Champagnat, la danse et les jeunes

Histoire mariste

Le problĂšme de la fĂȘte profane dans l’institut au XIX° siĂšcle
F. André Lanfrey

Discutant avec un confrĂšre sur les premiĂšres annĂ©es de l’institut, il m’est venu la question suivante : pourquoi, Ă  La Valla, grosse paroisse d’environ 2500 habitants, Champagnat a-t-il recrutĂ© si peu de disciples ? En effet, sur les dix frĂšres dont l’institut a retenu le nom avant 1822, seulement cinq d’entre eux sont natifs de cette paroisse : les deux Audras (F. Louis et Laurent), Antoine Couturier, BarthĂ©lemy Badard et Gabriel Rivat. Et, par la suite, le nombre de frĂšres natifs de cette paroisse restera trĂšs modeste.

On peut incriminer l’opposition du curĂ© Ă  son vicaire et les attaques contre lui venues de divers lieux. Mais nous savons que, dans la paroisse, l’influence de Champagnat n’était pas nĂ©gligeable et que ces attaques n’ont pas durĂ©. Il convient donc de poser une question un peu dĂ©rangeante : quels ont Ă©tĂ© les rapports de Champagnat avec la jeunesse de La Valla  et d’ailleurs ?

La notion de jeunesse au temps de Champagnat
Avant de poursuivre, il convient de prĂ©ciser ce que signifie le mot « jeunesse Â» vers 1820. Le temps de l’enfance s’achevant avec la premiĂšre communion, en principe au cours de la treiziĂšme annĂ©e, la jeunesse s’étend entre ce rite de passage et le mariage qui fait basculer dans l’ñge adulte. Ce temps intermĂ©diaire est, pour la plupart, le moment du choix d’un mĂ©tier, et pour une minoritĂ© celui des Ă©tudes dans un collĂšge, un sĂ©minaire
ou un noviciat congrĂ©ganiste.
Le moment de la jeunesse est jugĂ© particuliĂšrement dangereux car c’est celui des passions, de l’instabilitĂ©, et mĂȘme de la dĂ©linquance, qui inquiĂštent parents, pasteurs et autoritĂ©s civiles. C’est le temps des bals, des bagarres, des manifestations bruyantes, des rencontres amoureuses, plus ou moins ritualisĂ©s
 Dans chaque village la jeunesse constitue un groupe social reconnu par la sociĂ©tĂ© avec rĂ©alisme ou fatalisme : « Il faut que jeunesse se passe Â». Les autoritĂ©s civiles, chargĂ©es de l’ordre public, sont elles-mĂȘmes assez laxistes. Mais curĂ©s et vicaires, considĂ©rant qu’ils sont les gardiens de la morale publique, sont moins indulgents et cherchent Ă  discipliner non seulement une jeunesse turbulente, mais aussi des adultes peu enclins Ă  pratiquer et faire respecter une morale chrĂ©tienne rigoriste. Comme la fĂȘte, quoiqu’en gĂ©nĂ©ral d’origine chrĂ©tienne, est l’occasion de faire du commerce, de s’enivrer et de danser1, depuis le XVII° siĂšcle les curĂ©s luttent contre les cabarets et les bals, au risque de s’aliĂ©ner leurs paroissiens, surtout les hommes. La RĂ©volution, en affaiblissant l’autoritĂ© de l’Eglise, et en favorisant des conduites transgressives, a permis Ă  la sociĂ©tĂ© civile de renforcer son autonomie sur ce point comme sur beaucoup d’autres, tandis qu’à partir de 1815 le clergĂ© tente de restaurer son ancienne autoritĂ©. C’est la situation que va trouver Champagnat Ă  La Valla en 1816,

La lĂ©gislation sur les fĂȘtes baladoires et les cabarets
Dans ses mĂ©moires sur La Valla durant la RĂ©volution et l’Empire, J.C. Barge fait plusieurs fois allusion Ă  la jeunesse et Ă  la danse lors de « fĂȘtes baladoires Â» ou « vogues Â» (mot rĂ©gional) qui sont les moyens par lesquels la communautĂ© villageoise soude son identitĂ© et Ă©ventuellement se dĂ©fend contre un agresseur. Au temps oĂč Barge Ă©crit, la lĂ©gislation d’ancien-rĂ©gime s’applique toujours. Son fondement est un arrĂȘt du parlement de Paris  en 1779 contre « les fĂȘtes baladoires, les attroupements et assemblĂ©es illicites dans les paroisses [
] autour de Paris Â». Le document constate :
« que lors des mariages & baptĂȘmes [
] des habitants s’assemblent tumultueusement, armĂ©s de fusils & de pistolets, ont des fusĂ©es & des pĂ©tards, & allument des feux dans diffĂ©rens endroits des paroisses ; que vers les jours gras les garçons des paroisses vont trouver les filles dans les endroits oĂč elles sont assemblĂ©es, avec des tambours, fifres & cornets2, parcourant pendant la nuit tous les quartiers de leurs villages en menant avec eux les filles masquĂ©es et dĂ©guisĂ©es [
] ; que les habitants [
] s’assemblent dans un cabaret oĂč ils Ă©crivent & composent des libelles diffamatoires qu’ils font distribuer Â»â€Š
Donc, les cabarets ne devront pas ouvrir durant les offices et fermer à huit heures du soir en hiver et à dix heures en été sous peine de lourdes amendes. Ces réglements du parlement de Paris, seront étendus à toute la France et, bien sûr, plus ou moins respectés3.
Bien que, dans ses mĂ©moires sur La Valla, J.L. Barge considĂšre les mots « fĂȘte baladoire Â» et « vogue Â» comme Ă©quivalents, leur origine est trĂšs diffĂ©rente. La vogue, dans la France du sud4, c’est la fĂȘte patronale avec grand’messe et procession. Mais les grandes fĂȘtes liturgiques (Ascension, PentecĂŽte
) et tant d’autres fĂȘtes qu’offre le calendrier chrĂ©tien sont en mĂȘme temps des occasions de faire des affaires, boire et danser. Durant le carnaval, et de PĂąques Ă  l’automne, des dizaines de fĂȘtes patronales ont lieu dans des villages que les « fĂȘtards Â» d’alentour peuvent joindre Ă  pied5. CurĂ©s et maires s’emploient Ă  prĂ©server, l’un l’ordre moral, l’autre l’ordre public. Mais la vraie fĂȘte baladoire est d’initiative privĂ©e et souvent liĂ©e aux cabarets. A la campagne les granges ne manquent pas pour permettre des bals clandestins.

IdentitĂ© communale et fĂȘte baladoire Ă  La Valla sous la RĂ©volution
J.C. Barge nous montre  dans ses mĂ©moires que la fĂȘte est aussi un des grands moyens de dĂ©fense locale contre l’agression des autoritĂ©s. C’est ainsi que la paroisse (XXVIII- Les cloches) dĂ©fend ses cloches, que la dictature jacobine veut faire enlever par trois maçons durant l’hiver 1793-94. Deux d’entre eux, le vin aidant, sont vite convaincus de ne pas se presser. Le troisiĂšme Ă©tant plus difficile Ă  convaincre, « nous fĂźmes venir des filles, avec Girodet le joueur de violon, les priant de seconder nos vues et nos entreprises. La danse et la bouteille firent l’effet que nous nous Ă©tions proposĂ©. Â»
Finalement un accord est conclu : les gens de La Valla promettent de descendre eux-mĂȘmes leurs cloches. Et, « Nous eĂ»mes soin le lendemain matin de les remettre (les maçons) en les mĂȘmes dispositions de la veille. Ils partirent pour Tarantaise. Nous les accompagnĂąmes jusqu’à la Combette (un hameau) avec les violons et la bouteille. Cette scĂšne finie nous ne songeĂąmes qu’au moyen de sauver nos cloches. Â»
Nous avons lĂ  les ingrĂ©dients de la « fĂȘte baladoire Â» : le cabaret, le vin, la danse et mĂȘme une sorte de procession laĂŻque. Le scĂ©nario sera un peu diffĂ©rent un peu plus tard (XXXV- La dĂ©cadi et le dimanche) lorsque les rĂ©volutionnaires voudront empĂȘcher la fĂȘte baladoire. de se tenir un dimanche ! J.C. Barge rĂ©ussit Ă  enivrer un membre de l’expĂ©dition « et le fit danser le premier Â».« La jeunesse Ă  ce signal dansĂšrent (sic) tous. Les confrĂšres, de dĂ©pit attachĂšrent leur collĂšgue rĂ©fractaire et s’en furent le mettre en prison Ă  Saint-Chamond. Â».
En 1800 la mĂȘme fĂȘte se terminera mal : les gendarmes6 tuent un homme rentrant de la vogue et dispersent la fĂȘte. Mais le but de s’emparer des rĂ©fractaires au service militaire tourne court : « Ils poursuivirent quelques jeunes gens [
]. Se voyant pris, ils firent volte-face et Ă  coups de pierre, Ă©tant sur la hauteur, ils obligĂšrent la troupe Ă  rentrer dans le village. Â»
Le rĂ©tablissement du culte  (XLV- Le culte en novembre 1800) est l’occasion d’une fĂȘte Ă  la fois civique et religieuse le 15 novembre 1801 avec messe et Te Deum : Tissot, le nouveau maire, [
] fait « tirer des boĂźtes Â» (feux d’artifice et pĂ©tards) Ă  la chapelle de l’Etrat « oĂč tout le peuple, et surtout la jeunesse, Ă©tait rĂ©uni. Â» Barge ne le dit pas, mais la fĂȘte se termine certainement par un bal.

Le curĂ© Rebod, la fĂȘte baladoire et le pouvoir politique
Avec la Seconde Restauration, en 1815, l’atmosphĂšre est tout autre car le curĂ© Rebod, profitant de circonstances politiques favorables, exige des autoritĂ©s l’application de la lĂ©gislation sur les cabarets et les fĂȘtes baladoires. D’aprĂšs Barge, il « ne souffrait point de contradiction, Ă©tant avide de biens et d’honneurs [
] se prĂ©valant sans cesse de son autoritĂ©, [sur] son clerc7 et les sonneurs de cloches Â». D’oĂč la fĂȘte baladoire organisĂ©e en rĂ©ponse Ă  son autoritarisme.
« Quelque temps aprĂšs, il y eut une vogue chez Jean Cluzel, cabaretier. Ledit curĂ© et son vicaire me chargĂšrent de dissiper ce rassemblement en l’absence du maire. Ce que je fis sur les huit heures du soir8. Mais je dis au joueur de vielle9 de se rendre chez la veuve Matricon10 oĂč Ă©taient le sieur Vincent notaire, Matricon des Saignes, le maire, et autres et oĂč se rendirent plusieurs garçons de ladite vogue avec des filles et femmes sachant bien danser. Nous fermĂąmes les portes au verrou et dansĂąmes, tout Ă  notre aise, une partie de la nuit. Les espions de la cure ne manquĂšrent pas d’en faire leur rapport le lendemain et le CurĂ© de courir Ă  Saint-Etienne  auprĂšs du Sous-prĂ©fet qui m’en parla Ă  mon premier voyage disant : « Ce n’est pas le maire qui gouverne Ă  La Valla11 Â». –
L’ambitieux curĂ© s’est heurtĂ© Ă  l’alliance des autoritĂ©s civiles et de la jeunesse de la commune qui font la fĂȘte dans une maison privĂ©e. Comme la loi a Ă©tĂ© respectĂ©e, le curĂ© ne pourra faire intervenir les autoritĂ©s dĂ©partementales en sa faveur et son autoritĂ© a dĂ» en ĂȘtre sĂ©rieusement et durablement atteinte. On est alors quelques mois avant la venue de Marcellin Champagnat, qui ne plaisantera pas non plus sur le chapitre de la danse, mais avec plus de doigtĂ© semble-t-il.
Nous pouvons d’ailleurs nous demander si cette affaire n’est pas la cause de sa venue Ă  La Valla car le vicaire Artaud est dĂ©placĂ©. Il se peut que les vicaires gĂ©nĂ©raux de Fesch12, mis au courant du conflit, aient partiellement donnĂ© raison aux paroisssiens en sacrifiant le vicaire. En tout cas, son remplaçant a une tĂąche dĂ©licate : Ă©viter d’affaiblir encore l’autoritĂ© du curĂ©, et rĂ©tablir l’unitĂ© tout en exerçant son ministĂšre avec zĂšle. La Vie de Champagnat nous dit que Rebod n’était pas aimĂ© des paroissiens et avait « un dĂ©faut de langue Â», qui pourrait bien n’ĂȘtre qu’une fĂącheuse tendance Ă  agresser verbalement ses interlocuteurs13 et Ă  tenter de dominer la commune. La querelle ne va pas s’arrĂȘter lĂ , puisque le conseil de Mgr.de Pins, en 1824 (OM1/103), parlera de pĂ©titions successives contre Rebod au point que, finalement, celui-ci devra dĂ©missionner peu de temps avant de mourir.

L’abbĂ© Champagnat et les bals clandestins
M. Champagnat est nĂ© en mĂȘme temps que la RĂ©volution Française et, tout enfant, il a vu se dĂ©rouler les cortĂšges des fĂȘtes rĂ©volutionnaires auxquelles son pĂšre a d’ailleurs beaucoup participĂ©, tandis que l’Eglise Ă©tait condamnĂ©e Ă  la clandestinitĂ©. Il  a certainement participĂ© aux vogues de Marlhes et des environs (Jonzieux) avant de devenir sĂ©minariste, mĂȘme si son biographe nous dit que lui et ses frĂšres menaient une vie retirĂ©e. Durant ses annĂ©es de petit sĂ©minaire (1805-1813) nous savons qu’il a un certain temps menĂ© la vie d’un joyeux collĂ©gien avant de prendre finalement la rĂ©solution de ne pas frĂ©quenter les cabarets et d’enseigner le catĂ©chisme. Le Chapitre 3 de sa Vie nous rappelle qu’étant grand sĂ©minariste en vacances Ă  Marlhes (1813-1816) il y a dĂ©jĂ  acquis le comportement d’un clerc zĂ©lĂ© :
« Ce n’Ă©tait pas seulement les enfants qui le craignaient, les jeunes gens aussi se composaient en sa prĂ©sence, se montraient modestes et retenus dans leurs paroles et dans toute leur conduite. Un jour qu’on le savait absent, ils se rĂ©unirent dans une grange pour danser; mais, pour n’ĂȘtre pas aperçus, ils fermĂšrent soigneusement la porte. L’abbĂ© Champagnat Ă©tant rentrĂ© chez lui plus tĂŽt qu’on ne s’y attendait, et apprenant ce qui se passait, se rend tout de suite Ă  la ferme oĂč Ă©tait organisĂ©e la danse; il monte Ă  la grange et dit brusquement en entrant: «Ha! c’est beau cela pour des chrĂ©tiens; je vais voir si vous savez aussi bien votre catĂ©chisme que vous savez danser». En un clin d’Ɠil, toute la troupe disparut, passant les uns par la porte, les autres se cachant dans le foin, ou sautant par la fenĂȘtre. Il ne resta qu’une vieille domestique qui se mit Ă  fermer la grange, et Ă  laquelle il adressa une sĂ©vĂšre rĂ©primande Â».
Cette hjstoire met bien en Ă©vidence la distance entre la jeunesse et le monde ecclĂ©siastique. MĂȘme respectueuse, celle-ci n’entend pas suivre les conseils du clergĂ© en matiĂšre de morale. Et les bals clandestins dans telle ou telle ferme ne peuvent avoir lieu sans la complicitĂ© tacite des maĂźtres des lieux qui se gardent bien de paraĂźtre car il s’agit d’une fĂȘte clandestine, donc illĂ©gale14. Et puis, les danseurs s’enfuient ou se cachent, pour Ă©viter de faire jaser sur leur conduite, surtout les filles. Nous trouvons des scĂ©narios semblables lorsque le F. Jean-Baptiste nous compte, au chapitre 5 de la Vie, les exploits apostoliques du vicaire de La Valla :
«  Un moyen trĂšs efficace que lui inspira son zĂšle pour faire cesser les rĂ©unions dangereuses et les danses15 qui avaient lieu Ă  certaines Ă©poques de l’annĂ©e, dans la plupart des hameaux, fut d’y aller faire le catĂ©chisme le jour mĂȘme oĂč l’on avait l’habitude de tenir ces assemblĂ©es. Quand il savait (il avait des personnes chargĂ©es de l’en informer) qu’il devait y avoir une rĂ©union, il annonçait en chaire qu’Ă  tel jour, il irait faire le catĂ©chisme dans tel hameau ; cette annonce suffisait ordinairement pour empĂȘcher la rĂ©union, car il Ă©tait extrĂȘmement craint et respectĂ©. Â»
Mais l’autoritĂ© de Champagnat n’a dĂ» s’établir que peu Ă  peu et le rĂ©seau de renseignement a des failles, ou bien il y a fort Ă  faire Ă  certains moments de l’annĂ©e :
« Il avait appris, en revenant de l’Ă©glise, qu’il devait y avoir des danses dans plusieurs hameaux: car on Ă©tait dans le temps du carnaval. Dans le premier hameau, il surprit, en effet, une rĂ©union trĂšs nombreuse. Les chants, les danses, tout Ă©tait en train. Â».
Sa prĂ©sence silencieuse dĂ©clenche une fuite gĂ©nĂ©rale. « Il alla ensuite dans plusieurs autres hameaux, dans l’un desquels il trouva encore une danse organisĂ©e, qui cessa comme la premiĂšre. Â». Une autre expĂ©dition a moins de succĂšs : le frĂšre qui l’accompagne fait une chute qui les retarde et « quand nous fĂ»mes prĂšs du hameau, quelques personnes qui nous entrevirent et les aboiements des chiens donnĂšrent l’Ă©veil Ă  la rĂ©union qui se dispersa Ă  l’instant. Â»
Le F. Jean-Baptiste nous assure mĂȘme que : « Il invectiva avec tant de force du haut de la chaire contre ces dĂ©sordres, et il fit tant de dĂ©marches, soit auprĂšs des jeunes gens, soit auprĂšs de leurs parents, qu’il vint Ă  bout de faire cesser entiĂšrement ces rĂ©unions nocturnes». Admettons ! Mais on peut se demander si la jeunesse de La Valla n’était pas, comme celle de Marlhes, imbue Ă  son Ă©gard de crainte respectueuse plus que de spontanĂ©itĂ©, et que bien des danses ont eu lieu Ă  l’insu de Champagnat.
Quant Ă  l’ivrognerie, qui concerne davantage les adultes, Champagnat en aurait aussi triomphĂ© : « Les cabarets, qui souvent Ă©taient pleins pendant les nuits, avant qu’il fĂ»t Ă  Lavalla, devinrent dĂ©serts, et on n’osait mĂȘme plus y aller pour affaires durant le jour Â». Admettons cette affirmation en ce qui concerne les nuits. Mais on peut ĂȘtre certain que ces lieux de sociabilitĂ© masculine n’ont pas Ă©tĂ© dĂ©sertĂ©s durant le jour, mĂȘme si l’organisation intempestive de vogues par les cabaretiers a pu ĂȘtre quelque peu entravĂ©e.
Donc, entre Rebod et Champagnat il n’y a pas de divergence de fond Ă  propos de la danse. Mais, apparemment, la stratĂ©gie diffĂšre : le premier veut dominer les autoritĂ©s communales tandis que le second reste sur le terrain pastoral : c’est par la prĂ©dication et « la pĂ©dagogie de la prĂ©sence Â» qu’il combat. Nous en avons un exemple indirect lorsqu’une propriĂ©taire de grange oĂč l’on danse vient s’excuser auprĂšs de lui : il ne la menace pas de la justice ou de la loi mais se contente d’une semonce : « Et pour la premiĂšre fois vous avez Ă©tĂ© prise Â». (Vie, Ch. 5, p. 53) Ce qui signifie en langage clair : restons-en lĂ  mais n’y revenez pas.
Et d’ailleurs, la plupart des habitants de La Valla, au contact d’un vicaire capable d’intransigeance mais aussi de diplomatie, ont considĂ©rĂ© qu’il ne faisait que son devoir en corrigeant les mƓurs par les moyens qui Ă©taient les siens. Et puis, aprĂšs les nombreuses annĂ©es de troubles, on aspirait Ă  un retour Ă  l’ordre. On peut nĂ©anmoins penser que tout le monde, et sans doute une bonne partie de la jeunesse, n’a pas adhĂ©rĂ© Ă  cette pastorale assez rĂ©pressive16.

Un vicaire zélé mais aussi un fondateur de congrégation
Champagnat est donc trĂšs typique d’un clergĂ© qui considĂšre la fĂȘte (et en particulier la danse), avec suspicion. Mais, en tant que fondateur de congrĂ©gation il va au-delĂ  des simples considĂ©rations morales. La seconde partie de sa Vie commence par un chapitre condamnant la tristesse qui tue la piĂ©tĂ©, nourrit les tentations, divise les esprits et scandalise le prochain. Et il recommande « la sainte joie Â». C’est pourquoi, ajoute le F. Jean-Baptiste, il permettait aux FrĂšres « de jouer pendant les rĂ©crĂ©ations Â» et « lui-mĂȘme jouait quelquefois avec les FrĂšres mais [
] il Ă©tait toujours noble, toujours digne, toujours retenu, quoique toujours trĂšs gai et trĂšs aimable Â». Le F. Jean-Baptiste poursuit en nous racontant l’histoire du F. Sylvestre jouant avec sa brouette au grand dĂ©plaisir des frĂšres de sa communautĂ©, mais avec l’approbation du P. Champagnat. Le mĂȘme F. Sylvestre nous rappelle qu’à L’Hermitage jeunes et vieux (Sylvestre
 p. 305) jouaient aux boules, les perdants portant les sacs de boules Ă  la fin de la rĂ©crĂ©ation.
Mais le jeu n’est pas la fĂȘte. Et il doit se dĂ©rouler avec la modĂ©ration dont Champagnat donne l’exemple. DĂ©jĂ  Ă  La Valla, Champagnat, trouvant que les FrĂšres faisaient trop de bruits durant leurs rĂ©crĂ©ations, leur avait demandĂ© de se rĂ©crĂ©er comme des religieux (Vie, Ch. 6, p. 72). Pour lui ce n’est pas seulement une question formelle. Le F. Jean-Baptiste nous cite plusieurs des sentences primitives (Vie 1° partie, Ch. 10 p. 108) exaltant le bonheur de la vie religieuse et dĂ©nonçant la fĂȘte mondaine :
« Pourquoi les mondains sont-ils si bruyants dans leurs plaisirs et au milieu de leurs joies profanes ? Parce qu’ils ne peuvent Ă©touffer entiĂšrement les remords qui les poursuivent ; parce que leur bonheur n’est qu’apparent ; que leur cƓur est malheureux et ne trouve que de l’amertume dans les satisfactions sensuelles17. Â»
Ses disciples ne vont pas hĂ©siter Ă  l’imiter, comme Ă  St Sauveur-en-Rue en 1825  (Annales, 1825, § 8) :
«  Un jour les jeunes gens firent un feu de joie sur la place publique et se mirent Ă  danser avec quelques jeunes filles ou femmes. Les deux FrĂšres vinrent avec indignation pour faire cesser ce dĂ©sordre. Le F. Jean-Baptiste, tenant un crucifix Ă  la main, le jeta Ă  terre en disant aux danseurs de marcher dessus, s’ils l’osaient. Le F. Augustin appela les filles : “Torchons de cabaret”. Les danseurs se dispersĂšrent. Â»
Une affaire semblable aura lieu Ă  l’Hermitage-mĂȘme comme nous le raconte le F. Sylvestre18. Lors d’une rĂ©crĂ©ation, le F. François et lui-mĂȘme aperçoivent un grand feu dans l’allĂ©e des platanes au-dessus du jardin de L’Hermitage et « nous vĂźmes en mĂȘme temps des FrĂšres sauter ce feu et pousser des cris de joie, comme le font les mandarins19 dans leurs fĂȘtes balladoires [
] Quelques Ă©tourdis s’étaient mis dans l’idĂ©e de faire le carnaval en imitant les gens du pays Â»â€ŠLe F. François fait cesser cette fĂȘte improvisĂ©e. Le lendemain le P. Champagnat renvoie le principal responsable et semonce les autres coupables. Le F. Sylvestre approuve : cette rĂ©jouissance rappelait par trop « les fĂȘtes ignobles du monde paĂŻen Â»â€Š
Mais si toute fĂȘte profane, mĂȘme consacrĂ©e par la tradition, est aussitĂŽt considĂ©rĂ©e comme paĂŻenne, c’est demander beaucoup, mĂȘme Ă  des religieux, de ne vivre la fĂȘte qu’au sein des pratiques liturgiques du calendrier chrĂ©tien et dans des rĂ©crĂ©ations oĂč le jeu de boules permet un dĂ©lassement compatible avec la gravitĂ© religieuse. Sur le thĂšme de la fĂȘte, M. Champagnat est un rigoriste modĂ©rĂ© ; mais un rigoriste quand mĂȘme.

Une attitude paradoxale envers la jeunesse
Ce rigorisme est d’autant plus Ă©trange que c’est en comptant sur la jeunesse que Champagnat veut bĂątir son projet Ă©ducatif. Et cette apparente contradiction, qui cause en partie ses difficultĂ©s de recrutement, mĂ©rite un essai de clarification.
Dans le chapitre 13 de sa Vie (2° partie p. 422) on nous conte qu’obligĂ© d’entrer dans une auberge avec un autre ecclĂ©siastique, il s’adresse vivement Ă  « une troupe de jeunes libertins Â» qui se permettent en leur prĂ©sence « les discours les plus licencieux Â», les priant de se taire ou de sortir20. Mais dans le chapitre 20 (p. 504) : « un jour, passant Ă  cĂŽtĂ© d’une troupe d’ouvriers, tous jeunes gens d’une vingtaine d’annĂ©es’ Â» il s’écrie : « Oh, quels bons novices ils feraient s’ils venaient chez nous ![
] Quel dommage qu’ils soient pour le monde ! [
] Le bonheur de la vie religieuse me paraĂźt si grand [
] que je rencontre rarement des jeunes gens sans [
] demander Ă  Dieu qu’il les appelle Ă  cette belle vocation ».
C’est qu’au fond, Champagnat est imbu de l’esprit des missionnaires d’une nouvelle chrĂ©tientĂ© qui font reposer le christianisme sur la conversion de chacun, plus que sur le culte. La RĂ©volution a d’ailleurs montrĂ© combien Ă©tait fragile un consensus religieux lorsqu’il n’était pas fortement ancrĂ© dans les consciences. Dans la chrĂ©tientĂ© post-rĂ©volutionnaire il n’y a pas place pour des attitudes et des pratiques jugĂ©es paĂŻennes ou au moins entachĂ©es de paganisme. Par ailleurs, Ă  qui d’autre qu’à des jeunes s’adresser pour bĂątir ce christianisme nouveau ? Les adultes sont dĂ©jĂ  installĂ©s dans la vie et trop marquĂ©s par un passĂ© discutable. Champagnat fait donc le pari qu’il trouvera des disciples parmi les jeunes. Et son optimisme est Ă©quilibrĂ© par un grand rĂ©alisme : il ne veut pas de jeunes gens qui transigent avec le monde ; et les aspirants qu’il admet doivent faire la preuve qu’ils sont prĂȘts Ă  entrer dans le combat spirituel ou s’en aller. Son intransigeance est moins due Ă  la tradition rigoriste du clergĂ© qu’à son dĂ©sir de constituer, dans la mesure de ses moyens et grĂące Ă  des jeunes, l’aile marchante d’une Eglise renouvelĂ©e.
Mais une telle dĂ©marche n’est pas exempte d’ambigĂŒitĂ© et d’utopie et, en voulant sĂ©parer fortement un profane trop rapidement jugĂ© paĂŻen, d’un religieux  volontiers austĂšre, ne risque-t-on pas de les opposer et de finalement aboutir Ă  une dĂ©saffection plutĂŽt qu’à une rechristianisation ? C’est le problĂšme que devra affronter l’institut aprĂšs Champagnat, et dont le F. Avit nous donne un aperçu dans ses Annales des maisons rĂ©digĂ©es vers 1880-90.

Le F. Avit et les fĂȘtes baladoires
Celui-ci Ă©voque les fameuses fĂȘtes dans vingt-sept cas, liant largement celles-ci au courant de sĂ©cularisation et de politisation de la sociĂ©tĂ©. NĂ©anmoins il sait faire des distinctions.
Dans la province d’Aubenas les gens de Berrias oĂč les 2/3 des hommes et les 3/4 des femmes remplissent le devoir pascal, « il y a une fĂȘte baladoire et quelques danses dans les hameaux, mais sans grands dĂ©sordres. NĂ©anmoins, la religion ne va pas en gagnant, depuis que la rĂ©publique l’Ă©treint21. Â». Il est plus sĂ©vĂšre avec le peuple de Joyeuse qui porte bien son nom car il est « amateur des plaisirs, des bals et des fĂȘtes baladoires. Les mĂ©nĂ©triers et les saltimbanques sont assez nombreux ici. Par contre, les offices sont peu frĂ©quentĂ©s, les vĂȘpres surtout, exceptĂ© aux trois ou quatre grandes fĂȘtes de l’annĂ©e. Â» Il fait l’éloge du Cheylard oĂč « les danses, les fĂȘtes balladoires sont encore inconnues ici, ce qui est rare dans le Midi. Â»
Dans la province de N.D. de L’Hermitage, Ă  St Pierre de BƓuf, au bord du RhĂŽne, les gens qui vivent du trafic sur le fleuve « ne sont ni irrĂ©ligieux, ni bien chauds pour la religion. [ â€Š] Ils sont plus en train lorsqu’il s’agit de jouissances matĂ©rielles, de fĂȘtes balladoires, soit chez eux, soit chez les voisins. Â». Il en est de mĂȘme aux Roches de Condrieu, commune du bord du RhĂŽne peuplĂ©e de mariniers, oĂč « Les jeunes gens disparaissent en sortant de l’Ă©cole et ne reparaissent plus qu’Ă  l’occasion de la fĂȘte balladoire qui se fait pompeusement pendant 3 jours ; les Rochois [
] pensent n’ĂȘtre nĂ©s que pour sauter, chanter, boire et manger. Â»
Le scĂ©nario est semblable au Bois d’Oingt, au nord de Lyon : « Les jubilĂ©s et les missions passent sur ce peuple comme l’eau sur le plumage d’un canard. En revanche, il est grand amateur de plaisirs et de fĂȘtes balladoires. Il y a cinq ou six vogues par an. Â». Sur L’Arbresle, petite ville Ă  l’ouest de Lyon, le F. Avit, visiteur, a un souvenir prĂ©cis : « La fĂȘte balladoire (au carnaval ?) nous retint ici pendant 3 jours ; les classes Ă©taient dĂ©sertes. Les Brelois ont toujours Ă©tĂ© amateurs de ces sortes de fĂȘtes, riches pour les cĂ©lĂ©brer, et les dĂ©sordres n’y ont jamais manquĂ©. Â»
MĂȘme s’il a souvent tendance Ă  associer catholicisme tiĂšde et fĂȘte profane, le .F Avit reste assez indulgent, et fait mĂȘme preuve de diplomatie, comme Ă  Digoin oĂč il est directeur de pensionnat vers 1855,: « Lors de la fĂȘte balladoire, pour rĂ©compenser les Ă©lĂšves, nous les menĂąmes sur les chevaux de bois, le 3e jour, alors qu’il ne restait personne ; les professeurs surveillaient. Â». Le curĂ©, un « bon vieillard Â», trouve cependant cela immoral, mais le F. Avit a rĂ©ponse Ă  tout : 
« Alors que pensez-vous de M. Lapalus, votre vicaire, qui, le jour mĂȘme de la vogue, y a fait monter toutes les filles de sa CongrĂ©gation ? Étaient-elles plus morales que nos enfants, avec leurs vastes crinolines, sur ces chevaux22 ? Le bon curĂ© qui ignorait ce fait en fut abasourdi. Il se retira en disant : Si les prĂȘtres et les religieux font ces choses-lĂ , il ne faut pas s’Ă©tonner que la RĂ©volution vienne. Â»
Nous avons lĂ  un bon exemple de divergence entre un clergĂ© ancien trĂšs rigoriste sur la fĂȘte (il n’est pourtant pas question de danse ici) et un clergĂ© –mais aussi des Ă©ducateurs – du milieu du siĂšcle enclins Ă  plus de souplesse. Mais le jugement du F. Avit est beaucoup plus sĂ©vĂšre lorsque la fĂȘte perd tout caractĂšre religieux et se politise. Ainsi, dans la province du Bourbonnais la population de la ville industrielle de Montceau-les-Mines :
« Cette population d’ouvriers venue de tous les pays du monde, gĂątĂ©s par les sociĂ©tĂ©s secrĂštes23et les mauvais journaux qui abondent ici, ruinĂ©s par les charlatans et les saltimbanques, les comĂ©diens, les marchands de bric-Ă -brac qui pullulent de toutes parts, trouvent pourtant encore de l’argent pour la multitude des fĂȘtes balladoires Ă©tablies de tous cĂŽtĂ©s Ă  Montceau, Ă  Blanzy et Ă  St Vallier. Â»
MĂȘme Ă  Jonzieux, paroisse voisine de Marlhes, la vogue devient un enjeu politique.  : « L’Ă©glise paroissiale possĂšde une partie considĂ©rable de la vraie croix. Cette prĂ©cieuse relique attirait autrefois un grand nombre de pĂšlerins le 3 mai et le 14 septembre. Les rĂ©publicains ayant eu un triomphe relatif en 188124, voulurent transformer ce pĂšlerinage en fĂȘte baladoire.». Aussi « M. le curĂ© Manin consulta le F. AgĂ©ricus et ils rĂ©solurent ensemble de fermer l’Ă©glise aprĂšs la premiĂšre messe. Cette mesure a considĂ©rablement diminuĂ© le pĂšlerinage ; mais la fĂȘte baladoire a cessé». C’est un bel exemple de pastorale accordant prioritĂ© Ă  la sĂ©paration entre le profane et le religieux mĂȘme si celui-ci doit en ĂȘtre affectĂ©. Et dĂ©sormais la politique se substitue Ă  la morale comme Ă©lĂ©ment discriminant.

SociĂ©tĂ© de jeunesse, fĂȘte baladoire et contestation politico-religieuse
La politisation de la fĂȘte peut ĂȘtre d’ailleurs fort ancienne car parfois les vogues sont organisĂ©es par de vĂ©ritables sociĂ©tĂ©s de jeunes gens25 contestant autoritĂ©s civiles et religieuses. Nous en trouvons deux exemples dans les annales. Le plus caractĂ©ristique est dans la province de St Paul, Ă  Bargemont, commune rurale de 1650 habitants, situĂ©e au pied des Basses Alpes oĂč nos FrĂšres arrivent en 1846. Le F. Avit affirme que « dans une fĂȘte balladoire, plusieurs jeunes gens s’avisĂšrent en plein jour, de parcourir les rues, nus comme des vers, et la foule, dans laquelle se trouvaient beaucoup de jeunes filles, riaient et acclamaient ces sales descendants d’Adam26. IndignĂ© de ces turpitudes, un des juges de Draguignan se trouvant lĂ  par hasard, voulut y mettre ordre. Il trouva M. le curĂ© barricadĂ© dans sa cure, dont les volets Ă©taient fermĂ©s. M. le maire prĂ©tendit qu’il n’y pouvait rien. Le juge fit arrĂȘter les coupables, les fit conduire Ă  Draguignan, oĂč ils furent condamnĂ©s Ă  un mois de prison. Â»
Le F. Avit lui-mĂȘme nous raconte qu’en 1845, Ă  BougĂ©-Chambalud, en DauphinĂ© il a fait Ă©chouer, au grand soulagement du maire et du curĂ©27, une tentative de jeunes gens dirigĂ©s « par un avocat de village Â» On est alors Ă  la fin d’une Monarchie de Juillet devenue conservatrice, et au dĂ©but d’une agitation libĂ©rale qui emportera le rĂ©gime trois ans plus tard.

FĂȘte baladoire et fĂȘte scolaire
La fĂȘte baladoire tend donc Ă  se sĂ©culariser et Ă  se politiser mais, avec la gĂ©nĂ©ralisation des Ă©coles, se multiplient les remises de prix et fĂȘtes de fin d’annĂ©e que les supĂ©rieurs considĂšrent avec suspicion. Et c’est le maire de Saint Paul-en-Jarret, tout prĂšs de L’Hermitage, qui, en 1867, proteste au nom de l’ordre public contre la suppression de la fĂȘte de fin d’annĂ©e oĂč les Ă©lĂšves jouaient une piĂšce de thĂ©Ăątre28 :
« Ce jour-lĂ  se trouve la fĂȘte baladoire de Rive-de-Gier29 et je trouve par lĂ  le moyen de garder dans notre village toute notre population et d’Ă©viter Ă  coup sĂ»r beaucoup de regrets, de malheurs, etc. etc. Â».
Bon grĂ© mal grĂ©, et en dĂ©pit de sa tradition rigoriste, l’institut doit intĂ©grer la fĂȘte profane Ă  l’éducation qu’il donne. Mais c’est un sujet en soi que je ne fais qu’esquisser ici.

Utopie de nouvelle chrétienté et rigorisme
Quoique Champagnat, jeune prĂȘtre de la Restauration, ait eu une attitude rigoriste envers la fĂȘte profane, on ne cite jamais une opposition de sa part Ă  la vogue, mĂ©lange de fĂȘte religieuse et de rĂ©jouissance profane. Ce qu’il combat, c’est la fĂȘte sans autoritĂ© responsable, oĂč la jeunesse est livrĂ©e Ă  elle-mĂȘme, la nuit, dans les lieux retirĂ©s. Et, quand il recommande Ă  ses frĂšres la vigilance la plus exacte sur les enfants il transpose Ă  l’école son idĂ©al de pasteur responsable d’un peuple en danger de se perdre s’il n’est pas surveillĂ© et fermement guidĂ©.
Son apostolat, comme celui de tout pasteur zĂ©lĂ©, repose sur trois axes : catĂ©chiser les enfants ; rechristianiser les mƓurs des jeunes et des adultes ; assister les malades et les mourants. Et s’il fonde des FrĂšres catĂ©chistes c’est pour qu’une bonne Ă©ducation premiĂšre, terminĂ©e par une premiĂšre communion fervente, fortifie la jeunesse contre les passions qui l’assiĂ©geront et l’incrĂ©dulitĂ© qui la tentera. Au fond son utopie est de rendre inutile la lutte contre les bals parce que la jeunesse Ă©duquĂ©e saura se conduire chrĂ©tiennement et que les autoritĂ©s civiles et les parents seront vigilants. C’est l’idĂ©al du bon chrĂ©tien et du vertueux citoyen.
Quoique cette formule distingue et associe clairement le spirituel et le temporel, sa pratique s’est rĂ©vĂ©lĂ©e difficile Ă  incarner, notamment Ă  propos de la fĂȘte, peut-ĂȘtre parce que l’utopie qui la sous-tendait Ă©tait mal dĂ©gagĂ©e de sa matrice augustinienne et rigoriste : la fĂȘte profane Ă©tait occasion de pĂ©chĂ© et toute autre considĂ©ration pesait peu face Ă  l’impĂ©ratif d’éviter ce mal30. Par ailleurs la sociĂ©tĂ©, surtout du cĂŽtĂ© des hommes, soupçonnait l’Eglise, non sans quelques raisons, de vouloir la transformer en une immense congrĂ©gation Ă  direction clĂ©ricale. Et la fĂȘte Ă©tait pour elle l’occasion d’affirmer son autonomie en dĂ©pit des thĂ©ologiens, des pasteurs, du pouvoir politique et mĂȘme des Ă©ducateurs qui, quoique laĂŻcs, pouvaient apparaĂźtre comme les auxiliaires des autoritĂ©s religieuses et civiles.

F. A. Lanfrey, novembre 2017

1 En français l’expression « faire la foire Â» signifie se dĂ©baucher.

2 Trompettes et instruments Ă  vent.

3 Dans son roman La Rabouilleuse, HonorĂ© de Balzac nous dĂ©crit encore les exploits d’une sociĂ©tĂ© d’anciens militaires de l’Empire qui, vers 1830, passent leur temps Ă  boire, se quereller et jouer de mauvais tours aux habitants.

4 Dans le Nord c’est la « ducasse Â», dĂ©formation du mot « dĂ©dicace Â».

5 D’oĂč le verbe « se balader Â» c’est-Ă -dire : aller d’un bal Ă  l’autre.

6 De St. Chamond. Ils veulent arrĂȘter les rĂ©fractaires au service militaire venus Ă  la fĂȘte.

7 Sacristain et peut-ĂȘtre chantre.

8 C’est l’heure de fermeture lĂ©gale en hiver.

9 – « vielle Â» : instrument de musique Ă  cordes. Sur la copie du manuscrit ce mot est Ă©crit : Â« vieille Â»

10 – Veuve Matricon est suivie de : « des Saignes Â» qui est barrĂ©.dĂ©missionner

11 Propos ambigu mais qui semble désapprouver le zÚle intempestif de Rebod.

12 Ils gouvernent le diocĂšse, le cardinal Ă©tant en exil Ă  Rome.

13 Champagnat lui-mĂȘme n’a pas Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© : la Vie donne deux exemples d’incivilitĂ© publique de Rebod Ă  son Ă©gard. Au maire qui conseille la modĂ©ration sur le sujet de la danse Rebod rĂ©torque : « Je n’ai pas besoin de vous ni de vos conseils Â» (Barge).

14 Le droit de rĂ©union n’existe pas. Toute assemblĂ©e de plus de 20 personnes tombe sous le coup de la loi.

15 Le clergĂ© n’Ă©tait alors pas seul Ă  s’opposer Ă  la valse. Le 8 juillet 1807, le Journal de Paris Ă©crivait: «Il y a longtemps que les Ă©poux, les mĂšres et tous les gens raisonnables crient contre la valse. J.-J. Rousseau avait dit qu’il ne permettrait jamais, ni Ă  sa fille, ni Ă  sa femme, de valser. Aucune danse, en effet, n’est plus propre Ă  tourner la tĂȘte aux femmes, et Ă  porter le feu dans tous leurs sens». Le PĂšre Champagnat partageait Ă©videmment les opinions de son temps. partit en guerre contre les danses Ă  La Valla. (Cf. P. Zind, Sur les traces de M. Champagnat, Vol. 1, p. 59).

16 La littĂ©rature sur ce sujet est immense. Voir la synthĂšse de Ralph Gibson « Le catholicisme et les femmes en France au XIX° siĂšcle Â» dans Revue d’Histoire de le Eglise de France, Tome LXXIX, n° 202, janvier-juin 1993, p. 63-93. Le titre est un peu rĂ©ducteur car l’auteur y parle aussi des relations entre les hommes et le clergĂ©.

17 Voir F. Sylvestre, Rome, 1992, p. 305 qui donne une version un peu différente de cette doctrine.

18 F. Sylvestre raconte Marcellin Champagnat, Rome, 1992, p. 302-303.

19 En fait cette coutume a lieu le 24 juin pour la Saint Jean. Je F. Sylvestre croit qu’elle a eu lieu au moment du carnaval. Il utilise le mot « mandarin Â» pour insister sur son caractĂšre paĂŻen.

20 Ce comportement a tout l’air d’ĂȘtre une provocation envers Champagnat et son compagnon.

21 AprĂšs 1880.

22 Elles s’exposaient à montrer leurs jambes.

23 En fait le socialisme, le syndicalisme et l’anarchisme.

24 Aux élections législatives.

25 Parfois nommĂ©es « â€˜abbayes de jeunesse Â» parce qu’elles nomment Ă  leur tĂȘte un « abbĂ© Â» et une « abbesse Â».

26 Le F. Avit exagĂšre sans doute. Le terme « nu Â» peut signifier simplement qu’ils sont vĂȘtus de façon indĂ©cente.

27 Il a fait placarder par ses Ă©lĂšves des affiches annonçant faussement que la fĂȘte Ă©tait reportĂ©e.

28 Le F. François a Ă©tĂ© particuliĂšrement opposĂ© Ă  ces fĂȘtes scolaires. Il faudrait une Ă©tude d’ensemble sur l’attitude des supĂ©rieurs Ă  ce sujet.

29 La ville toute proche.

30 L’horreur du pĂ©chĂ© est un des thĂšmes majeurs de l’enseignement de Champagnat.

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