Nos défunts

17/Sep/2010

† Frère FLORIBERT, stable. – Le mercredi. 15 mars dernier, un long cortège se dirigeait de l'église Notre Dame de la Conception, de Barcelone, vers la "Granvia’’ qui conduit à la route et au cimetière de San Andrés de Palomar. Le corbillard était de condition modeste, et cependant l'assistance, par le nombre et la qualité, signifiait un grand deuil : les représentants de presque toutes les communautés religieuses établies dans la ville ; MM. les Recteurs des principales écoles officielles ; des professeurs publics et privés ; des commissions d'anciens élèves ; des groupes nombreux du monde intellectuel et du monde des affaires, et surtout des files interminables de jeunes étudiants dont la figure, par nature toute de fraîcheur et de gaîté, avait cependant pour lors revêtu un air de tristesse qui témoignait de leur douleur et de leurs regrets devant la perte d'un Maître qu'ils avaient tous connu et vénéré. Le deuil était conduit par les membres du Conseil Provincial des Frères Maristes, accompagnés d'un nombre très respectable de prêtres religieux et séculiers, et d'une cinquantaine de Frères venus des différentes écoles de la ville et des environs.

Arrivé sur la place où se croisent la "calle del Bruch’’ et la "Granvia’’ le clergé de "La Conception’’ ayant en tête Mr. l'Archiprêtre lui-même, Dr. D. Pablo Costa, qui avait voulu ainsi témoigner de son attachement et de son estime pour le cher défunt, chanta une dernière absoute. Les membres assistants défilèrent alors devant la présidence du deuil et devant la dépouille mortelle, en signe d'un dernier adieu sur cette terre et d'un gage d'espérance pour l'au-delà. Puis enfin, une dizaine de Frères, accompagnés de deux RR. PP. Maristes, conduisirent jusqu'au cimetière de San Andrés les restes vénérés de celui qui avait été notre bien aimé Frère Floribert, et le déposèrent à côté de ceux du toujours bien regretté Fr. Bérillus. Ayant combattu ensemble, c'est ensemble qu'ils se lèveront de leur couche, au jour des récompenses et des triomphes, pour redire l'éternel Laudetur Jesus Christus.

En Espagne depuis 1888, Directeur de diverses maisons jusqu'en 1908, Visiteur de la Province de 1908 à 1912, Provincial alors jusqu'au jour de son trépas dans le Seigneur, le T. C. F. Floribert a été parmi nous un collaborateur dévoué et infatigable, un guide prudent et sûr, un Supérieur en qui s'unirent une fermeté sans raideur ; une bonté sans limites ; une condescendance qui eût semblé faiblesse si on n'eût senti alors que son cœur pleurait avec ceux qui pleurent ; l'action d'un caractère viril, d'une main forte qui, tout en compatissant aux maux d'un cœur endolori, le consolait, le relevait, l'encourageait encore, et l'encourageait toujours, jusqu'à le remettre sur le chemin de la paix et de la tranquillité. Combien qui l'ont compris dans cette double action du Samaritain secourable, qui en ont senti les heureux effets, et qui ont repris leur route vers la piété, vers l'amour de Jésus et vers la persévérance ! Les anges du ciel savent quel est le nombre de ces vocations, aux prises avec les tentations et les séductions de la vie, et sauvées par les conseils, les lettres, les démarches, les voyages, les fatigues et les mortifications volontaires de ce regretté Supérieur, qui, comme le bon Pasteur, laissait alors en lieu sûr le reste du troupeau, et courrait chercher la brebis qui s'égarait.

Le C. F. Floribert s'est fait remarquer par ses qualités d'esprit et par celles du cœur : par celles de l'esprit comme professeur et comme homme d'affaires ; par celles du cœur dans toutes ses relations avec Dieu et avec les hommes.

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Certes, pour lui comme pour bien d'autres, et en raison des circonstances du moment, ce fut avec un bagage bien exigu de science qu'il fut envoyé faire ses débuts dans l'enseignement. Durant son Noviciat, à St. Paul-3-Châteaux, le trouvant trop petit, on avait coutume de l'envoyer prêter ses services au Frère jardinier ; bientôt, parce qu'il ne grandissait pas, il fut envoyé dans les établissements. Lui-même aimait à raconter plaisamment comment, alors qu'il préparait ses premières leçons, il dut avoir recours à la bienveillance d'un charitable confrère pour qu'il l'aidât à trouver sur la carte la ville de Londres, et comment, un peu plus tard, alors qu'il "aidait déjà dans la grand’ classe’’ il était plus qu'étonné de lire et d'avoir à enseigner que trois points sur un plan suffisent pour déterminer la position d'une circonférence, tandis que lui en découvrait dix, vingt, trente. Il dut encore recourir à la sagesse de ce même aimable confrère, qui modéra et réduisit à de plus justes limites ses fougues mathématiques. Ceux qui l'ont connu dans la suite comme professeur, et qui ont pu se rendre compte de sa méthode pour présenter les questions scientifiques, aussi bien que du jour qu'il savait faire sur les théorèmes épineux de géométrie descriptive ou d'analyse mathématique, peuvent seuls juger du travail fait et du chemin parcouru par ce jeune Maître qui désespérait de trouver sur la carte l'emplacement de la métropole britannique.

Mais c'est encore plus dans le maniement des affaires que se déployaient et se faisaient connaître le tact et l'intelligence du C. F. Floribert. Les difficultés ne le déconcertaient ni le décourageaient, car il était fécond en ressources. C'était même, parmi les Frères, une opinion accréditée que les tracasseries qui de coutume surgissent dans les œuvres et semblent s'opposer à leur développement étaient pour lui un élément de vie, une atmosphère dans laquelle il se plaisait et se trouvait à l'aise.

Envoyé pour prendre la direction du Collège Valldemia que la Congrégation venait d'acquérir, il se trouve, dès son arrivée, en face d'une détermination d'autorité locale qui déclare que l'existence du dit Collège n'est "ni nécessaire ni convenable’’ et qui obtient par la-même le "veto’’ de l'administration académique. Sans connaissance de la langue, atteint déjà des premiers symptômes d'une fièvre typhoïde qui va le mener jusqu'aux portes du tombeau, le C. F. Floribert se raidit contre l'adversité pour accomplir son devoir ; il s'informe, prend ses mesures, étudie les influences, sait s'en servir, et quelques jours après un décret émané directement de Madrid autorise le Collège Valldemia, avec ses nouveaux Maîtres, comme " institution utile et nécessaire „ pour le pays.

Plus tard, on apprend qu'un nouveau règlement du Ministre de l'Instruction publique interdit l'enseignement secondaire aux maîtres qui n'ont pas acquis les degrés universitaires de la licence ou du doctorat. Le C. F. Floribert, qui voit de nouveau son œuvre menacée, court à Madrid et obtient un décret royal (R. O.) qui dispense ses Frères des exigences nouvelles de la loi ; mais, en homme pratique, en prévision de l'avenir et d'accord avec les premiers Supérieurs, il pousse ses frères vers les études et les grades qui leur permettront de vivre du régime commun.

ENA 1898, le C. F. Floribert, sur la demande du R. P. Vicente, S. J., apôtre zélé et sociologue de renom auquel le bon Dieu accorda naguère la récompense méritée, est envoyé â Valence pour prendre la direction d'une œuvre nombreuse de jeunesse. Craignant une concurrence peu commode, dès le lendemain de son arrivée, certaines institutions lui créent des difficultés, et même lui signifient, par l'intermédiaire d'une autorité qui paraît respectable, que le meilleur pour lui est de se retirer, avant même de commencer. F. Floribert ne l'entend pas ainsi. Envoyé par ses Supérieurs légitimes, il doit leur obéir, dit-il. Il prend donc résolument la direction du patronage qu'on lui confie, et qui bientôt, de 400 présences qu'il comptait au début, verra ce chiffre monter à 1200 ; et en outre il ouvre l'école d'enseignement primaire et secondaire qui est aujourd'hui celle de nos Frères, et dont la moyenne de présences, en ces dernières années, a oscillé entre 450 et 500.

Désigné plus tard pour prendre la direction du collège de Manrèse. jusqu'alors entre les mains des RR. PP. Jésuites, qui avaient tiré de ce centre d'éducation toute une pépinière d'hommes illustres et avaient dû l'abandonner par suite de certaines difficultés d'administration locale, le C. F. Floribert, à peine arrivé. dans ce nouveau champ de labeur, se vit aux prises avec l'autorité civile du lieu, qui croit devoir revendiquer des droits sur l'immeuble occupé par nos Frères. La dispute fut chaude et serrée, et de Manrèse elle fut portée dans les salles de l'audience de Barcelone. Mr. le Maire, bon avocat d'ailleurs, et bien étayé en outre, défendit ce qu'il disait être les droits de la ville de Manrèse. Le cher Frère Floribert défendait les siens et ceux de sa communauté, et la sentence dernière fut en sa faveur. Mr. le maire regretta de voir la victoire lui échapper, mais il n'en admira pas moins le mérite de son adversaire, auquel il conserva dès lors une amitié laite autant d'estime que de crainte réciproques.

Mais on a dit avec raison qu'un côté des qualités d'esprit du C. F. Floribert était son talent singulier d'adaptation aux circonstances et aux lieux, de manière à tirer toujours des situations qui lui étaient faites par l'obéissance le meilleur parti possible. Comme on l'a dit aussi en termes qui font image : "il savait prendre le vent’’. Bien sûr que ce résultat, autant qu'à son intelligence, fut dû aussi à son grand dévouement aux œuvres qui lui étaient confiées, et à la sagesse de savoir concentrer tous ses efforts et toutes ses énergies aux choses de l'heure présente, suivant le mot de l'Imitation : " Fais ce que tu fais„ ; mais il n'en reste pas moins vrai qu'il avait le sens juste et pratique des affaires. Les situations furent pour lui en réalité bien variées, et elles exigèrent de sa part une grande souplesse d'esprit. Valldemia, aux traditions respectables mais démodées ; Valence et Manrèse, avec les difficultés particulières dont nous avons dit un mot ; Calatayud, où il fallait rompre avec une tradition vieillie et s'orienter dans une direction nouvelle ; Murcia et Cartagena, où il devait commencer la fondation comme on a commencé dans la plupart de nos maisons d'Espagne : muni seulement de l'obédience qui lui permettra de chercher la première peseta et le premier ami qui lui prêtera son concours, intéressé ou non, pour trouver le modeste étage où l'on ouvrira l'école, et où, pendant une année ou deux, on vivra de misère et de privations, jusqu'à demander permission à son confesseur, comme dans l'avant dernière de ces villes, de faire, le dimanche, la lessive de la semaine, vu que les ressources trop modestes de la communauté ne suffisent pas aux exigences trop élevées des personnes de profession ; enfin, Las Avellanas, où, les ressources n'abondant pas non plus, il se fit tour à tour, et à la grande édification de tous, maçon, architecte, terrassier, fontainier, etc.

Le C. F. Floribert sut s'adapter à toutes ces situations, comme il saura, plus tard, se faire aux fonctions délicates de Visiteur et de Provincial. Et dans toutes, il conquit sans peine l'affection de ses frères, qu'il entraînait d'exemple, et qui supportaient gaîment avec lui les exigences de la situation, dans la pleine confiance qu'ils auraient le succès ; les sympathies du public, qui avait foi en son action ; le respect et l'affection des enfants, qui, accourant nombreux se placer sous sa direction, le mettaient constamment en quête d'agrandissements ou d'acquisition de nouveaux locaux plus spacieux et plus commodes, et qui, devenus grands et réunis aujourd'hui, en maints endroits, en sociétés d'anciens élèves, lui conservent un souvenir fidèle, que l'expérience de la vie élève et fortifie. En un mot, au milieu de situations diverses et souvent bien difficiles, le succès a presque toujours couronné les efforts du C. F. Floribert. C'est peut-être parce qu'un des traits saillants de son caractère pourrait se résumer dans ce mot : vouloir. C'est aussi parce que, en homme de foi, il s'était fait comme une règle de la parole de N. S. : "Cherchez avant tout le royaume de Dieu, et le reste vous sera donné par surcroît’’. Enfin, disons encore qu'il eut un sentiment vif et profond de ce que dit l'abbé Guibert dans l'Educateur Apôtre : "Aimez et vous serez compris ; aimez pour Dieu et en Dieu et vous élèverez les âmes et vous les sanctifierez’’.

De fait, c'est peut-être moins encore par les qualités de l'esprit que par les dons du cœur que le C. F. Floribert s'est acquis l'attachement de ses frères, et a mérité le tribut bien sincère de regrets, de larmes et de prières qui lui est offert aujourd'hui.

D'un extérieur bienveillant et ouvert, de manières simples mais très dignes, d'un caractère franc et décidé, enjoué, spirituel, vraiment mariste par toute sa manière d'être, le C. F. Floribert attirait autour de lui et inspirait l'aisance et la confiance ; expansif par nature et plein d'opportunité dans la réplique, il maintenait la gaîté et la sainte joie ; hardi et chevaleresque au besoin, il savait, à un moment donné, comme aux jours qui suivirent les troubles de Barcelone en 1909, lors des fêtes du ne anniversaire de la fondation de la Province, en 1912, exciter l'enthousiasme et maintenir haut les cœurs. On aimait, dans ces occasions, à entendre sa parole vibrante et toute de feu et de courage, et spontanément les cœurs s'unissaient au sien.

Mais ce fut surtout dans l'accomplissement des devoirs de sa charge de Provincial que le C. F. Floribert eut occasion de manifester les bons sentiments et la charité dont débordait son cœur ; charité tout évangélique et bien conforme aux recommandations de l'Apôtre quand il veut qu'elle soit patiente, douce, forte, désintéressée, humble, pieuse et appuyée sur la vérité.

A cause de son étendue, des moyens de communication parfois difficiles et pénibles, de la variété des climats, de ses œuvres nombreuses et quelque peu hétérogènes, eu égard à leur organisation et aux programmes universitaires, la Province d'Espagne est relativement difficile à desservir, et exige bien des efforts, bien des sacrifices de la part dur Provincial. Parce qu'il aimait, le C. F. Floribert voulut et put suffire à tout, laissant à Dieu seul le soin de peser et de compter ses peines et ses sueurs. Ses frères n'ont été témoin que- de ce qui paraît au dehors ; mais qui ne l'a admiré sacrifiant le sommeil, le repos, faisant, à pied ou ballotté dans mi pauvre wagon de troisième, des courses longues et fatigantes, puis s'enfermant des heures durant dans une chambre froide ou mal commode pour recevoir des visites et écrire des lettres, et apparaissant bientôt au milieu de la communauté tout joyeux et apparemment frais et dispos ? Et cela pendant le plus grand nombre de mois de l'année, tandis qu'en ce qui restait de temps, chacun savait qu'on pourrait le trouver dans un modeste étage de la résidence provinciale de Barcelone, occupé, soit à la rédaction de quelque lettre-circulaire, où il redisait aux frères les conseils charitables qu'il leur avait donnés lors de sa visite, soit aux affaires concernant l'administration de la province ou la marche des œuvres, soit enfin à la préparation de ses conférences de retraite, auxquelles il consacrait des journées et des semaines. Aussi, pas n'était besoin pour lui de dire à ses frères que son temps, ses sueurs, sa vie même leur étaient consacrés. Tous savaient que ses sollicitudes, son dévouement, son affection, sa charité allaient jusque là. Et jusque là il arriva ; car, ne s'épargnant en rien, mettant les intérêts de son corps et ses intérêts personnels toujours en second rang, il fut victime de son zèle et de son amour pour ses frères.

Du moins a-t-il eu la satisfaction, la plus douce pour ceux qui aiment, celle de voir qu'il était compris et payé de retour dans son affection et dans les actes qui en découlaient. Il a été estimé, aimé, et la direction qu'il s'efforçait de donner à ses frères et à leur activité — direction qui était toujours celle de nos Constitutions et Règles, — a été acceptée et suivie autant que le permettent la faiblesse et la fragilité humaines.

Le père et les enfants étaient unis, et la sève d'esprit religieux, d'esprit mariste, allant du Supérieur aux inférieurs, retournait à celui-ci en fleurs et en fruits de consolation. En somme, le C. F. Floribert sut maintenir le bon esprit dans toute l'étendue de sa Province. C'est ce que constata avec satisfaction le T. C. F. Assistant aux retraites dernières qu'il dut présider par devoir de sa charge et aussi en remplacement du C. F. Provincial, déjà atteint du mal qui devait bientôt nous le ravir. Et c'est aussi le témoignage que rendit le T. R. F. Supérieur Général lui-même lorsque, après une tournée rapide à travers nos principales maisons d'Espagne, retournant vers le cher malade, il lui dit ces mots, qui furent la consolation de son cœur et le baume qui jusqu'au dernier moment adoucit toutes ses souffrances : « Je reviens très satisfait de la visite que j'ai faite aux principales maisons de votre Province. C'est partout que j'ai trouvé à un haut degré, chez tous les Frères en général, l'esprit de famille et le culte dès Supérieurs. Une grande exubérance de vie circule dans toutes les œuvres, dans les écoles et dans les communautés. Tâchez qu'elle ait toujours sa source dans l'esprit du Vén. Fondateur et dans l'union avec Notre Seigneur par la prière et par la pratique du saint exercice de la présence de Dieu ».

C'est ainsi que l'union, l'identité de pensée et d'action, s'étendait des premiers Supérieurs de l'Institut à tous les membres de la Province, et faisait que tous ceux-ci travaillaient cor unum et anima una, selon l'expression de nos saints Livres. Inutile, après cela, de dire quels étaient les sentiments de respect, de soumission humble et filiale qui unissaient le T. C. F. Floribert avec les Supérieurs Majeurs de l'lnstitut, ni la confiance qu'avaient ceux-ci dans sa fidélité et son dévouement à toute épreuve.

Mais, de même qu'il aimait ses frères, le C. F. Floribert aima aussi les œuvres confiées à leur sollicitude ; avec cette différence, du moins, que si la charité qu'il sentait pour ses frères était douce, patiente, pleine de condescendance et de temporisation, il embrassa les œuvres d'apostolat avec toute l'énergie, toute la véhémence qui étaient propres à son caractère. Tel il avait été comme Directeur, tel il se montra comme Provincial : homme d'action. Son idéal était que " sa chère Province d'Espagne n, ainsi qu'il avait coutume de l'appeler, tût la première entre les vingt-deux qui forment l'institut. Ambition bien légitime dans un Supérieur, et qu'il faudra pardonner, ce semble, chez tous les Provinciaux animés du même feu sacré. Il y eut plusieurs premiers parmi ceux que le Maître envoya travailler à sa vigne.

Sa sollicitude embrassa tous les besoins et s'étendit sur tout : recrutement des vocations, formation et direction des Frères, maintien des règles et des usages, administration des finances, éditions ou rééditions d'ouvrages classiques.

Non content de conserver et d'augmenter, partout où la chose était possible, la prospérité des maisons déjà existantes, il fonda les nouveaux établissements d'Orbó, sur la demande et avec les secours de la Cie Houillère du Nord de la Péninsule, de Valdemoro, pour les orphelins du corps de gendarmerie, -et, sur la demande du Ministère de la Guerre, de Logroño (deuxième externat). En outre, en dehors de la Péninsule, il créa l'établissement que nous possédons dans le Maroc, et il ouvrit plusieurs nouvelles écoles ou Collèges dans les districts déjà créés du Chili et du Pérou, qu'il visita en 1914. Et, au milieu des ennuis et de tracasseries que durent susciter tant d'œuvres et de travaux si divers, animé de l'ambition généreuse de voir toute la jeunesse, si possible, répondre aux désirs amoureux du Divin Maître, qui doucement l'invite à venir à Lui, il trouva temps et occasion pour la création d'une "revue’’, destinée à donner aux enfants et aux jeunes étudiants le goût et l'amour des bonnes lectures, et à les détourner de ces lectures mondaines, si répandues aujourd'hui, qui faussent l'esprit autant qu'elles corrompent les mœurs. On peut ajouter que l'œuvre, toute modeste qu'elle est, a eu plein succès.

En somme, c'est dans la vérité et selon l'ordre que le C. F. Floribert a cherché et trouvé les objets de ses affections qui, pour cette raison, ont été fécondes en œuvres de salut. Il a aimé ses Supérieurs, sa Congrégation, ses Frères, leurs travaux, toutes les œuvres d'éducation chrétienne ; et parce qu'il a aimé sincèrement, saintement et avec foi toutes ces grandes et belles choses, il est devenu comme le centre vers lequel ont convergé tant d'actes. tant d'œuvres, tant de. volontés, tant de déterminations qui, en toute confiance, lui ont demandé appui pour réussir, pour s'élever jusqu'à Dieu, pour mieux le servir et pour ne s'attacher qu'à Lui.

Mais hâtons-nous de dire que c'est dans ses sentiments de foi vive et robuste, dans sa piété sincère que le C. F. Floribert a trouvé le mobile supérieur des actes qui ont fait sa vie. C'est son amour pour Jésus, sa dévotion tendre envers la Sainte Vierge qui a été la vraie boussole de son existence. Comme tout le monde et peut-être plus que bien d'autres, il eut ses moments d'amertume, ses heures de déception ; mais il les envisageait et les supportait en esprit de foi. On aimait à l'entendre dire alors avec résignation : "Bah ! le bon Dieu saura bien payer tous ces sacrifices, et le ciel qu'il nous promet vaut infiniment plus que tout cela’’.

Sa piété était vive et tendre, mais sérieuse et d'excellent aloi. Dans les exercices religieux, il allait tout d'abord à ce qu'il y a d'essentiel et dans les pratiques de dévotion à celles qui sont de règle. Que de fois ne l'a-t-on pas vu, après un long voyage qu'il avait dû faire la nuit, garder le jeûne jusqu'à dix ou onze heures pour pouvoir entendre la messe et communier ! En fait d'exercices publics, il était ennemi de la singularité et s'en tenait à la vie commune, ce qui ne l'empêchait pas, en son particulier, d'avoir ses dévotions favorites. C'est ainsi par exemple, qu'il avait un amour particulièrement tendre envers la Sainte Famille, et un culte toute filial de confiance et de respect envers le Vénéré Frère François. Au moment de prendre une décision importante, on le voyait souvent jeter un rapide regard sur son crucifix, comme pour demander conseil au bon Maître ; et que de fois il a trouvé dans ce geste d'amour et de confiance la bonne solution qu'auparavant il ne voyait pas !

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C'est dans ces sentiments et ces dispositions que le C. Frère Floribert vit venir la fin de son pèlerinage. Depuis quelque temps déjà il voyait s'annoncer sourdement les symptômes d'une maladie impitoyable, et dès le mois de septembre il put avoir la certitude à peu près complète qu'il n'y échapperait pas.

Mais, sans le laisser impassible, cette perspective d'une mort prochaine précédée de grandes souffrances, ne l'abattit point. Il l'envisagea avec calme, avec piété, avec esprit de foi comme il faisait de toute autre chose, et il demeura pleinement résigné à la volonté de Dieu, bien qu'il acceptât docilement, dans le même esprit, d'user des ressources de la science humaine qui s'efforçait, sans grand espoir, d'enrayer le mal.

Tout en usant graduellement ses forces physiques, six mois de pénibles souffrances religieusement supportées n'avaient ni déprimé ni assombri son âme généreuse et aimante, et jusqu'au dernier moment conserva la gaîté aimable et spirituelle qui lui étaient propres comme il continua d'aimer les personnes et les œuvres pour lesquelles il avait vécu et ne cessa de prendre les dispositions opportunes sur tout ce qui regardait le gouvernement de la Province. Sa main défaillante se refusait déjà à guider la plume, qu'il écrivait encore des lettres pour consoler, encourager ou guider tel ou tel de ses Frères qui lui demandait force ou lumière.

Sentant sa fin approcher, il prépara et fit avec grand soin sa confession générale ; puis, en pleine connaissance et dans les sentiments d'une ardente piété, il reçut le Saint Viatique, l'Extrême-Onction et tous les autres secours de la sainte Eglise. La cérémonie terminée, il prononça de son propre mouvement et d'une voix bien distincte la formule de la rénovation des vœux, après quoi, se tournant vers les Frères encore à genoux autour de son lit. il ajouta : ‘’Je fais mes adieux à tous mes Frères bien-aimés. J'ai confiance qu'ils prieront tant pour moi que le bon Dieu m'admettra bientôt dans son Paradis malgré ma grande indignité et mes nombreuses misères. Je demande pardon à tous pour les fautes que j'ai commises à leur égard et pour les scandales et mauvais exemples que j'ai pu donner à la Province, pardonnant moi-même de bon cœur à tous ceux qui auraient eu quelque tort envers moi. Je meurs content, parce que. par la grâce de Dieu, j'ai persévéré’’.

C'était le 13 mars dans la matinée. Le soir à 6 heures, l'arrivée d'un télégramme par lequel Notre Saint Père le Pape lui envoyait la Bénédiction apostolique, le combla de consolation et de reconnaissance ; et le lendemain, 14, vers les 9 heures du soir, sans efforts ni secousse, le bon Frère Provincial rendait son âme à Dieu et allait recevoir — tout s'unit pour nous le faire espérer, — la récompense promise au bon et fidèle serviteur. R. I. P.

 

† Frère MARIE-XAVÉRIUS, stable. – Le 25 novembre dernier, la mort nous enlevait, en la personne du C. F. Marie-Xavérius, un des vétérans les plus exemplaires et les plus sympathiques de la province de N. D. de l'Hermitage.

Né François Gallois à St. Etienne de St. Geoirs (Isère), le 12 décembre 1841, il entra, avec Régis, son frère jumeau (Frère Marie-Viateur), au noviciat de N. D. de l'Hermitage, le 15 avril 1856. Il y prit le saint habit le 8 décembre suivant, belle fête de l'Immaculée Conception, et, au mois de septembre 1857, l'obéissance le plaça comme chargé du temporel à Saint-Genis-Terrenoire.

Après trois années qu'il passa ensuite à Marlhes comme professeur et surveillant, il revint à l'Hermitage, où il demeura huit ans, d'abord comme élève-maître, puis comme professeur. Il n'en fut changé qu'en 1868 pour aller faire une classe à la Talaudiere, où il seconda avec intelligence et dévouement le Frère Macaire qui dirigeait alors cette école.

En 1871, Frère Marie-Viateur, son frère jumeau, comme nous avons déjà dit, qui depuis deux ans était Directeur à Torteron, le demanda aux Supérieurs pour l'aider à faire sa première classe, et il l'obtint. Pendant son séjour de trois ans dans ce poste, Frère Marie-Xavérius employa les rares moments que lui laissait son emploi pour compléter et perfectionner ses connaissances, de sorte qu'en 1874 il put subir. avec succès les examens du brevet de capacité.

Nommé à la direction de l'établissement d'Usson (Loire) aux vacances de la même année, il sut, pendant cinq ans, maintenir au sein de la communauté la régularité, le bon esprit et le dévouement à l'œuvre commune, en même temps qu'il donnait pleine satisfaction aux autorités religieuse, communale et académique ; malheureusement sa tâche était lourde, et, à la remplir, comme il faisait, avec un dévouement sans réserve, il épuisait peu à peu ses forces, et sa santé déclinait d'une manière inquiétante.

En 1879, il fut changé, au grand regret de la population, pour aller prendre la direction de l'Externat libre de la rue de l'Alma à Saint-Etienne, en remplacement du Frère Auxanus.

Cet établissement, fondé depuis une douzaine d'années, était déjà prospère ; et pendant les 25 ans qu'il demeura à sa tête, le Frère Marie-Xavérius sut non seulement lui conserver le bon renom qu'il avait auprès des familles et la place honorable qu'il possédait parmi les autres institutions catholiques de la ville, mais accroître encore l'un et l'autre, en même temps qu'il voyait monter dans une très appréciable proportion le nombre des élèves.

Educateur dans le sens le plus vrai et le meilleur du mot, il ne se contentait pas de veiller aux études, quoiqu'elles eussent dans ses soins toute la part qui leur revient ; il se préoccupait avec encore plus d'attention, s'il est possible, d'inculquer aux enfants les habitudes d'ordre, de propreté et d'urbanité qui font l'homme aimable et poli, les qualités morales de véracité, de droiture, de loyauté qui font l'homme d'honneur, et les vertus chrétiennes qui font l'homme de bien à la manière dont l'entend l'Evangile. Aussi les parents, sous ce rapport comme sous les autres, avaient-ils pleine confiance en lui. Que de fois n'ont-ils pas réclamé et toujours efficacement sa coopération pour venir à bout de certains défauts de caractère qui les inquiétait à bon droit chez leurs enfants !

Et, comme Supérieur et comme religieux, à la tête de sa communauté, il ne montra pas des qualités moins précieuses et moins rares. A la fois vigilant, ferme et bon, sans avoir aucun des défauts qui s'attachent trop souvent comme une rouille à ces dons naturels pour en amoindrir la valeur, il avait à un haut degré les divers caractères du Supérieur "raisonnable’’ selon l'esprit du Vénérable Fondateur. D'une grande largeur d'esprit, il savait, en tout, faire la part des choses, prendre, parmi -les divers points de vue auxquels on peut les envisager celui qui était le plus conformé à la sagesse, et ne se montrer ni exclusif ni intransigeant, tirant de chaque caractère et de chaque situation le meilleur parti possible sans rien brusquer ni rien briser. Franc comme l'or, il ne cachait à ses inférieurs, dans l'occasion, ni leurs défauts ni leurs torts ; mais toujours sans irritation, ni humeur, ni rancune, et jamais sur de simples rapports qu'il n'avait pu contrôler par lui-même ; aussi ses réprimandes n'offensaient-elles point, et ceux qui en avaient été l'objet ne lui en ont conservé en général que de la reconnaissance.

Il était ferme à maintenir la Règle ; mais, comme il commençait invariablement par donner l'exemple et qu'on sentait qu'il agissait ainsi uniquement par devoir, nul ne songeait à s'en formaliser ; on n'y voyait rien, au contraire, que de très naturel, de très salutaire, et on s'y assujettissait sans résistance ni arrière-pensée. Faut-il s'étonner si, dans cette atmosphère de régularité et d'exactitude à tous les devoirs de la vie religieuse, les vocations se conservaient et s'affermissaient ? "Il nous est arrivé assez souvent, disait un des Supérieurs de la province à cette époque, d'envoyer à la rue de l'Alma des Frères plus ou moins tièdes, relâchés, chancelants dans leur vocation, et, grâce à l'esprit religieux que sait y faire régner le Frère Marie Xavérius, nous avons presque toujours la consolation de les voir se réformer peu à peu, s'affermir dans leur saint état et devenir de bons religieux’’.

Zélé d'ailleurs dans l'accomplissement de ses fonctions, il ne se contentait pas de créer ainsi autour de ses Frères un milieu propre à favoriser l'esprit religieux, mais il savait intervenir directement. "Il s'occupait avec beaucoup de soin de la formation de son personnel — dit un de ses anciens seconds — au point de vue religieux et pédagogique d'abord, puis sous le rapport de la civilité, des convenances, du respect mutuel, de l'esprit d'ordre et de propreté. Non seulement il présidait assidument tous les exercices de la communauté et tenait à ce qu'ils fussent faits avec exactitude, décence et ponctualité ; mais il veillait à ce que le silence fût fidèlement gardé et à ce que le temps réservé aux études religieuses et profanes fût employé intégralement et d'une manière sérieuse à sa destination propre ; s'il le fallait, il faisait donner des leçons particulières à ceux qui en avaient besoin, et nombreux sont ceux qui, sous sa direction, ont préparé et subi avec succès les examens du brevet de capacité ou autres’’.

. Et qui pourrait dire, d'autre part, le nombre de ceux qui, dans leurs nécessités spirituelles ont trouvé auprès de lui lumière, conseil, direction ou encouragement ? Sa compatissante sollicitude s'étendait à toutes les misères ou souffrances morales, qu'avec autant de discrétion que de bonté et de tact il s'efforçait de soulager, consolant les cœurs meurtris, relevant les âmes abattues, répandant sur toute blessure de quelque genre qu'elle fût, le baume de son industrieuse charité.

En 1903, pour essayer de conserver son œuvre, il avait fait le sacrifice de quitter son habit religieux et il avait assumé la tâche de continuer, sous sa responsabilité personnelle et à simple titre de citoyen français, l'école qu'il dirigeait si bien depuis 24 ans comme membre de l'Institut. Mais les ennemis de l'enseignement chrétien ne trouvèrent pas que ce fût assez. Il fut traduit avec ses adjoints devant les tribunaux, qui, après l'avoir acquitté en première instance, le condamnèrent en appel pour fausse sécularisation, à 2.000 et tant de francs d'amende, qu'on ne parvint jamais d'ailleurs à lui faire payer.

Ce serait une longue et plaisante histoire que celle des démêlés qu'il eut avec les diverses administrations au sujet de cette amendé et de certains impôts qu'on lui réclamait ; mais glissons, et contentons-nous de dire que, de guerre lasse et pour sortir d'un imbroglio où le rôle gai et sympathique n'était pas de leur côté, elles prirent à la fin le très raisonnable parti de le laisser tranquille pour cela comme pour une petite école qu'il avait ouverte sans autorisation, conjointement avec son frère, dans un local de la rue d'Arcole.

C'est dans cette école en miniature qu'il consuma, comme autrefois Gerson, les dernières années de sa vie à guider vers Notre-Seigneur les âmes candides d'une vingtaine de tout jeunes enfants, auxquels il enseignait en même temps avec habileté et dévouement les premiers éléments des connaissances humaines Et il avait pour ces chers petits élèves des soins si tendres, si prudents, si attentifs, si délicats ; il savait si bien les intéresser et leur rendre le travail agréable ; il réussissait si bien à leur inculquer de bons sentiments et de bonnes manières que c'était, parmi les familles les plus considérées de la ville, à qui pourrait lui confier ses enfants. 'Toutes les places de sa petite école étaient retenues longtemps d'avance, tant on appréciait la bonne éducation qui s'y donnait.

Depuis déjà de longues années, il était sujet à des accès d'asthme qui le faisaient beaucoup souffrir ; mais il les supportait. avec tant de patience, de résignation et de courage que l'accomplissement de ses fonctions ne s'en ressentait presque pas. Cependant, au mois de novembre dernier, une crise plus violente l'ayant obligé de cesser tout travail et menaçant de prendre une tournure alarmante, il se fit transporter à l'Hermitage qu'il n'avait point cessé de considérer comme sa maison de famille et où il avait toujours désiré mourir. C'était grand temps. Il y était à peine arrivé depuis quelques heures qu'il expirait saintement après avoir eu, malgré la rapidité inattendue des progrès du mal, la consolation de recevoir les derniers sacrements. Tandis que son corps repose en paix, en terre bénie parmi ceux de ses frères en religion, son âme, nous l'espérons, aura déjà reçu du divin Rémunérateur la récompense d'une longue vie de travaux, de sacrifices et de vertus. Comme néanmoins, il faut être si pur pour être admis à partager la demeure du Saint des Saints, nous le comprendrons tout spécialement dans nos pieux suffrages afin que le temps de l'expiation, s'il durait encore, soit abrégé en sa faveur, en vue des mérites de N.S. et par l'intercession de Marie.

R. I. P.

 

† Frère THEOGENE, Profès des vœux perpétuels. – Ce professeur émérite, cet éducateur modèle de la jeunesse a terminé sa belle carrière à St. Ambroix (Gard), emportant dans la tombe l'estime et les regrets de tous.

En annonçant sa mort le Directeur du pensionnat s'exprimait ainsi : "J'adore la main qui nous frappe, car c'est la main d'un Père ; elle agit pour la gloire de Dieu et pour notre propre bien ! Si quelqu'un a droit à des éloges ; c'est bien notre infiniment regretté F. Théogène. Je voudrais pouvoir dire à tous le zèle, l'ardeur, le dévouement qui l'ont animé jusqu'au jour où une maladie rebelle à tous les soins l'a terrassé en plein labeur dans la vigne du Divin Maître’’.

Fr. Théogène (Sion Louis-Alphonse), vint au monde à Rivières de Theyrargues (Gard), le 10 décembre 1853, de parents éminemment chrétiens, qui s'attachèrent d'autant plus à lui, que Dieu ne leur donna pas d'autre enfant. Ils mettaient donc en lui leur espoir pour l'avenir, doux rêves bien permis à des parents chrétiens, prêts à se soumettre aux volontés divines.

Ce rêve ne devait pas se réaliser ; car Dieu dans son amour garda tous ses droits sur l'enfant, et le voulut pour lui.

En effet, en fréquentant l'école des Frères, le jeune Alphonse sentit naître en lui une vive affection pour ses maîtres et pour leur belle mission auprès de la jeunesse. Déjà d'autres élèves ses condisciples avaient suivi cette voie, et à St. Paul-trois-Châteaux ils devinrent dans la suite d'excellents sujets. Celui-ci éprouvait un irrésistible attrait pour les suivre et les imiter.

Il en parla donc au Fr. Directeur ; le priant de lui aplanir les difficultés qu'il prévoyait de la part de ses bons parents qui lui étaient si attachés. S'en séparer serait pour eux un terrible sacrifice ; mais ils étaient assez forts pour le faire, s'ils y voyaient clairement la volonté de Dieu.

Bien connu dans la petite paroisse par sa piété, par son caractère gai, ouvert, toujours plein d'entrain, Alphonse avait rapidement acquis l'estime et l'affection de tous ; aussi quand on connut ses goûts pour la vie religieuse, les avis ne manquèrent pas aux parents. Quelques-uns leur conseillèrent d'en faire un prêtre ; et pour les gagner plus sûrement à leurs vues, il y en eut qui promirent de se charger entièrement des frais de ses études. Mais l'enfant, qui se sentait appelé à l'éducation de la jeunesse, resta inflexible.

Devenu religieux cette même tentation pour la prêtrise reparut plusieurs fois avec insistance ; il la repoussa toujours avec énergie, comme n'étant pas la volonté de Dieu.

Ayant donc obtenu de ses chers parents la permission tant désirée, il entra au Noviciat de la Bégude le 5 février 1868. De suite il s'y montra ce qu'il était et restera toujours : pieux, gai, docile, aimable pour tous, plein de zèle et d'entrain au travail. A la vêture, il reçut le nom de Frère Théogène.

Après le noviciat, selon l'usage, on lui fit subir l'épreuve de l'emploi du temporel dans un établissement. Il y apportait son entrain et sa bonne volonté ; mais, hélas, dans l'ensemble il ne réussit que médiocrement ; même après plusieurs années d'essai on put se convaincre que celui qui devait être un si bon professeur, un si habile éducateur de la jeunesse, avait bien peu de talent pour régir une modeste cuisine.

Chargé ensuite d'une petite classe à Burzet (Ardèche), il se trouva de suite dans son élément. Sans peine il parvint à discipliner ce petit monde si rebelle à la contrainte, y mit de l'entrain et de l'émulation, et en peu de temps il en obtint des progrès étonnants.

Après ces premiers essais, on le plaça au pensionnat des Vans 'sous les ordres du vénéré Fr. Onias. Ces deux hommes se comprirent et longtemps travaillèrent ensemble à la gloire de Dieu.

Là, pendant 28 ans, il donna un libre cours à son zèle. Par ses bons procédés, par l'intérêt qu'il portait à tous, par un travail soutenu et des leçons supérieurement données, il tenait son monde dans la main et en obtenait ce qu'il voulait. Son pro- gramme établi d'avance et affiché en classe était toujours suivi :

‘’C'était plaisir, dit son Directeur, de l'entendre professer du matin au soir ; il n'était satisfait que lorsque tous les élèves avaient bien compris. Et si, malgré toute sa peine, certains étaient encore en retard, son zèle lui faisait trouver dès moments supplémentaires à leur consacrer, pour les mettre en état de suivre le cours commun avec profit’’.

Les enfants allaient en classe avec plaisir et travaillaient' avec ardeur : "Si nous ne progressons pas, disaient-ils, ce n'est pas la faute de notre maître, il nous donne de bonnes et sérieuses. Leçons’’. En ville, on le regardait comme un professeur émérite ; en effet, dans les examens ses élèves primaient toujours.

Pour ce bon Frère, enseigner était une vraie passion, qui le possédait tout entier : en récréation, à table, il ramenait la conversation sur ce sujet, sur les moyens propres à faire travailler les élèves et à les discipliner. Nulle part, sauf à la prière et à l'église, il n'était si content qu'en classe : "Combien de fois, disaient ses confrères, nous lui avons entendu dire que les jeudis étaient longs et les vacances interminables ! J'y languis, ajoutait-il, et il me tarde d'être avec les élèves’’.

Quand il se rencontrait de ces enfants à caractère difficile, indiscipliné, le désespoir des professeurs, on les lui confiait pendant quelque temps ; et tel était son ascendant sur tous, qu'il en tirait toujours bon parti : " J'ai vu, dit son ancien Fr. Directeur, des élèves de ce genre qu'il avait complètement transformés, devenus plus tard pères de famille, venir le remercier de les avoir corrigés de leur mauvais caractère, de les avoir fait travailler’’. "C'est bon, c'est bon, mon cher ami, répondait-il, rendons en grâces à Dieu, et maintenant marchons dans la bonne voie’’.

Dans la pratique si difficile et si délicate de la correction, il se dominait lui-même et choisissait le moment favorable. Il ne craignait pas, dans ces circonstances, de dire à l'enfant : " Vous le voyez, je suis trop ému ; laissons venir le calme ; après, "nous causerons’’. Et il arrivait à son but par la patience et la raison.

Aussi un Directeur bien à même de l'apprécier lui a-t-il rendu ce témoignage : "On peut remplacer Fr. Théogène comme nombre ; mais comme valeur pédagogique et éducative, non. C'était "un professeur consommé’’.

C'était aussi un religieux modèle, qui mettait au service de Dieu le même zèle, la même ardeur, pour ne pas dire plus, qu'à ses devoirs de professeur. Sa piété s'alimentait aux grandes sources : la prière, l'union à Dieu, la dévotion à Marie, l'Eucharistie. Un de ses confrères qui l'a connu longtemps dit de lui : "Tel avait été le novice, tel fut toujours en lui le religieux." Dans la prière il prenait une tenue modeste, pénétrée de l'esprit de foi ; le ton de voix assez élevé, les paroles bien articulées ; on sentait qu'il parlait à Dieu. De ses élèves il exigeait les mêmes dispositions et il les obtenait aisément.

Il mettait du zèle dans tout son enseignement ; mais il se surpassait dans le catéchisme. "Après une préparation très soignée, dit un confrère, l'heure venue il allait à la leçon la figure rayonnante d'une sainte joie. Tenue digne, parole claire, précise, convaincue ; interrogation vive ; ce n'est pas une simple formule de dire qu'il captivait son monde. Aussi aucune leçon n'était goûtée des élèves comme celle-là. A l'exemple de nos meilleurs catéchistes, il était tout entier aux catéchismes préparatoires à la première communion

Sous un extérieur qui paraissait un peu indépendant, jamais homme n'eut un plus grand culte de l'autorité ; au besoin il savait rappeler au devoir ceux qui se seraient oubliés sur ce point fondamental de la vie religieuse. Sur un ton qui n'admettait pas de réplique, il dit à quelqu'un dans un cas de ce genre : " Comment, mon cher ami, vous osez vous plaindre d'un avis donné avec tant de tact ? Vous n'êtes pas raisonnable, et vous ne méritez pas qu'on prenne tant de ménagement !

Dans un pays, peu de personnes arrivent à jouir sans ombre de l'estime générale comme fit Fr. Théogène aux Vans, où il exerça ses modestes fonctions pendant près de 29 ans. C'était un bonheur pour les familles de recevoir une de ses visites. Mais il ne se prodiguait pas ; comme pour son saint maître, le F. Onias, ses visites se bornaient à prendre des nouvelles des enfants malades.

La population des Vans l'aurait vu volontiers à la tête de l'établissement ; mais, dans sa modestie, il s'en croyait tellement indigne, que l'obéissance lui ayant donné le choix entre la direction et son changement, au prix d'un immense sacrifice, il partit pour St. Ambroix. Là il eut les mêmes succès ; les mêmes moyens lui attachèrent les élèves et la population.

Il y avait 40 ans qu'il menait cette vie de zèle intense ; son énergie naturelle le maintenait à ce niveau, mais la santé commençait à fléchir ; d'une maladie grave survenue il y a trois ans, il resta quelques suites, et cette année 1916 à la grippe vint s'ajouter une sérieuse complication de poitrine, qui prit bientôt une tournure inquiétante. Comme le personnel faisait défaut, se détachaient deux religieuses de l'hospice attenant pour le soigner ; mais tout ce qu'on put faire pour enrayer le mal fut inutile.

Le malade se rendant compte de la gravité de la situation fit à Dieu de grand cœur le sacrifice de sa vie et se soumit à tout ce qu'on voulut. Il remercia affectueusement Mr. le Vicaire qui lui inspirait quelques bonnes pensées, et ajouta ; " Je n'ai rien de particulier, mais je veux tout ce que vous voudrez. „ Et il se remit à prier avec ferveur. Il reçut ensuite le saint Viatique avec une ardente piété.

Pendant qu'on préparait le nécessaire pour l'Extrême-Onction il dit au Directeur du pensionnat : " Nous voilà donc arrivés à la fin comme sans nous en douter. Que la sainte volonté de Dieu soit faite. Je vous demande pardon de toutes les peines que je vous ai causées !’’ Et il se remit à prier.

Enfin le samedi 29 janvier, à minuit, il s'endormit doucement dans le Seigneur.

Renfermé dans ses humbles fonctions, fuyant avec un soin particulier tout éclat extérieur, il était heureux d'être ignoré. Mais à sa mort St Ambroix et les Vans tinrent à prouver la profonde estime qu'on avait pour cet infatigable éducateur de la jeunesse. "Mr. Alphonse Sion, écrit-on de St-Ambroix, vient de succomber à la tâche, terrassé en quelques jours par un " mal terrible et implacable.

« En cette circonstance la population tout entière, sans distinction de parti, a bien montré que chez nous les services rendus savent trouver un écho sympathique. Elle a fait au regretté défunt des funérailles aussi imposantes que grandioses. Mr le doyen de St Ambroix présidait la cérémonie, entouré de plusieurs prêtres. Il y avait en outre les différentes Communautés, Congrégations et écoles de la paroisse, avec leurs draps et leurs insignes. Beaucoup de gerbes et de couronnes de fleurs naturelles découpaient çà et là le cortège et lui donnaient un aspect quelque peu triomphal. Au deuil figuraient une longue file d'hommes parmi lesquels on a remarqué la plupart des autorités constituées et bon nombre d'anciens élèves du défunt ». (Eclair de Montpellier).

De son côté le Nouvelliste de Lyon lui consacrait ces lignes, écrites des Vans : « Dimanche dernier avaient lieu à St Ambroix les obsèques de M. Sion, connu si longtemps sous le nom de Fr. Théogène. La majeure partie de la population avait tenu à accompagner à sa dernière demeure celui qui se consacra avec un dévouement sans limites à l'instruction et à l'éducation des enfants. Cette cérémonie fut à la fois belle et touchante. Mr Sion avait passé 28 ans de son enseignement dans notre petite ville, où il s'était attiré l'estime et la sympathie générales. Quelques jeunes gens ont tenu à représenter " à ses obsèques la population des Vans.

Mardi nous avons eu dans notre église paroissiale un service solennel, célébré pour le repos de son âme ; un très grand nombre de personnes y assistaient ».

(Nouvelliste de Lyon).

Il y avait 48 ans qu'il s'était présenté au Noviciat de la Bégude.

R. I. P.

 

† Frère MARIE-HONORAT, Profès des vœux perpétuels. – D'une lettre venue de Montpezat et adressée à des amis, nous empruntons les lignes suivantes, consacrées à la mémoire de celui qui fut le bon Frère Marie-Honorat.

Mardi, 7 décembre, un pieux cortège accompagnait à sa dernière demeure la dépouille mortelle du vénéré Monsieur Chaudier, qui a passé plus de 30 ans à Montpezat.

Ce saint homme, en nous laissant de beaux exemples de vertu, emporte l'estime et les regrets de tous ceux qui l'ont connu. L'assistance nombreuse, pieuse et recueillie qui se

pressait autour de sa tombe, l'a prouvé bien éloquemment. Rien ne faisait prévoir une fin si rapide. Une maladie intestinale, qui l'a fait cruellement souffrir, nous le ravit en trois jours.

Par une disposition particulière de la Providence dont il faut toujours adorer les desseins, aucun de ses collègues ne se trouvait près de lui à l'heure suprême, pour lui adoucir les douleurs de l'agonie et recueillir son dernier soupir. Mais Dieu veillait sur cette bonne âme. Un groupe d'amis sincères et d'une fidélité éprouvée l'assistèrent à ses derniers moments avec un dévouement vraiment admirable. Nous ne pouvons les nommer tous. Toutefois Monsieur le Vicaire et Monsieur Vigne méritent une mention spéciale. C'est entre leurs bras que Monsieur Chaudier a exhalé son dernier soupir. Les véritables amis se reconnaissent dans le malheur. On le vit bien dans cette triste et si douloureuse circonstance.

Prions pour celui qui fut toujours un bomme de bien, que nous pleurons et dont la mémoire sera en bénédiction’’.

Par cet extrait, on voit que Monsieur Chaudier, après sa sécularisation, était bien resté ce que nous l'avions connu sous le nom de Frère Marie-Honorat.

C'est à Vernoux (Ardèche) que Louis-Albert Chaudier (Frère Marie-Honorat) naquit de parents foncièrement chrétiens, le 10 septembre 1856.

Dès l'âge le plus tendre, il fréquenta l'Ecole des Frères et ne tarda pas à s'y faire remarquer par son application et sa docilité. Il aimait la prière et se plaisait en la compagnie de ses Maîtres.

A 15 ans, Albert demanda à être admis dans la Congrégation : ce qui lui fut accordé. Et il partit le 13 septembre 1871, pour Labégude, avec les Frères de Vernoux qui s'y rendaient pour la retraite. Après s'être conduit d'une manière exemplaire dans sa famille, il se trouva dans son élément au Noviciat, qu'il fit avec beaucoup de ferveur, sous le nom de Frère Marie-Honorat.

A un bon caractère, il joignit bientôt les vertus acquises par de généreux efforts, vertus qui font trouver le centuple dans la vie religieuse, qui édifient le prochain et que Dieu récompense par la persévérance finale. Il avait l'humilité en partage. Jamais de vaines prétentions chez lui. Dans ses intentions, il cherchait à plaire à Dieu et à être utile au prochain ; dans ses actes, toujours la retenue et la défiance de lui-même.

Frère Marie-Honorat joignait la douceur à l'humilité. Il la pratiquait si bien qu'on ne l'a jamais vu en colère, qu'on n'a jamais surpris sur ses lèvres une parole capable de blesser qui que ce fût. Tel est le témoignage unanime de plusieurs confrères restés de longues années avec lui. A sa sortie du Noviciat, Frère Marie-Honorat, selon l'usage, fut chargé du soin du temporel dans différents maisons.

Intelligent, possédant ses titres dé capacité, il fut ensuite employé au professorat à St Florent, pendant 5 ans.

Mais, en raison de sa faible santé, et peut-être aussi parce qu'il ne se sentait pas toute la fermeté nécessaire pour bien discipliner une classe, il sollicita un emploi manuel. Sa demande fut exaucée. En 1884, il était envoyé à Montpezat pour faire la cuisine, tout en aidant en classe à certaines heures de la journée.

Il devait rester plus de 30 ans dans ces modestes fonctions, c'est-à-dire jusqu'à sa mort.

Et c'est encore ici qu'il peut être proposé pour modèle à ceux qui sont chargés du soin du temporel.

Pendant tout ce temps, il n'a jamais manifesté une plainte ; ni exprimé un désir d'avoir mieux. Et cependant tout n'était pas pour le mieux dans la situation où il se trouvait, la pauvreté même y faisait quelquefois sentir ses rigueurs. Il faisait son travail sans bruit, non à la manière des domestiques, mais de bon cœur, comme un enfant de la famille, cherchant avant tout à plaire à Dieu et à contenter ses confrères, ne craignant pas de s'imposer quelquefois de grands sacrifices à cet effet.

C'est ainsi que ce bon et fidèle serviteur, par son caractère aimable, son humilité, sa charité et sa piété a fait le bien et a toujours été la bonne odeur de J. C. Ainsi il s'est attiré l'estime et la sympathie de la population qu'il a constamment édifiée, tout en se sanctifiant lui-même. Et c'est pourquoi, comme il a été dit plus haut, sa mémoire sera en bénédiction auprès de tous ceux qui l'ont connu.

R. I. P.

 

† Frère CERANUS, Profès des vœux perpétuels. — Frère Céranus (Pierre Charron) naquit le 30 novembre 1818, à St Etienne-de-Lugdarès, l'une des plus religieuses paroisses du diocèse de Viviers, et l'une de celles qui ont donné le plus de sujets à l'Institut : on en compte plus de 50 durant l'espace d'un demi-siècle. Disons en passant que si un certain nombre d'entre eux, après avoir fourni une longue carrière et fait beaucoup de bien dans la Congrégation, ont déjà été appelés à la récompense, les autres continuent toujours vaillamment les bons combats du Seigneur ; quelques-uns même jusqu'à un âge avancé, qui leur donnerait, certes, en d'autres temps, droit à un repos bien mérité.

Dès que Pierre Charron fut en âge de fréquenter l'école, ses Parents le confièrent aux Frères Maristes qui en avaient la direction. Il se montra un élève pieux et studieux.

A 14 ans, il eut la pensée d'embrasser la vie religieuse et de suivre l'exemple de ses Maîtres. Mais, n'étant pas encore bien affermi dans ses convictions, le cher Frère Honorius — de douce mémoire — Directeur de l'Établissement, lui conseilla d'attendre, de réfléchir et de bien mûrir son projet : ce que fit le jeune homme pendant plusieurs années. Entre temps, il aida ses Parents aux divers travaux de la maison. Ce ne fut que 7 ans après, à l'âge de 21 ans, que, se sentant réellement appelé de Dieu, il mit son projet à exécution. En effet, le 30 septembre 1869, Pierre Charron entrait au noviciat de Labégude.

Il prit l'habit religieux au mois de mai de l'année suivante, sous le nom de Frère Céranus, et en septembre 1874 il se consacrait définitivement au Seigneur par les vœux perpétuels.

Nous ne suivrons pas ce bon Frère dans les établissements où il fut envoyé, ni dans les différents emplois qui lui furent confiés durant ses 48 années de vie religieuse.

Ce que nous pouvons dire, c'est qu'il a laissé partout de bons souvenirs et qu'il a toujours été l'homme de devoir, de dévouement et de bons conseils, aimant par-dessus tout sa famille religieuse.

Un de ses derniers Directeurs, bien qualifié pour l'apprécier, s'exprime ainsi : "J'ai eu le bonheur de posséder pendant longtemps le Frère Céranus, chargé de la petite classe. Pendant ce temps, il s'est constamment fait remarquer par un grand esprit de foi, une piété éclairée et un admirable dévouement pour sa famille religieuse’’.

C'est bien, en effet, le résumé de sa vie en trois mots. Toutes ses actions de la journée étaient animées par l'esprit de foi. Que de peine ne se donnait-il pas pour faire sa classe, tout fatigué qu'il était bien souvent ! Mais il travaillait en vue de l'éternité. ‘’Pour vous, ô mon Dieu’’ disait-il fréquemment.

Si sa piété paraissait peu sensible, elle n'en était pas moins sincère. Ceux qui le voyaient seulement en passant ne s'en doutaient peut-être pas. Mais quand on l'approchait de près, on en était bien convaincu et profondément édifié.

Il avait à un haut degré l'esprit de famille et l'amour de la Congrégation. Le bonheur de ses confrères faisait le sien, cherchant toujours à faire plaisir aux autres en se gênant lui- même. Il ne supportait pas que l'on critiquât l'autorité ou le personnel de la maison. Pour lui, ses supérieurs, ses confrères, son établissement étaient plus que ses Parents et tenaient le premier rang dans son estime. Que de sacrifices ne s'est-il pas imposés, que de démarches n'a-t-il pas faites pour attirer les élèves à l'école, pour les y retenir, même quand ils ne donnaient pas pleine satisfaction ! On le voyait alors, lui, d'un caractère assez vif, faire effort sur lui-même, montrer une douceur peu commune, user de procédés aimables dans le but de ramener à de meilleurs sentiments certains enfants indociles, et de les attacher ainsi à l'établissement. Ajoutons que de tels procédés étaient presque toujours couronnés de succès. Savoir se faire aux circonstances en vue du bien : voilà ce qu'avait bien compris et ce que pratiqua toujours le bon Frère Céranus.

Rien d'étonnant, avec de tels sentiments, qu'il ait laissé des regrets partout où il a passé, auprès des Frères et des élèves, notamment dans le dernier établissement où la maladie est venue le terrasser.

Bien affaibli depuis quelque temps, il continuait néanmoins sa rude besogne par pur dévouement, ne voulant pas laisser ses confrères dans l'embarras ; car il voyait trop bien qu'on n'avait personne pour le remplacer.

Fin décembre, ne pouvant plus se tenir, il alla prendre un peu de repos à Ruoms, comptant revenir auprès de ses élèves après quelques jours. Mais Dieu en avait jugé autrement. C'était le repos éternel qui lui était réservé. Sa journée était finie. En effet, après quelques semaines de souffrances bien religieusement supportées, Frère Céranus s'endormit saintement dans le Seigneur. R. I. P.

C'était le 5 février 1916.

 

† Frère MARIE-ROBERT, Profès des vœux perpétuels. En parlant de cet excellent religieux on le désignait souvent ainsi : le saint Frère Marie-Robert ou le pieux Frère Marie-Robert ; et ces expressions traduisaient bien la pensée de ceux qui le connaissaient.

En lui, c'était la sainteté modeste, cachée, si bien drapée dans l'observance régulière et la vie commune, qu'il fallait le suivre de près pour deviner la haute perfection qu'il mettait en toutes choses.

F. Marie-Robert (Nury Louis-Lubin) vint au monde à la Bégude (Ardèche) le 29 janvier 1855, au sein d'une famille profondément chrétienne, qui a donné plusieurs de ses enfants à l'Institut des Frères Maristes.

Dès qu'il fut en âge on le mit en classe chez les Frères.

D'abord un peu timide par nature, il prit bientôt le dessus, et se montra élève studieux, pieux, appliqué, aimable à tous, qui s'éprit d'une telle affection pour ses maîtres et pour leur genre de -vie, qu'il ne tarda pas à solliciter la faveur d'entrer dans l'Institut.

Les parents, heureux de donner un de leurs enfants à la Sainte Vierge, le présentèrent au bon Frère Malachie, qui l'admit au Noviciat le 3 avril 1870. L'enfant en garda le souvenir comme d'un des beaux jours de sa vie. Dix mois après, 2 février 1871, en l'admettant à prendre le saint habit, on lui donna le nom religieux de Frère Marie-Robert.

Au comble de ses vœux, il fut bientôt un novice modèle, tout occupé de ses devoirs et de mettre en pratique les leçons religieuses reçues. Jamais il ne regarda en arrière ; et si en passant devant sa maison, il saluait ses parents, c'était surtout pour leur dire son bonheur d'être tout à Dieu.

Dès le noviciat, cette âme de bonne volonté se traça la voie de perfection dont elle ne s'écartera plus dans la suite : esprit de prière, intime union à Dieu, esprit de foi, simplicité, modestie, oubli de soi-même, régularité, dévouement sans mesure. Aussi fut-il le modèle des bons novices,- et dans la suite donna-t-il pleine satisfaction partout où l'employa la sainte obéissance.

Villeneuve-de-Berg fut surtout son champ d'action : il y a laissé un impérissable souvenir, non seulement auprès de ses confrères et des élèves, mais aussi dans la paroisse, où il était avantageusement connu et estimé de tous. "Pendant les vingt ans que nous avons passés ensemble, écrit son ancien F. Directeur, F. Marie-Robert s'est toujours montré un vrai Petit Frère de Marie et un fidèle disciple du Vén. P. Champagnat, soit par son application à remplir tous ses devoirs de religion, soit par ses soins assidus à pratiquer la vertu.

Pendant tout ce temps j'ai remarqué en lui une foi ardente et une piété profonde qui le portaient à adorer Dieu dans les divers événements de la vie et le rendaient fidèle à tous ses exercices de piété.

En classe, il ne fut jamais de ceux dont l'ombre suffit à maintenir l'ordre ; mais, toujours digne, d'humeur égale, ayant soigneusement préparé sa Classe, prévu ce qu'il voulait des élèves, il n'en obtenait pas moins des succès remarquables. Les enfants s'attachaient à lui, parce qu'ils l'estimaient et le vénéraient comme un saint.

C'était aussi l'idée qu'on en avait dans la paroisse. Pour cette raison surtout, l'ancien Curé, le Chanoine Joannem, avait fortement tenu à le maintenir dans l'établissement. Et M le Chanoine Curé-Archiprêtre actuel, en annonçant un service solennel pour le repos de l'âme du bon Frère défunt, loua brièvement son dévouement, sa piété et son esprit de pénitence. Sa mortification un peu austère, dit un de ses confrères, le portait souvent à se priver même du nécessaire, et lui faisait accepter courageusement les sacrifices de l'esprit, du cœur et de la volonté ,.

Si l'estime et l'admiration venaient à lui, ce n'était pas par des actions à effet ; car ses confrères ont pu écrire de lui : "Sa vie pendant les longues années passées ici, n'a eu rien d'éclatant selon le monde ; il fuyait au contraire tout ce qui attire l'attention dés hommes ; mais, cependant, quelle existence bien remplie que la sienne par le dévouement, le travail, la prière et la pratique de la vertu ! Tout occupé de sa sanctification, uni à Dieu par la pensée de la sainte présence, il écartait ce qui aurait pu le distraire, et multipliait le plus possible ses entretiens avec le Souverain Maître et la Bonne Mère, mais, cependant, jamais au détriment de ses devoirs professionnels’’.

Parcimonieux de ses moments libres, il les utilisait pour satisfaire sa dévotion ou à quelque occupation utile, de sorte qu'on ne le trouvait jamais au repos proprement dit : il se reposait de la prière par le travail, ou du travail par la prière. "Véritable abeille dans le poste, dit un de ses confrères ; sans négliger les soins de la classe et de la cuisine, il cultivait sans compter les légumes du jardin, les fleurs du parterre et les arbres du verger’’.

Quoique son grand esprit de foi lui fit mettre beaucoup d'attention en toutes ses actions, il soignait par dessus tous ses catéchismes. Consciencieusement préparés, il les arrosait par la prière, selon les conseils de notre Vénérable Père ; et l'heure venue il donnait la leçon avec un zèle tout apostolique qui captivait les enfants. La sainte. doctrine qu'ils écoutaient les impressionnait d'autant plus, qu'ils en voyaient la pratique fidèle dans celui qui les instruisait.

Quoique très fidèle à tous les exercices religieux de Règle, il trouvait encore le moyen d'y ajouter quelque chose. Sur sa piété, on lui a rendu ce témoignage : "Il commençait sa journée par le chemin de la Croix, se préparait avec ferveur à la sainte communion, qu'il faisait chaque jour ; et si la distance de l'église ne lui permettait pas d'aller visiter Notre Seigneur durant le jour, il y suppléait par quelques visites à la Bonne Mère, et, le soir, il terminait par le Rosaire’’.

Ce bon religieux n'eut pas la consolation de mourir au milieu de ses enfants aimés. Pris de vives douleurs d'estomac, il fut contraint de se retirer à Ruoms. Le Docteur lui ayant reconnu la terrible maladie du cancer, il se prépara à la mort en redoublant de piété et en faisant à Dieu le sacrifice de sa vie pour l'expiation de ses fautes, pour sa Congrégation, pour sa famille, pour l'Eglise et pour son pays.

Après avoir reçu les derniers sacrements dans des sentiments de vive piété, il rendit sa belle âme à Dieu le 24 janvier 1916, après 46 ans de vie religieuse. R. I. P.

 

N.B. — Bon nombre d'autres notices bien édifiantes seraient encore à ajouter à cette galerie de nos chers disparus ; mais le volume déjà considérable de ce numéro du Bulletin nous oblige à nous arrêter là pour aujourd'hui. Elles seront, s'il plaît à Dieu, pour le numéro prochain. Pour quelques-unes d'entre elles, nous n'avons malheureusement que des documents incomplets, et nous serions très reconnaissants à ceux qui le pourraient de nous aider, par t'envoi de quelques bonnes" notes, à combler cette lacune. Nous serions particulièrement désireux d'en avoir sur les bons Frères : Flore, Hielarius, Adauctus, Antonius, Gauthier, Ferdinandus, Arèse, Diemitrien, Illidius, Honeste, Chrysanthien, etc. Allons ! vous qui les avez spécialement connus, vite votre plume : ce sera un fraternel hommage à leur pieuse mémoire et un service d'édification à tout t'Institut.

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