Maison de S. Camilo
F. S.
11/Sep/2010
Jusqu'à présent, en Colombie, nous n'avions pas eu, à proprement parler, de maison provinciale. Nos juvénistes, postulants, novices et scolastiques, quand il y en avait, s'étaient logés comme ils avaient pu, avec les Frères de la Communauté, dans un quartier de la maison de Carmen, où se trouve également l'école communale avec ses 500 élèves.
Tant qu'ils ne furent que quelques-uns, cela n'amenait pas de trop graves inconvénients; mais, par la grâce de Dieu, leur nombre s'étant considérablement accru depuis quelques années, il en résultait une gêne qui ne pouvait durer longtemps. Les Supérieurs s'en rendaient compte et cherchaient le moyen de la faire cesser par l'acquisition d'un local indépendant; mais il fallut longtemps pour pouvoir trouver à la difficulté une solution vraiment pratique. Eu attendant, notre chère jeunesse patientait et priait, parmi les alternatives de déception et d'espoir; c'est une tactique qui manque rarement son effet, et souvent même le résultat est supérieur l'attente. Ce fut ici précisément le cas.
A l'extrémité sud-ouest de Popayán, se trouve la maison San Camilo, qui appartient au diocèse et servait de local au grand séminaire. Or, le grand séminaire ayant été transporté à côté du petit, Monseigneur, dont la bonté à notre égard ne s'est jamais démentie, nous offrit l'immeuble ainsi resté libre, et nous l'acceptâmes comme un bienfait de la divine Providence; car c'était vraiment ce que nous pouvions désirer de mieux.
Et voilà pourquoi, depuis le mois de septembre 1912, nous nous trouvons, Juvénistes et Novices, idéalement installés à San Camilo. C'est tout à fait à l'extrémité de la ville; après nous commencent les polveros, vastes prairies où vaches et chevaux campent le jour, et la nuit en toute liberté. Nous y jouissons du grand air des champs et du printemps perpétuel qu'est le climat de la région. La fraicheur du matin y alterne avec les vapeurs chaudes du soir. Les cris des animaux, nos voisins, nous font penser à la munificence de Dieu, qui, selon l'expression du Roi Prophète a mis aux pieds de l'homme les moutons et les bœufs en plus des bêtes des champs, des oiseaux du ciel et des poissons qui parcourent les sentiers de la mer, et nous disons chaque jour avec plus de reconnaissance: Benedicite opimes bestiæ et pecora Domino. Les vents, après avoir frôlé la crête de la Cordillère, nous visitent sans obstacle et des orages diluviens nous prodiguent leur averses, qui font rage parfois jusqu'â convertir les rues en véritables ruisseaux; mais ils ont aussi leur mission providentielle et, à leur manière, ils nous invitent également à dire: Benedicite omnes spirites Dei Domino ! Benedicite imber et vos Domino Benedicite fulgura et nuées Domino!
A cette poésie qui a bien son charme, il faut ajouter une superbe vue sur la double chaine des Andes dont les sommets géants: le Pouracé, le Coconucos, le Sotará, qui se dressent à peu de distance de nous, peuvent rivaliser pour la taille avec le mont Blanc et les plus hauts du Caucase. Entre ses deux crêtes, s'allongent à perte de vue deux immenses vallées qui tirent leur nom, chacune, du fleuve qui les arrose: vers le nord, celle du Cauca, riante, fertile et tempérée, et vers le sud, celle du Patia, plus chaude et plus agreste.
Au milieu de ce beau panorama, nous menons une vie calme, tranquille, éloignée des vains bruits du monde et de ses folles distractions, et par cela même très favorable aux études et à la formation religieuse.
La maison, assez spacieuse, est divisée en deux parties bien distinctes, ayant chacune sa cour, sa fontaine et ses larges galeries pour se récréer en temps de pluie.
Le Noviciat occupe la partie nord, appelée "maison Sainte-Marie’’ et le Juvénat, qui tient à honorer son saint patron, occupe au sud la "maison Saint-Joseph’’. Une toute petite chapelle, suffisante néanmoins pour abriter et réunir au pied de l'autel tous les membres des deux communautés, complète heureusement les avantages précieux de la maison, et nous donne la consolation d'avoir sous le même toit que nous le divin Prisonnier du Tabernacle, toujours disposé à se faire le confident et l'associé de nos joies comme de nos tristesses.
A l'entour du local est un terrain assez vaste planté de bananiers et de caféiers, auxquels nous avons ajouté des arbres fruitiers de diverses espèces: orangers, citronniers, chirimoyas, pommiers, abricotiers, etc., et des eucalyptus pour assainir l'air et écarter les miasmes fiévreux. Nos jeunes gens y vont passer volontiers quelques moments pour se donner l'illusion d'une promenade à la campagne, et ses produits forment un appoint fort appréciable pour l'entretien du personnel de la maison.
Mais les lecteurs du Bulletin se demandent, peut-être, quelle est l'origine de cette maison dont la Providence vient si opportunément de faire notre demeure. Eh bien, la voici à grands traits.
Vers le milieu du XVII° siècle, en pleine domination espagnole, elle avait été construite par un saint prêtre nommé José Beltrán de Caicedo, dans l'intention d'y appeler les RR. PP. Franciscains; mais les circonstances ne le permirent pas. Elle rut alors offerte, en 1766, aux fils de saint Camille de Lellis, appelé Camiliens ou Pères de la Bonne Mort, qui lui ont légué le nom qu'elle porte encore. Quelques objets, tels que tableaux, ornements divers, caveaux, etc. …, y rappellent encore leur souvenir. Mais il parait qu'ils y menèrent une existence assez précaire jusqu'à ce qu'enfin, en 1810, année de l'Indépendance, ils se retirèrent, et la maison revint à l'Evêché.
Depuis, elle a passé par bien des vicissitudes. Occupée à diverses reprises par les troupes des différents partis qui se disputaient le pouvoir et qui en avaient fait leur quartier général, elle était tombée dans un état de délabrement voisin de la ruine, lorsque en 1863, le Gouvernement radical s'en empara de par le droit du plus fort.
Ensuite, elle devint la propriété de l'Université, de même qu'une mine d’or qu'elle possédait dans la vallée du Patia. Enfin, en 1876, elle fit retour à l'Evêché, qui la racheta pour y établir le grand séminaire sous la direction des bons Pères Lazaristes; et, moyennant de nombreuses réparations et quelques constructions neuves, elle fut remise dans le bon état on elle se trouve encore aujourd'hui.
Dieu veuille que pendant longtemps elle puisse correspondre aux intentions du généreux Prélat qui l'a mise à notre disposition, et servir d'asile â la pieuse jeunesse qui, sous l'étendard de Marie, se prépare à répandre l'instruction et l'éducation chrétiennes dans le noble pays qui se glorifie d'être la République du Sacré-Cœur!
F. S.