Un grand mĂ©connu… Saint Joseph dans ses rapports avec nous

18/Mar/2010

L'étude des mystères de la sainte enfance et de la vie cachée de Notre-Seigneur Jésus-Christ à Nazareth, permet aux théologiens dévots de saint Joseph d'examiner les relations du grand saint avec l'adorable Trinité et la Bienheureuse Vierge Marie et de pénétrer dans le sanctuaire silencieux de son âme pour essayer d'en supputer les étonnantes richesses surnaturelles. Mais tes Pères et les docteurs de l'Église, les auteurs spirituels et les mystiques voient dans la Sainte Famille une vivante image de l'Église et le prototype des rapports qui doivent exister, d'une part, entre les membres du corps mystique du Christ et saint Joseph et, de l'autre, entre ce glorieux Patron et ceux dont il a la garde.

Le culte ou la dévotion du saint Patriarche s'inaugure, en même temps que son auguste patronage, à Nazareth même. Si l'on essaie d'analyser les sentiments essentiels qui composent la dévotion, on parlera de vénération, de confiance, de gratitude et d'amour… (Cf. Annales de Saint-Joseph, mars-avril 1933, p. 86.) Puis, si avec une indicible émotion, on s'efforce de contempler les sentiments et les attitudes de Notre-Dame traitant avec son virginal et saint époux, comment en décrire l'affection, le dévouement, la déférence, les égards ?… Et quand on réalise les intimités du saint enfant, du délicieux adolescent, du jeune homme accompli que fut Jésus avec celui qu'il nommait son Père, comment rêver amour plus tendre, respect plus filial, gratitude plus touchante, obéissance plus empressée ?…

Si l'on tient compte de la dignité du Fils et de la Mère, il est impossible de concevoir un culte plus glorieux et plus honorable que celui qu'ils rendaient au chef de la Sainte Famille. On a pu affirmer, sans crainte de friser l'erreur que, si l'on met d'un côté les louanges et les hommages de l'Église universelle à l'adresse du Saint Époux de Marie et du Père virginal de Jésus, et de l'autre, la vénération du Verbe Incarné et de l'Immaculée Conception, à Nazareth, pour le glorieux saint Joseph, c'est cette dernière qui l'emporte incommensurablement. (SAUVÉ, Saint Joseph intime, p. 389.)

Et comme il serait blasphématoire et impie de supposer, dans les sentiments de Jésus et de Marie, le moindre désaccord avec l'objet qui les provoquait, il faut en conclure l'éminente vertu, la sainteté inouïe, les mérites incalculables de celui qui reçoit une telle gloire… Mais ce culte et cette dévotion ineffables restent ensevelis dans le silence de la vie cachée de Nazareth… Saint Joseph, le saint de l'effacement et de la vie intérieure, le dépositaire des secrets divins les garde jalousement et les emporte dans la tombe.

De toute évidence, à l'entrée triomphale du Sauveur en paradis, avec l'immense cortège des rachetés, le jour de l'Ascension, saint Joseph se place à côté de son Jésus bien-aimé, tandis que toute la cour céleste chante en de ravissantes harmonies la gloire de l'humble charpentier de Nazareth. Mais ces honneurs indescriptibles restent sans écho sur la terre pendant des siècles et le silence pèsera accablant sur le culte extérieur du saint Patriarche… Avant de préciser la nature du patronage de saint Joseph sur l'Église universelle ainsi que les éléments du culte que nous lui devons et, par là, de mieux étudier les rapports du grand saint avec nous, il n'est pas sans intérêt de nous arrêter un peu sur la cause et la durée d'un phénomène historique, à première vue surprenant.

 

Évolution du culte de saint Joseph au cours des siècles : période d'état latent. — L'histoire de la dévotion au bon saint Joseph comprend plusieurs périodes : une que l'on peut appeler d'état latent, une autre de développement, une troisième de plein épanouissement et enfin celle d'éclatant triomphe. Les premières générations chrétiennes n'ignoraient pas le saint Époux de Marie. Des documents archéologiques en témoignent tels que des monuments des catacombes, des peintures murales, des verres coloriés représentant les mystères de la Sainte Enfance où saint Joseph figure à côté de Notre-Seigneur et de Notre-Dame. Les Annales de Saint-Joseph (janvier-février 1934, p. 20) faisaient état de sarcophages découverts au Puy et qui montrent qu'on n'oubliait point saint Joseph dans ces timides bégaiements de l'art chrétien.

Bien avant la fin des persécutions, les Pères et docteurs de l'Église rendent hommage à saint Joseph : tels saint Justin en son Dialogue avec Tryphon, Origène, saint Athanase, saint Hilaire, saint Éphrem, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Jean Chrysostome, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Pierre Chrysologue dans leurs homélies ou leurs commentaires de l'Évangile faisant admirer la justice suréminente du grand saint, sa virginité associée à celle de Notre-Dame, sa dignité d'Époux de Marie. (Cf. Pailler, Commentaires, homélies, etc. …, sur saint Joseph, édition Brunet, Arras.) L'un des plus remarquables théologiens de saint Joseph qui ont préparé le « postulatum » des pères du concile du Vatican, le Père Macabiau affirme : « Comme saint Cyrille le Grand a été le défenseur et le héraut de la maternité divine, ainsi saint Augustin me semble avoir été chargé par la Providence de défendre et de prêcher la vraie paternité de Joseph. Du début de son épiscopat a la fin, il a très souvent parlé de cette paternité et, dans son livre des Rétractations, il n'a pas cru devoir rien amender sur ce point. (Renard, Saint Joseph et l'enfance de Jésus, p. 227.)

Ainsi les commentateurs des Saintes Écritures jusqu'au VIII° siècle saluent son nom d'acclamations touchantes. Dans les Églises orientales, pour l'institution d'une fête en l'honneur de saint Joseph, on constate un phénomène analogue à celui observé pour l'établissement des fêtes de Notre-Dame ; elles devancent les Églises d'Occident. Le calendrier des Coptes place la fête de saint Joseph, le 20 juillet ; une vie du saint Patriarche, composée d'après les évangiles apocryphes et mêlée de légendes témoignait aussi, de quelque façon, de la vénération qu'ils professaient pour le grand saint. L'historien Nicéphore Callistus rapporte que parmi les églises érigées, à Bethléem, par les soins de sainte Hélène, mère de Constantin, une était dédiée à saint Joseph. Un hymnographe du nom de Joseph compose en l'honneur de son patron un office qui, vers la fin du ixe siècle, est adopté par les églises orientales. Au calendrier des Syriens, la fête de saint Joseph était marquée pour l'un des dimanches avant Noël. Les Grecs, dans leurs ménologes et menées faisaient une triple mémoire de saint Joseph : une première le dimanche avant Noël ; la seconde, le 26 décembre ; la troisième, le dimanche après la naissance du Seigneur. (Lepicier, Tractatus de Sancto Joseph, pars III. a. 2, p. 335 Renard, Saint Joseph et l'enfance, p. 228.)

En Occident, par contre, durant ces premiers siècles, on ne voit ni églises édifiées, ni fêtes établies, ni pratiques extérieures de culte en l'honneur de saint Joseph. Son nom est absent des documents liturgiques que ces âges primitifs ont légués. Au canon de la messe, le nom de l'Époux de Marie ne figure pas alors qu'on y rencontre une longue liste de personnages moins illustres. Il semble que son souvenir soit systématiquement laissé dans l'ombre. Ce silence étonne d'abord… En étudiant l'évolution du culte du saint Patriarche le long des siècles, les auteurs ont scrute les raisons d'une abstention qui a les apparences d'un déni de justice.

Devant des faits que le Saint-Esprit, âme de l'Église, a dirigés selon des vues transcendantes, nous devons humblement adorer les souverains décrets du Seigneur dans la glorification de ses amis, à l'heure marquée par la divine Sagesse, et y voir l'application d'une des lois de la Providence les plus déconcertantes pour la raison humaine et l'incomparable prix des humiliations et de l'effacement, préludes obligés d'une gloire sans pareille. (Cf. Annales de Saint-Joseph, janvier 1934, p. 21.)

 

Raisons du retard apporté à la manifestation du culte de saint Joseph. (Garriguet, Mois de saint Joseph. Cardinal Lepicier, Tractatus de Sancto Joseph, p. 330. — Cardinal Dubois, Saint Joseph, p. 161. — Sauvé: Saint Joseph intime, p. 383. M. Garnier, Mois de saint Joseph, p. 6, etc. …) Donc, tout en constatant la loi divine qui fixe aux créatures le rayon de leur action et met leur vie avec ses vicissitudes en relation avec le but qu'elle leur assigne, les auteurs qui se posent la question : Pourquoi le culte de saint Joseph s'est-il développé si tard, tandis que celui de la Mère de Dieu remonte aux premières années du christianisme ?… se doivent d'avouer loyalement : il n'y a pas de réponse pleinement catégorique !…

Il semble que tout soit dit à ce sujet quand on a proclamé le grand motif du bon plaisir divin disposant à son gré des événements. Cependant, comme il est d'usage en tous les problèmes qui se heurtent aux insondables et adorables profondeurs des mystères de Dieu, il est permis en toute humilité et simplicité de rechercher des arguments de convenance. C'est ce que font les théologiens, en particulier depuis que le célèbre dominicain Isidore de Isolanis a élevé à la gloire du saint Patriarche sa « Somme des dons de saint Joseph ».

Comme le note magnifiquement le Père Faber, dans son ouvrage le Saint-Sacrement (t. l, p. 190), le principe du développement du culte de saint Joseph « est l'adoration de Jésus et la dévotion à Marie ». Les premières luttes doctrinales eurent pour but la défense de la divinité de Notre-Seigneur, sa conception virginale. Contre les nuées d'hérétiques qui niaient quelqu'un des aspects de l'Incarnation, il fallait établir les assises de la christologie ; venger Notre-Darne des blasphèmes atroces de l'impiété.

Il apparaît donc d'une suprême convenance que la physionomie de saint Joseph au lieu de venir alors au premier plan et de compliquer les discussions, reste dans la pénombre et, en disparaissant, contribue à mettre davantage en lumière la divinité de Notre-Seigneur et la perpétuelle virginité de sa Très Sainte Mère.

On a voulu s'arrêter au fait que saint Joseph se trouve comme moyen terme entre les Pères de l'Ancien Testament et ceux du Nouveau et que l'on célèbre rarement les fêtes des premiers. Le Cardinal Lépicier, en ses divers ouvrages sur ce grand saint, reprenant cet argument, note que saint Joseph est plus du Nouveau Testament que de l'Ancien et que le martyrologe romain mentionne plusieurs saints personnages qui précédèrent la venue de Notre-Seigneur. La raison alléguée ne paraît pas satisfaisante.

Un fait liturgique incontestable est que les premières générations chrétiennes rendent tout de suite un culte aux chrétiens généreux qui meurent pour confesser leur foi en Jésus-Christ. (Garriguet, Mois de saint Joseph, p. 4.) L'Église, comme une mère héroïque et maîtresse de pédagogie surnaturelle, en entourant d'honneurs les restes ensanglantés de ses enfants martyrs, encourage les survivants. Des chrétiens de tout âge, de tout sexe, de toute condition, constamment en danger d'être livrés aux bêtes ou aux tortionnaires, plus féroces que les fauves des arènes, trouvent un stimulant dans la gloire qui attend au ciel et sur la terre ceux qui, tentés d'apostasier, ont le courage de cueillir la palme du martyre. Rien de surprenant que, dans ces premiers temps, l'Église réserve ù ces héros la plus grande partie de ses hommages.

Notre-Dame et saint Joseph se trouvent comme inclus dans la commémoration des mystères de Notre-Seigneur, tels que la Circoncision, l'Adoration des mages, la Présentation de Jésus au temple, solennités qui sont communes Notre-Seigneur et à ses saints parents. Mais, à partir du Ive siècle, quand l'ère des persécutions sanglantes est close, l'Église associe au culte des martyrs, les pontifes, les anachorètes, les vierges, les âmes vaillantes qui, par les austérités de la pénitence, par le mépris des plaisirs, par la pratique des Vertus, font de leur vie une véritable immolation les assimilant aux martyrs. C'est l'immense théorie des confesseurs qui allonge le martyrologe…

Et puis, les siècles des luttes trinitaires, christologiques, mariales avancent. Sous l'inspiration du Saint-Esprit, le magistère infaillible de l'Église fixe comme sur des bases de granit les dogmes de la divinité de Jésus-Christ, la perpétuelle virginité et la maternité divine de Notre-Dame. Les persécutions violentes et générales et les sophismes des hérétiques ne présentent plus d'obstacles insurmontables au développement des splendeurs liturgiques. Sous la chaude influence des vérités et des vertus chrétiennes, le culte des saints et, en particulier, la dévotion à saint Joseph vont s'épanouir en Occident comme en Orient…

 

Evolution du culte de saint Joseph au cours des siècles : période de développement. — L'abbé Pourrat (Spiritualité chrétienne, II, p. 498) commence une étude sur le culte de saint Joseph et des saints par ces mots, admis par les historiens : « La dévotion à saint Joseph est née en toute vérité au moyen âge. » Depuis longtemps, les églises orientales célébraient la fête de saint Joseph. Elle avait pris naissance dans les laures palestiniennes, notamment aux monastères de Saint-Sabas et du Mont-Carmel, tandis que l'église latine en faisait mention aux calendes d'avril. Mais l'heure est venue où, à la voix des grands serviteurs de Jésus et de Marie, le glorieux chef de la Sainte Famille va se présenter la vénération des religieux et des fidèles.

 

 

 

Saint Pierre Damien, au XI° siècle, fait marcher de pair, comme de juste, sa grande dévotion à Marie et à son saint Époux. Au XII° siècle, celui que l'on a nommé le dernier Père de l'Église, saint Bernard, célèbre la grandeur de la vocation et la perfection des vertus du glorieux Patriarche. Dans l'une de ses plus éloquentes homélies (Hom. II, in Missus est), il glorifie celui qui a mérité l'honneur d'être dit et d'être cru le père de Dieu… le serviteur prudent et fidèle qui l'a nourri lui-même et qui a été choisi comme l'auxiliaire très sûr de ses grands desseins. Il fait un parallèle saisissant entre Joseph, fils de Jacob, et Joseph, époux de Marie. (Pailler, Homélies, sermons, etc. …, p. 103 ; Renard, Saint Joseph et l'enfance, etc. …, p. 229.)

Après les homélies des prédicateurs, les artistes représentent Joseph avec Marie auprès de la crèche, la nuit de Noël ; au temple, le jour de la Purification. Ils le montrent guidant la Sainte Famille dans la fuite en Égypte et travaillant pour elle dans l'atelier de Nazareth. Les moines et les religieuses pensent à Joseph en méditant les mystères de l'enfance du Sauveur. Les croisés, en revenant des Lieux Saints, rapportent l'office en son honneur que récitent les orientaux et aussi des reliques… La piété chrétienne est amenée à rendre un culte à celui qui entoura Jésus et Marie de soins si dévoués.

Au XIIIe siècle, les écrits des docteurs scolastiques éclairent, en l'orientant, la piété populaire. Hugues de Saint-Cher, saint Albert le Grand, saint thomas d'Aquin (Commentaires sur saint Mathieu, ch. 1), saint Bonaventure (Commentaire sur saint Luc), le franciscain Johannes de Caulibus (dans ses Méditations sur la vie de Jésus, dont la manière éminemment affective les fait attribuer au docteur séraphique) et d'autres auteurs contribuent à préciser les relations de saint Joseph avec le Verbe Incarné et la Mère de Dieu, son rôle providentiel dans le mystère de l'Incarnation, en un mot ce qu'on appelle aujourd'hui : la théologie de saint Joseph.

Alors, comme durant le siècle suivant, ce sont les ordres religieux qui favorisent le développement de la chère dévotion. L'ordre des Carmes, chassé du Mont Carmel par les musulmans, apporte en Occident ses traditionnelles dévotions à Notre-Dame et à son saint Époux. Le Cardinal Lépicier (Tractatus de Sancto Joseph, p. 337) établit que dès 1129, une église érigée à Bologne en l'honneur de saint Joseph est desservie par les Bénédictins et que les Serviles de Marie leur succèdent en 1301 dans la célébration de ce culte. Dans leur église de Todi, ces religieux élèvent un autel à saint Joseph et déposent sous cet autel le corps de saint Philippe Benizzi. Un chapitre général de l'ordre, tenu à Orvieto, en 1324, fixe au 19 mars la fête de saint Joseph à célébrer dans tous les couvents.

Les enfants de Saint-Dominique et de Saint-François dès leurs origines associent la dévotion à Marie et à Joseph. Au nom de sainte Gertrude, la grande cistercienne du couvent de Hefta, il faut ajouter celui d'un autre dévot célèbre de saint Joseph, Ludolphe de Saxe, dit le Chartreux, dont la Vie de Jésus exercera une influence extraordinaire pendant trois siècles sur la piété chrétienne.

Au XV° siècle, la pieuse dévotion continue à s'étendre dans les monastères et parmi les fidèles ; les théologiens et les orateurs interviennent avec éclat. Parmi ces ardents propagateurs, trois noms surtout sont à signaler : Pierre d'Ailly, Jean Gerson et saint Bernardin de Sienne.

Pierre d'Ailly (1350-1420), brillant docteur de Sorbonne, chancelier de l'Université de Paris et cardinal, qui jouera un rôle au concile de Constance. Trop influencé par Occam, ses doctrines philosophiques et théologiques sont jugées assez aventureuses. En spiritualité, son nom restera attaché au premier traité systématique composé sur saint Joseph : De Duodecim honoribus sancti Joseph; c'est une dissertation doctrinale divisée en douze brefs chapitres sur les gloires du saint. En voici une analyse d'après les Annales de saint joseph du Mont Royal: I-II. Saint Joseph est issu de la race royale de David et vrai consanguin de Marie et de Jésus, parce que tous sont, au témoignage de l'Écriture, de la famille du grand roi. — De plus il est époux de Marie, uni sacramentellement à elle par le plus vertueux amour ; il est vierge époux d'une épouse vierge. — V-VI. Il est plus spécialement destiné à. prendre soin de Jésus-Enfant, dont il est le père légal. — VII-VIII. A des fonctions sans égales, correspondent d'incomparables vertus. Saint Joseph est le juste par excellence : sous le nom de justice l'Écriture exprime généralement la sainteté d'une vie pleine de foi et de mérites. C'est à cause de ces perfections qu'il eut mission de promulguer aux hommes le nom de Jésus, imposé de toute éternité par Dieu, et révélé- par l'ange dans le temps. IX-X. Il était présent à la naissance et à la circoncision du Christ ; c'est alors que commença la Passion du Christ pour nous et la compassion de Joseph pour le Christ. Il fut témoin de l'adoration des Mages et de la Présentation au temple ; il entendit les paroles de Siméon et d'Anne prédisant les destinées de son Fils ; elles ne purent pas blesser le cœur de Marie sans pénétrer dans celui de Joseph. — XI-XII. Il conversa souvent et familièrement avec les anges ; et sa gloire suprême a été d'avoir la Mère et le Fils de Dieu sous sa dépendance ; il est le chef de la trinité terrestre. « Œuvre un peu sèche et spéculative», dit l'abbé Pourrat (t. II, p. 499), elle est cependant le point de départ d'un mouvement doctrinal qui contribue efficacement a la diffusion de la dévotion au glorieux Patriarche.

En effet, le disciple et ami de Pierre d'Ailly, Jean Gerson (1363-1429), comme lui théologien et chancelier de l'Université, jouera un rôle dans les discussions théologiques de l'époque, mais très versé dans la mystique, méritera le titre d'apôtre de saint Joseph. Il prend des initiatives vraiment fécondes. Par la plume et par la parole, le savant et pieux chancelier fait connaître les sublimes prérogatives et les trésors de vertu renfermés dans le cœur de saint Joseph. Il inspire au clergé une grande dévotion envers lui. Il profite de l'ascendant que lui donne sa position pour engager les ecclésiastiques à célébrer la fête du saint et a réciter l'office qu'il lui-même composé. L'hymne « Te Joseph celebrent », que l'on chante encore de nos jours, lui est attribuée. Il compose, en français, d'admirables méditations sur le virginal mariage de Notre-Dame et de saint Joseph où sont louées toutes les vertus du grand saint. En outre, il relève ses glorieux privilèges en un poème latin de 4.800 vers intitulé Josephina et dont des critiques littéraires comme Saint-Marc-Girardin soulignent les mérites (Revue des Deux-Mondes, 1849). Par des lettres aux princes, aux prélats, aux docteurs, il inspire à tous sa chère dévotion. Confesseur du duc de Berry, oncle du malheureux roi-dément Charles VI et régent du royaume, il lui adresse, le 23 novembre 1413, une lettre où il l'exhorte à tourner sa piété et sa générosité vers saint Joseph parmi les maux inouïs qui désolent l'Église de France durant le grand schisme d'Occident.

On connaît son intervention et son triomphe auprès des prélats réunis à Constance pour essayer de mettre fin à la désolante calamité de l'Église. Tout le monde alors sent l'impuissance des moyens humains qui risquent d'aboutir à un échec… C'est la gloire incontestable de Gerson de savoir tourner les cœurs vers saint Joseph, protecteur-né de l'Église. Chargé de parler à l'assemblée conciliaire, pour la fête de la Nativité de Marie, le 8 septembre 1416, il saisit l'occasion pour glorifier saint Joseph (voir Pailler, Homélies, sermons, etc. … sur saint Joseph, p. 224). Ce discours produit une impression profonde ; dans une péroraison pathétique, l'orateur supplie le concile d'établir des solennités dont l'objet peut être le mariage de saint Joseph avec Notre-Dame ou sa bienheureuse mort « afin que, par les mérites de Marie et par l'intercession d'un si grand, si puissant et en quelque sorte si impérieux patron auprès de son épouse de qui est né le Christ, l'Église soit rendue son unique, vrai et indiscutable chef, au Souverain Pontife son époux, vicaire du Christ ».

De fait, des prières publiques sont instituées et, peu de temps après, le calme et l'union sont rétablis… La dévotion à saint Joseph se répand alors rapidement. Ce mouvement extraordinaire « déclenché par Gerson, remarque Mgr Pie, ne devait plus s'arrêter. » Retiré à Lyon en 1419, Gerson passe les dix dernières années de sa vie, près de son frère, prieur des Célestins, dans la prière, les œuvres de charité et spécialement l'éducation des petits enfants à qui il recommande de redire cette invocation : « Mon Dieu, ayez pitié de votre pauvre serviteur Jean Gerson !… » Nommé par les uns : Doctor christianissimus, par d'autres : Doctor consolatorius, il a si bien parlé de l'amour de Dieu, en commentant le Cantique des Cantiques, que saint François de Sales a pu dire de lui : « Certes cet homme fut extrêmement docte, judicieux et dévot. » (A. Molien, Dictionnaire des connaissances religieuses, 494.)

Saint Joseph aura obtenu à son grand serviteur le pardon de certaines incertitudes et contradictions de sa doctrine par rapport aux prérogatives de la papauté. On a comparé Pierre d'Ailly et Jean Gerson. Le premier est bref et absolu comme un syllogisme ; le second, plus orateur et poète. Si l'un est un esprit, l'autre est un cœur ; le dogme précède naturellement la morale ; Pierre d'Ailly fut le précurseur de Gerson. On a dit aussi que Bossuet, dans ses admirables panégyriques, se contentera d'imprimer le cachet de son génie aux aperçus de Gerson et de son devancier. (Salembier, Dictionnaire de Théologie; Ami du clergé, 1913.) Après l'apôtre, le missionnaire de saint Joseph. Tandis que Gerson invitait l'Église enseignante à honorer le virginal Époux de Marie, le grand prédicateur du XV° siècle, le franciscain saint Bernardin de Sienne (1380-1444) le faisait invoquer dans toute l'Italie. Notons une fois de plus, en passant, que l'instaurateur de la dévotion au Saint Nom de Jésus, guéri miraculeusement par Notre-Dame et grand prédicateur des gloires de Marie, se devait de devenir aussi le missionnaire de saint Joseph.

Avec une éloquence entraînante, il explique à des auditoires immenses, les fondements de la dévotion au Père nourricier de Jésus, ses grandeurs, sa sainteté éminente, le crédit dont il jouit au ciel. Il utilise les travaux de ses devanciers : Ubertin de Casale et Barthélemy de Pise qu'il éclipse par son talent. Reprenant le grand principe théologique, mis en avant par les docteurs scolastiques, d'après lequel Dieu proportionne la mesure de ses dons surnaturels à l'excellence de la vocation de ses créatures, saint Bernardin en déduit magistralement les prérogatives sublimes du saint. Puis, il décrit ses divines familiarités avec Jésus. Joseph, de son côté, a pleinement correspondu aux avances du Seigneur ; il a fidèlement rempli sa mission d'époux de Marie et de père nourricier de l'Enfant-Dieu ; donc sa sainteté très élevée le fait un puissant intercesseur dans le ciel.

L'un des plus célèbres sermons de l'illustre missionnaire est prononcé à Bologne, dans la première église dédiée à. saint Joseph, desservie depuis 1129 par les Bénédictins puis par les Servites de Marie. Prêchant à. la cathédrale de Padoue sur la mort et la résurrection de saint Joseph nous assure Bernardin de Bustis, une croix lumineuse paraît sur sa tête comme pour confirmer cette doctrine. Dans des documents relatifs à saint Joseph, Pie IX et Léon XIII citent le grand franciscain siennois et six leçons de la Solennité de saint Joseph et de l'octave sont tirées du grand sermon de Bologne qui se termine par cette prière, une des plus anciennes qui nous soient parvenues sur le bon saint Joseph : « Souvenez-vous de nous, ô bienheureux Joseph, et par votre prière puissante, intercédez pour nous auprès de Celui qui a voulu passer pour votre Fils. Rendez-nous aussi propice la Bienheureuse Vierge, votre Épouse, qui est la Mère de Celui qui avec le Père et le Saint-Esprit vit et règne dans tous les siècles des siècles. » (Voir Pailler, Sermon de saint Bernardin, p. 275.)

Saint Bernardin opère en Italie une réforme de son ordre et, pour mieux soutenir la ferveur il place la nouvelle province sous le patronage spécial de saint Joseph. Il exhorte vivement les religieux à l'honorer et établit que tous les documents publiés dans l'ordre porteront désormais l'image de saint Joseph.

Malgré tant de pieux efforts pour répandre le culte du grand saint, il faut attendre l'avènement au trône pontifical du cardinal franciscain della Rovere, Sixte IV (1471-1484), pour voir la fête insérée dans le Missel et le Bréviaire romains. (PIE IX, Encyclique Inclytum Patriarcham, 7 juillet 1871.)

(A suivre.)

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