Petite histoire de lInstitut

15/Oct/2010

DEUXIÈME PARTIE

L'INSTITUT SE DÉVELOPPE CONSIDÉRABLEMENT

DANS TOUTE LA FRANCE (1840-1883).

 

CHAPITRE VIII
LA MAISON-MERE A SAINT-GENIS-LAVAL

 

L'achat de Saint-Genis-Laval. — La maison de Notre-Dame de l'Hermitage, centre de l'Institut, depuis 1825, commence, aux environs de 1850, à ne plus suffire aux besoins des divers services qu'elle contient. D'autre part, son éloignement de toute ville importante et son complet isolement, précieux dans les débuts, sont devenus une gêne sérieuse pour les communications, maintenant que l'Institut s'étend au loin.

Les Supérieurs se demandent comment y remédier, quand une occasion favorable se présente. L'abbé Magat, curé de Saint-Genis-Laval, délégué par le maire de la localité, pour négocier la fondation d'une école à nous confier, vient à l'Hermitage. Au cours des négociations, il indique qu'une belle propriété bien située est en vente sur sa paroisse et il assure qu'elle nous conviendra parfaitement.

Effectivement, le Rév. Frère Louis-Marie se rend compte sur place des avantages de l'acquisition ; celle-ci est résolue et elle a lieu le 1ier juillet 1853. On paie 230.000 francs la maison qui est le « château » actuel, les dépendances, les 11 hectares de la propriété, plus une terre de 2 hectares non loin de là, à Montcorin.

La position sur les flancs d'un coteau paraît enchanteresse à ceux qui ont séjourné dans le vallon étroit et encaissé où se cache l'Hermitage. La grande ville de Lyon toute proche donne toutes facilités pour les relations avec les autorités religieuses et civiles, ainsi que pour les voyages. C'est l'idéal.

 

Construction. — Il faut, il est vrai, prévoir une forte dépense pour construire tous les bâtiments nécessaires à une nombreuse communauté. On l'estime à 400.000 francs. L'Institut n'a pas cette somme disponible. Pourtant, en vendant l'immeuble de la Grange-Payre, en recommandant la plus stricte économie à tous les établissements, en renvoyant à plus tard toutes les dépenses non urgentes et en contractant des emprunts, grâce aussi au dévouement de tous les Frères à l'œuvre commune, l'Institut peut entrer dans la voie des constructions.

On étudie longuement un plan, où l'architecte, M. Besson et le Rév. Frère Louis-Marie mettent tous leurs soins. C'est, avec le « château » comme base, un vaste quadrilatère, entourant une belle cour intérieure et une chapelle perpendiculaire à l'une des faces. Deux corps de bâtiment sont entrepris d'abord : le côté est et le côté nord. En trois ans, on achève cette partie. En 1858, on y organise deux retraites ; et, le 8 septembre, la bénédiction du nouveau bâtiment est joyeusement fêtée par tous les Frères. Déjà, pendant les vacances, l'administration de l'Institut a pu s'installer à l'aise et, quelques jours plus tard, le noviciat y trouve place à son tour. La maison de l'Hermitage devient, par suite, presque entièrement vide, car les deux provinces actuelles de Saint-Genis et de l'Hermitage, alors, ne sont pas encore distinctes. On parle même de vendre la maison délaissée- Heureusement que, par esprit filial envers la mémoire du Père Champagnat, on n'en fait rien.

 

La Chapelle. — Dès la fin de 1859, le Rév. Frère Louis-Marie, qui est l'âme de la nouvelle organisation, adresse à toute la Congrégation, au nom du Rév. Frère François, un pressant appel au dévouement de tous, pour qu'on achève, par une chapelle convenable, le Noviciat de Notre-Dame. C'est le nom qu'on donne à la maison, mais qu'on laisse tomber par suite des réclamations de l'administration, refusant la franchise postale à un vocable inconnu dans ses registres. Tous les Frères, dans un bel élan d'esprit de famille, font les phis grands efforts pour apporter, par leurs économies ou des quêtes, les ressources nécessaires.

On attendra quatre ans, pour qu'un amortissement suffisant des dettes précédentes permette d'achever les constructions.

La chapelle, œuvre de l'architecte Besson, conseillé par le Rév. Frère Louis-Marie, est de style gothique et de vastes proportions. Elle produit une impression grandiose et témoigne du goût artistique et des vues larges de ceux qui conduisent l'Institut en ce temps-là.

 

Dans la suite. — La maison de Saint-Genis, spacieuse, admirablement organisée, avec tous ses services et son infirmerie si commode, est pendant un demi-siècle une ruche pleine et active. Elle contient en moyenne, avant 1903, outre les Supérieurs, environ 400 personnes, dont 180 juvénistes, 100 postulants et novices, 40 scolastiques et de nombreux Frères assurant le vestiaire, les fournitures classiques, la mise en culture du vaste clos, etc. …

Elle reste pourtant inachevée, le château n'étant pas remplacé par les appartements projetés. La chapelle ne trouvera qu'en 1938 un maître-autel artistique et définitif et la table de communion. Verra-t-elle jamais terminer le mystique poème de ses vitraux ?

Ajoutons, pour n'avoir pas à y revenir, qu'en 1870, la maison est occupée par des troupes qui y commettent des déprédations. Le gouvernement paie 34.000 francs d'indemnité. En 1903, la maison est presque vide, après sa prise de possession par le fisc. En 1914, elle se transforme en hôpital militaire, pendant quatre ans et cela menace même de durer toujours. Enfin, en 1923, mise en vente par le gouvernement, elle est rachetée par une Société formée de nos amis. Depuis, elle a repris vie, servant de maison provinciale et de pied à terre aux nombreux Frères qui ont à passer en France.

 

CHAPITRE IX
GÉNÉRALAT DU RÉV. FRÈRE LOUIS-MARIE (1860-1880).

 

 

Maladie du Rév. Frère François. — Réuni en 1860, le Chapitre Général doit examiner une situation fâcheuse qui ne peut se prolonger. Le Révérend Frère François est affligé, depuis assez longtemps, de maux de tête qui lui rendent difficile et même actuellement impossible le gouvernement de l'Institut. Celui-ci, par ses accroissements continus, ne fait qu'augmenter la charge qui pèse sur les épaules de son Supérieur. Le Frère François prend donc là résolution de donner sa démission. Mais son entourage, mis au courant de ses projets, s'y oppose catégoriquement. A la fin, Rome, consultée par l'intermédiaire du Rév. Père Favre, Supérieur Général des Pères Maristes, propose une solution intermédiaire. On se bornera à donner un aide au Supérieur fatigué et il sera le vicaire du Révérend Frère.

Le Frère Louis-Marie, premier Assistant, est d'abord élu par acclamation. Mais, effrayé de ses responsabilités, il exige un vote secret qui aboutit au même résultat. Il recueille, en effet, presque l'unanimité des voix.

 

Le Rév. Frère François se retire. — De suite, l'humble Frère François se retire à l'Hermitage et laisse toute autorité à son vicaire, de sorte que celui-ci est en réalité le Supérieur effectif, immédiatement reconnu par tous. Il a, du reste, depuis du temps, déjà agi par lui-même sous le nom et l'autorité du Frère François. Plusieurs circulaires, signées de ce dernier, révèlent manifestement le style du Frère Louis-Marie, et la construction de Saint-Genis est à peu près entièrement son œuvre. On le sait d'ailleurs, avec le Cher Frère Jean-Baptiste, ils sont, comme on dit, trois têtes dans le même bonnet, ou en d'autres termes, ils réalisent, depuis la mort du Ven. Père Champagnat, l'union la plus parfaite des volontés et des cœurs.

 

Le Rév. Frère Louis-Marie. — Le Rév. Frère Louis-Marie naît en 1810, Ranchal (Rhône). Il se destine d'abord à l'état ecclésiastique. Mais A 21 ans, effrayé des responsabilités de la prêtrise, qui approche, il se résout, sur les conseils de M. Gardette, supérieur du grand séminaire, à se réfugier à l'Hermitage, dans notre humble congrégation, alors peu connue, où il n'aura qu'à songer au salut de son âme, en faisant la classe aux petits enfants. Reçu par le Père Champagnat, en 1831, il est placé, peu après, à La Côte-Saint-André, pensionnat qu'il dirige ensuite de main de maître. Le chapitre de 1839 distingue son mérite éminent et le place, comme Assistant, auprès du Rév. Frère François.

Ses brillantes études, son incomparable don de la parole qui en feraient un des premiers prédicateurs de son temps s'il abordait la chaire, ses précoces cheveux blancs, sa physionomie aux regards pénétrants compensent largement sa petite taille. Rarement un supérieur possède un tel ascendant et un tel prestige. Ses circulaires restent pour nous une source d'abondante doctrine spirituelle adaptée à nos fonctions et à nos besoins. Citons celles sur l'esprit de foi, sur la régularité, la prière, la Sainte Vierge, le Sacré-Cœur, la formation des Frères, l'apparition de Pontmain, les réflexions sur l'éternité, l'appel à la sainteté… Ses conférences aux retraites laissent à tous ceux qui ont le bonheur de les entendre d'impérissables souvenirs.

 

Prospérité de l'Institut. — On peut affirmer que, dans son ensemble, le généralat. du Rév. Frère Louis-Marie est pour l'Institut une période de prospérité dans sa vie intérieure comme dans ses développements extérieurs. En effet, il est encore concentré, sinon dans la région de l'Hermitage, du moins en France et principalement dans le sud-est. Il y a peu d'établissements lointains ; par suite, le Supérieur Général peut connaître personnellement tous les Frères et agir directement sur chacun d'eux. Il assiste aux retraites, voit les Frères en direction et, avec l'ardeur et l'éloquence merveilleuse dont il a le secret, il les stimule et les entraîne d'une façon conquérante.

On peut en dire autant, dans un autre genre, de son aide le Cher Frère Jean-Baptiste.

 

Le Cher Frère Jean-Baptiste. — Né en 1807, le Cher Frère Jean-Baptiste vient tout jeune à La Valla et reçoit avec amour et docilité la formation virile et sage du Père Champagnat. Ses éminentes qualités le désignent au choix des Frères, dès 1839, pour être l'un des deux Assistants du Supérieur Général. Il n'a que 32 ans. Travailleur acharné, il est, pourtant, de santé débile et il passe une partie notable de sa vie à son bureau. L'Institut n'oubliera jamais qu'il lui doit la série d'ouvrages importants qui prolongent l'action organisatrice et formatrice du Vénérable Fondateur, mort prématurément. Aussi, quand le Cher Frère Jean-Baptiste mourra en 1872, le Rév. Frère Louis-Marie pourra émettre ce jugement remarquable qui résume son action : « C'est par le Frère Jean-Baptiste que le Père Champagnat s'est survécu trente-deux ans, continuant et perfectionnant son œuvre. »

 

Développements extérieurs. L'approbation légale de 1851 est pour l'Institut une recommandation auprès des autorités et une réclame auprès des familles à cause des précieux avantages qu'elle apporte avec elle, notamment l'exemption du service militaire. Aussi, cette période, d'ailleurs tranquille, sauf à la chute de l'empire, voit une affluence croissante dans les noviciats et d'innombrables demandes de fondations d'écoles. Les pouvoirs publics se montrent bienveillants et les autorités ecclésiastiques nous sont dévouées. Les catholiques en faisant voter la loi Falloux obtiennent une liberté dont nous profitons. Un revirement ne se produit que vers 1880, avec l'arrivée au pouvoir de la franc-maçonnerie.

Le généralat du Rév. Frère Louis-Marie se traduit, si l'on s'en tient aux statistiques, par une augmentation de 1.300 sujets. Comme on en compte environ 2.400 au début, on constate un accroissement de plus de 50 %. Il en est de même pour les ouvertures d'écoles ; leur nombre s'élève de 360 à 565. Le chiffre des élèves passe de 56.000 à 83.000 dans le même temps.

 

Missions. — Toutes ces augmentations de personnel et d'écoles se produisent principalement en France. Il faut toutefois signaler, dès 1867, la prise à notre compte de plusieurs écoles de missions : Le Cap, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, ainsi que la fondation d'une douzaine d'établissements en Angleterre. Au total, cela fait environ 25 fondations hors de France, soit à peu prés une par an. L'heure de notre développement mondial viendra un peu plus tard. Il faut songer aux difficultés d'un voyage au sud de l'Afrique ou en Nouvelle-Zélande en ce temps-là ; nous n'en avons plus guère l'idée aujourd'hui. Nous pouvons constater, dans la collection des circulaires, l'importance prise par ces fondations lointaines aux yeux de tout l'Institut, rien qu'au nombre de pages qu'elles occupent.

 

Difficultés financières. — Les plus fortes difficultés du généralat du Rév. Frère Louis-Marie viennent du côté financier. En effet, la construction de Saint-Genis demande un vigoureux effort à tout l'Institut et obère les finances ; et pourtant un effort semblable doit continuer dans nombre de maisons importantes… L'Institut se développe, les élèves affluent, la tranquillité dont on jouit parait devoir être longue ; il faut profiter du bon vent.

Le Rév. Frère Louis-Marie explique lui-même, dans une circulaire, pour y intéresser tout l'Institut, comment il faut absolument agrandir nos pensionnats et nos maisons provinciales. Ce sont principalement : Aubenas, Dumfries, Breteuil, Pont-Sainte-Maxence, La Côte-Saint-André, Neuville, Haubourdin, Paris, Saint Paul-trois-Châteaux. Ici, on ajoute une aile ; là, on entreprend une chapelle ; ailleurs, on élève un étage ; partout, ce sont de fortes dépenses. Sans doute, elles seront productives, comme on l'espère bien; mais en se présentant avec trop d'ensemble, elles créent une situation difficile.

L'Institut doit recourir à des emprunts. Il y en a un, notamment, de cinq cent mille francs, somme énorme pour ce temps-là, consenti par le Crédit Foncier. Il permet de couvrir bien des dépenses, mais alourdit le service des intérêts annuels à assurer. Il faut rendre témoignage au bon esprit de nos aînés. Les demandes d'économies, adressées aux établissements et à tous les Frères, sont toujours docilement écoutées, bien qu'elles se réitèrent. Aussi la situation s'équilibre en quelques années, par le commun accord entre la bonne volonté des Frères et la sage administration des Supérieurs.

 

CHAPITRE X
APPROBATION DE L'INSTITUT A ROME

 

Voyage du Rév. Frère François à Rome. — Reprenons de quelques années la suite des faits… Nous sommes en 1858… Depuis longtemps, l'Institut souhaite son approbation par le Saint-Siège. Le Rév. Frère François se persuade que la voie la plus directe pour conduire cette affaire à bon terme est de la traiter sur place ; il part pour Rome accompagné du Frère Louis-Marie. Cependant, s'il compte en finir rapidement, comme il semble, c'est qu'il n'a pas une idée bien exacte de la sage lenteur romaine dans la solution de ces questions.

Les deux voyageurs goûtent, à leur arrivée dans la Ville éternelle, les religieuses émotions toujours éprouvées par les cœurs pieux, en pareille occurrence ; et ils en font profiter ensuite toute la Congrégation. Accueillis paternellement par le Souverain Pontife Pie IX, c'est le cœur bien ému qu'ils se prosternent à ses pieds, le premier mars, dans l'audience qu'il leur accorde, la première dont jouissent les Petits Frères de Marie.

Ensuite les démarches précises commencent. Le Rév. Frère François est muni d'une lettre d'introduction de l'ambassadeur de France ; il possède des lettres de recommandation de trente-deux évêques ; il apporte le volume des Règles et divers autres documents. Mais tout cela ne suffit pas. Chaque semaine marque une nouvelle déception ou du moins un nouveau retard. Aujourd'hui, on demande l'avis du nonce de Paris ; demain, il faut un examen prolongé de consulteurs ; puis viennent les renvois aux commissions ou les rapports à rédiger. Il faut surtout songer à certaines modifications des textes proposés.

Bref, le Frère Louis-Marie reprend le chemin du retour, dès la fin d'avril ; le Rév. Frère François, qui a encore quelque espoir, attend jusqu'au mois d'août. Il doit, lui aussi, rejoindre Saint-Genis, par la voie ordinaire d'alors : Civitavecchia et Marseille, sans avoir obtenu le résultat espéré.

Les négociations se prolongent… Elles dureront jusqu'en 1903 ; car le Saint-Siège, avec condescendance, approuve les Constitutions à titre d'essai en 1863 et laisse le temps faire son œuvre.

 

Résultat de l'approbation du Saint-Siège. — Les démarches qui aboutissent à l'approbation des Constitutions de 1903 produisent une sensible transformation dans notre administration, dans le sens de la décentralisation. Au début, lorsque les Frères peu nombreux sont groupés autour du mont Pilat, un supérieur unique suffit à tout… Un siècle plus tard, il faut que ce supérieur, placé très loin de la plupart d'entre eux, s'entoure d'un état-major d'officiers spécialisés chacun dans un secteur de la vaste armée. C'est le rôle actuel du Supérieur Général, de ses Assistants et des Frères Provinciaux. Nul, dans les débuts ne songe à tout cela.

 

Autres reconnaissances. — La reconnaissance, c'est-à-dire l'approbation par Rome de notre Institut, de son œuvre et de ses Constitutions s'étendant à toute l'Église est définitive et universelle. Parmi les autres reconnaissances légales accordées à notre Congrégation par différents États, celle de 1851 pour la France dure jusqu'en 1903. En Espagne, l'Institut est reconnu par le gouvernement royal en 1888, et l'orage déchaîné par la révolution marxiste a ouvert une parenthèse qui est heureusement fermée. Au Canada, approbation obtenue en 1887 dure encore. En Italie, la reconnaissance découlant du traité de Latran est octroyée en 1931. Ces diverses reconnaissances, malgré leurs grands avantages, n'ont plus la portée si étendue de celle de 1851 en France. Elles se réduisent à accepter la personnalité civile. C'est pourquoi dans beaucoup de pays, on arrive à s'en passer, créant, suivant les besoins, des sociétés civiles admises par les lois et marchant, pour le reste, suivant le droit commun.

(A suivre.)

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