Nos soldats

13/Sep/2010

La guerre est assurément un fléau terrible ; niais il n'est pas douteux qu'elle puisse être également un fléau salutaire. C'est pourquoi elle a été si souvent l'instrument dont s'est servie la Providence pour accomplir ses justes, et miséricordieux desseins sur les hommes. Pour les peuples, elle est, selon les cas, libératrice, expiatrice ou éducatrice ; pour les individus, quand ils savent l'envisager à son vrai point de vue et en profiter, elle peut devenir éminemment sanctificatrice.

Tel sera, en définitive, aimons-nous à espérer, le rôle de la guerre actuelle, si malheureuse et si malfaisante qu'elle nous paraisse à première vue. Pour les peuples qu'elle a mis aux prises, elle sera, selon les justes jugements de Dieu, qui connaît le droit et le tort de chacun, libératrice ou expiatrice, mais en tous cas éducatrice et instructive ; et pour une grande partie des millions d'hommes qu'elle a jetés malgré eux dans une mêlée aussi affreuse que sublime, elle sera un instrument de sanctification et de très grands mérites, à cause des devoirs si pénibles qu' elle leur impose et des sacrifices si généreux qu'elle leur donne occasion d'accomplir.

Sanctifiante, cette guerre l'aura été pour des milliers et des milliers d'âmes que l'insouciance, le respect humain ou des préjugés d'éducation tenaient éloignées de Dieu, et qu'une connaissance plus vraie de l'âme sacerdotale non moins que le sentiment d'une mort sans cesse menaçante lui a sincèrement ramenées ; elle l'aura été à plus forte raison pour dés milliers et des milliers d'autres âmes qui vivaient déjà de la vie chrétienne, et qui ont accepté généreusement pour Dieu le sacrifice de s'arracher au sein de leur famille selon la nature ou selon la grâce et d'aller s' exposer à toutes sortes de fatigues, de privations et de dangers pour l'accomplissement de ce qui se présentait leurs yeux sous les traits augustes du devoir.

Nous espérons que ç'aura été particulièrement le cas des trois à quatre cents des nôtres qui ont dû quitter leurs maisons, leurs communautés et les chères œuvres auxquelles ils trouvaient plaisir à se dévouer pour aller prendre leur place sous les drapeaux. Nous en avons dans les deux camps, dans toutes les armes, dans presque tous les services annexes, et les nombreuses lettres qui arrivent d'eux à la Maison Mère attestent avec éloquence qu'en faisant bravement leur devoir de soldats, ils n'oublient pas qu'ils sont chrétiens, catholiques, religieux, Petits Frères de Marie, et qu'à tous ces titres une autre préoccupation leur incombe : celle de profiter de leur situation accidentelle pour épurer, accroître et tremper plus fortement leur vertu, pour faire du bien dans leur entourage et pour honorer en leur personne leur famille religieuse, qui reste, après Dieu, le centre de leurs plus chères affections. Qu'on en juge par les extraits suivants que nous empruntons un peu au hasard à quelques-unes de leurs lettres qui nous ont passé sous les yeux.

 

Vosges, 21-11. — Pas de meilleur jour pour vous donner de nies nouvelles que ce samedi, fête de la Présentation de Marie au Temple. Le temps est superbe, l'air vif, les nuits froides, la faible chaleur du .Soleil ne suffit pas à amener le dégel. Depuis bientôt une semaine, nous sommes au repos. Il m'est donné d'entendre la sainte messe tous les jours. Pauvres églises des Vosges ! Il en est bien peu qui n'aient pas été dévastées. Les unes, incendiées, dressent tristement leurs quatre murs vers le ciel ; d'autres, moins endommagées, ont reçu 20 ou 30 obus. D'autres ont servi d'ambulance après s'être vues dépouillées de leurs ornements et vases sacrés. Qui dira toute la désolation qu'une guerre traine après elle ! Je vais toujours bien, grâce Dieu et à la Bonne Mère ; mais l'hiver s'annonce rigoureux. Le froid nous fera peut-être plus de mal que les balles. Neige, pluie, vent, tempêtes, gelées et froid, bénissez le Seigneur ! Je suis près de Jésus, sur le mur de Marie, soldat d'un sou, frère M.A. toujours.

 

Macon, 2-11. — Je vous remercie des prières qu'on a faites à notre intention. Elles nous sont bien nécessaires, car tout n'est pas rose sur le front, à la caserne et même dans un hôpital. Il y a bien des sacrifices à faire pour accomplir son devoir avec dévouement. Il y a des besognes parfois bien répugnantes, et il faut prendre son courage à deux mains. J'en sais quelque chose. J'ai passe trois semaines de rudes labeurs. J'avais cinq blessés très gravement atteints, et sept autres dont les blessures, bien que moins graves, n'en étaient pas moins très douloureuses. C'est grâces aux prières faites à notre intention que l'on tient bon et qu'on peut faire un peu de bien autour de soi. Durant ces trois semaines, j'ai fermé les yeux à trois soldats. Ils ont tous reçu les Sacrements, que je leur ai proposés, et sont morts très chrétiennement. L'un d'eux, après sa confession, me disait : "Je vous remercie du service que vous venez de me rendre". Et un instant après : "Donnez-moi un catéchisme. — Et pourquoi donc, mon ami ? — Pour repasser mes prières, que j'ai un peu oubliées. — Vous savez bien que le Docteur vous a défendu de lire. Le bon Dieu d'ailleurs demande la bonne volonté et non l'impossible. Faites des oraisons jaculatoires : cela suffira. — Et qu'est-ce que c'est que les oraisons jaculatoires ?" Je le lui expliquai et il mourut très pieusement après en avoir fait un grand nombre. N'est-ce pas consolant ? Ce pauvre soldat avait reçu trois balles à la tête ; il avait l'oeil gauche crevé, le crâne fracassé et la gangrène lui avait gagné le cerveau. Il n'y avait pas de remède. Sur les 10 morts à l'hôpital dans les débuts, un seul, mort subitement, n'a pas reçu les sacrements. Continuez les prières : elles ne sont pas inutiles, comme vous voyez… J'ai reçu une lettre du C. F. Assistant ; cela m'a été bien agréable : il y a si longtemps que je n'avais rien reçu de lui ! Je ne manque pas de prier pour lui et pour tous les Supérieurs qui ont tant de soucis en ces temps troublés. Vous voudrez bien offrir mes respectueux hommages au R. F. Supérieur et l'assurer de mon entière obéissance et de tout mon dévouement. Pour le spirituel, on n'a pas tous les avantages de la vie de communauté, mais on fait ce qu'on peut : prières du matin et du soir, chapelet, messe et communion dans la chapelle de la Visitation. Hier, jour de la Toussaint, j'ai assisté à la messe à la cathédrale, qui ne pouvait contenir les fidèles ; les militaires avaient des places réservées dans le chœur. Nous étions plus de 200 de tous grades… C'était vraiment beau. Allons ! il y a un réveil en France. Espérons que l'épreuve la fera devenir chrétienne.

 

Chambéry, 29-11. — Donc, à 40 ans on est des bleus ; on s'exerce de son mieux à la marche forcée, au maniement du flingot, etc. … C'est dur ; mais, comme le dit un Père de la Salette qui est avec nous, c'est une bonne épreuve par laquelle la Providence veut nous faire passer. Fiat ! Nous l'acceptons avec courage en attendant des jours meilleurs. La Sainte-Vierge nous protège malgré tout, Je vous écris au retour d'une trotte assez pénible pour nous, c'est pourquoi la main tremble. N'y faites pas attention… Le capitaine nous autorise à sortir tous les matins pour la messe et la communion : il suffit que nous soyons au rassemblement vers 6 heures. Quelle consolation au milieu de tant de misères ! Filiale salutation au Révérend Frère, et plus que jamais ; union de prières dans l'épreuve. F. G.

 

Grenoble, 28-11. — Votre pauvre Frère M.-L., maintenant soldat de 2nde classe, est ici dans un hôpital, parce que, trop lourdaud comme vous me connaissez, je n'ai pas su m'en tirer pour échapper aux balles.

Envoyé à Belley, j'ai suivi avec les camarades, tous pères de famille, les divers exercices auxquels on nous a soumis avant de nous envoyer au feu. Un mois de séjour et une dizaine d'exercices ont suffi pour faire de moi un soldat des plus experts. Aussi le 8 septembre — beau jour, n'est-ce pas ? — je suivais un détachement de 150 hommes allant à la frontière. Le front de bataille est bien grand, aussi avons-nous dû voyager sur un chemin de feu jusqu'au 11, pour rejoindre notre introuvable… Le régiment rejoint, après une marche des plus pénibles, dans des chemins défoncés, sous une pluie par moments torrentielle, nous sommes affectés chacun à une section et, pour ne pas nous laisser perdre l'habitude de la marche, on nous fait exécuter divers mouvements et camper dans six ou sept granges, jusqu’à dimanche 13, à 10 heures, où l'ordre nous est donné de nous porter vers St-D…

Donc 18 Km. dans les jambes, et le sac n'est pas des plus légers. A St D… à la tombée de la nuit, nous dormons comme nous pouvons sur des planches, et le lendemain, à 8 heures et demie, alerte et en avant ! Nous allions recevoir le baptême du feu. En tirailleur, et au pas gymnastique assez souvent, nous voila à la poursuite de l'ennemi. A 9 heures nous nous arrêtons la pluie tombe drue et les obus éclatent à 500 mètres. Pour nous habituer à leur belle chanson, on nous laisse sur place jusqu'à midi. A ce moment nous devons aller remplacer le 2…°, et les chasseurs fatigués par 6 jours de lutte. Sans beaucoup de précaution, et après une marche forcée, nous arrivons en 1ière ligne au col de R…. à 12 Km. de St D… L'ennemi occupe le village. Nos chasseurs luttent vaillamment sur la colline de gauche, et par sections nous nous étendons sur la droite, en terrain presque découvert.

Pas un coup de feu, point d'ennemi, notre marche est rapide, on oublie de se cacher. Mais bientôt un feu nourri de peloton et deux mitrailleuses font siffler à nos oreilles leur chanson de mort. On est plus prudent : on répond au feu et on avance toujours. Demi-heure environ après notre arrivée, me trouvant en plein découvert, je reçus le feu d'une mitrailleuse, placée dans le clocher A 200 mètres de moi. J'en ai été quitte pour l'avant-bras gauche cassé, une blessure en séton au bras droit et un petit échauffement à la poitrine. C'était le 14 septembre Le jour était bien choisi pour me charger d'une croix. Combien légère, cependant !…

Je me suis retire du champ des balles comme j'ai pu, non sans voir invoqué mon bon ange, j'ai été soigné tout de suite et après une bonne nuit passée à St-D…, on m'a évacué sur Grenoble où je me trouve encore. Je suis très bien soigné ; aussi nies plaies sont-elles presque guéries. Il ne me reste plus qu'à prendre patience, et mon radius gauche finira bien par se souder. Ne me comptez donc plus parmi ceux qui sont au danger. F. M.-A., que j'ai rencontré à la gare, doit lutter encore. Pas de nouvelles. Je vous demande de vouloir bien prier et faire prier pour celui qui aime toujours A se dire, dans le Sacré-Cœur, votre très humble et très reconnaissant serviteur.    Fr. M.-L.

 

Chambéry, 15-10. — Très grand merci pour votre bonne lettre. Nous l'avons lue et relue, je n'aurais jamais cru si vivace notre esprit de famille. Soit dit en passant, nous nous distinguons sur ce point parmi les autres religieux, qui l'ont bien aussi, et nous en sommes fiers, De même pour le soin de pas nous laisser "caserniser". Tous, vous pouvez l'assurer au R. F. Supérieur, restent bien Maristes. Même on peut dire que l'esprit de foi, la confiance en Dieu, la dévotion à notre Bonne Mère, et l'estime de notre belle et sainte vocation y ont gagné, Grâce à Dieu, tout le monde va bien. Fr. F.-E. .

 

Bourg, 31-10. — j'ai reçu votre bonne lettre et le Livre d'Office que je vous avais demandé, je vous en remercie. Je m'en suis déjà servi ce matin, et je nie propose bien d'en faire un bon emploi, si le bon Dieu veut bien me laisser ici… La Sainte Vierge vraiment me protège. Aidez-moi à l'en remercier.

Je lis avec le plus grand plaisir les Circulaires du C. F. Provincial1. Quoique je ne sois pas isolé, il y a des moments on le temps parait bien long, surtout parce qu'on ne sait jamais si l'on restera on l'on est. Ne pourrait-on pas faire circuler le Bulletin de l'institut parmi les Frères soldats ? Pour moi en particulier, c'est une grande privation de ne pas le lire. Je pense souvent au Révérend Frère Supérieur et à tous les soucis qui doivent l'accabler en ce moment. Je vois cependant avec plaisir — et j'en bénis Dieu — que la Congrégation marche toujours malgré la difficulté des temps. Mais combien il est à désirer qu'arrivent de meilleurs jours ?

 

Vosges, en toute première ligne des postes avancés, 5-1l. — Salut filial a tous les Supérieurs et amitiés A tontes les connaissances. Je viens — un peu tard, je l'avoue — vous dire que jusqu'à présent la guerre ne m'a pas été trop cruelle, puisque, malgré les nuits passées dehors à veiller, la douceur de la paille, la pluie, le soleil, les balles et les obus, je vais toujours bien. Vos prières sont si ferventes que le Bon Dieu et la Bonne Mère ne peuvent manquer de les exaucer. Merci à tous.

De mon côté, je prie beaucoup pour vous tous, pour tous ceux qui se battent, pour tous les autres. Quelles belles et bonnes méditations on fait dans les bois, face à l'ennemi, tandis que les balles claquent et que les obus éclatent ! Puis, que faire, la nuit, en sentinelle, à veiller si l'ennemi n'approche pas, à moins que d'égrener pieusement son chapelet. Cinq fois seulement, depuis que je suis en campagne, il m'a été donné d'assister à la sainte messe. Quelle émotion, surtout le jour des morts ! Nous avons un prêtre comme sous-lieutenant à la 8° compagnie. Aujourd'hui, quelle distribution d'obus on s'envoie ! Cela rappelle Tchataldja. C'est à cette musique que tranquillement je vous écris ces lignes. On devient vaillant, au feu ; et la chute assez près des obus n'intimide plus guère. Le Bulletin a dû paraitre et le Révérend Frère a envoyé une lettre. Auriez-vous la bonté de me faire parvenir un exemplaire de tous deux ? Ravitaillement parfait. Très bonne nourriture : Hier nous avons eu soupe au fromage, biftecks, etc. …, vin pur. Je vis dans les bois comme les anciens Gaulois et je deviens nègre. Que voulez-vous ? On ne se lave pas quand on veut. Union de prières. Fr. M.-A.

 

Marseille, 14-10. — j'ai bénéficié de la correspondance des confrères ; mais il est grand temps, je le sens, de montrer que moi aussi je suis toujours de la famille. Sachant que le C. F. Assistant est malade et ne voulant, pas ajouter au surmenage du Révérend Frère, je crois bien faire en m'adressant à vous, Jusqu'ici tout pour le mieux, Dieu merci, et je crois pouvoir dire — sans fausse modestie — que nous sommes tous exemplaires. Malheureusement nous n'avons pas, au point de vue religieux, toutes les commodités désirables, Nous ne sortons que le dimanche ; c'est le seul jour où nous puissions faire nos dévotions à l'aise. Nos camarades, partis il y a quinze jours comptent déjà des blessés ; et, d'après ce qu'on dit, ils n'ont pas été menés doucement. Trente-six heures de chemin de fer, 40 Km. sac au dos, mi-jour de repos, et la nuit suivante, ils couchaient dans les tranchées des avant-postes.

Les amis de Ste-Victoire nous ont déjà rendu de précieux services. De tout ce qu'ils pouvaient faire pour nous, ils n'ont rien négligé. Pour le cas on nous ne nous reverrions plus sur cette terre ou si même nous n'avions plus le plaisir de correspondre, je vous fais mes adieux. Le calice est amer, mais tant pis : on tâchera bien de le boire tout de même. On se lancera dans la mêlée, et… gare à qui se trouve devant ! Fr. B.

 

Mende, 7-10. — J'ai reçu votre lettre et vos deux cartes. Nous les avons lues et relues, Ch… et moi. Par la grâce de Dieu, de la T. S. Vierge et du V. P. Champagnat, nous sommes infirmiers tous les deux. Bien mieux nous avons le bonheur de pouvoir assister à la sainte messe et de faire la sainte communion tous les matins. Mr. V…, Major en chef des hôpitaux de Mende, nous a obtenu cela. Nous l'irons presque, comme des Petits Frères de Marie. — Fr. O. ayant des parents ici, ces braves gens veulent bien nous donner une chambre pour coucher. Nous nous levons à. 5 heurs. Il nous faut 7 minutes pour aller à la cathédrale ; nous en profitons pour faire notre prière. Ensuite nous assistons à la sainte messe, on nous faisons la Sainte communion presque tous les matins, et, à 6 heures nous retournons à l'hôpital pour notre besogne de charité. Le soir, en communauté, nous assistons à la prière, au chapelet, au Salut du St Sacrement : et à 9 heures nous rentrons dans notre chambre. Vraiment, nous avons beaucoup d'actions de grâces à rendre à la Sainte Vierge et au V. P. Champagnat, car nous sommes merveilleusement bien. Ici A l'hôpital, l'esprit est délicieux parmi les malades. Nous avons avec nous des prêtres, des sœurs et quelques civils.

Nous saluons bien le Révérend Frère Supérieur et toutes les connaissances d'Italie. Vos quatre Turcs de Mende vous saluent et restent tout entiers Vos Petits Frères. Fr. Y. – L.

 

Bayonne, 25-10. — Vous ne sauriez croire combien je me trouve drôle avec mes pantalons rouges et plus encore quand je suis obligé de faire ces demi-tours à droite, à gauche, etc. … Enfin, j'y suis : je dois bien y rester, puisqu'il le faut. Le Bon Dieu, j'espère sera content de ce sacrifice, car c'en est un. Tous les jours, surtout après la communion, je lui fais de plus le sacrifice de ma vie pour sa gloire, et je me sens plus fort. Puis, à vous dire le vrai, le Bon Dieu est toujours bien bon, et il donne des grâces sans mesure quand on en a besoin. Comme exercices de piété, on ne peut pas faire grand-chose ; mais on y supplée au mieux par des oraisons jaculatoires, le rosaire ou tout au moins, le chapelet quand la fatigue est trop grande,…

M. le curé de Bayonne s'est montré très aimable à notre égard. Il est à notre disposition pour nous dominer la communion, et chaque jour où nous pouvons nous échapper un moment. il le fait dans une petite chapelle qui est tout prés de la caserne. Sur ses indications, nous avons pu louer, à 18 francs le mois, un petit appartement où nous sommes très bien, et où nous nous réunissons tous les sept, le soir et les dimanches, pour faire nos prières et causer un petit peu. C'est notre plus grand plaisir. Les nouvelles du Mexique ne sont pas bonnes. Je crains bien que nos œuvres ne puissent pas continuer. Quel dommage : il s'y faisait tant de bien ! Pauvre Frère Provincial, que de peines n'a-t-il pas eues, et que d'autres n'aura-t-il pas encore ! Nous prions tous les jours pour lui, afin que le bon Dieu le soutienne et le console. Nous serions très heureux d'avoir des nouvelles de l'institut ; aussi vous serions-nous très reconnaissants si vous pouviez nous envoyer le Bulletin ainsi que les Circulaires.

Merci d'avance et priez pour nous ; nous en avons bien besoin. Fr. R.

 

Des tranchées, 1 – 11. — Quelle journée splendide ! La sainte messe sur la ligne de feu, dans une allée de bois, dépendance d'un château, où je suis depuis 15 jours. J'ai pris part au Saint Sacrifice.

Ah ! quel bonheur pour moi de m'approcher de la Table Sainte ! Je n'avais pu le faire depuis Paray, le 18 octobre ! L'assistance se composait d'officiers disponibles, en grand nombre, et de beaucoup de soldats, Quel touchant spectacle ! Quelle belle allocution de l'aumônier militaire ! — Avant-hier, il était venu me confesser à 400 mètres de l'ennemi, dans les tranchées : donc confession, sainte messe, communion ! Quoi de plus, mon Dieu ! Merci !

Que de choses intéressantes j'aurais à vous raconter ! Je n'avais pas écrit l'entête de cette lettre que cinq ou six coups violents éclatent à proximité, — et à l'instant encore, Mais rien ne m'émeut. Dieu me voit, cela doit me suffire. Fiat voluntas tua ! Voilà 15 jours que les obus passent par centaines au-dessus de nos têtes la nuit et le jour. Je dois y être habitue. Souvent je fais à nouveau le sacrifice de ma vie, et je suis aussi tranquille que si j'étais à G. ou ailleurs, je pense souvent à mes Supérieurs, A G., aux enfants que j'ai laissés là-bas, à mon bon Frère Amphiloque, etc. …

J'ai de pieux entretiens avec mes chefs. Oui, oui, je me rappellerai longtemps ces braves officiers que je connais, qui aiment la communion, qui la font quand ils peuvent, et se recommandent avec foi aux prières des religieux Je dois beaucoup à Dieu ; aussi je lui donne tout. — Au fond de mon gourbi, face à l'entrée, sur une porte de commode comme bureau, je vous écris au crayon cette longue lettre. Faites en part à, mes Supérieurs majeurs, car il faut que je parte un bon moment dans la forêt ; puis le jour finit tût, et pendant la nuit longue, pas de lumière. — Longtemps ce 1ier novembre restera dans ma pensée. Vivent le S. Cœur de Jésus et N. D. des sept Douleurs !   Fr. S.

 

Paris, 5 – 11. Ai reçu votre bonne carte du 14 septembre. Merci. Ai fait de nombreuses étapes depuis mon départ : Clermont, Vichy, Paris, etc. …, etc. … ou irons-nous après ? Où Dieu voudra. Le C. F. Provincial m'a écrit, il y a quelques jours déjà ! Il est bien contristé, cela se conçoit, du grand nombre de Frères que lui a pris la guerre. Nos œuvres souffriront bien cette année. Ah! il me tarde que la guerre soit finie pour aller rejoindre mes chers confrères, si surmenés à cause de notre absence. — A Vichy, j'avais du travail par-dessus les bras. J'étais à la tête d'un hôpital de 200 malades, Le soir, on se réunissait chez M. F, avec F. J.C., et l'on était heureux Puis voila qu'on nous fait remplacer par des territoriaux pour nous envoyer a Paris. Flat ! — Nos officiers sont charmants. La plupart vont à la messe et facilitent à ceux qui le désirent l'accomplissement de tous leurs devoirs religieux. Nous avons parmi nous dix prêtres soldats, qui font beaucoup de bien aux camarades par leurs bons exemples, leurs bons conseils et leurs bons procédés.

C'est à l'Infirmerie que sont les bureaux de MM. les Officiers. C'est là aussi que j'ai ma chambre, avec un bureau pour les écritures. Je sials vraiment tranquille. Tous les matins à 5 h ½, je vais servir la messe à un des prêtres soldats et j'ai le bonheur de faire la Ste Communion, Puis action de grâces, une dizaine de chapelet, et je vais vite déjeuner pour vaquer ensuite à mes affaires. Le soir à 6 h ½, réunion au cercle militaire. Les soldats y viennent de plus en plus nombreux, au grand plaisir de M. le Cure, qui est tout cœur pour eux. Je me recommande bien à vos prières, à Celles du Régime et de toute la communauté de Grugliasco, et je demeure votre bien reconnaissant et respectueusement affectionné Fr. P.

 

Clermont-Ferrand, 6-11. — Nous nous voyons souvent, Fr- J. A. et moi. Dimanche dernier, fête de la Toussaint, j'ai été le prendre au lit, car, étant de garde toutes les nuits, il dort pendant le jour. Nous avons passé un bon moment ensemble et avons causé beaucoup. Devinez de quoi. Eh de quoi aurions-nous pu tant causer sinon de notre chère Congrégation, et particulièrement, de notre bien-aimée Syrie ? Le matin même j'avais reçu ma première lettre du cher Frère Provincial, et alors ensemble nous avons lu et relu cette lettre de celui qui est notre père. Vous connaissez le cœur de notre bon Frère Provincial, et vous comprenez combien il souffre de voir ses enfants ainsi répandus au loin, de voir cette belle province de Syrie ainsi désorganisée par la guerre. Mais, malgré ses peines, ses afflictions, ses amertumes, c'est toujours le Fiat, qui tombe de ses lèvres et qui vient au bout de sa plume. Que Dieu lui vienne en aide et le protège, lui et notre chère province ! C'est bien à présent plus que jamais qu'elle a besoin du secours de notre bonne Mère. Espérons que N.-D. du Liban voudra bien venir au secours de ses pauvres enfants. Pourrais-je vous demander de m'envoyer la Circulaire, le Bulletin et les autres publications de l'Institut, s'il y en a ? Vous ne voulez pas assurément que nous restions isolés de notre chère famille. Envoyez-nous donc, s'il vous plaît, quelque chose qui nous en parle et nous rappelle notre véritable état. J'ai obtenu du Major dont je dépends la permission de sortir de 5 à 7 heures. J'ai ainsi toutes les facultés pour remplir mes devoirs religieux. C'est mon pain quotidien  assuré pour jusqu'à nouvel ordre, et la plus grande faveur que l'on pût m'accorder. Comme j'en remercie Dieu ! Lorsque j'ai reçu Jésus le matin, je suis heureux toute la journée. Fr. J.-L.

 

Lyon, 9-11. — J'ai reçu votre si intéressante lettre du 31 octobre. Je l'ai retournée au Fr. J. – E. pour qu'il la fasse passer A Chambéry. Grand merci ! Combien c'est agréable d'avoir des nouvelles de la' famille ! Je pars tranquille et confiant. Dieu est partout. Il m'en coûte de m'éloigner de Lyon, où j'avais le bonheur de voir souvent mes deux sœurs, mais tant mieux ! J'ai la l'occasion d'offrir un plus grand sacrifice au bon Maitre. Demain j'irai communier, et je pars content.  Fr. F. – E.

 

Nous voilà déjà bien loin dans les citations et que d'autres il y en aurait à ajouter à celles que nous venons de faire ! Vraiment on a peine à s'arrêter, tant on est obligé d'en laisser de belles et délicieusement édifiantes. Il faut bien pourtant, une fin à tout, et nous nous bornerons là pour aujourd'hui, sauf à y revenir plus tard si le bon Dieu veut que l'occasion s'en présente.

En attendant, n'oublions pas d'avoir souvenir tout spécial, dans nos prières, pour ces frères aimés que le tourbillon de la guerre a arrachés à leurs communautés pour les disséminer dans toutes sortes de situations, toutes fort pénibles et quelques-unes pleines de dangers. Nous venons de voir quel pieux attachement ils conservent partout pour leur famille religieuse rendons-le leur, de notre côté, en pensant souvent à eux et en les recommandant au Seigneur et à la Bonne Mère du ciel. A la Maison Mère, dans toutes les maisons de formation du nord de l'Italie, et probablement dans beaucoup d'autres, il est fait d'eux une mention particulière dans les intentions de la prière du soir. Peut-être serait-il à propos que cette pratique se généralisât dans toutes nos communautés jusqu'à la fin de la guerre.

Quoi qu'il en soit, d'une manière ou de l'autre, donnons-leur, dans nos intentions, une place de faveur, en vue d'obtenir que Dieu les conserve, les protège, les préserve de tout péril, les guérisse de leurs blessures et les ramène au plus tôt au milieu de nous : Faisons aussi, dans notre memento des défunts, une mention particulière des bons Frères Dioscore, Jean-Marcel, Adelaïde, Joseph-Albert, Cassiodore, Pierre-Sénateur et Ange-Emile que la mort a déjà moissonnés. Les deux premiers, on l'a vu dans le dernier numéro, ont succombé à la fièvre et à la dysenterie et les cinq derniers sont tombés sous les balles.

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1 Il faut savoir que le C. F. Jean-Emile, Provincial de Constantinople, qui a dû s'enrôler avec une cinquantaine de ses Frères, s'est fait le centre des nouvelles qui peuvent les intéresser, et qu'il les transmet û chacun au moyen de petites circulaires autographiées, qui contribuent beaucoup à entretenir l'esprit de famille.

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