Vérités oubliées: sadapter à lenfant
30/Sep/2010
I. L'enfant est un enfant. – Il ne diffère pas moins des grandes personnes par sa manière d'être, de penser, de sentir et d'agir que par sa taille et ses forces. Mobile, instable, léger, incapable de fixer longtemps son attention sur quoi que ce soit, il est inconstant, volage, sujet à oublier ses meilleures résolutions comme les recommandations les plus importantes. Son exubérance naturelle et son irrésistible besoin de dépenser son activité lui rendent l'immobilité prolongée extrêmement pénible, lui donnent une aversion à peine vincible pour tout ce qui est calme, uniforme, et font qu'il est inconstant, volage, pétulant, babillard, étourdi sans qu'il en ait pour ainsi dire conscience. Aux personnes âgées, aux adultes, à ses parents et à ses maîtres le soin de se régler, dans leurs préoccupations et dans leurs actions, par des motifs d'ordre général et des fins rationnelles comme l'honneur de la famille, la fraternité et la solidarité des hommes entre eux, et la prévoyance qui "loin dans le présent regarde l'avenir". Pour lui, du moins pendant ses dix ou douze premières années, ce sont là choses qui l'inquiètent fort peu : elles sont en dehors de ses soucis comme au-dessus de sa portée ; ce qui le touche et l'intéresse ne sort guère du cercle du temps présent et de son intérêt personnel, qu'il confond trop souvent, du reste, avec son plaisir du moment.
Par intervalles, il est capable d'enthousiasmes généreux, mais ordinairement peu durables, peu soutenus et facilement suivis de crises d'abattement et de dépression morale. Il est assez souvent vif, emporté, prompt à la colère, mais il oublie vite et ne garde pas rancune. S'il est espiègle à l'égard de ses maîtres, moqueur à l'égard des déshérités de la nature ou du sort, cruel envers les animaux, etc. …, c'est par irréflexion, par inconscience de la souffrance qu'il cause ainsi, plutôt que par vraie malice.
La conséquence logique de tout cela, est que c'est tomber, en pédagogie, dans une grave erreur et commettre même une sorte d'injustice que de juger les défauts et les fautes des enfants d'après les mêmes principes que ceux des personnes adultes, et de leur appliquer les mêmes remèdes et les mêmes sanctions. Il faut ne pas perdre de vue, comme nous disions plus haut, que les enfants, de toutes manières, sont des enfants et qu'en conséquence il faut les traiter comme tels, c'est-à-dire mesurer leur culpabilité à leur responsabilité, qui est à peu près toujours incomplète quand elle n’est pas nulle. Sans doute, il convient de reprendre leurs fautes et de réprimer leurs travers, mais en se souvenant qu'il y a presque toujours en leur faveur des circonstances atténuantes et qu'à leur égard l'indulgence est ordinairement beaucoup plus près de la justice que la sévérité.
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II. Chaque enfant a une individualité irréductible, c'est-à-dire un caractère personnel, une physionomie morale, une certaine "courbure d'âme" qu'il tient de la nature et qui fait qu'il est lui et non pas tout autre. C'est-là encore une vérité dont l'éducateur ne doit pas oublier de tenir compte pour ne pas s'exposer comme fatalement à quantité de fausses manœuvres et par suite à de pénibles déconvenues. De même, en effet, qu'en médecine il n'y a pas de remède universel pouvant s'appliquer efficacement à toutes les maladies quelle que soit la constitution du malade, il ne saurait exister en pédagogie de règle uniformément applicable à tous les esprits et tous les caractères. Représentons-nous un maître en présence d'une classe, d'une division ou de toute autre réunion d'enfants aussi différents par leur tempérament, leur caractère et leur tournure d'esprit que par leur physionomie. Tel est vif et pétulant, et tel autre mou et apathique ; celui-ci, timide et engourdi, a besoin qu'on l'excite et l'encourage ; celui-là, exubérant et fougueux, a plutôt besoin qu'on le retienne et le modère… : va-t-il, dans ses rapports avec eux, agir avec tous de la même façon ? S'il est sage, il s'en gardera soigneusement. Telle manière de procéder qui lui réussit avec un, échouerait avec nombre d'autres, et, pour n'avoir pas tenu compte de leurs dispositions naturelles afin de les aborder par le côté où ils sont le plus facilement accessibles, il risquerait d'aboutir souvent aux antipodes de ses intentions, Le moindre mal qui pourrait lui arriver serait de détruire chez ces enfants leur spontanéité naturelle pour les couler tous dans un même moule de convention, ce qui n'a déjà rien de commun avec l'éducation véritable, si toutefois ce n'en est pas le rebours ; car, d'après l'heureuse expression de Mgr. Dupanloup, le grand principe qui y domine et éclaire tout, c'est qu'elle doit suivre et aider la nature sans jamais la contraindre violemment ni la forcer.
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III. L'enfant a besoin d'être aimé. — L'affection de ceux qui l'entourent est une sorte d'atmosphère morale, hors de laquelle sa jeune âme s'étiole et dépérit. Son esprit, son cœur ni sa volonté ne s'ouvrent et ne s'épanouissent que dans la mesure où il se sent réchauffé par cette ambiance d'affectueuse sympathie. Et il s'ensuit que, pour tous ceux qui s'occupent de son éducation, c'est un devoir de l'entourer d'une pure et sainte mais véritable dilection.
En d'autres termes, pour élever réellement l'enfant, il faut avant tout l'aimer, non d'un amour sensuel et égoïste, mais d'un amour surnaturel et désintéressé ; non pour soi, pour le plaisir qu'on y trouve, mais pour lui, pour son avenir, pour son éminente dignité d'enfant de Dieu et d'héritier du ciel.
Il faut l'aimer parce qu'il le mérite, qu'il y a droit. Apprécie-t-on suffisamment d'ordinaire le pénible sacrifice qu'il fait en quittant la vie de famille pour la vie scolaire ? "En sortant des bras de sa mère, à l'âge où son âme s'épanouit comme une fleur au soleil, et où il ne connaît encore le monde que par l'amour dont il y a été l'objet, se trouver tout à coup jeté dans une maison étrangère où personne ne lui sourit, où les hommes qu'il aperçoit au-dessus de lui semblent uniquement occupés de faire mouvoir avec régularité une sorte de mécanisme dans lequel il est engrené, emporté et parfois douloureusement froissé, sans que personne en prenne souci,… n'avoir pour compenser tontes les affections dont il est sevré que l'agitation d'une foule bruyante d'autres enfants étourdis, souvent railleurs et fort peu disposés aux sympathies fraternelles !…" Quel rude contraste pour lui ! N'est-il pas vraiment juste raisonnable et surtout charitable que le maître du moins cherche à l'adoucir par les témoignages d'un paternel intérêt et d'une affection véritable ?
Il faut aimer l'enfant parce que son éducation comporte une foule de soins d'attentions et d'ingénieuses industries que l'amour seul peut suggérer. Il serait peut être exagéré de dire qu'il suffit d'aimer l'enfant pour savoir l'élever ; mais il serait sans doute plus exagéré encore de prétendre que, dans l'éducation, un esprit éclairé, une observation vigilante et les souvenirs de l'expérience peuvent suppléer l'amour, du moins l'amour tel que nous l'avons défini plus haut. Lui seul inspire cette prévoyance du cœur qui songe aux soins du lendemain et prévoit d'avance pour un être aussi imprévoyant et oublieux qu'est l'enfant ; cette sagacité du cœur qui devine ]e danger là où la froide prudence d'un maître indifférent le craindrait aussi peu que la légèreté insouciante de l'élève ; ces attentions du cœur dont la délicatesse échappera toujours à l'esprit le plus exercé comme à la bonne volonté la plus sincère ; ces industries du cœur qui permettent de s'accommoder à tous les besoins d'une créature si impressionnable, si mobile et si frêle ; et surtout ce' dévouement du cœur que rien n'effraie, que rien ne rebute, que rien ne lasse et qui réussit où tout le reste avait échoué ; ce qui justifie la célèbre parole de St. Augustin : Aimez, et faites ce que vous voudrez.
Il faut enfin aimer l'enfant parce que c'est le moyen d'avoir prise sur sa volonté et d'obtenir par là qu'il collabore à son éducation, où l'on ne peut rien sans lui. S'il se voit, de la part de ses maîtres, l'objet d'une saine et sincère affection — ce en quoi il est ordinairement d'une rare clairvoyance — il sera porté à les payer de retour, à trouver bon, respectable et même digne de reconnaissance tout ce qui vient d'eux : conseils, avis, leçons, réprimandes et punitions même, au grand profit de son instruction ou de son amendement ; au lieu que s'il voit qu'il n'est pas aimé d'eux, il leur refusera de son côté son affection, sa docile confiance, prendra volontiers en mauvaise part jusqu'à ce qu'ils font pour son plus grand avantage, et il est fort à craindre qu'ils ne soient réduits à répéter à son sujet ce que Socrate disait d'un de ses disciples : "Quel bien puis je lui faire ? Il ne m'aime pas."
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VI. — L'enfant a besoin d'être surveillé. Il en a besoin, au point de vue physique, pour échapper à une foule de dangers auxquels sa faiblesse, son incurie, son inexpérience et sa légèreté naturelle l'exposent pour ainsi dire à tout moment ; mais il en a un besoin plus grand encore, si possible, au point de vue moral pour garantir sa jeune âme des périls d'un autre genre qui menacent son innocence et sa vertu.
Au rapport de S. Jean Chrysostome, une mère, en priant un pieux solitaire de vouloir se charger de l'éducation de son jeune fils le lui recommandait en ces termes touchants : "Ce n'est pas un médiocre intérêt qui m'amène vers vous : il s'agit de l'âme de mon enfant, qui est en péril. Ne laissez pas dans le danger ce que j'ai de plus cher au monde ; préservez-le des pièges tendus autour de lui. Je puis me rendre le témoignage de n'avoir rien négligé de ce que j'ai cru propre á assurer son salut. Si donc il lui arrivait de tomber dans les malheurs qui menacent les enfants négligés, c'est à vous, dès ce jour, que Dieu en demanderait compte". Telle est aussi, en substance, la recommandation qu'adressent implicitement à l'éducateur tous les parents chrétiens en lui confiant leurs enfants ; et l'engagement que prend l'éducateur peut se résumer dans ces paroles qu'adressait Juda à Jacob, en prenant avec lui Benjamin pour le conduire en Egypte : "Confiez-moi cet enfant ; je le prends sous ma responsabilité. Vous me le redemanderez au retour, et si je ne vous le rends pas tel que vous me le remettez, je serai coupable à jamais devant vous."
De même qu'elle est un besoin pour l'enfant, la surveillance est un grave devoir pour ceux qui ont assumé la lourde charge de l'élever. C'est un élément essentiel de ce qu'on peut appeler la discipline préventive. Plus on désire échapper à la toujours fâcheuse nécessité de punir, plus il importe d'être bien au courant de ce qui se fait parmi les enfants dont on a la charge, pour leur ôter à propos l'occasion et par suite la tentation de mal faire. Que de fautes, grosses parfois de tristes conséquences, peut faire éviter un maître vigilant continuellement présent, pour ainsi dire, sur tous les points de la classe ou de la salle d'études pour apercevoir ou deviner sans effort apparent tous les gestes et en quelque sorte toutes les intentions de ses élèves, arrêter d'un mot ou d'un regard significatif une tentative d'espièglerie, le commencement d'une conversation suspecte et ôter aux délinquants de toutes catégories l'espoir de trouver l'impunité dans l'incognito !
Remarquons seulement que, pour être éducative et ne pas manquer son but, la surveillance doit être discrète, loyale, bienveillante, et éviter avec soin de se montrer inquiète, soupçonneuse, tracassière, méchante, et de recourir pour arriver à ses fins, à l'espionnage, à la ruse, à la délation et autres moyens analogues. Outre que ces moyens sont odieux, sans noblesse, et par conséquent en dissonance avec la dignité de l'éducateur, ils aboutissent trop souvent à l'inverse du résultat escompté : sans enlever toujours la possibilité du mal, ils en laissent ordinairement toute la volonté et plus d'une fois en font naître la résolution déterminée tant il est vrai que, mal dosé ou mal appliqué, le meilleur remède peut devenir poison.
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V. L'enfant a besoin d'émulation. – Pour nous déterminer à agir ou à nous abstenir, il devrait nous suffire de savoir que le devoir le commande, sans nous inquiéter s'il y a d'autres raisons pour ou contre ; et c'est bien, en réalité, ce que tendent à faire les âmes vraiment vertueuses.
Mais, étant donné l'infirmité de notre nature déchue, c'est là un idéal si difficile à atteindre qu'il reste presque forcément réservé à une élite : la généralité de ce qu'on appelle les gens de bien a déjà quelque droit de s'estimer heureuse quand elle parvient à maintenir ce pur amour du devoir en tête de ses motifs d'action, sans repousser pour cela l'aide d'autres mobiles moins nobles et moins bons, il est vrai, mais acceptables encore, tels que l'honneur, l'intérêt légitime, l'émulation, etc. …
Et s'il en est ainsi des adultes en pleine possession de toutes leurs facultés intellectuelles t morales, à combien plus forte raison sera-ce vrai de l'enfant, chez qui ces facultés ne sont encore qu'en voie de formation et demeurent plus ou moins frappées comme telles, ainsi que nous l'avons déjà noté plus haut, d'une sorte de myopie qui leur rend inaccessibles les mots trop abstraits ou trop éloignés ! Etudier parce que c'est un devoir, parce que l'étude ennoblit l'âme ou même parce que dans quinze ou vingt ans l'instruction acquise aujourd'hui leur permettra de trouver dans la société une situation honorable sont des buts situés, dans son horizon, à des distances si grandes et affectent des couleurs et des formes si vagues, qu'ils ne lui paraissent pas valoir les efforts nécessaires pour y atteindre. Pour les déterminer à faire ces efforts, il leur faut, en attendant, un objectif plus attrayant, mieux défini, plus tangible, sans préjudice de l'autre, qui viendra en son temps comme de lui-même.
C'est là une vérité de fait dont on ne peut pas se dispenser de tenir compte ; et voilà pourquoi — en ce qui regarde l'émulation, qui est ici seule en cause — ce serait, quoi qu'on puisse dire, faire un acte de puritanisme étroit autant qu'une sottise de la bannir de l'éducation, comme les voudraient certains, sous prétexte qu'elle n'est pas un mobile vertueux et désintéressé mais un diminutif de l'ambition et une très proche parente de la jalousie.
N'exagérons rien, tout d'abord. Appeler l'émulation un "diminutif de l'ambition" c'est peut-être la désigner par un sobriquet qui ne manque pas de justesse ; mais en faire une très proche parente de la jalousie, c'est tout simplement la calomnier. "Quelque rapport qu'il paraisse y avoir entre la jalousie et l'émulation, il y a entre elles le même éloignement qu'entre le vice et la vertu", répond La Bruyère. L'émulation est un sentiment énergique, courageux qui rend l'âme féconde, qui la fait profiter des grands exemples et la porte même parfois au dessus de ce qu'elle admire. Quant au fait d'être en petit ce que l'ambition est en grand, ce n'est pas nécessairement une tare pour elle ; car s'il y a une ambition dangereuse, injuste et alors coupable, il y a aussi une ambition légitime, louable et bienfaisante.
Nous n'allons pas cependant jusqu'à dire que l'émulation surexcitée outre mesure et mal surveillé, ne puisse pas avoir ses dangers et ses inconvénients : elle a cela de commun avec les meilleures choses. Mais nous ne craignons nullement d'affirmer, avec les plus estimables éducateurs de tous les temps, que, maintenue dans de justes bornes et convenablement surveillée, elle ne peut avoir que des avantages, et qu'il ne faut se faire aucun scrupule d'en user, même dans une large mesure. Elle stimule l'activité, combat la paresse, suscite l'effort et favorise ainsi les progrès.
Elle est un véritable besoin pour l'enfant, dont les jours, sans elle, s'écoulent toujours plus ou moins dans l'ennui, la tristesse, la monotonie, dans le travail sans but attrayant, sans application, sans enthousiasme, sans le plaisir si vif et si légitime de la difficulté vaincue, de la victoire remportée ; tandis que, sous sa bienfaisante impulsion, il se trouve sans cesse dans une atmosphère de joyeuse activité et de vie heureuse où le travail, loin de paraître ennuyeux ou pénible se transforme pour ainsi d'ire en plaisir. L'enfant n'oppose plus le jeux à la classe ; il lui semble, au contraire, que la classe n'est qu'une variante du jeu, puisque, dans l'une comme dans l'autre, il s'agit de mesurer loyalement sa force, son adresse ou son savoir, avec la force, l'adresse et le savoir d'autres condisciples auxquels il dispute aujourd'hui l'avantage, comme demain ils le lui disputeront à leur tour.
Empêchons donc, par l'emploi des moyens convenables, l’émulation de se transformer en jalousie, en envie ou en autres défauts qui peuvent en être la corruption, mais gardons-nous de la bannir de nos classes : ce serait nous priver d'une des ressources les plus précieuses dont nous disposons pour les rendre intéressantes, profitables aux enfants et moins fatigantes pour nous.
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VI. L'enfant a besoin de bons exemples. – Il y a dans nous tous un instinct d'imitation qui y tient par des racines profondes et exerce sa pernicieuse ou bienfaisante influence dans toutes les sphères de notre vie. Pensées, sentiments, opinions, coutumes, langage, manières, tout en nous, de gré ou de force, que nous le sachions ou que nous l'ignorions, porte plus ou moins le caractère de sa magique influence, et tend à nous acheminer au bien ou au mal, au vice ou à la vertu, au port ou sur les écueils.
Mais, si l'empire de cet instinct s'exerce sur tout être humain quels que soient sa condition et son âge, il se fait sentir avec une puissance particulièrement remarquable chez l'enfant, véritable singe ou perroquet de tout ce que font ou disent devant lui les grandes personnes.
De là l'extrême importance de ne mettre devant ses yeux que de bons exemples ; car les impressions reçues à cet âge sont étonnamment vives, profondes et promptes à se transformer en habitudes. Heureux, comme dit le poète, celui qui passe cette jeune période de sa vie au milieu de parents, de maures et de condisciples vertueux !
Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux
Il est orné dès sa naissance,
Et des méchants l'abord contagieux
N'altère point son innocence.
Tel eu un secret vallon,
Sur le bord d'une onde pure,
Croit à l'abri de l'aquilon
Un jeune lis, l'amour de la nature.
Mais qui pourra dignement déplorer le sort, de celui qui, dans ces tendres années, a respiré le souffle empoisonné du scandale là où il n'aurait dû rencontrer que le pur arôme de l'édification ? C'est un malheur dont, pour Lui faire éluder les suites, il ne faudra guère moins qu'un miracle de la grâce d'en haut. Selon l'expression énergique mais trop vraie d'un autre poète, en effet :
Le cœur de l'homme vierge est un vase profond.
Lorsque la première eau qu'on y verse est impure,
La mer y passerait sans laver la souillure ;
Car l'abîme est immense, et la tache est au fond.
L'éducateur qui se contenterait de préserver du mauvais exemple les enfants qui lui sont confiés ne remplirait cependant à leur égard, que la moitié de son devoir sur le point particulier qui nous occupe.
Il faut de plus qu'il leur en offre de bons, d'abord dans sa personne en pratiquant lui-même très exactement les préceptes et les conseils qu'il cherche à leur inculquer ; puis en attirant souvent leur attention, dans ses instructions ou dans les lectures qui se font en public, sur les beaux exemples de vertu donnés par les hommes célèbres dont il y est question, et en encourageant la lecture en particulier de la vie plus développée de quelques-uns d'entre eux.
"Rien n'est charmant, salutaire et fort, dit un éminent évêque américain, comme l'intimité des grands esprits et des grands cœurs : elle crée une atmosphère où l'âme se sent à l'aise, où il devient facile de prendre de nobles résolutions, et où l'on trouve naturellement en soi la volonté efficace de les tenir".
C'est en lisant la vie de ces grands esprits ou de ces grands cœurs que furent les saints, que saint Augustin se dit généreusement à lui-même : "Pourquoi ne ferais-je pas ce que tant d'autres ont fait !"
Et que d'autres après lui ont trouvé dans ces pages attachantes où toutes les situations de la vie ont apporté leur part d'héroïsme, l'inspiration et la force de s'acquitter généreusement de leurs devoirs journaliers, si difficiles et si pénibles qu'ils pussent être, et se sont sanctifiés à leur tour !
Les héros que nous avons aimés, admirés, et par conséquent tenté d'imiter pendant notre enfance restent nos amis et nos inspirateurs dans l'âge mûr.