Noces dor des fondateurs – Chine
11/Oct/2010
Le 17 Août dernier; les Frères du nord de la Chine avaient le bonheur de célébrer les noces d'or de vie religieuse des Frères Antonin et Louis-Michel.
Les fêtes de ce genre provoquent toujours une joie bien légitime. Pour les jubilaires, c'est le jour de la reconnaissance pour une longue vie consacrée au service de Dieu. On est heureux de se joindre à eux dans leurs actions de grâces et de les mettre à l'honneur; puisqu'ils ont été si longtemps à la peine.
Pour la circonstance, la fête revêtait encore un caractère particulier : c'est aux fondateurs de la Province qu'elle s'adressait, celle-ci ayant été assez heureuse de conserver pendant plus de 45 ans deux de ses fondateurs. Ces derniers ont été les agents les plus actifs de. son développement. Il en est résulté un esprit de suite qui a eu pour résultat de maintenir l'esprit primitif et d'établir solidement des traditions qui, espérons-le, résisteront au temps et aux hommes.
Un peu d'histoire ancienne. — C'est l'occasion de rappeler les débuts héroïques de la Province. Pour s'en faire une idée, il suffit de se souvenir de l'état de la Chine lorsque les cinq premiers Frères, presque tous très jeunes, y arrivèrent. La Chine était alors le pays de l'inconnu et la sécurité y était réputée des plus précaires. Ses habitants et leurs mœurs passaient pour bizarres.
Cette opinion ne répondait pas à la réalité; les mœurs, les habitudes, le genre de vie différaient sans doute beaucoup des nôtres, mais l'expérience a démontré qu'on peut fort bien s'en accommoder. Ce qu'on appelle le confort moderne y était évidemment inconnu ; on pouvait cependant fort bien y vivre. Les vieux Chinois regrettent encore la tranquillité, l'insouciance du lendemain qui faisaient alors le charme de la vie et que l'on chercherait vainement dans la Chine actuelle et dans le monde modernisé.
C'était cependant l'inconnu pour les Frères qui débarquèrent á Shanghai le 12 Avril 1891. Leur ignorance du chinois, du milieu et de la mentalité des habitants devait leur attirer bien des ennuis.
L'arrivée. — Dès le début, leur situation fut des plus précaires : les ressources manquaient et les susceptibilités s'éveillaient d'un peu partout; il ne faut pas oublier qu'ils étaient dans la Chine ancienne, fortement ancrée à ses traditions et où toute innovation était suspectée.
Le Marie-Candide, après avoir exposé la situation dans sa lettre du 22 Octobre 1891 ajoutait « Il serait bien difficile à cette heure de prédire ce que sera la Chine dans un an. Nous sommes sur un volcan : fera-t-il éruption ? »
Ce volcan est toujours en activité; il a eu plusieurs éruptions assez violentes, mais aucune encore, grâce à Dieu, n'a été capable de détruire l'œuvre fondée en Chine par les cinq premiers Frères Maristes.
« Une telle situation, continuait le Fr. Marie-Candide, n'est pas brillante, comme ou dit vulgairement. Néanmoins, nous n'en sommes pas découragés. Le bon Dieu veut cette œuvre, c'est évident: c'est pour y travailler qu'il nous a appelés de si loin, il saura bien nous fournir les moyens de la faire vivre et prospérer. »
Mort du C. F. Marie-Candide. — Puis, ce fut la maladie qui vint s'abattre sur la petite communauté. La vie de privations et de fatigues que menaient les Frères, ajoutée à leur manque d'expérience et d'acclimatation en faisaient des proies toutes désignées au terrible typhus qui sévissait alors à Pékin. Tous les Frères en furent atteints. Le Fr. Marie-Candide, ainsi que les bonnes Sœurs de St. Vincent de Paul, toujours si dévouées aux Frères, leur prodiguèrent leurs soins, nuit et jour. On eut la joie de les sauver tous. Toutefois, le Fr. Marie-Candide en resta si affaibli qu'il ne put résister lorsqu'il fut saisi à son tour. Après quelques jours de maladie, il allait recevoir la récompense de ses épreuves.
Ce fut sans doute un jour bien triste pour les Frères de Pékin que celui où ils accompagnèrent leur directeur à sa dernière demeure. Ils se sentirent un peu orphelins et bien isolés dans un si grand pays et si éloignés des Supérieurs. La pensée de se laisser aller au découragement ne leur vint même pas. Le F. Elle-François remplaça le F. Marie-Candide et la vie de dévouement se poursuivit en silence. En an après, le F. Elie-François suivit le F. Marie-Candide dans la tombe. C'est alors que la Providence leur envoya le F. Jules-André qui fut nommé visiteur.
Les Boxeurs. — Tout allait pour le mieux sous son intelligente direction, lorsqu’éclata la terrible révolte des Boxeurs, en 1900 : elle ne devait rien laisser de nos établissements de Pékin. Le Collège du Nantang et l'orphelinat de Chala furent brûlés, les orphelins martyrisés ou dispersés, un Frère chinois et un postulant, tués. Les Frères se réfugièrent, les uns aux Légations, les autres au Pétang, où ils soutinrent un long siège. Les premiers en sortirent sains et saufs; ceux du Pétang furent plus éprouvés : le F. Joseph-Félicité fut tué le 18 Juillet par l'explosion d'une mine et le F. Jules-André tombait à son tour le 14 Août, victime de sa charité.
Il ne restait rien de nos deux maisons. Deux extraits de lettré donnent une idée de la désolation qu'elles présentaient : « Comme nous n'étions pas loin du Nantang, nous y avons fait une visite. Quelle désolation ! Des ruines partout. C'est à peine si on peut retrouver la place où était notre collège, dont les briques on été emportées et le puits comblé par les cadavres des enfants qu'on y a jetés. C'est un spectacle qui arrache les larmes aux plus insensibles. »
« Nous avons pu visiter Chala, dit une autre lettre. Quelle désolation ! C'est lamentable ! Toutes les maisons et l'église ont disparu. Dans un des puits à moitié rempli de terre, on voit un grand nombre de cadavres; ce sont sûrement des enfants de notre orphelinat, et avec eux notre bon F. Marie-Adon. »
Le C. F. Antonin. — Le Frère Antonin, qui n'avait que 29 ans, fut alors nommé visiteur. Aidé par le Fr. Louis-Michel, il se mit à réparer les ruines accumulées. Grâce à leur initiative, les Frères purent disposer des ressources nécessaires ; les moyens employés pour se les procurer différaient peut-être un peu de ceux dont se sert ordinairement la Providence, mais ils étaient bien adaptés au temps et aux lieux. On fît si bien qu'en 1902 on put inaugurer le magnifique bâtiment qui remplaçait le Nantang.
A trois reprises différentes, le C. F. Antonin fut chargé de l'administration de la province à titre de Provincial : entre ces diverses périodes il se consacra à la direction et au développement du Collège St. François-Xavier, à Shanghai. Il y est revenu une dernière fois en 1932 et s'y trouve encore maintenant.
Le C. F. Louis-Michel. — Le Fr. Louis-Michel, de son côté, s'est enraciné dans le sol fertile de Pékin et en a fait sortir des œuvres très prospères. Il s'en est à peine détaché pendant les quelques années, où il a été Provincial. Il s'est consacré surtout à l'œuvre des Frères Chinois et à la culture de la vigne. Les Frères chinois sont actuellement au nombre de 74 et ils rendent de précieux services.
Il n'a pas moins bien réussi dans la deuxième partie de son œuvre. Il y a trois ans, lorsqu'il a demandé à être remplacé comme Maître des Novices, sa retraite a provoqué des regrets sincères. Parmi les moyens de nature à les atténuer, il a su choisir le plus élégant et en même temps le plus pratique : celui d'employer ses forces et son expérience à fabriquer ce vin unanimement apprécié qui contribue à fournir des ressources à la Province.
La Province de Chine compte actuellement plus de 200 Frères et donne l'éducation à près de 8.000 enfants. Cette prospérité est due, en grande partie, à nos deux Jubilaires. A la vue d'un si beau résultat, le sentiment de reconnaissance jaillissait de lui-même du cœur de tous, pour aller vers ceux qui en sont les principaux auteurs.
La fête. — Le programme de la fête n'eut rien de bien particulier : messe chantée d'actions de grâce, séance avec chants, toujours si parfaitement exécutés par les Juvénistes, compliments, repas de famille auquel assistaient 89 Frères, la plus grande réunion qui se soit vue à Chala, dans le réfectoire orné un goût parfait. Naturellement les meilleurs bouteilles, choisies dans les bons coins de la cave du F. Louis-Michel furent mobilisées pour la circonstance.
La note chinoise. — On lira surement avec plaisir quelques passages d'un compliment lu ou plutôt chanté par un Frère chinois. On pourra se convaincre, une fois de plus, que la grâce est une fleur de Chine.
*
* *
« Dans la salle glorieuse, rutilante de décors, nous nous pressons pour vous contempler sur le siège de la longévité, à l'ombre du parasol d'honneur et d'ans une paix inébranlable. L'éclat de vos vertus nous éblouit et nous transporte d'allégresse, car elle se déverse sur nous en torrents impétueux qui poussent notre joie jusqu'à la folie.
La nature vous a prodigué les plus beaux dons. Vos qualités s'élèvent vers les cieux, jusqu'au dessus des cinq Monts sacrés. Le plus beau des jardins n'aura jamais tant de fleurs et de parfums et le ramage du Phénix ne rendra jamais la suavité de vos personnes.
Pour l'amour du Seigneur du ciel, dans la joie pure du devoir, vous avez, en riant des dangers, traversé les océans hostiles et franchi les monts farouches. Vous avez, à l'appel des Supérieurs, dirigé vos pas alertes vers le Royaume du Milieu. Vous l'avez illuminé par une longue vie de droiture, répandant à pleines mains sur la jeunesse, avide de les recevoir.
Aussi, en ce jour, de tous les points assemblés, dans le temple de l'allégresse, et d'une voix unanime, nous vous adressons les vieux de longévité heureuse et de santé florissante.
Que cette, longévité, dans la jubilation sainte de l'amour sanctifiant, répande ses parfums, fasse éclore des vertus dont nous garderons si fidèlement le souvenir que la succession infinie des années ne pourra l'affaiblir. »
A la fin du dîner, le Fr. Provincial donna connaissance de quelques lettres ou télégrammes : notamment : Une lettre de R. P. Abbé de la Trappe de Yangkiaping, par laquelle il annonçait aux Jubilaires qu'il tenait à s'unir à eux en ce jour pour remercier le bon Dieu et le prier de les bénir spécialement ainsi que notre cher Institut, faisant ensuite remarquer qu'à cause des services éminents que Fr. Antonin et Fr. Louis-Michel ont rendus, leur jubilé intéresse tous les amis des Chers Frères Maristes qui profitent de leur dévouement; puis un télégramme de Son Eminence le Cardinal Pacelli, transmettant la bénédiction apostolique de Sa Sainteté le Pape Pie XI.
Une lettre du C. F. Secrétaire Général, contenant les vœux du Rév. Fr. Supérieur, arriva avec quelques heures de retard et ne put être lue qu'au souper.
Le Frère Provincial résuma ensuite les souhaits de la journée, fit de nouveau ressortir la grande part prise par les Jubilaires au développement de la province, y associa le Fr. Marie-Julien qui mérite, lui aussi, le titre de fondateur, bien qu'arrivé en Chine quelques mois après les premiers Frères, et termina ainsi : « Que la Providence nous réserve la faveur de vous garder encore longtemps parmi nous: la vieillesse est toujours belle et précieuse quand on la vit dans la pratique dei vertus religieuses dont vous avez donné l'exemple pendant votre longue vie. »
Un salut solennel clôtura cette belle journée qui ne laissa à tous que le plus agréable souvenir.