Le soixante-quinzième anniversaire de larrivée des Frères Maristes en Espagne
28/Oct/2010
L'Espagne est un pays profondément catholique et une terre mariale par excellence. Le plus petit village, le moindre hameau possède son sanctuaire, son ermitage de la Vierge. Toute l'histoire de l'Espagne, peut-on dire, est tissée de faits qui rappellent la céleste figure de la Reine du ciel. Aussi, la Sainte Vierge ne pouvait manquer d'envoyer ses enfants, les Petits Frères de Marie, au secours d'une nation qui lui a toujours rendu un culte si chaleureux. On ne peut qu'admirer les voies de Dieu et de Marie dans l'établissement de nos Frères en Espagne.
Nos publications l'ont rappelé bien souvent: les premiers Frères Maristes qui franchirent les Pyrénées n'avaient pas l'intention de se fixer en Ibérie. Leurs intentions étaient tout autres. Les Supérieurs de Saint-Genis-Laval, répondant aux sollicitations des Pères Lazaristes, se proposaient de fonder une école à Buenos Aires. Tout semblait décidé, lorsque le R.F. Théophane, tout en promettant les Frères demandés, priait les Pères de patienter encore, car, disait-il, « cette mission lointaine et difficile nous met dans la nécessité de choisir des religieux de vertu éprouvée et capables de réaliser tout le bien que vous en attendez ». Le CF. Bérillus, A.G. chargé de fournir les Frères pour la nouvelle fondation, voulant bien faire les choses, envoya quatre Frères en Espagne pour leur faire donner les premiers rudiments de la langue espagnole, avant de les embarquer pour la lointaine Argentine. C'était en décembre 1886. Ces quatre Frères arrivaient à Gérone, ville située près de la frontière, et se mettaient immédiatement à l'étude de l'espagnol. C'étaient les quatre H. comme on les a appelés: le nom des quatre commençait, en effet, par cette majuscule. F. Hilarius-Joseph, F. Hermile, F. Hippolytus et F. Hélion. F. Hilarius-Joseph, grand dévot du saint Patriarche dont il portait le nom, en était le Directeur. C'était un religieux exemplaire, simple, pieux, aimable, délicat, très régulier, humble et austère. Il avait vécu longtemps en compagnie du F. Jean-Marie, disciple du Bienheureux Fondateur. F. Hilarius-Joseph fut la pierre angulaire du futur édifice mariste en Espagne. Il mourut à Gérone en 1916, auréolé de la réputation d'un saint. F. Hermile était lui aussi un bon religieux d'une trentaine d'années, mais de moins bonne trempe que son F. Directeur. F. Hippolytus était un jeune Frère de grande valeur pour son sérieux et ses qualités intellectuelles. Il avait auparavant été envoyé en Angleterre pour y apprendre l’anglais en vue d’une fondation dans l’île de la Trinité qui put aboutir. Envoyé en Espagne, il y fournit une belle carrière: Directeur, fondateur de plusieurs établissements, il fut Provincial de la Province d'Espagne et y travailla avec ardeur jusqu'à ses derniers jours. F. Hélion, le plus jeune des quatre, était doué d'une belle intelligence et d'un esprit universel. Directeur de plusieurs collèges, il laissa partout la réputation d'un bon mathématicien. Il était très dévot au Saint-Sacrement et d'une piété exemplaire.Ces quatre Frères, tous religieux fervents et très capables, furent les piliers dont la Sainte Vierge se servit pour asseoir solidement l’œuvre mariste en Espagne, car Ce ne fut pas l’Argentine qui les reçut mais l’Espagne qui eut la joie et l'avantage de les garder dans son sein.
En effet, des difficultés n'avaient pas tardé à surgir au sujet de la fondation projetée à Buenos Aires, si bien qu'on dut l'ajourner à des temps plus propices. Entre temps les ecclésiastiques de Gérone qui étaient en contact avec nos Frères, les appréciant de plus en plus, cherchaient à les retenir pour faire profiter la ville de leur action bienfaisante et si prometteuse.
L'un d'eux, le chanoine Juan Pascual, Directeur diocésain de l'Apostolat de la Prière, leur dit un jour en conversant familièrement: « Croyez-moi, vous pourriez faire ici un "troupeau" de bien ». La phrase peu correcte était fort expressive. De même le chanoine Ignacio Servitje, un de leurs professeurs d'espagnol et rempli de sollicitude à leur égard, avait appris à les estimer et s'efforçait lui aussi de les retenir pour sa bonne ville. Le public ne les connaissait guère, ne les voyant que dans les églises. On les surnommait «los cuatro», car on les voyait toujours ensemble. L'évêque de Gérone, Mgr Sivilla, lui aussi prenait la chose en considération. Il demanda des informations au sujet de ces Frères Français, aux cardinaux Foulon et Guibert de Paris et n’en reçut que des éloges. Dès lors on n’insista pas. Les Frères restèrent sur place et se mirent résolument à l'œuvre. L'Association de l'Apostolat de la Prière leur confia une petite école qu'on installa tant bien que mal dans une maison louée, en attendant une construction projetée. Commencements modestes et pauvres comme sont ceux des œuvres de Dieu. On proclama l'ouverture de l'école mais les élèves se firent attendre. Elle s'ouvrit avec un seul élève inscrit, le fils de l'un des membres de l'Apostolat de la Prière qui patronnait l'école, M. Ricardo Reixach. Un jour, au retour du Mois de Marie, M. l'Avocat Manuel Viñas, se présenta aux Frères et leur confia un second élève qui fera plus tard un bon prêtre. Ces deux élèves sont restés toute leur vie très attachés aux Frères et à leur œuvre. A ces deux enfants s'ajouta bientôt un troisième, Ignacio Servitje, le neveu du chanoine que nous connaissons. Le 1ier juin, l'école comptait trois élèves, mais à la fin du mois, leur nombre s'élevait à 60.
Après les vacances d'été, les classes recommencèrent avec 120 inscrits et l'œuvre partit d'un assez bon train. La presse de gauche s'en alarma et ne manqua pas d'attaquer ces étrangers qui se mêlaient d'enseigner sans connaître la langue nationale. A ces attaques, les Frères répondirent par leur action silencieuse et dévouée. Ces attaques constituaient d'ailleurs la meilleure réclame pour l'école, si bien que les élèves ne firent qu'augmenter en nombre. Gérone compta bientôt deux établissements maristes encore prospères aujourd'hui. Nos Frères dirigent actuellement à Gérone le collège du Sacré-Cœur et celui de « La Inmaculada ». Celui-ci compte 480 élèves dont 130 pensionnaires et l'autre 150, presque tous d'enseignement primaire.
La Province de Saint-Paul-Trois-Châteaux envoya des renforts et désormais le mouvement ascensionnel se continua en Catalogne et à travers toute l'Espagne. Les villes de Mataró de Vich, de Torelló, de Centellas, de Canet de Mar, de Burgos, de Saragosse virent successivement nos Frères ouvrir leurs écoles, modestes d'abord, mais qui, d'année en année, prirent un essor magnifique. Ces fondations formèrent sans tarder la Province d'Espagne qui, à la veille des événements de 1936, comptait un effectif de 708 Frères Profès, 388 sujets en formation, 66 maisons et environ 19.000 élèves.
L'Espagne mariste a été, grâce à Dieu, un champ fertile en vocations. Dès 1890 s'ouvrait un premier juvénat près du collège de Valldemia. On y vit accourir des enfants de la Catalogne et des lointaines régions de Castille et de Navarre. Mataró voyait la première vêture en 1892 où six postulants revêtirent le saint habit mariste. Le 15 août de la même année, 15 autres jeunes commençaient leur noviciat. Ce noviciat émigra plusieurs fois en quête de demeure définitive, avant de se fixer à Notre-Dame des Avellanas. Il s'essaya à Canet de Mar, à San Andrés de Palomar et à Manresa. Jusqu'en 1936, la Province eut 85 prises d'habit pour 2.075 postulants, ce qui fait une moyenne de 40 postulants par année.
Par ailleurs, l’œuvre éducatrice de nos Frères était hautement appréciée par les autorités et le public. On possède une lettre de l'époque, fort élogieuse à cet égard. Elle émane de Son Excellence Mgr l'Évêque Patriarche des Indes. Après une visite au collège de Valldemia, Mgr. écrivait au F. Directeur: «Nous pouvons affirmer que la formation donnée par les Frères Maristes est très soignée, aussi bien dans le domaine de l'instruction que dans celui de la doctrine et de l'éducation chrétienne. J'ai moi-même pu me convaincre personnellement, au collège de Valldemia, du bien-fondé de la confiance des familles à l'égard des Frères. D'autre part, on ne peut qu'admirer et reconnaître la bénédiction visible du Seigneur sur votre Institut en considérant le nombre de vocations qui remplissent votre noviciat et qui serviront à répandre l'influence de toute la Congrégation dans notre Patrie ».
Ce mouvement « vocationnel » s'est maintenu jusqu'à nos jours et daigne la Sainte Vierge l'y garder et le faire prospérer. La Province d'Espagne ne fut pas la seule à profiter de cette grande affluence de vocations vers nos juvénats: elle en envoya un grand nombre dans les pays d'outremer. On trouve des Frères Espagnols parmi les fondateurs de maints secteurs de l'Institut. F. Carlos faisait partie des pionniers de Colombie, partis en 1889. Les Frs. Anselmo et Filogonio accompagnèrent le F. Pierre-Damien dans la fondation de la Province du Mexique. Les fondateurs des œuvres d'Argentine comptaient parmi eux le Frère Sixto qui fut Assistant Général et le Frère Veremundo.
A la fondation du Pérou prit part le F. Plácido Luis qui dépense encore ses belles énergies à Chosica. A la fondation de la Province du Chili participèrent les Frères Jacinto et Adulfo. Ce dernier est aujourd'hui Vice-Postulateur des Causes de Béatification de nos Frères martyrisés en Espagne. On pourrait continuer la liste des Frères Espagnols qui ont pris part aux fondations de nos œuvres de Cuba, du Salvador, du Guatemala. L'œuvre internationale missionnaire de Saint-François Xavier a été alimentée en grande partie par des juvénistes espagnols. On ne prétend pas dire ici que tout a été parfait dans le monde mariste espagnol. Hélas! la paille se mêle toujours au bon grain et dans le plus beau jardin poussent les mauvaises herbes, mais malgré bien des déficiences et de lamentables défections, nos Frères d'Espagne ont réalisé dans l'ensemble un beau labeur apostolique dans le domaine de l'éducation chrétienne. Les Anciens Elèves ont établi un peu partout des Amicales et rendent témoignage de l'action bienfaisante de leurs maîtres. Lors de la lutte anticommuniste de 1936-1939, beaucoup de ces Anciens tombèrent sous les balles au cri de: Vive le Christ-Roi! Ce fut le cas de José Maria Corbin et de François Castelló. Nous connaissons la figure de Isidoro Zorzano dont la Cause de béatification est assez avancée.
L'enseignement donné par nos Frères d'Espagne est très varié. Ils donnent l'enseignement primaire, secondaire, commercial et technique. Il y a des Frères qui enseignent dans les séminaires diocésains. Toutes nos écoles ou collèges sont pleins et les résultats aux examens sont très satisfaisants. Il va sans dire que nos Frères ont toujours mis la plus grande application à distribuer la Parole de Dieu, à enseigner la doctrine chrétienne et à donner une vraie éducation religieuse.
Pour faire face aux exigences toujours plus grandes de l’enseignement et de l'éducation, nombreux sont les frères qui fréquentent les universités, ce qui a amené une remarquable élévation du niveau intellectuel.
Après la dure épreuve de 1936, nos œuvres se sont réorganisées. La tourmente a été suivie d'un renouveau religieux consolant. En particulier le mouvement « vocationnel » s'est intensifié et nos maisons de formation en ont largement profité. Elles sont pleines d'une jeunesse qui annonce un avenir fructueux. Le recrutement dans nos écoles s'avère de plus en plus efficace et assez nombreux sont les grands élèves qui aspirent à la vie ecclésiastique ou religieuse. Mais on ne tient pas à délaisser le recrutement dans les campagnes dont les familles chrétiennes nous ont toujours donné d'abondants et excellents sujets.
Ainsi la petite semence jetée en terre de Gérone par les quatre H, il y a soixante-quinze ans, a été féconde. Daigne notre bonne Mère, la Vierge Marie, continuer sa maternelle protection à nos œuvres d'Espagne et fasse le bon Dieu que nos Frères s'y multiplient encore pour un plus grand essor de l'apostolat chrétien dans le champ de l'éducation.
(D'après les notes du CF. Victor Luis)
Les fêtes commémoratives.
Cet anniversaire vient d'être célébré avec solennité par nos Frères d'Espagne. C'est à Gérone que, le 17 décembre dernier, s'en sont déroulées les fêtes commémoratives. Dès la veille, un ancien élève, M. Tomas Roig, annonça par radio à toute la ville, le glorieux événement que l'on s'apprêtait à célébrer. Le lendemain, les fêtes commencèrent par l'inauguration d'une plaque commémorative apposée sur la façade de la maison qui vit les premiers pas de nos Frères. Ce fut le premier adjoint municipal, M. Juan Torres, qui tira le voile de la plaque en présence du CF. Luis Gonzaga, A.G., des Frères Provinciaux et Directeurs des Provinces de Cataluña et de Levante, des autorités de la ville et d'un grand nombre d'anciens élèves accourus pour les fêtes. Ensuite tous se rendirent à la cathédrale pour assister à une messe pontificale, célébrée par l'évêque diocésain. A la fin de la messe l'on chanta un Te Deum solennel. A la suite, il y eut réunion générale dans le grand salon du palais épiscopal où le Secrétaire de l'Amicale Mariste fit l'éloge de l'œuvre des Frères à Gérone et dans Je monde. Son Excellence remit ensuite la médaille d'Alphonse le Sage au cher F. Victor Luis que le gouvernement espagnol a décoré pour ses cinquante ans de dévouement à la jeunesse dans l'œuvre de l'éducation. F. Victor Luis remercia dans un éloquent discours qui fut très applaudi. Monseigneur clôtura la séance par une allocution adressée surtout aux anciens élèves, leur rappelant les leçons que les événements doivent nous inspirer. Ces fêtes ont revêtu un caractère tout mariste et ont montré tout l'attachement et l'estime de toute la population pour nos Frères et leur œuvre. Elles se continueront tout le long de l'année 1962, par d'autres manifestations culturelles et sportives.
Situation actuelle de nos œuvres d’Espagne.
Depuis 1959 les œuvres maristes d'Espagne forment sept Provinces distinctes. Elles finissent de réorganiser leurs centres de formation et chacune possédera bientôt ses juvénats, son noviciat et son scolasticat.
Bien des collèges ou écoles d'Espagne ont vu le jour dès avant l'aurore du siècle et fonctionnent encore avec vitalité. Nous avons parlé des deux de Gérone auxquels on peut joindre les deux établissements de Mataró qui datent des années 1888 et 1890: L'école du Sacré-Cœur avec ses 300 élèves d'enseignement primaire et le pensionnat de Valldemia qui en compte 440 dont 200 pensionnaires. Ce pensionnat fut, peut-on dire, sauvé de la ruine par nos Frères qui lui rendirent sa splendeur première en y rétablissant la discipline et les bonnes études. Il reste encore l'un des établissements les mieux cotés d'Espagne.
Voici d'autres centres scolaires qui datent de la première heure:
Vich, fondé en 1888, où, en plus d'une école primaire, nos Frères ont toujours possédé un centre de formation important. Nous arrivâmes à Burgos en 1891. Le complexe scolaire que nous y dirigeons aujourd'hui compte autour de 1.500 élèves. Le collège de Valencia, ouvert en 1897, arrive à 1.270 élèves. En 1898 nos Frères ouvraient les centres scolaires de Logroño et de Carthagène. Le premier compte actuellement un millier d'étudiants et le second 760. Les deux collèges de Barcelone réunissent quelque 2 300 élèves. Citons encore, parmi les établissements plus anciens, Igualada avec ses 430 étudiants; Pamplona, avec 1.100; Saragosse, 820; Bilbao, 1.100.
Certains établissements de fondation plus récente ne sont pas moins remarquables par l'importance qu'ils se sont acquise dans le domaine de l'éducation. Nous pourrions citer Salamanca avec plus de 900 élèves, León avec 1200 élèves, Séville avec 1 100, Vigo 800, La Corogne 980, Murcia 850.
En 1930, à la veille de l'avènement de la néfaste République espagnole, l'Espagne mariste comptait 1.318 Frères Profès, 650 sujets en formation, 130 établissements où recevaient l'éducation chrétienne plus de 30.000 étudiants. De nos jours, les sept Provinces y dirigent 80 écoles ou collèges qui donnent l'enseignement à plus de 38.000 élèves; elles possèdent dix juvénats où se forment quelque 900 juvénistes, six maisons de noviciat avec près de 250 novices ou postulants, six centres de scolasticat avec environ 200 scolastiques.
La Maison Editoriale « Luis Vives ».
Cette œuvre mérite une mention spéciale. Elle s est fixée de nos jours à Saragosse après avoir fonctionné à Barcelone jusqu'à sa sauvage destruction en 1936. C'est un centre important de publications scolaires. Les textes qui en sortent sont fort appréciés par le public et s'introduisent dans tous les milieux, répandant partout la lionne doctrine et les principes chrétiens. Us sont remarquables à tous points de vue: netteté, élégance et méthode. Les cartes murales imprimées par Luis Vives sont renommées et ont fait le tour du monde Ces publications scolaires, pleines d’esprit chrétien, sont certainement un excellent apostolat bien dans la ligne de notre vocation. Les textes en sont anonymes. Parfois le public a voulu s'enquérir du nom de l'auteur de tel ou tel ouvrage: On lui a répondu que le Frère Mariste se dévoue pour un pur idéal, caché comme le grain enfoui en terre et qui nourrit les mondes. Les collaborateurs de Luis Vives sont des hommes pleins d'expérience qui, dans le silence de la cellule, composent, retouchent, peignent et dessinent jusqu'à présenter un travail clair, complet, adapté et agréable sans se soucier de l'intérêt personnel, du renom et de la gloire éphémère.