L?Institut Angel de Alvear
07/Oct/2010
D'une belle monographie, venue de l'Argentine, le Bulletin va extraire quelques pages qui pourront intéresser ses Lecteurs à l'Etablissement Angel de Alvear, que dirigent nos Frères, non loin de Buenos Ayres.
Ce vaste établissement de bienfaisance est destiné à réintégrer dans la société, en les munissant d'une bonne éducation chrétienne et d'une formation agricole 400 enfants orphelins ou abandonnés.
Les fondateurs et bienfaiteurs, ainsi que nos Frères qui la dirigent, en ont fait une maison modèle, d'ailleurs tout à fait remarquable par son organisation, son étendue, les ressources dont elle dispose et, autant qu'on en puisse juger, ses premiers résultats.
La région. — Le Bulletin, à diverses reprises a heureusement donné quelques relations concernant nos Frères d'Argentine. Il a, en particulier, dès son premier volume parlé de la splendide basilique de Notre Dame de Luján construite là où, en 1630, s'arrêta la statue miraculeuse venue du Brésil et qu'aucun effort ne put déplacer du sol qu'elle avait choisi pour y être honorée. C'est à l'ombre du sanctuaire qu'ont grandi le Collège du même nom, puis le juvénat et le noviciat de la Province, et non loin de là qu'est situé l'Institut Angel de Alvear.
Société de Bienfaisance des Dames de la Capitale. – Ce qui est moins connu c'est la modeste société de Bienfaisance, fondée en 1823, par le Président de la République d'alors, Bernardin Rivadavia, et qui est devenue actuellement l'une des plus considérables du monde. Elle réunit aujourd'hui toute l'aristocratie féminine de la Capitale. Son activité qui se limitait au début à la surveillance des petites écoles de filles, dont le fonctionnement laissait fort à désirer, s'est étendue depuis à l'ensemble des misères humaines.
Qu'il suffise de dire, pour donner une idée de son importance, qu'elle se subdivise en une trentaine de sous-commissions, ayant chacune de 4 à 10 membres actifs. Son budget annuel atteignait au début environ 6.000 francs. En 1932, par contre, la contribution budgétaire dont le gouvernement augmente les ressources privées de la Société, s'élevait à 60 millions. Le produit des dons et quêtes a été de son côté de 47 millions de francs: soit au total plus de 100 millions.
Elle a sous son contrôle immédiat plus de 30 grands établissements charitables, principalement hôpitaux et orphelinats, dont celui que nos Frères dirigent et qui fait l'objet de ce compte-rendu. Au total cela fait environ 6.000 orphelins, 7.000 lits dans les hôpitaux et d'innombrables œuvres analogues.
Ajoutons à la louange de ces nobles chrétiennes qu'elles sont arrivées à se faire aider par des prêtres, des religieux et des religieuses dans tout l'ensemble des établissements qu'elles protègent, ce qui a été une œuvre de longue haleine, dans ce pays relativement neuf.
L'Institut Angel de Alvear. — Cet Institut est l'œuvre de prédilection de Madame Marie Unzué de Alvear, qui a voulu par cette grandiose fondation perpétuer la mémoire de son mari défunt.
L’'établissement, récemment fondé, a nécessité, de la part de la généreuse bienfaitrice, une dépense initiale de plus de 25 millions. Le terrain seul couvre près de 500 Hectares. Les constructions et aménagements sont en proportion.
Il a été cédé au Gouvernement, qui assure les dépenses courantes pour 400 orphelins et les 112 employés formant le personnel. L'une des clauses de la donation c'est que la direction sera entre les mains d'une congrégation religieuse.
Et nos Frères furent choisis, après que la fondatrice eut constaté combien son neveu, élève de notre Collège Champagnat, à Buenos Ayres, avait eu d'excellents, maîtres.
L'inauguration. — C'est en septembre 1928 que fut inauguré le nouvel établissement. La cérémonie revêtit une solennité peu ordinaire. Le président de la République, entouré de ses ministres, était présent ainsi-.que S. E. le fonce apostolique et S. E. l'archevêque de Buenos-Aires. C'est dire la qualité de tous ceux qui les entouraient et qu'on ne peut songer à nommer ici. Une foule immense participait à la cérémonie.
La fanfare de l'Asile de Huérfanos, venue de Buenos Ayres, avec 200 enfants fit retentir les échos de ses airs les plus entraînants. Les Juvénistes de Luján, de leur côté, exécutèrent les chants religieux avec cette maîtrise dont ils ont fait preuve tant de fois, aux solennités qui se déroulent à la Basilique nationale.
Citons ici un passage pris dans un journal de l'époque.
« … Alors, suivant le clergé, les invités parcoururent pieusement les diverses dépendances de l'établissement, afin que l'Église par ses touchantes prières en prît possession et en éloignât les esprits malins.
Puis, les cérémonies religieuses achevées on se réunit à la Salle d'honneur où l'Hymne argentin ayant été chanté, eut lieu l'émouvante cérémonie de la remise de l'établissement à l'Œuvre qui la dirige actuellement.
La généreuse bienfaitrice Madame Marie Unzué de Alvear prit la parole et en quelques mots, à la fois simples et pathétiques, céda la possession de cette importante partie de son patrimoine à la Société de Bienfaisance des Donnes de la Capitale; celle-ci à son tour, l'ayant acceptée, déclara choisir, selon le désir de la fondatrice, pour en assumer la direction la Congrégation des Frères Maristes, en la personne du C. F. Sébastiani, Directeur tout désigné par ses vastes connaissances pratiques en cette sorte d'œuvres.
Ensuite un élève, au nom de ses condisciples présents et futurs remercia la généreuse bienfaitrice, et tous ceux qui l'entouraient en cette circonstance, d'avoir assuré leur avenir et de leur avoir préparé tout ce qui devait contribuer à leur bonne éducation.
Après quoi un lunch fut servi aux autorités et tout le monde se retira, heureux d'avoir assisté à l'inauguration d'un établissement qui fera la gloire du pays, en même temps qu'il sera l'abri d'innombrables infortunés et orphelins ».
Le but de l'établissement. —. La Société de Bienfaisance, en nous confiant la direction de cette œuvre, s'est proposée au point de vue physique, d'accueillir les enfants dépourvus de tout moyen d'existence ou abandonnés, et de leur fournir tout ce qui leur est nécessaire, et au point de vue moral de leur donner une éducation complète par la pratique de la religion chrétienne, en même temps que par l'instruction et les bons procédés.
Ainsi l'Institution rendra à la société des hommes honnêtes et capables de gagner leur vie honorablement par le travail. Il est remarquable que l'œuvre est aussi destinée à combattre l'urbanisme outré qui pousse tant de jeunes gens hors de la campagne et des situations agricoles, les plus morales bien souvent.
Organisation générale. — Ce sont les Frères qui sont responsables devant le Gouvernement et la Société de Bienfaisance de la marche de l'établissement. Actuellement, le personnel se compose dei Frères dont, cela va de soi, les fonctions sont principalement la direction de l'ensemble, l'instruction religieuse et la surveillance. Ils reçoivent un traitement convenable. Et pour la bonne marche de l'œuvre aux multiples rouages qui est entre leurs mains, ils se font aider de tout un personnel.
Il y a d'abord un Aumônier pour s'occuper des âmes. Il y a aussi un médecin, aidé de deux infirmiers et même, comme en tout établissement important de l'Amérique du sud un dentiste, avec un aide pour s'occuper de la bonne tenue des bouches.
Le personnel enseignant se compose de six maîtres pour les classes de l'enseignement primaire, de professeurs de gymnastique, de musique vocale et instrumentale.
La partie agricole tient, toutefois le premier rang. Ainsi il y a un ingénieur agronome, cinq professeurs d'agriculture, chacun spécialisé dans une partie et douze aides qui remplissent le rôle de contremaîtres pour diriger les travaux des champs, à la tète du groupe qui leur est confié.
Ajoutez à cela quatorze surveillants chargés des enfants en dehors des heures de classe, et vous aurez une idée du personnel s'occupant des élèves.
Encore faudrait-il mentionner tous les autres services: la cuisine avec ses deux cuisiniers-chefs, un économe chargé de toute les fournitures, un réfectorier, etc. avec un nombre important de subalternes qu'il est facile d'imaginer.
Les élèves. — Les élèves présentés par la société de Bienfaisance sont des enfants sans aucune ressource.
Ils ont de 14 à 16 ans et on s'assure qu'ils ont un minimum de connaissances, correspondant aux trois premières classes élémentaires des programmes officiels, afin qu'ils puissent suivre avec profit les classes de l'établissement. Ils peuvent rester à la maison jusqu'à 22 ans.
Leur programme comprend les trois dernières classes de l'enseignement élémentaire et en même temps 4 années d'enseignement agricole.
Cet enseignement étant à la fois théorique et pratique, une moitié de la journée l'enfant assiste aux classes et l'autre moitié il est dans les champs, où le travail ne chôme jamais. Tous les 15 jours on alterne, et ainsi, la moitié de l'effectif, qui était en classe le matin, y vient le soir.
Rien n'est oublié et un élève sortant de l'établissement est muni de connaissances étendues sur tout ce qui regarde l'agriculture, aussi bien pour la comptabilité rurale ou l'arpentage que pour la botanique, l'aviculture, l'apiculture, la pathologie animale et végétale, les divers aspects du travail d'une ferme, la mécanique agricole, les plantes textiles, la conservation des fruits et en résumé tout ce qui concerne une vaste exploitation.
Il y a d'ailleurs, en plus du cours normal, des cours de spécialisation, pour ceux qui désirent rester encore deux ans. Ils se livrent alors à l'étude d'une branche particulière, telle que les industries du lait, l'élevage, l'arboriculture, l'horticulture, etc. …
Il faut avouer aussi que certaines natures d'élèves ne peuvent suivre avec profit une si longue filière, soit par manque de moyens intellectuels, par suite de faible santé ou pour d'autres raisons. Alors on s'ingénie à les appliquer à quelque emploi pour lesquels ils semblent avoir des aptitudes. Et vu l'ampleur de l'établissement on y arrive sans trop de peine.
L'œuvre d'éducation. — Il faut dire un mot, sous forme de digression, du milieu tout à fait spécial qui nous fournit notre clientèle.
Nous devons faire abstraction complète de la formation reçue dans la famille, soit parce qu'elle n'existe pas, soit parce que nos enfants proviennent d'œuvres qui les ont recueillis tout jeunes encore, de façon qu'ils n'ont jamais connu leurs parents et c'est là évidemment une condition bien défavorable à l'entreprise de l'éducation chrétienne d'une telle jeunesse.
Sur ce point pourtant, la Société de Bienfaisance a fait faire d'immense progrès aux œuvres qui, jusqu'ici, recueillaient les enfants abandonnés. On les confiait jadis à des mercenaires sans aucune idée surnaturelle et uniquement occupés d'assurer matériellement leur service. Partout et petit à petit, des communautés religieuses ont été introduites au moins comme directrices du personnel laïque. En général, on pourrait reprocher à ces enfants de manquer un peu de virilité, d'être un peu mous et timides, mais par contre on les trouve généralement pieux et bons et, par suite, capables de progresser et de subir l'action de leurs maîtres avec bonne volonté. Tout serait pour le mieux, si une Hérédité malheureuse n'avait, en général, augmenté le poids que nous connaissons tous en nous du péché originel.
N'importe, au total, l'ensemble des jeunes gens qui nous sont confiés, sans titre de tout premier choix, est encore bien convenable.
La part de la religion. — Aussi bien pour les Frères de l'Institut Alvear que pour ceux du monde entier, la. religion chrétienne est le fondement sur lequel ils font reposer toute leur action. Aussi est-elle en grand honneur chez nous. En premier lieu, nous avons notre chapelain, qui est toujours la disposition des enfants et leur fait de fréquentes instructions. La sainte messe n'est obligatoire, du fait du règlement, qu'une fois par semaine, en plus des jours commandés. Mais elle est toujours à la portée de ceux qui le désirent, ainsi que la communion même quotidienne, et grâce à Dieu, ceux qui aiment Notre Seigneur sont nombreux à l'Institut Alvear.
Toutes les pratiques religieuses et prières de nos autres écoles sont ici en honneur.
Les Frères se chargent du catéchisme journalier, qui a lieu chaque matin avant le petit déjeuner, pendant 40 minutes.
Au commencement des classes, en mars, il y a une petite retraite de trois jours, pour toute la maisonnée. A Noël et à Pâques, on procure aux élèves, anciens élèves et employés, des confesseurs extraordinaires.
Avec la religion, il faut signaler les bons procédés. Si dans une école ordinaire on doit attirer les enfants par la bonté et la douceur, à plus forte raison chez nous, avec des orphelins, en général timides et qui manquent d'initiative personnelle. Leurs âmes débiles ont besoin, avant tout d'être encouragées. Ils n'ont personne au monde en qui ils puissent avoir confiance si ce n'est, au F. Directeur et à leurs maîtres. S'ils étaient traités durement, que deviendraient-ils?
Aussi, il est vraiment remarquable de constater combien cet esprit de famille, fait de confiance et de bonté réciproque se manifeste même aux yeux des visiteurs. Une des inspectrices de la Société de Bienfaisance le disait un jour clairement en ces termes: « Quel plaisir pour moi de visiter l'Institut Alvear. Vraiment ce sont des enfants qui ne sont pas guindés. On voit qu'ils sont ici à leur aise et contents. Et elle ajoutait: Quelle différence avec certains autres établissements ».
Le travail. — Si, pendant que nos enfants sont chez nous, nous ne les formions pas au travail que feraient- ils plus tard? Aussi nous y appliquons nous de tout notre pouvoir.
Pratiquement, après quatre minées d'études théoriques et pratiques, sur 74 élèves de la première année, 20 seulement ont achevé leurs études agricoles avec un succès qui leur permet de se spécialiser. C'est dire que l'ensemble devra se livrer au travail manuel, au travail pénible de l'ouvrier qui loue ses bras à d'autres hommes, heureux encore de trouver une place, par ce temps de crise.
Et c'est tout un problème de faire comprendre à ces enfants qui, toute leur jeunesse, et encore chez nous, reçoivent comme automatiquement et sans aucun souci tout ce qui leur est nécessaire, que cela ne durera pas toute la vie qu'après leur sortie, il faudra lutter pour gagner le pain de chaque jour.
Aussi avons-nous tout un ensemble de moyens pour leur faire entrer cette idée dans la tête. On sait que tous les enfants sont sensibles aux mobiles des récompenses. Nous avons donc instauré un système de notes journalières qui permet de tenir compte de tous les efforts en classe et aux champs. Ces notes, traduites en argent, forment une certaine somme et comme une petite fortune que chaque enfant voit augmenter avec ses efforts et qu'il peut gérer dans de certaines limites. Elle est même, à certains jours, affichée publiquement.
Chacun sait donc bien exactement, avant une promenade ou une fête, le montant de son avoir, On permet alors aux titulaires de toucher une partie des intérêts et de les dépenser suivant leurs désirs. Chacun dresse alors la liste des objets qu'il souhaite et la remet au chef de section qui fait vérifier au secrétariat de la. comptabilité si la somme est vraiment disponible. On procure alors à l'intéressé ce qu'il a demandé.
Les sommes disponibles ne sont entre les mains des jeunes gens qu'au moment de la distribution des prix, c'est à dire un jour par mois, afin qu'ils puissent pour ainsi dire en savourer la possession. Ensuite on les retire et elles restent comptabilisées. On fournit à cette occasion des catalogues de maisons sérieuses afin que les enfants s'habituent aux prix des objets et puissent faire leur choix en connaissance de cause.
La vie sociale. — Pour former nos enfants à la vie sociale, puisqu'il faudra bien un jour qu'ils rentrent dans le vaste monde et se conduisent seuls, il leur est encore accordé une autre sorte de récompense à certains jour. Pour cela on leur permet de se grouper à 4 ou 5, en petites parties de vacances, durant quelques heures qu'ils vont passer dans la propriété. Il va de soi que sans qu'ils s'en aperçoivent ils sont soigneusement groupés entre enfants de même âge et discrètement surveillés. D'ailleurs à ces moments, 'ils ne restent pas oisifs, mais se livrent à tontes sortes de petits travaux librement choisis ou bien. jouent aux jeux qui leur plaisent, ou soignent leurs petits animaux familiers.
On ne saurait croire, en effet, à quel point ils ont la passion des oiseaux recueillis dans leurs nids, les apprivoisant ou leur fabriquant des cages appropriées, etc.
C'est un objet d'étonnent de voir ici le nombre considérable d'oiseaux allant et venant dans tous les sens, au milieu de tant d'enfants turbulents et bruyants. Voici une colombe qui vient au devant de vous solliciter quelques grains, ou une tourterelle qui vous saute sur l'épaule ou se pose sur votre tête. Alouettes, merles, pies, hiboux mêmes, sont choyés et élevés avec soin. Il y a aussi des lièvres ou autres mammifères sauvages.
(A suivre)