Le 8 déc. à Avellanas

11/Sep/2010

"Les chênes et les grands arbres de nos bois m'ont appris des choses que ne m'avaient pas dites les livres des savants", écrivait St Bernard. Notre communauté de N.-D. de Las Avellanas est en demeure de mieux comprendre le sens si profondément pieux de ce mot de notre moine-chevalier, et elle peut sentir tout à son aise combien le Seigneur est près des hauteurs, et combien sa présence remplit la solitude, non de l'éclat des tonnerres et des éclairs comme au Sinaï, mais de cette douceur qui attire l'âme et la fortifie. C'est pourquoi nos fêtes religieuses revêtent à Las Avellanas un attrait tout particulier, et je ne sais quel charme qui laisse un souvenir ineffable et comme une nostalgie du ciel, où tout doit être grand et simple comme grandes et simples sont les œuvres de la nature.

La fête du 8 décembre eut comme les autres ce cachet spécial. Comme nous devions ce jour-là gagner le jubilé des fêtes constantiniennes nous nous préparâmes à la solennité par un fervent triduum, terminant chacune des trois journées par une pieuse procession autour du cloître. Le jour de la fête fut tout entier consacré a Marie, selon le mot et le conseil de nos Constitutions.

Dès la 1ière heure, un Salve Regina solennel et de circonstance remplissait les échos d'un passé plusieurs fois séculaire. Puis ce fut bientôt cette première Messe, dans le calme encore des ombres de la nuit et que nos coutumes des jours de fête ont empreinte d'un si doux parfum de piété. La réception des saints mystères nous y unissait tous, jeunes et anciens, maîtres et domestiques, auprès de Celui qui veut être cherché et trouvé à l'écart, dans la solitude.

L'assemblée recueillie s'entretenait encore avec ferveur et amour avec l'Hôte divin, quand les premiers rayons du soleil, traversant les lobules supérieurs de nos fenêtres ogivales vinrent illuminer d'un nouvel éclat l'autel de Marie et nous dire que la nature s'apprêtait aussi à fêter sa Reine. A la grand' messe, notre âme s'unissait d'autant mieux au saint sacrifice que les notes du chant Liturgique, du grégorien classique et de haute portée, s'adaptaient avec une expression rare au sens des prières qu'elles interprétaient: nos jeunes artistes ne s'étaient attaqués à rien moins qu'à la messe du centenaire de Balmes, aujourd'hui célèbre dans les recueils de musique espagnole. C'est que la nature avec ses grandeurs, inspire des hardiesses qu'on ne saurait sentir ailleurs; et nous devons ajouter que nos jeunes musiciens menèrent l'entreprise avec un succès tel que les Maîtres ne les eussent pas désavoués. Pour rehausser la cérémonie, le célébrant étrennait ce jour-là un bel ornement bleu céleste, couleur autorisée en Espagne comme privilège par décret du Pape Pie VII, qui voulait en cela reconnaître la croyance ferme de la nation de St Ildefonse et des Universités salmantines au glorieux privilège de l'Immaculée dès les premiers âges de son histoire.

Après la grand' messe et le Laudetur de règle, doublement expressif et senti en cette circonstance, chacun donna libre cours à la joie dont débordait son âme : on échangea ses vœux et souhaits de bonne fête, et, comme de juste, les prémices furent pour le C. F. Directeur et les autorités de la maison, qui eurent le mot du cœur pour chacun, voire même des images et autres choses pour les tout petits. La joie et l'allégresse étaient sur toutes les figures, et un témoin étranger eût compris â l'instant un fait que tous les cœurs sentent et toutes les bouches proclament à Las Avellanas : que tous n'y forment qu'un cœur et qu'une âme; que les Directeurs se font père et mère, selon le conseil de l'apôtre, et que les inférieurs n'ont qu'un désir, celui de leur alléger le fardeau de l'autorité par les meilleurs sentiments de filiale affection; il y eût compris combien la jeunesse est heureuse et à l'aise à côté de la vieillesse, celle-ci bonne et condescendante, et celle-là respectueuse et empressée; enfin il eût redit avec le Prophète : Ecce quam bonum, quam jucundum habitare fratres in unum. Daigne le Seigneur nous donner de respirer toujours une telle atmosphère1!

Et dirai-je que la basse-cour elle-même, mise en alerte peut-être par ces manifestations plus bruyantes que de coutume, et se pâmant d'aise sous l'influence des effluves d'un soleil plein de jour et de vivifiante chaleur, semblait prendre part à la fête? On eut dit des musiciens raccordant leurs instruments divers et préludant à un concert. Les coqs surtout — sans soucis ni regrets pour ceux de leurs compagnons disparus tragiquement au matin de ce jour, — l'œil vif et au guet, et en sentinelle sur quelques pans de mur en ruines, s'en donnaient à cœur joie et paraissaient vouloir prendre la direction de l'orchestre, chose que ni les bœufs au regard doux et résigné, ni les agneaux folâtrant sur les blés en herbe auprès de leurs mères, n'avaient l'air de vouloir leur disputer.

Entre temps, l'échange de nos vœux et souhaits terminé, avec la permission du C. F- Directeur et en sa bonne compagnie, nous fîmes l'ascension, par groupes, des collines qui bordent nos domaines vers le levant ; un De Profundis fut pieusement récité en passant devant le cimetière oh une tombe fraîchement couverte nous rappelait qu'un confrère bien-aimé, Frère Pelayo, était parti peu de jours avant pour célébrer la fête en Paradis; puis un Pater, Ave et Gloria devant la vieille croix de pierre qui depuis des siècles indique au mendiant et au voyageur la porte toujours hospitalière du Couvent ; et puis, enfin, par monts et par vaux, et par maints détours que chacun multipliait à l'envi et au plaisir de ses jambes, on se réunit aux pieds de. Notre-Dame de Las Avellanas que nous priâmes tout spécialement pour nos vénérés Supérieurs et pour tous les besoins de la Province qui, un jour, était venue déposer là ses vœux et ses meilleures prières. A la descente, chacun put se rassasier à pleins yeux et à plein cœur du panorama ensoleillé et grandiose qui s'offrait à la vue : au nord les montagnes bleu d'azur des premiers contreforts pyrénéens; au sud les méandres du Sègre et les silhouettes de Balaguer et de Lérida se perdant dans la brume diaphane que soulevaient les rayons du soleil.

A, l'avenant se succédèrent tous les autres exercices de la journée, pour le repos du corps et le bien de l'âme. Le soir, à la nuit tombante, et après le Salut et Bénédiction du Saint Sacrement, et notre consécration solennelle à Marie, la communauté tout entière, à la faveur de la douce température qui régnait, s'organisa en procession, et, au chant de l'Ave Maris stella et de pieux cantiques, nous fîmes de nouveau l'ascension de la colline de N. D. de Las Avellanas. A la lueur de nos cierges serpentant la montagne, et à l'écho de ces Ave enthousiastes, on se prenait aisément à rêver de Lourdes et de sa procession aux flambeaux. Le spectacle était ici moins grandiose, mais ne lui cédait en rien en désirs d'honorer Marie, qui dut sourire à notre pieuse manifestation.

Après cet adieu à notre Mère, il semblait que tout était terminé, et que la journée était close et bien rempile. Mais non; restait encore le bouquet.

Aimablement invités par le C. F. Maître des Novices et ses dévoués collaborateurs, nous nous rendîmes dans une des salles du Noviciat, gracieusement ornée pour la circonstance, et dans le fond de laquelle se dressait un autel à Marie Immaculée. Notre jeunesse avait préparé une séance religieuse Littéraire: chants, chœurs, poésies, tout ce que la langue espagnole a de plus beau en l'honneur de Marie, compositions littéraires, monologues, etc., se succédèrent deux heures durant, avec tant de goût et tant de tact, que nous n'eûmes que le regret d'un temps trop tôt écoulé. On peut dire que rarement on a vu notre jeunesse rendre si parfaitement une soirée littéraire.

Pour clore la séance, le C. F. Directeur félicita et remercia les jeunes acteurs; puis, M. l'Aumônier, D. Francisco Servitja, fut prié de prendre la parole à son tour, et, sous le charme de l'impression produite, il termina en nous disant très spirituellement que, à son sens, Isaïe avait parlé de las Avellanas quand il avait dit: « En ce temps-là, c'est-à-dire quand tous n'auront qu'une voix et qu'un cœur pour aimer Marie et chanter ses grandeurs: la région de la montagne se réjouira, la solitude exultera et elle fleurira comme un Ils. Elle donnera des biens en abondance et elle chantera des hymnes et des cantiques, car elle a été parée des ornements du Liban et de la beauté du Carmel et de Sion. Et ses habitants verront la gloire du Seigneur, et de Marie sa Mère, et la grandeur de notre Dieu ». Amen.

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1 Grâce à la générosité d'un de nos bons anciens de la Province, notre jeunesse put ce jour-là essayer de nouveaux jeux de croquet, de boules et de paume.

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