Session Grégorienne de Saint-Genis-Laval

F. Robert-Marie

23/Oct/2010

Nous sommes à une époque où, quoi qu'on en dise, de nombreuses âmes s'efforcent de retourner à la Source d'Eau vive.

Quel siècle a jamais connu le renouveau chrétien que nous vivons actuellement ! De nombreuses expériences sont tentées de tous les côtés, mais il en est une très importante qui a pour origine saint Pie X. Par son Motu Proprio, le Saint-Père voulait, dès 1905, lancer le grand mouvement liturgique qui devait entraîner après lui un renouveau grégorien, un « ressourcement » biblique et même un renouveau du cantique.

Rome rencontra bien des réticences, mais la France fut la première à suivre les directives de saint Pie X. C'est ainsi que s'est fondé à Paris, sous la direction de M. Le Guennant, l'Institut Grégorien auquel est affiliée l'École Grégorienne des Frères Enseignants (E. G. F. E.), dirigée par les Frères des Écoles Chrétiennes.

Depuis 19%, de nombreuses sessions ont tenu leurs assises dans toutes les régions de France.

Les Petits Frères de Marie n'avaient pas le droit d'ignorer les consignes du Saint-Père et ils ne l'ont pas fait.

Ainsi, grâce aux relations du C. F. Eugène de Jésus, directeur de l'E. G. F. E. et du F. Louis-Régis, maître de Chapelle de la Maison-Mère, il fut possible de prévoir une session de chant sacré du 30 août au 5 septembre 1954, pour les scolastiques et les novices de Saint-Genis-Laval.

Rien que les sessions soient à l'ordre du jour, une singulière appréhension régnait au scolasticat à l'approche du 30 août. Certains, ayant peu d'affinité pour la musique, craignaient de passer une semaine entière à faire vibrer les cordes de leur lyre. D'autres se voyaient arrêtés par une pensée plus pratique et plus profonde : quel est le but et quel sera le profit de ces jours entièrement consacrés au chant liturgique ?

Le premier contact avec le F. Eugène de Jésus devait briser bien des écueils et conquérir tous les cœurs. La première et unique parole, au soir de son arrivée, fut celle-ci : « Nous allons prier ensemble le Bon Dieu. »

Le lendemain matin est d'abord assez anxieux. Nous nous demandons si cette première journée sera intéressante ou non.

Dans sa première conférence, le F. Eugène de Jésus précise le sens de notre session. Celle-ci nous situe dans le grand mouvement de louange universelle qui monte vers Dieu depuis les premiers temps du Peuple Saint jusque dans l'éternité en passant par Jésus et Marie. C'est définir ainsi toute notre session. Elle nous propose pour but secondaire : se préparer à faire entrer les enfants dans cette grande adoration du Bon Dieu : « Revenir à la nef remplie par la nef chantante. »

Le conférencier rappelle que tout est créé pour publier la gloire de Dieu. La nature le fait merveilleusement, mais il faut donner une âme à la prière de toutes les choses. C'est le sens des cathédrales, des chapelles, des ornements liturgiques, des vases sacrés, des orgues… ; les hommes rendent au Créateur le plus beau de sa Création ; comment pourraient-ils ne pas s'offrir eux-mêmes à Dieu en hommage permanent d'adoration ?

Heureuse notre session qui va essayer de nous plonger, corps et âme, dans la première et la plus noble des fonctions, dans ce qui sera notre profession de l'éternité.

Le grand guide de la session, c'est Dieu. Tout le travail que nous faisons cette semaine est l'œuvre du Saint-Esprit. Il nous enseigne d'abord par la voix de saint Pie X, dont nous étudions le Motu Proprio. Nous y voyons recommandé le chant grégorien comme étant « le modèle suprême de la musique sacrée ». C'est le chant traditionnel de l'Église. Les premiers chrétiens chantaient comme les Juifs, témoin la mélodie du Hase Dies empruntée au Peuple de Dieu. Saint Grégoire et saint Pie X l'ont bien compris qui ont travaillé à ressusciter cette forme de prière publique. Lisons le Motu Proprio, il est plein d'enseignements et de conseils judicieux.

La session est pour nous le temps où jamais de prendre un contact plus intime avec le chant sacré.

Nous commençons à chanter dès le premier jour et nous prenons notre première leçon avec le Frère tandis que M. l'abbé Godard, aumônier et maître de Chœur emprunte le cloître qui conduit à notre salle de réunion. Il est immédiatement bien impressionné et il peut vite se rendre compte que l'on fera quelque chose de beau en ces quelques jours.

Nous sommes nous-mêmes pleins d'enthousiasme et débordants de joie ; à la première récréation, les confrères qui ne participent pas à la session nous trouvent radieux et ils s'en étonnent. C'est que M. l'Abbé et le F. Eugène de Jésus exercent sur nous un charme particulier et nous sommes persuadés que ce climat spirituel dans lequel ils nous plongent trouve sa source dans le merveilleux chant liturgique.

Chaque soir, nous nous réunissons autour de M. l'Abbé qui explique et commente les psaumes, la prière essentielle de l'Église. Nous abordons ces textes d'une façon assez originale : Psaumes et Poésie ; Psaumes et Chant ; Psaumes et Prière. Le commentateur aime à redire combien les psaumes sont, pour un grand nombre, la prière des pauvres : les « anahauims ». Ils sont donc bien notre prière et ils doivent être celle de tous les fidèles. Peut-on laisser les âmes souffrir de la soif auprès de cette source si abondante ?

Il en est du poème, écrit Gœthe, comme du vitrail :

Pour qui veut le voir du dehors

Tout n'est qu'ombre et obscurité.

Mais qu'on entre!

Alors, d'un seul coup, tout flamboie,

Le moindre trait jaillit en lumière,

L'œil jouit et l'âme s'élève.

Cela vaut pour le psaume, pense Mgr Garrone.

Notre-Seigneur lui-même a récité des psaumes aux moments les plus palpitants de son existence. M. Olier nous propose, avant d'utiliser cette prière, de prier ainsi notre Père des Cieux : « O mon Dieu, que toutes ces louanges et tous ces cantiques, ces psaumes et ces hymnes ne soient que l'expression de l'intérieur de Jésus-Christ. » Suivons l'Église. Elle est l'Épouse du Christ et elle sait bien l'épithalame qui réjouit le cœur de son Divin Époux.

Il nous faut maintenant parvenir à une exécution plus parfaite de ces louanges qui montent vers Dieu au moyen de la merveilleuse musique grégorienne. Chaque jour, deux classes de chant d'une heure chacune sont l'occasion d'apprendre les moyens qui affineront notre chant et le rendront plus beau. Il s'agit de faire passer toute notre âme, toute notre prière dans la mélodie qui court sur nos lèvres. Les remarques, les reprises, les moyens pratiques n'ont d'autre but que cela et nous essayons déjà de dépasser la technique pour faire revivre la pensée et les sentiments profonds des pièces que nous exécutons. Ce n'est pas une petite affaire que d'alléger notre chant, d'adoucir les finales et de maintenir la justesse. M. l'Abbé est très exigeant sur ce dernier point ; en effet, si le chant est faux, le contenu profond des pièces ne passe pas entièrement dans notre âme.

Qui n'admirerait les mélodies splendides et riches de symbolisme mystique ? Qu'on prenne l'Ave Maris Stella! C'est un beau chant à notre Mère du Ciel et dont les finales sont comme les vagues de la mer. Vagues qui s'épanouissent comme des fleurs : éclatante sur Stella (Étoile), humble sur Virgo (Petite Vierge Marie). Regardons encore et écoutons l’in manus tuas, Domine des Complies : dans le repos du soir, nous nous endormons dans les bras du Père après avoir imploré pour nous et nos frères le secours divin qui nous préservera des fantômes de la nuit. « Où les mots ne peuvent plus rien, lisons-nous dans saint Augustin, la mélodie seule parle. »

La Messe chantée de chaque matin, les Vêpres et les Complies du soir ont émerveillé tous les assistants, notamment notre Révérend Frère Supérieur Général qui s'est montré très enthousiaste pour notre session et les Frères Assistants Généraux. Plusieurs Frères disaient : « On se croirait déjà au Ciel. » Et c'est bien vrai ; la louange qui monte vers l'autel exécutée avec le plus de perfection possible, c'est un coin de ciel dans notre âme. Elle nous apporte quelque chose de Dieu.

A côté du chant grégorien, nous consacrons une heure chaque après-midi à l'audition de quelques disques de Solesmes ; ensuite, vient le tour des grands maîtres : J.-S. Bach (Fugue en ré mineur), Schubert (Symphonie inachevée),Mozart (Concerto), Beethoven et Michel Richard De Lalande, maître de Chapelle de Louis XIV (De Profanais).

Vers le milieu de la session, M. l'abbé Bouillet, directeur de l'Institut Saint-Grégoire de Lyon, nous a réservé une bonne surprisse. Il a daigné venir nous saluer et apporter son magnétophone. Nous avons goûté le charme et la justesse des voix d'enfants en écoutant les Complies chantées par des petits en montagne, la messe qui réunissait à Fourvière 1.300 enfants formés par la méthode Ward ainsi que plusieurs chants polyphoniques de l'abbé Joubert et de Carlo Boller. M. l'Abbé emporte de nous et, dans sa « boîte », le Kyrie V et le Gloria XII.

Chaque jour nous voit entrer de plus en plus dans l'esprit liturgique et dans le mouvement de louange qui monte sans cesse de la terre vers le ciel. Les quelques jours de la session s'écoulent trop rapides. Il sera vite arrivé le moment où nous regretterons ces belles heures toutes données à Dieu et à la gloire de son Nom.

Auparavant, cependant, il nous faut affronter les épreuves qui consacreront, matériellement du moins, les résultats de nos efforts. II s'agit d'étudier une pièce, d'en faire le comptage, d'y découvrir les pressus, les répercussions ; il faut aussi connaître les éléments théoriques de base : les signes musicaux, le temps, le rythme, l'accentuation du latin, les premières notions de psalmodie.

Après les épreuves écrites du samedi matin, 4 septembre, chaque candidat affronte le jury qui préside aux épreuves orales. Ce qui rebute le plus grand nombre, c'est de solfier et de battre l'ictus simultanément. Ce n'est assurément pas là chose aisée ; nous nous proposons d'ailleurs d'y travailler sérieusement pour l'année prochaine.

Cinquante-deux candidats étaient inscrits pour cet examen dit du premier degré. Vingt-six eurent le bonheur de terminer avec succès. Pour un premier contact avec les sessions grégoriennes de l'E. G. F. E., c'est un excellent résultat qui nous incite à continuer nos efforts. (Le diplôme comporte quatre degrés.)

Nous avons dit plus haut combien le Révérend Frère avait été favorable au déroulement de la session. Il tint tout particulièrement à montrer sa sympathie pour l'œuvre et ses deux directeurs en prenant place sur la photo-souvenir et en présidant la nomination officielle des résultats de l'examen et la petite réunion qui devait clôturer la session. Le C. F. Eugène de Jésus tint à noter que c'était la première fois qu'un tel honneur était rendu à l'E. G. F. E. ; il remercia très chaleureusement le Révérend Frère et il ne cacha pas son émotion de se voir ainsi l'objet de telles attentions. A son tour, notre Vénéré Supérieur remercia le C. F. Eugène de Jésus pour « son dévouement très cordial et très fraternel ». Il rappela ensuite les lettres par lesquelles les R. F. Louis-Marie et Théophane demandaient, voici presque un siècle, à tous leurs frères, de s'occuper de chant grégorien en faisant participer les enfants à la prière de l'Église, les attachant ainsi à la paroisse. Le Révérend Frère se réjouit enfin de l'union très grande qui a toujours existé entre les Frères des Écoles Chrétiennes et les Frères Maristes. Nous devons rendre hommage aux disciples de saint Jean-Baptiste de la Salle qui sont nos aînés et qui toujours surent être nos modèles.

Ainsi se termina la session grégorienne de Saint-Genis-Laval. Désormais, nous continuerons nos efforts en vue d'atteindre la plus grande perfection possible dans notre chant grégorien.

Nous nous retrouverons avec tous les membres de l'E. G. F. E., unis dans la prière et le beau chant spécialement le 2 et le 16 de chaque mois où une messe est célébrée pour toute l'Association.

     F. Robert-Marie, scolastique.

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