Noces de diamant du R. F. Sup.

25/Feb/2010

Le 2 février dernier rappelait une date qui a le droit d'être particulièrement chère à tous les membres de l'Institut. C'est à pareil jour, en effet, que le Révérend Frère Stratonique, notre digne et vénéré Supérieur Général, revêtait à N.-D. de l'Hermitage, il y a 60 ans, le saint habit des Petits Frères de Marie qu'il devait tant honorer, et que notre chère Famille religieuse recevait dans son sein celui qui depuis déjà plus de dix ans la dirige avec tant de vigueur, de sagesse et de paternel dévouement.

En d'autres conjonctures, c'eût été, de la part de tous ses Fils en Jésus et Marie, d'un bout du monde à l'autre, l'heureuse occasion d'un concert grandiose de jubilation, de religieux respect, de tendre gratitude et de filial amour. Dieu n'a pas voulu que les temps malheureux où nous vivons fussent propices à des manifestations de ce genre ; mais nous sommes sûrs que, pour avoir dû se renfermer dans l'intimité, ces sentiments n'auront été ni moins universels, ni moins vivement ressentis.

Nous, qui avions la faveur de nous trouver plus rapprochés de lui, nous avons cru qu’il était de notre devoir de ne pas laisser passer cependant ce jour tout à fait inaperçu, et de nous efforcer, sans sortir de la simplicité commandée par les circonstances, de lui offrir au moins mal, en même temps que nos propres vœux, ceux de tous nos Frères éloignés, dont nous nous sommes considérés — tant pis si c'était présomption — comme les naturels interprètes.

Nous avions déjà été prévenus par nos bons Frères de l'Hermitage, qui, dans la crainte de manquer l'occasion, avaient pris les devants sur le calendrier.

En effet, la première de leurs retraites se terminant le samedi, 8 septembre, fête de la Nativité de Marie, et la seconde devant commencer le surlendemain , le Frère Provincial , coutumier des inspirations heureuses, avait tout combiné pour que les Frères qui prendraient part à l'une et à l'autre pussent se trouver réunis à l’Hermitage, le dimanche 9 septembre, pour y fêter à la fois le Centenaire de la fondation de l'Institut, et les Noces d'Or ou de Diamant de tous les Frères de la Province qui comptaient plus de )0 ans de communauté. C'était une raison plausible pour y attirer le Révérend Frère et en faire, sans qu'il s'en fût douté, le centre vénéré de cette splendide couronne .de têtes à cheveux blancs.

Il vint, en effet, le 8 au soir, accompagné du C. Fr. Angélicus, A. G., et du C. Frère Amphiloque, Provincial de Syrie, lui aussi jubilaire ; et le lendemain fut, pour la vénérable maison, comme une reviviscence des beaux jours d'autrefois.

Le matin, dès 4 h. ¾, la chapelle retentit d'un solennel Salve Regina, et Marie, du sein de son auréole de lumière, sembla sourire à ses enfants plus doucement que jamais.

La prière du matin et la méditation se firent dans une salle voisine de celle où le V. P. Fondateur fut administré ; puis on retourna à la chapelle, parée comme aux plus grandes fêtes, pour la Messe de Communion, qui fut très pieusement impressionnante. Il en fut de même, à l'heure traditionnelle, de la Grand’messe, célébrée par un bon Père Mariste de Saint-Chamond, et chantée avec beaucoup d'art par des voix aussi belles que sympathiques.

Ce fut ensuite, vers les 10 heures, le tour de la cérémonie des souhaits, qui eut lieu dans l'ancienne salle des exercices du noviciat, artistement disposée à cet effet. Au fond, s'élevait une estrade, où allèrent prendre place, aux côtés du Révérend Frère, du C. Frère Assistant et du Frère Provincial, les quatre jubilaires qui célébraient leurs Noces de Diamant ; et, perpendiculairement à cette estrade, des deux côtés de la salle, s'alignaient les sièges destinés aux 36 jubilaires qui célébraient ou renouvelaient leurs Noces d'Or. Les autres formaient l'assemblée, aux premiers rangs de laquelle se trouvaient les Benjamins, les petits rapatriés des régions envahies qui ont été recueillis dans la maison, où l’on tâche de leur faire oublier, par des soins affectueux, leurs longs mois de souffrances.

L'un deux, après l'exécution brillante, par les virtuoses de la réunion, de deux cœurs de circonstance, vient débiter de sa voix candide devant le Révérend Frère, une petite élégie en l'honneur du V. P. Champagnat ; puis le Frère Pierre Gonzalès donne lecture de deux jolis poèmes de sa façon sur des sujets empruntés à la vie du pieux Fondateur, et le Frère Provincial, dans une adresse tout imprégnée de la chaude éloquence du cœur, explique l'objet de la fête du jour et félicite délicatement le Révérend Frère avec les jubilaires.

Le Révérend Frère, s’étant fait auprès de la communauté l'interprète des remerciements des héros de la fête, distribue entre autres choses, à titre de souvenir, une image avec relique du Vénérable Fondateur et une médaille bénite par Notre Saint Père le Pape.

 

 

 

Au dîner, qui ne tarde pas à suivre, les conversations reflètent naturellement les impressions de la matinée ; le R. Père Seguin, S. M., porte un toast de félicité et de longue vie aux chers jubilaires, souhaite à la Congrégation développement, et prospérité ; un de ses confrères, qui est professeur d'histoire au Collège de St. Chamond, invite avec beaucoup d’à propos les convives à garder fidèlement la mémoire de leurs vertueux aînés et à les proposer comme modèles à leurs Frères plus jeunes, à l'imitation des mères de l'antique Grèce, qui se plaisaient à évoquer devant leurs fils le souvenir des héros de Leuctres, de Mantinée et de Marathon, en leur disant : "N'oubliez pas, mes enfants, que vous êtes d'une grande lignée, que vous descendez d'une noble race’’ ; le Révérend Frère répond par des remerciements et de bonnes réflexions de circonstance ; le Frère Amphiloque, sur son invitation, dit, également son petit mot,… et le reste de la soirée, se passe joyeusement selon l'ordinaire des grandes fêtes, avec addition d'une intéressante séance de projections procurée par le Directeur d’une des écoles libres du voisinage.

Un si heureux prélude appelait évidemment une suite, et la communauté de la Maison Mère, ainsi que nous avons dit plus haut, se fit un joyeux devoir de la lui donner, le 2 février dernier, avec le concours des communautés des environs ; d'autant plus que, semblablement à ce qui s'était fait à l'Hermitage, quoique plus en petit, elle avait à donner pour couronne au Révérend Frère, une respectable phalange de vétérans qui célébraient aussi leur jubilé de diamant ou d'or : Frère Amphiloque, le vaillant Provincial de Syrie, que nous avons déjà rencontré à l'Hermitage et qui, plus avant encore, avait été chaudement fêté à Saint-Gingolph par les Frères de sa province ; Frère Acyndinus, ancien Provincial de Constantinople, qui devait être appelé, peu de temps après, à l'éternelle fête du Paradis ; Frère Parfait, le sympathique et dévoué Directeur de la Maison Mère ; Frère Gildas, sous-directeur et vaguemestre, en plus d'être notre réveille-matin, notre pourvoyeur d'eau, de lumière, etc. … ; Frère Lucillien, ex-directeur de plusieurs de nos maisons du Nord, fécond écrivain, et frère du regretté Frère Bérillus ; Frère Mainfroy, qui, après plus d'un demi-siècle de lutte victorieuse contre l'ignorance, le babil, la paresse et l'étourderie du jeune âge, était venu se reposer une paire de mois à la "maison paternelle’’, avant de remonter courageusement à l'assaut ; Frère Eutyche, enfin, le dévoué Frère Eutyche, qui, non content d'avoir usé sa longue vie — il a près de 80 ans — à soigner le temporel d'un bon nombre de nos Maisons de la province de St Genis, en consacre laborieusement le vert déclin à nous. servir de cellérier.

A l'invitation du C. Frère Augustalis, 1ier Assistant Général, un beau programme de préparation et d'exécution fut donc élaboré ; et telles furent la bonne volonté et la diligence de tous ceux à qui revint un petit rôle, que tout arriva à point nommé. Dès le soir du 1ier février, la chapelle parée gracieusement et avec goût ; les salles 'de réunion élégamment enguirlandées : un copieux répertoire de chants de circonstance, composés ad hoc, pour la plupart, et exercés avec soin ; de riches gerbes de fleurs spirituelles gentiment enluminées par des mains artistes ; de nombreuses adresses où la communauté de Grugliasco et ses sœurs des alentours s'étaient à l'envi appliquées à faire passer les meilleurs sentiments de leurs cœurs,… tout était entièrement prêt. Le temps lui-même, qui, tout le mois de janvier, avait été froid et bourru, avait pris subitement une physionomie printanière, et promettait sans restriction son précieux concours. A peine eût-on pu désirer mieux.

Aussi, le lendemain matin, on sent circuler dans la maison, un courant de pieuse allégresse qui communique aux notes du salve Regina, aux répons de la prière et au cantique d'après la Communion un je ne sais quoi d'expansif, de fervent et d'affectueux qu'ils ont rarement au même degré.

Comme, en dehors de notre R. P. Aumônier, il n'y a pas de prêtre dans la maison, la sainte Messe n'a pas lieu à 5 heures comme aux jours ordinaires : elle est renvoyée à 8 heures, comme aux fêtes solennelles, et célébrée avec toute la pompe que permettent pour ce jour les lois de la liturgie. Les Kyrie, le Gloria, le Credo, et les autres chants communs, sont exécutés à plusieurs voix par la communauté et les choristes du Juvénat. Le Révérend Frère, ses co-jubilaires sont en place d’honneur devant la balustrade du sanctuaire. Après l'évangile, le célébrant prononce à leur sujet une belle allocution de circonstance.

A 10 heures, c'est le tour de la Communauté de leur exprimer ses vœux dans la salle des exercices du Grand Noviciat pavoisée comme nous avons déjà dit. Sur l'estrade d'honneur, des sièges sont disposés pour eux ; à droite et à gauche de celui du Révérend Frère. Devant, et faisant face, sont les sièges du : R. Père Aumônier, des membres du Régime et dés divers. groupes de la communauté.

Dès que chacun a pris place, le chœur attaque vigoureusement un chant d'ouverture en l'honneur des chers objets de la fête :

 

Salut, ô vénérés Frères,

Recevez tous en ce jour

De nos vœux les plus sincères

Tout fleuris de notre amour.

Tandis que sur cette terre,

Comme la rose éphémère,

Tout s'efface et tout s'altère,

Dieu vous garde dans les cieux

Des trônes glorieux,

Dans les rangs des bienheureux.

 

Deux juvénistes, dans une petite pièce mêlée de récitatifs et de chants, font entendre ensuite aux bien-aimés jubilaires une première expression des vœux de l'assemblée :

O Jésus, ô divine Mère,

De nos cœurs aimants et pieux

Ecoutez l'ardente prière,

Exaucez les chants et les vœux :

 

A leur longue et verte vieillesse

Epargnez les traces du temps ;

Ramenez pour eux la jeunesse,

Faites refleurir le printemps !

 

Que la chaîne de leurs années

Longtemps augmente ses anneaux ;

Que sur leurs tiges fortunées

Longtemps poussent des fruits nouveaux !

 

Qu’un jour, enfin, dans la Patrie,

Dont ils s'approchent lentement,

Le flot de l'immortelle vie

En eux coule éternellement !

 

Après chaque strophe, en guise de refrain, on chante en duo :

 

Parfums d'aurores,

Souhaits du cœur.

Montez sonores

Vers le Seigneur !

Vœux de nos âmes

Hymne pieux,

Accents de flammes,

Volez joyeux

Aux cieux !

 

Cette petite pièce est écoutée avec beaucoup de sympathie ; puis le Frère Secrétaire Général, à qui le programme donne alors la parole, s'exprime en ces termes, en s'adressant au Révérend Frère Supérieur au nom de toute la communauté :

 

Mon très Révérend Frère,

Pourquoi aujourd’hui tout cet appareil de fête ? Pourquoi ces applaudissements si spontanés et si chauds ? Pourquoi ces chants vibrants sortis du fond des âmes ? Pourquoi enfin cette expansive allégresse qui rayonne si doucement de tous les fronts ? Le Révérend Père l'a dit éloquemment tout à l'heure, on vient de le redire et de le chanter en termes pleins de fraîcheur et de charme ; mais il ne vous en aurait pas tant fallu pour le deviner. C'est que, par une insigne faveur du ciel, vous venez d'atteindre heureusement une des sommités les plus radieuses dont Dieu a fait comme les phares des vies humaines privilégiées ; et vos enfants de la Maison Mère n'ont pu résister au besoin d'unir la joyeuse expression de leur piété filiale à vos cantiques d'action de grâces, tant en leur propre nom qu'en celui de tous leurs frères de l'univers.

Noces de Diamant ! soixantième anniversaire de votre vêture ! Quel heureux jour pour vous et pour l'institut, Très Révérend Frère, celui que nous rappellent ces expressions ! Et comme nos imaginations et nos cœurs aiment en évoquer le touchant tableau !

C'était le 2 février 1858, à Notre-Dame de l'Hermitage, dans la chapelle bâtie par le Vénérable Fondateur peu de temps avant sa mort et que le Révérend Frère François appelait avec tant de raison le ‘’grand reliquaire’’. Au pied de l'autel, trente cinq jeunes gens tout fraîchement revêtus de l'habit religieux prononçaient â genoux la consécration suivante :

"Dieu éternel et tout-puissant, Père, Fils et Saint Esprit, un seul. Dieu eu trois personnes, je me consacre entièrement à vous et vous-fais le sacrifice de tout ce que j'ai sur la terre… Je ne désire et ne de mande autre chose que de faire en tout votre sainte volonté et celle de la Très Sainte Vierge, qui veut bien, malgré mon indignité, me recevoir au nombre de ses enfants’’.

Et du haut du ciel, Jésus et Marie contemplaient cette pieuse scène, suivie avec attendrissement par toute l'assistance. Tandis que leurs yeux s'arrêtaient sur quelques-uns, leur physionomie se voilait de tristesse : ils voyaient, dans un avenir plus ou moins prochain, ces pauvres infortunés se dégoûter de la manne de la vie religieuse, songer avec regret aux oignons d'Égypte et reprendre le chemin du monde qu'ils venaient de quitter.

Sur d'autres, leurs regards se reposaient avec une satisfaction toute céleste : c'était sur ceux dont le cœur fidèle devait rester inviolablement attaché à ses résolutions de ce jour, et qui, après avoir lutta vaillamment pour la bonne cause, devaient recevoir au ciel la récompense promise à ceux qui auront persévéré jusqu'à la fin.

Mais, entre tous, il en était un sur qui se concentraient avec une visible prédilection leurs particulières complaisances à cause des grands desseins qu'ils avaient sur lui. C'était un des plus jeunes, des plus petits, mais sans doute surtout des plus généreux. Sous les transformations amenées par soixante ans de travaux, de luttes et de soucis, nous le reconnaissons tous en ce jour devant nous, Très Révérend Frère, avec les sentiments de la plus vive gratitude envers Dieu : fils d'un gracieux pays vivarois des bords du Rhône, il s'était, appelé jusque là Antoine Usclard, et il allait répondre désormais au nom vénéré aujourd'hui dans tout l'univers — de Frère Stratonique.

Quelle longue série de bienfaits el de signalés services ce nom ne rappelle-t-il pas, en effet à ceux qui sont tant soit peu familiers avec l'histoire de l'Institut au cours de ces soixante ans !

C'est d'abord — pour voler rapidement de cime en cime — un de ses plus, importants établissements, celui de Valbenoîte, qui pendant 18 ans, en plus de l'édification qui contribua sans doute pour beaucoup à faire de sa communauté une des plus exemplaires, revoit de votre jeune ardeur, de votre esprit d'initiative et de la grande valeur de votre enseignement une vigueur d'impulsion, des succès et un bon renom dont il se ressent encore.

C'est ensuite, pendant 24 ans, la province de l'Hermitage, dont le recrutement, le personnel et les œuvres, non contents de prendre en France, sous votre heureux gouvernement, une extension et une intensité de vie qu'ils n'avaient pas encore connus, poussent par delà Océan une floraison magnifique.

Ce sont les deux provinces du Canada et des Etats-Unis, qui, après avoir débuté petitement, comme le grain de sénevé, prennent en peu de temps, comme lui, sous la bénédiction de Dieu et de la bonne sainte Anne, un développement qui tient du miracle, en faisant revivre sur les bords du Saint-Laurent, du Merrimac, de l'Hudson le véritable esprit du Vénérable Fondateur, qu'elles avaient puisé à sa source la plus pure.

C'est cette chère maison de Grugliasco, qui, à l'instar de plus d'une autre des environs, voit, sous le souffle inspirateur de votre sollicitude, ses ruines désolées se transformer en bâtiments commodes, riants, religieusement confortables, et son attristante solitude se peupler comme par enchantement d'une jeunesse nombreuse et pleine de vie, dont la piété édifiante, l'ardeur studieuse et l'excellent esprit disent : bonheur, confiance, courage.

C'est, enfui, la Congrégation tout entière qui, meurtrie, brisée. mutilée par la persécution, voit ses rameaux épars, disséminés aux quatre vents du ciel par la main de la Providence, jeter partout, sous ces nouveaux climats, de fécondes racines, et payer par une grande abondance de bien dans les jeunes âmes, l'accueil hospitalier dont ils avaient été l'objet…

De ces grandes faveurs que Dieu a faites par vous à la Congrégation et de l'infinité d'autres dont elles ont été la raison, l'épanouissement ou la conséquence, nous nous unissons à vous, Très Révérend Frère, et à tous nos Frères de l'univers pour Lui en rendre un juste tribut de louanges, d'amour et d'action de grâces ; car il est la source éternelle et le premier auteur de tout bien. Avec eux et avec vous, nous le louons, l'adorons, nous le bénissons et nous le remercions dune bonté si libérale, mais nous vous prions aussi d'agréer notre plus filiale gratitude pour vous être fait, dans cet office, avec tant de générosité, de dévouement et de bonté de cœur, son lieutenant et son économe.

En retour, nous faisons monter vers Lui, du plus intime de nos cœurs, les vœux les plus ardents et les plus sincères pour qu'il daigne prolonger vos années, vous conserver longtemps la santé et les forces pour notre bonheur et celui de tous nos frères en religion, et vous combler enfin de ses bénédictions les plus précieuses. Il est écrit de Caleb qu'à l'âge de 85 ans il se sentait encore la même santé, la même vigueur, la même force pour la marche et pour le combat qu'au temps où il n'en avait que 10. Nous souhaitons non seulement que pareil bonheur vous arrive, mais qu'il en soit encore de même à 95 ans, et pourquoi pas à 105 ?,.. Etre centenaire, dans les conditions où on l'est ordinairement, n'est peut-être pas un bien enviable privilège ; mais l'être dans celles-ci, serait, croyons-nous, un privilège de choix. De tout cœur nous la demandons pour vous au Seigneur, Très Révérend Frère, en attendant la félicité éternelle, qui doit en être le complément.

C'est le même bonheur, ou du moins un bonheur analogue, que nous souhaitons aussi à la vénérable phalange de vétérans qui vous forme en ce moment une si majestueuse et si sympathique couronne.

Intrépides ouvriers du patrimoine familial dont nous avons tant de droit d'être saintement fiers, voilà 50, 55, 60 ans et plus qu'à tous les degrés de la hiérarchie, depuis les plus humbles jusqu'aux plus élevés, ils travaillent patiemment, sans trêve ni merci, à en élever l’édifice, à en féconder et embellir le sol, à en dilater les limites, avec la seule ambition humaine de le léguer, si possible, un peu plus grand, un peu plus fertile, un peu plus beau qu'ils ne l'ont reçu, à ceux qui viendront après eux. Oh ! combien grandement nous leur sommes redevables ! Qu'ils ont de titres à notre considération, à notre respect et à notre affectueuse gratitude !

Aussi estimons-nous comme un véritable bonheur d'avoir aujourd'hui l'opportunité de leur offrir comme à vous, Très Révérend Frère, à l'occasion de leurs noces d'or ou de diamant, la plus chaleureuse expression de nos meilleurs sentiments avec celle de nos vœux les plus fervents et les plus sincères.

Daignent Jésus et Marie les protéger, les conserver et les rendre longtemps heureux sur cette terre, en attendant qu'ils le soient pour toujours dans le ciel ! Ad multos et felices annos !

 

C'était la voix des présents qui venait de se faire entendre ; on put le voir aux vives marques d'adhésion qui soulignèrent les principaux passages ; mais, par delà les murs de l'en ceinte, à des distances qui variaient de quelques kilomètres à la moitié de la longueur du méridien terrestre, il y avait les absents, dont les sentiments postulaient aussi à se manifester. La plume de l'un d'eux, inspirée des Muses, leur avait donné un corps ; et, par l'organe du Frère Directeur du Grand Noviciat, qui leur prêta sa voix expressive, ils purent également se faire entendre, à la grande satisfaction de toute l'assistance, dont les cœurs et l'imagination parcouraient le monde pour aller à la rencontre des cœurs et des âmes d'où ils émanaient.

 

LES VOIX ABSENTES !

(Au T. R. F. Supérieur, à l'occasion de ses Noces de Diamant)

 

Comme aux longs soirs d'hiver, on voit, dans la famille,

Se serrer près du feu, dont la flamme pétille,

Un vénérable aïeul nimbé de cheveux blancs

Et le cercle rieur de ses petits enfants,

De même en ce montent, Mon Très Révérend Frère,

Vous voyez à vos pieds toute la Maison-Mère,

Depuis les-tout petits, frais comme le printemps,

Jusqu'à ceux dont le front est ridé par les ans :

Assistants, provinciaux aux barbes de prophètes,

Directeurs et seconds, jeunes et vieilles têtes,

Tous viennent vous offrir, vivant bouquet de fleurs,

Les vœux épanouis au tréfonds de leurs cœurs.

 

Comme un gai carillon de cloches argentines

Jette aux brises du soir les louanges divines,

Vers vous, Mon. Révérend, s'élève en ce beau jour,

L'harmonieux concert de purs élans d'amour.

C'est l'amour de vrais fils pour le cœur d'un vrai père ;

Le respect des sujets pour le chef qu'on vénère !

C'est aussi le regret et l'amer repentir

D'avoir blessé celui qui ne sait que bénir.

Enfin le chant discret d'une humble confiance

Se joint au timbre d'or de la reconnaissance ;

Et ces sentiments-là, voyez, Mon Révérend.

Jaillissent spontanés de notre cœur vibrant !

 

Ces religieux accords pour tous restent tangibles ;

Mais n'entendez-vous pas ceux des voix invisibles ?…

N'apercevez-vous pas, au fond de l'horizon,

D'étranges messagers surgir ?… Vers la maison,

L'essaim mystérieux, en un bruissement d'ailes,

Vous apporte l'écho de touchantes nouvelles.

Ainsi que des oiseaux excités par la faim

Se pressent dans les champs pour picorer le grain,

Ne vous semble-t-il pas voir descendre des nues,

S'abattre près de vous un vol d'âmes émues ?…

Entendez ! Entendez !… Leurs fraternels accents,

Il faut les recueillir : c'est la voix des absents !

 

Voici celle, d'abord, des provinces lointaines :

Comme les matelots suivent leurs capitaines,

Quand la tempête gronde au sein de l'océan,

Disent-elles, ainsi, dans l'immense ouragan,

Nos yeux fixés d'instinct sur notre Maison-Mère

Y guettent le mot d'ordre et la manœuvre à faire.

A Grugliasco, pour nous, est le phare qui luit

Lorsque tout alentour s'étend la sombre nuit.

Nous nous tournons vers vous, Mon Très Révérend Frère !

Et votre souvenir et vos conseils de Père,

En nous suivant partout, nous préservent du mal

Tandis que votre main nous montre l'Idéal !

 

Ecoutons, maintenant, une clameur tragique :

Nous voici tous entrés dans la bataille épique,

En proie à la mitraille, aux longs bombardements

Qui vont semant la mort dans leurs rugissements…

Nous pataugeons, fangeux, dans les mornes tranchées ;

Nous grelottons toujours durant les nuits glacées ;

Quand soudain apparaît une douce lueur,

Et nous sentons alors s'attendrir notre cœur.

Nous nous tournons vers vous, Mon Très Révérend Frère,

Et votre souvenir ; dans l'infernale guerre,

Met les rayons dorés du lointain paradis

Sur les rêves sanglants de vos malheureux fils !

 

Après les combattants de la grande tuerie,

Voici les mutilés sur leur lit d'agonie,

Au poste de secours ou dans un hôpital…

Entre les cauchemars que provoque leur final,

Ils disent : " Pour tromper nos longues insomnies,

Pendant que le frisson ronge nos chairs meurtries,

Nous aimons à songer, nous, les Frères blessés,

Que nul de nos amis ne nous a délaissés…

Nous nous tournons vers vous, Mon Très Révérend Frère,

Et votre souvenir est pour notre misère,

Pour notre âme endeuillée et notre corps navré,

L'arôme adoucissant d'un remède sacré''.

 

A son tour, retentit la plainte endolorie

Des Frères prisonniers, souffrant pour la patrie :

Depuis des ans, déjà, privés de liberté,

Nous gémissons, hélas ! dans la captivité.

Nos pauvres durs brisés, nos corps sans nourriture,

De toutes les douleurs ont senti la morsure.

Après nos jours d'angoisse et nos nuits sans sommeil,

Nous pouvons entrevoir un éclair de soleil :

Nous nous tournons vers vous, Mon Très Révérend Frère,

Car votre souvenir, franchissant la frontière,

Aux Frères prisonniers s'en vient parler d'espoir,

D'aube de délivrance et de doux au revoir !…

 

Entendez-vous enfin la romance dolente,

Celle des exilés par la noire tourmente ?…

Les pays qu'arrosaient nos soins et nos sueurs ;

Les œuvres qui montaient toutes blanches de fleurs ;

Tout ce qui fait vibrer des cœurs apostoliques,

Nous l'avons vu sombrer dans ces heures critiques.

Nous sommes dispersés par l'orage cruel ;

Mais, dans ce triste exil, nous regardons le ciel !…

Nous nous tournons vers vous, Mon Très Révérend Frère,

Car votre souvenir, sur la rive étrangère,

Pour consoler nos maux, comme un refrain d'amour

Nous murmure la paix d'un triomphal retour ! ,.

 

Ainsi parlent les voix de ce chœur invisible.

Et qui donc parmi nous n'y serait point sensible ?

Pourtant ce n'est pas tout. Levons encor les yeux !

Les échos de la terre ont pénétré les cieux.

Là-haut, dans les splendeurs des voûtes étoilées,

A nos chants d'autres voix saintes se sont mêlées :

C'est l'hosanna des Fils du Père Champagnat !…

Et ces accents divins disent avec éclat :

Nous nous tournons vers vous, Mon Très Révérend Frère,

Et notre souvenir qu'embaume la prière,

Auprès de Notre-Dame et du Seigneur Jésus,

Fera lever sur vous la gloire des élus !

 

Pour que notre allégresse, en ce jour, fût complète

Nos saints du paradis ont pris part à la fête.

Noces de diamant ainsi que Noces d'or

N'ont leur couronnement qu'aux reflets du Thabor.

Les sourires du ciel dégoûtent de la terre.

Il ne reste donc plus à présent qu'à nous taire.

Pourtant qu'il soit permis encor un cri du cœur,

C'est celui qu'après tous vient vous offrir l'auteur.

Il se tourne vers vous, Mon Très Révérend Frère,

De même qu'un enfant auprès d'un tendre Père,

Car votre souvenir, en un lointain séjour,

A fait germer ces vers comme des fleurs d'amour !

F. Avit.

 

 

Quelques groupes de ces voix absentes crurent même devoir ajouter à cette intervention collective et par interprète une intervention spéciale et plus directe : ce sont ceux à qui leur proximité avait permis d'être prévenus à temps pour pouvoir faire quelques préparatifs. De ce nombre sont notamment les Communautés de S. Gingolph, de Ventimiglia, de Gênes, et celles des environs de Turin : Carmagnola, Bairo, S. Maurizio, S. Maria, Bussolino et Sangano, qui avaient envoyé soit des représentants, soit de très remarquables adresses. Quelques-unes de ces dernières, dont le C. F. Augustalis, 1ier Assistant Général, donna lecture, soulevèrent d'enthousiastes applaudissements aussi bien par la façon délicate et gracieuse dont elles étaient conçues que par la beauté des sentiments dont elles faisaient preuve. Quels. jolis échantillons nous pourrions en citer, si nous ne craignions, au moment où toutes les revues sont invitées à se restreindre à cause de la crise du papier, d’allonger démesurément ce compte-rendu ! Et la plupart étaient accompagnées de bouquets de fleurs spirituelles — prières, sacrifices, actes de vertu de toutes sortes offerts à Dieu à l'intention spéciale du Révérend Frère — dont. la richesse avait vraiment de quoi émerveiller.

Qu'on en juge :

 

Juvénat St François Xavier, Grugliasco 9.931

Juvénat St Joseph, Bussolino 18.718

Noviciat Santa Maria, San Mauro 23.002

Communauté de St Gingolph 391.944

 

D'autres voix encore, absentes aussi, mais combien sympathiques et bienveillantes ! tinrent également à mêler à ce concert familial leur note amicale. Telle fut, par exemple, celle de Mr le Chanoine Ponty, ancien aumônier de N. D. de Lacabane et auteur de la Vie du Frère François, à qui son cœur et sa muse avaient dicté de concert un élégant acrostiche, dont la lecture provoqua les plus chaleureux applaudissements. Telle encore celle de Mr le Curé de Bussolino, Teol. Annibale Ronco, aumônier de notre Juvénat S. Joseph, qui avait eu l'aimable attention de s’associer à notre joie par un cordial télégramme.

Enfin, pour tout couronner, ce fut la voix auguste de N. S. Père le Pape lui-même, qui, à la sollicitation du C. F. Candidus, notre prévoyant Procureur Général près le Saint-Siège, avait daigné écrire de sa propre main au bas de la supplique où était implorée une bénédiction spéciale en faveur du R. Fr. Supérieur et de chacun de ses co-jubilaires :

« Vous accordons de grand cœur les bénédictions demandées. »

Du Vatican, le 21 janvier 1918.

BENEDICTUS P. P. XV.

A tout cela on n'avait pas langui ; il semblait qu'on ne fût. là que depuis un moment. Mais les aiguilles de l'horloge, qui ne participaient point de notre intérêt, avaient poursuivi silencieusement leur marche et elles marquaient plus de 11 heures et demie. Il fallut donc suspendre la séance, sauf à la reprendre dans la soirée.

En attendant — car tout le temps était pris — il fallait songer à l'actuation d'un autre numéro du programme. C'était le dîner, (lue notre habile Frère Sigebertus avait mis tous ses soins et tout Son art à rendre digne de la circonstance, et qui se trouvait déjà servi pour tous les groupes de la Communauté dans la grande salle du Second Noviciat, toute tendue de guirlandes aux couleurs chatoyantes. Après la visite habituelle au T. S. Sacrement, on se mit donc en devoir de lui faire honneur, au milieu d'une ambiance où la retenue et la modestie religieuses s'harmonisaient à merveille avec la dilatation des cœurs et la joyeuse expansion de l'esprit de famille.

Suivirent de près le Chapelet et les Vêpres ; puis on revint à. la salle du matin pour la reprise de la séance interrompue. La. première partie avait été consacrée principalement au Révérend Frère. C'était le tour maintenant des autres Jubilaires, qui, tous en général et chacun en particulier, eurent leur tribut spécial ou collectif de fraternelles félicitations et de vœux de bonheur et de longue vie. Toutes les compositions avaient été faites ad hoc, et la plupart — ce n'est que justice de le dire — étaient. fort bien réussies. Sous une forme plus ou moins humoristique. elles rappelaient les traits saillants de la vie de nos chers vétérans, leurs titres à la reconnaissance de leurs confrères de, tout âge, s'irisaient tour à tour d'admiration sympathique, de familiale fierté, de fraternelle affection, de reconnaissance émue, et entretenaient en même temps la joyeuse humeur de l'assistance, qui y faisait le plus cordial écho.

Selon la pieuse tradition, le point final de la fête fut un Salut solennel du T. S. Sacrement, où, en union de cœur avec les chers jubilaires, on chanta le Magnificat, le Te Deum, le Laudate Dominum en action de grâces de toutes les faveurs qu'ils ont reçues du Ciel pendant leur longue vie ; et l'on termina par le beau cantique du P. Mayet sur le bonheur d'être enfants de Marie et de vivre en frères sous l'égide de sa maternelle protection.

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