Circulaires 373

Basilio Rueda

1970-06-06

Introduction
1ière PARTIE
Type d'homme avec lequel elle se construit. 1. Données de base requises.2. Psychologie de la vie communautaire. 3. Spiritualité pour une vie communautaire.
2ème PARTIE
La communauté: réalité naturelle. 1. Dimensions naturelles à ne pas négliger. 2. Aspect que révèlent des études récentes. 3. Types de communautés religieuses
3ème PARTIE
Dimensions mystériques de la communauté. 1. Charité fraternelle.
1. Témoignage de notre amour pour Dieu. 2. Doit être gratuit. 3. Universel. 4. Peut devenir extraordinaire. 5. Suscité par le don de Dieu. 6. Vraiment efficace
2. Communauté: climat, lieu et fruit de l'amour chrétien
3. Dangers qui menacent la vie communautaire

 

V.J.M.J.

Rome, 6 juin 1970

 CIRCULAIRE

SUR LA VIE COMMUNAUTAIRE 

              MES BIEN CHERS FRERES, 

Un an et demi s'est écoulé depuis la précédente circulaire. Volontairement j'ai laissé passer ce temps, car il fallait que tous les membres de l'Institut puissent vraiment étudier les documents du Chapitre Général.

Dans le fascicule 5 de la circulaire, j'avais annoncé que, pour des raisons de temps qui manquait, de nombre raisonnable de pages à ne pas dépasser, et d'autres convenances, certains thèmes étaient ou abrégés ou supprimés et j'en promettais le développement ultérieur.

Sans renoncer à ce propos, j'ai décidé de vous inviter, en cette année 1970, à faire ensemble quelques réflexions sur un point auquel me semble due la priorité : je veux parler de la vie communautaire.

En abordant un sujet aussi important, j'ai le désir de me mettre à l'unisson de cette corde frémissante du sens communautaire qui vibre chez tant de Frères, et rejoindre aussi par là l'identique résonance née au cœur profond de nombreuses familles religieuses et soutenue par la doctrine de Vatican II. Je vais même essayer de traiter ce problème au fond, car j'ai l'intime conviction que la vie communautaire a un rôle fondamental, quoique limité et incomplet, tant pour l'avenir des congrégations que pour la qualité et la persévérance des religieux pris individuellement. C'est ce rôle qui rend plus nécessaire que jamais une réflexion sur ce sujet.

J'ai la ferme conviction que, parmi les sujets qui abandonnent la vie religieuse, ils ne sont pas rares ceux qui avaient une vraie vocation et se retirent pour des raisons dont il faudrait chercher l'origine dans la vie communautaire insuffisante et même débilitante qu'ils ont dû vivre, dans les rapports humains marqués d'indifférence, de froideur ou même de dissension avec des religieux de leur propre Institut.

Une vie de communauté déficiente est l'origine presque inévitable d'une série de maux : la vie de prière et la vie d'apostolat s'affaiblissent ; baisse du même coup la satisfaction qu'on éprouvait en religion et, finalement se trouve atteint le dynamisme du don de soi, de tout un groupe social qui à la fois vit et subit un phénomène dont il est responsable et victime.

Je n'en réaffirme pas moins que si la vie communautaire authentique est nécessaire, elle comporte aussi ses limites.

Un double danger peut en effet se présenter dans certaines ambiances religieuses : on n'accorde pas à la vie communautaire l'importance qu'elle a, ou par contre, on attend d'elle seule le succès de la vie religieuse, ce qui est excessif.

Disons tout uniment que la meilleure vie communautaire toute seule est incapable à la longue d'assurer la persévérance, l'authenticité et la qualité de la vie religieuse, tant des individus que de l'institution. Disons même plus : si authentique qu'elle soit, la vie communautaire qui ne s'appuie que sur elle-même ne sera qu'un phénomène éphémère.

Si donc il fallait pour la présente circulaire un titre un peu « dans le vent », on pourrait l'appeler : « Apologie et démythisation de la vie communautaire ».

Les pages qui suivent chercheront non seulement à trouver de nouvelles considérations sur le thème de la vie en commun, quelques aspects nouveaux de ce thème, mais surtout à jouer le rôle de ferment afin que du point de vue personnel et du point de vue communautaire, l'année 1970 provoque à travers examens de conscience, réajustements et même révisions de vie communautaires, une recherche sincère autour de ce sujet si important. C'est dire que ces pages veulent être pratiques, nées qu'elles sont de l'expérience et orientées vers la vie et l'action, avec, en outre, une exigence de réponse. J'ai tâché d'y unir doctrine et réalité, d'en faire, tout au long, une invitation aux communautés, ou au moins aux individus dans le cas où, par suite des circonstances, telle communauté n'aurait pas les aptitudes ou la réceptivité requises pour se laisser inviter de cette façon collective à une autocritique constructive et féconde.

Quelques données sociologiques seront jointes à la doctrine ; elles ont été obtenues avec une grande rigueur scientifique. Elles n'ont sans doute pas une valeur supérieure à celle qui peut se dégager du type de culture et de société où on les a prises, mais elles se présentent comme des repères non négligeables pour concrétiser une réflexion sur le rapport entre la structure des communautés et d'autres facteurs.

Si d'ailleurs des communautés désirent faire des révisions de vie sur la « vie en communauté », selon la doctrine qui sera exposée ici[1], on peut leur envoyer une série d'orientations pour la ré-flexion et le dialogue sur : aptitudes personnelles, examens psychologiques et évangéliques, dialogue, collaboration et gouvernement. Mais il faut dans ce cas, que la communauté comme telle, ou une partie d'elle-même, d'accord avec son supérieur, veuille fragmenter cette circulaire afin d'en tirer, grâce à ces orientations, un réel profit : celui d'améliorer et renouveler au long de l'année en des méditations communautaires périodiques, l'exercice et la qualité de l'intégration communautaire et de la charité fraternelle[2].

L'étude et la considération de ce que doit être la vie en commun peuvent engendrer en nous une plus grande joie à travers une nouvelle manière de vivre. Elles peuvent rendre plus visible pour le monde et dans le monde la présence agissante du Saint-Esprit, en qui prend sa source l'amour mystique qui fait que l'on s'aime en Jésus, et assure ainsi l'unité des disciples.

En agissant ainsi, nous faisons vraiment un pas en avant dans l'effort de renouvellement et d'adaptation qui doit s'opérer dans le visage de l'Eglise. Et cet effort c'est elle qui nous y a appelés, comme elle s'y est appelée elle-même, dans les documents de Vatican II. 

PREMIÈRE PARTIE 

TYPE D'HOMME AVEC LEQUEL

ON CONSTRUIT LA VIE COMMUNAUTAIRE 

(Conditions de base de sa psychologie et de sa spiritualité) 

Une authentique vie en communauté exige pour être réalisée :

1) des hommes aptes à la vivre ;

2) des relations entre ces hommes ;

3) des mécanismes de circulation qui peuvent être spontanés (toujours variables) ou structurés à des degrés divers de complexité, de stabilité et de souplesse ;

4) quelque chose à mettre en commun, ou en d'autres termes, en circulation, entre tous les membres.¨

Il est évident que parmi toutes les composantes de la vie communautaire, la personne humaine a la priorité, en ce qu'elle en apporte l'élément le plus déterminant, et qui en fait la richesse principale, et aussi en ce qu'elle devient destinataire et bénéficiaire du rapport communautaire, rapport fait de bienveillance et d'amour.

Ce n'est pas par simple groupement ou juxtaposition de personnes qu'on arrive à réaliser pleinement la vie communautaire, ni même à en construire le gros œuvre, mais les personnes n'en constituent pas moins la richesse de base et la raison d'être.

Il est donc deux choses à ne pas oublier et que d'ordinaire on n'a pas présentes à l'esprit de façon explicite :

1) Le rapport inter-communautaire, quand il est issu d'un véritable amour, est dialectique, c'est-à-dire pousse à rompre ou plus exactement ii dépasser les limites de la communauté au bénéfice des personnes qui ne sont pas dans cette communauté.

2) Par-dessus tout, la personne des personnes est Dieu qui, Trinité de personnes[3]est présent comme agent et comme fin privilégiée dans la communauté religieuse. Si cette communauté ne voulait pas s'occuper de Dieu en tant que « membre » authentique d'elle-même[4], sous prétexte qu'on s'occupe de lui indirectement et qu'on l'atteint, pour ainsi dire, de rebond, en aimant les autres membres, son erreur serait « au moins » semblable à celle que l'on commet en abandonnant certains membres de la communauté sous prétexte que l'amour et le service envers les autres membres leur est finalement profitable à travers la recherche du bien général[5].

Non, ce sont toutes les personnes, et chacune selon sa propre condition qui doivent être enveloppées par le tissu des rapports humains.

C'est avec ces quatre fils constitutifs que nous allons tisser la trame du tissu communautaire au long de ces pages. Dans cette partie, il ne sera question que du premier d'entre eux : les membres de la communauté.¨

Nous sommes donc bien d'accord que la vie de communauté se construit avec des personnes et qu'elle vaut ce que valent ces personnes. Mais dans cette construction, ces personnes entrent avec leur dimension sociale, c'est-à-dire en faisant éclater l'intimité – non pas en l'aliénant afin de se donner elles-mêmes et d'accueillir le « toi » et les « toi ».

Les membres de la communauté sont pierres vivantes et fonctionnelles, et avec elles se bâtit cet édifice, vivant et fonctionnel lui aussi, qui est la vie communautaire et qui constitue notre véritable foyer.

La construction, à partir de ces pierres vivantes, S. Paul nous dit qu'elle a « pour fondations les apôtres et les prophètes, et pour pierre d'angle le Christ-Jésus lui-même. En lui toute construction s'ajoute et grandit en un temple saint dans le Seigneur, en lui vous aussi, vous êtes intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu dans l'Esprit»[6].

Dans cette partie, je m'attarde à examiner – brièvement et non pas avec l'étendue que réclamerait l'importance du sujet – les qualités de base, c'est-à-dire les données d'ordre psychologique et d'ordre spirituel qui constituent le substrat social d'une personne, et par là déterminent si elle est d'une part viable pour la vie communautaire, et d'autre part valable ou inutile ou destructrice pour cette même vie. Et je le fais dans une triple intention :

a) Suggérer un examen personnel à chaque membre sur ce point, cet examen pouvant même arriver çà et là à un moyen à utiliser en toute simplicité, et à la fois grande maturité, et qui est le suivant : les autres membres donnent une appréciation publique en toute sympathie sur ce qu'il y a de positif et de négatif dans la dimension sociale de l'un d'entre eux qui a sollicité l'appréciation.

b) Offrir une coopération à la tâche des Formateurs qui auraient à examiner si les aspirants possèdent ou non les qualités de base requises pour notre genre de vie sociale. En effet, c'est, appuyés sur cette base, qu'ils devront travailler ultérieurement en faveur de la culture et du développement de la dimension sociale.

c) Faire un appel à l'amour fraternel pour comprendre – un peu comme on le fait dans une thérapie de groupe – certains membres de la communauté qui sont bons et ont une vraie valeur intérieure, mais qui ont besoin d'être compris et aimés d'une manière particulière pour devenir capables de s'intégrer à la communauté avec toute leur richesse, alors que jusqu'à ce jour, cette intégration ne les a pas atteints et donc n'a pas développé leurs possibilités. 

I – DONNÉES DE BASE REQUISES DANS UNE COMMUNAUTÉ

POUR QUE SES MEMBRES CONTRIBUENT A LA VIE COMMUNAUTAIRE. 

Comme tous les hommes, nous sommes ambivalents. Il y a en nous du positif et du négatif à des degrés et dans des aspects divers.

La souplesse et les ressources intérieures de quelques-uns des membres fixent les limites dans lesquelles il est possible d'intégrer à la vie communautaire d'autres membres, soit défectueux, soit même déformés.

Oui, il ne faut pas oublier que la nature humaine a ses limites, sauf cependant dans l'amour. Celui-ci en effet, n'accepte pas qu'un chrétien lui impose des limites dans sa vie ; des limites ne peuvent être mises qu'à l'intérieur d'une « convivence »[7], et pour rendre celle-ci possible, il faut que les membres qui la vivent réalisent un seuil minimum de solidité et de dimensions sociales, spéciale. ment s'il s'agit de religieux, puisque ceux-ci doivent mener un type de vie commune très particulier, qui exige beaucoup plus de qualités de caractère et de don de soi que ce qui est demandé à d'autres groupes sociaux ordinaires.

Solidité et dimensions sociales constituent en effet la condition minimale qui permet au religieux de devenir dans l'édifice une pierre, facteur de cohésion et non pas de démolition pour la vie commune.

Il ne s'agit ni de dogmatiser ni de faire des généralisations systématiques : ce serait une erreur et une injustice dans une question humaine. Il faut signaler cependant que sur le seuil dont il est question, quelques défauts majeurs doivent être éliminés sous peine de voir bloquer la vie communautaire ou de la convertir en simple coexistence ou juxtaposition[8]

Les conditions minimales d'une vie communautaire possible et digne de ce nom sont les suivantes : 

1. – Absence d'égoïsme en chacun des membres

Il est vrai que nous sommes tous égoïstes et que seule la lente et difficile ascension de l'amour dans nos cœurs éliminera graduellement ce vice qui nous est si « co-naturel » dans notre condition présente. En parlant ici d'égoïsme, je n'ai pas l'intention de parler de ce défaut dans des formes ou degrés quelconques, sinon la grande majorité des hommes seraient incapables de vie communautaire. Non, Je parle d'une manière d'être de la personnalité qui se concentre si radicalement et de façon si permanente sur elle-même, ses intérêts et son moi, que toute sa psychologie et sa conduite en deviennent conditionnées[9]. Or, mettre dans la circulation communautaire un homme de ce genre qui immole les autres à lui-même, sacrifie le bien commun à son bien personnel et pour son avantagé personnel, n'est pas à conseiller du tout pour la vie communautaire. La mise en commun doit se faire par amour et pour le bien de tous ; mais, s'il se trouve un membre qui use et abuse de cette mise en commun devenue pour lui un instrument à son profit, il est clair que la vie communautaire est bloquée et désorganisée et que la plupart des membres vont en venir à des attitudes de défense et de méfiance dans le don d'eux-mêmes.

Aussi faut-il dire des individus radicalement égoïstes et qu'on pourrait appeler des individualistes, qu'ils sont inaptes et nuisibles à la vie communautaire[10].

Mener une vie en commun c'est faire un acte de générosité ; ce n'est pas du tout faire un acte collectif d'ingénuité pour favoriser et aider naïvement l'égoïsme d'un membre, car l'amour chrétien est droit, et donc a aussi tendance à redresser. 

2. – Absence d'hypocrisie

L'hypocrisie bloque le dialogue. En effet une des plus grandes richesses de la vie commune est l'ouverture mutuelle du cœur : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que l'ait le maître ; je vous appelle amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître»[11].

Quand les membres d'un groupe d'hommes sont capables d'entrer en communication vitale jusqu'à s'ouvrir aux autres de problèmes intimes, la vie communautaire atteint des niveaux privilégiés et la garantie définitive de sa qualité c'est justement son degré de spontanéité, d'authenticité et de pureté.

Mais qu'un seul membre manque de sincérité et de vérité, et voilà le dialogue détruit car les autres membres refusent de dialoguer quand il est présent.

Il faut éviter ici toute confusion, et c'est pourquoi je n'ai pas parlé de grand timide, même si ce défaut entraîne des mensonges fréquents, mais bien d'hypocrite. L'hypocrite est double et menteur systématiquement ; mais on peut trouver par contre des hommes qui simplement ne sont pas préparés à dire toute leur vérité et toujours leur vérité. Veulent-ils tromper ? Non, mais il faut savoir qu'il y a, à manifester ses propres opinions et son propre moi, des limites subjectives, et je ne parle pas des limites objectives, comme serait par exemple le danger que tel ou tel aveu nuise au bien commun. 

3. – Absence de suspicion et de méfiance envers les autres

Au départ de la vie communautaire il faut la confiance réciproque, au moins dans une certaine mesure. La relation est corrélation, ou, si l'on veut, le type d'attitude par lequel je prends contact avec les autres engendre « par réaction » un type d'attitude des autres envers moi. Il se trouve donc qu'un homme soupçonneux et méfiant, s'il ne rend pas absolument impossible la vie communautaire, handicape grandement pour lui-même l'entrée en communion et rend très difficile aux autres, en dépit de leur bonne volonté, les possibilités d'accès amical et profond envers lui. 

4. – Absence d'introversion.

 Suspicion et méfiance ont ordinairement pour séquelle l'introversion ; mais celle-ci peut provenir aussi du caractère ou de certains faits malheureux qui ont conduit un individu à se fermer définitivement soit envers certaines personnes, soit envers des groupes déterminés ; l'introversion peut naître enfin d'une spiritualité mal comprise, qui nous fait donner au prochain tout notre travail, notre amour, nos connaissances, notre temps, nos biens matériels, mais pas notre moi. Or, donner tout, excepté nous-mêmes, rendra toujours impersonnels le bien commun et la richesse communautaire, car l'amitié sera absente, et pourtant la vie communautaire religieuse doit être précisément une vie d'amitié[12].

Il est pénible que des personnes qui doivent vivre en communauté parviennent à considérer comme inutile et même nuisible tout effort « collectif » de révision ou de dépassement de la vie communautaire qu'elles vivent. Et la situation est encore plus grave quand la réalisation de cet effort aboutit à des résultats régressifs pour l'union et la compréhension fraternelles.

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J'ai insisté ici sur la considération de quatre points de base, mais c'est qu'ils semblent fondamentaux, leur absence étant presque toujours funeste pour la bonne entente fraternelle[13].

Restent à voir maintenant les qualités positives, c'est-à-dire toute une série de vertus qui forment la dimension sociale d'une personne. En voici la description sommaire. 

II. – PSYCHOLOGIE ADÉQUATE POUR LA VIE COMMUNAUTAIRE. 

Pour celui qui désire vivre en communauté, sont requises des attitudes et des aptitudes sociales.

L'aptitude peut exister chez quelqu'un mais être bloquée par lui, par caprice ou recherche personnelle ; tel autre par contre peut vouloir être sociable, mais sans y réussir.

Il existe en effet des qualités essentielles : respect, confiance et amour qui sont des pierres angulaires de la sociabilité.

1) Respect envers l'autre, ses droits, son bien et par conséquent sens de la distance non pas de nous à l'égard de nous, mais de nous à l'égard de lui ; c'est-à-dire sens de sa liberté, sens du degré de proximité et du type de relations qu'il admet de nous à lui, attitude à son égard de constante disponibilité à quelque chose de plus, mais qui ne cherche pas à imposer ce « plus ».

2) Amour, c'est-à-dire courant de sympathie, d'estime et d'affection envers lui, mais envers lui en tant que personne. Les éléments de sa vie doivent provoquer en nous une résonance et non pas nous laisser indifférents. Selon l'enseignement de St. Paul, « si un membre souffre, tous doivent souffrir avec lui, si un membre est à l'honneur, tous doivent prendre part à sa joie »[14].

3) Confiance, c'est-à-dire absence de méfiance, conviction Qu'il a envers nous de bonnes intentions, et que nous ne sommes pas en danger à cause de lui, et ceci malgré ses défauts, ses erreurs, même ses fautes ou ses offenses occasionnelles.

Dans la mesure où nos sentiments intérieurs gouvernent notre manière de voir, pénètrent dans notre cœur et influencent notre volonté et nos actions, une psychologie se forme en nous, et en même temps la base d'une spiritualité qui prépare la vie communautaire.

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Evidemment, il sera nécessaire ensuite de faire tout un travail que nous pouvons appeler, en ce qui concerne chaque membre, une sorte d'«éducation» de la relation humaine. Et je prends là le mot éducation dans une acceptation bien plus profonde que celle de simple politesse, du moins lorsque celle-ci se réduit à ce formalisme qui devient antipathique aux jeunes générations.

Eduquer la relation humaine c'est un peu combler la lacune dont se plaignait un religieux : « Ce n'est pas le cœur qui me manque, ce sont les formes ».

Il peut y avoir en effet tel groupe d'hommes qui réalisent les conditions de base (ils veulent se respecter, ils ne veulent pas se causer d'offenses réciproques, ils s'aiment et, ayant confiance les uns dans les autres, ils désirent de tout cœur resserrer les liens de leur communauté jusqu'à une véritable amitié) et qui cependant ne parviennent pas au but qu'ils désirent.

Comment ne pas rappeler ici les pages inégalables des «Avis, Leçons, Sentences » de notre Fondateur :

« Frère Laurent vint un jour trouver le Vénérable Père Champagnat et lui dire avec sa simplicité ordinaire : « Mon Père, je viens vous faire part d'une chose qui me peine beaucoup ».

Soyez le bienvenu, frère Laurent, et dites-moi vite et franchement le sujet de votre peine ». – « Nous sommes six Frères dans l'établissement où vous m'avez placé, il y a peu de jours. Si je ne me fais pas illusion, je crois pouvoir dire que nous observons la règle dans tous ses points ; les Frères, à mon avis, sont tous des hommes vertueux et qui travaillent avec zèle à leur salut et à leur sanctification ; tous, ce me semble, nous voulons le bien, et travaillons à l'obtenir. Malgré cela, l'union n'est pas entière parmi nous. Cette union règne encore moins dans l'établissement de nos Frères de …, qui sont nos plus proches voisins, et où nous allons de temps en temps, quoique les trois Frères de ce poste soient peut-être de plus rudes chrétiens et de plus fervents Religieux que nous. Or, souvent je me suis demandé : Quelle est donc la cause des petites difficultés qui existent entre nous ? Pourquoi l'union n'est-elle pas entière parmi des Frères qui sont si réguliers, et qui travaillent sérieusement à leur avancement spirituel ? Pourquoi la parfaite charité, l'union des cœurs et l'uniformité de sentiments laissent-elles à désirer chez nos confrères voisins qui sont cependant des hommes solidement vertueux ? Voilà, mon Père, le sujet de ma peine. Veuillez, je vous prie, la guérir en me donnant la raison de ces misères domestiques et leur remède ».

« Mon cher Frère, vous avez raison de dire que les Frères avec lesquels vous êtes, et ceux du poste voisin sont vertueux ; ils le sont réellement, et je vous avoue avec consolation que je les tiens pour de bons Religieux. D'où vient donc que l'union n'est pas entière parmi tous ces bons Frères ? Je pourrais me contenter de vous dire qu'il y a partout de petites misères, que les hommes les plus vertueux ont des défauts, et sont sujets à faire des fautes, puisque le juste, comme dit le Saint-Esprit, pèche sept fois le jour, mais j'aime mieux entrer dans le fond de la question, la traiter entièrement, et vous dire sur ce point toute ma pensée. On peut être solidement vertueux avec un mauvais caractère ; or, le caractère défectueux d'un seul Frère suffit pour troubler l'union d'une maison et pour faire souffrir tous les membres d'une communauté. On peut être régulier, pieux, zélé pour sa sanctification ; on peut, en un mot, aimer Dieu et le prochain, sans avoir la perfection de la charité, c'est-à-dire les petites vertus, qui sont les fruits, le décorum et la couronne de la charité ; or, sans la pratique journalière, habituelle des petites vertus, il n'y a pas d'union parfaite dans les maisons. La négligence ou l'absence des petites vertus, voilà la grande, et je pourrais dire l'unique cause des dissensions, des divisions et des discordes parmi les hommes ».

A la suite de quoi, le Père Champagnat fait au Frère Laurent un bel exposé que je résume en énumérant seulement les petites vertus : L'indulgence, la charitable dissimulation, la compassion, la sainte gaieté, la souplesse d'esprit, la charitable sollicitude, l'affabilité, l'urbanité et la politesse, la condescendance, le dévouement, la patience et finalement l'égalité d'âme et de caractère.

Il est évident, ajoutait le Père Champagnat, que la nature humaine se refuse à la pratique de ces petites vertus, affrontée qu'elle est aux défauts d'autrui, mais ce qui doit nous conduire à cette pratique c'est la compréhension du prochain, la découverte que chacun a des faiblesses, que les défauts que nous devons tolérer en lui sont de petites choses, que ces défauts n'aboutissent même pas à des fautes morales, et surtout la conviction que nous avons nous-mêmes bien besoin d'être tolérés et supportés par les autres[15].

Nous pouvons conclure en citant quelques qualités qui sont fondamentales pour la vie commune. Celle-ci implique que l'on estime le groupe, que l'on y adhère jusqu'à s'identifier non seulement aux hommes qui sont nos compagnons de vie, mais aussi à l'institution sociale elle-même, avec ses buts, sa structure essentielle, etc. … En d'autres termes, on considère comme faisant partie de soi-même la corporation à laquelle on appartient, de telle façon qu'on ne concevrait que comme un mal d'avoir à se séparer d'elle. Telle n'est justement pas du tout la mentalité du Frère « domestique »[16].

Mais nous aurons à revenir plus loin sur cette question, à propos d'un autre point de vue. Nous nous contentons donc pour le moment de cette synthèse et de cette énumération. 

III. – SPIRITUALITÉ POUR UNE VIE COMMUNAUTAIRE. 

Il y a plus important que la psychologie : je veux parler de la possession d'une spiritualité adéquate.

« La prière, nous dit Galot[17]a pour effet de réunir la communauté non seulement dans un rapprochement extérieur, mais dans une unité de cœur. Le lien intime des religieux avec Dieu est la chose la plus forte qui puisse les unir entre eux »[18].

L'histoire de l'Eglise a vu naître nombre de formes et même plusieurs écoles de spiritualité, les unes authentiques et valables ; d'autres, au contraire, véritables déformations de l'Evangile. Toutes évidemment n'ont pas favorisé la vie communautaire ; certaines même l'ont empêchée ou au moins en ont rendu bien difficile la pratique extérieure. Qui ne verrait par exemple les difficultés qu'imposent à la vie communautaire le puritanisme et le jansénisme, et le danger qu'ils lui font courir. Il faut même dire plus : parmi les spiritualités authentiques et valables, toutes ne possèdent pas la même aptitude pour l'épanouissement et l'exercice d'une vie communautaire forte.

C'est pourquoi, on peut dire que chaque famille religieuse doit tâcher de faire les réajustements voulus entre sa spiritualité et la vie communautaire qu'elle désire pour ses membres, afin que celle-ci soit bien au point.

Dans la manière de vivre et l'action à l'extérieur, par exemple, il y a bien de la différence entre les Trappistes et les Focolarini, et pourtant ce sont deux familles d'âmes où se manifeste clairement la main de Dieu.

Mais plutôt qu'une analyse comparative des diverses spiritualités, ou un commentaire de notre spiritualité mariste, je voudrais simplement attirer l'attention sur certains éléments évangéliques susceptibles de favoriser grandement notre vie commune.

1) Une attitude envers Dieu regardé comme Père et comme Amour, avec, dans nos cœurs, un sentiment filial envers lui qui va croissant.

Cela aura des conséquences psychiques agissantes et qui seront la joie, l'absence de crainte, l'abandon. Certaines âmes ont une telle conception du jugement, de la mort et même de Dieu qu'on pourrait presque dire que la Bonne Nouvelle ne leur est pas encore parvenue et qu'elles vivent une spiritualité paléotestamentaire dans le sens péjoratif du terme. L'apôtre S. Jean a pourtant dit [19]:

Il n'y a pas de crainte dans l'amour, au contraire, le parfait amour bannit la crainte, car la crainte suppose un châtiment et celui qui craint n'est pas consommé en amour »[20].

L'état de scrupule dans lequel ces âmes vivent, le manque de paix et de joie spirituelle, leurs rapports toujours tendus avec Dieu, tout cela ne reste pas limité à leur vie intime et a des répercussions sur leur manière d'être, rendant leur caractère dur, difficile à aborder, pas attrayant pour les autres, et bien qu'ils aient grand besoin de relations fraternelles, ils y sont pourtant peu enclins et n'ont de ces sortes de relations qu'avec. peu de personnes.

2) Une certaine vision de l'univers regardé comme la maison du Fils de Dieu.

3) Une appréciation de la dimension sociale des biens et des dons que l'homme a reçus, depuis les biens matériels jusqu'aux plus hautes grâces d'oraison.

C'est ce qu'a très bien exprimé l'apôtre St. Pierre : « Chacun selon la grâce reçue, mettez-vous au service les uns des autres, comme de bons intendants d'une multiple grâce de Dieu »[21].

4) Un sens de fraternité universelle, avec un horizon très large, mais d'une fraternité qui loin de se contenter du simple soliloque romantique va jusqu'aux plus dures exigences de l'amour, telles que les établit cette fraternité universelle autour du Grand Frère, le Christ.

Un vrai sens de fraternité nous pousse à chercher l'union avec Dieu dans la relation avec les autres et le service des autres, et nous fait apprécier les richesses sanctifiantes de la vie en commun. C'est pour cela qu'il ne nous laisse pas tomber dans l'erreur de celui qui voudrait limiter nos relations à la seule recherche d'une sainteté vidée par amour pour Dieu – de l'amour du prochain. Une telle attitude serait contre la nature même de la charité, car comme, l'a bien dit Claudel : «Dieu ne veut pas être aimé contre ses créatures ».

5) Une sérieuse culture de la prière, surtout de la prière filiale sans laquelle la fraternité s'envole ou s'affaiblit, car pour nous, hommes, ce qui fait être, sentir et agir comme des frères, c'est d'être, sentir et agir comme des fils[22].

Pratiquement dans le christianisme, toute fraternité authentique est conduite filiale, et toute véritable attitude filiale nous conduit à la fraternité. Qu'il soit bien clair qu'à l'origine et à la racine, ce qui est, pour ainsi dire, le soutien, c'est la ligne verticale ; en d'autres termes, ce n'est pas parce que nous sommes frères que nous sommes fils, mais parce que nous sommes fils que nous sommes frères.

N'oublions pas pour autant, qu'il s'agit d'une verticalité qui, loin de s'opposer à l'horizontalité doit l'engendrer immédiatement, comme un arbre ses branches, sous peine de n'avoir plus de sens[23].

En conséquence, une fraternité sans filiation est anti-chrétienne, comme l'est aussi une filiation sans fraternité. C'est déjà une erreur de cultiver l'une .en négligeant l'autre, mais l'erreur est encore plus grave si on veut les opposer.

6) Un sens ecclésial de la vie chrétienne et du salut. Nous sommes un peuple en marche vers la patrie. Le Concile le dit magnifiquement : « …Comme l'Israël selon la chair cheminant dans le désert reçoit déjà le nom d'Eglise de Dieu, ainsi le nouvel Israël qui s'avance dans le siècle présent en quête de la cité future, celle-là permanente, est appelé lui aussi : l'Eglise du Christ : c'est le Christ, en effet, qui l'a achetée de son sang, emplie de son Esprit et pourvue des moyens adaptés pour son unité visible et sociale. L'ensemble de ceux qui regardent avec foi vers Jésus auteur du salut, principe d'unité et de paix, Dieu les a appelés, il en a fait l'Eglise, pour qu'elle soit aux yeux de tous et de chacun, le sacrement visible de cette unité salutaire. Destinée à s'étendre à toutes les parties du monde, elle prend place dans l'histoire humaine, bien qu'elle soit en même temps transcendante aux limites des peuples dans le temps et  dans l'espace. Marchant à travers les tentations, les tribulations, l'Eglise est soutenue par la vertu de la grâce de Dieu, à elle promise par le Seigneur, pour que, du fait de son infirmité charnelle, elle ne défaille pas à la perfection de sa fidélité mais reste de son Seigneur la digne Epouse, se renouvelant sans cesse sous l'action de l'Esprit-Saint jusqu'à ce que par la croix, elle arrive à la lumière sans couchant »[24].

7) Une vision cosmique de la Rédemption. L'Eglise, à laquelle nous sommes tous appelés  dans le Christ et dans laquelle nous acquérons la sainteté par la grâce de Dieu, n'aura sa consommation que dans la gloire céleste, lorsque viendra le temps où toutes choses seront renouvelées[25].

Le plan formé par le Père de toute éternité, avait été de récapituler toutes choses dans le Christ, tant celles du ciel que celles de la terre, en réalisant pour elles un salut universel et en faisant du Christ le premier-né de toute la création, le premier ressuscité d'entre les morts. C'est précisément cette attente, au cours de l'histoire des nations, que nous décrit St. Paul dans un magnifique passage de l'épître aux Romains : « Si la création fut assujetti à la vanité – non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de celui qui l'y a soumise c'est aussi avec l'espérance d'être aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté des enfants de Dieu. Nous le savons, en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement. Et non pas elle seule : nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la rédemption de notre corps »[26].

Cette attente  dans laquelle nous sommes, St. Pierre aussi nous en parle : « Ce sont, dit-il, de nouveaux cieux et une nouvelle terre que nous attendons selon la promesse, où la justice habitera »[27].

« Ainsi donc déjà les derniers temps sont arrivés pour nous. Le renouvellement du monde est irrévocablement acquis et, en toute réalité, anticipé dès maintenant : en effet, déjà sur la terre l'Eglise est parée d'une sainteté encore imparfaite mais véritable. Cependant jusqu'à l'heure où seront réalisés les nouveaux cieux et la nouvelle terre où la justice habite, l'Eglise en pèlerinage porte dans ses sacrements et ses institutions qui relèvent de ce temps, la figure du siècle qui passe : elle vit elle-même parmi les créatures qui gémissent présentement encore dans les douleurs de l'enfantement et attendent la manifestation des fils de Dieu »[28].

Mais quand l'Histoire et l'œuvre de la Rédemption seront parvenues à leur fin, ce sera le moment où les hommes de toute race, langue, tribu, nation, rachetés par le sang de l'Agneau qui fut égorgé, seront constitués en un royaume de prêtres et ils régneront sur la terre, en milliers de milliers et diront d'une seule voix : « Digne est l'Agneau égorgé de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l'honneur, la gloire et la louange. Et toute créature dans le ciel, et sur la terre et sous la terre, et  dans la mer, l'univers entier, je l'entendis s'écrier : A Celui qui siège sur le trône, ainsi qu'à l'Agneau, la louange, l'honneur, la gloire et la puissance  dans les siècles des siècles »[29].

8) Une idée du ciel, qui ne soit pas une vision individualiste de Dieu, une sorte de film merveilleux où chaque spectateur est face à l'écran, mais bien plutôt la Cène de la grande famille où tous les frères sont là autour du Père dans le charme d'une veillée devenue éternelle.

9) La culture de certaines vertus, sans lesquelles l'amitié devient difficile parce qu'elle comporte des dangers ou parce qu'elle ne peut se réaliser. Ces vertus sont : la pureté qui lui assure authenticité ; la simplicité qui lui donne un caractère naturel et affable ; la bonté qui la rend bienveillante ; la prière qui donne du prochain un sens mystique à la lumière de la foi.

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Sans la prière, la foi ne peut guère arriver à croître, et sans la foi, il n'y a pas d'optique chrétienne envers autrui. En outre, c'est la prière qui donnera l'équilibre intérieur ; c'est elle qui rétablira l'exacte vision des choses, vision qui se détériore parfois pour des raisons de lassitude ou à cause de ces maladies, qui sont mineures en elles-mêmes mais sont amplifiées par la fréquence et l'accumulation ; c'est encore la prière qui refera notre volonté d'être compréhensif, généreux et de pardonner, toutes attitudes qui hors du climat de repos psychique et de prière deviennent impraticables, même pour des hommes de vertu et de bonne volonté.

Vieujean a écrit sur le prochain et l'amour ces lignes qui concernent notre propos : « Pour que le prochain nous devienne vraiment intérieur, rien de tel que de le mettre dans notre prière. Ainsi le plongeons-nous dans ce que nous avons de meilleur en nous : la vivante et vivifiante présence de Dieu.

« Il est impossible de faire du mal à autrui quand on agit en état de prière. A condition que ce soit de la prière véritable » (Simone Weil, La pesanteur et la grâce).

Dans la prière véritable, en effet tout s'éclaire, tout s'apaise, tout prend ses justes dimensions. Il est impossible de s'approcher réellement de Dieu sans participer à son esprit, à son regard, à son indulgence, à sa patience, à sa bonté, à son inaltérabilité, à sa charité, à sa volonté créatrice. Quand le prochain nous contrarie, nous froisse, nous irrite, quand il est sur le point de devenir à nos yeux une « chose », il suffit de le prendre dans notre prière pour qu'il devienne une personne… Il y a tant d'hommes que nous croisons dans la vie et qui ne nous demandent rien, tant d'autres qui font appel à nous et pour lesquels. nous ne pouvons rien. Chaque journée qui finit s'achève dans le souvenir mélancolique des frères au-devant desquels nous n'avons pu nous rendre et des autres auxquels les limites de temps, de force, de fortune et même de cœur nous ont empêché de répondre.

Il ne nous reste qu'un pouvoir, celui de les rassembler tous dans notre tendresse, celui de nous les rendre intimement présents puis de les mettre dans notre prière et de les confier à la toute-puissance aimante de Dieu »[30].

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On a donc besoin de Dieu, et si l'on a besoin de Dieu pour aimer le prochain de façon authentique, désintéressée, efficace et permanente, il est évident que cela exige une spiritualité. Or toute spiritualité vraiment chrétienne, n'est pas une spiritualité fermée ; après un temps d'intimité et d'immersion directe en Dieu, elle s'ouvre vigoureusement à l'amour et à l'action. Rien de plus juste donc que cette phrase de Péguy, déjà citée dans la précédente circulaire : « Celui qui fait jouer la prière et le sacrement pour se dispenser de travailler et d'agir, c'est-à-dire en temps de guerre, pour se dispenser de se battre, rompt l'ordre de Dieu même et le commandement le plus antique »[31].

Tous les saints ont été à la fois des exemples de prière et d'amour fraternel, et dans leur spiritualité, l'attention au prochain occupe une place fondamentale[32]. Aussi n'y a-t-il rien de plus erroné quand on présente une spiritualité communautaire, que de commencer à accuser le passé d'avoir ignoré cette dimension. Une semblable attitude est une injustice[33].

Les moments de véritable densité de vie chrétienne apparaissent nombreux dans la vie des saints, et ceux-ci sont les prototypes multiformes, sans doute, mais authentiques plus encore, de l'amour du prochain. Malheureusement le récit qui a été fait ensuite de leur vie à l'usage du chrétien moyen et du religieux moyen n'a pas su toujours respecter et souligner cette dimension caritative.

Il y a actuellement dans l'Eglise des mouvements et des spiritualités qui s'efforcent de sensibiliser et de préparer à une meilleure vie fraternelle, et aussi de revitaliser la vie commune à la lumière de Vatican II. Nous rapprocher d'eux ouvertement nous fera du bien, car Dieu les a favorisés de ce charisme pour le bien de son peuple. Un exemple : le Père Lombardi, parlant de son mouvement, en donnait cette définition suggestive et heureuse : « Quelques-uns sont nés dans l'Eglise pour apprendre à approfondir la vie intérieure ; d'autres pour apprendre à faire des œuvres ; nous, nous sommes nés pour apprendre des relations humaines dans le Christ. En effet, le jour où les gens de bonne volonté comprendront que l'effort qu'ils font pour garder la chasteté, la pauvreté, l'obéissance et se former à l'oraison, ils doivent le faire aussi et surtout pour s'unir et se comprendre, dialoguer et collaborer, alors il sera possible que les structures commencent à devenir vraiment vitales, efficaces et animées du sens de l'Eglise et du sens de Dieu »[34].

Il est clair qu'il faut comprendre ces paroles non comme une opposition aux vertus votales et ascétiques, mais comme un appel à donner à la charité fraternelle et à ses applications la place et la priorité qu'elles doivent avoir dans la vie du chrétien et de l'Eglise.

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Nous avons parlé de spiritualité en général ; peut-être convient-il de ne pas conclure sans dire un mot de l'importance que revêt, au sein même de cette spiritualité et pour le dynamisme de notre vie en commun, la spiritualité spécifique de l'Institut. C'est ce que laisse entendre Galot :

« La communion d'un même Esprit » est facilitée dans les communautés religieuses par l'appartenance des membres à un même Institut, qui les imprègne d'une spiritualité déterminée. Le charisme communautaire propre à l'Institut suscite une mentalité, une manière particulière de concevoir la vie spirituelle. Les religieux sont unis dans la possession de ce que le Concile appelle le "patrimoine" de l'institut ». (P.C. 2)[35].

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DEUXIÈME PARTIE 

LA COMMUNAUTE, REALITE NATURELLE 

De plus en plus on reconnaît une plus grande importance à l'élément naturel dans l'organisation, le développement et la conservation de la vie communautaire, que ce soit sous l'aspect psychologique, psychosociologique ou même strictement social. Il est vrai que, en théorie, on a toujours accordé au facteur psychologique une valeur prépondérante dans l'Eglise, puisque celle-ci a soutenu à travers les siècles, la primauté du moral, de l'intentionnel, en un mot, de « l'humain » sur le matériel.

Mais il vrai aussi qu'un manque de systématisation dans les études psychologiques et un certain angélisme s'étaient introduits çà et là furtivement dans la vie chrétienne et religieuse, et mettaient un accent très unilatéral sur l'importance de la vie éternelle et le besoin d'anéantir « le vieil homme ». Il en est résulté que le facteur « humain » a été pour ainsi dire laissé de côté, comme une chose secondaire, tandis qu'une préoccupation quelquefois obsessionnelle, cherchait pour le facteur « spirituel » une place presque exclusive.

Cette manière de concevoir la vie chrétienne comme une lutte continuelle pour se vaincre, s'est projetée avec une particulière intensité dans la vie religieuse. L'histoire et la vie des saints nous le disent amplement.

La consigne : « se vaincre » a été observée jusqu'à ses ultimes conséquences par des hommes et des femmes admirables qui étaient le fruit de leur temps.

Mais actuellement, à la suite du progrès des études psychologiques, on est parvenu à comprendre que le Seigneur, créateur de l'homme tout entier est législateur dans le domaine psychologique aussi, et donc respecte les lois que lui-même a imposées.

S'attachant à cette question de la négligence de l'élément naturel dans le complexe social et communautaire, le P. Jacques Berthelet écrit très justement : « On peut se demander ici, au niveau anthropologique où nous sommes situés, si la vie communautaire chrétienne ou religieuse n'était pas construite au mépris de l'authenticité d'une communauté.

On peut se demander si, pour vouloir être plus chrétiens, plus "religieux", nous n'avons pas consenti à être moins humains, moins "personnes" ; si finalement nous n'avons pas péché contre la grande loi de l'Incarnation qui exige qu'on ne pose pas de concurrence entre Dieu et l'homme, mais qu'on respecte, en Jésus-Christ, la plénitude de l'homme et de Dieu, la plénitude de l'homme étant ouverte à un dépassement (non à un remplissage) que seule la divinité peut permettre »[36].

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Mais il convient de le signaler dès maintenant, ce respect du Seigneur n'empêche pas qu'en même temps il puisse permettre que les contradictions et les épreuves purifient la vertu de tel homme déterminé. Les lois de l'apostolat et de la sainteté ne sont pas en effet toujours d'accord avec les lois dictées pour la généralité des humains, puisque, en bonne partie, elles ont affaire au domaine surnaturel, donc au mystère. Ici plus que jamais, on peut dire que tous les hommes sont différents.

Et cette diversité se comprend très bien du point de vue surnaturel. Le Seigneur distribue ses dons, selon son vouloir divin et, aussi bien dans la joie que  dans l'épreuve, on peut servir. Ce n'est pas par elles-mêmes que la contradiction ou la souffrance sont sources de mérites ou d'efficacité, puisque l'amour seul est cette source et qu'il peut manifester aussi bien dans la joie que  dans la douleur.

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Soyons objectifs. Certains s'attachent à des conceptions maintenant dépassées et les défendent avec une ténacité à toute épreuve ; d'autres au contraire tournent le dos à ce passé qui pourtant a rempli un rôle historique et qui constitue, c'est indéniable, en grande partie le fondement du présent. S'attacher exagérément à des conceptions qui out évolué, conduit à l'angélisme. Détruire le passé pour ne garder qu'un présent sans expérience, c'est bâtir dans le vide.

Mais, assez de considérations ; il faut revenir au thème qui nous préoccupe. 

I – IL EXISTE DANS LA VIE COMMUNAUTAIRE UNE DIMENSION NATURELLE QU'ON NE PEUT PAS NÉGLIGER SANS DE GRAVES CONSÉQUENCES, Y COMPRIS ET SURTOUT DANS LE DOMAINE SPIRITUEL. 

Que les communautés, parce que formées d'hommes aient un aspect d'autant plus varié que leurs membres sont plus nombreux, personne n'en doute. Mais il faut, à partir de ce fait, tirer d'importantes leçons.

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Peut-être convient-il d'abord de signaler que la plupart de ces leçons pourraient aussi être déduites à partir de n'importe quel groupe humain, puisque la communauté religieuse n'a pas, en tant que groupe naturel, des lois de structure, d'évolution et de développement qui soient différentes essentiellement de celles qu'on applique à n'importe quel groupe composé d'hommes. C'est chose reconnue par d'innombrables entreprises de l'Ancien et du Nouveau Continent. Marcel Ducos raconte comment une des usines de la General Electric a été le centre d'une expérience faite dans le but de découvrir les facteurs qui amélioreraient le rendement des ouvriers.

L'expérience a duré 5 ans. La conclusion à laquelle est parvenu un des directeurs de l'entreprise a été la suivante : « Nous sommes logiquement plus fondés à attribuer l'augmentation du rendement à l'amélioration du moral qu'à aucune des modifications effectuées au cours de l'expérience »[37].

On a fait d'ailleurs dans la même étude d’autres découvertes encore plus importantes :

– le simple fait de pouvoir s'exprimer a élevé le moral des ouvriers et leur rendement.

– les individus réunis pour l'exécution d'un travail, ne restent pas des individus, mais constituent une réalité nouvelle qui est le « groupe ».

– les ouvriers réagissent défavorablement et deviennent même la proie de véritables conflits lorsqu'un comportement leur est imposé, sans qu'on ait cherché à les associer à l'élaboration des décisions.

– dans ce cas, l'opposition se manifeste Aussi bien à l'égard de l'entreprise qu'à l'égard des cadres ou même des camarades.

– le rendement est fonction non seulement du climat qui règne à l'intérieur de l'atelier ou de l’entreprise, mais également de l'absence de problèmes d'ordre individuel.

– une autre conclusion a été que le rendement n'augmentait ni en vertu d'une discipline plus rigoureuse, ni en vertu d'avantages ou de privilèges extérieurs, mais qu'il était provoqué par un certain climat qui régnait dans l'atelier. L'expérience fournissait donc des données concluantes en faveur d'une explication essentiellement psychologique.

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Et maintenant je demande : est-il possible d'extrapoler en appliquant tout ce qui précède à la communauté religieuse, sûr que tout va fonctionner à la perfection ?

Il serait simpliste et déloyal de donner une réponse concluante avec le dogmatisme des philosophes de jadis. Même à l'égard d'une entreprise quelconque, il faut accepter qu'il puisse y avoir telles circonstances qui infirment les conclusions ci-dessus. « L'homme est l'homme plus les circonstances » : peut-être ce mot d'Ortega y Gasset servirait-il ici de panneau avertissant d'être prudent.

La communauté religieuse constitue un corps social, et à cet égard, les rapports chefs-subordonnés ne peuvent pas être substantiellement différents des rapports du même ordre de n'importe quelle organisation que nous appelons profane. Il n'y a pas des manières de commander radicalement irréductibles : une pour les religieux, une pour les ouvriers, et dont on puisse dire qu'elles n'aient pas quelques lois ou données communes. Si la psychologie sociale conseille telles méthodes de gouvernement ou de rapports chefs-subordonnés, il est évident que nos communautés doivent profiter des progrès de la science psychologique dans ce domaine.

Si dans une entreprise quelconque on parle de productivité, dans le travail communautaire nous parlerons d'efficacité ou de fécondité. Ce sera une question de termes à choisir pour nuancer la même idée.

Une chose est bien claire : outre les éléments dont on peut parler relativement aux moyens de productivité générale, lorsqu'il s'agit de la mission du religieux, on doit y ajouter : prière, pénitence, foi, c'est-à-dire sainteté personnelle et efficacité apostolique, mais surtout harmonie des rapports humains, unité et amour communautaire, joie de vivre en commun cette joie qui est reçue des autres et donnée aux autres. Plus encore, dans cette question des moyens spirituels, faudrait-il ajouter peut-être qu'ils sont d'autant plus efficaces à l'ordinaire qu'avec eux se trouvent aussi en plus grande proportion les moyens préconisés pour les entreprises profanes.

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Considérant les attitudes des hommes dans le moment actuel, Arnold Uleyn, O.M.I., dans un Iivre écrit en collaboration et intitulé : « La communauté : relation de personnes », expose la théorie selon laquelle l'homme actuel cherche ardemment l'intégration du groupe comme une réaction contre le climat qui règne dans la société en général. Il réagit face à la « réduction », autrement dit, à la limitation qui lui est imposée dans son rôle et sa fonction de personne : face à la « spécialisation » qui le mécanise et fait de lui une espèce de robot ; face à la « chosification » qui fait de lui seulement un objet de plus dans les domaines politique, économique et idéologique ; face à la « dés-individualisation » qui l'isole au sein même du conglomérat humain. Et sa réaction provient du désir ardent d'une véritable communion ; on parle même,  dans certains secteurs sociaux, d'un mouvement « communautariste ».

Or ces idées, encore une fois, on peut se demander si elles sont adaptables à l'ambiance qui caractérise notre vie communautaire.

En restant objectif, et en m'appuyant sur des données accumulées à travers les rapports avec nos Frères, et d'autres religieux, je crois pouvoir répondre oui en général.

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Il est certain que dans notre communauté nous aspirons à ce que l'on tienne compte de nous ; nous désirons être « quelqu'un » et non « quelque chose ». Il nous est désagréable de n'être qu'un numéro si important que soit ce numéro – ou qu'un facteur de rendement dans l'engrenage du travail ou de l'efficacité apostolique[38].

Il est vrai que nous désirons ardemment que les autres manifestent de l'intérêt envers nous et ce qui est à nous. Nous voulons qu'il y ait dans notre communauté la communication inter-humaine, mais dans le respect mutuel, afin que, en même temps, notre individualité soit respectée ; oui, ce désir nous l'avons et volontiers nous le manifestons, même si, à l'occasion, nous ne faisons pas grand-chose de notre côté pour agir selon la manière que nous préconisons.

Nous détestons les ingérences indiscrètes, même de la part du Supérieur, en ce que nous considérons comme une exclusivité réservée ; de là l'effet désagréable du contrôle de la correspondance, des appels téléphoniques, des visites, etc. …

Nous exigeons qu'on nous donne et nous reconnaisse des responsabilités où nous puissions faire preuve d'initiative personnelle. Nous considérons même plus volontiers comme valables les déterminations que la communauté a prises collégialement. Nous luttons pour que la collaboration remplace d'ordinaire la subordination.

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Si un groupe de religieux « vibrent à l'unisson », ils deviennent le « nous » indispensable pour aboutir à une authentique communication, à une authentique communion. Cette communication et cette communion ne sont possibles que si le groupe ne projette dans toute son, étendue humaine en maintenant des rapports interpersonnels authentiques ; mais pour que cette projection humaine et ces rapports interpersonnels soient obtenus le plus complètement possible, je pense qu'il ne faut pas seulement partir d'en haut, de l'« esprit de foi », mais aussi de la base. C'est d'ailleurs là le chemin marqué par le Seigneur dans la nature même, qui d'ordinaire ne fait pas de sauts, mais procède par étapes dans sa marche vers une plus grande perfectibilité. Nous le savons : l'avancement vers la maturité est avancement vers la sociabilité, et l'avancement vers la sociabilité est signe d'avancement vers la maturité. Et le point de départ de tout ce mouvement doit être l'homme comme tel, avec toutes ses valeurs et ses limites ; c'est là qu'intervient l'importance de la connaissance et de l'application de ce qu'enseigne la psychologie sociale. Pour que, dans un groupe humain, qu'il soit religieux ou profane, le « rendement » et le « bien-être » soient très hauts, il doit exister entre tous ses membres une organisation durable de processus « motivationnels », « émotionnels », « perceptifs » et « cognitifs » qui aient une force déterminante et constructive pour la conduite de la vie et qui constituent une véritable dynamique de notre affectivité.

Mais comment y arriver ? Ne cherchons pas une formule infaillible : celle-ci n'existe pas ; chaque homme a ses réactions personnelles et porte en soi tout un arsenal d'éléments positifs et négatifs accumulés au cours des années. Dans la partie suivante, je tâcherai de faire quelques considérations sur ce problème particulier, en m'appuyant sur des études psychologiques, mais je suis loin de prétendre épuiser ce thème. Et les conclusions que je tirerai, je ne voudrais pas dire qu'elles ne seront pas, dans l'avenir, sujettes à révision, à la lumière d'autres recherches scientifiques. 

Il – DERNIEREMENT BEAUCOUP D'ASPECTS PSYCHO-SOCIAUX ET SOCIAUX DE LA VIE COMMUNAUTAIRE ONT ETE MIS EN LUMIERE GRACE A DES ÉTUDES SYSTÉMATIQUES, A DES EXPÉRIENCES ET À DES RECHERCHES MENEES AVEC SÉRIEUX. 

Dès que l'homme est homme, le groupe existe. Ce n'est pas là, à proprement parler, une découverte due à l'industrialisation, mais ce n'est cependant que depuis peu qu'on a vraiment conscience de l'importance de ce phénomène dans la vie sociale. Je cite encore Ducos : « On dit parfois que c'est Elton Mayo qui a découvert le groupe. Ce n'est pas tout à fait exact. Dès le 18" siècle, – Edmund Burke l'a démontré – certains penseurs avaient déjà reconnu l'existence et l'importance des groupes dans la vie sociale. Un peu plus tard, en 1902, C. H. Cooley étudia pour la première fois l'organisation des groupes primaires et leurs rapports avec les individus qui les composent. S'élevant en particulier contre la conception atomistique des psychologues de son temps qui considéraient l'individu comme une entité fermée sur elle-même, il allait à l'autre extrême et professait une théorie semblable à celle qu'on retrouvera chez G.H. Mead : « il est impossible, écrit le même Cooley, d'établir une distinction tranchée entre votre moi et le moi d'autrui, car votre moi n'existe que dans la mesure ou le moi d'autrui existe »[39].

Evidemment cette affirmation, formulée de façon aussi catégorique, est fausse. Notre personnalité n'a pas besoin d'autres personnalités pour exister ; et en outre toutes les personnalités sont différentes entre elles. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il est extrêmement difficile, et même pratiquement impossible de distinguer à l'intérieur de notre moi, ce qui est hérité, ce qui est acquis et ce qui est dû à l'influence extérieure. « Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es » : ce dicton renferme une bonne part de vérité.

Tout le monde sait ce que c'est qu'un groupe, mais il sera bon quand même de citer à cet égard l'ouvrage de Jean-Marie Aubry et Yves Saint-Arnaud : « Dynamique de groupes ». D'après ces auteurs, le groupe est « Une personne morale, dotée d'une finalité, d'une existence et d'un dynamisme propres, distincte de la somme des individus qui la constituent, mais étroitement dépendante des relations qui s'établissent entre ces différents individus »[40].

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En pénétrant plus avant dans cette étude on pourrait être tenté d'établir un classement un peu élémentaire du groupe comme tel, le répartissant en « naturel » et « institutionnel » – ce qui correspond chez d'autres psychologues à « primaire » et « secondaire ». Mais laissons ces questions de classification ou d'interdépendance des groupes ; mieux vaut pour cela renvoyer le lecteur à quelques-uns des excellents traités qu'on a publiés tout dernièrement sur ces sujets. Une remarque pourtant serait intéressante à faire : la communauté religieuse, d'un certain côté peut être considérée comme groupe primaire, et d'un autre côté comme groupe secondaire. Elle est un groupe secondaire en tant que sa formation n'a été ni spontanée, ni imposée par la société ou par la nature. Elle est un groupe primaire, en tant que faisant partie d'un groupe plus important, c'est-à-dire d'un groupement de groupes : la Province, l'Institut.

Trois chercheurs américains : Lewin, Bavelas et Maier, ont fait des observations qui aboutissent aux conclusions suivantes :

1) les groupes constituent des réalités dynamiques ;

2) le fait de commander autoritairement – aussi étrange que cela paraisse – exerce des effets dissolvants dans le groupe ;

3) l'efficacité du groupe est en rapport direct avec la facilité et la fréquence que les membres ont pour échanger entre eux et avec le chef, et aussi avec l'information que le chef donne aux membres ;

4) l'intégration du groupe secondaire se fera seulement en relation avec l'intégration des groupes primaires qui le composent.

Ici une remarque avant d'aller plus avant : Il faut avoir bien présent à l'esprit que l'intégration des groupes secondaires a une importance proportionnée à celle des groupes primaires qui les composent. C'est le cas de répéter qu'« une chaîne n'est jamais plus forte que son maillon le plus faible »

Donc qu'un groupe, et par là même une communauté religieuse, constituent une réalité dynamique, c'est indéniable ; mais l'important c'est de bien identifier les éléments de cette dynamique interne pour les orienter vers la réalisation du bien commun ; et ce n'est pas toujours facile. A qui d'entre nous n'est-il pas arrivé de parler de ses élèves, en disant que chacun pris en particulier est aimable, gentil, plein de bonne volonté, mai que, une fois dans le groupe, il n'en est plus de même ? Ainsi pour la communauté : il peut se passer et il se passe effectivement le même phénomène. Que chacun des membres soit un homme pleinement donné au Seigneur : voilà qui s'avérera insuffisant pour amalgamer la communauté comme telle en toute occasion.

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Curieux phénomène, que l'homme, créateur de tous les types de sociétés, petites ou grandes soit impuissant à se soustraire à la pression et aux vicissitudes du groupe ! S'unit-il aux autres hommes, le voilà qui sacrifie par le fait même une partie de sa libre détermination, le voilà conditionné. Et c'est là un fait constatable, tant pour h bien que pour le mal de l'organisation communautaire. Combien de fois un Provincial n'a-t-il pas à gémir que telle communauté qui était très unie l'année précédente et faisait sa consolation, a changé radicalement parce que tel ou tel Frère n'en fait plus partie. Faut-il en conclure que c'était le Frère qu'on a déplacé qui unissait et amalgamait les esprits ? C'est possible, mais plus généralement encore il faut dire que par suite de l'absence des uns et de la présence nouvelle des autres, la cohésion du groupe a varié parce que ne sont plus réalisées certaines conditions qui favorisaient, sans presque qu'on s'en rendît compte, parmi les membres de la communauté, un dynamisme de groupe de sens positif.

Mais supposons même que n'interviennent pas des changements de personnes. Il peut se présenter telles modifications de structures ou d'intégration qui vont faire largement varier les résultats.

Je me rappelle par exemple ce fait que m'a raconté un directeur. Sa communauté était très unie et on la voyait si heureuse que le F. Provincial laissa les douze mêmes Frères pour l'année suivante. Mais une section de l'école devait être augmentée, et cela amenait à prendre un des Frères de la section des petits pour le mettre avec des plus grands. Résultat : un autre Frère du même âge et son camarade depuis le juvénat, allait avoir l'impression d'être laissé pour compte et cette situation créer une rupture d'équilibre qu'il faudrait résoudre en créant pour le Frère « offensé » une fonction compensatrice auprès des Parents d'EIèves et aussi de la communauté. Dans ce cas, il n'y avait donc pas eu changement des personnes, mais des circonstances.

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Cependant on ne peut douter un seul instant de l'importance particulière que prend la conduite du Supérieur face à sa communauté, et cela en un double sens : d'abord il n'y a pas véritable unité « mystérique » si elle ne se fait pas autour du Supérieur. et ensuite le Supérieur peut par son comportement à l'égard de la communauté, par le style de rapports sociaux qu'il établira avec elle, provoquer blocage et même désintégration de cette communauté ou au contraire ascension humaine et spirituelle tant des personnes que du groupe à travers une dynamique de dépassement.

On peut donc dire que le Supérieur est destiné à devenir ruine ou vie de sa communauté. Oui, il peut être ciment d'unification et mode de présence du Christ dans la communauté, un mode de présence du Christ qui n'est pas le seul, mais qui n'est pas moins réel et bien caractéristique ; mais s'il peut être le ciment d'unité, il peut être aussi la pierre qui fait tomber et qui fait crouler. Tout est possible suivant la manière dont le Supérieur comprend sa charge : service, promotion, domination ; suivant aussi qu'il l'exerce en toute maturité ou au contraire en prenant des attitudes qui révèlent manque de contrôle, paternalisme, timidité, autoritarisme, absorptionisme, etc. … (et Dieu sait si la gamme des négatifs est vaste !). Mais si important que soit ce thème du Supérieur, du gouvernement et de l'obéissance, je le laisse, ou du moins je me contente d'y faire quelques allusions marginales. Je n'aime pas en général traiter un thème de façon unilatérale et incomplète ; je préfère remettre à plus tard une étude sur la théologie de l'autorité, de l'obéissance et de l'exercice du gouvernement, à la lumière de Vatican II. 

III – TYPES DE CONCEPTION DES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES. 

Les réflexions sur la dynamique de groupes, avec applications particulières aux communautés religieuses, nous ont donc présenté deux types caractéristiques et extrêmes des communautés[41]. Nous avons, en premier lieu la communauté que nous appellerons modèle d'ordre et, en second lieu, celle que nous appellerons modèle d'équilibre.

La communauté modèle d'ordre est celle qui a des normes et un règlement où tout est prévu. Ce qui compte c'est ce qui est prescrit, et c'est là le seul moyen pour maintenir la vie du groupe.

Au contraire, la communauté modèle d'équilibre est celle qui vit en état de dialogue, en recherche de niveaux successifs d'équilibre ; son style est évolutif, les prescriptions sont réduites à ce qui est réellement nécessaire et grande est la marge laissée à la spontanéité créatrice de chacun des membres.

Après cette rapide considération des deux systèmes de formation d'un groupe ou d'une communauté, nous pouvons conclure que dans le groupe modèle d'ordre est exclu, à la base, tout désaccord et par le fait même tout dialogue : « si vous n'êtes pas d'accord avec ce qui a été réglé, vous n'avez qu'à aller ailleurs ». Pour l'efficacité, le groupe « modèle d'ordre » l'obtient vite et même tout de suite, alors que le « groupe modèle d'équilibre » l'obtient à plus longue échéance. En effet, dans ce groupe, le dialogue qui va pousser l'évolution et favoriser la spontanéité créatrice, est fondé sur un désaccord initial ou au moins ce désaccord est un des facteurs du dialogue. C'est dire évidemment qu'il y a toujours conflit possible. C'est pourquoi, la vie du groupe modèle d'équilibre suppose une recherche continuelle, parfois angoissante, tandis que dans le groupe modèle d'ordre tout est institutionnalisé à l'avance.

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Et alors, pour l'intégration de notre vie mariste, faut-il pencher vers l'un ou l'autre de ces deux types de groupes ? Il y a sûrement des partisans des deux systèmes ; mais une sereine considération des réalités, doit faire accepter une véritable dialectique qui nous mène de l'un à l'autre en assimilant les bons éléments de chacun et en éliminant ce qui dans l'un et l'autre serait source de difficultés et de dangers.

On a besoin d'ordre, c'est-à-dire d'un ensemble de lois qui assurent la vie individuelle et communautaire et le labeur apostolique. Mais il faut faire une sage discrimination entre ce qui est fondamental et ce qui n'est qu'accessoire, n'atteignant pas aux vraies valeurs, et dans cette discrimination, les meilleurs juges seront les membres mêmes du groupe, avec le Supérieur à leur tête, car ce n'est pas lui tout seul qui doit en décider. Et nous voilà par ce biais dans le « modèle d'équilibre » où l'on écoute les membres de la communauté, l'on pèse les opinions, l'on prend des décisions, le Supérieur veillant à l'accomplissement de ces décisions. L'autorité est donc d'abord la conscience dynamique du groupe et elle en est ensuite l'instance coordinatrice, ceci constituant des éléments de base de ce qu'on a appelé « l'autorité comme service ».

Le Supérieur qui accepte son rôle de cette manière pourra dire comme le Baptiste : « Il faut qu'il croisse et que je diminue »[42]. Ce « il », c'est le Seigneur, mais il est applicable aussi au dynamisme spirituel et humain de la communauté qui est au service du Seigneur.

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On pourrait faire encore beaucoup d'autres considérations sur le thème de cette section, mais il faut éviter d'être prolixe à propos d'une question qui ne constitue pas l'intention expresse de cette circulaire. Je voudrais donc, sans prétendre aucunement épuiser – j'en suis bien loin – je voudrais, dis-je, vous inviter à un examen et à une réflexion qui nous poussent à chercher une plus grande efficacité dans nos relations interpersonnelles.

Tous les psychologues admettent, et les hommes d'expérience aussi, que l'être humain se sent plus pleinement épanoui si, dans sa vie et son activité se trouvent réunies une série de conditions que la nature humaine réclame.

Cet épanouissement de l'individu produira d'abord de la joie dans son travail et dans son existence. Et cette joie deviendra visible dans le rendement qui sera plus efficace.

Oui, disons-le sans ambages, le Frère a besoin, parce qu'il est homme, de se voir épanoui dans sa vie religieuse, et de se voir épanoui d'abord du point de vue humain. Et qu'on n'aille pas automatiquement interpréter ainsi ma pensée : Les besoins primordiaux d'un jeune Frère, ce qu'il va réclamer peut-être, doivent être cherchés du côté de l'intellectuel, donc des études. Non, ce dont un Frère, jeune ou pas, a Besoin, ce qu'il désire, ce à quoi il a droit, en tant qu'homme, c'est à être considéré comme un homme avec ses aspirations et ses limites, avec ses qualités, ses possibilités, ses opinions ; en un mot, il demande, et il a droit d'être accepté par la communauté.

Comment se réalisera et s'affermira cette promotion de la personne humaine ? Avec l'attitude ouverte et compréhensive du Supérieur et des autres Frères, avec l'information qu'on donnera de tout ce qui va avoir une importance sur le développement de la communauté, avec la participation à la responsabilité, au degré qui convient, avec l'estime et la confiance que l'on a chaque jour plusieurs occasions de manifester.

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Information et participation à l’œuvre commune satisferont le besoin d'intégration qu'exprime le Frère en tant qu'homme. Lui faire confiance dans l'action qu'il entreprend, apprécier le travail qu'il fait, tenir compte de ses opinions, en ce qu'elles ont d'objectif, ainsi que de ses suggestions et de ses initiatives : tout cela satisfera son besoin d'estime.

Et ici il faudrait signaler l'importance primordiale, pour la promotion de la personne humaine, du dialogue franc, sincère, cordial, affectueux et respectueux entre le Supérieur et le sujet.

On a beaucoup insisté sur la valeur prépondérante de ce dialogue, qu'on l'appelle entrevue, ou direction, ou tout ce qu'on voudra ; et cependant il y a encore des Supérieurs qui négligent ce moyen si important, tant pour leur propre formation que pour celle du Frère, et aussi de la communauté tout entière, qu'il aidera puissamment à trouver une authentique orientation.

Ah ! oui, quel moyen précieux, cette entrevue avec chaque Frère pour que soient satisfaits les besoins signalés plus haut ! C'est  dans ce dialogue que le Supérieur entend du Frère ses idées, ses suggestions, ses initiatives, ses inspirations et ses confidences, et que celui-ci reçoit, à son tour, les informations, l'orientation, les confidences mêmes qui le rendent plus authentique comme religieux, parce qu'il est plus satisfait dans ses besoins en tant qu'homme.

Et c'est bien intentionnellement que je n'aborde pas ici les avantages surnaturels de l'entrevue entre le Supérieur et le membre de la communauté, ni non plus l'importance de ce dialogue sur la marche et l'organisation de l'école ou de l'institution que l'on dirige. Je me limite à ébaucher ce qui aurait des répercussions sur la projection humaine que donnerait d'elle-même n'importe quelle communauté, qu'elle soit chargée ou non d'un centre d'éducation.

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Après le dialogue privé, vient en seconde place, par ordre d'importance, le dialogue communautaire. Apparemment il est plus facile que l'autre pour beaucoup de Supérieurs, mais en réalité il est plus difficile. Plus fréquemment, en effet, peuvent surgir, à cette occasion, des orientations qui ne seront pas motivées par un dynamisme de don total au Seigneur, mais au contraire, par des poussées tendant, encore qu'on n'en soit pas toujours conscient, à la satisfaction égoïste de quelqu'un ou quelques-uns des membres du groupe. Il n'est pas indispensable que ce dialogue communautaire fasse partie d'un programme systématique, parce que le retour à intervalles trop réguliers comporte le danger d'essouffler les meilleures initiatives.

Il pourrait aussi être spontané, sincère, et (pourquoi pas ?) joyeux, si le Supérieur d'abord, et ensuite tous les autres Frères créent une ambiance telle qu'elle collabore à faire naître le dialogue, à le réaliser et à en assurer les résultats. Ce serait ici le lieu indiqué pour bien situer, sans qu'il soit trop difficile, je pense, de nous mettre d'accord, l'importance de ces moments sans protocole ni conventions, où nous nous montrons tels que nous sommes dans notre dimension naturelle. Je veux parler par exemple des promenades, des excursions, des goûters ou dîners à la campagne, etc. Mais cela ne contredit pas l'importance du dialogue systématique d'aucuns l'appellent conversation dirigée – où l'on invite la communauté à réfléchir sur elle-même et aussi à prendre des décisions en exercice de co-responsabilité.

Ces réflexions ont pour but principal de vous apporter un renouveau d'enthousiasme dans la constitution de vos communautés à travers une dynamique et des orientations toujours à améliorer.

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Donc, pour finir cette section, résumons très sommairement les idées déjà exposées, en ajoutant à l'occasion quelques points qui n'auraient pas encore trouvé leur place.

En centrant l'organisation de nos communautés sur le plein épanouissement de la personne humaine, je ne fais que suivre Vatican II qui nous apprend que « le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions sociales est et doit être la personne humaine »[43].

La co-responsabilité, c'est-à-dire l'obéissance responsable de la part de tous les membres de la communauté n'attente aucunement à la liberté personnelle de l'individu. Cette subsidiarité dans le gouvernement évitera l'ankylose structurale de la communauté. Peut-être qu'à la lumière de la théorie de la vie religieuse et des données fournies par la psychologie, un nouveau style de vie communautaire est en train de se préparer ; à nous de vivre humblement les impulsions de l'Esprit, mais restons aussi en garde pour éviter de nous laisser guider par des mirages.

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Le culte des conventions a toujours été un élément bâtard dans nos communautés ; maintenant que les signes des temps exigent plus d'authenticité, tout ce qui manque de sincérité devra être déraciné de nos habitudes.

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La doctrine catholique enseigne que « c'est par l'échange avec autrui, par la réciprocité des services, par le dialogue avec ses frères que l'homme grandit selon toutes ses capacités et peut répondre à sa vocation »[44]. De là l'importance primordiale dans nos communautés, de ce dialogue fécond, condition pour qu'un groupe d'hommes vibre à l'unisson d'un même idéal.

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Le dialogue communautaire, comme le dialogue dans n'importe quel groupe, pour être fécond et par là même authentique, a besoin de se fonder sur la compréhension mutuelle, c'est-à-dire sur la véritable charité. Tout homme aspire naturellement au bonheur, le religieux comme les autres, mais pour arriver à ce bonheur il faut nous accepter comme nous sommes, différents les uns des autres et d'une certaine façon complémentaires.

L'affectivité doit avoir sa part dans l'intégration de la communauté. Dans la vie humaine, l'amour est un élément constitutif et indispensable. I'équilibre émotif ne pourra être obtenu que moyennant une maturité de l'individu, maturité qui est bien facilitée lorsqu'on se sent accepté par tous et chacun des membres du groupe communautaire.

Or l'amour du prochain doit comporter une vraie affection humaine, sinon il faut douter de son authenticité.

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Concluons : en résumé, les conditions essentielles d'ambiance naturelle qu'il faut pour la bonne marche d'une communauté peuvent se réduire à deux : épanouissement définitif de chacun des membres de la communauté dans sa dimension personnelle, et dynamisme co-responsable et ascendant de la communauté. Il faudrait citer ici une phrase que le P. Hoffer écrivait, il y a assez longtemps, et que j'ai eu l'occasion d'utiliser déjà. A la lumière des découvertes scientifiques, elle acquiert une valeur aujourd'hui qu'elle n'avait pas Il y a 12 ans, lorsqu'elle a été écrite : « Le jour où tous comprendront que les lois psychologiques bien éprouvées engagent la conscience morale, un grand progrès sera possible »[45].

Ajoutons que pour le moment nous n'en sommes encore qu'au premier stade ; que d'autre part la nature humaine existe non à l'état pur, mais à l'état de mélange ; que d'ailleurs la promotion de la responsabilité dans et pour la communauté, et Ie dynamisme du groupe peuvent à l'occasion devenir dangereux. Tout dépend en effet de l'idée que l'homme se fait de sa promotion et de la manière dont il entend réaliser son épanouissement : d'après quel type d'humanisme, par quels mobiles, selon quelle hiérarchie de valeurs et quelle mesure d'appréciation du bien commun. Rabindranath Tagore a dit cela on ne peut mieux : « Je rêvais et je voyais que la vie était jouir ; je me suis réveillé et je me suis rendu compte que la vie était servir ; j'ai servi et j'ai découvert que servir était jouir ».

Mais quand l'homme trouve que son épanouissement ne vient pas assez vite, et qu'alors il abandonne des idéaux plus nobles et rétracte le don de lui-même qu'il avait fait à une cause supérieure, parce qu'il voit insatisfait son intérêt personnel, il montre par là que le désir de promotion qui le poussait n'était ni sain ni raisonnable, et était même certainement nuisible au bien des autres.

On peut en dire autant du développement historique d'une communauté. Quand on oublie que la croissance en elle du dynamisme n'est pas l'unique et suprême valeur (surtout dans un milieu où la foi entre en composition avec lui), cet oubli peut être un écueil pour la communauté et pour ses membres, surtout pour ceux qui ne sont pas assez préparés et ne possèdent pas à un degré suffisant le discernement des esprits.

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Je veux donc terminer ces simples considérations concernant le besoin de prendre très au sérieux dans la vie communautaire, la dimension naturelle et ses lois, par une affirmation qui me paraît très ¡liste, et qui nous défendra d'ailleurs de l'angélisme, car ce n'est pas entre nature et grâce qu'il y a tension, mais entre chair et esprit (au sens paulinien), ce qui est bien différent.

« Une communauté humaine authentique est le ressort total de ses relations, ressort constitué par l'amour que se portent des personnes sur la hase de la foi et de l'espérance qu'elles mettent les unes envers les autres. Si nos réflexions sont justes, ce que nous avons dit de la communauté devra se retrouver dans une communauté chrétienne ou une communauté religieuse.

Une communauté humaine ou religieuse authentique ne peut pas ne pas être aussi une communauté humaine authentique (p. 72) … car ce qu'il a d'inconsistant, d'inacceptable et de réformable dans une communauté religieuse lui vient en grande partie de ce qu'elle n'est ni assez humaine, ni assez chrétienne (p. 76) … mais en même temps que nous affirmons cela, nous devons dire que la communauté chrétienne ou religieuse n'est pas le résultat de la seule démarche même. Si la communauté humaine authentique appelle ou peut appeler la communauté chrétienne ou même religieuse, elle ne l'exige pas, celle-ci est grâce » ( p. 72)[46].

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TROISIÈME PARTIE 

LA DIMENSION MYSTERIQUE DE LA COMMUNAUTE 

La communauté religieuse n'est pas un fait de simple intersubjectivité humaine. Elle est plus, beaucoup plus : un véritable mystère[47]dans lequel devient comme tangible la foi collective, et resplendit dans cette foi le pouvoir « unificateur » de l'amour du Christ qui éclaire l'opération unitive et édificatrice en train de se réaliser entre les membres de la collectivité.

A la base il y a donc un fait collectif de foi dans le Seigneur : les religieux sont unis au nom de Jésus, en qui ils ont cru et à qui ils ont consacré leur vie pour un idéal commun[48].

Sans doute il peut y avoir de véritables formes de charité chrétienne, sous les apparences du seul amour naturel, et qui sont pourtant de vraies expressions d'une charité qui s'ignore elle-même[49]. Mais cette manière d'aimer ne sera jamais la manifestation normale de l'amour qui unifie une communauté religieuse, car là il faut une foi explicite, et une charité, fruit assuré de cette foi.

Nous allons donc, un peu plus loin, parler d'une sorte de liaison entre les membres et d'un résultat sociologique qui, dans la mesure où ils sont réellement vécus, dépassent le niveau du simple psychologique et sociologique, pour en venir à manifester le mystère et en rendre visibles les racines : « en ceci, tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres »[50]

I – LA CHARITÉ FRATERNELLE, TYPE CARACTÉRISTIQUE

DE L'AMOUR D'UNE COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE. 

Une communauté religieuse, en toute dernière analyse, doit être un ensemble de chrétiens réunis sous l'impulsion de l'Esprit-Saint pour vivre le christianisme d'une façon particulière et avec toutes ses implications, c'est-à-dire pour vivre un exercice de l'amour envers Dieu et envers le prochain, recherché et pratiqué inlassablement[51]. Logiquement c'est la communauté qui est la première bénéficiaire de ce dynamisme de charité, mais s'en tenir à ce résultat serait la convertir en « ghetto ». Par ailleurs, prétendre appliquer le don de l'amour à des personnes ou à des œuvres plus distantes en fermant son cœur à ceux qui vivent avec nous, ce serait une triste caricature, un démenti flagrant de l'amour.

Toute la richesse communautaire de l'intersubjectivité humaine doit être assumée, purifiée et complétée par la charité, don direct de Dieu ; complétée, dis-je, et non dévitalisée : il faut les fuir en effet ces formes de charité qui « pour être divines doivent cesser d'être humaines », parce qu'elles oublient que le christianisme est le mystère de Dieu fait homme.

En quoi doit consister cette charité, et comment peut-elle conduire à une révision de l'amour chrétien dans nos communautés ? La Sainte Ecriture nous donne six réponses qui pourront nous servir d'appui concret dans notre analyse. 

1. – La charité fraternelle est le témoignage et le signe de notre amour pour Dieu. Son absence est une preuve indéniable que nous sommes « morts ».

 « Qui aime son frère demeure dans la lumière et il n'y a en lui aucune occasion de chute… Quiconque hait son frère est un homicide ; or vous savez qu'aucun homicide n'a la vie éternelle demeurant en lui… Si quelqu'un dit : J'aime Dieu et qu'il déteste son frère, c'est un menteur ; celui qui n'aime pas son frère qu'il voit ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas… A ceci nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous faisons ce qu'il commande »[52].

Toute notre religion – en prenant le mot dans le sens d'entretien et d'épanouissement d'une vie de rapports avec Dieu – est vaine si l'amour du prochain n'est point en elle. Celui qui serait dans cet état perdrait son temps et ses efforts seraient sans résultat, ce qui serait extrêmement regrettable pour un religieux ; ses vœux, en effet, spécialement celui de virginité, vécus pour le royaume des Cieux, doivent par leur dialectique même, engendrer dans son cœur une force d'aimer, un style d'amour de qualité supérieure. St Paul nous le dit d'une manière insurpassable et avec la suprême autorité d°un texte inspiré. Je cite : « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je ne suis plus qu'airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j'aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j'aurais la plénitude de la foi à transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert à rien »[53].

A la lumière de tout ce qui précède, on voit bien comment la pratique de l'amour fraternel est la meilleure préparation au Jugement. St Jean de la Croix avait bien raison de dire : « Au soir de la vie, tu seras jugé sur l'amour ». Cette affirmation a son fondement dans le texte évangélique de St Matthieu, ch. 25, v. 31 à fin. 

2. – Cet amour, pour être vrai et dépasser n'importe quel autre amour humain authentique, doit être gratuit.

 Je prends gratuit dans deux sens : d'abord dans le sens d'aimer l'autre pour lui-même : l'aimer comme objet direct de l'amour, et non à cause du bien ou de la jouissance qu'il peut procurer à celui qui l'aime. Si cette jouissance était la première intention d'un amour on n'aimerait pas l'autre pour lui-même. En rigueur de termes, on ne l'aimerait même pas du tout, car l'objet dernier de cet amour serait tout simplement une projection de soi-même dans l'autre.

Si réellement notre amour est gratuit dans le sens déjà signalé, du fait même que nous aimons, nous chercherons instinctivement le bien de l'autre, et alors notre amour deviendra amour de bienveillance.

C'est l'analyse de cet amour que fait Nédoncelle dans un très beau passage : « L'amour, dit-il, est une volonté de promotion. Le moi qui aime veut avant tout l'existence du toi ; il veut en outre le développement autonome de ce toi ; il veut cependant que ce développement autonome soit, si possible, harmonieux par rapport à la valeur entrevue par moi pour lui. Toute autre attitude est un arrêt timide sur le seuil du temple ; ou bien c'est une complaisance égoïste  dans le reflet d'un miroir. II n'y a d'amour proprement dit que si l'on est deux et que le moi entreprenne de sortir vers l'autre a fin de le poser à titre aussi réel que possible, non comme un objet de spectacle, mais comme une existence et comme une subjectivité parfaite »[54]. Scheller a bien raison d'affirmer qu'il n'y a d'amour moral que l'amour personnel. Dans l'amour, il y , a donc véritable et intense relation à l'autre.

Dans un second sens, amour gratuit voudrait dire : ne pas aimer l'autre pour ses valeurs, ni parce qu'il est digne d'être aimé mais parce que « c'est comme ça », parce que le dynamisme de l'amour est d'aimer, comme celui de la lumière est d'éclairer. C'est St Jean qui nous le dit dans une phrase souverainement évocatrice en parlant de l'amour de Dieu qui – nous le verrons plus loin – est la source de notre amour à nous : « Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est amour. En ceci s'est manifesté l'amour de Dieu pour nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions pour lui. En ceci consiste son, amour : ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés. Bien-aimés, si Dieu nous a tant aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres »[55].

 3. – L'amour chrétien est universel.

 Lorsque le Seigneur étend son commandement d'amour aux ennemis, dans le Sermon sur la Montagne, il l'étend par là même à toutes les catégories d'hommes[56]. En effet, la conséquence est inéluctable : si nous devons aimer nos ennemis et ceux qui nous font du mal, il ne reste personne à qui nous puissions refuser notre amour sans cesser, dans l'acte même de ce refus, d'être fondamentalement chrétiens.

Appliquons ceci à la vie communautaire, et nous avons l'évidence suivante : Il est possible que malgré nos efforts nous n'arrivions pas à nous entendre ni à nous habituer avec tel ou tel membre de la communauté, mais ce qui ne pourra jamais être chrétien, c'est de ne pas aimer ceux avec qui nous n'avons pas pu nous habituer.

On le voit, il y a ici un phénomène de rapports humains que ni psychologie ni sociologie ne peuvent expliquer : l'amour des ennemis, l'amour des gens antipathiques, l'amour de ceux qui ne méritent pas d'être aimés. C'est ce que disait le Seigneur : « Le reste, même les publicains sont capables de le faire »[57]; « les gentils n'en font-ils pas autant ? »[58]. Seul le dépassement du niveau naturel est une réponse à ces interrogations.

 4 – L'amour atteint des degrés d'héroïsme et accomplit des actes extraordinaires si vraiment il est amour de charité.

 C'est en Dieu d'abord que l'amour envers les hommes atteint un degré tel que « le Père n'a pas épargné son propre Fils, mais l'a livré pour nous»[59]. En parlant du Fils, St Paul s'écrie : « Ma vie présente dans la chair, je la .vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi » [60]. C'est à partir de cette expérience de l'amour de Dieu pour nous et de l'amour que l'Esprit suscite en nous à l'égard de nos frères, que St Paul décrit la nature et les effets de l'amour de charité :

« La charité est longanime ;

elle est serviable ;

elle ne fanfaronne pas ;

ne se rengorge pas ;

elle ne fait rien d'inconvenant,

ne cherche pas son intérêt,

ne s'irrite pas

ne tient pas compte du mal ;

elle ne se réjouit pas de l'injustice,

mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout,

croit tout,

espère tout,

supporte tout »[61] 

Il est facile d'écrire cette hymne dans un moment d'exaltation lyrique. Mais ce qui est bien plus beau, c'est que, dans la vie chrétienne, cet héroïsme doit être la voie ordinaire : le commandement d'amour donné par le Christ et taillé à la mesure du chrétien. « Voici mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés »[62]. Cet ancien commandement d'aimer, exprimé sous une forme nouvelle, le Seigneur l'appelle son commandement et le commandement nouveau[63]qui sera le signe distinctif des siens et par lequel le monde les reconnaîtra[64].

En effet, bien peu de temps après la promulgation solennelle du commandement, la communauté primitive de Jérusalem manifestera la présence de cet amour affectif et effectif[65].

C'est pour cela qu'on peut dire en toute vérité que lorsqu'un chrétien est damné, il ne l'est jamais à cause d'une morale qui était au-dessus de la sienne, mais seulement au nom de sa propre morale qu'il n'a pas accomplie.

En effet, le « comme je vous ai aimés » établit, si l'on peut dire, une norme dans le style d'amour qui doit être le nôtre ; il apporte à notre pensée le thème possible d'une prodigieuse dissertation : « Combien Jésus nous a aimés ! Combien il continue de nous aimer ! ». Le modèle suscite en nous les inévitables questions : comment peut-on arriver à aimer ainsi ? comment est-il possible qu'un chrétien accomplisse ce commandement et montre au monde qu'il est disciple du Christ ?

La réponse, c'est à la fois la Sainte Ecriture et la Théologie spirituelle qui nous la donnent.

 5. – Le don de Dieu suscite en nous la charité.

 Où se trouve l'apport spécifique de Jésus à l'amour ? Dans le fait d'en avoir parlé d'une manière sublime ? D'autres déjà, indépendamment de lui, l'avaient fait en des passages d'une exceptionnelle richesse. Non, ce qui est caractéristique de son message c'est de nous avoir révélé non pas l'amour psychologique, ni l'amour éthique du prochain, mais l'amour religieux qui trouve sa valeur dans l'équation : aimer le prochain c'est aimer Dieu (« C'est à moi que vous l'avez fait » : Matth. 25.40).

Un chrétien, un religieux n'ont pas le droit d'avoir des rapports humains non charitables[66]sinon à quoi bon l'Esprit-Saint aurait-il été répandu dans nos cœurs ? (Rom. 5.5.). Nous avons appris l'amour, non pas à l'école de n'importe quel maître, mais de Dieu même[67]et le pouvoir d'aimer ainsi nous a été communiqué comme un don d'origine pneumatique qui vit et agit au-dedans de nous[68].

On peut en donner pour garant les paroles mêmes que Jésus a dites après la rencontre avec le jeune homme riche, en réponse à l'exclamation de surprise de ceux qui avaient assisté à la scène : «Mais qui donc pourra se sauver ! » – « L'impossible pour les hommes est possible pour Dieu »[69].

La charité fraternelle, cet amour extraordinaire qui fait que nous aimons notre frère est en effet un don, et un don, non pas à recevoir peut-dire, mais déjà reçu.

Dans un article, le Père Lyonnet met en rapport étroit les textes bibliques de la circoncision qu'Israël doit réaliser en son cœur[70]avec l'aide de Yahweh, de la loi qui est écrite dans le cœur humain[71]et de l'Esprit-Saint qui doit demeurer à l'intime de notre être[72]; et il conclut ainsi cette analyse biblique : « Etant obéissance à Dieu, bien plus, imitation de Dieu, l'amour du prochain comporte donc essentiellement une relation directe avec Dieu. A la dimension « horizontale » s'ajoute nécessairement une dimension « verticale ». Et cependant une telle relation demeure encore assez extérieure. La révélation du Nouveau Testament, préparée d'ailleurs également par l'Ancien Testament, va à expliquer que cet amour du prochain est en chacun de nous une activité de Dieu lui-même qui opère au plus profond de notre être »[73]. La loi de Dieu sera donc, dès ce moment, en toute réalité, l'Esprit de Yahweh. D'où la conséquence que tire le Père Lyonnet : « Si la loi de Dieu est à ce point intériorisée, si l'Esprit de Dieu devient le principe même de notre agir, il est clair que, dans la mesure même de cette intériorisation, notre conduite se conformera nécessairement à la volonté de Dieu. Tel est précisément le but que Jérémie assigne explicitement à ce renouvellement de l'homme : « Alors ils n'auront plus à s'instruire mutuellement les uns les autres … Mais du plus grand au plus petit tous me connaîtront » (Jér. 31, 34), au sens biblique où « connaître Yahweh » signifie « accomplir sa volonté ». Ezéchiel ne parle pas autrement : « Je ferai que vous marchiez dans nies lois et mes coutumes » (Ez. 36, 27b)[74].

Lyonnet va encore plus loin et nous fait voir comment il est presque impossible pratiquement non seulement d'accomplir le précepte royal de l'amour qui renferme toute la loi et les prophètes, mais encore même de faire le bien. Rien ne montre plus manifestement à quel point, pour St Paul, la charité envers le prochain, unique précepte chrétien, est indissociable de sa source proprement divine. Pour St Paul, sans le Christ l'homme peut tout au plus « aspirer au bien » (Rom. 7. 18a) mais sans pouvoir le « réaliser » (Rom. 7. 18b) ; l'intervention divine, par le Christ et l'Esprit est indispensable : il faut que Dieu en personne « circoncise notre cœur », qu'il mette en l'intime de notre être « sa loi », qu'il nous donne « son esprit »[75].

Il y a deux manières, dit St Thomas, de communiquer un commandement à quelqu'un. « La première manière est d'agir sur lui du dehors comme par exemple en lui manifestant notre vouloir. Cette manière est dans les possibilités mêmes de l'homme et c'est ainsi par exemple que fut communiquée la loi de l'Ancienne Alliance. La deuxième est d'agir dans l'intérieur même de l'homme et ceci n'est possible qu'à Dieu…, c'est ainsi que fut faite la Nouvelle Alliance, puisqu'elle consiste dans le don de l'Esprit-Saint qui, d'une part instruit de I'intérieur… et d'autre part incline la volonté à faire le bien »[76]. Pour St Thomas, incliner l'homme à faire le bien, c'est lui infuser la charité, donc le l'aire aimer, et par là, lui faire accomplir la plénitude de la Loi[77]. C'est ainsi que l'Esprit-Saint devient la Nouvelle Alliance, en produisant en nous la charité qui est la plénitude de la Loi.

« Le seul précepte du Christ est donc l'amour du prochain ; mais un amour, continue Lyonnet, dont l'homme est capable seulement lorsque Dieu, par le Christ, dans son Esprit, lui communique son propre amour. Cette communication fait de nous des fils de Dieu (Gal. 4.6 et Rom. 8.14), des hommes libres (2 Cor. 317) et produit en nous le fruit de la charité. Quand l'Apôtre dit, en Romains 8.4, que la justice de la Loi est accomplie en nous, il emploie le passif pour bien signifier qu'un tel accomplissement est en nous, non pas tant l'œuvre de notre effort que celle de l'Esprit-Saint, de l'Esprit du Christ, dont St Paul dira : « Si je vis, ce n'est plus moi, mais le Christ qui vit en moi »[78].

De son côté, la théologie spirituelle nous enseigne comment à mesure qu'un cœur se laisse envahir par l'Esprit-Saint, d'un même mouvement, la charité et les sentiments du Christ se reproduisent en lui comme dans un miroir, et dès lors devient possible à des degrés divers, l'accomplissement du commandement du Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».

 6. – La charité est vraiment efficace.

 Comme la charité est possible grâce à l'amour de Dieu et qu'elle grave dans nos cœurs une loi intérieure qui est vie et action[79], il se trouve que, face aux besoins du prochain, elle devient efficace, non seulement en produisant des sentiments d'amour, mais aussi en faisant réaliser des actes et prendre des initiatives pour aller au secours du prochain.

Cette conjonction des sentiments et des œuvres est bien mise en valeur par des textes de St Jean et de St Paul qui reviennent à dire : pas d’œuvres sans amour, pas de sentiments sans actes correspondants, quand ceux-ci sont physiquement possibles et moralement viables pour l'amour. Donner sans aimer est une offense, et se contenter de belles phrases inefficaces est une moquerie impardonnable face aux besoins réels d'un frère. L'Ancien Testament disait que « le Seigneur a ordonné à chacun d'avoir soin de son frère ». Le Nouveau Testament sera plus exigeant et plus explicite, parce qu'il est déjà, lui, dans la loi de l'Esprit, dans le temps de la grâce. Qu'on en juge par les textes suivants : « N'accordez rien à l'esprit de parti, rien à la vaine gloire, mais que chacun par l'humilité estime les autres supérieurs à soi ; ne recherchez pas chacun vus propres intérêts, mais plutôt que chacun songe à ceux des autres »[80]. « Portez les fardeaux les uns des autres, et accomplissez ainsi la loi du Christ»[81].

Un membre souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-il à l'honneur ? Tous les membres prennent part à sa joie »[82].

Mais peut-être le texte le plus éloquent avec relui du récit du Jugement Dernier[83], est-il encore celui de St Jean : « Nous avons connu ce qu'est l'amour en ceci : Il a donné sa vie pour nous. Et nous aussi, il faut donner notre "vie pour nos frères »[84]. « Si quelqu'un jouissant des richesses du monde voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeurera-t-il en lui ? Petits enfants, n'aimons ni de mots, ni de langue, mais en actes, véritablement »[85].

L'apôtre S. Paul était un modèle parfait de cette charité quand, face au dilemme de deux objectifs du même et unique amour, il s'écriait : « Je souhaiterais d'être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair, eux qui sont Israélites, à qui appartiennent l'adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et aussi les patriarches, et de qui le Christ est issu selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement ! Amen »[86]; ou quand il écrivait aux Thessaloniciens : « Telle était notre tendresse pour vous que nous aurions voulu vous livrer en même temps que l'Evangile de Dieu, notre propre vie, tant vous nous étiez devenus chers »[87].

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Résumons donc, à la lumière de la Révélation, ce que nous avons dit du type d'affection qui doit unir les membres d'une communauté religieuse. Notre amour de religieux doit avoir les caractéristiques suivantes :

1) Evidence – et qui puisse être signe – que l'amour et la vie de Dieu habitent dans nos cœurs et que nous vivons dans la vérité en marchant dans la lumière[88].

2) Gratuité et oblativité.            

3) Universalité.

4) Affection et bienveillance très grandes envers le prochain.

5) Croissance de l'amour de Dieu semé dans nos cœurs.

6) Fécondité des œuvres et des initiatives, en conformité aux besoins réels.

Nous pourrions conclure ce résumé par la question : L'amour, dans nos communautés, est-il bien ainsi ? ou peut-être faudrait-il commencer par nous demander si les membres de nos communautés s'aiment ; car une vie commune sans s'aimer serait une absurdité et une aberration, ce serait une coexistence pacifique d'égoïsmes bien organisée et coordonnée avec tous les égards souhaitables. 

II – LA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE : CLIMAT, LIEU ET FRUIT DE L'AMOUR CHRÉTIEN ET DE LA VIE CHRÉTIENNE.

 Il n'est pas de véritable amour qui ne tende à l'unité.

Fécondité, unification et transformation : voilà les trois éléments inhérents au véritable amour et très particulièrement à l'amour chrétien. Si donc cet amour est conforme à ce qu'on a dit jusqu'ici, il est bien évident qu'il ne pourra exister sans engendrer, sans unir, sans transformer. Son fruit le plus naturel sera de conduire ceux qui en sont l'objet, à travers un don mutuel d'eux-mêmes sincère et cordial, à s'unir en mettant leur avoir et leur vie en commun. La communauté n'est que la « commune unité » ou l'unité vitale de plusieurs. Ce qui se faisait chez les premiers chrétiens devrait se renouveler aussi souvent que le don du Seigneur est communiqué et reçu avec fidélité et sérieux : le propre du Christ est de se communiquer, de vouloir passer à d'autres, d'être diffusif de lui-même, quand il entre dans un cœur[89].

La vie religieuse doit être un accueil sérieux et profond du don de Dieu pour le faire fructifier. Son fruit le plus mûr, son expression la plus visible et à la fois la plus définitive devront être la vie commune[90]. De là vient qu'en toute rénovation sérieuse de la vie religieuse (et le Concile nous y appelle) la rénovation de la vie communautaire doit occuper une place et jouer un rôle d'une importance particulière[91].

Pour qu'il en soit bien ainsi il faut purifier le concept de « vie consacrée » d'un certain sens prépondérant, et, pour quelques-uns même, exclusif, de vie à dominante marquée par l'ordre extérieur, le travail réglementé, la réduction à une manière d'agir uniforme, etc. Il faut par contre replacer la vie en commun dans son contexte biblique, théologique, liturgique, comme le fait le Concile dans « Perfectae Caritatis » n° 15.

C'est dans ce sens que le Père Champagnat comprenait la vie communautaire quand il affirmait que la vie de famille authentique est « la charité en pratique, avec toutes ses qualités en exercice habituel »[92]. Le Chapitre Général ne l'a pas compris différemment, dans ses textes pour la rénovation de notre Institut.

Le document sur la Vie Communautaire précise en effet les formes de la charité :

« coexistence des uns PARMI les autres…

connaissance des uns ET des autres …

collaboration des uns AVEC les autres …

fraternité des uns POUR les autres …

communion et unité des uns PAR les autres …

tous participant à la même vie comme membres du même corps »[93].

Fernando Sebastián, dans l'ouvrage cité plus haut, nous donne une définition excellente de la vie communautaire dans le texte signalé : « L'unité de la vie des consacrés est la réalisation intensive et complète de l'union de charité qui s'élargit invisiblement à toute l'étendue de l'Eglise. L'unité des chrétiens se fortifie dans leur fraternité ; elle accueille leur vie entière et l'unifie d'une manière effective et complète avec celle des autres qui vivent dans des conditions semblables. Elle doit être un pilier sur lequel l'Eglise appuie une vie fraternelle plus robuste et à partir duquel on peut établir un chaînage avec d'autres points plus éloignés. Au lieu de gaspiller les forces de l'Eglise, elle les utilise dans un système de relations et de services qui en augmentent la solidité et l'efficacité »[94].

Dans ce sens la vie commune n'est qu'un exercice de charité fraternelle dans son accomplissement parfait, conformément au précepte du Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jean 13.34) et conformément au conseil de l'Apôtre : « Je vous conjure par tout ce qu'il peut y avoir d'appel pressant dans le Christ, de persuasion dans l'Amour, de communion dans l'Esprit, de tendresse compatissante, mettez le comble à ma joie par l'accord de vos sentiments : ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment »[95].

Celui qui veut obéir parfaitement au commandement du Seigneur, est disposé à mettre en commun, non seulement ses biens mais aussi ses talents, ses capacités, sa propre vie. Il ne se fixe aucune limite égoïste. Son don est sans réserve et il le rend efficace en portant les fardeaux des autres.

En effet, quels liens étroits la vie commune n'a-t-elle pas avec l'amour ? Elle en est à la fois et l'objectif et l'atmosphère, et la vérification permanente et le fruit et le soutien.

1 – Elle en est l'objectif parce que l'amour pousse à l'union, et il nous unit pour que nous nous aimions mutuellement et nous fassions mutuellement du bien[96]. « L'essentiel, dit un texte (le la C.L.A.R. parlant de la communauté dans la vie religieuse, consiste en l'expérience vécue d'une amitié authentique et adulte entre des membres que relie un engagement commun, informé par la charité qui pousse à une intégrale « koinônia » pénétrée de la présence du Christ »[97].

2 – Elle en est l'atmosphère, car la communauté est dans le sens le plus large du mot, le « lieu » de la rencontre, de l'échange, de l'exercice de l'amour. L'amour a besoin de s'exprimer ; l'expression a besoin de signes ; les signes ont besoin d'un lieu et d'un temps déterminés. Donc réserver un lieu et un temps où, de façon très souple, on soit disposé à laisser s'exprimer signes et œuvres de l'amour, c'est donner à cet amour l'atmosphère qu'il lui faut.

3 – Elle en est la vérification permanente, parce que, à la différence d'un acte isolé, ou d'un signe ou d'un geste passagers, « rester unis » en vivant en commun, rester parce qu'on le veut, parce que même on a fait vœu de le vouloir, cela rend visible le mystère de l'amour qui tisse des liens de générosité en une trame durable. Et cela « fait mystère ». A supposer même que la pente d'imperfection de la vie commune soit accentuée au point de mériter le jugement qu'on attribue à Voltaire[98], un observateur perspicace ne manquera pas de se poser la question : « S'il en est ainsi, pourquoi continuent-ils de vivre ensemble ? ». Le mystère, en effet, devient évident ; évidente aussi la fausseté de la phrase voltairienne, car du simple point de vue sociologique, mener une telle vie est impossible.

Si l'on vit en commun c'est parce qu'on aime. Sans doute, est-il possible que parfois cet amour soit ambivalent, sans maturité, fatigué de la vie, éprouvé par des « nuits obscures », peut-être dévitalisé par malnutrition affective ou par l'usure de la routine, ou peut-être blessé par quelque offense. Beaucoup d'autres phénomènes peuvent encore intervenir, qui sont la rançon de notre condition humaine, mais au fond il reste quand même une ravine à cette volonté de demeurer ensemble, et normalement, c'est l'amour. Aussi Michonneau a parfaitement raison de dire : « La réalisation d'une authentique communauté de chrétiens produit, du seul fait qu'elle existe, la propagation de l'Evangile ».

4 – La vie commune est le fruit de l'amour parce que l'amour est unitif et créateur. Il a uni ceux qui s'aimaient et a engendré un nouvel être : la communauté. Celle-ci – nous y reviendrons – poussée par la dialectique de la charité, deviendra, par sa condition d'authentique communauté chrétienne, missionnaire et apostolique.

Mais elle est aussi le fruit de l'amour dans un autres sens, que le Père Tillard exprime admirablement : « L'Eglise est déjà dans son être profond de communion de Vie, de koinônia, la réalisation de ce musterion ; passés dans la Pâque de Jésus, les baptisés passent « en lui », par lui, avec lui, dans la vie du Père ; ils deviennent « fils adoptifs », porteurs déjà des biens que le cœur de Dieu réserve à ceux qu'il aime. La communauté religieuse se situe là, comme signe (un sacrement) révélant (l'abord à l'Eglise elle-même, puis au monde que le mystère est déjà commencé dans l'histoire des hommes.

Si nous prenons au sérieux la pensée de Paul et celle de Jean, nous découvrons en effet que la communion ecclésiale, la koinônia, n'est pas une réalité dont nous devons jouir pour l'éternité, dans la grande communion fraternelle de l'Eglise triomphante. C'est une réalité accomplie déjà dans le Christ Seigneur. En des pages bouleversantes, Paul nous dit que par sa Croix débouchant sur la Résurrection, Jésus a recréé en lui l'unité des hommes entre eux, « faisant la paix, réconciliant Juifs et Gentils avec Dieu, tous deux en un seul Corps, en sa personne, tuant la Haine » (Eph. 2, 14-18). Jésus ressuscité, Seigneur de l'Eglise, porte en lui la fraternité des hommes, leur communion (dans les deux dimensions de communion-au-Père et de communion-aux-frères) ; et l'Esprit-Saint qu'il donne a précisément pour activité essentielle de diffuser peu à peu, de répandre dans l'humanité ce mystère dont la source est Jésus et n'est que Jésus »[99].

5 – Finalement la communauté fruit de l'amour en est aussi réciproquement le point d'appui et la motivation.

Comment ? En ne le laissant pas seul, mais en lui servant de soutien par un ordre extérieur qui doit être bien pensé et fonctionnel, en lui offrant des raisons et des occasions pour un exercice journalier et permanent. En effet, une chose est indiscutable dans la vie communautaire : tout peut faire défaut, excepté les occasions de pratiquer l'amour. Cette affirmation est pleine de sens ; elle est même d'une plénitude capable de juger bon nombre d'articles qui s'écrivent sur la vie communautaire, et de faire transparaître les raisons dernières qui les inspirent, même si pour leur auteur ces raisons ne sont que confuses. Pas mal de ces articles renferment en effet une vision profondément narcissique de la vie communautaire : on y viendrait pour être aimé, pour se réaliser, pour épanouir son moi, etc. … Ce n'est pas à dire que la communauté ne doive pas accomplir de tels buts pour ses membres. Non, évidemment, mais il faut bien dire aussi que le tableau que le Nouveau Testament nous trace de la vie commune ne permet guère de déduire un idéal de communauté dont les membres vivraient « pour être aimés ». L'amour n'accapare pas, il se donne, et trouve sa raison d'être  dans notre participation à la vie trinitaire. Mais j'ai déjà assez parlé sur ce sujet. Je me contente de citer ici un fait émouvant, relaté par le secrétaire particulier de Jean XXIII. (Le pape est sur son lit de mort). « Il me prit par la main, en me disant quelques mots que je retiens comme un souvenir impérissable de ce temps que j'ai passé à son service. Puis, très doucement et lentement il conclut : « Nous avons travaillé, nous avons servi l'Eglise, nous ne nous sommes pas arrêtés à ramasser les pierres que de part et d'autre on nous lançait et nous n'en avons non plus renvoyé à personne »[100].

Le biographe du Père Champagnat nous dit comment la vie communautaire doit servir d'appui à l'amour et consister dans le don de soi. C'est le Père Champagnat qui parle : « La charité fraternelle est le premier soutien extérieur des Frères pour les maintenir dans l'esprit de leur état, prévenir les abus et bannir de l'Institut tout ce qui pourrait le compromettre. Ils n'oublieront donc jamais qu'en venant en communauté et qu'en s'unissant pour ne faire qu'une seule famille, ils ont l'obligation de s'aimer comme des Frères, de s'édifier, de s'avertir de leurs défauts et de s'aider mutuellement à parvenir au salut[101].

Le Père Champagnat lui-même mettait en pratique ses propres enseignements sur la vie communautaire : « Il partageait, dit encore son biographe, le repas et le logement des Frères et souvent même il prenait pour lui ce qu'il y avait de pire »[102].

Si nous méditions de tels exemples, et si, au lieu de nous plaindre de la froideur de nos relations, de la superficialité de notre amour, de la banalité de notre dialogue, nous nous occupions d'aimer et de dialoguer, vraiment et profondément, beaucoup de choses changeraient d'allure pour nous et pour les autres. Il faut être promoteur et initiateur de vie communautaire, mais c'est au niveau des relations de personne à personne qu'il faut commencer par l'être.

La vie commune est donc en relation directe avec l'amour, ce qui n'est pas le cas pour l'attachement excessif à un horaire ou à des règlements. Bien sûr, il ne s'agit pas de tomber dans le chaos ou l'individualisme, mais notre vie communautaire a besoin d'être « remesurée » et « revalorisée » à la lumière de la découverte et du contact des personnes, à la lumière aussi de la créativité et même d'une nouveauté d'expression et d'efficacité telle que pourra l'engendrer l'amour mutuel[103].

En effet, si la vie communautaire était à base de synchronisme et d'uniformité, il n'y aurait pas de meilleure vie religieuse que la vie d'une prison bien gouvernée. Non, ce n'est pas en cela que réside l'amour chrétien, mais dans le fait que les membres d'une communauté s'aiment, qu'ils ont occasion et facilité de se rencontrer en profondeur, que l'on a de l'estime pour les personnes et un dévouement sans réserve les uns envers les autres, et que chacun s'efforce de mettre en circulation communautaire le meilleur ,de soi, le meilleur de ce qu'il est et de ce qu'il a et que l'on accepte avec affection et joie tout ce bien offert par les autres.

C'est seulement par suite de cette attitude que prennent valeur et sens et authenticité les autres gestes, l'accueil mutuel, les normes extérieures, même la mise en commun des biens et de la prière. 

III. – DANGERS QUI MENACENT LA VIE COMMUNAUTAIRE. 

Lorsqu'on infuse une âme aux actes extérieurs d'une vie communautaire, alors on évite trois dangers qui menacent la qualité de cette vie : la routine, le formalisme et la fausseté.

1) Le danger de la routine survient quand toute la vie de la communauté est réglementée et que par ailleurs les membres de cette communauté ne font que ce qui est réglementé. La vie commune devient alors fastidieuse, sans relief, insignifiante. Quand le cadre est tellement rigide, que tout à l'intérieur y devient machinal, les choses qui devaient être signes ne signifient plus rien sinon une volonté d'accomplissement qui peut bien être aussi difficile qu'on voudra, mais qui ne sera pas pour autant le plus héroïque ni le meilleur pour la charité fraternelle. Ces actes, tous prescrits, au lieu que les remplacent ou s'y ajoutent des actes spontanés, n'expriment plus l'amour ; ils sont dépouillés de leur contenu originel d'humanité.

2) Le formalisme. D'ordinaire il devient formalisme. Les formes se vident de contenu pour qui les pratique, et de signification pour qui les regarde.

Comment dès lors sauvegarder cette dialectique de contenu et de forme  dans la vie de communauté ?

a) Il faut réglementer avec sobriété et discrétion, et aussi avec propos, les formes qui renferment un contenu chrétien ou qui sont aptes à en recevoir un.

b) Tous les membres doivent veiller à ce que formes et gestes d'amour mutuel soient effectivement porteurs d'un contenu.

c) Le contenu traditionnel exige qu'on renouvelle son expression.

d) Et l'on y arrivera en laissant du champ à la créativité, à la faculté d'invention personnelle, à la nouveauté[104].

Il ne suffit pas d'aimer. Il faut que nos Frères puissent comprendre cet amour, que son expression leur en soit « audible et significative ». Dans ce sens, que de choses inédites peuvent devenir vie communautaire avec bien plus de raison que d'autres qui étaient ou qui sont encore vie communautaire, de par leur inscription dans un règlement.

Il y a lieu de mettre en circulation de nouvelles formes d'amitié, des façons plus efficaces de faire le bien à nos Frères, des structures plus souples, conformes à de vrais besoins, de nouvelles expressions de l'amour, de nouvelles valeurs à promouvoir : tout cela est vie commune, et à un haut degré, si c'est la charité qui l'inspire et pourvu qu'on tienne compte de deux conditions : l'adaptation et la légitimité.

Adaptation : Il faut que notre façon d'exprimer ou de transmettre soit bien accueillie par nos Frères, car si en voulant manifester notre amour, nous agissons maladroitement et d'une façon finalement moins bonne qu'avant, selon leur goût à eux, nous créons une situation communautaire régressive.

Légitimité. Pour introduire des nouveautés dans la vie commune, il faut le faire en référence à une échelle de valeurs chrétiennes et maristes[105].

3) La fausseté est un autre danger. Le tragique des signes en effet c'est qu'ils peuvent laisser derrière eux l'impression opposée à ce qu'ils veulent exprimer. Dans la vie spontanée, quand il en est ainsi, c'est qu'il y a légèreté, intérêt et hypocrisie. Une fois que l'artifice est découvert, il offense et éloigne. Dans le rapport homme et femme, par exemple, on sait bien que les mêmes symboles qui peuvent servir à exprimer l'amour, peuvent servir aussi à tromper et à abuser. Que d'exemples de cet ordre on pourrait donner !

Il est difficile que dans la vie religieuse, des Frères en arrivent à une telle forme de fausseté, ou si cela a lieu, c'est révélateur, en général, d'une âme particulièrement vile. Mais il y a un autre type de fausseté. Comme, dans notre vie commune, des actes de charité et de service mutuel se trouvent à l'état de prescriptions, non seulement il y a le danger de les faire machinalement et donc de les vider de leur contenu, mais aussi de les faire, en les remplissant d'un contenu uniquement spirituel au niveau du cœur et de la volonté, qui risque de leur faire dire le contraire de ce qui est exprimé. Oit ! on ne veut pas tromper son Frère, on voudrait être sincère, mais voilà, on a trouvé, en entrant, le geste ou l'acte insérés dans le tissu d'un règlement et cela a engendré une forme de fausseté. Pensons, par exemple, à l'échange de la paix dans le banquet eucharistique.

C'est pour toutes ces raisons qu'il faut bien comprendre comment, à côté d'une souplesse de bon aloi qui évite de mettre les gens dans le cas d'être des menteurs, une chose doit primer : la vie communautaire exige une véritable volonté d'aimer, d'accomplir le nouveau commandement du Seigneur, de se laisser envahir par l'Esprit d'amour et par conséquent d'annihiler en soi-même l'égoïsme moral et l'immaturité psychique qui sont deux indéniables obstacles à la vie commune.

Voici déjà beaucoup de considérations sur la vie commune. Elles permettront tout au moins de saisir le bien-fondé de ce que dit la Conférence des Religieux du Brésil en parlant de la vie fraternelle : « La dimension communautaire est essentielle à toute vie humaine et chrétienne, puisque l'Eglise est précisément le signe de l'union des hommes ; par conséquent, cette dimension communautaire doit exister en tous les religieux, même en ceux qui ne se réunissent pas pour vivre sous le même toit »[106].

En effet, il est parfaitement juste de dire que là où se trouve l'Eglise, se trouve aussi l'unité, et inaugurée, et en voie de développement, et que cette unité de source ecclésiale montre que le Christ est déjà au milieu de nous en personne et en acte, vivifiant cette unité et faisant de cette communauté une missionnaire de paix et une semeuse de salut. Qui ne voit à quel point il est impossible d'exprimer dans une réglementation tout ce dont cette vie commune a besoin ? Ce dont il s'agit c'est d'une attitude théologale qui s'efforce vers le parfait accomplissement de l'exemple et du commandement du Seigneur, qui sacrifie la vie entière pour le bien des autres, avec un amour concret et efficace, s'occupant de chaque personne en particulier, comme d'un fils de Dieu, d'un représentant du Seigneur… Quand on a compris ainsi la nature de la vie commune, on doit forcément reconnaître en elle le fruit de causes vraiment surnaturelles ; il ne suffit pas de faire une simple distribution de temps et de travaux, et de faire vivre ainsi n'importe où, plusieurs personnes ensemble selon un règlement donné. L'ordre et la distribution doivent naître spontanément d'une profonde conversion des esprits et de la libre offrande que tous font d'eux-mêmes au bien des autres, de la sollicitude dont chacun fait preuve pour le bien des autres. Il n'y a pas d'habileté ni d'affinité naturelle qui soient capables d'unifier ainsi des personnes  dans une véritable communauté spirituelle de vie. Seule la force sanctifiante peut bannir l'égoïsme et communiquer sa propre volonté de sacrifice et de don de soi pour le bien de tous les hommes ; seule elle est capable de vaincre les forces obscures de l'égoïsme qui menacent continuellement la réalisation de ce bien[107].

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Lorsque vraiment existe un esprit d'amour et de communion, alors surgit la communauté – conjonction de valeurs ; la communauté qui est à la fois le lieu de la rencontre, de la parenté et de la personnalisation.

Lieu de la personnalisation, parce qu'il n'y a communauté chrétienne que là où il y a place pour les charismes authentiques que suscite l'Esprit  dans les âmes qui ont bien effectivement vocation pour telle congrégation.

Lieu de la rencontre, parce que le caractère partiel du charisme appelle un complément affectif et effectif. La communauté accomplie n'est pas, en effet, pleine seulement de vie de famille mais aussi d'action.

Lieu de parenté, enfin parce qu'il s'agit non seulement d'une équipe polyvalente, mais d'une véritable famille qui demande, sous peine de ne pas être une famille, « un sang et une chair communs », en d'autres termes, un esprit et une manière d'être qui ne soient pas seulement quelque chose qu'on a en commun, mais quelque chose que l'on cultive et que l'on aime. On dit toujours esprit de famille ; on pourrait dire : « air de famille »[108]. Cette façon d'être, cette façon de vivre, et de vivre ensemble, voilà ce qui doit être notre foyer. Qu'un religieux ait le lieu où tend son cœur, disons, si vous voulez, son « centre cordial », hors de sa communauté, c'est ou bien qu'il a perdu le sens de la parenté communautaire ou bien que sa communauté n'est pas une vraie communauté.

Voici donc un peu éclairé le sens mystique de la vie de communauté, et tout particulièrement le rapport entre cette vie et l'amour fraternel chrétien qui en est la source. Les pages suivantes essaieront d'établir brièvement quelques jalons dans la dynamique de la vie communautaire.

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[1]: 1 Ce serait une manière entre autres de mettre en pratique ce que nous dit le Directoire (No. 4 – p. 49 de l'édition française) : « Notre vie de famille ne peut donc se limiter à une vie en commun, ni à la reconnaissance d'un même supérieur, ni à un même engagement. Elle s'identifie, de plus, à une relation qui naît et se développe dans l'exercice de la foi et de la charité, dans la communication des idées et des expériences, dans la coordination des volontés et des compétences. Elle s'exprime par un langage et des attitudes, signes évidents d'une profonde attention à l'Esprit-Saint qui agit dans les autres ».

[2]: Ces orientations de réflexion ne sont pas données ici, car t'expérience enseigne à quiconque est en contact avec la vie religieuse en divers continents, quelle variété d'aspects, tous intéressants d'ailleurs, peut revêtir une même famille religieuse, une même spiritualité, selon les pays, les cultures, les moments historiques, etc. … Telle suggestion qui, là paraîtraient excellente, déplairait ailleurs, et non seulement à cause de sa formulation, mais aussi du seul fait qu'elle serait insérée dans le texte de la circulaire.

[3]: Qu'il nous soit permis ici d'éviter les précisions théologiques.

[4]: Plus loin, j'expliquerai comment Dieu est membre-noyau de la communauté.

[5]: « La communauté chrétienne ne s'épuise et ne s'achève pas dans ses relations internes ou dans ses rapports avec les hommes et le monde. La vérité même de ces relations et de ces rapports postule sans cesse la référence ultime : Jésus-Christ et Dieu. En effet, pour qu'aboutissent les véritables relations humaines il faut que reste ouverte leur dimension de mystère, cette réalité absolue qui est en elles, mais qui ne s'identifie pas avec elles, qui les tient et leur confère son sens et cette réalité ultime et personnelle, nous l'appelons le Dieu de Jésus-Christ ». (MATURA, Thaddée : «Célibat et communauté ». Cerf. p. 107).

[6]: Eph. 2. 20-22.

[7]: Terme fréquent dans plusieurs langues latines et que la plupart des traductions finissent par admettre tel quel. Il exprime le fait social de vivre ensemble.

[8]: ' Il est question ici seulement de conditions normales ; je laisse de côté intentionnellement tous les défauts psychopathiques des inadaptés ou des antisociaux.

[9]: « On n'entre pas en communauté pour y trouver une sécurité matérielle ; on y entre au contraire pour se dépouiller en laissant le dépouillement du Christ lui-même passer en nous ; souvent même on tombe dans une forme odieuse d'égoïsme : déchargés de la rude inquiétude d'un foyer, d'un avenir matériel a créer et à assurer, d'une famille à éduquer, nous cherchons cependant à nous annexer de la vie familiale tout le halo de joie, de confort de style de vie sociale qui vient équilibrer ces inquiétudes. La communauté religieuse ne peut pas essayer de jouer à la société mondaine ; elle tourne alors au « cénacle de célibataires ». (J,M.R. TILLARD, o.p. : «Les religieux au coeur de l'Eglise », p. 72 et 73 Ed. 1967. Montréal.) (Cahiers de communauté chrétienne).

[10]: Qu'on n'oublie pas que, à moins d'indication explicite contraire, on parle ici de la VIE RELIGIEUSE COMMUNAUTAIRE.

[11]: Jean, 15-15.

[12]: « À la base de toute vraie vie communautaire, il faut une volonté de paix, de bonne entente, d'amitié même qui fera surmonter les incompatibilités de caractères, les divergences de vues, les tensions, les tiraillements et autres difficultés inévitables ; elle inspirera l'esprit de réconciliation et de pardon ». (Doc. cap. – Le mystère de la communauté dans notre vie de Frères Maristes, 41-c).

[13]: Le Bienheureux Marcellin Champagnat signalait quels étaient pour lui les Frères ennemis de la vie communautaire et de l'esprit de famille : les Frères déréglés, égoïstes, mécontents, étrangers (c'est-à-dire «domestiques » et «séculiers»). De cette intéressante description je me contenterai d'extraire un passage qui illustre très bien ce point de même que les deux suivants. Voici ce passage : «Un vénérable Curé, en faisant ses adieux aux Frères, qui partaient pour la retraite, dit à leur Directeur : « Revenez bientôt et amenez-moi quatre Frères. – Il n'est pas question, répondit le Directeur, de diminuer notre personnel ; il est donc certain que nous reviendrons cinq ».

Monsieur le Curé n'insista pas ; mais au retour, il expliqua sa pensée. Voyant les cinq Frères devant lui : «M'amenez-vous quatre Frères ? » dit-il encore, et, sans attendre la réponse, il ajouta : «Mes chers amis, l'an passé nous n'avions que trois Frères ; car il y en avait deux qui ne comptaient pas, parce qu'ils n'avaient pas l'esprit de leur état, et ne vivaient pas de la vie de famille. Quand j'allais à votre établissement, je les trouvais rarement avec les autres. Jamais je ne leur ai vu prendre leur part des travaux du jardin ou des soins de la maison. Ils avaient une méthode à eux pour faire la classe. A leurs allures, il était facile de voir qu'ils étaient des maîtres d'école, mais non des Frères, et que l'éducation et la surveillance des enfants ne les préoccupaient pas. Ils faisaient nombre dans la communauté, mais ils n'en étaient pas membres ; ils y étaient d'ailleurs plus que nuls pour le bien, car ils paralysaient les efforts et le zèle de leurs confrères. J'attends mieux des nouveaux venus. Je suis tout dévoué à votre établissement ; mais je tiens à vous dire que je n'aime que les véritables Frères ; car, l'expérience me l'a démontré, il n'y a que ceux-là qui édifient ma paroisse, et qui fassent le bien parmi les enfants ».

Le bon curé avait le coup d’œil sûr ; il avait bien jugé les deux Frères, qui, en effet, étaient des hommes sans vertu, sans esprit religieux, et d'un caractère difficile qui les rendait impropres à la vie de communauté. (A.L.S. – ch. 31 – p. 365, 366 – ed. 1914).

[14]: I Cor. 12. 26.

[15]: A L.S. chap. 28, p. 310, 311 (éd. 1914), puis résumé du reste.

[16]: Le Père Champagnat le caractérisait ainsi :

«Le Frère domestique regarde ses frères comme des étrangers ; il est pour eux sans charité, sans cordialité, et ne fait rien pour les soulager, pour leur rendre service et les rendre heureux. Le Frère, enfant de la maison, regarde tous les membres de l'Institut comme ses frères ; il partage leurs peines comme leurs joies ; il est toujours prêt à les aider, à les soulager, et ne craint pas de leur rendre les services les plus bas et les plus pénibles.

Le Frère domestique se regarde comme un étranger dans la communauté, il reste indifférent à ses intérêts ; peu lui importe que l'Institut prospère ou qu'il aille en décadence ; il est sans zèle et sans dévouement pour le bien commun, et ne remplit son emploi que par manière d'acquit ; il prodigue les biens de l'Institut, les laisse gâter et dépérir plutôt que de se gêner pour en prendre soin, il en use, en un mot, comme des biens de l'Etat. Le Religieux qui est enfant de la maison, regarde son Institut comme sa famille et n'a rien tant à cœur que de le voir prospère, béni de Dieu. Il s'efforce donc d'en prendre l'esprit, d'acquérir les vertus et les connaissances qui sont nécessaires pour en remplir le but et pour se rendre propre aux divers emplois dont il peut être chargé. Tout dévoué au bien de l'Institut, il préfère toujours les avantages de la Congrégation, ou le bien commun d'une maison, à ses intérêts personnels ; partout il porte le bon esprit et donne le bon exemple ; il est toujours prêt à sacrifier ce qu'il a de plus cher : ses goûts, ses satisfactions, ses travaux, ses forces, sa santé et sa vie même, pour le bien de l'Institut.

Le Frère domestique vit en religion comme dans un pays étranger, comme dans un exil, une prison ; c'est un être malheureux qui n'a point d'amis et qui n'a les sympathies de personne. Le Frère qui est enfant de la maison, goûte tous les charmes et toutes les douceurs de la famille ; il a autant de serviteurs, ou plutôt autant d'amis qu'il a de Frères dans l'Institut ; il trouve en religion le centuple de biens et de contentement promis par Jésus-Christ ; tout est pour lui bonheur et consolation ». (A.L.S. chap. 5, p. 65, 66 – éd. 1914).

[17]: Jean CALOT : en édition espagnole : « Nuevas perspectivas de la Vida Consagrada», p. 143.

[18]: Personne ne montre mieux que S. Jean, combien Dieu est ta source la plus abondante et la plus authentique de l'amour : "Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres puisque l'amour est de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est Amour. En ceci s'est manifesté l'amour de Dieu pour nous : Dieu a envoyé son Fils urique dans le monde afin que nous vivions par lui. En ceci consiste son amour : ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés. Bien-aimés, si Dieu nous a tant aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres» (I, Jean, 4, 7-12).

[19]: I Jean, 4, 18.

[20]:'Il n'est pas question de proposer ici une fausse spiritualité qui, en s'appuyant d'une manière préméditée sur l'amour, agirait dans l'amour contre l'amour, en ignorant des passages aussi importants que ceux que nous trouvons en grand nombre dans la Sainte Ecriture, surtout dans le Nouveau Testament et qui attirent l'attention sur la nécessité des œuvres, le respect pour la vie chrétienne et l'accomplissement de la volonté de Dieu : «Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure en son amour» (Jean 15, 9-10). «A ceci nous savons que nous le connaissons, si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : "Je le connais", et ne garde pas ses commandements est un menteur et la vérité n'est pas en lui ; mais celui qui garde sa parole, c'est en lui vraiment que l'amour de Dieu a atteint sa perfection. A cela nous savons que nous sommes en lui. Celui qui prétend demeurer en lui, doit se conduire lui aussi comme celui-là s'est conduit» (I Jean 2, 3-6).

Et dans la même épître (5, 3) : «Car tel est l'amour de Dieu  : garder ses commandements,. et ses commandements ne sont pas pesants ».

Mais peut-être le passage le plus significatif est-il celui de Matthieu 7, 17-27 : «Tout arbre bon donne de bons fruits, tandis que l'arbre mauvais donne de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits-. Tout arbre qui ne donne pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu. Ainsi donc. c'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Ce n'est pas en me disant : Seigneur, Seigneur, qu'on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c'est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux. Beaucoup me diront en ce jour-là : "Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? en ton nom que nous avons chassé les démons ? en ton nom que nous avons fait bien des miracles ?" Alors je leur dirai en face : "Jamais je ne vous ai connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité". Ainsi quiconque écoute ces paroles que je viens de dire et les met en pratique, peut se comparer à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n'a pas croulé : c'est qu'elle avait été fondée sur le roc. En revanche, quiconque entend ces paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique, peut se comparer à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et sont venus battre cette maison, et elle s'est écroulée. Et grande a été sa ruine ».

A la lumière de ces paroles on comprend comment le Seigneur établit avec lui la véritable fraternité, la véritable parenté, non dans les liens du sang ni de la chair, mais fondamentalement dans l'accomplissement de la volonté de son Père qui est dans les cieux. (cf. Matthieu 12, 47-fin).

[21]: I Pierre 4, 10.

[22]: La fraternité présuppose l'expérience de la paternité divine, pour que les Frères ne se découvrent tels que dans la mesure où ils se reconnaissent comme des fils. (A vida religiosa do Brasil de hoje – Publicações C.R.B. – No. 2, p. 38).

[23]: «Si quelqu'un dit : J'aime Dieu, et qu'il déteste son frère, c'est un menteur ; celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas» (I Jean 4, 20).

[24]: L. G. No. 9.

[25]: L. G. No. 48.

[26]: 25 Eph. 1. 5 et 6 ; Rom. 8. 20-23.

[27]: 26 II Pierre 3, 13. 21

[28]: L. G. – 48.

[29]: Apoc. 5, 12-14.

[30]: VIEUJEAN, Jean : L'autre toi-même, p. 49-50.

[31]: L'Argent suite : Œuvres en prose 1909-1914, p. 1242.

[32]: Qu'on lise par exemple le chapitre X de l'Histoire d'une âme de Ste Thérèse de l'Enfant Jésus, No. 23 et 24.

[33]: Aux origines de l'Institut dans les admirables biographies des Premiers Frères, on trouve ce passage qui vaut bien la peine d'être cité textuellement : «C'est la charité qui fait le moine », dit saint Jérôme. Quelle charité ? La charité pour Dieu et la charité pour le prochain. Frère Paul avait le secret de cette vérité. Jugez-en par ce trait. M. Mazelier lui fit un jour le semblant de reproche de s'accorder parfaitement avec tout le monde, et notamment avec un Frère d'un caractère très défectueux qui se heurtait avec tous ses confrères : « Vous voudriez donc, répliqua le Frère, que je m'irrite ou que je me dispute avec quiconque n'est pas tel que je le désire. – Ce n'est pas là ma pensée, et vous le comprenez bien ; mais ce que je crains et ce que je veux vous donner à entendre, c'est que vous soyez trop bon, trop facile, que vous laissiez couler l'eau, c'est-à-dire que vous accordiez trop de liberté à ceux qui vous sont soumis, que vous ne les repreniez pas assez de leurs défauts, et que vous passiez trop facilement sur les petites choses. – Je ne dis pas que je n'aie beaucoup de manquements à me reprocher sur tout cela ; mais pourtant je dois vous déclarer deux choses : la première, c'est que ma conscience ne me permettrait jamais de tolérer le mal qui me serait connu, si je puis l'empêcher ; d'ailleurs, ce n'est pas pour moi une peine de reprendre mes Frères, et j'ai la consolation de pouvoir dire que, généralement, -ils prennent bien ce que je leur dis. La seconde, c'est que je crois fermement que la vertu du chrétien, et plus encore celle du Religieux, consiste à aimer Dieu de tout son cœur, et son prochain comme soi-même. Or, voyez, monsieur le Supérieur, quand on est bien convaincu de cette vérité, on n'est guère tenté de quereller le prochain ou de lui trouver des défauts imaginaires. La vie de communauté ne serait pas supportable, si la charité et la concorde ne régnaient pas parmi nous. J'ai donc toujours regardé comme un de mes premiers devoirs, d'être agréable à mes Frères, de leur rendre service et de les contenter, afin d'entretenir la charité et l'union des cœurs ».

Il est donc bien visible et bien certain que le bon caractère de cet excellent Frère, et non une lâche condescendance, était la cause de sa complaisance pour ses Frères et de la parfaite- union dans laquelle il vivait avec tous. La charité lui imposait des sacrifices ; mais, comme il le dit dans une autre circonstance, on ne paie jamais la concorde ce qu'elle vaut. Celui qui connaît l'excellence et le prix de la charité fraternelle ne marchande pas Ies sacrifices qu'il faut faire pour la conserver.

« On supporte le prochain et l'on s'accorde avec lui autant qu'on l'estime et autant qu'on l'aime », dit saint Grégoire. C'est parce que Frère Paul estimait et aimait tous ses Frères qu'il les respectait et s'accordait avec tous. (Biographies de Quelques frères, p. 138-139).

[34]: Paroles prononcées au cours d'un dialogue en petit comité avec les membres du groupe promoteur du « Mouvement pour un Monde Meilleur ».

[35]: GALOT, Jean : «Porteurs du souffle de l'Esprit ». Duculot. Lethielleux p. 123.

[36]: BERTHELET Jacques : «La vie communautaire est-elle encore possible ? » (Article paru dans «La vie des communautés religieuses», No. 3, mars 1968, p. 70.

[37]: Ducos, Marcel : « Les relations humaines dans l'Eglise ». Fleurus. Paris 1965, p. 25. Pour ce qui suit : p. 25-26-27.

[38]: «Nous partageons le même travail et pourtant après un certain temps d'expériences communautaires, nous devons bien avouer que la tâche commune ne suffit pas à former la communauté. Il n'y a pas de communauté qui ne vive que de son travail, au sens que le travail ne peut jamais remplacer les relations interpersonnelles ; le travail n'est pas une fin en lui-même, il n'est qu'une forme d'épanouissement de la communauté. Trop souvent, l'urgent nous fait oublier l'important. Ce qui est urgent c'est la bonne marche de l'école, c'est le résultat académique, c'est la discipline. A ce moment-là, le Frère est considéré comme l'équivalent d'un bon fonctionnaire, qui n'a qu'à faire tous les jours le travail de chaque jour. Cependant pour une communauté formée d'hommes qui partagent tous le même idéal apostolique, cela est très insuffisant. Pour qu'une école fonctionne, il suffit d'assurer les urgences, mais pour qu'une école vive, il faut aller au-delà et découvrir que l'important est de former une communauté, unie par l'idéal apostolique, et qui après, pourra communiquer de sa vitalité à la communauté étudiante.., la communion de personnes s'établit donc à un niveau bien supérieur à celui des échanges occasionnels sur les urgences de l'école. La communion, préalable à tout épanouissement de la communauté, se fait au moment où les individus cessent de se considérer comme des êtres individuels et qu'ils deviennent comme reliés aux autres membres de la communauté parce qu'ils ont conscience de partager avec eux le même idéal de vie religieuse ou apostolique ». (« Un avenir à la communauté » : article de Jean-Marc Cliche, dans la revue : « La Vie des communautés religieuses », oct. 1967, p. 243-244).

[39]: Ducos Marcel, op. cit. p. 61 et 62.

[40]: «Dynamique des groupes » p. 15.

[41]: Ici, comme dans une classification des tempéraments, je grossis je schématise pour faciliter la typification ; la réalité est moins simple, plus nuancée et polyvalente,

[42]: Jean, 3. 30.

[43]: G. S. No. 25.

[44]: G. S. No. 25.

[45]: HOFFER, P.J. : «Maturité spirituelle», cire. No. 5, p. 140.

[46]: BERTHELET Jacques : « La vie communautaire est-elle encore possible ? ». (Article de la «Revue des Communautés religieuses », N° 3, mars 1968, pages citées).

[47]: «Beaucoup plus qu'un problème de la vie religieuse pour lequel on cherche une solution, notre vie communautaire est un mystère qu'on devra vivre. Le sens communautaire se manifeste par un mouvement général de coopération et de fraternité.> (Directoire, No. 23, par. 2).

[48]: «Voici son commandement : Croire au nom de son fils Jésus-Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous en a donné le commandement » (I Jean 3, 23).

[49]: Au jugement dernier, la surprise des interpellés qui auront aimé, paraît indiquer une double possibilité : ou ils ignoraient Ia dimension religieuse du prochain, ou ils accomplissaient l'action de secourir le prochain sans se rendre compte, au moment même qu'ils secouraient par là le Christ lui-même. (cf. Mat. , à fin).

[50]: Jean, 13, 35.

[51]: Le congrès de la Conférence, des Religieux du Canada signale, entre autres, deux caractéristiques qui

 semblent très importantes puisqu'elles définissent une communauté comme unité de charité mystique :

1. Une communauté est authentiquement religieuse si la fraternité et l'amitié qui lient ses membres sont pénétrées de la présence du Christ et animées par la charité jusqu'à la communion profonde de l'agir.

2. Les religieux désirent revenir à la simplicité de l'Evangile dans l'organisation de leur vie communautaire. (p. 8 n. 1 et 2).

[52]: I Jean 2, 10 ; 3, 15 ; 4, 20 ; 5, 2.

[53]: I Cor. 13, 1-3.

[54]: NEDONCELLE Maurice : «Vers une philosophie de l'amour et de la personne». Ed. Montaigne, p. 15.

[55]: 1 Jean 4, 8-11.

[56]: « Vous avez entendu qu'il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent. Eh bien ! moi je vous dis de ne pas tenir tête au méchant ; au contraire, quelqu'un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui encore l'autre ; veut-il te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui même ton manteau ; te requiert-il pour une course d'un mille ; fais-en deux avec lui. A qui te demande donne ; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos. Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs ; ainsi vous serez fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son, soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? ». (Matthieu 5, 38-46).

[57]: d'aimer ceux qui les aiment, de saluer ceux qui les saluent.

[58]: Matthieu 5. 46 et 47.

[59]: « Oui, Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle » (Jean 3.16).

[60]:Gal. 2. 20.

[61]: I Cor. 13. 4-7.

[62]: Jean 15. 12.

[63]: « Mes Bien-aimés, ce n'est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien que vous avez reçu dès le début. Ce commandement ancien est la parole que sous avez entendue. Et néanmoins, encore une fois, c'est – un commandement nouveau que je vous écris, – ce qui est vrai pour vous comme pour lui, – puisque les ténèbres s'en vont et que la véritable lumière brille déjà » (I Jean 2. 7-8). « Et maintenant, Dame, bien que ce ne soit pas un commandement nouveau que je t'écris mais celui que nous possédons depuis le début, je te demande de nous aimer les uns les autres» (II Jean 5). «Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Oui, comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns Ies autres» (Jean 13. 34).

[64]: « A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples, à cet amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jean 13. 35).

[65]: « La multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une ante. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux 1.111 était commun» (Actes 4. 32).

« Aussi parmi eux nul n'était dans le besoin ; car tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de la vente et le déposaient aux pieds des apôtres. On distribuait alors à chacun suivant ses besoins » (Actes 4. 1-t 35).

[66]: En prenant ce mot dans le sens de simple absence de charité, non d'opposition à la charité.

[67]: «Sur l'amour fraternel, vous n'avez pas besoin qu'on vous écrive, car vous avez personnellement appris de Dieu à vous aimer les uns les autres » (I Thess. 4.9).

[68]: « Et l'espérance ne déçoit pas, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné» (Rom. 5.5).

[69]: Luc 18. 26-27.

[70]: Deut. 10.17 et 30.6.

[71]: Jér. 31. 33. –

[72]: Ez. 36. 27a.

[73]: LYONNET S.J., Stanislas : Foi et Charité selon S. Paul, p. 112. Christus No 61. 1969.

[74]: LYONNET S.J., Stanislas : op. cit., p. 113.-123

[75]: LYONNET S.J., Stanislas : op. cit., p. 116.

[76]: S. THOMAS : Commentaire de l'Epître aux Hébreux (8. Lect . 2a).

[77]: N'ayez de dette envers personne sinon celle de l'amour mutuel. Car celui qui aime autrui a, de ce fait, accompli la loi Rom. 13. 8). La charité ne fait point de tort au prochain. La charité est donc la loi dans sa plénitude (Rom. 13. 10).

[78]: Gal. 2. 20.

[79]: «Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères » (I Jean 3. 14).

[80]: Phil. 2. 3-4.

[81]: Gal. 6. 2.

[82]: 1 Cor. 12. 26.

[83]: Matt. 25. 31 à fin.

[84]: Remarquez-le bien : on ne nous dit pas de donner notre vie pour Lui, mais bien pour nos frères.

[85]: I Jean 3. 16-18.

[86]: Rom. 9. 3-5. 86

[87]: I Thess. 2. 8.

[88]: «Et néanmoins encore une fois c'est un commandement nouveau, que je vous écris – ce qui est vrai pour vous comme pour lui – puisque les ténèbres s'en vont et que la véritable lumière brille déjà. Celui qui prétend être dans la lumière, tout en haïssant son frère est encore dans les ténèbres. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et il n'y a en lui aucune occasion de chute» (I Jean 2. 8-10).

. Mes petits enfants, n'aimons ni de mots ni de langue, mais en actes, véritablement. A cela nous saurons que nous sommes de la vérité, et devant Lui nous apaiserons notre cœur » (I Jean 3, 18.19).

[89]: Le P. Fernando Sebastián Aguilar dans son ouvrage : « Rénovation conciliaire de la vie religieuse » fait cette excellente remarque : «Dès le commencement, les réflexions se sont orientées à partir des textes communautaires des Actes des Apôtres. Ce qui ressort de ce texte c'est une tendance interne de la vie chrétienne à s'épanouir dans des groupes de communion de vie, convoqués par le souvenir et la parole du Seigneur, présidés par sa mystérieuse présence et affermis par l'amour fraternel, dans l'unité et la force de l'Esprit-Saint » (p. 359).

[90]: Au moment de passer à l'autre vie, les observances, les structures, les œuvres apostoliques cesseront, mais l'amour continuera, la communion s'amplifiant aux dimensions de la grande communauté céleste.

[91]:Je vous exhorte donc, moi le prisonnier dans le Seigneur, d mener une vie digne de l'appel que vous avez reçu : en toute humilité, douceur et patience, supportez-vous les uns les autres avec charité » (Eph. 9. 1-2).

Noter ici le réalisme profond du « supportez-vous les uns I antres, avec charité ». Cela suppose une communauté de membres qui, même en se témoignant un mutuel amour, continuent aussi à se faire souffrir mutuellement.

[92]: A.L.S. ch. 32.

[93]: Doc. Vie Communautaire cf. No 46.

[94]: Fernando Sebastiàn : op. cit. p. 32.

[95]: Phil. 2. 1-2.

[96]: « Congregavit nos in unum Christi amor» (Liturgie du jeudi-Saint).

[97]:C.L.A.R. : « Rénovation et Adaptation de la vie religieuse en Amérique latine, et sa projection apostolique », p. 13 dans le texte espagnol.

[98]: «Ils se rassemblent sans se connaître, vivent sans s'aimer, meurent sans se regretter ».

[99]: J.M.R. Tillard, o.p. «Les religieux au cœur de l'Eglise », p. 76, éd. 1967, Montréal.

[100]: Paroles de Mgr Loris Capovilla dans sa déclaration à la Presse romaine, en 1969.

[101]: Vie, p. 161.

[102]: Vie, p. 158.

[103]: Je crois bon de citer ici encore le Congrès des Religieux du Canada : «Que les personnes elles-mêmes s'entraînent à entretenir des relations harmonieuses et enrichissantes, grâce à la connaissance, la compréhension et l'acceptation mutuelles, la disposition à pardonner et servir gratuitement, à partager ce qu'elles sont et ce qu'elles ont. A cette fin, que le dialogue fraternel soit encouragé et que soient recherchées et expérimentées des formes adaptées de rencontre et de participation communautaires» (op. cit. p. 13).

[104]: Le Congrès des Religieux du Canada, déjà cité, fait la recommandation suivante : « Que chaque groupe de religieux sache faire des événements de la vie quotidienne autant d'occasions de bienveillance et d'amour mutuel, afin qu'à ce signe le monde reconnaisse que leur communauté est animée par l'Esprit du Christ, signe des temps nouveaux.

A cette fin la communauté assumera dans l'amour mutuel le difficultés imputables aux déficiences humaines tout comme Ies joies de la vie en commun. Les religieux, tout comme les chrétiens doivent cultiver la disposition à pardonner » (op. cit. p. 15).

[105]: Il ne peut s'agir là que de l'esprit authentique et substantiel de la congrégation, et non pas d'une interprétation méticuleuse et étroite de cet esprit, ce qui arrive quand on confond contenu et expression, essentiel et accidentel, ou quand la congrégation elle-même en vient à oublier la saine hiérarchie des valeurs.

[106]: Op. cit., p. 37.

[107]: Sebastiàn Aguilar Fernando, op. cit., p. 360-361.

[108]: Trouverait-on plus beau reflet de cet amour pour la famille religieuse que ce trait de la vie du F. Jean-Pierre Martinol, directeur de Boulieu ? Le Père Champagnat lui donne une brioche pour la manger en route, en guise de déjeuner : « Non mon Père, répond le Frère ; je la porterai à mes Frères, nous la mangerons ensemble avec tant de plaisir, car tout ce qui vient de vous ou de notre maison-mère de La Valla nous est doux, agréable et nous fait tant de bien » (A.L.S. P. 321).

[109]: «Je ne suis plus dans le monde, mais eux sont dans le monde. Moi, je viens à Toi, Père Saint ; garde en ton nom ceux que tu m'as donnés, pour qu'ils soient un comme nous (v. 11). Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croiront en moi. Que tous soient un, comme toi, Père, tu es un en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée pour qu'ils soient un comme nous sommes un : moi en toi et toi en moi, pour qu'ils soient parfaitement un, et que le monde sache que tu m'as envoyé et que je les ai aimés comme tu m'as aimé » (S. Jean, 17. 11 et 20r24).

[110]: Eph. 4, 15 et 16.

[111]: Je ne veux pas dire ici qu'il ne soit pas possible de constituer à l'intérieur de la vie religieuse, des communautés du type « interchoisi » ; je veux simplement dire que pour se constituer, de telles communautés doivent examiner ce qu'il y a d'évangélique dans leurs motivations qui ne peuvent pas se réduire à celles énoncées plus haut, ni encore moins devenir la manière normale de constituer la vie commune.

[112]: Pas dans le sens de surajouter du dehors quelque chose qui améliore la grâce baptismale, mais dans le sens d'assumer en profondeur et par un nouvel engagement la vocation chrétienne.

[113]: Le Christ, dans la formation de ses disciples travaille inlassablement à purifier les fausses motivations, les égoïsmes, tes utilitarismes, les intentions de promotion personnelle, et il met constamment sous leurs yeux une image de l'autorité, de t'élection et de la consécration centrée sur l'humilité, le détache-ment, le service et le don de soi.

Là-dessus, nous avons entre autres le témoignage éloquent de la réprimande à Pierre, qui vient de recevoir la primauté dans son Eglise (Matth. 16, 21-27), la leçon sur le plus grand du Royaume des cieux donnée après la deuxième annonce de la Passion (Marc 10, 33-37), la réponse aux prétentions de la mère des fils de Zébédée (Matth, 20, 20r23) et l'important récit du Lavement des Pieds avec les beaux enseignements sur le service et l'amour mutuel qui suivent (Jean 13, 1-17).

Le plus intéressant c'est que ce sont les Apôtres eux-mêmes, une fois corrigés, qui ont eu soin de transmettre à la communauté de Pentecôte et à la postérité chrétienne le récit de leurs égoïsmes, de leur myopie, et en même temps, le travail de purification qu'avait opéré en eux le Seigneur. On entend dire parfois que ces vertus d'humilité, de don de soi, de détachement ne plaisent pas à la génération actuelle. A supposer même que ce fût vrai, cela voudrait dire qu'il y a là un travail d'évangélisation à faire. Mais on a le droit de douter que ce soit vrai. La génération actuelle a au moins autant de générosité que les générations précédentes ; ce qui est vrai, c'est qu'il faut l'aider à bien employer cette générosité, au lieu de lui créer des formes de vie médiocre.

[114]: MATURA Thaddée : «Célibat et Communauté ». Cerf, p. 109.

[115]: « Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux n'a fait qu'un peuple, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine, cette loi des préceptes avec ses ordonnances, pour créer en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, faire la paix, et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la croix : en sa personne il a tué la Haine. Alors il est venu proclamer la paix, paix pour vous qui étiez loin et paix pour ceux qui étaient proches : par lui nous avons en effet, tous deux en un seul Esprit, accès auprès du Père » (Eph. 2, 14-18).

[116]: Je cite encore un Frère qui parlait des efforts que l'on faisait dans sa communauté pour améliorer la vie communautaire, efforts bien intentionnés mais excessifs par leur fréquence, la remise en question, et l'insatisfaction qu'ils étaient en train de provoquer. Voici ce qu'il constatait : «Je ne sais pas ce qu'ils veulent encore qu'on fasse pour réaliser la vie commune ; je crois bien qu'il faudra arriver à s'embrasser. Nous cherchons et herchons encore, et tant de fois ce qu'est la vie communautaire que nous finissons par ne plus savoir ce qu'elle est». En effet, l'amour n'a pas de limites, mais l'expression de l'amour en a. La véritable vie communautaire, dans ses variantes culturelles a besoin d'une dose de sobriété et de virilité pour en équilibrer l'affectivité et devenir ainsi plus authentique, au lieu de glisser vers la sensiblerie ou la sensualité. Elle n'est pas faite pour guérir des insatisfaits de naissance ni des nostalgiques affectifs, mais pour pratiquer le commandement du Seigneur.

[117]: Le terme de la philosophie scolastique serait «formellement», car elle peut apporter une compensation «éminente » à ce besoin

[118]: La solitude dont il est question ici n'est pas seulement de l'isolement physique. Quoi qu'on fasse et qu'on veuille, l'homme vit seul et meurt seul. Il existe en lui une impuissance radicale à se communiquer aux autres jusqu'au fond de lui-même et il est aussi impuissant à pénétrer un autre jusqu'aux intimes replis de son être. Jamais il ne sera possible que se réalise pleinement t'identification de deux êtres, la volonté d'être reçus l'un par autre dans la forme qu'imaginait leur amour.

Il faut une bonne fois se réconcilier avec le caractère fini, limité, imparfait, de notre condition humaine. Beaucoup d'amis, beaucoup d'époux surtout, ont détruit leur union parce qu'ils n'ont pas eu le courage de l'imperfection. Ils avaient attendu l'absolu ; ils n'ont trouvé que le relatif et, pensant s'être trompés de, direction, ils ont candidement espéré qu'ailleurs ils pourraient apaiser leur soif d'intimité absolue. Ils ont décliné un bonheur possible pour poursuivre une chimère, alors qu'en acceptant leurs limites, ils auraient vu s'approfondir de plus en plus leur union et chaque jour grandir la source d'une vraie félicité. Mais qu'on te comprenne bien : accepter n'est pas croiser les bras, ou les laisser tomber, avec la chute des dernières illusions. Il faut tâcher de se dépasser toujours, de dépasser le corps si l'on veut que l'être trouve le moyen de se «réunir » à l'être, en se communiquant à lui plus intimement.

[119]: Il y a des cas où l'éducation en famille a laissé une marque d'insatisfaction et de revendication affective très difficiles à dépasser. Une seule chose pourrait sauver alors de l'immaturité (sorte d'affectivité restée au stade adolescent) : le don de soi, ce don que l'on n'a pas la force, ou pas la volonté, de faire.

[120]: Non pas dans le sens de : décidée à l'aumône, mais dans le sens de : possédant la force de l'amour

[121]: St Bernard était si convaincu de cette vérité – à condition toujours de respecter la proportion – qu'il ose dire aux Supérieurs : « Si votre communauté n'a que de saints religieux, tous à bon caractère, il faut en acheter un méchant, à caractère difficile, dur, hargneux, contrariant, afin de fournir à tous vos frères et à vous-mêmes l'occasion de vous former à la douceur, à la patience, à ta charité et à toutes les belles vertus sociales » (A.L.S. p. 10'7).

[122]: Comme l'homme qui trouve un trésor caché dans un champ, et, tout content, «va, vend tout ce qu'il a et achète ce champ » (Matth. 13, 44), ou comme le marchand de perles fines «qui en trouve une de grande valeur, vend tout ce qu'il possède et l'achète » (Matth. 13, 46), ou encore comme les pêcheurs qui, lorsqu'ils retirent leur filet plein de poissons, s'assoient et ramassent les bons dans des corbeilles, et jettent les mauvais» (Matth. 13, 48).

[123]: Pour qui vient au mariage avec une attitude captative, ou 11 faut changer cette attitude, ou s'attendre à ce que la vie soit un désenchantement progressif. Pour qui vient au mariage avec un amour oblatif, toutes les occasions de détérioration mettront en exercice son oblativité et revaloriseront son amour.

[124]: Le langage, dans un sens large, comprendrait non seulement ta parole orale ou écrite, mais aussi les gestes, les signes, les symboles, les rites, la liturgie. Il est bien extraordinaire de voir les efforts des hippies pour s'emparer de toutes les expressions du langage dans une créativité, une originalité, un sens d'une modification et d'une rénovation continuelles qui sont radicalement à l'opposé du formalisme et de la stéréotypie de ce même langage. Un opposé qui a ses aspects vicieux et extravagants, mais ne laisse pas quand même de nous appeler à une révision, de nous transmettre un message.

[125]: C'est une attitude semblable à celle de l'homme qui revient du travail, demande à sa femme de ne pas le déranger, aux enfants de cesser de jouer, et qui s'assoit dans un fauteuil pour lire te journal, répondant par un monologue grognon aux interrogations.

[126]: BAMBERGER, J.E. : « L'homme par la communauté » (La dynamique de la communication). Dans «Supplément de la Vie Spirituelle » No 90, septembre 1969, p. 421.

[127]: S'il était ouvert, il parlerait avec son frère, lui dirait le mal que lui a causé l'événement et lui demanderait amicalement une explication. Et ensuite, le malentendu serait terminé.

[128]: Je veux parler de certaines formes de vertu un peu stoïciennes et nuisibles qui se développent par suite d'actes de volontarisme qui n'ont jamais été dirigés psychologiquement et qui finissent par avoir des conséquences fâcheuses.

[129]: Lév. 19, 18.

[130]: Schutz Roger : Règle de Taizé, p. 39.

[131]: 10 Actes 4, 32.

[132]: "' cf. G. S. 38.

[133]: Il y a une dimension du prochain qui nous a été révélée et nous y croyons dans le sens agissant de la foi.

[134]: L'Eglise et le chrétien incarnent la médiation du Christ. Le Concile nous présente l'Eglise comme le sacrement du Christ, de même que le Christ est le sacrement du Père (cf. L.G., I).

[135]: « J'ai à moi toutes les bêtes de la forêt, et celles par milliers, des montagnes. Je connais tous les oiseaux du Ciel, et ce qui se meut dans les champs, j'en dispose. Si j'avais faim, je n'irai€ pas te le dire, car je possède le monde et ses richesses. Mangerai-je la chair des taureaux, ou boirai-je le sang des boucs ? Offre à Dieu un sacrifice de louange et acquitte au Très-Haut tes vœux» (ps. 49, 10-14).

Pour le Nouveau Testament, la vie chrétienne de charité n'est rien d'autre qu'une participation à la charité même du Christ qui culmine en sa mort : «Marchez dans l'amour, à l'exemple du Christ qui nous a aimés et s'est livré pour nous, s'offrant à Dieu en sacrifice d'agréable odeur » (Eph. 5, 2), charité qui nous est communiquée dans le mystère eucharistique, sacrifice de l'alliance nouvelle, si bien que chacun d'entre nous peut et doit dire avec Saint Paul : «Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi» (Gal. 2, 20).

(Lyonnet, Stanislas : « Eucharistie et vie chrétienne » p. 45).

[136]: Article cité, p. 77.

[137]: Matura Thaddée : op. cit. p. 114.

[138]: Matura Thaddée : op. cit. p. 117. '

[139]: P. C. 12.

[140]: Matura Thaddée : op. cit. p. 119.

[141]: Galot Jean, « Porteurs du souffle de l'Esprit » p. 115.

[142]: Sebastián Aguilar, Fernando : op. cit. p. 371.

[143]: On peut affirmer que s'il n'y a pas d'amour plus grand que celui de donner la vie pour ses frères, elle est aussi très grande la charité de celui qui leur consacre sa propre existence. Ce n'est pas là donner sa vie en mourant, c'est la donner en vivant pour le bien et pour le service des autres. C'est offrir un témoignage inappréciable, et si quelqu'un ne jugeait pas ainsi, sa mentalité tendrait vers l'égoïsme qui fait apprécier les hommes en fonction de la catégorie sociale, mentalité qui aujourd'hui, même du simple point de vue humain, est en baisse.

[144]: Const. Art. 57, 1-9.

[145]: Huyghes : e Equilibre et adaptation ».

[146]: Jerphagon, Lucien : «Prières pour les jours insupportables» » – p.- 65.

[147]: C'est le cas, par exemple, de certains week-ends où tout le monde quitte la maison. Il ne suffit pas qu'ils aient été bien préparés par la communauté pour en devenir irrépréhensibles, si à cette occasion on oublie toutes ses responsabilités devant des faits contraires à l'esprit et aux exigences de la vie religieuse.

[148]: Sebastián Aguilar Fernando : op. cit. p. 358.

[149]: «Il faut tenir pour désuets les éléments qui ne constituent pas la nature et les buts de l'Institut et qui, ayant perdu leur sens et leur force, n'aident plus véritablement la vie religieuse ; on retiendra cependant qu'il y a un témoignage que l'état religieux a le devoir de porter » (Motu proprio « Ecclesiae Sanctae » – II – No 17).

[150]: Je laisse leur responsabilité à ceux qui voudront tirer de ces réflexions des conclusions que je suis loin de partager et d'appuyer. Le contexte général dira, à qui voudra comprendre, ce que j'ai voulu dire.

[151]: Il paraît évident qu'en parlant d'habit, on veuille dire : type d'habit, car le Concile a demandé aux religieux que leur habit soit signe sensible de consécration ; et tout le document de la C.L.A.R., version latino-américaine d'une authentique rénovation conciliaire, a été présenté à la Congrégation des Religieux, et retouché d'accord avec ses indications comme le dit très claire-ment le R.P. Edwards, Président de la C.L.A.R., dans le prologue, p. 8.

[152]:«La rénovation adaptée de la vie religieuse comprend à la fois le retour continu aux sources de toute vie chrétienne ainsi qu'à l'inspiration originelle des instituts et, d'autre part, la correspondance de ceux-ci aux nouvelles conditions d'existence » (Décret : Perfectae Caritatis – 2).

[153]: Vie du Père Champagnat, p. 139.

[154]: Cliche Jean-Marc : art. cité, p. 243.

[155]: Publications du Congrès des Religieux du Canada, p. 11 Nos. 3 et 4.

[156]: Marshall Mc Luhan, cité par Bamberger (art. cité, p. 418).

[157]: Bamberger, art. cité, p. 418.

[158]: C.L.A.R. op. cité, p. 14 à 16 ; Congrès des Religieux du Canada, p. 8 à 12.

[159]: Cf. Mc 2.27.

[160]: Cf. Gal. 5.13.

[161]: Ne me presse pas de te quitter et de m'éloigner de toi car où tu iras j'irai où tu demeureras, je demeurerai, ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu ; là où tu mourras, je mourrai, et là je serai ensevelie ! Que Yahvé me fasse ce mal et qu'il ajoute cet autre encore, si ce n'est pas la mort qui nous sépare. (Ruth. 1. 16 et 17) : paroles de Ruth à sa belle-mère Noémi.

[162]: Saint-Exupéry. A. de : Citadelle – Livre de poche p. 237.

[163]: Qu'on entende «mon frère » dans le sens de «tous> et chacun des membres de la communauté, surtout ceux qui en ont Ie plus besoin.

[164]: Evidemment beaucoup de choses mentionnées peuvent se trouver dans la. communauté des personnes (la personne et ses expressions).

[165]: Cf. Jn 17.20.

[166]: Ex. 3.14.

[167]: Ex. 6.7. Cf. Jer. 31.33 et 2 Cor. 6.16.

[168]: 2 Cor. 6.18. Cf. Ex. 4.22 ; Deut. 1.31 et 32 ; 6. 2 Sam. 7.14 ; Os. 11.1 et Jér. 3. 9.

[169]: D'un sacerdoce soit baptismal soit ministériel, selon les cas et les circonstances.

[170]: GALOT, Jean : Le Renouveau de la vie consacrée, p. 96.

[171]: Jean 17.20 et 21.

[172]: Fernando Sebastián : op. cit. p. 560.

[173]: GALOT, Jean : Renouveau de la vie consacrée, p. 98.

[174]: Op. cit. au chapitre : Communauté religieuse et parole de Dieu, p. 22.

[175]: TILLARD, Jean-Marie : op. cit, p. 71.

[176]: LYONNET, Stanislas : Eucharistie et vie chrétienne, p. 39.

[177]: Pour ce passage et mieux encore pour l'exposé doctrinal littéral et complet, voir dans «Eucharistie et vie chrétienne» le chapitre : «La vie chrétienne et le culte spirituel », surtout p. 46.

[178]: Op. cit, p. 18.

[179]: Il est évident que certaines initiatives sont difficiles, voire impraticables dans la mesure où augmente le nombre de participants et manque la culture nécessaire.

[180]: Luc 22.27.

[181]: Max THURIAN : Informazioni p. 216 (1970) : Autour de la Semaine de l'Unité. Le texte est traduit à partir de l'espagnol.

[182]: Moins technicisés et plus proches de la vie réelle.

[183]: Les deux cas exposés correspondent à des initiatives prises spontanément. On pourrait ajouter quelque témoignage qui embrasserait toute la communauté. Il faut dire, pourtant que les équipes restreintes à l'intérieur de la communauté peuvent être la ruine ou la bénédiction de la vie fraternelle selon leurs membres et selon la manière dont on mène ces équipes, le type de communauté où elles se trouvent et le supérieur. Mais donner un conseil là-dessus est une autre question et peut faire partie du matériel offert aux communautés qui veulent s'intéresser au problème de manière pratique.

[184]: Op. cit. p. 366.

[185]: GALOT Jean : «Porteurs du souffle de l'Esprit » p. 123. (Duculot-Lethielleux).

[186]: Voir appendice statistique.

[187]: GALOT, Jean : Porteurs du souffle de l'Esprit, p. 125.

[188]: GALOT, Jean : Porteurs du souffle de l'Esprit, p. 124. Et encore : « La "communion d'un même esprit " n'est pas préservation passive d'un dépôt commun, mais rapprochement dans le jaillissement charismatique, par lequel l'élan de l'Esprit Saint dans un membre tend à se communiquer aux autres ».

[189]: Quand il y a vrai charisme incompatible avec la fin de l'Institut ou tout à fait en marge, ce qu'il faut ce n'est pas de I'étouffer, mais lui chercher accueil dans la congrégation ou dans te secteur de l'Eglise qui lui va.

[190]: Mgr. EDUARDO PIRONLO, secrétaire général du CELAM : syn• thèse d'un remarquable conférence qu'il a donnée.

[191]: SAINT-EXUPERY, Antoine : Citadelle.

[192]: Rudolph Allers : «L'Amour et l'Instinct ».

[193]: VIEUJEAN, Jean : « L'autre toi-même», p. 32. 34-35.

[194]: BAMBERGER, Jean-Eudes : «L'homme par la communauté» : Suppl. Vie Spirituelle, n. 90, page 420.

[195]: Dans le chant. « Viva la gente » se retrouve magnifiquement exprimée l'idée de Clichet : «Les choses sont importantes ; les gens le sont plus encore ».

[196]: CLICHE ; Jean-Marc : Art. cité, pag. 245 et 244.

[197]: Personne ne doit être exclu de l'affection ni du respect, car ces sentiments ne s'adressent pas essentiellement aux qualités ni à quoi que ce sait d'accidentel à l'homme, mais à sa personne elle-même. Si on n'aime poux ma sagesse, ma mémoire, ma serviabilité, mon jugement, ma sympathie, ce n'est pas moi qu'on aime pour moi-même, ce sont mes qualités, et pour elles-mêmes ; et comme je peux les perdre, je suis toujours dans l'incertitude de l'amour, menacé dans ma vie sociale.

[198]: « A la différence d'autres sociétés où les membres apportent essentiellement ce qu'ils possèdent : leurs biens, leurs qualités humaines, la communauté religieuse se forme par un apport divin ; elle se nourrit de l'Evangile, de la Liturgie, plus spécialement de l'Eucharistie. La charité dont elle vit est un don qui vient d'en haut : elle est répandue dans les cœurs par l'Esprit Saint, rappelle le Décret, et elle assure une présence mystique du Seigneur parmi les siens. Aussi la joie éprouvée par les religieux dans leurs relations d'amour communautaire n'est-elle pas d'abord la satisfaction de leurs dispositions de bonne entente, mais, la jouissance commune de cette présence du Christ : la communauté «jouit de sa présence».

J. GALOT : «Porteurs du souffle de l'Esprit» p. 122. Duculot-Dethielleux.

[199]: Rénovación y adaptación de la Vida Religiosa en America Latina y su proyección apostólica, p. 16.

[200]: J. E. BAMBERGER : article cité, p. 423.

[201]: FERNANDO SEBASTIÁN : op. Cit. p. 365, 366 et 369.

[202]: BERTHELET : art. cité, p. 72 et 73.

[203]: MATURA, Thaddée : op. cit. p. 110.

[204]: Op. cit. p. 123-124.

[205]: « Voilà pourquoi tout essai de réforme et de conversion des formes actuelles de la vie religieuse ne peut être authentique que s’il s’accomplit dans un climat de paix. D’abord dans l’immédiat de la recherche et de la prise en conscience des problèmes. Il ne peut être question pour chaque génération ou chaque école spirituelle de tenir à sa position et de vouloir la faire triompher à tout prix ; il s’agit de regarder ensemble l’idéal commun, de ne jamais oublier que la fraternité comme telle, avec la paix qui rayonne d’elle, est au cœur même de la vie religieuse, qu’on ne peut donc jamais consentir à la mettre en péril.

Une réforme qui déchire la communauté, qui y crée des tensions difficilement résorbées, est inutile, même si elle se propose de résoudre une situation inconfortable déjà existante. Il faudrait que la rénovation (profonde, il le faut) des communautés religieuses soit, dans l’aujourd’hui de l’Eglise, le paradigme de la réforme de l’Eglise entière, et cela avant tout par son climat d’irénisme et de paix » : ne sommes-nous pas ceux qui font officiellement profession de rechercher la perfection ecclésiale, donc de la démontrer par nos comportements ? (Les religieux au cœur de l’Eglise, p. 75)

[206]: «Mais la paix du Christ doit être aussi considérée comme le but même de la reconversion de la vie religieuse. Lorsque l'on réfléchit, en effet, aux causes les plus profondes du malaise qui existe actuellement un peu partout dans les communautés, on s'aperçoit vite qu'à la racine de tout il y a le manque de paix intérieure de beaucoup de religieux. Ils veulent servir le dessein de Dieu généreusement. Mais les formes actuelles sont souvent inadaptées à la qualité de service qu'exige le temps présent : nous ne sommes plus à l'époque où vivaient les fondateurs et les fondatrices ; les accents sont déplacés, l'équilibre chrétien s'est recentré sur la Parole de Dieu et l'Eucharistie, on a redécouvert le sens du dialogue. D'où les inquiétudes souvent douloureuses, là où l'on sent la volonté de ne rien changer ou de ne changer qu'à contrecœur sans la largeur d'esprit évangélique qui fuse partout dans l'Eglise. Refuser de tout faire pour redonner à nos communautés ce climat de paix, c'est pécher contre l'Eglise. Plus gravement encore, c'est pécher contre le Père qui veut de la communauté le signe de son don d'amour et de paix, dans le Christ Jésus. Mais se servir du thème de la paix pour camoufler le refus de tout changement ou celui d'envisager les problèmes en face, est une faute odieuse. La paix du Christ ne correspond jamais à une démission. Elle ne se confond pas non plus avec la béate satisfaction de celui qui trouve toujours que tout va bien. Elle est au contraire perpétuelle exigence de fidélité au désir du Père dans l'aujourd'hui de son dessein. Créer la paix ne revient pas à bercer les frères et à les endormir dans l'inertie de la médiocrité. C'est leur permettre la communion la plus toc& possible au Christ, seule paix véritable donnée aux hommes ». (J. M. Tillard, O.P. : «Les religieux au coeur de l'Eglise », Ed. du Cerf, 1969, p. 75).

[207]: Inévitablement il y aura certaines répétitions de ce que j'ai dit plus haut il est question d'une autre face du même l'histoire est une croissance et toute croissance libre est matière d'histoire.

[208]: FERNANDO SEBASTIÁN AGUILAR : op. Cit. p. 368.

[209]: «Je demande à Dieu et je vous prie de lui demander vous aussi un esprit comme celui du pape Jean XXIII, qui a été, je le crois de tout cœur, le prophète des temps modernes, celui qui a ouvert des chemins au Seigneur dans votre cœur et dans le mien. Cela veut dire que j'aspire à être, avec une humble confiance et une marge d'erreurs, un évêque du renouveau. Dieu sait que je n'ai pas pour autant l'intention de blesser personne ni de rien détruire, mais de chercher la vérité évangélique dam ma vie personnelle et dans mon ministère pastoral.

Permettez-moi de vous dire, à vous qui arborez des bannières de rénovation, que l'on ne nous croira pas et que l'on n'acceptera lias notre message, si celui-ci ne colle pas à tout l'Evangile. Si nous n'enlevons pas de notre œil ce que nous critiquons chez autrui. Si nous nous prévalons d'une authenticité tranchante, sans Ie baume de la charité. Si nous n'aimons pas l'Eglise concrète, celle qui désire se réformer. Si nous perdons la paix, béatitude caractéristique des fils de Dieu». (Mons. Antonio Montero : Al-locution au cours de sa consécration épiscopale : 17-5-69. Dans Ecclesia N. 1441, mai 1969).

[210]: En les nommant, je demande qu'on tienne compte de ce qui précède et qu'on ne fasse pas trop attention aux termes, variables d'un lieu à l'autre, tout à fait relatifs, pas définitifs du tout et même pas exacts.

[211]: Ceci revêt une importance particulière avec les possibilités offertes par Renovationis Causam pour la formation.

[212]: Ces conseils pour le bon fonctionnement des équipes, je les donne, mes Chers Frères, appuyé sur l'expérience – déjà assez longue à mon avis – de la vie communautaire mariste ; et ils valent, me semble-t-il, pour cette forme de vie communautaire qui est la nôtre. Que ces conseils, vaillent aussi ou non pour d'autres formes de vie religieuse ou communautaire, c'est à qui de droit de l'examiner et de faire l'adaptation.

[213]: Luc 6, 43. 

[214]: En français dans le texte.

[215]: Fernando Sebastián Aguilar : Op. cit. p. 364. 

[216]: Constitutions : Testament Spirituel, p. 123.

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