Lenthousiasme en Ă©ducation
F. D.
12/Sep/2010
L'enthousiasme ! Chacun connaît plus ou moins, soit pour l'avoir éprouvé lui-même, soit pour l'avoir observé chez les autres cet état d'exaltation, cette sorte de transport des facultés affectives de l'âme qui, d'une manière tantôt véhémente, impétueuse, irrésistible, et tantôt plus calme, plus douce, plus sereine, mais non moins intense, nous fait aimer, désirer, rechercher avec ardeur ou louer avec complaisance, en dépassant souvent la mesure, ce qui nous parait digne à un haut degré d'amour, d'estime ou d'éloges.
Dans ses manifestations les plus brillantes et les plus nobles, on peut dire qu'il est la source inspiratrice de qui se fait, dans l'humanité, de plus grand et de plus beau. C'est lui, en grande partie, qui suggère aux poètes leurs géniales conceptions, aux orateurs leur éloquence entraînante, aux guerriers leur indomptable bravoure, aux apôtres leur zèle infatigable, et aux martyrs leur sublime dévouement. Aussi le regardait-on, dans l'antiquité, comme une sorte de possession divine, comme l'effet de la présence d'une divinité dans celui qui l'éprouvait ; et nos poètes chrétiens, rajeunissant et épurant cette conception païenne, n'ont pas hésité à y voir une manifestation mystérieuse de l'influence de l'Esprit Saint.
Dans une sphère plus modeste, mais plus vaste et plus pratique, il a presque toujours aussi sa bonne part, dans tous les résultats heureux qui demandent de l'énergie, de l'initiative et surtout du dévouement. Regardons autour de nous quels sont ceux qui font vraiment quelque chose ; ceux qui arrivent remuer des idées, à renverser des obstacles, à sortir des sentiers battus pour se frayer une voie reconnue meilleure ; ceux qui réussissent non seulement à concevoir des œuvres, mais leur amener des partisans, à grouper autour d'elles des éléments de succès et d'avenir ; nous ne tarderons pas à nous convaincre que ce ne sont, en somme, que les optimistes, les croyants, les rêveurs et les passionnés dans le bon sens de ces deux mots, en d'autres ternies les enthousiastes. C'est que, pour entraîner la volonté hésitante aux efforts énergiques et prolongés que requiert nécessairement le succès de toute œuvre importante, la claire vision du but à atteindre et même le vouloir simplement rationnel et spéculatif ne suffisent pas ; il y faut encore le stimulant, l'éperon ou le fouet d'un sentiment vif et puissant ; or l'enthousiasme est éminemment propre à remplir ce rôle.
Il est vrai que par ailleurs il présente de biens graves inconvénients, contre lesquels on ne saurait trop se prémunir. Tout d'abord il nous fausse l'aspect des choses et nous les présente sous le jour non pas le plus conforme à la vérité, mais le plus propre à nous faire agir dans un sens avantageux à son objet, dont il nous exagère à plaisir les qualités ou les mérites, tandis qu'il nous en atténue prodigieusement les défauts quand il n'arrive pas à les transformer en qualités. Par là, il exerce sur nous une séduction d'autant, plus dangereuse que, quand nous la découvrons, c'est presque toujours trop tard pour la réparer.
D'autre part, quand il passe à l'état d'habitude, il devient l'ennemi naturel de la réflexion et conséquemment de la prudence. Pour agir sagement, il faudrait examiner, comparer, peser toutes choses ; voir non seulement l'effet immédiat mais les conséquences lointaines de l'action qu'on va faire ; se placer non seulement au point de vue particulier et transitoire que nous suggère notre disposition du moment, mais à tous les points de vue importants pour choisir celui qui en fin de compte est le plus avantageux ou le plus raisonnable. Or c'est précisément ce que l'enthousiasme ne nous permet de faire que difficilement. Quand nous nous trouvons sous l'empire de son impulsion trop vive, notre impatience d'agir fait que trop souvent nous coupons court à toute considération capable de nous arrêter, si grave soit-elle, et nous nous précipitons à l'aveugle ou du moins à l'étourdie du côté ou notre inclination nous entraîne, sauf à nous apercevoir bientôt que nous nous sommes fourvoyés, et souvent à notre grand préjudice ou à celui de la cause que nous soutenons.
Cela explique, sans la justifier toujours, l'estime plutôt parcimonieuse que les gens positifs professent à l'égard des enthousiastes, qu'à tort ou à raison ils regardent volontiers comme des âmes naïves que la dure expérience de la vie n'a pas pu réussir à désabuser ; comme des rêveurs attardés qui, pour n'avoir pas fait le tour des choses, sont encore le jouet de belles mais évidentes illusions ; comme des gens possédés d'une folie qui peut être généreuse, mais qui n'en est pas moins une folie ; comme des idéologues obstinés, qui, tout absorbés dans la contemplation des astres, tombent comiquement dans le puits qu'ils n'ont pas su voir à leurs pieds.
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Comme cependant l'enthousiasme est presque toujours un facteur important dans la vie des hommes en général et de la jeunesse en particulier, il semble tout naturel de se demander quelle attitude l'Education doit prendre à son égard. Doit-elle le favoriser, l'entretenir, l'encourager sans mesure malgré le retentissement fâcheux qu'il peut avoir sur des qualités aussi précieuses que sont la justesse d'esprit, l'habitude de la réflexion et la pondération du caractère ? Faut-il, au contraire, le combattre, le comprimer et chercher à l'étouffer, au risque de priver l'âme d'un des ressorts les plus puissants et les plus : précieux qu'elle a pour se pousser au bien ? Ou bien doit-elle plutôt se tenir dans l'expectative, et, sans chercher à le détruire ni lui laisser prendre une- importance exorbitante, le modérer ou l'exciter à propos, suivant qu'on le voit être en excès ou en défaut ? Evidemment, le choix entre ces trois alternatives ne saurait être arbitraire, et c'est la dernière qui s'impose comme la seule raisonnable.
Il se trouve parmi les enfants des caractères naturellement enthousiastes. En tout, ils sont portés à suivre leur première impulsion, à agir dans le sens oh les pousse leur impression du moment, sans trop chercher à se rendre compte de la nature de cette impression, ni s'inquiéter des conséquences éventuelles de leurs actes. Quand l'étude leur plaît, il s'y livreraient, si on les laissait faire, avec une ardeur capable de compromettre gravement leur santé ; mais ils sont aussi prompts à se laisser abattre par les moindres difficultés, et manquent de persévérance. Dès qu'on leur parle d'un bien à faire, ils s'empressent de le tenter, sans se demander s'ils pourront le mener à. bonne fin, ni examiner s'il ne leur faudra pas pour cela abandonner ou négliger quelque autre bien qu'ils ont déjà entrepris et qui réclame toutes leurs forces disponibles. En matière de piété, ils s'engouent volontiers des dévotions nouvelles, mais trop souvent au détriment des pratiques les plus essentielles de la religion ; et ainsi du reste. Tant soit peu qu'on les favorise ou même qu'on les laisse agir dans cette voie, leur tendance native, déjà exagérée, risque fort de s'accroitre, avec le temps, de toute la force de l'habitude et d'en faire plus tard des impulsifs, c'est-à-dire .des hommes qui, au lieu d'assujettir fermement leur conduite à des principes dont ils ont contrôlé et reconnu la valeur, la livrent sans défense à toutes les fluctuations de leur propre caprice et aux influences quelconques du milieu où les hasard des circonstances les a engagés, en d'autres termes, des hommes sans caractère.
A leur égard la tâche de l'Education parait être tout indiquée. Elle doit s'efforcer par tous les moyens en son pouvoir, non pas d'étouffer, mais de modérer, et surtout d'éclairer cette ardeur trop vive et partant irraisonnée ; de la discipliner de façon que, tout en prêtant à la volonté, dans le besoin, son concours salutaire, elle n'échappe pas au contrôle de la raison et n'en usurpe pas le rôle directeur. On y parvient principalement en cherchant à développer le plus possible l'esprit de réflexion et de discernement, en même temps qu'on s'efforce de réprimer, à mesure qu'ils .se manifestent, les emportements irréfléchis d'une imagination ou d'une sensibilité excessives. Ainsi — plus ou moins facilement selon le degré du défaut et les ressources intellectuelles des sujets — on arrive à mettre ces jeunes exaltés, même de profiter des bienfaits de l'enthousiasme, sans en subir les funestes inconvénients. Sous son impulsion, éclairée par les lumières d'un esprit juste, leur volonté trouve la possibilité et même la facilité de faire d'une manière ordonnée et intelligente, ce qu'elle ne faisait d'abord que d'une manière aveugle et peur ainsi dire automatique.
D'autres enfants ont un tempérament qu'on dirait fait tout exprès pour servir de contraste à celui dont nous venons de parler. Ils sont calmes, posés, réfléchis, rangés, mais d'une mollesse, d'une torpeur, d'une apathie désespérantes. Là où il ne faut que s'abstenir, ce sont de vrais modèles ; mais pour l'action ils ont une répugnance à peigne croyable. A des degrés divers, ils présentent tous les symptômes de cette maladie de la volonté que, dans la psychophysiologie contemporaine, on désigne sous le nom d'aboulie. Le moindre effort à faire leur parait une montagne à soulever ; et pour se l'épargner, il n'est guère d'autre sacrifice auquel ils ne finissent par se résigner. Les avertissements, les réprimandes, les humiliations de tous genres ne les laissent pas insensibles, mais très souvent ils aiment mieux en prendre leur parti que de se résoudre à sortir de l'indolence qui les leur attire. Et cette peur de l'effort, cette préoccupation habituelle d'avoir à en faire le moins possible, tarit peu à peu dans leur cœur la source de tout élan généreux ; elle tend à les rendre égoïstes, indifférents à tout ce qui ne les touche pas, et, cela va sans dire, peu capables de trouver en eux l'énergie nécessaire pour soutenir victorieusement les combats de la vertu.
On conçoit dès lors combien il doit être avantageux pour de tels caractères de se trouver pris, pour ainsi dire, dans un courant d'enthousiasme dont la force entraînante les arrache a leur apathie et leur fait accomplir en quelque sorte malgré eux et sans qu'ils s'en doutent, des efforts nombreux et réels que l'habitude rend de plus en plus faciles. Ces efforts, dont ils n'auraient pas osé se croire capables, et qu'ils ont l'illusion d'avoir accomplis de leur propre mouvement, les encouragent par le plaisir dont ils sont la source inattendue, et peu à peu la répugnance naturelle qu'ils en avaient devient moindre, d'où il résulte généralement que le défaut en question se trouve beaucoup diminué, du moins chez ceux en qui il n'atteignait pas des proportions anormales. Il n'est pas sûr, à la vérité, que cette diminution sera définitive et qu'une fois soustraits à cet entraînement un peu factice, la vieille inclination ne prendra pas le dessus plus d'une fois encore ; niais le sentiment qu'ils ont acquis de leur puissance sur elle leur sera du moins une invite à essayer de la surmonter.
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Comme beaucoup d'autres mobiles, l'enthousiasme peut donc avoir ses avantages et ses inconvénients suivant les sujets et les circonstances ; mais, somme toute, il est entre les mains de l'éducateur une ressource précieuse dont il aurait tort de ne pas Essayer de tirer parti, quoique avec circonspection et mesure. A l'école comme dans la pratique de la vie, il serait peut-être dangereux de lui faire la place trop grande ; mais il y aurait sans doute plus d'inconvénient encore à vouloir l'exclure tout fait, et même à lui mesurer trop parcimonieusement l'espace. Pour la formation proprement dite de l'esprit et du caractère aussi bien que pour le vrai progrès des études, il joue dans une maison d'éducation un rôle un peu semblable à celui du vent dans les voiles d'un navire. Sans lui, quand même par ailleurs les choses iraient au mieux, c'est le calme plat.
… et la rame inutile
Fatigue vainement une mer immobile.
L'embarcation, si elle ne reste pas stationnaire, n'avance que péniblement et avec lenteur. Qu'il vienne à souffler, au contraire, et voilà qu'aussitôt, sous sa bienfaisante impulsion, dirigée, par une habile disposition des voiles, le vaisseau se met à voguer rapidement, sans fatigue de l'équipage, vers la destination qui lui est assignée.
A la jeunesse, quoi qu'on dise, il faut un peu d'idéal et non pas seulement d'un idéal froid, décoloré, squelettique, qui s'offre sans attraits à la raison comme digne d'être poursuivi et réalisé ; mais d'un idéal passionnément aimé, que l'imagination au service du cœur se plait à parer des plus belles couleurs de l'espérance ; ce n'est guère qu'à cette condition qu'il a la force d'entrainer vraiment la volonté à sa poursuite. Voulez-vous donc soustraire vos élèves — surtout les plus grands — A l'ennui qui naît presque infailliblement d'un travail sans goût et sans but précis ; voulez-vous les garantir de l'inconstance dont on a tant de peine à se défendre dans l'accomplissement d'une tâche où aucune espérance supérieure ne vient soutenir le, courage ; voulez-vous, les préserver du scepticisme précoce que tend à faire naître le spectacle trop exclusif des tristes réalités de la vie ; voulez-vous enfin entretenir au fond de leur âme cette joie de l'action, cette flamme de l'espérance qui créent dans le cœur, selon l'expression d'un jeune et brillant écrivain catholique, une sorte de fête éternelle, tachez de faire naître et de nourrir en eux la sainte flamme de l'enthousiasme, qui nous guide vers ce qu'il y a de noble et de divin, et qui est pour notre âme ce que les étoiles sont pour nos yeux. "Il faut plaindre ceux qui, de quinze à vingt ans, n'ont jamais senti leur vie traversée par des lueurs mystérieuses, soulevée par des élans vers l'idéal1„.
Peut-être les esprits positifs à outrance objecteront-ils que l'idéal, avec son cortège de bons désirs et de beaux projets, ne suffit pas dans la vie, et nous n'avons nulle envie de le leur contester ; mais qu'importe, s'il est nécessaire ? Les fleurs non plus ne suffisent pas ; mais elles sont la promesse et la condition des fruits. Pour être un jour des hommes d'action, il faut avoir été des hommes de désir. Il est vrai qu'on ne réalise guère jamais dans sa vie que la moitié de ce qu'on a rêvé dans ses jeunes années ; mais que réaliseront alors ceux qui n'ont jamais rien rêvé ?… Certes, ils sont souvent bien naïfs, les rêves pour lesquels s'enthousiasment les enfants et les jeunes gens ; ne tiennent compte ni du temps, ni de l'espace, ni des conditions prosaïques de la vie si différentes des envolées de l'idéal. Ils n'en contiennent pas moins, d'ordinaire, un germe fécond qui 'évolue avec les années vers des idées et des résolutions plus pratiques. Un jour vient où ils se précisent, tombent des hauteurs de l'abstraction et s'encadrent harmonieusement dans la réalité, qu'ils embellissent. (P. Coubé).
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Mais cet enthousiasme fécond et généreux est, nous l'avons déjà, dit, une flamme, qui ne peut s'allumer et s'entretenir qu'au contact d'un foyer, et le maître qui souhaite de le voir régner parmi ses élèves doit d'abord faire en sorte qu'il règne en lui. Ce qu'il veut que ses élèves aiment, estiment, recherchent avec ardeur, il doit d'abord, l'aimer, l'estimer, le rechercher lui-même, et cela d'une façon vraie, sincère, effective, car l’enthousiasme, est peut-être ce qu'il y a de plus difficile à feindre, du moins de manière à ce que la perspicacité naturelle des enfants puisse s'y tromper. Le seul homme qui puisse vraiment convaincre, émouvoir, persuader est l'homme convaincu, ému, persuadé ; d'où la conclusion évidente que le maitre qui désire avoir une action efficace et formatrice sur l'âme de ses élèves ne saurait .mettre trop de soin à être tout cela dans son enseignement ; et à faire en sorte qu'on le voie transparaître dans toutes ses habitudes de vie. Mais il faut de plus et surtout qu'il ait un véritable amour pour ceux qu'il instruit et dirige, un amour intense et profond, mais viril, surnaturel et désintéressé comme il convient à son ministère ; qu'il soit en quelque sorte saintement épris de leurs âmes, attentif à leurs besoins, zélé pour leurs vrais intérêts, soucieux jusqu'au dévouement de leur bonheur sen ce monde et en l'autre, en un mot, qu'il soit, dans le bon sens du vocable, enthousiaste du bien de ses élèves et de ses fonctions auprès d'eux.
Il est vrai qu'au point de vue de l'égoïsme et des calculs intéressés ce n'est pas toujours chose facile. A passer de six à sept heures par jour, pendant dix mois de l'année, dans une classe d'où non seulement, pour l'ordinaire, le luxe et le confortable sont rigoureusement bannis, mais où l'hygiène et la commodité trouvent à peine à contenter leurs exigences les plus élémentaires ; à ressasser du matin au soir les plus vulgaires rudiments des connaissances humaines à un peuple d'enfants légers, pétulants, espiègles, mutins ou obstinément paresseux, dont il faut sans cesser éveiller l'attention, gourmander l'indolence, contenir la dissipation, réprimer le babil ou vider les différends ; à poursuivre toute une vie cette tâche laborieuse, aride, monotone, pénible à la nature et perpétuellement semblable a elle-même, pour laquelle on n'a guère à attendre, humainement parlant, que l'indifférence et l'oubli, quand ce n'est pas pis encore de la plupart de ceux pour qui on s'est donné tant de mal : il n'y a pas là vraiment, pour quiconque ne verrait dans l'Education qu'un méfier, grande matière à exciter l'enthousiasme.
Mais pour celui qui y voit un apostolat ; pour celui qui aime les enfants non pas pour lui-même, mais pour eux et pour Dieu, c'est tout différent. Dans ces enfants dont les défauts frappent si désagréablement ses yeux et mettent parfois sa patience de si pénibles épreuves, il soit trouver un ensemble de titres et des qualités capables de faire oublier des travers cent fois plus nombreux et plus grands. Il voit en eux des diamants bruts qui demandent à être dépouillés de leur gangue et taillés patiemment, mais susceptibles de briller d'un éclat admirable ; des images de Dieu sur lesquelles parfois le péché originel a exerce de terribles ravages, mais qui gardent encore plus d'un trait où se reconnaît la main du divin ouvrier, et qu'on peut, avec des soins et le secours de la grâce, rétablir en grande partie dans leur première beauté. Alors sa mission, au lieu de lui sembler vile et ingrate, lui apparait, au contraire, comme une des plus nobles qu'il soit donné a l'homme d'exercer ici-bas, puisqu'elle l'associe à la triple mission créatrice, rédemptrice et sanctificatrice de Dieu, et il ressent à la remplir une consolation qui lui fait trouver non seulement supportables mais doux et bienvenus les sacrifices éventuels qu'elle demande. Il aime ces précieuses âmes d'enfants, il aime Dieu en elles, il a faim et soif de leur bonheur, de leur beauté éternelle ; et cette faim avide, cette soif ardente, lui fait compter pour rien, tous les soins et toutes les fatigues, comme à la femme de l'Évangile l'ardeur de retrouver la drachme perdue et au Bon Pasteur l'espérance de ramener au bercail la brebis égarée. Après 30 ans, 40 ans et quelquefois plus de laborieux apostolat auprès de ces chers petits, il regrette encore, comme le chancelier Gerson, que ses forces le trahissent et l'obligent de renoncer à la joie de les attirer à Jésus-Christ.
Si donc il y a un enthousiasme dangereux dont la sagesse nous fait un devoir de contrôler les suggestions imprudentes et de réfréner les emportements irréfléchis, il y a aussi un enthousiasme généreux et fécond qui, en nous enflammant d'ardeur pour tout ce qui est vrai, bon, grand, noble et beau, nous fait mépriser pour l'atteindre les calculs mesquins de l'égoïsme et de la paresse, met du ciel dans notre vie, et mérite par conséquent d'avoir sa bonne place parmi les facteurs les plus portants de l'éducation.
Aux maîtres zélés et prudents de savoir le reconnaître, l'éclairer, le favoriser et l'orienter vers des objets vraiment dignes d'être désirés et recherchés. Ils n’ôteront pas seulement ainsi à l'ennemi du bien une arme dont il sait à l'occasion tirer grand avantage ; mais ils la retourneront très heureusement contre lui.
F. D.
Education et religion
Voulez-vous sentir de plus en plus la nécessité de la religion ? Considérez quel est le but de la première éducation. C'est, n'est-ce pas, de travailler pour l'avenir, de préparer, de former dans l'enfant l'homme fait, de le prémunir contre les dangers qui doivent menacer un jour son inexpérience et sa légèreté. Or, suivez la jeunesse sortant des écoles publiques pour n'y plus rentrer : là commence pour elle une nouvelle éducation ; un monde corrompu s'en empare ; c'est maintenant le règne des séductions, des maximes commodes et perverses, de la liberté de tout dire et de tout faire loin des regards d'une surveillance importune. Au milieu de tant de périls, que pourront, pour sauvegarder la jeunesse, quelques préceptes de morale humaine ? Alors si, par les croyances réprimantes de la religion, on n'a pas fortifié les jeunes cœurs contre les attaques du vice, si par de saintes habitudes on n'a pas préparé l'ancre salutaire pour l'époque des passions orageuses, le naufrage n'est-il pas inévitable ? Sans doute, la religion n'est pas une barrière insurmontable à la fougue des passions ; mais du moins elle est, de toutes, la plus puissante. Une fois qu'elle a établi son empire dans le cœur d'un jeune homme, il faut qu'il en combatte longtemps les impressions secrètes, avant de s'abandonner au vice ; lors même qu'elle paraît étouffée, elle est encore vivante dans le fond du cœur : elle y pousse de temps en temps des cris qui éveillent le coupable, et finissent bien souvent par le ramener la vertu. Mais lancer sans principes religieux la jeunesse au milieu du monde, c'est lancer sans gouvernail et sans pilote un vaisseau au milieu des tempêtes. Eclairé par l'expérience, et guéri, du moins en partie, de ses paradoxes, Jean Jacques a dit quelque part : J'avais cru qu'on pouvait être vertueux sans religion, mais je suis bien détrompé de cette erreur.
Frayssinous
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1 P. Ragey, dans le ‘’journal des Enfants de Marie’’.