Le 15 Août 1912 à Popayán

Fr. A.

09/Sep/2010

Une bonne retraite, bien fervente, prêchée par un prédicateur très entendu et clôturée par une fête splendide: voilà ce me semble la plus agréable et la plus inoubliable semaine de l'année d'un Frère, et ce dont ont joui et la Communauté de la maison provinciale et les Frères venus à Popayán pour leurs exercices annuels.

Comme il faisait bon, en effet, de sentir cette atmosphère de piété planer sur les heureux retraitants! Quel profit pour leurs âmes d'entendre les brûlantes exhortations du R. P. Prédicateur, le Recteur des PP. Rédemptoristes, le disciple et l'admirateur du vénéré Père Desurmont, s'efforcer de faire pénétrer jusqu'au plus intime de nos âmes la doctrine de l'illustre commentateur de S’Alphonse ! On ne pouvait douter des fruits précieux produits par la grâce et la parole divine, en admirant le redoublement de ferveur et de recueillement qui s'accentuait chaque jour davantage.

Entre temps la parole si autorisée de notre cher F. Provincial vient rappeler aux Frères leurs graves devoirs de religieux éducateurs, et, aussi les encourager et les presser de mieux faire encore à l'avenir. Excelsior! plus haut? plus haut! Le mot est plein d'à-propos pendant une retraite; le modèle à imiter, notre T. R. F. Supérieur Général nous l'a présenté plusieurs fois dans ses dernières circulaires. Il faut bien des labeurs sans doute avant de reproduire avec perfection les vertus héroïques de notre Vénérable Fondateur; mais, avec de la bonne volonté et le secours d'En-Haut, on fait de bien belles choses! C'était le grand mot de Ste Thérèse, et j'aime à croire que chacun à. la fin de cette retraite sentait en lui ce saint enthousiasme de l'avancement dans la vie spirituelle.

Si la retraite a été fervente, la clôture en a été splendide. Le souvenir de cette belle journée vivra longtemps dans l'esprit de ceux qui eurent le bonheur de la passer à Popayán.

Dès le matin, une méditation plus pieuse encore que de coutume a préparé nos âmes à une fervente communion générale, qui vient mettre le comble à toutes les grâces que nous avons reçues pendant ces saints jours. Puis, bientôt après, la cloche nous appelle de nouveau à la chapelle pour la grand'messe, au cours de laquelle la maîtrise de la maison semble avoir pris à tâche de se surpasser. Belle Messe â trois voix mixtes, Offertoire à quatre voix, Sanctus et Agnus en chant grégorien, tout est remarquablement bien exécuté et laisse une impression à la fois agréable et pieuse.

Mais voici 9 heures et demie, l'heure des cérémonies toujours touchantes et toujours nouvelles de la prise d'habit, de l'émission et de la rénovation des vœux.

Sa Grandeur Mgr Arboleda, archevêque de Popayán, pour donner aux Frères un témoignage nouveau de sa bienveillance, a daigné accepter de présider ces émouvantes cérémonies,

S'inspirant des belles prières du Cérémonial, Sa Grandeur développe et commente d'une manière simple et touchante la belle oraison qui termine l'émission des vœux annuels: Deus… fac eos coelestia cogitantes, in labore poenitentiae, in spiritu paupertatis et cordés humilitate tibi servire.

Puis, faisant allusion à notre mission d'éducateurs, Mgr nous montre comment, dans les trois vertus demandées à Dieu pour ceux qui se préparent à travailler à la vigne du Seigneur, sont implicitement contenues toutes les vertus qui doivent briller chez un éducateur religieux vraiment cligne de ce nom.

A peine a-t-il fini de parler el déjà huit postulants sont à ses pieds pour lui demander le saint habit

Les voilà parés des livrées de Marie, avec quelle ferveur ils prononcent leur consécration à leur bonne et tendre Mère! Qui pourrait douter de leur persévérance en voyant tant d'entrain et de ferveur; involontairement on redit les mots célèbres que certaine personne adressait à Louis XV, en lui rappelant le jour du sacre: "Ils sont beaux en ce jour, beaux comme l'espérance„. Ne sont-ils pas en effet l'espérance de notre chère province? Dans peu de temps ne combattront-ils pas les combats du Seigneur? Que le Seigneur les garde!…

Les postulants, ou pour mieux dire, les nouveaux novices, n'abandonnent l'autel que pour laisser la place à leurs frères aînés. Ils sont huit aussi; pendant toute l'année, ils n'ont cessé de donner des preuves du bon esprit et du bon vouloir qui les animent, et c'est le cœur joyeux et le front rayonnant de bonheur qu'ils viennent se lier à notre chère Congrégation par les vœux annuels de Religion. Puis ce sont les profès des années antérieures qui s'avancent pour renouveler leurs solennels engagements et, pour clore cette marque triomphale, un Frère s'avance à son tour et prononce ses vœux perpétuels. Tous admirent sa générosité et envient son bonheur?…

Ceux qui ont déjà l'avantage d'appartenir à la famille du Vénérable Champagnat viennent ensuite renouveler leurs vœux, puis les vétérans de la Province dont plus d'un a blanchi dans le travail viennent également édifier les retraitants par l'exemple de leur constance et de leur attachement à l'Institut.

Quand les voûtes de la chapelle retentissaient au chant du Sub tuum, plus d'un sans doute, croyait voir là haut la Reine des Cieux étendre son manteau protecteur sur ses enfants chéris, et â ses côtés il pouvait entrevoir notre saint Fondateur implorant pour ses fils spirituels les plus abondantes bénédictions..

A la réfection de fêle succèdent les doux épanchements de la fraternelle charité. Le tableau n'al, peut-être pas fait mauvaise figure à l'Hermitage au temps du Vénérable Fondateur. Oh! comme elles sont vraies, les paroles de la Sainte Ecriture: Ecce quam boum et quant jucudum

La récréation se prolonge plus que de coutume: après huit jours de rigoureux silence, on a tant de choses à se dire? Elle va offrir d'ailleurs une attraction d'autant plus intéressante qu'elle n'était pas attendue. A la très agréable surprise de tous, voici venir les Juvénistes, rangés en bataillon bien ordonné : ils ont eu l'aimable idée (à moins qu'elle ne leur ait été soufflée par leurs maîtres) de venir montrer aux Frères retraitants, parmi lesquels un grand nombre reconnaissent ceux qui les ont amenés au juvénat, comment ils ont su profiter des leçons de gymnastique qui leur sont données, et, par une longue série d'exercices exécutés avec autant de précision que d'aisance, ils s'attirent des applaudissements bien mérités. Il faut savoir que ces exercices sont de plus en plus en honneur parmi notre jeunesse, chez laquelle ils contribuent grandement à réaliser l'idéal si désirable de la mens sana in corpore sano, préconisé par les anciens sages.

Les heures de cette soirée bénie, employées soit à la récréation soit à la prière pour nos chers défunts, s'écoulent bien rapidement, hélas! Déjà 6 heures; la cloche nous réunit tous à la chapelle pour le sermon de clôture et la solennelle bénédiction du T. S. Sacrement. L'hymne de l'action de grâces s'élève jusqu'au Dieu dispensateur de tant de biens, puis dans une vibrante Consécration à Marie, chacun lui redit son amour et proteste de sa fidélité: Nous t'aimerons toujours! toujours !…

L'écho en résonne encore à nos oreilles en allant prendre notre repos, et plusieurs peut-être en répétant une dernière fois les yeux déjà mi-clos par le sommeil: je t'aimerai toujours! toujours !… Entrevoyaient là-haut la glorieuse Vierge sourire à leur prière, et répondre à ses fils : Et moi aussi, je vous aimerai et vous protégerai toujours ! toujours !

Dieu veuille nous faire goûter souvent les pures joies d'une journée comme celle du 15 août 1912 !

                                                                                                                            Fr. A.

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