Les oeuvres maristes en Hollande
Frère E.-V.
02/Nov/2010
Il n'y a jusqu'à présent que deux maisons des Frères Maristes en Hollande : Azelo et Nimègue. Ce sont deux pensionnats de quelque 250 à 300 élèves chacun. Le dernier surtout jouit d'une situation exceptionnellement avantageuse à de multiples points de vue et, malgré sa silhouette austère, peut être considéré à juste titre comme un des établissements des mieux organisés et des plus fonctionnels.
La pénétration de nos Frères en Hollande fut une épopée dont certains épisodes rappellent et dépassent même celle de La Valla.
Le pays. Situation scolaire.
Mais avant d'en entamer le récit, jetons un rapide coup d'œil sur la situation de l'enseignement libre dans ce petit pays surpeuplé et dont le monde entier connaît le dynamisme et l'esprit de conquête pacifique. « Dieu créa le monde, mais les Bataves, avec une rare obstination, continuent à faire la Hollande, en dépit de la terre, de la mer et des fleuves ».
L'école libre jouit en Hollande d'un régime d'égalité quasi absolue avec l'école officielle, sans qu'elle ait à compromettre ou à aliéner d'aucune façon ni son caractère propre ni sa légitime autonomie.
Il n'entre pas dans le cadre du présent article d'énumérer tous les avantages inappréciables dont elle y jouit: traitements officiels pour le personnel enseignant et pension en fin de carrière; intervention plus que substantielle de l'Etat dans les frais de construction, d'ameublement et d'entretien des locaux; renouvellement et adaptation du mobilier classique, s'il en est besoin. Et tout cela sans autre ennui que celui de veiller scrupuleusement à tenir à jour une comptabilité exacte.
De plus, sait-on que ce petit pays, avec une proportion de près de 43% de catholiques — soit moins de 2% des catholiques du monde entier — fournit cependant à l'Eglise plus de 12% de ses missionnaires dont un gros millier se trouve au Brésil?
Un peu d'histoire.
C'est en juin 1937 que nos Frères d'Allemagne, sentant s'appesantir toujours plus lourdement sur eux et se préciser les menaces inexorables du régime nazi, résolurent de prendre le large. Un premier groupe important s'embarqua pour l'Uruguay. Un second petit groupe se crut à l'abri en franchissant simplement la frontière occidentale du « Heimat ». Ils s'arrêtèrent dans la petite ville d'Almelo, située dans le nord-est de la Hollande.
Monsieur l'abbé Van der Waarden, doyen de l'endroit, s'intéressa à leur sort et se chargea de défendre leur cause auprès de son Eminence l'Archevêque d'Utrecht, Mgr Van der Wetering. Ils purent s'installer dans la villa « Castello ». De charitables voisins leur vinrent également en aide, notamment monsieur et madame Lefering. Monsieur, fondé de pouvoirs de la droguerie « Hermeling » assista les Frères de ses bons conseils. Quant à Madame, ancienne institutrice, elle se chargea bénévolement d'initier les Frères au néerlandais, langue-sœur de l'allemand. Cela permit à deux ou trois Frères de conquérir rapidement un diplôme leur permettant d'enseigner.
Entre-temps, leurs chefs songèrent à l'acquisition d'un terrain éventuellement propice à l'érection d'un pensionnat. C'est que, en dehors d'un petit magot nullement méprisable, les Frères avaient amené avec eux tout un stock de mobilier: lits, armoires, tables, pianos, etc. …
Ils étaient neuf ou dix en tout: F. Laurien, leur Directeur, à qui, s'il faut en croire les RR.PP. Carmes de Zenderen, ne manquait du renard que le poil; son bras droit, le brave F. Bruno, encore en vie et en activité malgré son grand âge. Nommons encore les Frères Ambrosius, Anselmus, Gelasius. Polycarpus, Reinhard, Bonaventure le distillateur, Vitus le jardinier et Longinus le cuisinier.
De quoi vivaient-ils?
En premier lieu, de leur avoir, mais aussi — j'avais omis de le relater — d'une ample provision d'arquebuse, cette précieuse liqueur dont nous sommes seuls à connaître le secret. On y ajouta un commerce de thés. Après tout, il fallait vivre: primo vivere. Puis quelques Frères donnèrent des leçons particulières de langues: allemand, anglais, français. Enfin, on installa à Almelo d'abord, à Oldenzaal ensuite, chez Monsieur Lamers, une petite distillerie pour la fabrication de diverses liqueurs.
Pendant la guerre.
En 1938, Frère Laurien, ancien d'Arlon, tout comme le Frère Bruno, proposa à la Province belge d'ouvrir, de concert, un pensionnat dans un ancien monastère de religieuses à Reuven, près de Roermond. Mais les temps étaient trop incertains et la proposition resta sans lendemain.
On fit alors des démarches auprès de la Maison Généralice en vue de construire un collège à Azelo, non loin d'Almelo, où l'on venait d'acquérir à bon compte un terrain de quelque 9 ha, couvert de bruyères et de pins. Les plans de la construction avaient déjà été arrêtés d'avance. La réponse se fit attendre. En 1939 vint l'autorisation de construire seulement une petite villa pouvant loger une dizaine de Frères. Qu'importe; on ne se décourage pas. Les Frères vont camper sur place, dans une misérable baraque, en attendant de voir la villa sortir de terre.
On aménage un jardin potager, puis, une paire de vaches et une assez nombreuse volaille viennent rompre le monotone silence d'alentour.
Non loin de là se trouvait un couvent de Pères Rédemptoristes. Les rapports furent vite noués, mais presque aussi vite rompus à cause des attitudes un peu trop paternalistes d'un des Pères.
Sur ces entrefaites, en mai 1940, éclate la guerre et c'est l'invasion avec tout ce que cela comporte de souffrances et de privations.
En 1941, tous les Frères en âge de porter les armes furent rappelés sous les drapeaux. Les adieux douloureux eurent lieu en décembre. Avec les jeunes disparurent aussi les projets d'avenir.
Cependant entre-temps, deux jeunes Hollandais, entrés diplômés dans l'Institut et qui avaient terminé leur noviciat en Belgique, vinrent renforcer la petite communauté. Mais que pouvait-on bien entreprendre dans une atmosphère politique aussi tendue? On décida d'organiser des cours de langues, de commerce et de dactylographie, à l'intention des jeunes gens et même des hommes mariés désireux de se lancer dans les affaires. Les cours se donnèrent quatre fois par semaine, entre 7 heures et 10 heures du soir. Les Frères eurent la satisfaction de voir tous leurs candidats réussir aux examens. La distillerie et le commerce des thés ne chômèrent pas totalement non plus. C'est ainsi que la guerre toucherait à sa fin. Mais auparavant, en octobre 1944, deux Frères flamands, dont l'un deviendra le premier Directeur de notre collège d'Azelo, étaient venus rejoindre le groupe décimé des Frères allemands. Les écoles des environs étant toutes fermées, on réunissait les enfants de Delden et de Borne, deux villages proches d'Azelo, pour leur faire la classe. Mais cela ne dura guère. En février 1945, il fallut évacuer la villa, car les troupes d'occupation avaient établi, non loin de là, une rampe de lancement pour les V 1, et comptaient s'établir avec leur dépôt d'essence dans la propriété des Frères.
Le Frère Laurien, lorrain, parvint une première fois à conjurer la catastrophe. Seulement les occupants revinrent bientôt à la charge et il fallut déloger. On se retira chez les Pères Carmes. Ceux-ci à leur tour durent partir. Heureusement, monsieur Liedenbaum, un peintre en bâtiments, prit chez, lui les Frères Laurien et Bruno. Les autres Frères, au grand scandale des hiboux et des choucas, se réfugièrent dans la sacristie et la tour de l'église sainte Thérèse de Borne. Par bonheur, Monsieur Liedenbaum possédait un dépôt spacieux: on y continua les classes.
Vint l'armistice. Il resta donc à Azelo deux Frères allemands, un Frère hollandais et deux Frères flamands ainsi que deux domestiques maquisards.
La guerre était finie mais non pas le calvaire des Frères comme nous le verrons par la suite.
Frère E.-V.