La souffrance rédemptrice

H. Bolo

29/Sep/2010

Fleuve de sang, fleuve de larmes, la souffrance est née du premier péché. Dès sa naissance, Dieu l'a bénie pour qu'elle ne roulât pas dans ses flots la malédiction et le désespoir. Par elle Adam et Eve ont retrouvé 'ce qu'ils avaient perdu. L'onde amère de la souffrance a relevé leur faiblesse et fécondé leur repentir.

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A mesure que les eaux vengeresses du déluge tombaient davantage, l'arche sainte montait plus haut. Ainsi partout où les flots de la souffrance ont coulé plus pressés, les âmes se sont trouvées plus voisines de Dieu. La réconciliation du pécheur qui pleure et du Dieu qui pardonne ne se fait plus que sur l'autel des sacrifices.

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Le gémissement est l'éloquence de la prière. Les belles visions ne brillent aux yeux consolés qu'à travers la transparence des larmes. Les célestes parfums ne montent que des cœurs qui se brisent. Le sein de Dieu est pour les fronts meurtris. Les pieds qui saignent gravissent seuls l'étroit sentier du Paradis.

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La souffrance a donné Dieu à l'homme; elle restitue l'homme à Dieu. Par elle Dieu est descendu sur la terre ; per elle l'homme remonte au ciel. Elle seule tend la main à l'amour par dessus l'abîme du péché. Elle lie les bras effrayants de la justice et délie les mains bénissantes de la miséricorde.

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Sans la souffrance il n'est point de grandeur. L'homme collé à la fange, fange lui-même, ne peut s'en détacher que par un déchirement. On ne s'élève qu'en s'allégeant; et on ne s'allège qu'en laissant sur sa route des lambeaux de soi-même. Toute couronne faite de rayons au dehors est d'épines au-dedans.

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Sans la souffrance il n'est point de vertu. Le devoir est une agonie, la sainteté est un calvaire. On n'est mauvais que pour éviter de souffrir. Toutes les fleurs morales qui embaument le parterre de l'humanité régénérée ont cette rugueuse racine, cette tige épineuse : la souffrance; elles ne s’abreuvent que d'une rosée : les larmes.

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Sans la souffrance il n'est point de fécondité. On ne peut accroître le trésor de l'humanité que par le don de soi-même; et rien n'est douloureux comme le don de soi-même, parce que rien n'est naturel comme d'attirer tout à soi. Si le grain de froment ne tombe en terre, foulé aux pieds, détrempé par la pluie, il demeure stérile.

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Entre Dieu et le pécheur il existe comme une nuée de malédictions amassée par le péché. Ces malédictions s'appellent chagrin, pauvreté, soucis, combats, maladies, trahisons, tyrannies, injustices, déceptions, humiliations, mort. Pour arriver jusqu'à Dieu, l'âme doit traverser tout cela.

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La souffrance nous ouvre les portes du ciel. C'est par elle que les martyrs volontaires l'emportent d'assaut; par elle que les infortunés de la vie y sont poussés malgré eux.

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Qui pourra renier la souffrance et s'affranchir de sa loi? Ce ne sont pas les saints, car le saint doit être éprouvé et conquérir sa couronne dans les combats. Ce ne sont pas non plus les pécheurs, puisque les larmes seules peuvent laver les âmes et l'expiation seule les réhabiliter.

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La souffrance est à elle seule une révélation de l'autre vie; car comment le Père céleste pourrait-il "supporter la vue, dans ses enfants, de tortures gratuites? Il tolère tant de douleurs, donc elles sont d'un prix inestimable pour la vie éternelle.

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L'Evangile n'a pas voulu nous laisser le soin de deviner cette vérité: ‘’Le monde se réjouira tandis que vous serez dans la tristesse’’. Je vous en préviens de peur que vous ne saisissiez pas ce mystère quand l'heure sera venue. Souvenez-vous alors que votre tristesse, un jour, se changera en joie’’.

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‘’Il a fallu que le Christ souffrît et qu'il entrât ainsi dans sa gloire’’. Telle sera la loi de quiconque marche à sa suite. La souffrance est désormais le sceau qui marque les prédestinés. Le juge des vivants et des morts a trop pleuré sur la terre pour pouvoir dire aux visages ravinés par les pleurs: ‘’Je ne vous connais pas’’.

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Beaucoup ne comprennent pas ce mystère bienfaisant de la souffrance. Les apôtres eux-mêmes n'entendaient rien aux discours du Sauveur, quand il disait de lui-même. ‘’Il sera livré aux gentils, bafoué, flagellé ; on lui crachera au visage, et après l'avoir fouetté, ils le feront mourir’’.

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Et pourtant, à la fin de cette horrible prophétie, il annonçait le grand triomphe. Au bout de la sanglante avenue, il montrait du doigt le rayon de soleil. Pour lui comme pour tous ceux qui devaient s'engager dans la carrière de douleurs, il ajoutait cette promesse : ‘’Et il ressuscitera le troisième jour!’’

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Quoi donc? Celui dont la parole est si persuasive, dont la puissance est si formidable, dont les miracles sont si étonnants, dont la grâce est si pénétrante, celui-là ne rachètera le monde ni par sa parole, ni par sa puissance, ni par ses miracles, ni par l'irrésistible victoire de ses charmes divins?

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Serais-tu, ô douleur, le bien le plus inestimable, la plus précieuse des rançons? Serait-il vrai que toute éloquence, toute richesse, tout charme est en toi ? Serait-il donc possible que, dans le Dieu fait chair, où tant de choses divines ont été manifestées, il n'y eût rien de si divin que toi?…

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Et tandis que l'enfer soulève la tempête autour du Rédempteur, suscite de faux témoins, endurcit les juges, arme les bourreaux, surexcite les valets, fanatise la populace, exacerbe les haines, tout ce mal, au contact de la grande victime, devient résignation, rédemption, et se transsubstantie en Dieu!

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O profondeur ! O mystère ! De même que le grand sacrifice se reproduit réellement, chaque jour, à la parole du prêtre, sur des milliers d'autels, de même le grand mystère de la consécration des souffrances recommence en chaque âme, où la résignation sainte suffit à diviniser la douleur!

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Quelle est la douleur par laquelle Jésus n'a point passé? Quelle est par conséquent l'épreuve fondant sur nous qui n'ajoute pas un trait à notre ressemblance avec lui ? Il a été pauvre, exilé, persécuté ; il a souffert la faim et le froid. Il n'a consenti à mourir qu'à l'heure où il a constaté en lui la consommation, de toutes les douleurs.

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Si Jésus a eu tant d'ardeur à souffrir, s'il se revêt de la douleur, s'il s'en pénètre, s'il s'en abreuve jusqu'à l'ivresse, s'il en est épris jusqu'à ne faire qu'un avec elle, il faut bien qu'à ses yeux un trésor infini soit caché dans la souffrance; car pourquoi autrement eut-il tant souffert, puisqu'une seule goutte de ses sueurs suffisait et au delà pour sauver le monde?

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La première génération des saints que Jésus a mise en son Paradis est celle des martyrs. Ils forment suivant le langage de l'Eglise, ‘’le Sénat empourpré du royaume des cieux’’. La gloire éternelle étant faite du rayonnement de la Croix, les plus brillamment illuminés sont ceux qui, étroitement crucifiés, se trouvent plus près de sa lumière.

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Après les martyrs, tous ceux qui ont sur le livre de vie un nom connu de la terre ont été les amants de la souffrance. Ils l'ont cherchée, ils l'ont embrassée, ils ont été avec elle ‘’deux dans une seule chair’’. Ils ont dit à la croix comme saint André: ‘’Croix bien-aimée, qu'il me reçoive par toi, Celui qui m'a sauvé par toi!’’

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Après ceux-là, les bienheureux qui forment la foule anonyme du Paradis ont fermé ici-bas la foule anonyme des patients. Le mot de passe avec lequel on franchit les portes éternelles, est pris dans les béatitudes. Les béatitudes sont des douleurs. Le ciel est une consolation tout comme le salut est une rédemption. On ne console pas ceux qui ont été heureux.

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Si Dieu a planté la douleur dans notre vie encore plus solidement qu'il n'a planté sa croix sur la Calvaire, c'est afin que, ne pouvant plus échapper â la souffrance, nous ne puissions pas échapper non plus à sa miséricorde. Les fouets qui nous cinglent nous poussent vers le ciel.

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Qui eût pensé que, grâce à l'intervention de Jésus-Christ, le discours de Dieu à nos premiers parents pécheurs – ‘’Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, tu marcheras sur les ronces, tu mourras de mort'' annoncerait des bienfaits nouveaux. ‘’Qui eût pensé que cet anathème était une bénédiction ?…’’

(d'après l'Abbé H. Bolo: Le Fruit Défendu).

 

La Croix ouvre l'entrée au trône de la gloire;

Par elle ce royaume est facile à gagner:

Aime donc cette croix par qui tu dois régner.

En elle est le salut, la vie et la victoire,

L'invincible soutien contre les ennemis,

Des célestes douceurs l'épanchement promis

Et la force de l’âme ont leurs sources en elle.

L'esprit y voit sa joie et sa tranquillité;

Il y voit des vertus ! le comble et le modèle

Et la perfection de toute sainteté.

C'est elle seule aussi qui, doit être suivie:

Ce serait t'abuser de prendre un autre but

Hors d'elle pour ton cime il n'est point de salut

Hors d'elle point d'espoir de l'éternelle vie.

 

Porte-la de bon cœur, cette croix salutaire,

Que tu vois attachée à ton infirmité ;

Fais un hommage à Dieu d'une nécessité,

Et d'un mal infaillible un tribut volontaire:

Elle te portera toi-même en tes travaux,

Elle te conduira par le milieu des maux,

Jusqu'à cet, heureux terme où la peine est finie;

Mais ce n'est pas ici que tu dois l'espérer;

La fin des maux consiste en celle de la vie,

Et l'on trouve à gémir tant qu'on peut respirer.

                       P. CORNEILLE: Traduction de l'Imitation de Jésus-Christ

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