La sociabilité des enfants à lécole

23/Mar/2010

Lors de la XVIII° Semaine d'Éducation nationale en Espagne, organisée par la Fédération des Amis de l'Enseignement (F. A. E.) du 31 décembre 1949 au 5 janvier 1950, un rapport a été présenté par le F. Pedro Celestino et dont on donne ici des extraits.

L'auteur jette d'abord un coup d'œil sur la sociologie et l'histoire de la philosophie, puis pose le sujet en notant l'importance de la formation sociale de l'enfant dès l'école primaire et en déplorant l'insuffisance de cette éducation dans les centres d'enseignement.

Il aborde ensuite l'étude des facteurs qui interviennent dans l'éducation sociale reçue à l'école : le professeur, l'adolescent, la société et les relations sociales, c'est-à-dire le contact de l'élève avec les parents et avec les différentes classes de la société.

« Au sujet des relations sociales, il s'en rapporte concrètement, dit-il, aux relations que l'élève doit maintenir avec sa famille, avec l'école, avec ses amis, pour s'étendre davantage sur les moyens à prendre pour initier et former les élèves à la pratique de l'éducation et de la formation sociale catholique pendant leur séjour à l'école, de façon qu'en quittant nos salles de classe pour poursuivre leurs études supérieures, ils emportent au fond de leur âme le désir de l'apostolat catholique. »

Dans le travail de l'éducation sociale des enfants, l'action du professeur est donnée comme la principale. Citant les pédagogues et les philosophes, l'auteur rappelle aussi les enseignements du V. P. Champagnat sur l'influence capitale du caractère du maître éducateur. Il est indispensable que maître et disciples se comprennent et travaillent de concret.

 

Obstacles qui s'opposent à l'éducation sociale de la part de l'élève. — Ayant analysé les graves conséquences du mauvais caractère chez le professeur, rendant difficile la formation sociale à l'école, nous parlerons maintenant de celles qui peuvent se présenter effectivement lorsque certains élèves ne correspondent pas, comme ils le devraient, l'éducation qui leur est donnée et que, par leur manière d'être, ils ne sont pas disposés à s'assimiler les enseignements qu'ils reçoivent.

Lorsque l'enfant a grandi avec certains défauts qui n'ont pas été combattus à temps par les parents, il arrive le plus souvent que les formateurs de la jeunesse ont affaire à des enfants et à des adolescents gâtés et volontaires, timides, insociables et irascibles par nature, autant de défauts dangereux s'ils ne sont pas corrigés par le professeur, parce que dans l'âme des enfants, dominée par ces travers de caractère germera un égoïsme radical, qui est le plus grand ennemi de la sociabilité.

 

a) L'adolescent gâté. — Indiquons d'abord quel est l'adolescent gâté et volontaire. C'est celui qui, aussi bien dans sa famille qu'à l'école, a senti la partialité s'acharner sur sa personne, car « la partialité est une tentation des plus séduisantes et contre laquelle nous devons nous prémunir1. »

Les effets des préférences d'un père pour l'un de ses enfants, ou de celles d'un professeur pour certains élèves, sont néfastes pour la sociabilité du foyer et de l'école.

L'adolescent se rend compte immédiatement de l'affection qu'on lui témoigne à l'exclusion de ses autres camarades, et il commence à se croire supérieur à ses amis, à ne penser qu'à lui-même et à mépriser les autres. En revanche, ses camarades feront le vide autour de lui, la classe se divisant en deux groupes hostiles : le groupe de ceux qui se jugent méprisés et celui de ceux qui savent qu'ils ont carte blanche pour agir, parce qu'ils se sont rendu compte de la faiblesse du professeur qui ne remplit pas sa sublime mission d'éducateur et qui, la plupart du temps, s'intéresse davantage au corps de ses disciples qu'à leur âme.

Assez fréquemment un professeur prudent doit se raidir contre certains élèves qui, en commençant leurs études secondaires, prétendent à être des dominateurs ; ce sont les enfants dont les parents tolèrent tous les caprices, les élèves pour lesquels les professeurs sont portés à des préférences, sans que, le plus souvent, ils aient les qualités qui méritent l'estime de ceux qui sont les guides de la jeunesse.

Déjà les anciens philosophes avaient attiré l'attention sur les ravages que cause la déviation de l'affection sentimentale.

Platon, dans son dialogue « Lysias » nous déclare: «N'oubliez pas que les enfants charmants, s'ils se sentent loués, deviennent orgueilleux et revêches. »

Plus tard, les préférés payent cher la prédilection injuste. Ils sont capricieux, faibles devant les difficultés, fainéants, parce qu'ils sont habitués à prédominer sans effort personnel ils sont répulsifs parce que pleins d'égoïsme, ils ne pensent qu'a leur avantage au détriment de celui des autres.

Après huit ans de contact avec des élèves de première que l'on préparait à la vie sociale catholique qu'ils allaient commencer à la sortie du collège, on a pu constater que le plus grand contingent d'élèves difficiles et ratés est constitué par ceux qui, au cours de l'enseignement primaire et des premières années du secondaire, ont été des enfants gâtés auxquels parents et professeurs ont passé tous leurs caprices.

Une autre partie est constituée par ceux qui ont eu le malheur de perdre leur père au début de la vie scolaire.

Les mères, la plupart du temps, n'ont pas l'énergie nécessaire pour s'imposer à leurs enfants, et si elles ne sont pas aidées dans cette mission par un professeur prudent, il en résultera des déficiences dans l'éducation des enfants et des adolescents qui se trouvent dans de telles circonstances.

Il est évident que l'éducation efféminée ne forme pas au point de vue social et ne parvient pas à forger des caractères : « L'éducation austère durcit l'âme et la rend capable de grandes entreprises2. »

Pour obtenir que les enfants, devenus grands, vivent dans la société en rendant à chaque membre et à chaque organisme qui la constituent l'honneur et fa déférence qui leur reviennent, rien de mieux que de les former à l'obéissance et au respect envers toute autorité constituée. « Insistons, et non pas sous forme d'une leçon abstraite, mais à propos des moindres événements, pour que nos jeunes comprennent la valeur de cette grande vertu sociale qu'est l'obéissance. Qu'ils sachent clairement quelles sont les autorités légitimes et quels sont les tyrans ; que les premières émanent de Dieu, directement ou indirectement ; qu'elles peuvent être plus ou moins dignes de représenter un si haut personnage ; qu'elles sont responsables et devront répondre de leurs inconséquences et de leurs abus, mais qu'on ne se diminue jamais à leur obéir ; qu'elles ont le droit de commander uniquement pour le bien de la société ; qu'on doit leur obéir tant qu'on n'a pas la certitude que l'ordre est contraire au bien de la société, au droit naturel, à la conscience ou à la loi de Dieu et qu'enfin, s'il y a doute sur l'opportunité ou la sagesse de l'ordre, il faut encore obéir en bien des cas pour éviter le désordre et l'indiscipline, funestes à la vie des sociétés3. »

D'après cela, nous devons insister pour qu'ils soient soumis et obéissants aux parents à la maison, aux professeurs l'école, et aux autorités ecclésiastiques et civiles qui nous gouvernent ; il est même nécessaire que si l'enfant et le jeune homme s'écartent de cette ligne de conduite, ils reçoivent la remontrance voulue, afin qu'ils ne prennent pas de mauvaises inclinations.

Sénèque nous trace encore ici la règle à suivre quand il nous déclare : « Il est donc nécessaire d'éloigner l'enfance de toute adulation ; qu'elle entende la vérité ; qu'elle connaisse quelquefois la crainte, et toujours le respect ; qu'elle rende hommage à l'ancienneté ; qu'elle n'obtienne rien par la colère4. »

Ces égarements auxquels sont enclins les enfants ou les adolescents gâtés et volontaires par suite du manque de véritable éducation et qui ont de fatales conséquences, peuvent être évités, lorsque les élèves ont le bonheur de tomber entre les mains d'un maître qui sait faire un usage judicieux du sentiment, celui-ci étant « uni chez l'éducateur à une supériorité intellectuelle et morale facilement appréciable de la part de l'élève. En ce cas, l'écho que ce sentiment rencontre chez le disciple n'est pas seulement amour réciproque, mais aussi vénération qui, plus que l'amour même, fait que la volonté de l'élève s'incline volontairement devant celle de l'éducateur5. »

 

b) Élèves taciturnes et sournois. — Un autre inconvénient auquel doit faire face le professeur qui désire former ses élèves au point de vue social, c'est le changement de caractère des élèves sournois.

Ceux-ci sont réfractaires aux rapports avec les autres, la solitude leur plaît et la tristesse les envahit fréquemment.

Il y a une timidité propre aux grandes intelligences qui, concentrées en elles-mêmes, sont peu communicatives mais cette timidité est peu préjudiciable au prochain et à la société ; c'est avant tout une crainte de produire mauvais effet devant les autres, ce qui est l'indice d'un bon jugement et d'un talent qui, à mesure que la valeur de l'individu s'affermira, brisera la barrière qui l'isolait du reste des hommes et lui fera accomplir joyeusement et ouvertement tous les devoirs sociaux.

Il y a une inclination à l'isolement qui découle de la tristesse dont les causes sont très diverses et qu'il faut corriger de bonne heure dans l'enfant.

C'est un terrain propice où naissent les discordes et les ressentiments qui troublent la vie sociale. C'est à elle que fait allusion notre Vén. Père Champagnat lorsqu'il affirme « La tristesse divise les esprits et détruit la charité fraternelle. »

L'éducateur digne de ce nom doit porter son attention de ce côté et tâcher de bannir la tristesse en la remplaçant par la bonne humeur dont il doit user fréquemment pour gagner plus facilement la confiance de ses élèves.

Il est superflu d'ajouter qu'il doit être rempli d'une sainte et saine joie dans l'accomplissement de sa noble mission et le déploiement de son activité dans la formation des enfants s'il n'en était pas ainsi, ce serait un réel dommage pour les élèves, vu que « les hommes enclins à la tristesse et à la mélancolie ne conviennent pas à la vie religieuse ni à l'enseignement6. »

Aussi affirmerons-nous que le remède, pour corriger les adolescents enclins à la tristesse et les rendre sociables, est que le professeur chargé de leur éducation ait une forte dose d'optimisme et de bonne humeur,

C'est ce dont témoignent les grands éducateurs.

« Un éducateur doit avoir un fonds inépuisable d'optimisme, sans quoi les déceptions le décourageront et tueront en lui l'enthousiasme qui est une condition nécessaire de réussite7. »

Pour le Père Manjon, la joie dans l'éducation était une condition essentielle ; aussi tâchait-il de placer ses écoles dans des endroits favorables à l'éveil de la sainte joie.

Pour saint Jean Bosco, la bonne humeur était a un don de Dieu, la plus douce créature sortie de ses mains après l'amour », et saint Philippe de Néri voulait voir régner la joie dans les écoles qu'il avait fondées : « Faites du bruit pourvu que Dieu ne soit pas offensé. »

Un des moyens dont se servira le maître pour bannir la tristesse de l'esprit de ses élèves, est de favoriser les jeux et d'obtenir que les enfants portés à l'ennui y prennent une part active, étant donné que le jeu sera la pierre de touche pour l'étude du caractère.

Pour les enfants irritables et nerveux, le calme de l'éducateur est le meilleur sédatif, car ce qui impressionne agréablement un enfant est précisément le spectacle d'un état d'âme qu'il est lui-même incapable de conserver. « L'égalité d'âme lui est très difficile8. »

C'est un merveilleux apostolat pour la formation de ses disciples que réalise un éducateur s'efforçant d'obtenir des caractères gais.

« Un visage complaisant et une parole aimable vont plus droit au cœur que tous les châtiments et les paroles désobligeantes9. »

Que n'est-il pas capable d'obtenir de ses élèves le maître doué d'autorité, de morale et de bonne humeur ! C'est encore le P. Manjon qui déclare : « Une figure rayonnante gagne plus de cœurs que beaucoup de réprimandes et de bastonnades, et l'on attrape plus de mouches avec une goutte de miel qu'avec un tonneau de fiel ou de vinaigre10. »

Un autre moyen indirect de favoriser la sociabilité des enfants est de nous montrer satisfaits des efforts réalisés par les élèves qui nous ont été confiés.

Le geste flatteur qui témoigne de la joie devant le bon procédé de l'enfant n'est pas incompatible avec la gravité du professeur.

Les maîtres qui ne rient jamais, véritables sphinx, font fuir les élèves et empêchent le contact avec eux, donnant lieu à une séparation dont les conséquences sont défavorables pour l'éducation sociale.

« C'est faire fausse route que de ne pas se montrer content de l'enfant, et même du grand élève qui se conduit bien. C'est le bien mal payer que de montrer une mine froide et sèche au jeune homme qui s'efforce de faire plaisir ; traitez les élèves comme vous voudriez être traités si vous étiez à leur place11. » Nous devons donc admirer l'effort réalisé par les autres et tout spécialement celui que réalisent les élèves dont nous avons la charge.

Ce sentiment n'a rien à voir avec le lamentable égoïsme loué par Lucrèce

« Il est doux d'observer de la côte l'effort vigoureux d'un autre qui lutte contre la tempête en haute mer12. »

Il s'agit de toute autre chose que de nous habituer au sentiment de la joie par lequel nous admirerions de façon égoïste le courage des autres et leur vaillance en face même du malheur : « Il ne peut s'estimer heureux celui qui ne considère que soi et qui rapporte tout à son propre intérêt ; il faut que tu vives pour autrui si tu veux vivre pour toi13. »

 

c) L'élève normal. — Nous n'incluons pas tous les enfants dans les groupes que nous venons d'indiquer. Il y en a de normaux : ce sont ceux qui, bien éduqués au foyer familial, se conduisent bien à l'école et gagnent l'estime de leurs professeurs et de leurs condisciples.

Ces enfants doivent être l'objet d'une formation spéciale, car ils offrent un terrain propice pour une formation sociale complète, afin qu'ils puissent constituer dans la suite les cadres de l'apostolat social catholique. Dans les classes, ils exercent une attirance sur les camarades, car, ils sont respectés à cause de leur prestige et de leur sérieux.

Ils sont généralement peu nombreux, mais ils tranchent sur la masse qui les entoure.

Le professeur à même de les diriger trouve en eux un moyen d'influer sur ses élèves d'une manière indirecte qui, allant de compagnon à compagnon, est parfois plus efficace que celle de supérieur à inférieur.

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La dernière partie du rapport affirme d'abord avec Manjon que l'éducation intégrale de l'enfant et de l'adolescent est la meilleure préparation pour l'éducation sociale.

Il parle ensuite des relations normales à entretenir avec la famille et avec les camarades, du fonctionnement des centres internes d'action catholique dans les écoles avec organisation de cercles d'études, sections de charité, sections de catéchisme.

Dans les classes supérieures, il faut exposer aux élèves la doctrine sociale catholique contenue dans les encycliques pontificales : Rerum Novarum, Quadragesimo Anno, Cha-ritas Christi compulsi, Divini Redemptoris et, puisque la formation ne se limite pas au temps de la scolarité, mais qu'elle est donnée pour la vie, «la maison d'éducation doit avoir des fenêtres ouvrant sur la rue et tenir les grands élèves au courant des événements de transcendance sociale ». (Kieffer, Educación y equilibrio, p. 191.).

________________

1 Les enfants mal élevés, Fernand Nicolay, p. 120.

2 Œuvres de Sénèque, Epit.51

3 Henri Pradel ; Comment former des hommes, 3e édit., Desclée, p. 69-70.

4 Œuvres de Sénèque : De la colère, I. II, XXI.

5 G. Kerschensteitier, El alma del educado, p. 80.

6 Vén. P. Champagnat.

7 Henri Pradel Les petites vertus de l'éducateur, p. 16.

8 Henri Pradel.

9 P. Manjon, El Maestro mirando hacia dentro, p. 104.

10 P. Manjon, ibid., p. Ill.

11 P. Manjon, ibid., p. 104.

12 De natura rerum, n, 1.

13 Sénèque, Épître 47.

 

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