Circulaires 367

Basilio Rueda

1968-01-02

1ière PARTIE
Introduction
Première session
A) INFORMATIONS .. I. PHASES DE LA 1ière SESSION. a) Rencontre et retraite. b) Commissions. Règlement. Date des élections. c) Elections. d) Feuilles roses
II. COURANTS ET ATTITUDES CAPITULAIRES. a) Tradition-adaptation. b) Séparation-insertion. c) Centralisation-décentralisation. d) Structures-liberté. e) Opinions diverses sur le but spécifique. f) Sacerdoce. g) Les deux-tiers
III. RESULTATS DE LA 1ière SESSION. a) Aptitudes à acquérir. b) Méthode de travail. c) Travaux achevés ou en voie de l'être. d) Feuilles roses .
B) ESSAI DE CRITIQUE. I. APPRECIATION GENERALE. II. MATERIEL PREEXISTANT
III. APPORT DES CAPITULANTS. a) Amitié virile. b) .Dialogue insuffisant. 1) Spiritualité-psychologisme. 2) Structures-liberté
IV. DOCUMENTS CAPITULAIRES. Elections.

367

V.J.M.J.

 Rome, le 2 janvier 1968.

Introduction

                    MES BIEN CHERS FRÈRES,

Avant d'aborder le sujet de cette circulaire, je voudrais adresser mes fraternelles et religieuses salutations à tous les membres de l'Institut. Merci pour le grand nombre de lettres et de télégrammes de félicitations reçus depuis le jour de mon élection, exprimant sentiments personnels ou collectifs. J'ai tâché de répondre à tous. Que ces lignes redisent ma gratitude à tous ceux qui ont déjà reçu une réponse, et puissent m'excuser auprès de ceux que j'aurais oubliés.

Que le bon Dieu bénisse vos vœux et vos souhaits et exauce les prières que vous faites ou que vous ferez pour votre serviteur, pour le Conseil Général et pour le Chapitre. Ces prières, Mes Bien Chers Frères, c'est pour l'Eglise que vous les faites, pour l'Institut qui est œuvre l'Eglise, et pour vous-mêmes enfin, ouvriers de cette œuvre. Les Capitulants, les membres du Conseil Général, et moi-même, nous ne sommes tous que des « chargés de fonctions » et nous devons nous oublier nous-mêmes pour nous consacrer à la simple fonction du « gouvernement-service » dans l'inlassable recherche du bien de l'Institut et de l'Eglise. C'est la seule attitude que nous devions prendre, la seule évangélique.

Comment d'ailleurs concevoir, autrement que comme un don de soi, une fonction que portent, à un tel niveau spirituel, les exemples émouvants de plusieurs de vos lettres ? On y parle de prières, de sacrifices de toute nature, de souffrances acceptées avec résignation, avec amour, pour ma personne et pour que la nouvelle Administration Générale et le Chapitre ne cherchent qu'à exprimer la volonté de Dieu.

Je me bornerai à deux cas plus bouleversants rencontrés au cours de mes deux premiers voyages en Espagne et en France : celui du Frère Cayo Tarilonte qui, brutalement assailli par un mal terrible, au cours même de la joie d'une visite de famille, a dû être amputé des deux jambes, à Madrid, au mois d'août dernier, et qui « offre ses douleurs physiques et morales pour l'Eglise, pour les âmes du purgatoire, pour la conversion des pécheurs », ne passant « pas un seul jour sans prier pour les Capitulants afin que notre Congrégation soit toujours plus riche en vertu, en travail et en humilité » ; celui aussi de notre grand malade de St-Genis-Laval, Frère Guicherd, qui, les yeux pleins de larmes, donnait, en me serrant les mains, son assentiment à mes suggestions et à mes demandes, ne pouvant prononcer un mot, dans l'état où le réduit un cancer au larynx. Il sait, ce cher confrère, qu'il n'y a pour lui que deux options : la souffrance silencieuse et cachée du grain qui accepte, avec le Christ, la chute en terre pour porter du fruit, ou la joie exaltante de celui en qui le Tout-Puissant fait de grandes choses, en d'autres termes, l'offrande de sa vie pour que grandisse en sainteté sa famille religieuse, ou l'éclatante guérison de son corps pour que soit ainsi manifestée la sainteté du Fondateur.

J'aurai une autre fois l'occasion d'adresser une circulaire particulière à nos frères qui, gravement malades ou même incurables, souffrent avec espérance ; d'évoquer la mort, ce grand et profond acte de foi et d'obéissance chrétiennes, envisagée dans la lumière du baptême et du mystère pascal ; de dire aussi le besoin que nous avons de croire au miracle, du rôle qu'il joue dans l'Eglise, la foi simple et persévérante que nous devons mettre à l'obtenir. Je voudrais que nos frères cloués à la croix trouvent dans ces quelques mots de gratitude les prémices du message que je leur réserve.

Puis-je maintenant vous parler de moi-même, Mes Bien Chers Frères, dans cette introduction, et évoquer les inquiétudes qui m'ont assailli le jour de mon élection ? Aux difficultés ordinaires que rencontre tout Supérieur nouvellement élu, conscient de la gravité de ses obligations et des qualités exigées par sa fonction, s'ajoutait la responsabilité plus aiguë, me semblait-il, d'un Chapitre de rénovation et d'adaptation. Car ce Chapitre, dont nous vivons actuellement la deuxième phase, l'Eglise veut expressément qu'il comporte, pour l'Institut, un examen de lui-même, de son être et de son agir, de ses membres et des lois qui les gouvernent. Ce Chapitre va donner des directives à tout l'Institut, même à ses Supérieurs qui devront gouverner dans la ligne qu'il aura tracée.

Que devait donc penser un élu qui au moment de son élection ne connaissait pas l'orientation qu'allait prendre la Société qu'il était appelé à diriger, qui même maintenant l'ignore encore en grande partie ?

Responsabilité confuse : telle était bien celle qui se présentait à moi. J'étais loin de connaître avec exactitude à quoi je m'engageais, la portée et les limites de mes obligations, les moyens réels pour m'en acquitter. Et même savais-je si le Chapitre obéirait vraiment au souffle de l'Esprit, chercherait dans ses décisions finales la voie étroite de l'Evangile ou celle de la facilité ?

En présence d'une route à prendre, en face des exigences de l'Evangile, du Concile, du monde d'aujourd'hui, de la conscience, il n'est pas simple de choisir entre oui et non. Dire oui, c'est avancer vers l'imprévu : motif sérieux d'inquiétude.

Autre chose l'obéissance enthousiaste et joyeuse aux ordres d'un supérieur responsable, et autre chose devenir responsable soi-même de tout l'Institut.

Les temps actuels nous offrent, il est vrai, de magnifiques possibilités pour le bien, pour l'ascension spirituelle mais aussi des ouvertures vers un révisionnisme décadent et décevant, si l'Esprit ne nous guide.

L'expérience est là pour dire que des institutions et des œuvres, des structures et des personnes actuellement naissent, se réforment, s'adaptent, épanouissent une authentique vitalité à la lumière du Concile ; et d'autres, hélas ! prétendant agir selon la même orientation s'appauvrissent et perdent leur équilibre.

Toujours est-il que, le moment venu, j'ai fait mon choix, j'ai accepté. Pas de façon improvisée, car une âme charitable m'avait averti que j'étais sur les rangs des candidats. J'avais donc dû prévoir et réfléchir plusieurs jours à l'avance. Et c'est après avoir quelque temps hésité intérieurement, beaucoup prié et médité que j'ai dit mon Fiat. Dieu est seul juge des intentions des hommes. Je me suis mis dans ses mains paternelles, lui demandant que le choix dont j'étais l'objet ne me rende pas victime de l'illusion de conduire un peuple, si je devais être inapte à guider dans des chemins nouveaux les âmes vraiment en quête d'une nourriture spirituelle authentique.

Comment pouvais-je dès lors, pour être trouvé fidèle, envisager les graves devoirs de ma charge ? Il m'a paru qu'ils prenaient les principaux aspects suivants :

–  manière de gouverner aussi universelle que possible, et non pas marquée par des habitudes et des mentalités de race ou de pays ;

– respect de la décentralisation qu'établira le Chapitre ;

–  gouvernement collégial conçu selon les méthodes de travail en équipe ;

–  recherche de motivations animatrices d'action enthousiaste ;

–  attitude de service et de dévouement ; sincérité et franchise ;

–  fidélité à Dieu, cherchant toujours sa vérité et sa volonté.

Cette volonté, cette vérité, je dois les aimer et les communiquer plutôt que celles des hommes, et accepter que cette préférence établisse parfois entre eux et moi séparation ou impopularité, exige des démarches qui font saigner le cœur.

L'Evangile m'apprend cependant que la vérité sait s'adapter aux situations et aux personnes, non par faiblesse mais par pédagogie surnaturelle. Je n'ai pas l'intention d'ailleurs, ni le droit, de dépasser en sincérité et en franchise les limites du secret professionnel. Plus d'une fois celui-ci m'obligera à me taire, même si mon silence doit être mal compris. Mais c'est ainsi ; c'est dans des attitudes adultes qu'un Supérieur doit servir ses frères.

Le besoin d'agir en équipe m'obligera en plus d'une occasion, et au Conseil Général et au Chapitre, après avoir exposé mon point de vue, de façon résolue et respectueuse, à communiquer des décisions qui ne représenteront pas ma façon de voir ou même lui seront contraires : telle est la condition de la recherche de la vérité dans un esprit de collégialité qui a ses limitations, mais où, en fin de compte, doivent prédominer les avantages.

Je souhaite et je demande au bon Dieu que mes désirs deviennent une heureuse réalité et que, pour mener à bien cette tâche délicate du gouvernement, Notre-Dame, Trône de la Sagesse, m'obtienne la vertu de prudence, vertu essentielle du Supérieur.

Vous me permettrez en terminant cette longue introduction, de vous faire, sur cette vertu de prudence, quelques réflexions doctrinales, d'autant plus nécessaires qu'elles donneront son sens au reste de la circulaire et situeront mon action par rapport à la vôtre.

Quand je parle de prudence, je parle de celle qui est une vertu positive, voire une technique de l'efficacité, du discernement et de l'emploi des moyens qui permettent d'atteindre une fin. Selon les critères qui déterminent une personne dans la poursuite des buts et le choix des moyens, il faut distinguer quatre sortes de prudences.

La première, tournée vers les biens que la Sainte Ecriture appelle la chair, se caractérise par une aptitude spéciale à obtenir plaisirs, richesses, honneurs. Lorsque cette recherche devient la fin d'une vie, toute l'activité de l'« enfant du siècle » est pervertie ; mais enfin reconnaissons qu'il est bien rare de trouver dans la vie religieuse, au moins de façon généralisée, cette prudence de la chair.

La prudence naturelle, elle, est une authentique vertu cardinale. Son champ d'action est la morale ; elle cherche toujours le bien honnête, individuel ou social, le bien digne de ce nom. Ceux qui la possèdent aiment l'authenticité, la loyauté, la droiture. Leur vie est efficace. Ils ont des aptitudes pour bien remplir leurs fonctions, pour gouverner ou conseiller. Sur le plan humain, il y a là une vraie bénédiction et, qui plus est, une pierre d'attente pour des biens et des vertus d'ordre supérieur.

Supérieure en effet est la vertu chrétienne de prudence. Elle s'ordonne à la réalisation du mystère du salut et elle oriente toute entreprise humaine, à la lumière du grand mystère de Jésus, selon le signe de sa révélation. Fruit de la foi et de la grâce, elle est absolument nécessaire pour la direction des œuvres de Dieu. Une institution, une œuvre, fondées en vue du mystère chrétien, une société surgie sous l'élan charismatique du Saint-Esprit seraient en sérieux danger, si elles étaient gouvernées par des hommes de la deuxième prudence. Celle-ci n'est que le vestibule, qui, s'il n'est pas dépassé, maintient l’œuvre à un niveau strictement humain et lui interdit de se hisser au plan évangélique.

Mais l'Esprit-Saint peut par contre apporter à la prudence chrétienne une réalisation en plénitude ; c'est le don de Conseil, la prudence des saints. Là, nous sommes à un plan tellement supérieur à la simple prudence chrétienne que les hommes ne comprennent plus. Même les meilleurs d'entre eux vont peut-être, comme à l'égard du Père Champagnat, parler de folie. C'est pourtant cette prudence, qui a animé la réalisation des grandes œuvres chrétiennes, parfois d'ailleurs au prix d'une crise dans des mentalités et des structures bien disposées et bien organisées pour un service de Dieu un peu trop rassurant, au sein de son Eglise. Action surprenante du Saint-Esprit sur certains membres du Corps Mystique, mettant à dure épreuve le rachitisme des sagesses humaines ! Les grandes rénovations de l'Eglise, de François d'Assise à Jean XXIII sont un ébranlement qui suscite dans les âmes sincères une floraison de bien et de sainteté, mais qui scandalise les prudents de ce monde, et égare ceux qui ne voulaient suivre que par opportunisme.

Vous comprenez mieux, peut-être maintenant, Mes Bien Chers Frères, la préoccupation d'un Supérieur. Elu à cause de certaines qualités humaines, il peut bien mettre au service de sa communauté, de sa province au de son Institut, un dévouement à toute épreuve et même une efficacité capable d'attirer l'attention, sans pour autant être dans l'esprit de l'Evangile.

Je sais cependant que tout don parfait vient d'En-Haut, du Père des Lumières, et que la prudence croît en même temps que se développe notre vie dans le Christ, et que s'ouvre notre cœur à l'action de l'Esprit. C'est pourquoi je compte que votre prière m'obtiendra au moins la troisième prudence, et que l'Esprit-Saint suscitera, au Conseil Général et dans le Chapitre, des hommes pleins du don de Conseil capables de réaliser parmi nous une vraie action prophétique, dans cette époque cl'« aggiornamento ».

Ce qui va suivre ne peut s'entendre qu'aux troisième et quatrième niveaux évoqués. Aux deux plans inférieurs on n'éprouverait, plus d'une fois, que gêne, étonnement, voire irritation.

Je crois que le Chapitre, en ce moment, doit accaparer toute notre puissance de réflexion. Déjà le travail de la première session a été fait, avec ses réussites et ses limites, et nous ne pouvons pas ne pas en faire la critique, d'autant que les frères se sont plaints d'une information insuffisante.

Mais plus encore que le retour sur le passé c'est la méditation sur l'avenir qui s'impose, sur l'avenir proche de la deuxième session, et pour ne pas perdre un temps précieux, il faut assurer la tâche immédiate de l'intersession.

Face au inonde d'aujourd'hui, face à l'aujourd'hui de l'Eglise surtout, je rappellerai aussi à votre attention une série de problèmes vitaux que le Chapitre, il faut le souligner, pourrait être tenté de laisser dans l'oubli. Cela nous amènera à la fin de cette circulaire et introduira les conclusions. 

La première session du Chapitre

 A. INFORMATIONS.

 Vous ne vous attendez pas à me voir vous narrer des anecdotes ou des à côtés du Chapitre. Ce n'est pas non plus mon intention. Je me limiterai donc à vous donner un aperçu du travail capitulaire, à la fois, si possible, rapide, cohérent, et intégral quant à l'essentiel. Je m'efforcerai à une franchise, limitée seulement par les points où l'assemblée s'est prononcée pour le secret, c'est-à-dire, si ma mémoire est bonne, les chiffres des élections, l'origine personnelle, sociale ou géographiques des opinions ou des interventions, et l'étendue des courants d'opinion sur les sujets traités. Tout le reste, c'est-à-dire ce qui était matière à discussion et ce qui a été dit, petit et doit être communiqué.

Mon information va donc vous exposer :

– les phases de la première session du Chapitre ;

– les principaux courants et problèmes présentés ;

– les résultats objectifs.

 1. – PHASES DE LA PREMIERE SESSION.

 Laissons de côté la préparation faite dans les Provinces, les contacts pré-capitulaires de délégations, les rencontres de groupes plus importants. Cette information serait unilatérale, étant donné la connaissance que j'ai de la préparation de certains secteurs et l'ignorance de ce qu'ont fait les autres. 

a) Phase de la rencontre et phase de la retraite.

 La prise de contact de 155 personnes provenant de très diverses latitudes est un phénomène sur lequel je n'insisterai pas non plus pour en souligner par exemple l'aspect sincèrement fraternel. Mais en m'en tenant à l'essentiel, à ce qui comporte un aspect plus significatif, je constate dès l'abord une rencontre, un heurt entre deux conceptions : la position clairement affirmée de plusieurs délégations qui estimaient opportun de changer certains points du règlement, et celle d'autres Capitulants qui acceptaient tel quel le projet de règlement proposé par la commission pré-capitulaire avec l'approbation des Supérieurs Majeurs.

Le règlement comportait deux parties principales. La première qui était déjà fixée ne pouvait être discutée puisque, juridiquement, les vérifications de pouvoirs n'avaient pas encore été faites, ni l'assemblée constituée en Chapitre. La seconde pouvait et devait être discutée.

Plusieurs souhaitaient et avaient même demandé par écrit deux choses :

– une révision du règlement des quatre ou cinq premiers jours ;

– une composition plus représentative du Bureau Provisoire, dans lequel il n'y avait que des membres de droit ou des membres désignés, non des membres élus.

Pour le reste du règlement, tout en y reconnaissant un travail sérieux et de valeur, on voulait le modifier sur plusieurs points et lui donner une présentation plus créatrice d'organisation.

Ceux qui défendaient le texte préétabli pouvaient le faire pour des motifs divers : pour avoir collaboré à sa rédaction, par conviction de sa valeur intrinsèque, par référence aux mœurs plus simples et plus familiales des Chapitres précédents où l'on n'avait pas éprouvé le besoin de méthodes compliquées.

Le résultat de ce contraste d'opinions : ce fut d'une part le maintien de la première partie du règlement et de la composition du Bureau Provisoire ; d'autre part, la création d'une commission du règlement chargée de présenter au vote de l'assemblée un nouveau règlement modifié et réorganisé quoique sur la base de l'ancien.

Quel jugement faut-il porter à partir d'une confrontation de mentalités et de formations diverses aboutissant à un résultat concret ? Il y eut beaucoup d'éléments positifs, quoique ça et là le texte reste encore à améliorer[1]. II faut bien reconnaître aussi que le travail des commissions pré-capitulaires, qui avait abouti au texte précédent, avait été remarquable de probité, de volonté d'être efficace, et constituait un progrès indéniable d'objectivité et de méthode par rapport aux Chapitres antérieurs.

Ce n'était pourtant pas par manque de confiance aux Supérieurs, que l'on avait passé de précieuses journées à faire ce petit remue-ménage, à première vue improductif, mais l'assemblée voulait s'affirmer législative pour elle-même comme pour l'Institut, ne pas rester conditionnée par les positions préétablies.

Elle n'a pas légiféré sur le point de la retraite, et la question reste ouverte. Une retraite préparatoire au Chapitre diffère d'une retraite ordinaire.

Celle-ci vise à la révision personnelle, à la conversion personnelle, et si c'est ce qu'on attend d'une retraite capitulaire, on est déçu peut-être. Voilà pourquoi il serait souhaitable que chaque capitulant ait fait avant un Chapitre sa propre et fervente retraite.

Faut-il pour autant mettre en question la retraite capitulaire ? Il ne semble pas car il lui reste une importance fondamentale ; celle d'une révision des critères personnels de jugement face à l'Evangile, au Concile, au Fondateur, et à l'Eglise. selon les thèmes proposés au Chapitre, celle aussi d'un examen des motifs qui nous animent à l'égard des propositions et des personnes ; celle enfin d'une prise de conscience de la dépendance où nous nous trouvons par rapport aux courants d'opinion qui spontanément se forment ou qui règnent dans la province dont nous sommes délégués et porte-parole, du relatif recul qu'il faut prendre à leur égard, pour ne chercher en tout que la volonté de Dieu et le bien général de l'Institut.

Il faut en effet bien se persuader que ce qui est acceptable et même bon pour une province peut être franchement nuisible, étendu à tout l'Institut. La retraite capitulaire devrait donc permettre à chacun d'élargir son sens de la responsabilité et de la gravité morale de ses opinions.

On fait serment d'élire celui que l'on croit le plus digne devant Dieu ; niais souvent il peut y avoir une responsabilité morale plus grande à prendre parti sur un point de discussion qu'à choisir entre plusieurs candidats à peu près également capables et également pleins de l'esprit de Dieu, et cela à cause du dommage que provoquera dans une partie de l'Institut la décision que l'on a contribué à faire prendre.

C'est dire l'importance d'une retraite qui introduit à la fidélité aux inspirations divines, qui permet d'insérer l'idéal évangélique dans la réalité d'aujourd'hui, et prépare adéquatement au dialogue si souvent déficient et pourtant irremplaçable. Oserait-on de gaieté de cœur s'engager dans le travail ardu du Chapitre sans cette préparation ascétique ?

Mais ce temps de la retraite, certains capitulants croyaient bon de le mettre à profit aussi pour établir des dialogues destinés à mieux connaître la situation réelle de l'Institut ; d'autres craignaient, hypothèse limite bien entendu, qu'il soit l'occasion pour un prédicateur ou des conférenciers étrangers, d'infléchir en tel ou tel sens des opinions hésitantes, portant par là atteinte à la liberté individuelle et par suite à celle du Chapitre.

Quoi qu'il en soit, désirée, acceptée, ou redoutée, la retraite eut lieu, chacun faisant effort. Dieu seul est juge du degré de ferveur et de la fidélité à la grâce de chacun des retraitants. Ce qui est certain, c'est que pour divers motifs, les uns urgents, les autres moins, se multiplièrent les réunions par délégations, par assistances et même par langues. Le climat habituel à une retraite en fut troublé. En pareille occasion, il sera bon de s'en souvenir.

 b) Deuxième phase : les commissions sont organisées ; le règlement est élaboré, discuté et approuvé ; la date des élections est retardée.

 Organisées en accord avec les demandes formulées au préalable par les Capitulants, les commissions furent perfectionnées par un avant-projet. Ceux qui le désiraient purent changer de sous-commission et même de commission. La Commission Centrale, cerveau directeur du Chapitre, fut la première établie. La Commission du Règlement en présenta les statuts, et après leur acceptation, on procéda à l'élection de ses membres. Cette phase n'a pas comporté d'événement important et les élus de la Commission Centrale sont connus de tous.

Une remarque ici s'impose sur un point révélateur du dynamisme et de la tension capitulaires. Une fois le Chapitre proclamé comme Chapitre ordinaire et spécial, il. fallait remplir deux journées et demie un peu flottantes, en attendant la mise au point de certains mécanismes indispensables à la bonne marche du travail capitulaire. La Commission Centrale demanda la collaboration des Capitulants pour assurer quelques conférences : trois ou quatre en tout. La réaction ne se fit pas attendre. Des groupes manifestèrent leur désapprobation soit dans des conversations de couloirs, soit par des observations envoyées à la Commission Centrale, sur ces conférences qu'ils considéraient comme un moyen d'orienter l'opinion. Le fait en tous cas est révélateur de la sensibilité capitulaire, et il devait donner lieu à une décision de la Commission Centrale qui, pour éviter tout malentendu autour d'une possible « mentalisation », sans pour autant enlever à chacun le droit de faire connaître ses opinions, limitait le prosélytisme à trois procédés : distribuer des textes polycopiés, signés du nom d'un capitulant, se faire entendre auprès des sous-commissions, ou même faire des conférences, mais seulement pour des auditeurs volontaires. Quant aux conférences d'un capitulant à toute l'assemblée, elles n'auraient plus lieu, et si l'on jugeait bon de faire faire, sur une question donnée, une conférence à quelqu'un de l'extérieur, l'opinion adverse aurait droit à demander sur le même sujet une conférence de même valeur pour présenter le point de vue opposé.

Il faut situer, dans cette phase capitulaire, le renvoi par l'Assemblée – renvoi décidé à une forte majorité – de l'élection du Supérieur Général jusqu'à la date du 24 septembre, fête de Notre-Dame de la Merci et anniversaire de l'Election du Cher Frère Charles-Raphaël.

Maintes raisons justifient et justifieront semble-t-il pour l'avenir le retard de l'élection du Supérieur Général : mieux connaître les candidats, distinguer celui qui pourra le mieux diriger l'Institut, d'accord avec les orientations et les buts envisagés, et permettre à l'élu de savoir à quoi il s'engage.

En pratique cependant, cette dernière raison devenait illusoire, de même que la deuxième, au moins en grande partie. La révision et la discussion du règlement devaient en effet occuper une grande partie des sessions plénières qui précédèrent l'élection. D'autre part, les thèmes étudiés par les commissions n'étaient pas prêts pour être présentés à la discussion des Séances Plénières. Les hommes ne purent être connus qu'à travers leurs interventions sur des questions de procédure ou de gouvernement et non sur des questions essentielles, qui auraient pourtant été bien plus importantes pour les faire connaître.

Cependant à travers le travail des sous-commissions, de fugaces contacts de réfectoire ou de couloirs, on put ou crut découvrir quelques qualités des hypothétiques candidats. Connaître en profondeur chacun des 155 capitulants, il n'y fallait pas songer. Il ne pouvait y avoir que des contacts à une échelle restreinte, et très grande difficulté d'aboutir à une appréciation d'ensemble.

Nous sommes là et ailleurs en face des limites d'un Chapitre.

 c) Troisième phase : les élections.

 La phase suivante est celle des élections qui comporte trois parties :

– élection du Supérieur Général et du Vicaire Général ;

– élection des Conseillers Généraux chargés de Régions ;

– élection des Conseillers Généraux chargés de Services.

Sur les élections, l'information est limitée par le secret, qui s'impose à moi-même avec encore plus de rigueur. D'autre part, il n'est pas utile de répéter ce qu'ont déjà publié les bulletins de presse du Chapitre ici particulièrement dignes d'éloges.

La composition du Conseil Général fut l'objet d'une série d'exposés. Multiples étaient les formules que l'on proposait et vous connaissez celle qui a été retenue.

Le mode d'élection des Conseillers fut aussi, bien qu'à un degré moindre, l'objet de beaucoup de discussions. Finalement on se mit d'accord pour les décisions suivantes :

Pour les Conseillers Généraux chargés de Régions, les délégués de la « Région » font une élection entre eux pour retenir les trois candidats qu'ils présenteront au vote de l'Assemblée, dans un ordre de priorité. Cette liste guidera le choix des membres de l'Assemblée, sans le leur imposer, les capitulants restant libres de voter pour d'autres candidats (cf. Gouvernement, Art. 13).

Pour les Conseillers Généraux chargés de Services, c'est le Frère Supérieur Général, le Frère Vicaire Générale et les huit Conseillers Régionaux précédemment élus qui proposent à l'Assemblée quelques candidats pour chacune des fonctions spécifiques (cf. Gouvernement, Art. 15).

Les élections eurent ensuite lieu à des jours différents pour le Révérend Frère, le Frère Vicaire Général, les Frères Conseillers chargés de Régions et les Frères Conseillers chargés de Services.

Les capitulants des diverses « Régions présentèrent » leurs candidats et l'Assemblée eut à se prononcer sur une liste de huit séries de trois noms, pour le choix des huit « Conseillers chargés de Régions ».

Quelques jours plus tard, ces huit membres avec le Révérend Frère et le Frère Vicaire Général préparaient et présentaient une liste des candidats aux cinq postes de Conseillers chargés de Services, dans un ordre de priorité, les Capitulants votant librement pour un candidat de la liste ou pour un candidat non proposé.

 d) Quatrième phase : présentation des résultats du travail des commissions en « feuilles roses ».

 La dernière étape de la première session capitulaire se caractérise par une grande activité : travail en commissions, étude des documents de ces commissions en assemblées plénières pour un premier examen du contenu des « feuilles roses », réunions libres appelées en jargon capitulaire «open hearing ». Disons en passant que, seule la commission du gouvernement, pour ce qui a trait au Conseil Général, réussit à présenter à l'approbation définitive une partie de son travail, franchissant les trois étapes des « feuilles roses », « bleues » et « blanches ». La Commission des Finances parvint aux « feuilles bleues », ce que fit également la Sous-Commission des Vœux, mais seulement pour l'introduction sur la Consécration Religieuse.

Ici se place la visite que Son Eminence le Cardinal Ildebrando Antoniutti, Préfet de la Sacrée Congrégation des Religieux, rendit à notre Chapitre le 2 octobre 1967.

Il est fort à craindre que, braqués sur des positions rigides, soit opposées, soit favorables à l'introduction du sacerdoce dans l'Institut, beaucoup aient négligé de réfléchir à la richesse de tout le message que nous laissa Son Eminence. Je vous invite à méditer sérieusement ses paroles avec ce respect que le Bienheureux Fondateur voulait qu'on eût pour le Vicaire du Christ et pour ses représentants. 

II. – COURANTS ET ATTITUDES CAPITULAIRES.

 Avant d'entrer maintenant plus à fond dans une réflexion sur les attitudes capitulaires, il faut faire deux remarques. Par attitudes, j'entends les dispositions psychologiques vis-à-vis du travail, du dialogue, les réactions aussi en face de l'inattendu. Elles sont la résultante du caractère, du tempérament, de la mentalité, de l'éducation, des comportements hérités d'une culture ou des situations sociales du monde dans lequel on vit et duquel on vient.

Evidemment tout cela peut avoir une grande importance, exerçant une influence sur la manière de traiter certains thèmes, l'intérêt ou le manque d'intérêt qu'on leur porte, la profondeur à laquelle on consent à y pénétrer.

Les courants d'opinion, eux, sont les positions doctrinales que prend un groupe de capitulants devant un thème déterminé.

Je vais essayer, en évoquant ces courants d'opinion, d'éviter la recherche journalistique de la sensation – à Dieu ne plaise que je pense à nos journalistes du Chapitre : il s'agit dans mon esprit de la grande presse – qui n'est trop souvent que simplisme, superficialité ou même déformation des faits.

Que pense-t-on aujourd'hui des classifications que la presse a pu faire des Pères Conciliaires ? N'a-t-elle pas plus une fois présentée une image déformée du Concile, grosse de conséquences regrettables ? Or si tous ceux qui écrivent ne tombent pas dans le même travers, il arrive que même des théologiens sérieux s'y laissent prendre.

Non, pas plus que le Concile ne se laisse styliser en termes de droite et de gauche, le Chapitre ne se réduit aux deux blocs imaginés par certains. Les binômes conservateurs-révolutionnaires, intégristes – progressistes, nouménistes – existentialistes manquent vraiment trop de nuance.

Essayons par exemple de nous mettre d'accord sur une définition et disons qu'un conservateur ou un traditionaliste est celui qui par système veut éviter tout changement en maintenant les choses telles quelles, ou, au plus, en n'admettant que des changements fort restreints ; et encore qu'un réformateur ou un novateur est celui qui, à tout prix, veut introduire des changements. Je vous mets maintenant au défi de classer – sans tomber dans l'erreur et même dans l'injustice — telle délégation ou telle personne dans l'un ou l'autre groupe.

Je puis affirmer que chaque délégation comprenait presque toujours des personnes d'opinions diverses. Une délégation à dominante marquée pour l'adaptation, sur un sujet donné, par exemple les exercices de piété ou la pratique de la pauvreté, pouvait devenir conservatrice en face de la décentralisation ou du sacerdoce.

Non, ce n'est pas très honnête de classer tel ou tel capitulant dans une seule catégorie et c'est tout à fait impossible pour une délégation considérée dans son ensemble.

Parlons clone d'attitudes et de mentalités et disons qu'elles furent très diverses et parfois contraires, chacune ayant ses qualités et ses défauts. Il faut, pour des raisons de clarté, s'en tenir aux extrêmes tout en n'oubliant pas que l'intervalle est rempli par toute une gamme d'intermédiaires.

Il y eut des attitudes dures, coupantes, insistant jusqu'à lasser, mais en même temps franches et loyales. D'autres, par contre, furent prudentes et politiques, toutes de finesse et de discrétion, mais pas toujours claires, et pouvant à l'occasion donner l'impression d'obstruction parlementaire. L'humour et l'ironie ont pu parfois détendre et parfois blesser, et certaines naïvetés profondes n'être pas appréciées à leur juste valeur.

A l'abri des attitudes se trouvaient, reconnaissons-le, les mentalités. Telles interventions ou au contraire telles expressions d'ennui dévoilaient le groupe idéologique. Le « pragmatiste » montrait visiblement peu d'intérêt pour ce qui était purement doctrinal ou plutôt laissait entendre que cela ne faisait pas problème pour lui ; mais quand la « réalité » était en jeu, surtout « sa réalité locale », alors il réagissait vivement multipliant les interventions.

Le « doctrinal », lui, quoique à échelle réduite à cause du manque d'occasions, manifestait une vraie préoccupation non seulement des conséquences pratiques mais surtout de la doctrine qui sous-tendait ces conséquences.

On pourrait parler aussi de mentalité « spiritualiste », « administrative », « pastorale ». Enfin il y a la tendance à vouloir, quand un débat se prolonge, être bref et fonctionnel, sans toujours sentir le risque d'aboutir à une solution hâtive. C'est là un danger réel qui guette tout Chapitre de longue durée ou toute séance prolongée, et contre lequel il faut mettre en garde pour la seconde session ceux surtout qui ne sont pas habitués aux lenteurs et aux « impasses » éventuelles de la méthode parlementaire.

Les courants d'opinion ont donc existé, nets, énergiques, tenaces, polémiques sur une série de thèmes et parfois de points concrets. Certains capitulants polarisaient les opinions, une bonne partie des autres restant plutôt attentistes tout en sympathisant avec telle ou telle orientation.

Il peut être bon de schématiser en série de binômes ces principaux courants :

a – Un courant nettement penché vers le versant spirituel et surnaturel des thèmes. Fortement préoccupé par les aspects de la rénovation, il est moins sensible à ceux de l'adaptation et de l'« aggiornamento » surtout si l'on prend ces mots dans le sens apostolique de l'action et des œuvres. Ce courant qui, naturellement, offre une garantie, présente, comme d'ailleurs presque tous les autres, le danger de l'unilatéralité. En son sein se manifestaient deux formes d'attachement à la tradition.

Pour les uns cette tradition était conçue comme la résultante historique de sept ou huit générations de frères, le dépôt que nous devons garder et transmettre. Dans ce sens, la rénovation consistait dans un nouvel effort pour faire avec plus de foi les exercices traditionnels de piété et de vertu. Pour les autres, la tradition était un retour aux sources, à la suite d'un effort pour discerner la pensée originelle du Fondateur, après l'avoir dégagée de son conditionnement de temps et de lieu. A leur avis, il fallait donc rester ouverts à des changements, voire même jeter du lest, mais sauvegarder à tout prix les aspects de notre spiritualité fondamentale contre un naturalisme d'apparence psychologique et « activiste ».

Ces deux groupes au sein d'un même courant insistaient sur les aspects ascétiques face à la tendance humaniste de ceux qui trouvaient qu'une quantité de valeurs avaient été jusqu'ici négligées, faute d'un progrès encore insuffisant de la science psychologique. ou parce que ces valeurs étaient défendues par des hommes étrangers à la foi ou opposés à elle. Ce courant mettait donc l'accent sur la dignité et le respect de la personne humaine, le droit à la liberté, le besoin d'amour, la valeur de la culture, les besoins psychologiques de la personne et surtout la nécessité de reconnaître la maturité de nos frères et d'agir en conséquence.

Ils sentaient que toutes ces valeurs n'avaient pas toujours assez compté ni dans la formation des candidats à l'Institut, ni dans le gouvernement des communautés et des provinces, ni dans la rédaction des Règles et des structures de la Congrégation, ni dans une présentation, trop négative à leur avis, de la spiritualité propre à notre Institut.

b – Un autre binôme, sous une forme plus mobile et plus délicate, ayant un peu la réalité d'un subconscient, devait faire aussi son apparition au Chapitre. Je m'explique. Face à une brève étude de la « Consécration Religieuse », et quoique presque sans discussion, au moins explicite, on constate deux orientations qui se manifestent silencieusement par le vote électronique :

– une insertion plus grande dans le monde[2], et qui nous assimile davantage à lui ;

– et d'autre part, un maintien et même un renforcement de notre forme traditionnelle de congrégation religieuse avec les conséquences de différenciation – non de séparation qui lui sont propres et qu'elle requiert : habit religieux, relations, situation économique, etc. …

En d'autres termes doit-on rester dans la condition de religieux « stricto sensu » ou se rapprocher, en quelque sorte, du mode de vie de quelques Instituts Séculiers, qui, tout en pratiquant quelques formes de vie en commun, cherchent à vivre « comme le monde » pour agir sur lui de l'intérieur, gardant pour le fond de leur cœur et dans le style chrétien de leur comportement leur caractère de consacrés ?

Quelques thèmes et les attitudes prises à leur égard devaient ouvrir et ouvriront encore à la seconde session des voies souterraines à ces affrontements : le pécule, l'habit, la pratique de l'obéissance, la vie commune, le règlement des prières, etc. …

Disons que personne cependant n'a pensé à une transformation pure et simple en Institut Séculier, et que personne non plus n'a eu l'intention de refuser une mise à jour de notre consécration religieuse.

c – La tendance bipartite se retrouve encore à l'égard du gouvernement et de la décentralisation dont il a déjà été question. Au début du Chapitre il était possible de discerner parmi les membres de la Commission du Gouvernement les tendances les plus diverses, depuis le maintien de l'ancienne organisation avec un gouvernement centralisé, jusqu'à une organisation centrale très réduite avec un gouvernement très décentralisé :- tendances qui se sont progressivement orientées dans deux sens :

1. Une organisation centrale formée d'Assistants chargés de services généraux (Assistants techniciens), leur nombre allant de 3 jusqu'à 7 ou 8, ces Assistants formant le Conseil habituel du Révérend Frère Supérieur Général ; et en outre, d'Assistants chargés de la visite des divers secteurs de l'Institut, habituellement en visite mais pouvant être convoqués à la maison généralice pour rendre compte de l'état des Provinces.

2. Une organisation centrale réduite à quelques membres : Supérieur Général et quelques conseillers, ce Conseil Général formé de « penseurs responsables » constituant l'organisme central, aidé par des techniciens choisis par lui, et par des Visiteurs : gouvernement très décentralisé auquel seuls les problèmes essentiels seraient réservés.

Entre ces deux positions et l'organisation traditionnelle de l'Institut, la Commission a cherché une voie moyenne. Le Chapitre en assemblée générale a manifesté le désir de maintenir des Assistants Généraux chargés de Visites et membres effectifs du Conseil Général. Il a demandé aussi la présence de quelques Assistants Généraux chargés de Services. Ces deux décisions de l'Assemblée ont orienté le projet que la Commission du Gouvernement a enfin soumis au vote définitif.

A vrai dire, très peu de frères sont en désaccord avec l'idée même de décentralisation, mais quand, de l'idée, on passe au terrain d'application, les tensions se manifestent. Prenons le cas du Chapitre Provincial. Quelques-uns pensaient que la décentralisation devait comporter création d'un Chapitre Provincial sous peine de n'aboutir qu'à une néo-centralisation, à un échelon plus bas. D'autres manifestaient hostilité ou réticences à l'égard du Chapitre Provincial, soit à cause de leur propre mentalité, de la complexité de ce mode de gouvernement ou enfin de la difficile situation géographique de leur province.

d – Un point de vue encore plus important, distinct quoique dépendant de ce qui précède, est le débat sur les structures, surtout l'aspect de leur réglementation dans le temps et l'espace. Il fut l'objet de discussions longues et animées.

Les uns voyaient dans les structures une politique mal adaptée à des religieux adultes et responsables, en tous cas peu fonctionnelle, ne tenant pas compte des exigences de la vie active et de la surcharge du travail des Frères.

Les autres voyaient, dans les procédés de décentralisation et de liberté auxquels on voulait confier ces structures, dans le meilleur des cas un danger de disparition ou une grande diminution de leur efficacité, et, dans certains autres cas, un moyen élégant et gradué de les faire disparaître.

On veut ici faire allusion par exemple à l'étude religieuse, aux exercices de piété, à la retraite annuelle, etc. …

e – Peut-on aussi parler d'un binôme face au but de l'Institut : un des thèmes de tension capitulaire ? Il serait plus juste de dire qu'il y en avait une série, autour de diverses polarisations :

– Enseignement, au sens strict ou pastoral, de la jeunesse dans un sens large ;

– Maintien et concentration autour de I'Ecole Libre et Confessionnelle, selon la pratique de la Congrégation, ou présence en qualité de professeurs dans des établissements étrangers, même officiels ;

– Maintien de la forme classique d'éducation ou recherche d'autres moyens ou instruments (éducation de base, école techniques. éducation des loisirs, alphabétisation des adultes, enfance inadaptée) ;

– Travail sur une minorité ou évangélisation ouverte et service catéchistique paroissial ;

– Maintien de la situation actuelle qui nous oblige, malgré nous, à nous consacrer dans une large mesure aux élèves de la classe aisée, soit dans les pays en voie de développement, soit dans ceux où l'enseignement libre n'est pas subventionné, ou bien abandon progressif de cet enseignement pour nous consacrer aux enfants pauvres ;

– Souci des pauvres dans un sens économique ou dans un sens psychique ou physique (débiles légers, handicapés physiques, caractériels, etc. …).

Les courants d'opinion sur ces divers thèmes, c'est à peine si l'on a pu les constater dans l'Assemblée. Et cela par suite du manque de temps et de la complexité du problème. Mais c'est au sein des commissions, des sous-commissions et dans les corridors qu'on a pu s'en rendre compte.

L'idée par exemple d'un retour aux pauvres et d'une orientation vers les handicapés physiques et intellectuels a causé une vraie inquiétude et joui d'une grande sympathie. Plus diverses sont les positions sur une possible réduction des effectifs travaillant au sein de l'école catholique bien qu'on maintienne celle-ci à tout prix et sur la dispersion d'une autre partie du personnel dans d'autres œuvres d'apostolat de la jeunesse et de catéchèse en paroisse.

f – Un des thèmes les plus discutés fut sans doute celui du sacerdoce. Le dialogue était moins souple ; les attitudes favorables ou défavorables plus rigides. Après quelque temps de travail, la Sous-Commission décida de se diviser en deux groupes, l'un étudiant plutôt les aspects favorables à l'introduction de la prêtrise dans l'Institut, l'autre s'attachant davantage à en souligner les incidences discutables. De cette façon, les deux aspects du problème ont pu être suffisamment défendus et approfondis.

Il faudrait distinguer des étapes dans l'évolution des membres, au sein même de la Sous-Commission, dans les conversations personnelles et dans les « open hearing ». On trouverait des points plus marquants : essai d'interprétation du texte conciliaire ; examen ou hypothèses sur la pensée du Père Champagnat à cet égard ; chances d'harmonie entre consécration religieuse et ordination sacerdotale ; besoins pastoraux des maisons de formation et des collèges ; problématique des relations humaines créée par la communauté prêtres-frères ; possibilité de limiter à quelques-uns l'accès au sacerdoce, ou danger de cléricalisation généralisée, avec pour conséquence l'abandon de la structure Iaïcale actuelle. Cette liste n'est pas exhaustive des aspects envisagés.

On trouva même posée la question de savoir si le Chapitre était moralement libre de rejeter la solution d'une ordination limitée à quelques membres. Les partisans de cette opinion interprétaient le texte conciliaire comme une invitation qui laissait le choix non pas entre le oui et le non mais seulement entre des formules plus ou moins nuancées d'adhésion.

Pour ceux qui ne traduisaient pas le texte comme une invitation, mais comme la levée des obstacles préexistants, la liberté du Chapitre était, au contraire, indiscutable.

Peu à peu les positions devinrent un peu moins tranchées, en particulier la première, et vers la fin de la session, l'étude pouvait être présentée en « feuilles roses ».

Déjà la visite du Cardinal Ildebrando Antoniutti avait donné lieu à un message qui comportait une allusion au problème qui nous occupe. Ce message, vous le connaissez puisqu'il vous est parvenu au moyen de feuilles polycopiées conformes au texte qu'il a bien voulu lui-même nous fournir.

A une question écrite posée par la Commission Centrale, le Cardinal devait répondre qu'il était d'accord pour la publication de son texte écrit, mais à l'usage exclusif de la Congrégation et avec l'obligation, pour ceux qui le publieraient, de lui envoyer copie de la publication.

Cette publication est donc ouverte à celles de nos revues de famille qui sont à l'usage exclusif des frères. Je vous prie tous, en particulier les frères Provinciaux, de veiller à ce que l'on s'en tienne aux indications de Son Eminence.

Quant aux propositions des sous-commissions, elles se trouvent sur les « feuilles roses ». Deux mots termineront ce sujet. La Commission Centrale et le Conseil Général ont laissé à tout moment la plus grande liberté à la Sous-Commission, en particulier, et à l'Assemblée Capitulaire en général, pour discuter ce thème.

Personnellement, j'ai tâché d'être, je ne dis pas impartial, mais même étranger au sujet, non par manque d'intérêt ou de sens de ma responsabilité, bien sûr, mais afin que la décision du Chapitre (provisoire aujourd'hui, définitive à la fin de la deuxième session) ne puisse en aucune manière avoir gagné ou perdu des votes à cause de mon opinion.

Le Concile a ouvert une possibilité[3]et a invité à réfléchir et à décider. Je tâche d'assurer une possibilité d'étude et de méditation, le Chapitre, et non pas moi, ayant ensuite à prendre une décision.

Ce qui serait à souhaiter, c'est qu'à la deuxième session, au stade des « feuilles bleues » et des « feuilles blanches », l'étude fût complétée avec plus de sérénité.

Soit études, soit articles, que tout ce qui se fera porte le cachet de la recherche objective, non de la polémique. Jusqu'à ce jour, quelques écrits envoyés au Chapitre, sur cette question, sentent trop la polémique et la partialité.

 La façon habile de souligner certains arguments en minimisant les autres, avec un notoire manque d'attention à la réalité, aurait pu, à certains moments, surprendre un observateur impartial.

Mais arrivons à une conclusion, Mes Bien Chers Frères ; si je vous invite à l'impartialité, c'est parce que j'essaie de voir plus loin que le Chapitre : le post-Chapitre. Quelle douleur si de futurs malaises pouvaient surgir dans certaines régions, justifiés en quelque sorte parce qu'on n'aurait pas observé, à partir de maintenant, cette règle d'objectivité !

Plus regrettable encore serait la décision de frères qui sortiraient de la Congrégation parce que celle-ci, en accord pourtant avec des décisions régulières du Chapitre, aurait suivi une voie qui ne leur agréerait pas.

Des frères pourraient-ils nous quitter en s'appuyant sur un refus de la prêtrise qu'aurait fait le Chapitre ? De quel droit puisqu'ils ont fait profession dans un Institut laïcal et que la possibilité d'ouverture vers la prêtrise est survenue après leur profession ? Même dans l'hypothèse où la prêtrise serait acceptée, elle ne le serait pas pour combler les désirs personnels de quelqu'un, mais pour des besoins pastoraux, selon l'indication du Concile.

Sophisme aussi, celui d'autres frères qui décideraient de se retirer, le cas échéant de l'acceptation de la prêtrise, en disant que la Congrégation change de nature, puisque le Concile continue d'appeler laïcal un Institut qui ouvre l'accès du sacerdoce à quelques-uns de ses membres, pour un objectif précis et limité.

J'ai préféré faire à l'avance cette réponse aux objections, maintenant que j'ignore encore quelles seront les décisions finales du Chapitre. Elle aura une force d'impartialité et de désintéressement à la suite de ces décisions face à ceux qui seraient tentés de chercher des justifications trop fragiles à l'abandon de leur vocation.

g – Mais abordons le dernier thème cristallisateur d'opposition : celui des « deux-tiers ». S'il faut changer des points de Constitutions, quelle majorité réglera les votes : majorité absolue ou celle des deux-tiers ? Les tenants de la majorité absolue alléguaient que, faute de se contenter de cette majorité absolue, les changements et même les modifications dans la ligne de la rénovation deviendraient difficiles. On arriverait même au résultat absurde d'une nette majorité (par exemple 63 %) battue par une minorité (par exemple 37%) laquelle, dans ce cas imposerait sa volonté par un artifice juridique non dépourvu d'ironie.

Les partisans des deux-tiers attiraient l'attention sur le danger d'un vote qui ferait adopter une ligne de conduite aventureuse, et abandonner des normes avalisées par l'expérience de dizaines d'années.

Le mécanisme des deux-tiers leur paraissait une garantie de sérieux dans les changements et un moyen d'éviter qu'une question controversée fût approuvée par un vote avec une trop faible majorité.

Pouvait-on dès lors s'orienter vers des solutions intermédiaires qui, à vrai dire, n'enthousiasmaient guère non plus : par exemple, exiger la majorité absolue pour certains cas et les deux-tiers pour d'autres ? Mais alors, quels critères adopter pour savoir les sujets qui seraient réglés par l'une ou l'autre majorité ?

Une consultation auprès de la Sacrée Congrégation des Religieux donna une solution au problème et créa dans l'Assemblée une majorité confortable autour d'une formule moyenne[4].

C'est peut-être là qu'on pourrait penser à une possible classification des Capitulants en conservateurs et en partisans du changement. Mais cependant, même là, ce n'est pas possible, car l'inclination vers telle ou telle formule était souvent fonction d'un point déterminé : par exemple sacerdoce ou décentralisation, et des avantages que l'on attendait personnellement d'un vote sur ce point.

Une dernière remarque conclura ce rapport sur les attitudes, mentalités et courants d'opinion. N'oublions pas qu'entre les groupes extrêmes polarisant fortement l'opinion sur les sujets exposés, il faut, pour être juste, placer toute une gamine de positions intermédiaires. Cela évite le simplisme dans une information qui se veut objective.

Sur chacun des thèmes cités, il y a eu des formules diverses que les limites de cette circulaire empêchent d'exposer, ceci étant la tâche des délégués capitulaires, puisqu'ils ne sont tenus par le secret que selon les indications données. Disons aussi que beaucoup de formules et d'attitudes naquirent, furent discutées et moururent au sein même des commissions et des sous-commissions ; seules les principales arrivèrent au niveau de I'« open hearing » ou de l'Assemblée Plénière.

Cela rend évidemment ardue et relative la tâche de vos informateurs.  

III. RÉSULTATS DE LA PREMIERE SESSION DU CHAPITRE.

 Le travail de la première session du Chapitre peut se synthétiser en quatre points :

– Aptitude capitulaire ;

– Méthode

– Travaux définitifs ou en voie de le devenir ;

– « Feuilles roses »,

 a. Aptitude capitulaire.

 Disons-le sous une forme très simple : La plupart d'entre nous, nous ne savions pas « faire Chapitre » ; nous nous sommes mis à « faire Chapitre » et nous avons appris à « faire Chapitre ».

Deux résultats, même s'ils sont limités, sautent aux yeux : le dialogue a pris naissance et, non seulement s'est continué dans le temps, mais s'est enrichi qualitativement ; les mentalités et les points de vue se sont élargis en quête de la vraie grandeur de l'Institut et de ses conditions. On s'est aperçu qu'il fallait élargir son champ de vision et s'élever au-dessus du plan local pour prendre une attitude internationale, sous peine de créer des durcissements de mentalité, des obstacles et des problèmes sans solution.

 b. Une méthode de travail.

 Il a fallu plus de deux semaines de travail à une commission capitulaire et plusieurs séances plénières pour arriver, et ceci à partir d'un travail déjà réalisé par la commission pré-capitulaire, à un résultat : un texte de règlement discuté et voté. Toute modification (nous ne disons pas addition) ou suppression exigerait maintenant :

– l'acceptation d'une révision des votes, révision qui ne pourrait s'effectuer que si les deux-tiers lui étaient favorables ;

– un nouvel examen de la modification proposée ;

– un nouveau vote qui pourrait l'accepter ou la rejeter.

 c. Travaux achevés ou sur le point de l'être.

 On l'a vu, quelques commissions ont déjà assez avancé leur travail :

– Commission du gouvernement : Ont été présentées sur feuilles blanches, donc définitives : la composition du Gouvernement, les élections, la manière de faire les élections, les fonctions du Gouvernement Central ou du Conseil Général ;

   Commission des Finances : Travail dense et bien pensé ;

– Sous-Commission des Vœux : Travail court et concis sur le thème de la « Consécration Religieuse ».

Dans ces deux derniers cas, il s'agit du stade des « feuilles bleues », le stade suivant étant celui des « feuilles blanches» présentées à la discussion de l'assemblée plénière pour acceptation ou non-acceptation globale définitive.

 d. Les « feuilles roses ».

 Le reste est seulement arrivé au stade des « feuilles roses ». Ce terme, simple et fonctionnel, désigne non pas une production spontanée, mais une lente élaboration qui, partant des notes des frères, les classe, les analyse, les étudie, et, à travers la recherche et le dialogue en sous-commission et en commission, prend conscience de leur valeur. Le « sondage », qui a déjà fait l'objet d'une synthèse réalisée par les commissions pré-capitulaires, est lui aussi mis à profit.

Une synthèse doctrinale se fait donc peu à peu, parfois grandement facilitée par la valeur théologique des notes elles-mêmes.

Les documents capitulaires dans l'un ou l'autre des trois stades signalés constituent le matériau dont disposent pendant l'intersession les frères qui désireront étudier les documents du Chapitre et trouver synthèse doctrinale et conclusions provisoires.

Le Chapitre a en effet entrepris une profonde révision de la vie mariste sous tous ses aspects, et si le travail de la première session a été un travail obscur, c'est parce qu'il a été un travail de déblaiement et de pose de fondations. Un des résultats les plus importants du Chapitre devant être la refonte de nos Constitutions, il fallait d'abord commencer par analyser la situation actuelle, et, à la lumière des textes conciliaires, établir les principes doctrinaux sur lesquels on pourrait s'appuyer pour déterminer une orientation et pour dégager des applications concrètes.

Voilà pourquoi il est juste de dire que le travail de la première session fut énorme, en dépit du petit nombre des décisions concrètes. Le volume des études sur « feuilles roses » suffit à vous convaincre, et les heures d'étude qu'elles représentent. Sans doute, leur approbation ou leur désapprobation ne sont pas définitives, mais cette première ébauche a donné de précieuses indications pour la reprise des études de la deuxième session. Les méthodes de travail et de discussion ont été rodées, prêtes à entrer maintenant dans la phase de l'efficacité.

On ne saurait passer non plus sous silence l'équipe de quarante frères qui, à la disposition des Capitulants, ont fait un travail intense de traduction, de polycopie, d'imprimerie, etc. … Rien n'avait été épargné pour que le travail capitulaire ait sa pleine valeur[5]. Tous les services matériels que demande une réunion de 155. Capitulants avaient été bien pensés. On m'excusera de ne pas entrer dans les détails et de ne pas citer de noms ; mais mon merci le plus cordial va à tous les membres de la précédente Administration Générale.

 

B. ESSAI DE CRITIQUE DE LA PREMIERE SESSION.

 II faut maintenant en arriver à la tâche délicate du jugement critique de la session. Vais-je y réussir ? Il est déjà difficile d'énoncer semblable jugement. Qu'est-ce à dire quand on se constitue juge et partie, en faisant une auto-appréciation de sa propre pensée ?

Si j'entreprends cette tâche délicate, c'est parce que tous les frères ont droit à une information et à une appréciation qui essaient d'être aussi proches que possible de la réalité ; c'est aussi par-ce que, dans la fonction où Dieu m'a placé, il est peut-être plus facile de formuler une appréciation avec une optique plus large et moins susceptible d'être influencée par des contingences locales ; c'est enfin parce que je veux répondre au désir de plusieurs Frères qui souhaitent recevoir un document revêtu d'un caractère plus officiel.

Je viserai donc à l'objectivité, à l'impartialité, avec le souci d'être constructif, le dessein d'éveiller par cet exposé, si limité soit-il, le désir de perfectionner nos méthodes de discussion, autant pour la deuxième session du Chapitre Général que pour la tenue des Chapitres Provinciaux en formation ou déjà formés.

Mon jugement critique comportera les points suivants :

– Appréciation général du travail.

– Matériel préexistant.

– Apport des capitulants.

– Documents capitulaires.

 I – APPRÉCIATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL.

 Certains capitulants, désireux d'en arriver aux solutions concrètes, ont été dans une inquiétude grandissante, au fur et à mesure qu'approchait la fin de la session. « Qu'allons-nous, disaient-ils, porter de concret à nos frères, comme résultat de nos délibérations ? ».

Il n'est pas improbable, en effet, que bon nombre de frères dans les provinces aient été dans l'attente de résultats concrets et aient éprouvé une certaine déception. La déception est un phénomène subjectif qui se rattache à ce que l'on attend. Essayons, au contraire, de partir d'un point de vue réaliste, objectif.

Que pouvait-on attendre du Chapitre, si l'on était réaliste ? Il me semble que la première session a donné ce que normalement elle pouvait donner. Evidemment ce jugement n'est pas absolu, car toute activité humaine renferme de l'imprévisible, mais un résultat limité était à prévoir si l'on songe à l'expérience vécue par les Chapitres de certaines autres Congrégations et surtout par le Concile.

Dans celui-ci et dans ceux-là je ne crois pas que mon jugement soit trop rigoureux – il s'est produit un phénomène typique : des groupes d'hommes se mettaient à réaliser une tâche totalement nouvelle pour eux : Chapitre spécial ou Concile. Le résultat est dès lors à prévoir : on tâtonne d'abord, puis, lentement, la pratique aidant, on apprend à faire en faisant ; peu à peu une méthode adéquate s'esquisse, l'équipe se forme et on arrive à la première formulation des résultats.

Le Concile, par exemple, avait eu une assez longue étape de préparation prochaine : il comptait un groupe qualifié et remarquable de théologiens et d'experts sur toutes les questions ; tous les évêques du monde étaient réunis, une méthodologie semblait mise au point, et cependant les faits ont prouvé que les schémas préparés et les systèmes lurent débordés et que la première session eut apparemment peu de résultat, quoiqu'elle eût tracé un chemin et mis une base à tout ce qui serait construit ensuite.

Pour notre première session, il était prévisible aussi qu'il y aurait une période d'adaptation et que les conclusions concrètes seraient limitées. En effet, si l'on cherche du concret, de l'immédiat, par exemple à régler une question d'habit, à supprimer un exercice de piété, alors il n'y a pas besoin d'un Chapitre Spécial mais qui donc limite son attente à de semblables résultats ?

Mais, si ce qu'on veut est un fond doctrinal sérieux, un esprit qui s'incarne ensuite en des conséquences, alors il faut affirmer que le stade d'esquisse où en sont restées les questions est satisfaisant. Le temps et la distance, mettant les choses en place, permettent une saine critique, offrent l'occasion pour consulter théologiens et experts, le loisir nécessaire pour l'étude et l'approfondissement des problèmes, pour le dialogue avec les frères, etc. …

 Il – MATÉRIEL PRÉEXISTANT.

 Cependant n'anticipons pas, et même revenons en arrière pour voir sur quel matériel ont travaillé les capitulants puisque, aussi bien, il ne leur était pas loisible de créer de toutes pièces d'après leur culture psychologique et religieuse, mais qu'ils avaient, pour les guider, le « sondage d'opinion », les notes des frères et finalement quelques travaux techniques d'investigation sociologique réalisés par neuf provinces.

Le « sondage » avait été préparé par les Supérieurs Majeurs avant le Chapitre. Même s'il ne s'agit pas d'un travail de recherche proprement scientifique, c'est un excellent projet dont il faut tenir compte. La préface rédigée par la Commission du Classement a attiré l'attention sur l'imperfection des réponses faites à ce travail, et qui, dans certaines provinces, ont comporté des abstenions, des retards, des négligences dans le choix du format des feuilles, des oublis de signatures, des erreurs de numérotation, toutes choses qui ont rendu plus difficile le classement et l'interprétation.

Cependant, grâce à ce travail, le Chapitre a pu compter sur une série de données utiles concernant l'état de plusieurs provinces sous un certain nombre d'aspects, même si ce travail reste très différent d'un travail réalisé sur une base sociologique avec des questionnaires techniques fondés sur des hypothèses d'investigation.

Que dire maintenant des notes envoyées par les Frères ? Naturellement toutes n'étaient pas d'égale valeur. Toutes cependant furent classées et con fiées aux sous-commissions pour une étude sérieuse, bien que leurs auteurs n'aient pas toujours tenu compte des indications données.

Ici, deux remarques s'imposent au sujet de l'utilisation de ces notes qui peut offrir deux dangers :

On peut avoir une tendance à l'usage unilatéral des notes et surtout du «sondage» pour appuyer son point de vue. Unilatéral, en effet, est le procédé qui porte certains esprits à ne tenir compte, par exemple, que des notes en accord avec leur propre opinion et à négliger parfois d'autres notes de l'opinion contraire.

On pourrait aussi être porté à donner aux notes une importance numérique. Et pourtant dix notes provenant du même endroit, avec semblablement la même rédaction et qui, donc, risquent d'avoir été sollicitées, ont-elles la même valeur que dix notes indépendantes les unes des autres ? Et puis, qu'est-ce que dix notes, ou trente, ou cent dans un même sens, face à 9.000 Frères qui ne se sont pas prononcés sur le même point ?

La valeur des notes, l'expérience le dit, est qualitative, et dans ce sens, on doit les avoir en haute estime et les étudier avec respect – leurs auteurs y ont droit et grand soin, dans les commissions correspondantes. Et ceci a été fait. A cause même de cette valeur qualitative et non seulement pour respecter un droit – on devra maintenir ces notes personnelles, même si on se met d'accord pour utiliser des méthodes d'enquête d'une plus grande rigueur sociologique.

Précisément cette étude m'amène à me demander si, pour de futurs Chapitres, il ne faudrait pas compléter les notes personnelles des frères par des enquêtes scientifiques sociologiques, avec transcription sur cartes perforées, permettant des évaluations sur de multiples aspects de la vie des frères et des communautés.

Une telle enquête a déjà été réalisée avant la première session dans neuf provinces. Elle mériterait même – au moins à certains égards – assez d'attention, puisqu'elle s'adressait à 2.200 Frères, c'est-à-dire plus de 20 % de la Congrégation. Numériquement elle annulerait dans le cas d'opposition la somme des notes personnelles envoyées sur un thème déterminé.

Cependant sa valeur reste limitée par rapport à tout l'Institut puisqu'il s'agit d'une chose nettement régionale. Elle est une preuve sociologique, mais ses conclusions ne peuvent pas être généralisées, parce qu'ici l'échantillon n'est pas valable pour l'ensemble de l'Institut.

Par contre, c'est à titre d'exemple que cette enquête pourrait rendre au Chapitre, ainsi qu'aux provinces, de bons services, jusqu'à présent, je crois, peu exploités. Elle pourrait offrir d'inappréciables résultats pour un travail post-capitulaire (dans l'hypothèse de la décentralisation ou même du fonctionnement du Chapitre provincial) dans les provinces qui ont fait ces enquêtes.

Ce diagnostic national et provincial de valeur scientifique, si on ne le laisse pas dormir du sommeil des justes, peut devenir la base de nouvelles enquêtes à partir des mêmes données et surtout de la planification de la province et des travaux inter provinciaux.

Je voudrais bien parler d'autres enquêtes importantes, comme celles qui ont été réalisées aux Etats-Unis, au Canada, etc. …, mais le manque d'espace, m'oblige à me limiter à ce qui a eu une valeur ou officielle ou analysable scientifiquement.

 III – APPORTS DES CAPITULANTS.

 N'en restons pas pourtant aux procédés scientifiques, et pensons aux hommes, à ces hommes qu'étaient les Capitulants et parmi lesquels, naturellement, je dois m'inclure.

Sur eux, il y aurait fort à dire. Naturellement, je pourrais parler de la riche personnalité de chacun ; mais, je crois plus utile d'attirer l'attention sur certains attitudes capitulaires, en vue d'un progrès de la deuxième session.

Comme on pouvait le prévoir, beaucoup de Capitulants étaient conditionnés par une formation, une ambiance, un comportement antérieur, et aussi, en peut le dire, parfois trop portés à défendre un point de vue en fonction de leur milieu, avec une méconnaissance pratique du reste du monde mariste, et parfois même avec une tendance à vouloir conditionner les attitudes et les mentalités des autres Capitulants.

Si l'on ajoute la difficulté, pour un certain nombre, de parler français, qui portait (surtout avant la formation des commissions d'étude) à de fréquentes réunions de même langue ou de même province, on comprendra que les groupes culturels et linguistiques se soient fait remarquer et que le dialogue et la connaissance mutuelle n'aient pas eu lieu avec la rapidité souhaitée, surtout à l'Assemblée Plénière. Dans le travail des commissions, cette difficulté a été surmontée plus rapidement.

En résumé, je crois pouvoir affirmer avant d'en arriver à ce que j'estime fondamental et digne d'être médité par tous les Capitulants – que le Chapitre a connu deux phénomènes sociaux-culturels :

a) Au point de vue des relations humaines. on rapprocha les distances, on créa de l'affection, et des amitiés naquirent dans un esprit adulte, naturellement, c'est-à-dire à la manière d'hommes capables de différer d'opinion sans cesser pour autant de s'aimer et de vivre étroitement ensemble, comme quelqu'un le disait : « Ce sont les problèmes qui nous ont unis ».

b) Du point de vue du dialogue, si l'on entend par là « dialogue dialectique », il faut reconnaître que ce fut un point difficile du Chapitre même si l'on y parla beaucoup. On n'arriva pas suffisamment à la phase des synthèses, on resta plutôt à celle des antithèses.

Dans la plupart des commissions et sous-commissions, le dialogue a pourtant réellement existé et les travaux de synthèse présentés prouvent éloquemment le grand effort réalisé pour aboutir, par exemple, à l'explicitation de principes fondamentaux de la vie religieuse d'où puissent se dégager des applications pratiques variables selon les milieux. Mais aux Assemblées Plénières, le logos ne planait pas assez au-dessus des esprits pour éclairer, réchauffer et condenser une vérité à l'état de nébuleuse qui cherchait sa forme équitable et intégrale. Souvent il heurtait et brûlait.

Si le dialogue a été plus difficile et parfois inexistant, c'était peut-être manque de temps pour bien penser et présenter tous les arguments, ou peut-être prise de position trop peu souple qui ne considérait que certains aspects des problèmes. Il semble que l'expérience du travail fait dans les commissions et sous-commissions pourra inspirer l'esprit de recherche en commun qui devra davantage apparaître aussi dans les Assemblées Plénières. Et puisque j'ai dit que c'était un point fondamental, je crois devoir l'illustrer un peu par des exemples.

 1) SpiritualitéPsychologisme.

 Soit, comme diraient les professeurs de mathématiques, le binôme spiritualité-psychologisme. Il s'agit de deux groupes bien marqués, qui, tout bien considéré, ne s'opposent pas, mais s'impliquent et se complètent. Cependant, dans la réalité, les angles de présentation ne permettaient pas à ces idées de s'emboîter l'une dans l'autre.

Chacune de ces deux attitudes que nous allons analyser avait ses valeurs et ses déficiences à la fois. Et ceci sous divers aspects. Ils avaient bien raison ceux qui rappelaient l'urgente nécessité de tenir compte des aspects psychologiques de la personne humaine et de ses besoins dans le cadre de la vie religieuse : conscience de la valeur personnelle, reconnaissance de cette valeur, succès dans les entreprises, besoin d'être heureux, d'être utile, besoin d'amitié, de société, besoin d'être compris. de savoir qu'on peut compter sur ses confrères, qu'on jouit de leur confiance, besoin enfin de trouver le repos nécessaire, de voir respecter sa personnalité et sa liberté, de se sentir membre d'une équipe de travail et non simplement pièce entre les mains d'un joueur d'échecs.

Etre attentif à tout cela, c'est non seulement satisfaire les appétits humains difficiles à contenter – ceci est le revers de la médaille mais c'est assurer les bases nécessaires à l'épanouissement du religieux qui exige équilibre et plénitude. Il est vrai qu'il peut y avoir un développement spirituel supérieur chez des personnes humaines timides, faibles, chétives, mais ce n'est pas courant et puis ce n'est pas un témoignage propre à attirer et à conserver les jeunes dans une Congrégation.

Etre attentif à tout cela, c'est encore rendre possible un témoignage joyeux, fécond et positif aux yeux du inonde ; c'est enfin rendre des âmes plus libres de conflits psychologiques pour un meilleur service du prochain dans le travail, soit personnel, soit institutionnel.

Le jour où tous comprendront, dit le Père Paul-Joseph Hoffer, que les lois psychologiques bien éprouvées engagent la conscience morale, un grand progrès sera possible » (Maturité spirituelle, Circulaire n° 5, janvier 1958).

Il faut donc insérer les données psychologiques dans le message évangélique tout comme il faut aussi accepter les apports spiritualistes. Sans cela on risque d'aboutir à un échec.

Du côté des partisans du spiritualisme, ce qu'on soutient avec force, c'est la priorité non seulement qualitative, mais vitale de l'Evangile sur les valeurs humaines. Sur ce point, Notre-Seigneur notre loi et notre unique échelle des valeurs – est clair et catégorique. Non seulement il parle de la supériorité du surnaturel sur le naturel dans la parabole de la pierre précieuse et du trésor caché dans un champ, ainsi que dans la rencontre avec le jeune homme riche, mais, sous la forme orientale de la métaphore, il nous indique que nous devons sacrifier le naturel au surnaturel en cas d'inéluctable opposition. Le cas limite et toujours valide comme obligation et suprême témoignage est le martyre. En dehors de là, s'il y a un groupe humain dont le sens vital consiste à présenter au monde courageusement et joyeusement la priorité absolue du spirituel dans la vie et dans l'action, c'est bien celui des religieux, présence eschatologique vivante dans le monde et dans l'Eglise d'aujourd'hui.

A la lumière de cette doctrine, mérite d'être comprise et applaudie au Chapitre une attitude qui est d'accord non pas simplement avec la codification canonique en vigueur – aujourd'hui d'ailleurs en pleine révision – non pas simplement non plus avec la tradition historique de la vie religieuse et de la congrégation mariste[6], mais avec le message même et la vie de Jésus dont l'imitation est notre chemin de perfection. Nous savons à qui nous avons fait confiance[7].

Il faut donc que les arguments « psychologiques » soient présentés sans les défauts ci-dessus signalés et, quand ils sont présentés dans des applications concrètes, qu'ils soient en accord avec l'authentique adaptation conciliaire, au lieu d'être des concessions à la nature.

Il faut aussi que les arguments « spiritualistes » soient encadrés dans un contexte évangélique, tout en tenant compte des valeurs qui. hier encore, ne créaient aucun problème, soit parce qu'elles ne heurtaient pas une mentalité qui n'avait pas le même sens de l'objectivité ou du comportement social, soit parce que des consacrés n'avaient pas conscience ou n'avaient pas pris conscience de la présence en eux de ces valeurs dont nous parlons.

Aujourd'hui, en effet, ces valeurs se manifestent et provoquent des réactions ou même des révolutions lorsque les jeunes voient que, sans fondement, elles sont méconnues, violées par commodité, par négligence, par stéréotypie mentale des générations qui cheminent sur le versant descendant de la vie.

La réalité est que, sans une attention capable de s'adapter aux aspects psychiques de la personne humaine, pas mal de jeunes (et de moins jeunes), voileront, sous des formes externes de vie régulière, une série d'éléments problématiques qui ou tard aboutiront à des vies médiocres, avec des évasions camouflées, ou à des vies pleines d'amertume et de résignation sous un vernis de fidélité, ou même hélas, à des vies scandaleuses. La conséquence, c'est que, d'une part, supérieurs et confrères souffriront dans leurs relations avec ces hommes ; que, d'autre part, l'Institut ne sera pas aimé par eux, car on ne peut aimer une ambiance que l'on croit, même si c'est tout à fait subjectif, source de frustrations, de refoulements, de complexes ; et l'ambiance ainsi créée détournera les cœurs nobles qui sinon auraient ressenti attrait et sympathie pour une congrégation ou un apostolat.

Il est vrai aussi que si un apport « psychologique » n'est pas sérieusement examiné, tamisé et transformé à la lumière de l'Evangile, il devient, dans un autre sens, et peut-être plus aigu, source d'équivoques et de problèmes pour la vie religieuse. Car si on n'y prend garde, les grandes orientations de l'Evangile sont transformées en critères « naturalisants » avec lesquels on peut réussir à maintenir, pendant un temps déterminé, une certaine vie communautaire harmonieuse et une collaboration humaine, mais qui, jamais ne pourront soutenir les âmes dans cette joyeuse donation de la vie dans le sens d'une consécration qui suppose l'héroïque oubli de soi, et cet état de constante disponibilité à Dieu et aux autres qui donne à la virginité cet aspect joyeux et positif que doit manifester le religieux devant le monde.

Ce qu'on présente alors au monde, toujours dans la meilleure des hypothèses, c'est un modèle de structure humaine mais non pas le fruit du pouvoir et de la grâce du Christ qui dépasse toute mesure humaine.

C'est naïveté de penser que sans l'amour de la croix du Christ, sans la pratique graduelle, adéquate et sérieuse de l'ascétisme chrétien, on puisse obtenir les miracles moraux de témoignage, de dévoilement et de donation entière qui sont les fruits de l'Eglise du Christ. Et à son tour cette ascèse ne peut être mise en pratique et moins encore imposée sans la profonde motivation d'un grand esprit de foi. Qu'on se souvienne que la vie de foi qui est avant tout un don ne se développe et ne se maintient que par une constante et suffisante alimentation.

 2) StructureLiberté.

 Nous restons encore dans la critique du Chapitre avec un autre exemple sur les antinomies : celui de « structure-liberté ». Sa parenté est grande avec d'autres thèmes déjà cités et qui ont été l'occasion de fortes « polarisations » capitulaires. Le mot « structure » sonne un peu comme « autorité » et « centralisation ». Le mot « liberté », lui, éveille initiative, communauté créatrice de sa vie et de son gouvernement. décentralisation.

Pour illustrer, sur ce point, un jugement qui s'applique essentiellement à la première session, c'est-à-dire à cette période où la dialectique l'emporte sur la synthèse, au niveau de l'Assemblée Plénière surtout, je vais essayer d'analyser plus en détail ce point, épargnant ainsi l'étude d'autres courants d'opinion.

Un groupe désirait maintenir intactes une série de structures réglementaires ou légales. Un autre insistait sur le droit à la liberté qui nous vient non seulement de la dignité de la nature humaine, mais aussi de notre condition de rachetés par le Christ et de fils de Dieu. Encore une fois les deux groupes avaient raison. Voyons l'attitude du premier. Il est évident que la vie en commun n'est pas possible sans un minimum de structures ; celles qui renferment et protègent des valeurs fonctionnelles et capitales doivent être maintenues pour protéger ces valeurs contre les vicissitudes de la décentralisation et contre l'usage d'une liberté qui ne devient créatrice et féconde que lorsqu'elle est implantée dans une maturité à la fois humaine et surnaturelle.

C'est du sophisme lorsque, en face de cette réalité, on invoque la liberté ou le besoin du dynamisme de la communauté. La liberté dont parle saint Paul, c'est la liberté des fils de Dieu, fruit de la grâce et du don du Saint Esprit ; elle se manifeste dans le style de vie et d'action qu'elle suscite. Lorsque, sous le mirage de ce mot, surgissent des formes de vie non évangéliques, surnaturellement chétives, c'est la preuve que les milieux qui les ont fait naître n'étaient pas mûrs pour la plénitude de la liberté.

Dans une communauté – qu'il s'agisse de la communauté locale, de la province ou de la congrégation -, c'est un fait historique et sociologique irrécusable que les religieux s'échelonnent sur divers niveaux de maturité humaine et surnaturelle. A côté de vrais adolescents[8], il y a de fortes personnalités ; et auprès des commençants dans la vertu, on trouve des âmes arrivées à un extraordinaire développement de vie spirituelle.

Ceci est vrai pour les individus, mais se retrouve aussi dans le domaine social. En effet, à côté de communautés qui constituent une manifestation sociale de ferveur, de témoignage et de dynamisme apostolique, capables de se servir de la liberté pour inventer des formules de continuel dépassement collectif, il y en a d'autres qui, hélas, ont des centres de médiocrité : la liberté ne les mène qu'à la commodité, voire même aux abus.

Lorsque le genre de vie cache, non pas seulement un acte de faiblesse dont on est conscient, mais une mentalité, alors le phénomène est plus dangereux parce que la communauté est victime d'un mal qu'elle ne sent plus[9].

D'autre part, les continuels changements de personnel d'une communauté, le contexte du développement historique dans lequel on est inséré, déterminent des périodes de dépassement, de stagnation et même de décadence dans un groupe humain de consacrés.

Ce serait une grave erreur d'abandonner les structures dont on vient de parler à la seule fluctuation de ces mouvements du personnel ou de la pensée contemporaine, surtout quand on sait que ces structures une fois démolies, il sera impossible de les redresser. Méditons le mystère de la solidarité humaine, non seulement dans l'espace mais aussi dans le temps et nous nous rendrons compte de la gravité d'une réponse, d'une concession non seulement dans le présent, mais aussi pour le futur. Tel est le devoir de la fidélité à une tradition dans le sens vital et dynamique : nous sommes des héritiers et comme tels, responsables d'un patrimoine à conserver, purifier et améliorer.

Quand nous parlons de charisme dynamique du Fondateur, nous pensons à un courant qui non seulement se prolonge dans le temps, mais aussi qui doit croître en qualité, si pure et si vitale que soit pourtant la source.

Il y a en effet, dans l'histoire. des époques où des valeurs essentielles et réelles ne sont pas appréciées par une génération, où l'on arrive même à les nier. Or la grande tâche de l'Eglise en marche et de cette avant-garde eschatologique du Peuple de Dieu que sont les religieux, c'est de vibrer à l'unisson des valeurs positives de la génération dans laquelle elle vit sans délaisser la richesse des autres valeurs qui en sont les harmoniques.

C'est là un des grands services rendus par l'Eglise au monde : sauvegarder, en des moments de crise, des valeurs essentielles en leur donnant la chance d'une réalisation historique, d'une incarnation temporelle. C'est à ces moments de l'histoire que l'Eglise peut dire : Quand, dans le monde, règne le désarroi, je suis un guide sûr ; quand tous doutent, je continue à tenir ferme dans la vérité. Au moment de l'histoire où nous sommes, la réponse au charisme ne consiste pas à abandonner ce que nous avons reçu, mais à l'ouvrir pour y insérer les valeurs d'aujourd'hui sous forme d'intégration et non d'antithèse.

Venons-en maintenant au second groupe. Ce qui est vrai dans sa pensée c'est que les structures ne servent à rien si elles ne sont pas vécues en liberté. Un règlement qui, au lieu de servir doit se faire servir, devient facteur d'agacement et d'usure des forces vives, même pour les âmes de bonne volonté.

Si le règlement fait tout, la communauté perd le sens de sa responsabilité et se désintègre si paradoxal que ce soit – pour devenir un agrégat dont la coexistence est difficile. Groupés dans le temps et dans l'espace, ses membres vivent chacun leur vie, font leur travail particulier, laissant les autres vivre leur propre tâche et assumer leurs propres responsabilités. Ils s'ignorent dans la coexistence. Il peut y avoir des dynamismes intérieurs – il y en a même sûrement – mais ils ne forment pas entre eux ce faisceau puissant de l'interaction et du dépassement communautaire. Le témoignage est celui de l'isochronie, de la chronogéographie à travers laquelle on devine l'héroïsme d'âmes vitalement unies à Dieu, mais d'où le meilleur et personne peut le nier honnêtement n'arrive pas à transparaître, à entrer en circulation.

Evidemment rien n'est caché pour Dieu et tout devient fécond dans le mystère du Corps Mystique. Mais si règlements et structures diverses nous dispensent de communiquer les sentiments les plus profonds de notre être, alors la vie communautaire ne s'alimente pas dans toutes ses dimensions et n'atteint pas l'intensité et la fécondité qu'on aurait pu attendre d'elle.

Une telle vie religieuse, si méritoire qu'elle soit, limite le témoignage de liberté et de charité. Sans aucun doute, son influence sur les confrères est très faible, et elle est incapable d'éveiller l'enthousiasme des jeunes générations pour la cause du Christ et le salut des âmes. Elle n'est plus d'actualité.

De plus, on peut se demander, en face de l'Evangile, si elle n'a pas été victime d'une déformation, d'une usure du temps et si la poussière des structures n'a pas insensiblement effacé deux facteurs essentiels de la vie évangélique : obéissance libre et joyeuse, et souplesse de l'amour. Qu'on pense à la suprême liberté du Christ devant les multiples observances judaïques et à sa dure ironie envers elles.

Mais alors, dira-t-on, si tout le monde a raison, que reste-t-il à faire ? La réponse est indiscutable : purification et synthèse, et cela dans les limites d'un réalisme humain individuel et social, mais d'un réalisme en pleine tension vers la réalisation d'un idéal.

On ne doit pas parler de groupes opposés, mais de groupes recherchant ensemble une forme de synthèse, et par une purification, et par une autocritique de leurs propres attitudes et de leurs propres positions. La vérité et la justice ne se trouvent jamais dans l'hypertrophie et l'unilatéralité d'un point de vue.

En conséquence, pour suivre les directives du Concile, il faut éliminer, comme structures de la Congrégation, celles qui n'offrent pas de réelles valeurs ou les ramener à un niveau décentralisé ou facultatif.

Il faut par contre maintenir courageusement et fermement toutes les structures qui renferment une valeur et qui ont un contenu. Pour les conserver, on les adaptera afin de les rendre fonctionnelles, donc réelles, et surtout on les redressera.

Un regard en arrière sur ce point révèle certaines faiblesses. Prenons deux structures qui paraissent fondamentales à cause de leur fonction et de leur valeur : l'étude religieuse et la méditation. Suffit-il que les Frères soient présents à ces exercices communautaires pour qu'ils y trouvent un réel aliment spirituel ? Non. Ils doivent être vivifiés et soutenus par d'autres éléments : préparation sérieuse dans les maisons de formation, effort continu au sein de communautés vraiment apostoliques, politique prudente de gouvernement provincial et local. C'est la convergence de ces divers moyens qui maintiendra solide et développera une culture religieuse, elle-même aliment normal de la vie intérieure.

Par contre des enchaînements tels que : fondations, multiplication, et accroissement d'œuvres sans un appel équivalent à l'aide des professeurs civils, dettes contractées à liquider au moyen du salaire des frères, nécessité pour ceux-ci d'études officielles en vue de titres académiques, peuvent risquer ça et là de grignoter le temps nécessaire à la consolidation des deux structures indiquées qui, d'autre part n'ont pas toujours l'appui d'une bonne direction spirituelle, d'une bibliothèque religieuse à la page sur tous les points, d'orientations de lectures et d'études, etc. …

Je sais bien que, en de nombreux endroits de l'Institut, ces efforts ont été faits et qu'on se trouve malgré cela, face à des groupes de frères qui éprouvent un malaise envers l'obligation quotidienne de la méditation, par exemple.

En face de ce manque d'appétit, la suppression ou la diminution ne résolvent rien, hélas, et la seule fermeté à maintenir l'obligation et le temps comme un cadre vidé de son tableau n'est pas, elle non plus, une solution suffisante.

Ce cadre, il faut le maintenir, mais surtout, sachant qu'à l'intérieur il y a non pas une peinture ou une photographie, mais un être vivant, il faut, à partir de symptômes tâcher d'aboutir à un diagnostic et à une thérapeutique.

L'étude du cas d'une communauté pourra révéler une opposition entre ces structures que sont la demi-heure de méditation ou l'heure d'étude religieuse et le travail des frères, et, dès lors, une souple adaptation des horaires suffira peut-être à amener la guérison.

Mais si le diagnostic d'une autre communauté a dû classer comme spécieux les arguments des frères et qu'on se trouve en face d'un doute profond ou d'une réticence marquée à accepter l'idée d'un temps prolongé destiné à la prière et à la culture religieuse, il y a fort à parier qu'on est en présence d'une maladie.

Aucun frère, en effet, avide de culture religieuse, et qui ressent un besoin personnel de prière, ne peut trouver à redire à une structure qui lui garantit la satisfaction de ces deux besoins, contre sa tendance à l'accélération qui ne sait pas ménager le moteur, son manque de méthode qui n'arrive à trouver qu'à l'extrême fin de la journée un temps le respiration spirituelle, ou même, quoique plus rarement, contre un excès de bonne volonté qui ne sait pas se défendre des sollicitations abusives de son supérieur, peut-être bien excusable d'ailleurs de demander un travail supplémentaire à qui ne se refuse jamais.

Laissant là les exemples, disons, pour conclure la critique de la première session, qu'il faut éviter les manières de présenter des choses, d'incorporer ou de défendre des valeurs qui deviennent réellement éléments d'antithèse ou d'antinomie, en somme de créer des antagonismes là où en bonne logique on peut aboutir à la complémentarité et non à l'opposition.

Lorsque la loi est ce qu'elle doit être : relation de moyens réellement efficaces pour réaliser les buts aimés et choisis ; lorsque ces moyens sont rendus plus dynamiques par une aptitude spéciale de la loi – la loi du Christ est une loi de grâce ; lorsque c'est la recherche des buts qui a rassemblé les hommes dans une vie et une tâche commune, faisant justement naître la communauté ; lorsque, enfin, on a été, d'un côté dans la sagesse pour légiférer, dans la prudence pour gouverner, et de l'autre, dans l'amour tant de la loi que de la liberté, alors il n'y a pas opposition entre loi, structure et communauté.

Quand, de plus, on vit la liberté non seulement psychique (niveau d'adolescent) mais intégrale qui, à partir de la liberté de choix, se prolonge de façon cohérente en liberté de perfection (réaliser, perfectionner ce qu'on a choisi d'être ou de faire) et surtout lorsque l'amour a porté la liberté au-delà de la loi – non pas contre, mais au-dessus, – car l'amour réalise beaucoup plus que la loi demandait, alors l'obéissance, l'initiative et la liberté ne s'opposent plus. Non seulement elles ne s'opposent plus, mais tout se complète et s'achève réciproquement : la structure incarne la loi et celle-ci renferme des valeurs et les réalise ; ces valeurs font mûrir la personne qui alors ne se satisfait plus d'un exercice quelconque de liberté, mais seulement de celui qui a un résultat objectif.

La communauté devient ainsi milieu, exercice et fruit de la vie d'union entre des personnes qui se donnent à Dieu et aux autres dans la communauté et qui réalisent leur propre personnalité dans et par la communauté. Telles est la synthèse.

Chaque fois par contre que les mots liberté, personne, ascétisme, communauté, loi et même structure sont employés ou reçus de façon péjorative, il est clair qu'une hypertrophie ou une déformation a eu lieu dans la mentalité de ceux qui les employaient favorablement ou de ceux qui les attaquaient. Dans ce cas, c'est que le dialogue se trouve à peine au stade des antithèses.

Cette phase, bien qu'il arrive qu'on puisse en faire l'économie, est relativement fréquente, et, dit point de vue statistique, normale dans le travail d'une équipe. Il était donc normal qu'elle puisse exister au Chapitre, et, de fait, elle y était présente. Mais la seconde session devra réaliser le travail de synthèse[10].

 IV. – DOCUMENTS CAPITULAIRES.

 Terminons maintenant l'appréciation critique de la première session du Chapitre, et en même temps cette première partie de la circulaire, par une simple réflexion sur les documents capitulaires. Pas n'est question de mettre en valeur leur texte même ou leur orientation. C'est l'affaire de tous dans les travaux de l'intersession. Rappelons seulement qu'ils sont un point de départ et donc, Imparfaits, de l'imperfection de ce qui commence, de ce qui est en train de marcher, de ce qui est provisoire, car la deuxième session peut changer d'avis et vous donner des solutions différentes.

A cause de ce caractère provisoire, rien ne peut être considéré comme définitif dans les votes déjà effectués ; et il est prudent que les chiffres qui expriment ces votes ne soient pas divulgués pour le moment afin que seules soient posées par les frères les raisons fondamentales que contiennent ces documents, leur qualité, et qu'au contraire ce ne soit pas la quantité des suffrages qui détermine l'opinion qu'ils ont à se faire.

Je souligne cependant un aspect des « feuilles roses » : la richesse de la première session du Chapitre dont elles sont la preuve, et qui est due à l'accent particulier mis sur la vie de communauté considérée non comme une manière quelconque de coexistence, mais comme l'unité vitale, dans l'amour du Christ, d'un groupement d'hommes qui, en unissant leurs vies, dans une histoire et une tâche communes, mettent en communication, en circulation, à la disposition des autres, tout ce qu'ils ont, et spécialement leur amitié, leur cœur, leur vie intérieure, leur collaboration et leur service.

Une vie commune n'est pas tout simplement la résultante d'une dynamique de groupe – si excellente soit celle-ci pour faciliter la vie en commun – mais quelque chose de plus profond : une façon mystérieuse de vivre dans l'amour du Christ une vie eschatologique qui fait présager, et en quelque sorte, rend déjà présentes les formes de la vie et de l'amour futurs. Ce sont ces communautés irradiantes, ouvertes, joyeuses, qui témoignent de l'allégresse et de la liberté, condition et fruit en même temps de leur genre de vie singulier : la consécration ; ce sont elles qui deviennent un phare lumineux capable d'attirer à la vie religieuse la nouvelle jeunesse d'aujourd'hui si sensible aux aspects positifs de la virginité, de la pauvreté, du dévouement et de la communauté.

 ————————————- 

La seconde partie de la circulaire répondra au plan suivant : 

L'INTERSESSION

 A) Ce qu'elle ne doit pas être.

B) Ce qu'elle pourrait être.

C) Ce qu'elle doit être : 

1) Un temps d'étude et de critique.

2) Un temps d'expérience.

  La troisième partie aura pour titre : 

FACE A LA SECONDE SESSION CAPITULAIRE

 ELECTIONS 

Le Conseil Général a élu

a) Dans la séance du 24 novembre 1967 :

pour un premier triennat :

F. Alexis Pâquet, Provincial d'Iberville.

F. David Sebastian, Provincial de Levante

b) Dans la séance du 5 décembre 1967 :

pour un premier triennat :

F. Esteban Suarez, Provincial de Lujàn.

F. Marc Comte, Visiteur de Suisse-Missions

La présente Circulaire sera lue en communauté à l'heure de la lecture spirituelle.

Recevez, Mes Bien Chers Frères, la nouvelle assurance du religieux attachement avec lequel je suis, en J.M.J.

Votre très humble et tout dévoué serviteur.

                                            F. BASILIO RUEDA, Supérieur Général

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[1]: Pour ceux qui auraient le désir de connaître les changements effectués, il suffirait de comparer les deux règlements.

[2]: A prendre dans son sens social et non dans son sens péjoratif.

[3]: J'évite même de trancher s'il y a invitation ou non

[4]: Consulter le règlement définitif du Chapitre que les délégués des Provinces ont en main.

[5]: Pour ne donner qu'un détail, on a utilisé plus de 400.000 feuilles pour imprimer rapports, exposés, thèses, informations, etc. …

[6]: Le charisme est dynamique : nous y reviendrons.

[7]: Cf. 2 Tm. 1, 12.

[8]: Je vous recommande à ce sujet la lecture de l'excellente circulaire du Père Paul-Joseph Hoffer, s.m, intitulée : «La Maturité Spirituelle ». On trouvera aussi des idées très voisines dans deux autres ouvrages : celui du Père Roldan, « La crisis en la vida de religion » (fax), et dans celui du groupe lyonnais, «Devenir Adultes ».

[9]: Un Frère délégué au Chapitre me racontait que, ayant demandé à un petit groupe de Frères ce qu'ils désiraient ou attendaient du Chapitre, il reçut cette réponse : «Qu'ils nous laissent en paix ! ». Cet état d'esprit, quoique peu fréquent, n'est pas cependant exceptionnel.

[10]: Nous ne voudrions pas pécher par simplisme et affirmer l'absence de synthèse au sein du Chapitre. En effet, il faut admettre que certains thèmes ont rapidement abouti à une synthèse et que d'autres sont déjà engagés sur cette voie. Ce que nous voulons faire remarquer, c'est que l'attitude de synthèse n'a pas été celle de la première session, en ce qui concerne le dialogue, et qu'il nous reste encore beaucoup à faire en ce domaine.

 

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