Pendant la guerre des Balkans
09/Sep/2010
En lisant dans les feuilles publiques le récit des graves événements qui se sont déroulés, au cours du mois de novembre, dans la Turquie d'Europe, beaucoup de nos Communautés se seront sans doute demandé quel sort il en était résulté- pour nos Frères de la province de Constantinople et pour leurs œuvres. Elles apprendront avec plaisir que, grâce à Dieu, tout s'est borné, pour les uns et pour les autres, à des dommages matériels, moindres encore qu'on n'aurait pu les redouter, bien que naturellement dans la plupart des maisons — on pourrait dire dans toutes — il ait fallu passer, à certains moments, par de bien pénibles angoisses.
Des neuf communautés que nous avons dans la région, Saint-Benoît, Sainte-Pulchérie, Saint-Georges et la Résidence de l'administration provinciale sont situées à Constantinople même, dans le quartier de Galata ; Scutari, Bébeck, Makrikeui et San Stefano sont en dehors, mais tout proches. Andrinople et Monastir, sont beaucoup plus loin, dans la direction du nord et du nord-ouest, et ce furent naturellement les deux qui furent les premières atteintes.
A Andrinople, nos Frères sont employés au collège bulgare des Pères Résurrectionnistes. Presque dès l'ouverture des hostilités, il fallut suspendre les cours, s'occuper de rendre les élèves à leurs familles, et pour cela se replier avec eux sur Constantinople. Après deux jours et trois nuits passés dans un wagon à chevaux où ils étaient entassés au nombre de 58, professeurs et enfants arrivèrent à la capitale turque. Les derniers, de là, parvinrent à regagner le domicile de leurs parents ; les Frères furent reçus dans nos maisons. Quelques jours plus tard, Monastir était investi par les Serbes et pendant un mois on ne put avoir aucune nouvelle de la communauté, mais le 24 novembre, après la capitulation de la place, on apprit avec joie que rien de fâcheux ne lui était arrivé et que même, seule entre toutes celles de la ville, l'école avait pu fonctionner tout le temps du siège.
On sait par quelle suite de foudroyants succès les alliés se trouvèrent bientôt aux portes de Constantinople. Submergée par un flot journalier de 15 à 20.000 hommes et un bagage correspondant, la seule voie ferrée qui unit la capitale aux villes de l'intérieur, se refusait à tout service public, nos Frères de San Stefano et de Makrikeui, quoique sur cette ligne, furent ainsi coupés de toute communication, et bientôt, le nombre des bouches augmentant, le pain commença à devenir rare. Ce fut heureusement l'affaire de quelques jours et l'ordre normal fut bientôt rétabli, mais il devint évident qu'on pouvait s'attendre à de fâcheuses éventualités. San Stefano ferma ses portes, Makrikeuï renvoya ses internes, et l'on songea à se mettre, en cas de besoin, en état de défense.
A Scutari et dans les postes de la capitale, on agit de même, et l'on s'occupa de faire des provisions de bouche, car, indépendamment de ses besoins personnels, il fallait prévoir qu'en cas d'alerte, une partie de la population du quartier viendrait chercher un refuge dans la maison. Mais, les ambassades ayant obtenu de leurs gouvernements l'envoi de cuirassés pour la protection éventuelle de leurs nationaux, la situation ne tarda pas à prendre une tournure plus rassurante. Toute crainte néanmoins est loin d'avoir disparu. Les nouvelles les plus contradictoires se font jour à travers la population ; on passe en un jour de la plus grande angoisse à une assurance qui s'écroule le lendemain ; on ferme les classes, on les rouvre, on fait et défait ses paquets ; en un mot, une incertitude fatigante plane sur tous les instants, et les moindres bruits sont interprétés dans les sens les plus divers.
Sur un avis de l'ambassade française, le Frère Provincial avait donné l'ordre aux communautés situées en dehors de la zone de Pera-Galata-Bébeck de se replier, en cas de danger, dans celles qui s'y trouvaient comprises, et l'on avait pris toutes ses dispositions pour s'y conformer, le cas échéant, lorsqu'on apprend que des pourparlers sont intervenus entre les belligérants et qu'un armistice va être probablement conclu. On se rassure et on s'apprête à rouvrir les classes interrompues ; mais voici qu'un nouvel ennemi entre en ligne : c'est le choléra, qui prend des proportions inquiétantes, on parle de 500 décès par jour dans l'armée, et il y a des cas en ville…
Bientôt néanmoins, tout danger imminent, choléra y compris, paraissant définitivement écarté, les classes fermées depuis 15 jours ont pu être rouvertes et fonctionnent régulièrement depuis. En ce moment les plénipotentiaires, réunis à Londres, tachent de se mettre d'accord sur les conditions de la paix. Puissent-ils arriver à une solution heureuse, et le Seigneur tirer sa gloire des événements survenus, comme de tous ceux que permet sa providence ici-bas !
(La plupart de ces détails sont tirés d'un long et intéressant rapport que nous avons reçu des Frères de Scutari, et dont nous n'avons pu reproduire ici que la substance).