Vêture à Chala

F. Louis MICHEL

25/Sep/2010

Le 2 février dernier, de touchantes cérémonies se déroulaient dans la chapelle des Frères Maristes de Cha-la. A la suite du la retraite annuelle, cinq Frères chinois se consacraient irrévocablement à Dieu et à l'œuvre si importante de l'éducation chrétienne de la jeunesse, par les trois vœux perpétuels de religion, tandis que dix jeunes gens, tous lauréats de l'école normale officiellement approuvée il y a deux ans, revêtaient l'habit religieux, pour commencer leur année canonique de noviciat.

C'était un spectacle vraiment réconfortant de voir ces jeunes hommes de vingt ans, tous un peu épuisés par leurs longues années d'études, et possesseurs enfin du diplôme qui leur ouvre la carrière de l'enseignement, préparés d'ailleurs par une retraite de dix jours au grand acte qu'ils allaient faire, c'était un doux spectacle, dis-je, de les voir, pendant le chant solennel du Veni Creator, s'agenouiller au pied de l'autel, pour répondre aux questions qu'allait leur poser le digne aumônier de la maison, le P. Klamer, avant de les recevoir comme membres de l'Institut des Petits Frères de Marie.

Après la récitation des prières liturgiques, implorant les bénédictions célestes sur les habits dont ces dix nouveaux religieux vont se revêtir dans quelques instants, le célébrant se tourne vers eux et leur adresse cette première et paternelle question: Mes chers enfants, que demandez-vous? Et eux de répondre : « Mon Père, nous demandons la faveur d'être admis dans l'Institut des Petits Frères de Marie et d'en prendre l'habit »…

Et ils subissent ainsi, à la face des autels, en présence de leurs supérieurs, de leurs confrères venus nombreux pour assister à la pieuse cérémonie, en présence de ceux qui, hier, étaient leurs compagnons de classe et aspirent au même bonheur qu'eux, en présence de leurs parents, invités pour la circonstance, ils subissent un véritable interrogatoire sur les devoirs et les obligations de la vie religieuse, interrogatoire qui se termine par ces paroles si impatiemment attendues, que leur adresse le célébrant: « Quittez donc les habits du monde avec sa vanité et revêtez-vous du saint habit que vous désirez, en vous revêtant en même temps de Jésus et de Marie »

Alors, pendant que le chœur chante le psaume "In exitu Israel de Egypto", les élus du jour se rendent dans une salle attenante à la chapelle, où les habits religieux ont été transportés après la bénédiction, et, aidés de leurs confrères, se revêtent de la soutane, du manteau et du rabat blanc, complétant ainsi la transformation intérieure opérée par les épreuves du postulat et les dix jours de retraite, par un changement extérieur qui fait vraiment d'eux des hommes nouveaux.

A la chapelle, le chœur chante les derniers versets du psaume de la délivrance: « Non mortui laudabunt te Domine… sed nos qui vivimus benedicimus Domino, ex hoc nunc et usque in saeculum »

Juste à ce moment, les nouveaux religieux font leur entrée dans la chapelle et vont de nouveau se prosterner au pied de l'autel, y entendre les dernières exhortations du célébrant et 'faire une consécration publique de leurs personnes à Dieu et à la très sainte Vierge Le célébrant leur impose ensuite leur nom de religion et termine la cérémonie en récitant sur eux une oraison spéciale

Les demandes d'instituteurs religieux qui, ces derniers temps surtout, sont arrivées nombreuses, de tous les coins de la Chine, à la maison provinciale de Cha-la, nous sont bien une preuve de l'importance qu'attachent eux aussi à la bonne formation de la jeunesse, ceux qui tiennent en main les destinées de l'Eglise de Chine.

Mais pourquoi faut-il que la plupart du temps, ces demandes si bien motivées et si dignes d'être exaucées, soient accueillies, sinon par une fin de non recevoir, du moins, par un renvoi à des temps presque indéterminés?… Dans le même sens que Notre-Seigneur parle de moisson abondante et du petit nombre d'ouvriers pour la recueillir, trop petit aussi est le nombre des Semeurs, de ceux qui doivent répandre la bonne semence dans la terre encore vierge qu'est l'âme des enfants.

Mais, dira-t-on peut-être, les Frères n'étudient pas le latin, n'abordent pas la théologie, ne font qu'effleurer la philosophie: c'est donc si long et si difficile de faire des Frères!…

En effet, nos Frères chinois remplacent le latin par une langue vivante, exigée d'ailleurs pas les programmes officiels ; et c'est la langue française qui est admise à l'école normale de Chala. Laissant de côté la théologie, excepté la partie ascétique qu'ils commencent en seconde année normale et qui devient leur principale étude pendant le noviciat, ils consacrent, pendant deux ans, trois heures par semaine à la philosophie ou à la psychologie, comme préparation à la pédagogie. Ils emploient un peu de temps, il est vrai, pour certaines matières assez accessoires pour des futurs professeurs, mais exigées par les programmes, telles que : exercices physiques, travaux d'art, dessin, agriculture, droit et économie politique; mais, par ailleurs, l'étude assez approfondie de la langue chinoise, des sciences physiques et naturelles et des mathématiques, (algèbre, géométrie et trigonométrie) exigent des élèves chinois un temps considérable. Ajoutez à cela l'étude de la Religion, qui est menée de pair avec les études profanes, et l'âge des élèves, et il sera facile de comprendre que, pour la plupart des enfants qui nous arrivent vers 12 ou 13 ans, ne sachant presque rien, il n'est pas trop de trois ans d'études primaires (tchou-teng et kao-teng) et des cinq années réglementaires des écoles normales.

Avec l'année de noviciat, cela fait neuf ans de formation. C'est beaucoup, c'est surtout très dispendieux, mais ce n'est pas trop, vu l'étendue et la variété des matières d'étude, vu surtout le rôle que devront jouer au dehors, au service des missions, ceux que nous incorporons ainsi à notre Institut.

Ce rôle, le V. Champagnat, notre fondateur, l'expliquait à ses premiers Frères qu'il formait avec si grand soin:

« Un Frère, leur répétait-il sans cesse, est le coopérateur de Dieu et l'associé de J. C. dans la sainte mission de sauver les âmes ; il est l'homme sage dont parle Isaïe, qui passe sa vie à jeter des fondements: fondement de la crainte du péché, en formant la conscience des enfants; fondement de toutes les vertus, en formant le cœur de l'enfant; fondements de la prospérité des familles, par la bonne éducation; fondements religieux des paroisses : d'une classe d'enfants formés à la piété et instruits solidement des vertus chrétiennes, naîtra une paroisse de fervents chrétiens ; il jette les fondements du ministère ecclésiastique en disposant les jeunes intelligences à cornprendre les enseignements de leurs pasteurs et en les préparant à la digne réception des sacrements; il jette les fondements de l'éternité des enfants…»

« Un Frère, enfin, toujours d'après les enseignements du V. Champagnat, est le remplaçant des pères et des mères, l'aide des pasteurs de l'Eglise, le remplaçant des soldats et des gendarmes… l'ange gardien des enfants…»

Et j'ajouterai ce qu'ajouterait sans doute lui-même notre V. Fondateur, s'il lui était donné d'être au milieu de nous, en ce moment, et de voir l'importante besogne à faire dans les missions de Chine, pour venir en aide au missionnaire, dont la sollicitude doit s'étendre à des œuvres trop multiples pour que, seul, il puisse les mener à bien : « Un Frère, dirait ici le V. Champagnat, est l'auxiliaire indispensable du missionnaire en Chine, à cette époque, pour la création ou la direction des écoles, dans les grands centres de mission, et pour la formation de bons instituteurs chrétiens, pour les centres moins importants, qui n'offrent pas les éléments nécessaires à son zèle et à son activité ».

A l'exemple de notre V. Fondateur, tels sont les sentiments dans lesquels nous tâchons d'élever les jeunes âmes chinoises qui entrent à notre juvénat de Cha-la, et tel est l'idéal qui est inculqué aux novices durant le temps de leur formation religieuse.

L'œuvre compte actuellement 32 Frères, tous liés à leur vocation par les vœux perpétuels, et employés dans les diverses écoles ou à Cha-la, pour les nombreux offices de la maison de noviciat; dix novices, qui seront mûrs pour l'enseignement dans onze mois, et 80 juvénistes répartis comme il suit:

15 en troisième année normale; 14 en première année normale; 15 en troisième année primaire supérieure; 17 en seconde année primaire supérieure; 19 en première année primaire supérieure; une nouvelle classe sera ouverte au mois d'août prochain et portera à la centaine le nombre de ces jeunes aspirants à la vie religieuse et au ministère de l'apostolat dans les écoles.

C'est déjà une belle pépinière, mais il faudrait la doubler pour que, chaque année, nous puissions voir se renouveler la consolante cérémonie du 2 février dernier: c'est-à-dire, pour pouvoir transplanter dans la vie religieuse une douzaine de plants nouveaux par an.

C'est bien ce à quoi tendent nos efforts, stimulés en ce moment par la présence au milieu de nous du cher Frère Elie-Marie, Assistant général de l'Institut et délégué du R. Frère Supérieur Général, pour la visite régulière de nos maisons de Chine.

Mais, que pouvons-nous dans ce sens sans le concours, sans l'appui des missionnaires, surtout dans les régions où nous ne sommes pas connus des chrétiens!…

Aussi, quel plus sûr moyen d'amener le Frère Provincial à fournir rapidement le personnel nécessaire pour une fondation, que celui d'envoyer au juvénat de Cha-la, quelques bons sujets qui y plaideront naturellement la cause de leur clocher !… Tel est bien aussi le désir le plus cher au cœur du maître des novices, qui se plait à espérer que les jeunes plants transplantés du champ commun de l'Eglise dans le jardin choisi de la vie religieuse, deviendront de plus en plus nombreux. Ainsi augmentera rapidement le nombre de ceux qui ont pour mission de jeter la bonne semence dans les jeunes âmes et de préparer la moisson que le missionnaire récoltera ensuite dans la jubilation. « Venientes autem venient cum exultatione, portantes manipules suos ».

                                                                                                                  F. Louis MICHEL.

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