous le nom de Telar, dont les Frères venaient prendre la direction, était une ancienne filature située à une des extrémités de la ville. Il se composait d'un enclos rectangulaire qui renfermait, avec trois corps de bâtiment, des cours spacieuses et un jardin planté d'orangers, on l'on peut recueillir en tout temps de l'année une grande variété de légumes.
L'établissement scolaire qu'il s'agissait d'y installer devait comprendre, dans son entier développement, une école d'arts et métiers, une école du soir et une école gratuite de jour. Dans l'impossibilité de tout entreprendre à la fois, on se borna d'abord à cette dernière école, dont les deux cents élèves furent divisés en quatre classes, et donnèrent satisfaction à leurs maîtres ainsi qu'aux fondateurs.
Peu à peu les ateliers de menuiserie, de mécanique, d'imprimerie, de taillerie, etc. …, qui avaient toujours tenu une place de prédilection dans la pensée du Fondateur, y furent ajoutés, ainsi que les cours du soir ; mais on n'y put arriver que lentement et avec peine. D'un côté, en effet, la maladie et la mort vinrent éprouver cruellement la communauté. A de courts intervalles, les généreux Frères Chrysostome, Doroteo, Jose Léon, Photin et Alain, moissonnés par la fièvre jaune, tombèrent victimes de leur dévouement. Il ne fut pas difficile de leur trouver des remplaçants, car l'esprit de sacrifice fleurissait, Dieu merci, dans la jeune colonie mariste du Mexique ; mais bientôt après d'autre part, une crise financière qui occasionna beaucoup de faillites diminua considérablement le capital destiné à l'œuvre, de sorte que, pendant six ou sept ans, il fallut se réduire à une installation rudimentaire, et manœuvrer petitement comme on pouvait.
Heureusement, à partir de 1908, cette section des arts et métiers put se développer d'une façon plus considérable. L'outillage, enrichi de machines perfectionnées, permit de donner à, la production une activité plus grande, et les articles sortis de la menuiserie, de l'imprimerie et des autres ateliers de l'établissement leur acquirent une réputation méritée, et leur Gente de la Société de Marie et Recteur de N.-D. de Lourdes avait écrit au R. F. Théophane pour l'inviter fortement à envoyer s'établir dans la capitale mexicaine une communauté de Petits Frères de Marie, lui promettant un grand bien à faire.
L'année suivante le C. F. Paul-Marie, se trouvant de passage à Mexico, alla faire une visite au vénérable Archevêque Mgr Alarcon, qui non seulement le reçut bien, mais lui renouvela les mêmes instances, s'engageant à fournir un local et à payer le voyage des Frères. Il fallut accéder à son désir, qui paraissait être d'ailleurs une expression de la volonté de Dieu, et quelques mois plus tard, au commencement de 1901, les Frères y arrivaient pour ouvrir une école.
Les débuts ne furent pas très brillants. Soit à cause des défectuosités du local ou d'autres circonstances peu favorables, on ne put guère réunir, au cours de la première année, qu'une quarantaine d'élèves. Mais, grâce à la bienveillance de Monseigneur, qui voulut bien céder pour l'œuvre son ancienne résidence épiscopale, située dans la rue Perpetua, on fut bientôt plus au large et les élèves commencèrent à affluer. Au mois de mai 1902, ils étaient 70, et, d'augmentation en augmentation, leur nombre s'est élevé peu à peu près de 400, tous externes. Ils appartiennent pour la plupart à de très bonnes familles, de sorte que l'établissement, connu sous le nom de Collège Saint-Louis de Gonzague, tient aujourd'hui sa bonne place parmi les mieux réputes de la ville, Les Frères y ont déjà fait un grand bien, qui aurait pu être cependant beaucoup plus effectif et plus durable sans le milieu dangereux qui absorbe une trop grande partie des enfants à la fin de leurs classes.
Depuis longtemps, pour ce motif, on caressait l'idée d'un patronage où ils trouveraient, eux et ceux de nos autres établissements voisins, un asile salutaire contre le désœuvrement, les divertissements malsains et les mauvaises compagnies ; mais jusqu'à présent les circonstances ne se sont pas prêtées à la réalisation de ce charitable désir ; et malheureusement elles ne paraissent pas prendre à cet égard une meilleure tournure.
A l'instar de Mérida et de Guadalajara, le Collège Saint-Louis de Gonzague a vu peu à peu se grouper autour de lui, sur le Territoire Fédéral, une petite constellation d'autres établissements qu'on dirait être ses satellites. Les premiers en date sont l'orphelinat de Tlalpan, l'école gratuite de Tacubaya.
L'orphelinat de Tlalpan, auquel on a donné le nom d'Asile Patricio Sanz en l'honneur des deux charitables époux qui laissèrent pour testament une somme relativement considérable pour lui servir de dotation, remonte à 1903. A cette époque, juste au moment où le Frère Visiteur se demandait où il pourrait trouver un abri et du pain pour la nombreuse caravane de jeunes Frères qui lui étaient annoncés de France, la commission testamentaire, présidée par M. Lavie, vint lui proposer de se charger de la réalisation de cette œuvre, de chercher un terrain convenable, et de faire un plan de local répondant le mieux possible aux besoins de l'institution telle qu'il la concevait. L'offre était trop providentielle pour pouvoir être refusée. Un emplacement très convenable fut trouvé à Tlalpan, à une vingtaine de Km, au sud de Mexico ; des plans pour une maison furent étudiés, et le tout approuvé sans difficultés par Mr. Lavie, qui voulut même prendre à sa charge personnelle les frais de construction d'une belle chapelle. Les travaux d'exécution furent immédiatement commencés, et dès que l’œuvre fut annoncée, les demandes d'admission affluèrent mais il fallut naturellement mettre une limite à leur acceptation, car les ressources ne permettaient d'entretenir qu'environ quatre-vingts orphelins ; et c'est en effet autour de ce chiffre que leur nombre a toujours gravité depuis, quoique la maison pût en contenir au moins 200.
En plus d'une solide instruction primaire religieuse et profane, ces enfants reçoivent des notions d'arts et métiers dans des ateliers pourvus d'un bon outillage ; mais sur ce point on a peine à les faire entrer dans les vues des fondateurs. Par tradition de famille, l'enfant mexicain de race blanche a une sorte de répulsion naturelle pour les arts mécaniques il les regarde comme réservés aux indiens et il est malaisé de lui faire comprendre qu'on ne se rabaisse pas en s'y livrant.
Il ne se fait pas moins dans l'établissement une œuvre moralisatrice de premier ordre, dont on aime déjà à constater les heureux fruits : et c'est avec raison que la commission gérante cherche à augmenter notablement le budget, afin de les multiplier le plus possible.
L'école gratuite de Tacubaya date de 1905 et nous fut confiée dans des conditions à peu près analogues à celles de l'asile Patricio Sana. Etablie dans un vaste et beau local, à l'extrémité de la magnifique avenue de la Reforme, elle s'intitule instituto Saviñon par reconnaissance pour ses deux fondateurs les vertueux époux de ce nom qui par disposition testamentaire laissèrent un legs de 500.000 francs tant pour couvrir les frais de son établissement que pour assurer le revenu nécessaire à son entretien. Elle compte 350 élèves, exempts de toute rétribution, qui jusqu'à, présent, par leur discipline, leur piété et leur application à l'étude, ont été la consolation de leurs maîtres et celle des exécuteurs testamentaires. Ces messieurs, de leur côté, se sont montrés tout dévoues à l'œuvre, et ce n'est jamais en vain que les Frères ont eu recours à eux pour quelque amélioration nécessaire.
Il y a quelques années, pour donner satisfaction à de nombreux parents qui demandaient si le collège Saint-Louis de Gonzague ne pourrait pas accepter des internes, on avait créé à Popotin, à quelques kilomètres an N.-O. de Mexico, un pensionnat qui en peu de temps était arrivé à compter 150 internes ; mais un tremblement de terre ayant rendu la maison dangereuse à habiter, ils durent être licenciés en 1910. Alors, en vue d'occuper le personnel devenu disponible et d'utiliser le mobilier, on fonda à Mexico même, rue Puente de Alvarado, un autre externat qui se peupla rapidement, et qui, déjà l'an passé, comptait 250 élèves. Néanmoins on ne perdait pas de vue le pensionnat, dont l'opportunité se faisait sentir de plus en plus, et pour l'établir on avait fait à Posadas, dans la banlieue de la ville, l'acquisition d'un terrain où il aurait été bien placé ; malheureusement (ou peut-être heureusement) les circonstances obligèrent de retarder l'exécution du plan projeté.
Beaucoup plus au nord, dans l'Etat de Nuevo Léon, on avait aussi fondé dans le grand centre industriel de Monterrey le collège de la Sainte Famille, qui mérita dès ses débuts toute la confiance des parents chrétiens et qui pendant neuf ans jouit d'une prospérité remarquable ; mais, au mois de juin dernier, devant l'occupation de la ville par les forces révolutionnaires il dut fermer ses cours et chercher pour son personnel enseignant un refuge à Brownsville, sur la rive américaine du Rio Grande del Norte, où depuis 1906 nous avons un petit collège dont la direction nous fut confiée par les RR. PP. Oblats de Marie lmmaculée.
Indépendamment du bien immédiat que nos Frères peuvent y faire, ce dernier établissement a déjà été un précieux pied-à-terre pour ceux de nos sujets mexicains qui désiraient acquérir la connaissance pratique de la langue anglaise, et il a la perspective de devenir pour eux le centre d'un nouvel et vaste champ d'action dans cette région S. O. des Etats-Unis, qui jadis fit partie du Mexique, et où la langue espagnole est encore couramment parlée, quoique l'anglais soit la langue officielle.
On peut en dire autant des deux postes de Cienfuegos et de Remedios, dans l'île de Cuba, qui relèvent également du Mexique. Le premier, fondé en 1903, eut d'abord à lutter contre de nombreuses difficultés qui ont un peu entravé son développement mais il a fini par en avoir raison, et il jouit présentement d'une réputation bien établie. Ses 180 élèves (dont 30 internes) peuvent à peine tenir dans son local devenu trop étroit. Le second, de création plus récente, n'a encore que 85 élèves ; mais leur bon esprit et leur attachement à la maison font espérer que leur nombre s'accroitra. En attendant, ils sont déjà l'édification de la paroisse, où ils contribuent à fomenter l'esprit de piété.
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Telle a été à peu près, pendant une période de 15 ans, l'histoire de notre œuvre au Mexique. Née presque simultanément en trois centres différents qui sont comme les trois sommets d'un vaste triangle : Guadalajara, Mérida et Mexico, elle rayonna de là, peut-on dire, sur toute l'étendue de la République, rencontrant partout libérale tolérance de la part des autorités civiles, paternel accueil et souvent appui dévoué de la part de NN. SS. les évêques et des membres du clergé, et touchante confiance de la part des familles chrétiennes, généralement empressées à en faire bénéficier leurs enfants.
Dès 1902, elle forma un district particulier, jouissant d'une certaine autonomie administrative bien que dépendant toujours de la province de Saint Paul-3-Châteaux. En 1903, après l'approbation définitive de l'Institut et des Constitutions par le Saint-Siège, elle devint vice-province, et enfin en 1908, avec l'approbation de Rome, elle fut canoniquement érigée en province. Au mois de juillet dernier, moins de 6 ans après, elle comptait, dans ses 22 maisons, 301 sujets, — dont 9 stables, 141 profès des vœux perpétuels, 50 profès des vœux temporaires, 29 novices ou postulants et 72 juvénistes — et plus de 4.000 élèves.
En supposant que la durée moyenne de la scolarité de ces derniers soit de 6 ans, ce qui paraît être au dessus plutôt qu'au dessous de la réalité, ce sont donc en somme environ 10.000 enfants qui ont déjà reçu d'elle, depuis sa fondation, le grand bienfait d'une éducation vraiment chrétienne ; dix mille jeunes intelligences qu'elle a préservées du poison des fausses doctrines, que distribuent trop généralement les écoles sans Dieu, pour les abreuver à la pure source de vérité qui découle du saint Evangile ; dix mille jeunes cœurs qu'elle a mis tous ses soins à prémunir contre les atteintes du vice pour leur faire goûter et aimer les joies nobles et saintes de la vertu ; dix mille jeunes volontés qu'elle s'est efforcée d'éclairer, d'assouplir, de redresser, d'affermir et d'orienter solidement vers le bien ; dix mille jeunes âmes qu'elle a tâché d'arracher au démon et au monde pour les engager à la suite du Divin Maitre, qui est la Voie, la Vérité et la Vie ; et tout cela en plus de la grande œuvre de sanctification que, tous ensemble et chacun en particulier, ses membres se sont appliqués à réaliser en eux-mêmes.
Voilà bien déjà, certes, un résultat qui en vaut la peine ; et, quand même la révolution impie en aurait arrêté définitivement le progrès qui s'accentuait chaque jour davantage, il aurait encore de quoi consoler l'âme généreuse du regretté Frère Assistant qui mit à le promouvoir toutes les ressources de sa grande intelligence et de son cœur d'apôtre : des deux Frères Provinciaux qui en ont poursuivi successivement la réalisation avec tant de sagesse, de dévouement et d'énergie ; des quatorze ou quinze martyrs qui l'ont achetée au prix de leur vie sacrifiée délibérément et sans regret aux inclémences d'un climat meurtrier, et des deux cents Frères, qui pour l'assurer, n'ont épargné ni efforts, ni sueurs, ni peines d'aucune sorte.
Mais il y a tout à espérer que ce progrès ne sera que momentanément interrompu ; et que, dans un avenir qu'on ne peut fixer aujourd'hui, mais qui ne peut manquer de venir, et bientôt peut-être, il reprendra de plus belle. Les révolutions sont un peu comme les orages, qui ne troublent l'air que pour un temps relativement court, après lequel tout revient à sa physionomie habituelle. Le laboureur un moment consterné retourne à son champ ; sous la bienfaisante action du soleil, les dégâts causés se réparent, et la perte éprouvée est souvent compensée par la récolte plus abondante de l'année d'après.
Nous aimons à croire que, moyennant le secours d'En Haut, c'est là l'image de ce qui arrivera. En attendant quatre établissements — non des moins importants — ont échappé au naufrage auquel on les avait crus condamnés comme tous les autres, et continuent à occuper une soixantaine de Frères. Deux autres, qui ont pu être fondés l'un à Tucson, aux Etats-Unis, et l'autre à Caibarien, dans l'île de Cuba, compensent dans quelque mesure ceux qui ont dû être fermés. Une partie du personnel de Jacona a trouvé, de son côté, un asile providentiel à Port Lavaca, sur le golfe du Mexique, dans une maison laissée provisoirement sa disposition par les RR. PP. Oblats de Marie.
Et la bonne Providence n'a sûrement pas dit son dernier mot. A son heure, elle saura sans nul doute intervenir efficacement pour tout arranger au mieux de sa gloire et de notre plus grand bien. Mais, par nos prières nous pouvons bâter l'heure de cette divine intervention, et c'est pourquoi nous demandons aux lecteurs du Bulletin de vouloir bien ajouter dans les leurs une intention spéciale à cette fin.