Circulaires 378

Basilio Rueda

1970-07-16

Circulaire sur la vie communautaiure (2)

CIRCULAIRE

SUR LA VIE COMMUNAUTAIRE

 

Il s’agit de la suite de la Circulaire 373 sur la Vie Communautaire.

QUATRIÈME PARTIE

JALONS

POUR UNE CONSTITUTION DYNAMIQUE

DE LA VIE COMMUNAUTAIRE

1 – Besoin et désir de communion.

Il faut partir d’une vérité de base : la vie sociale, loin de tarir la vitalité de l’homme, lui est indispensable, et même doublement : du côté de la nature et du côté de la grâce.

Non, la communauté ne diminue pas l’homme. Sans doute, celui-ci, outre qu’il est un « être-en-relation » est aussi un « être-en-soi », et à ce titre a besoin d’espace pour son intimité et son approfondissement ; mais si l’on suppose respectée cette condition, il est indéniable que l’homme porte en soi le besoin de compagnie et d’une compagnie stable, car la dialectique humaine tend à convertir la relation unité en communauté, et la communauté se présente comme un besoin qui a sa source dans la nature même, et dans la vie chrétienne et dans le régime de virginité qui caractérise les religieux ; elle se présente aussi comme quelque chose d’indispensable dans la propagation de l’Evangile, et comme un vœu du Christ lui-même[1].

Il existe dans « notre être d’hommes », le besoin et l’appétit d’une authentique communion dans la vérité, la stabilité et la profondeur, et ce besoin et cet appétit crient en nous avec d’autant plus de force que se fait plus lointaine, plus faible et plus adultérée la vie communautaire et que diminue la force unitive infusée dans nos cœurs par l’Esprit-Saint, force surnaturelle qui agit pour édifier le corps tout entier de l’Eglise[2].

Nous devons dès lors penser qu’il y a dans nos Frères tout le ressort voulu, même lorsque restent insoupçonnées et inexploitées leurs ressources pour ce renouvellement de la vie communautaire que Vatican II demande au peuple de Dieu et tout particulièrement aux religieux.

2. – Adaptations nécessaires.

Toute personne, toute communauté, tout groupe humain ont leur style, leur prototype de rapports humains et de vie commune. Pour construire une vie fraternelle, c’est là une particularité qu’il est indispensable de connaître, de comprendre et de respecter. Prétendre forcer personnes ou groupes à entrer dans des moules et des styles de relations qui ne leur vont pas, dans telle ambiance et telle culture donnée, c’est faire mourir dans l’œuf toute tentative de revitalisation de la vie communautaire. Cette tentative se heurtera à une sourde résistance passive : l’abstentionnisme. Veut-on des exemples ? Il sera difficile à un caractère nordique ou anglo-saxon de mener une vie commune de style latin, à un Oriental, une vie de style occidental ; et réciproquement, un Latin (Méditerranéen ou Sud-Américain, par exemple) trouvera peut-être froide, faible, inexpressive une vie commune de style français ou anglais.

Les communautés et provinces « pluralistes » ont donc nécessairement à s’adapter, chaque membre étant appelé à deux principaux efforts : renoncer à imposer sa propre manière de concevoir les relations, et adopter cordialement le style de vie commune propre aux confrères avec qui on vit. A condition d’y mettre le bon sens et la mesure, c’est là une source d’unité et de bonne entente. Par contre, vivre sans se rendre compte, et sans tenir compte de ces aspects de la vie de relation, c’est créer des blocages à la communion des personnes, même si celles-ci par ailleurs s’aiment réellement.

Il ne faut jamais se décourager devant la sclérose apparente ou la banalité d’une vie communautaire. Il faut par contre influer sur elle en étant sûr qu’elle recèle des énergies en puissance à faire revivre ; souvent les religieux les plus rudes et les plus hermétiques sont aussi ceux qui ont le plus grand besoin, et le secret désir, d’amour, de relations, de communauté. Tout est dans la manière de les comprendre, de les aborder, de s’adapter à leur style.

3. – Ouverture dans un contexte d’amour surnaturel.

Une communauté fondée sur de l’artificiel, plus encore sur du forcé, arrivera bien difficilement à satisfaire ses membres, et pas davantage à permettre une vraie rencontre des personnes, car «rien de violent n’est durable ».

Faut-il en conclure que toute communauté dont les membres ne se sont pas « interchoisis», sélectionnés mutuellement, est condamnée à être éphémère ? Certains l’ont prétendu, et l’idée gagne même du terrain çà et là. Ce n’est d’ailleurs pas qu’il y ait chez eux mauvaise volonté, mais la part d’erreur de leur solution leur échappe. Celle-ci n’est bonne que pour certaines communautés, certaines fonctions ou certains religieux, et là même où elle est bonne, elle manifeste souvent une tendance qu’on hésiterait un peu à proposer comme modèle de communauté chrétienne et religieuse, à savoir que ce qui l’inspire est davantage la commodité et le bien-être, que d’autres motifs comme les convenances du service ou l’efficacité apostolique, c’est-à-dire le véritable amour, qui, lui, devrait être ouvert, capable d’adaptation, dévoué, tout à tous[3].

Pensons à l’amour avec lequel un père ou une mère acceptent un enfant, s’adaptent à lui, l’élèvent et le supportent, même s’il est indocile, pénible, rebelle, parfois anormal. C’est ainsi qu’ils montrent qu’ils sont les vrais parents de cet enfant, et que leur famille est une vraie famille. Mais alors comment admettre que ceux qui possèdent une vie baptismale perfectionnée[4] dans et par la consécration religieuse, soient incapables de produire un fruit social d’une qualité au moins égale ?

Il peut y avoir des formes de narcissisme communautaire qui engendrent une ambiance de «ghetto ». Telle ne sera jamais l’image de la communauté évangélique voulue par le Seigneur[5]. Peu importe ce que pourra dire une enquête sociologique : nous ne pouvons pas renoncer à l’Evangile ni constituer comme modèle une façon de vivre qui nous éloignerait de la recherche inlassable de l’unité et de l’amour proclamés par le Seigneur.

Une enquête sociologique peut bien révéler qu’il existe dans beaucoup d’ambiances moralement médiocres, un phénomène majoritaire d’égoïsme, d’infidélité conjugale, d’injustice sociale et commutative, etc. … Nous ne pouvons pas pour autant accepter que ce phénomène majoritaire devienne par là « norme de vie ». Au contraire, comme le dit très bien Matura : « Le dynamisme même d’une relation authentique ne connaît pas de limites, et se porte vers tout l’homme »[6]

Plus encore il faut reconnaître que dans la civilisation actuelle, il est très possible que par lassitude et réaction contre une société hyperstructurée, et peu souple à l’égard des personnes et des justes changements, il y ait un état de rébellion jusqu’au paroxysme contre tout ce que l’on n’a pas créé soi-même spontanément. Cette attitude se trouve chez un certain nombre de religieux, et avec elle un désir de commodité toujours plus grand, désir qui s’étend et se déplace des choses aux institutions et des institutions aux personnes.

En d’autres termes, il se produit un véritable besoin de ne vivre qu’en des organisations taillées à notre mesure et avec des personnes qui sont de notre gré.

Une structure a-t-elle des aspects gênants ? Certains en arrivent à être radicalement incapables de l’accepter, de s’y adapter, et il en est de même pour une personne qui leur devient antipathique. Avec une telle attitude on élimine à coup sûr des valeurs de grande importance.

Ce troisième point énonçait au début un principe. L’explication l’a-t-elle démenti ? Pas du tout. Il tient encore, et, aussi bien lorsqu’il est « apparemment violé » que lorsqu’il est visiblement prouvé, il se trouve réalisé : « rien de violent n’est durable ». Une communauté constituée artificiellement, sans base naturelle est un phénomène apparent ou éphémère de vie commune : c’est indiscutable. Cependant il se passe aussi un autre phénomène. L’amour de Dieu, mis dans un cœur et la force de la grâce baptismale ne sont pas plus des faux-semblants que des perfections consommées ; mais ils sont bien réellement un pouvoir unificateur de ce qui d’abord était séparé, pouvoir qui transcende notre condition d’hommes pécheurs en purifiant nos égoïsmes, en débordant nos étroitesses, en élargissant les dimensions sociales de notre personne. Dans la mesure où il se trouvera des religieux qui voudront laisser agir en eux l’action unificative du Christ, deviendront viables des communautés plus ouvertes, plus pacifiées, et de composition plus diversifiée.

C’est pour cela que chez les religieux appelés à vivre en communauté normale, il faut que la vie et l’amour surnaturels soient non pas une fiction, mais une réalité agissante et de tous les jours. Alors ces communautés ne sont plus un artifice insoutenable, ni un faux-semblant qui recouvre une coexistence tristement pacifique dont les participants ont à l’extérieur un centre « affectif social » clandestin (compensation ou au moins évasion). Elles deviennent des lieux où la grâce et l’action de l’Esprit-Saint agissent de telle façon sur notre être d’hommes que le surnaturel nous devient tout naturel et plein de conséquences émanées d’un monde supérieur qui s’est inséré, greffé dans notre nature et notre vie. Ainsi prend naissance une forme d’existence et de rapports humains qui n’ont rien de violent parce que leur principe est une réalité intérieure. Les vœux de religion eux-mêmes peuvent devenir préjudiciables et impraticables au-dessous d’un certain niveau de ferveur et de vie théologale. Pareillement la vie communautaire, et pourtant c’est bien ainsi que le Christ l’a inaugurée (unir ce qui est dispersé et opposé)[7], ne peut que devenir étouffante et insoutenable, sans la présence d’une dose suffisante de sérieux et de ferveur chrétienne.

4. – Le danger de la mythification.

Il ne faut pas faire une mythification de la vie communautaire, ni fonder sur elle des espérances illusoires. Il y a des choses que ne peut donner la vie communautaire, pas même la plus riche. Faute de bien avoir cela présent à l’esprit, on peut se trouver aux deux extrêmes limites de l’erreur :

a) Essouffler les gens par un excès de relations, de réunions, d’actes communautaires orientés vers l’échange, la réactivation de la vie commune. On est alors dans le « communautarisme » excessif, sans respect pour les autres, dépersonnalisant, aliénant, scandé par le leitmotiv lassant et qui tourne à l’obsession : « Nous n’avons pas assez de vie communautaire »[8].

b) Etre déçu parce que, malgré les efforts de réactivation de la vie communautaire on n’obtient pas les fruits attendus. Le phénomène de déception est en proportion de l’idée exagérée qu’on s’était faite des résultats possibles, sans réalisme suffisant.

Dans les espoirs fictifs, il y a toujours un premier moment d’illusion (au sens objectif et au sens étymologique) ; puis vient la désillusion et la frustration.

L’unique façon de pouvoir croire de façon stable et solide à quelque chose, c’est de ne pas la mythifier.

Si l’on n’observe pas ce principe il y a fort à parier qu’il n’arrive au mouvement « communautariste », avec toute la sympathie dont il jouit aujourd’hui, ce qui a eu lieu naguère avec d’autres mouvements qui exaltaient ou la personne, ou les structures ou les lois, ou la piété. Pour n’avoir pas voulu au début mettre une sourdine à l’exagération et à la mythification, on a obtenu des individualismes, des structuralismes, des piétismes qui vite sont tombés dans le discrédit : le retour du pendule !

Ainsi, par exemple, la communauté ne peut pas être notre épouse : elle ne sera jamais capable de nous donner ce type de satisfaction d’ordre naturel qui vient de l’amour pour une femme ; elle ne remplira pas comme telles[9] nos valences hétéro-sexuelles. Pas plus qu’elle ne pourra combler nos besoins d’intimité et de recueillement, et encore moins remplacer Dieu, ni évacuer notre sentiment ontologique de solitude[10]. Il serait inutile de vouloir obtenir d’elle ces services ; elle nous décevrait, et alors viendrait la tentation de l’abandonner, pour la raison que nous nous serions rendu compte de l’impossibilité où elle se trouve de remplir toutes nos aspirations.

5 – Apport et mise en valeur de chacun.

Il y a des éléments qui permettent d’évaluer pour la généralité des cas, la pauvreté ou la richesse, ou si l’on veut, la qualité, d’une vie communautaire :

–    la maturité ou l’immaturité des personnes,

–    la satisfaction ou l’insatisfaction affective des membres de la communauté[11].

–    la présence ou l’absence d’un sens à la vie (vivre pour un idéal, ou au contraire, vivre d’une vie végétative),

–    les problèmes dans lesquels se trouvent les membres.

***

Qu’est-ce que les hommes-problèmes apportent à la vie communautaire ?

a) Généralement ils ont besoin de la communauté. Disons plus ; il y a des problèmes psychologiques et caractérologiques qui ne se résolvent qu’avec une thérapie de groupe.

b) En eux-mêmes ils ne sont ni créatifs ni enrichissants pour la communauté ; ils sont pour elle un problème.

c) Indirectement, par contre, ils peuvent être féconds pour le développement de la vie de communauté, quand celle-ci est « charitable »[12]car c’est en lui donnant l’occasion d’un exercice supérieur de l’amour, de l’union, de la compréhension et de l’adaptation qu’on la rend plus apte à mieux vivre sa vie de communion.

d) Mais il doit exister une proportion entre le nombre des membres-problèmes et le nombre des composants normaux et surtout « charitables » de la communauté, ainsi qu’un rapport entre l’état problématique des uns et la richesse sociale des autres. Il ne faut pas oublier non plus une autre remarque déjà faite : certains hommes sont absolument inaptes à la vie communautaire.

Ces proportions ne doivent pas évidemment être comprises avec une rigueur trop mathématique, mais si on laisse basculer les proportions, on s’en aperçoit tout de suite[13].

***

– Un autre élément qui détermine la qualité de la vie communautaire, c’est le caractère et la valeur de ceux qui se mettent en communauté, (le ce qui est donné et reçu par eux, de ce que chacun met à la disposition des autres.

Faiblesse, pauvreté de ce que l’on offre, et surtout caractère négatif du point de vue moral et du point de vue axiologique de ce qui forme le patrimoine spontané, tout cela détermine, et dans la même proportion, vie communautaire pauvre, vulgaire, même nuisible. Le contraire donnerait : vie communautaire riche et féconde pour tous.

– Finalement, cette vie communautaire vaut ce que valent les canaux ou moyens de transmission, de communication, qu’ils soient spontanés, psychologiques, ou, au contraire, institutionnalisés (sincérité, dialogue, manière d’aborder le prochain, etc. …) Il en est comme dans le corps : la santé ne dépend pas seulement de la richesse du sang et du bon état des membres, mais aussi, au moins dans la même mesure, de la circulation qui fait arriver la richesse commune, comme il faut à chaque membre, selon son état et sa fonction.

6. – Vie commune à la lumière du mariage.

La détermination et l’amélioration communautaire ont leurs lois. En voici quelques-unes :

a) La vie communautaire n’est pas un phénomène de génération spontanée, ce qui voudrait dire que dès le premier instant elle est dans un état définitif. Comme tout ce qui appartient à l’humain et tout ce qui a relation au Royaume des Cieux, elle a besoin d’être élaborée, développée[14].

b) Elle a de grandes ressemblances avec le mariage.

Dans celui-ci le danger consiste en ce que les époux croient que le jour des noces, le mariage est déjà achevé et total, ce en quoi ils se trompent, car ce n’est que le début d’une tâche de construction qui n’en est vraiment qu’à son point de départ. C’est jour après jour que le mariage se construit.

Sinon, le mariage se détruit :

– avec le temps,

– avec la perte de la nouveauté,

– avec la découverte des limites de chacun,

– parfois avec les conflits,

– et, pour lui éviter cette lente dégradation, il faut constamment le rajeunir[15].

– Le mariage peut avoir des « nuits obscures », car il s’appuie sur un amour passager, ambivalent et sensible ; il est sujet à trahisons, tentations et chutes. C’est pour cela qu’il faut l’éclairer et le purifier ; et que le conjoint qui ne souffre pas la crise, sache comprendre et pardonner, devenir le «bon samaritain de l’amour malade ».

– Dans le mariage, les conflits, la différence de mentalité sur certains points, la différence de désirs, d’illusions, d’objectifs, d’engagements, sont un phénomène naturel qui donne lieu à des tensions épisodiques ou parfois très fréquentes. Cela engendre une dialectique continue de l’amour et de l’unité ; et la façon de vivre cette dialectique fait croître ou décroître l’amour, ruine ou vivifie la communauté familiale.

Les époux comprennent-ils que les conflits et les différences non seulement sont normaux et inévitables, mais qu’ils sont une partie de l’essence même du mariage, qu’ils peuvent être très féconds pour la formation personnelle et pour l’approfondissement et la stabilité de l’amour, alors ils deviennent des époux sages et créatifs. Ils ne dramatisent pas leur conflit, ils en font des marches pour l’ascension vers leur unité.

Où il y a vérité et amour, les limitations diverses, même un grand choc passager sont généralement une réactivation de l’amour, ce sont des pas en avant dans une dialectique. Mais là où manquent ces deux qualités, les mêmes difficultés amènent la rupture totale ou une rupture aux formes « atténuées » et lugubres, c’est-à-dire :

– présence morte de deux corps,

– absence voulue au sein d’une présence subie,

– des corps qui se touchent, s’unissent, travaillent ensemble, tandis que les âmes se repoussent.

Or la vie communautaire a bien des aspects qui sont, mutatis mutandis, très semblables au mariage. En elle s’accomplissent toutes les lois ci-dessus indiquées. Il est donc parfaitement possible de tirer cette conclusion :

Normalement, celui qui en communauté n’est bas capable, après une offense reçue, de pardonner, d’oublier vraiment et de recommencer comme si de rien n’était, ne serait pas mûr pour le mariage, où les conflits et les offenses jalonnent la vie à un rythme plus ou moins accentué, et où il faut toujours oublier et toujours plus aimer, car on est lié pour toujours à une personne et seulement à elle. Notre religieux en question manifesterait vite, dans le mariage, qu’il n’a pas assez d’amour.

7. – Le langage.

Le langage a une importance fondamentale dans la vie commune. S’il n’y a pas un langage qui exprime notre intérieur à nos Frères et qui l’exprime convenablement, s’il y a chez eux manque d’intérêt ou de temps pour nous écouter, pour comprendre ou deviner le pourquoi de nos attitudes, de nos actes et de nos réactions, nous nous exposons à ce qu’ils ne saisissent pas le sens de telle de nos attitudes d’intimité à leur égard, à ce qu’ils ignorent notre véritable moi et même à ce qu’ils nous interprètent de travers. John Seely a dit une parole très juste : « Le langage crée la communauté et celle-ci ne se maintient que grâce à lui »[16].

Le langage dans la vie de l’homme n’est pas purement périphérique ou secondaire, il est capital.

Il faut former, et se former, à l’art de savoir s’exprimer, à l’art aussi, non moins charitable et difficile, de savoir écouter, comprendre, resserrer des relations et les approfondir dans ces deux sens.

8. – La rencontre.

Il est vrai que la connaissance en profondeur – résultat de l’attention au langage de l’autre – dans les natures bienveillantes, fait naître l’amour en débloquant beaucoup d’obstacles imaginaires, mais il est vrai aussi que l’amour prédispose favorablement à comprendre, plus qu’à l’ordinaire, le langage de l’autre, en découvre la profondeur et le véritable contenu, et jusqu’à son moi lui-même. C’est l’explication de cette parole : « Tu me comprendras si tu m’aimes », et de cette autre : « On ne connaît bien que ce qu’on aime ».

Laisser du temps, de la place disponibles pour la rencontre dans le langage, se prêter à ce langage et faire cela avec amour et vérité : voilà des moyens très puissants pour créer du dynamisme et de l’union dans une communauté. Attention par contre à la multiplication des objets accessoires qui accaparent la communauté tout entière, bloquent les rapports humains, qui sont détournés sur eux, offrent une voie de garage pour le refuge individuel et réduisent les possibilités de rencontre et d’échange : ils travaillent contre la communauté. C’est le cas de la radio ou de la télévision pendant les repas : on a si peu à se dire, si peu envie de parler, si peu d’intérêt pour approfondir la connaissance qu’on a d’un confrère, ou pour permettre qu’Il pénètre dans notre vie, on pense d’ailleurs que notre intérieur à nous n’intéresse personne, etc. …, et ainsi on recourt aux centres d’attraction communs, comme à un alibi valable et agréable[17]‘.

Je ne dis pas de mettre au rancart la télévision, la radio ou le journal : ils ont leur fonction à accomplir, pourvu que cela se fasse selon une hiérarchie de valeurs. L’important c’est qu’ils ne réduisent pas, n’annihilent pas la véritable vie communautaire et qu’ils ne nous aliènent pas nous-mêmes.

9. – Le silence.

L’amour accorde donc des joies, du goût pour l’ouverture, pour la pénétration et pour l’intérêt de la manifestation, mais le silence est un des facteurs les plus importants pour que le langage ait de la profondeur et un contenu de valeur. Vie communautaire, relation : tout cela, avons-nous dit, demande des personnes ; or la superficialité et l’aliénation diminuent la personne qui est toujours une vie en ipséité avant d’être une vie en relation. Dans ce sens, le silence a une fonction importante dans la vie commune, et pas seulement celle d’assurer repos, tranquillité, conditions de travail au confrère qui en a besoin, mais aussi celle de donner profondeur et contenu au langage dans d’autres rencontres ultérieures.

Ces rencontres deviendront alors capables de créer une communauté parce que, grâce à l’alternance de solitude et de relations, on aura évité la fatigue et l’ennui que produisent la relation continuelle, et elles donneront au moins davantage de personnalité et aussi de qualité à ce que l’on mettra en commun dans les rencontres fraternelles qui suivront.

« C’est un fait d’expérience, remarque Bamberger, que le discours fertilisé par le silence, atteint à une dimension interdite au bavardage. S’engager dans l’une ou l’autre de ces formes de parole entraîne une expérience différente, comme l’expérience d’une simple collectivité diffère de celle d’une vraie communauté. Et, à vrai dire, c’est seulement à la condition de procéder de cette dimension de l’homme qui baigne dans le silence de son âme que le langage peut susciter la communauté »[18],

10. – Un danger : la dialectique régressive.

Mais  dans la vie communautaire, comme dans toute vie interpersonnelle, il n’y a pas à tenir compte seulement du langage et des actes sociaux envers autrui ; il faut aussi penser aux résonances subjectives, aux réponses d’expression que produit n’importe quel phénomène social dans le membre de la communauté qui en est atteint. Il peut éprouver une grave perturbation par suite d’une manière d’agir ou de parler d’un confrère ou de la communauté, qui avaient pourtant les meilleures intentions. A la limite, on en arriverait même à ce qu’on pourrait appeler dialectique régressive des rapports entre personnes d’une vraie bonne volonté.

Dans un premier moment, on a des rapports humains positifs : sympathie, confiance mutuelle, bienveillance, désir de collaborer. Puis quelques erreurs surviennent au hasard, d’un côté, de l’autre ou des deux, parce que  dans le tissu de la vie il y a, avec beaucoup d’actes de sympathie, de service mutuel, etc. …, des moments de tiraillement et de friction, causés par l’insouciance, l’énervement ou aussi l’égoïsme — quand pour accomplir un acte positif de relation, on doit se faire violence, ou sacrifier un intérêt dans un acte de dévouement qui laisse à l’autre une place et des avantages. Comme en général, nous avons une tendance et une facilité surprenantes pour oublier et anéantir toute une série, parfois toute une existence, d’actes d’amitié, de services mutuels à cause de quelques petits actes malheureux, souvent même d’un seul, il arrive que s’établisse le processus suivant (je prends le cas le plus innocent) : Soit deux membres d’une communauté. L’un d’eux a fait un acte qui en soi n’a rien de négatif, ou qui, s’il est tant soit peu négatif, l’est tout à fait à l’insu de son auteur qui n’avait pas la moindre intention de froisser. Il pouvait même s’agir de défendre une opinion en répliquant à une autre et même peut-être estimait-on devoir le faire.

Résultat : cet acte prend une résonance imprévue dans l’esprit de l’autre confrère. Nous supposerons que celui-ci n’est pas ouvert[19] ou, si vous voulez, qu’il joue le « vertueux »[20]– dans un registré de vertu ou bien faux, ou bien au-dessus de ses forces, ou bien en dehors de la ligne de son caractère. Le voilà qui garde silence devant les faits, dissimule, rumine. Généralement dans les caractères secondaires, ces phénomènes s’enkystent et s’enveniment si l’on n’y prend pas garde.

Que se passe-t-il ? A l’intérieur, la vibration du choc continue : c’est un pourquoi à répétition sur la conduite de « l’offenseur ». Surgissent les hypothèses les plus variées et de toute nature, selon le tempérament de l’offensé : plus ou moins noires suivant que l’on a affaire à un pessimiste soupçonneux ou, au contraire, à un optimiste confiant. Mais au dehors les rapports humains ne sont plus ce qu’ils étaient avant. Il s’établit une plus grande distance, on est moins confiant envers l’autre, on cherche, dans de nouveaux faits, des indices pour interpréter ce qui s’est passé ; le moindre événement ravive la plaie et provoque irascibilité et intolérance envers l’autre. En d’autres termes, il commence à se former un « schéma d’interprétation » du choc que l’on a subi.

Si l’autre n’a pas la pénétration pour deviner ce qui se passe, pour être plus prudent et plus délicat dans ses relations, et surtout pour demander pardon et bien laisser voir qu’il n’y a rien de fondé, le sous-sol reste dangereux pour les rapports mutuels.

Le temps passe en effet pendant lequel s’ajoutent deux ou trois erreurs aussi dépourvues d’intention que la première, mais qui donnent à l’offensé une certitude accrue de la justesse de son schéma d’interprétation.

A partir de là, tout acte positif ou négatif de « l’offenseur » est respectivement neutralisé ou déformé selon le schéma qui maintenant sert à interpréter non seulement un ou plusieurs actes, mais la personne elle-même. On ne dit rien ni à l’intéressé, ni peut-être même aux autres, mais intérieurement il y a un « crescendo » d’éloignement. Dans cette situation, qu’arrive un moment de fatigue, de manque de maîtrise de soi, de mauvaise humeur, et alors se produit l’attaque envers celui que l’on juge injuste et offenseur. Il ne s’agit plus d’un acte irréfléchi ou totalement involontaire ; on a maintenant un mélange de mauvais caractère, d’animosité et de vengeance volontaire déclenchés par un moment de faiblesse. Et rien n’empêche que chez l’autre confrère se déclenche aussi le même enchaînement.

Bref, à cause d’actes dont les uns sont volontaires, d’autres involontaires, les uns bien intentionnés, les autres moins bien, les deux membres de la communauté s’éloignent de plus en plus. Un monde intérieur d’idées obscures et d’affectivité négative se forme ; des rapports extérieurs deviennent plus tendus et les blessures mutuelles se suivent, plus fréquentes et plus violentes ; et tout cela est parti d’une banalité vécue  dans un mauvais moment.

Chacun est en proie à une souffrance continuelle à cause de l’autre, et avec une très vive conscience de cette souffrance et de son origine. Chacun ignore presque complètement qu’il peut y avoir aussi chez l’autre une souffrance identique à la sienne et il rejette même catégoriquement cette possibilité si quelqu’un veut la lui faire voir. La raison en est que, dans les rapports humains, l’homme a le sentiment aigu de ce qui lui fait mal, parce que c’est pour lui une expérience vécue, tandis qu’il lui est très difficile de découvrir et d’évaluer le mécontentement et la peine qu’il cause aux autres, vu que là, il n’a pas une expérience vécue (il peut arriver à la connaissance de la situation, mais à une connaissance conceptuelle, non expérimentale) et que pèse de tout son poids l’égoïsme qui nous porte à nous regarder nous-mêmes et notre bien, avant de regarder le prochain et son bien.

C’est pour cela que le commandement de Yahweh contient tant de sagesse et tant d’exigence : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »[21].

Four établir une dynamique positive de la vie communautaire et pour éviter entre deux ou plusieurs personnes ces cas douloureux de dialectique régressive des situations, telles que nous en avons tous connu plus ou moins, il aurait fallu que chacun des membres de la communauté tienne compte de certaines mesures :

a) dédramatiser et dialoguer franchement et cordialement, et cela dans un moment psychologiquement idoine pour les deux intéressés, quand une tension est survenue ;

b) être attentif pour découvrir, au moment où commence à se durcir une succession de difficultés et d’éloignements, la part de torts personnels et le degré de souffrance qu’on a pu causer au prochain ;

c) démonter avec sérénité les schémas d’interprétation ;

d) être capable de pardon psychologique au prochain.

Ce mot ne veut pas laisser entendre que ce pardon soit vidé de sa motivation et de son principe surnaturels, mais bien insister sur le fait qu’il doit s’agir d’un pardon qui atteigne non seulement le niveau de la volonté, mais celui plus profond de la « psyché », pour que ce soit l’être tout entier qui pardonne et se laisse envahir par la miséricorde, l’amitié et la paix.

e) et finalement, ne pas se contenter de déterminer de façon autonome le type de relation et d’attitude que l’on veut et doit avoir devant les situations et devant les hommes, selon une manière subjective de voir (bien que cela semble ou même soit légitime), mais chercher aussi à découvrir les résonances subjectives que le prochain aurait pu ou pourrait encore ressentir :

– comment accueille-t-il et interprète-t-il telle attitude ?

– pourquoi l’accueille-t-il ainsi ?

– quelles sont les modifications  dans la relation avec lui, qui produiraient chez lui, bien, amitié et ouverture, et qui dissiperaient les nuages qui ont assombri son âme ?

11. – Communauté totale.

L’attention à la communauté considérée tout entière, ou dans quelques-uns de ses membres.

Dans notre effort d’union, d’amour, de compréhension et de service, il faut prendre en considération le tout ; un effort d’intimité interpersonnelle pourrait rester limité à la communion avec un confrère ou un groupe de confrères, et donner comme résultat dans des communautés relativement nombreuses, l’existence d’un ou plusieurs groupes qui, loin de construire l’unité de la communauté, la détruiraient ou la bloqueraient en communautés moyennes ou petites, ou produiraient dans quelques membres un sentiment de solitude d’autant plus intense que serait plus profonde l’unité des autres, qui, hélas, n’auraient pas su voir le tout de la communauté, mais seraient restés dans la satisfaction de l’unité de leur groupe, réalisée d’après tels ou tels aspects de leurs affinités naturelles.

Ce dernier point porte aussi non seulement à insister sur la totalité comme telle (en ce sens que, en tant que formant un tout, la communauté vive le commandement du Seigneur) mais aussi sur le problème de chacun en particulier, dans ce que sa personnalité a de foncièrement original. Chacun est un monde différent à accueillir et à découvrir, non seulement en son dénominateur commun de membre, mais aussi en sa singularité personnelle.

Et c’est le cas de parler du problème des membres difficiles, hermétiques (alors qu’ils sont peut-être très communicatifs en dehors de la communauté), complexés, amers, en un mot, de ceux qui se sont isolés ou qui l’ont été par les autres, peut-être sans mauvaise volonté. Tant qu’une communauté ne prend pas conscience de la situation et de la souffrance de ses membres douloureux, tant qu’elle ne vit pas dans la préoccupation et la sympathie envers eux, tant qu’elle ne fait pas un effort %cri table et persévérant pour les approcher et les intégrer, cette communauté ne peut pas être appelée vraiment dynamique et évangélique.

Dans ce sens, il faut tenir compte de phénomènes communs à plusieurs communautés de travail intellectuel. Il s’agit de ce qu’on pourrait appeler les déformations typiques de la profession Et elles atteignent une grande partie des communautés appartenant à des congrégations religieuses, donc les nôtres :

1) L’autonomie des intellectuels.

2) Le dogmatisme et l’attitude d’individualisme et de domination ; nous y sommes portés par notre métier de maîtres et notre situation à la tête d’un groupe social de jeunes ou d’enfants (d’où la tentation d’étendre cette attitude à l’égard d’autres groupes, ou si ça ne marche pas, de nous retirer des relations sociales).

3) La diversité des projets et des préoccupations.

4) La prudence excessive et l’estime exagérée de la réputation personnelle.

5) Le penchant à la critique négative.

L’observation d’un groupe d’ouvriers, surtout non spécialisés, nous montrerait que ces défauts n’existent pas chez eux ou du moins à dose très faible, et que par ailleurs on trouve chez eux une profonde tendance à la solidarité.

Si l’on est conscient des déformations professionnelles possibles, caractéristiques de toute ambiance sociale, on s’en corrige plus facilement. Pour notre cas, qu’il suffise de rappeler l’utilité de la pratique de la discrétion à l’égard d’autrui, le respect de ses opinions et de sa liberté de conscience, le respect aussi des initiatives, le culte de l’amitié et de la politesse, enfin la volonté de parler de ce qui enthousiasme, de ce qui est positif, de ce qui encourage, sans oublier de louer les bons projets de chacun. De ces projets, comme en général des idéaux et des nobles inquiétudes nous sommes parfois fossoyeurs gratuitement et a priori. Nous parlons beaucoup de ce qui est négatif, avons tôt l’ait de localiser les défauts de telle personne ou de telle activité, et, comme ils sont réels, il arrive que nous créions une atmosphère pénible de critique et d’ironie qui coupe les forces, éteint les bons desseins, les fait abandonner ou même empêche de les commencer.

Pensons aux énergies destinées au Royaume du Christ et qui meurent, parce que les intéressés, devant l’ironie ou la critique, n’ont pas su les diriger vers d’autres objectifs et se sont retirés sceptiques et déçus au-dedans d’eux-mêmes.

Combien de fois nous faisons du mal, même en taquinant de façon un peu vulgaire et bouffonne. C’est pour cela que la communauté de Taizé insère dans sa règle la recommandation suivante : ” La vraie joie est d’abord intérieure. Jamais la bouffonnerie n’a renouvelé la joie. Rappelons-nous que la limite est imprécise entre l’humour franc et l’ironie qui fait grimacer le sourire. La moquerie, ce poison d’une vie commune, est perfide parce qu’à travers elle sont lancées des soi-disant vérités que l’on n’ose pas dire dans le tête-à-tête. Elle est lâche parce qu’elle ruine la personne d’un frère devant les autres. La joie parfaite est dans le dépouillement d’un amour paisible »[22].

12. – L’épreuve du quotidien.

Compte tenu de la tendance de beaucoup d’entre nous, on peut dire qu’il y a deux types d’hommes qui sont un trésor pour la vie commune :

a) Ceux qui rayonnent l’optimisme, l’amitié, la joie ; ceux qui sont disposés à encourager, féliciter et collaborer.

b) Ceux qui savent « faire un bon coup… social » tout naturellement, et chercher le bon côté aux faits négatifs, même méchants qui, à un moment ou l’autre, existent dans toutes les ambiances. En effet, il serait faux de prétendre que tout dans la vie soit positif. Les problèmes ne manquent pas, et même parfois des choses franchement regrettables ; l’important c’est de pouvoir leur trouver psychologiquement et spirituellement l’angle voulu pour une chute favorable, qui ne nous cause pas de mal, qui ne bloque pas notre pouvoir d’enthousiasme, ni la spontanéité de notre sociabilité.

Ce qui est quotidien « démythise », c’est-à-dire décape les apparences et ramène à la normale ce qu’un premier moment d’enthousiasme et d’illusion présentait comme admirable.

Pour que la vie communautaire soit permanente et mûre, elle doit être préparée à supporter l’épreuve du quotidien. Cela exige d’une part que nous nous démythisions nous-mêmes et que nous acceptions que les autres nous démythisent. Ceci oit dit à l’intention de ceux qui, entourés d’affection et d’admiration, au dehors, disent ne pas trouver au-dedans la chaleur du foyer. L’explication n’est pas dans un manque d’amour à leur égard, mais simplement parce que, au-dedans ils ont été réduits à leurs limites, tandis que, au dehors, le contact n’étant pas quotidien mais sporadique ou en tout cas bien moins fréquent que le contact intercommunautaire, il est beaucoup plus facile de sauver les apparences (faire semblant, comme on dit en français) et ainsi se maintenir plus facilement dans une aura mythique. Mais celui qui veut vivre dans un mythe, son mythe, vit dans l’inobjectif et ne se trouvera jamais satisfait, où qu’il soit, donc pas non plus parmi ceux qu’il devrait considérer comme sa famille ; car quels que soient mes compagnons d’existence, après quelque temps, la démythisation sera accomplie et il se trouvera là comme un étranger qui cherchera des compensations affectives au dehors. Changer d’ambiance, de groupe social, ne change rien, car après peu de temps, le même phénomène, par la force de la sociologique, se répète dans le nouvel endroit. Ce n’est donc pas de communauté qu’il faut changer, mais d’attitude.

Cette loi nous demande aussi autre chose : pour créer la communauté, il ne faut pas aimer Ies personnes pour leurs qualités, mais pour elles-mêmes. On n’aime pas une personne comme on aime un objet. J’estime un tableau, un disque à cause de leur beauté, de leur bon état de conservation, et… et quand ils ne sont plus valables, abîmés par exemple, je les jette. Avec une personne on ne peut jamais agir ainsi,  jamais aimer de cette façon-là.

13. – Sincérité et amitié.

Mais le ressort des ressorts de la vie communautaire c’est l’amour véritable et la capacité d’engendrer l’amitié, d’aller jalonnant d’amis la route de la vie. Cela suppose qu’on soit capable, et qu’on essaie, d’établir un contact profond et spirituel avec les personnes que le Seigneur met sur notre chemin. Il y a des gens qui ont ce charisme particulier à un haut degré. Pour d’autres le degré est moindre, et cela pour mille raisons diverses, mais l’essentiel c’est que le contact ait lieu.

Nous n’avons pas épuisé l’étude des points qui constituent une dynamique de la vie communautaire. Nous en avons vu seulement quelques-uns qui semblaient réellement capitaux. Qu’on en tienne compte et nous aurons alors d’authentiques communautés. L’authenticité de la communauté réside dans un esprit d’objectivité qui rend les relations de charité efficaces et fécondes. On peut parler d’esprit d’objectivité lorsqu’un groupe d’hommes sont unifiés et vivifiés par une mentalité, ‘par une affectivité, un sens des valeurs, une manière de réagir, une volonté et des buts communs de vérité et de bien (« la multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme »[23].)

Il ne s’agit pas seulement des idées, des valeurs, des objectifs. A vrai dire, ce seraient là des choses qui lieraient ces hommes à partir de l’extérieur, en se greffant sur eux, parce qu’ils ont avec elles des affinités. Il s’agirait d’une union extrinsèque, non personnelle. Mais c’est d’autre chose qu’il s’agit en fait. Les membres d’une communauté doivent s’aimer personnellement, sans exception, avoir entre eux un faisceau de relations qui prenne racine dans la nature et dans la grâce et surtout dans le pouvoir unificateur du Christ donné par son Esprit, et qui fait d’eux une grappe unique en les épanouissant, les dilatant et les lançant vers l’autour les uns des autres.

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CINQUIÈME PARTIE

 

LA VIE COMMUNAUTAIRE

EN RAPPORT AVEC D’AUTRES ELEMENTS

DE LA VIE RELIGIEUSE ET ECCLESIALE

 

I – LA VIE COMMUNAUTAIRE ET LES VŒUX.

Il est évident que grâce au Concile, la vie communautaire a pris, dans le renouveau de la vie religieuse, une importance que, en général, ni on ne prévoyait, ni on n’espérait. Nous étions si habitués à ce que la vie religieuse fût réduite à la pauvreté, chasteté et obéissance, que lorsque le décret « Perfectæ Caritatis » a donné à la vie communautaire une place essentielle à côté des éléments « traditionnels », il a ouvert un panorama nouveau pour la restructuration.

En tout cas, il y a une chose bien certaine, c’est que nous ne pouvons plus accepter comme valide et satisfaisante une rénovation qui laisserait de côté la vie communautaire, et cela pour deux raisons : la véritable révision de la pauvreté-chasteté-obéissance entraîne, comme conséquence, la restructuration de la vie de charité de la communauté, et vice-versa, en s’occupant à fond de la vie communautaire on obtient comme résultat une découverte de la valeur et de la fonction des vœux dans la vie religieuse, une découverte aussi de motivations inhabituelles pour un renouveau du sens même de ces vœux, car ils sont indissociablement liés à la charité fraternelle et à la vie commune.

Dans cette vue des choses, la vie religieuse a bien pour nous comme but d’obtenir la perfection de la charité dans laquelle consiste la sainteté[24]. Or, la charité en particulier, et la vie théologale en général, s’ordonnent non seulement à Dieu, mais aussi au prochain. Nous croyons non seulement à Dieu, mais aussi au prochain[25]; nous espérons non seulement en Dieu, mais aussi dans le prochain[26]; nous aimons d’une même et unique charité Dieu et le prochain.

De cette façon les religieux sont témoins de la présence du Christ en ce monde et se veulent signes de fécondité de son Esprit, communiqué et rendu visible dans une vie qui non seulement est unité, pauvreté, obéissance et virginité, (ce qui pourrait signifier un monde en soi et pour soi, fermé sur soi en un effort de perfection) mais qui est pour Dieu et pour le prochain.

Cet « être pour le prochain », il s’agit de le rendre visible et visible à travers des vœux qui apparaissent précisément comme quelque chose qui a été fait par un amour et une volonté de service que nous devons aux autres.

Oui, en effet, il ne s’agit pas que ce soit seulement affaire de résignation à l’inévitable, mais acte vivant par lequel on s’engage en public, dont on fait profession avec la volonté de s’y tenir définitivement.

Or qui fait profession des moyens, le fait à plus forte raison de la fin. Il y a des choses qui vont sans dire. Si la pauvreté, la chasteté et l’obéissance n’ont d’autre fin que d’aimer, il est évident que, par elles, on s’est engagé à l’amour.

Dans le monde, dans mon monde à moi, il y a des hommes qui ont fait vœu de m’aimer et, en retour, moi j’ai fait vœu de les aimer ; dans les deux cas, efficacement. Ce groupe de personnes qui s’aiment témoignent devant les autres :

– d’une pauvreté-liberté et d’une pauvreté-amour

– d’une obéissance-disponibilité et d’une obéissance sanctification

– d’une virginité-amour et d’une virginité-fécondité.

Le jour où le monde verra les religieux sous cet angle, comme des hommes qui ont fait de leur vie un « être pour les autres » au bénéfice de l’humanité et définitivement, on finira par aimer et admirer la vie religieuse alors qu’on la méprisait et qu’on la critiquait si facilement.

Cela veut dire que les vœux qui ont pour but de détruire notre égoïsme et de créer, diriger et consacrer toutes les énergies de la charité qu’il y a dans les cœurs, engendrent un dynamisme qui a tout droit à Dieu et au prochain. En poussant plus loin, on dirait même qu’il va plus à Dieu du point de vue affectif, et plus au prochain du point de vue effectif, puisque Dieu n’a pas besoin de nous pour lui, mais qu’il a voulu avoir besoin de nous pour le prochain, celui-ci ayant besoin de notre amour[27].

En conséquence, il y a de nombreuses valeurs aujourd’hui, que les religieux peinent à pratiquer, et même dont ils découvrent difficilement la raison d’être, mais qui peu à peu s’éclairent d’une nouvelle lumière pour qui accepte, découvre et vit avec enthousiasme une nouvelle conception des vœux qui lui était encore inconnue, donnant par là même, naissance à des formes plus authentiques de vie commune.

Le vœu est un moyen pour aimer le prochain, et l’amour du prochain pousse à un don communautaire de nous-mêmes. Voyons-le en concret :

a) Par la pauvreté, nous mettons tout notre avoir : nos possessions et nos possibilités, à la disposition du prochain. De cette manière, comme le dit Berthelet : « Toute rencontre personnelle, toute vie d’équipe, de groupe, tout engagement apostolique communautaire, toute vie religieuse devra visibiliser la désinstallation de soi pour l’autre, de deux personnes pour l’équipe, de l’équipe pour le groupe : la communauté totale, la Province, la Congrégation, le Diocèse, l’Eglise »[28].

b) Par la virginité, nous amalgamons dans la relation humaine, à la fois la profondeur, l’intimité, la transparence, l’universalité, ainsi que la chaleur et l’enrichissement mutuels. Mais cette forme de la relation n’existe que dans une communauté où tous sont unis dans une même amitié virginale commune, sans que l’amour pour l’un mette des limites à l’amour pour l’autre (contrairement à ce qui se passe pour un amour spécifiquement sexuel qui impose inévitablement des limites). Cette façon de s’aimer n’est possible que grâce à l’Esprit-Saint qui fait du régime de virginité la réalisation la plus parfaite et l’anticipation terrestre la plus proche de la communication eschatologique.

Dans son ouvrage déjà cité, Matura affirme : « Dans la situation eschatologique – le Règne de Dieu pleinement manifesté – la réalité primordiale sera la capacité réalisée chez tout homme, de rencontrer pleinement et totalement l’autre, tous les autres, et cela, ayant dépassé la fragilité et la temporalité du génital, qui est actuellement le signe le plus dense et le plus habituel de la rencontre. Le témoignage d’aujourd’hui porte à sa façon, sur cette réalité à venir. Il appelle la communauté, puisque cette dernière n’est pas autre chose qu’un faisceau de liens interpersonnels se créant à partir de la vie ensemble. Le célibat vécu en communauté est ainsi le « sacrement de la rencontre » ; à travers ce double signe il manifeste la réalité : la communion, la rencontre des hommes avec Dieu et entre eux » [29].

« A cet égard », dit encore très justement l’auteur, « le célibat  dans sa dimension positive, est non seulement la condition d’une communauté nouvelle, il est en toute vérité la communauté vécue pleinement au-delà de “la chair et du sang”. De par son dynamisme, tout célibat tend donc à créer une communauté étroite qui n’a pas beaucoup d’analogues au plan sociologique »[30].

Mais en même temps, le vœu de virginité prend raison d’être et appui dans la vie commune et dans l’amour fraternel. C’est ce que dit clairement le Concile[31]; mais je préfère citer encore Matura dont [ouvrage est un des plus importants sur ce sujet : Si le célibat permet la création d’une nouvelle communauté d’hommes, il influe également sur la vie et sur ses engagements. Ainsi l’évangélisme d’une communauté de ce type aura des traits particuliers. Une telle communauté, réunie par l’Evangile, à cause de Jésus-Christ, n’ayant pas strictement d’autre base, ne peut que se référer sans cesse, comme à sa source vitale, à la Révélation du Christ… (Elle) rie peut exister autrement ; elle est, pour ainsi dire, condamnée à l’Evangile. L’affaiblissement d’une telle référence, la routine dans l’accueil de l’Evangile, est un désastre pour tous les chrétiens ; mais, pour la vie de la communauté religieuse, elle est une catastrophe irréparable, puisque sans cela un tel groupe n’a aucune raison d’être »[32].

e) En ce qui concerne l’obéissance, le même rapport réciproque se répète. La rencontre commune entre différentes personnes et malgré leurs différences, et l’acceptation ordonnée de ces mutuelles différences ne peut avoir lieu que dans une communauté qui doit vivre de la foi, et dans la mesure où ses membres sont plus proches de la volonté divine. L’éducation à l’amour de la volonté de Dieu, ainsi que la découverte de cette volonté sont le fruit de la pratique du vœu d’obéissance qui a donc pour conséquence de tisser l’union de la communauté.

Il est en effet une vérité qu’il faut bien comprendre : Chaque fois que l’on se soustrait au vœu d’obéissance (comme aussi au vœu de virginité) on retranche quelque chose au bien commun et on affaiblit la vie fraternelle, l’amitié, et finalement la communauté.

Cette conviction peut faire naître une force nouvelle et pousser le bon religieux à une plus grande ferveur dans la pratique de ses vœux.

La charité fraternelle qui s’épanouit par la pratique des vœux, devient ainsi la clef de voûte de ces vœux qui, eux, sont les murs de la vie communautaire.

1) Pour vivre les vœux, il faut de l’amour, car, sans un climat théologal, ils deviennent dangereux et capables de causer à ceux qui les font, une frustration psychique.

2) Pour toutes les époques, mais surtout pour la génération actuelle, une pratique des vœux, conçue en fonction de cette dimension d’amour et de service du prochain, est une motivation extraordinairement capable de faire vibrer et de rajeunir les cœurs. Mais cette même génération doit apprendre aussi à ne pas cesser de vibrer, à ne pas cesser d’estimer une pratique des vœux conçue dans sa relation directe à Dieu, indépendamment du prochain.

En dehors du contexte même de notre congrégation, et compte tenu de l’importance primordiale que le Concile a donné à la charité fraternelle, on peut se demander s’il ne serait pas très juste de faire dans la vie religieuse, le vœu de communauté et même de lui donner la priorité par rapport aux autres vœux. Voici là-dessus l’opinion de Galot :

« Ne conviendrait-il pas que l’engagement dans la charité fraternelle de communauté s’exprime, d’une manière ou d’une autre, dans la profession religieuse ? Cet engagement est certes sous-entendu dans l’adhésion à un Institut ; mais il gagnerait à s’expliciter. Vu qu’il s’agit d’un élément aussi important que la chasteté, la pauvreté et l’obéissance. il devrait faire l’objet d’une promesse, ou plus exactement être mentionné comme partie intégrante de l’objet de la profession. La charité communautaire apparaîtrait ainsi plus clairement, comme une dimension essentielle de la consécration religieuse[33].

Il – VIE COMMUNE ET DIFFERENCES DANS LA VIE RELIGIEUSE.

Dans le message conciliaire aux religieux, ce point a été non seulement soulevé, mais largement traité, et ceci pour deux raisons fondamentales :

1) Les diverses catégories qui existent au sein de certaines familles religieuses (comme religieux de chœur et frères convers).

2) La situation des religieux laïcs dans les congrégations cléricales.

Ces deux points présentaient de sérieux problèmes pour la vie communautaire, et on en voyait des symptômes non équivoques : malaises et réticences à accepter une situation d’apparence injuste ; raréfaction rapide des vocations laïcales dans les Instituts cléricaux. Avec des variantes plus ou moins graves, le même problème se présentait dans un certain nombre de congrégations féminines.

D’autre part, des congrégations féminines avaient supprimé les « classes », et des congrégations masculines avaient atteint, pour la plupart dès leur fondation, une admirable vie communautaire entre Pères et Frères, d’une part en abolissant tout ce qui, en fait de privilèges et de différences, n’était pas strictement inhérent à la formation sacerdotale, d’autre part en donnant aux Frères la possibilité d’acquérir qualification, formation, préparation technique, titres, etc. … et enfin en ouvrant à ces mêmes Frères l’accès aux charges, responsabilités et fonctions pour lesquelles la condition sacerdotale cessait d’être sine qua non. Tout ceci amenait à une prise de conscience plus claire des problèmes, les Instituts dont les structures maintenaient une séparation accentuée des classes, même d’ailleurs cette séparation était très atténuée par la délicatesse et la charité.

La réaction d’un individu n’est pas contre un autre individu, mais contre un système institutionnalisé et que le Concile et les temps conseillent de changer.

Disons mieux : les réticences à accepter une telle situation, le désir de la changer et les efforts faits dans ce sens enrôlent pour la même cause Ires et laïcs. Ce ne sont plus les objectifs qui font entre eux la différence, c’est la rapidité et les moyens pour y arriver. Le changement est urgent, mais dans sa complexité, il recèle bien des résonances imprévisibles, parfois sérieuses et même compromettantes, dont l’importance est très grande pour un Institut, si l’on ne sait pas s’y comporter avec sagesse.

L’état de choses ci-dessus évoqué est un .héritage du passé[34] qui, du point de vue social, chrétien et actuel, deviendrait ridicule si on voulait le maintenir, non seulement parce que notre époque a un sens très aigu de l’égalité, et que semblable situation serait interprétée comme un véritable et grave contre-témoignage, mais surtout parce que Vatican II a projeté une puissante lumière sur cette égalité qui se fonde sur la grandeur substantielle de tous les membres du peuple de Dieu et le sens profond du service et de l’humilité en tout ce qui, dans l’Eglise, s’appelle dignité et autorité.

Voici quelques principes qui pourraient aider à réaliser cette transformation dé la manière la plus fonctionnelle et la moins chargée possible de séquelles négatives.

1. – Objectif général : supprimer toute différence qui n’est pas réellement fondée sur l’exigence du vrai bien et sur la nature des choses. Vouloir en réserver qui ne se justifieraient que par commodité, tradition, sclérose dans l’adaptation (ici, plus que d’adaptation il faut vraiment parler de rénovation, de conversion et de retour à l’Evangile), ce serait contre l’Evangile et le Concile.

2. – Temps : on ne fait pas cette transformation en un clin d’œil. Il y faut du temps, et aller trop vite serait travailler contre la cause et contre ceux qui doivent en être les bénéficiaires.

3. – Processus : Il ne faut pas non plus mal Interpréter ce « temps » nécessaire à l’élaboration du processus, car étymologiquement processus signifie : aller de l’avant, et non pas dire de belles paroles pour faire prendre patience, assoupir et renvoyer aux calendes les changements qui deviennent indispensables.

Dans les deux catégories de religieux, il y en aura qui n’attendront que s’ils voient que le “temps » est vraiment employé pour faire le changement, c’est-à-dire en marche vers une normalisation de la situation.

4. – Transformation : voici la façon concrète de la préparer et de la réaliser peu à peu :

a) appliquer aux charges et fonctions le groupe qui est le plus capable d’assurer le bien commun.

b) « Mentaliser » tout l’Institut pour le changement.

c) Eviter de susciter ce qu’on pourrait appeler des « revendications ». De la part de frères, cela ne traduirait pas un esprit chrétien ; en outre, il ne faut pas oublier que tout acte social négatif engendre une réaction. Si les efforts de restructuration provoquaient des blessures et élargissaient ainsi les distances, la création de nouvelles structures de plus grande union serait douloureuse, on risquerait d’avoir à la vivre dans un climat plus amer et plus froid qu’avant.

d) Chercher coûte que coûte une préparation générale et spécifique des frères qui leur permette qualification et titres convenables. Mettre un homme dans une fonction pour laquelle il n’est pas préparé, c’est le faire échouer et le complexer ; en outre, c’est freiner le mouvement de recherche de l’égalité et lui enlever de son prestige.

5. Transformation dans l’immédiat. Dans les rapports humains et de vie commune, le changement peut être plus rapide. Il n’y a aucune raison, par exemple, pour qu’une catégorie ait droit à plus de confort qu’une autre, etc. …

6. – Sérénité. Finalement, c’est la plus grande sérénité qui doit présider au rythme des réformes et donner la patience pour bien faire les choses. Cela veut dire qu’il faut généreusement être pour le changement et le mouvement sans réticences et sans faux-fuyants ; par ailleurs la prudence et la tempérance doivent diriger et ralentir ce changement dans la mesure qui est nécessaire pour que, à la fois, il y ait une saine progression et que le changement des situations se fasse parallèlement à un changement des mentalités et en faisant progresser aussi l’amour et l’union.

A vrai dire cette question de suppression des catégories au sein des familles religieuses nous intéresse bien peu, puisque dès notre fondation, nous sommes un Institut sans « aucune distinction de classe ou d’observance » (Const. No 3). Cependant, sans qu’il soit question de corriger des défauts généralisés, on pourrait tirer quelques conclusions des principes énoncés, en vue de combler des lacunes et d’améliorer même notablement la vie communautaire :

a) Eliminer de plus en plus du supériorat les avantages qu’il peut avoir du point de vue privé, social, économique, etc. … afin qu’il n’ait qu’un visage d’amour et de service aux autres.

b) Etablir un bon sociogramme et une planification pour ce qui se rapporte à l’obtention des titres et aux facilités d’études. Parfois ce sont les pus exigeants (et il n’est pas rare que ce soient en même temps les plus égoïstes) qui font pression, même avec la menace d’une crise de vocation si un ne satisfait pas tout de suite leurs exigences de promotion personnelle.

Un Provincial ne peut pas se prêter à de tels agissements, s’ils ne sont que du caprice et de l’égoïsme : ce serait une faiblesse de gouvernement de sa part.

Il faut chercher la promotion de tous : celle-ci doit se faire en fonction des oeuvres déjà existantes et des oeuvres en marche. On ne peut pas donner en même temps à tous des facilités, même pas à tons ceux qui n’en ont pas eu jusque-là ; ce qu’il faut refuser, c’est l’improvisation ; il s’agit d’établir un bon plan qui donne progressivement à tous leur chance. Pour prendre un cas particulier, je       dirais qu’il faut donner une formation complète aux nouvelles promotions avant de les mettre au travail ; mais même ceci ne peut pas se faire en sacrifiant définitivement et totalement les gens d’âge mûr qui n’ont jamais été, eux, favorisés, et qui ont supporté le poids du jour et de la chaleur, et affronté des situations presque héroïques. Qu’on leur donne toute leur chance à eux aussi et proportionnellement aux jeunes, s’ils sont encore capables d’études complètes, ou bien qu’on leur offre des cours brefs et synthétiques, un recyclage, pour mettre à jour leur formation de « self-made men », pas du tout négligeable d’ailleurs dans bien des cas. C’est là un devoir, et qui réduira bien des amertumes, et contribuera au bonheur personnel et au bonheur communautaire. Les jeunes, si ouverts au sens social et à l’égalité, ne pourront pas être moins sensibles au bien de leurs confrères qu’à leur propre bien.

c) Un mot sur les Frères occupés aux emplois manuels.

Il est à désirer qu’ils aient choisi ce rôle spontanément, et que, convaincus de la grandeur chrétienne du travail non intellectuel ni directement apostolique, ils voient dans leur tâche un service d’amour à l’égard de leurs frères[35], mais aussi qu’ils se demandent si, avec le temps, cette illusion – je dirais même ce romantisme ne se flétrirait pas au milieu d’une communauté dont les intérêts, les conversations et les soucis immédiats sont différents des leurs. Tout dépendra de leur amour et pour Dieu et tout particulièrement pour leurs Frères, de leur bon caractère, de la ferveur et de la vertu qu’ils possèdent.

Il ne convient pas qu’un jeune homme prenne cette voie ni qu’on le lui permette (même s’il n’a pas d’aptitudes pour les études et la pastorale) lorsqu’on ne prévoit pas qu’il pourra accomplir joyeusement et sans complexe une tâche manuelle.

De son côté, la communauté doit faire effort pour apprécier tout le dévouement que, jour après jour, inlassablement, les Frères « travailleurs » apportent au bien commun, et savoir les en remercie et féliciter. Qu’ils ne se sentent jamais laissés de côté, mais qu’ils soient hautement estimés, et qu’on ne permette pas que le travail et les besoins de la communauté les assujettissent de telle façon qu’ils n’aient pas le temps pour leur culture personnelle, tant professionnelle que religieuse. Une façon de les remercier et de les aimer pour ce don particulier et personnel de leur vie au bien de la communauté, c’est de leur donner dès le principe une préparation c’est de leur donner dès le principe une préparation technique et si possible avec titres et diplômes pour une plus grande efficacité dans leur emploi, puis périodiquement des cours de perfectionnement et de formation religieuse, conformément ce qui les intéresse et à ce qui convient.

d) Une dernière application, concernant nos Frères anciens ou malades. Avec eux, il faut un tact exquis, presque une intuition spéciale pour trouver le seuil idéal de proximité et de distance dans leur intégration physique à la communauté et les conditions spéciales de vie qu’il faut adapter à leurs besoins. Sans vouloir trop pousser l’analogie, disons qu’on doit les considérer avec un amour qui ne le cède en rien à celui que, dans une bonne famille, les enfants manifestent à leurs parents vieux ou malades.

Sur ce point, le Père Champagnat nous a donné un grand exemple et nous a laissé des textes auxquels, après 150 ans, on n’a pu ajouter grand-chose. Il a suffi de rafraîchir un peu cet aspect de la vie communautaire, pour aboutir, par exemple, à ce que disent actuellement nos Constitutions : « Les Frères anciens ont mérité, par leurs longs services et la persévérance dont ils donnent l’exemple, le respect et l’affection de tous. Ces marques de déférence leur sont dues, surtout quand ils sont infirmes ou souffrants. Selon la pensée de notre Fondateur, les malades ne sont pas une charge mais une bénédiction »[36].

III – TENSION ENTRE LES EXIGENCES DE LA VIE COMMUNE ET D’AUTRES VALEURS PERSONNELLES ET ECCLESIALES.

Il existe des tensions entre la vie commune, ses lois et ses exigences, et d’autres éléments qui en fait, ou par convenance, ou par nécessité se croisent continuellement avec elle. Théoriquement il devrait y avoir des rapports idylliques entre personnes et communauté, entre communauté et exigences apostoliques, entre communauté et besoins de l’Eglise ; mais à cause de la condition humaine, non seulement limitée, mais imparfaite, et même égoïste et pécheresse, voilà qu’en pratique, il en va bien différemment. Fréquemment s’établit une tension qui aboutit à l’hypertrophie, au délaissement ou à l’abandon d’un élément en faveur d’un autre, et ce n’est que par une révision et un réajustement authentiques et sans cesse renouvelés qu’on obtient des communautés qui, comme les personnes, vivent dans une conversion continuelle à la volonté de Dieu, qui nous appelle dans chaque événement.

Il n’est pas possible de faire ici un exposé suffisant sur toutes et chacune de ces tensions. Elles se présentent parfois comme de véritables antinomies. S’il est vrai par exemple que la communauté doit être pour la personne, ce principe même, et les lois qui en dérivent devraient amener la communauté à une destruction d’elle-même.

Si au contraire, on érige en absolu la construction de la communauté, et si l’on applique ce principe de façon isolée et illimitée, le risque est alors d’étouffer la personne et le labeur apostolique authentiques, pour tomber dans un apostolat commode », fait à la mesure et au goût de la communauté, qui agira quand, comment et  dans la mesure où elle voudra et non selon les appels angoissants du prochain.

A l’opposé, on peut trouver un autre absolu qui affirmerait que toute communauté n’est chrétienne que  dans la mesure de sa disponibilité « ad extra » ; mais  dans ce cas on oublie aussi de graves besoins internes d’amour et de service, envers la communauté, les frères, ou soi-même, et on tombe dans l’erreur de vouloir des fruits sans l’arbre : on tue l’arbre, avec le rythme de production qu’on exige de lui.

C’est le retour du pendule : Ne sommes-nous pas passés, dans certains pays, d’un commode isolement où la congrégation s’organisait à son goût – ignorant l’énorme tâche de l’Eglise locale qui pesait sur l’évêque et un clergé diocésain, qui compensaient une insuffisance de personnel par de grands efforts et une grande préparation, à une nouvelle situation  dans laquelle des communautés et des Provinces se prêtent sans limites (exploitées parfois par des gens qui n’ont pas l’expérience de la structure interne et essentielle de la vie religieuse), à une tâche fébrile au-dessus de leurs moyens et sans esprit de suite (comme si l’on pouvait faire toutes choses ou le tout d’une chose à partir seulement des urgences et des priorités), pour être amenés à la fin, à constater, dans un contrôle statistique, que les ouvriers diminuent rapidement par suite des défections en chaîne.

C’est une mauvaise tactique de vouloir résoudre l’aujourd’hui (que l’on ne résout pas) en créant une situation plus grave pour demain. On oublie ce mot de Mgr Huyghes, valable autant pour les personnes que pour les communautés : « Il y a des régimes de vie dans lesquels les âmes meurent avant les corps »[37]. Quelle prudence et quelle sagesse dans cette prière de Jerphagon : « Apprends-moi à me reposer. Apprends-moi à laisser les choses en suspens, à ne pas vouloir régler toutes les affaires avant de dormir. Comme si je pouvais tout régler ! Apprends-moi à refermer mes dossiers sans me dire que j’aurais dû naître « bourreau de travail», surhomme, ou je ne sais quoi de mieux encore. ‘`Apprends-moi à FINIR une journée. Autrement je ne saurai pas mourir, car il restera encore du travail, après moi … Apprends-moi à accepter … de n’être pas Toi… »[38].

Il y a en outre d’autres espèces de tensions qui représentent aussi un effort pour la vie religieuse a Heure actuelle, par exemple :

a) Entre témoignage et efficacité apostolique. Il y a un problème en apostolat et qui est le suivant : Particulièrement sur le terrain professionnel, on emploie en vue de cette efficacité des moyens triomphalistes ou on forme des équipes qui font du spectaculaire, au détriment du témoignage d’une communauté qui pourtant veut s’affirmer chrétienne. D’autres fois, poussé par le désir du seul témoignage, on emploie des moyens trop simples et dont le résultat n’est pas assez efficace pour faire le bien dont le prochain a besoin et on obtient un fruit de charité déficient.

b) Entre liberté créatrice et fidélité historique. La communauté est non seulement une chose à l’état de nébuleuse qui se crée et s’invente elle-même, elle est aussi une famille religieuse concrète., qui possède une connaissance de son institution qui lui est une garantie.

c) Il resterait à parler d’autres tensions qui se produisent entre spontanéité et structures, entre intimité des membres et hospitalité, etc. …

Si, en voulant conjuguer les éléments de tension nous employons des mesures inadéquates ou précaires, nous n’obtiendrons qu’un équilibre médiocre. Il faut ne pas oublier que  dans la mesure où l’on prétend appuyer un aspect plus qu’un autre, on risque justement de provoquer une tension entre eux.

Voici quelques éléments de réflexion qui pourraient servir de réponse à la question des tensions :

1. – Le premier principe est que la communauté religieuse doit respecter sa physionomie et son charisme spécifiques.

2. – Il est indispensable d’éviter les extrémismes totalitaires, qui sont non seulement toxiques, mais insoutenables et impraticables.

3. – Une fois sauvegardées ces prémisses, il faut choisir. Il faut se décider pour une option et ne pas s’étonner du prix qu’on devra la payer et qui imposera d’être cohérent avec soi-même.

Les éléments en faveur desquels on fait son choix renferment un dynamisme, mais qui peut s’accélérer et devenir hypertrophie. C’est pourquoi la communauté toujours attentive aux signes de Dieu, devra faire des réajustements périodiques. D’où l’obligation pour la vie communautaire de trouver toujours une dialectique qui, judicieusement utilisée, puisse devenir source de dépassement. Laissée au bon vouloir de cette même communauté, l’option première devient inféconde et cause même de graves dommages : séparation et perte de quelques membres de la communauté, préjudice aux oeuvres apostoliques, danger de tomber dans une « révisionnite » capable d’amener la vie communautaire à une désintégration.

En résumé, certaines tensions sont subjectives et par conséquent évitables ; d’autres sont objectives et pour les résoudre il faut non seulement de la sagesse, mais le courage des choix lucides.

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 SIXIÈME PARTIE

LA RENOVATION

DE LA VIE COMMUNAUTAIRE

I – SITUATION ACTUELLE.

Sans généraliser, il faut reconnaître qu’il se présente aujourd’hui pour la vie religieuse et dans des proportions non négligeables, une situation de la vie communautaire qui peut se résumer ainsi :

a) Il existe en elle des insuffisances et des déformations.

b) Cette situation n’a pas toujours existé.

c) Les nouvelles générations veulent une vie communautaire profonde.

Elles se trouvent donc en face d’un état de fait à réajuster.

Je m’explique :

1) Il y a des choses  dans la vie communautaire qui doivent être corrigées. Laissons les comparaisons avec d’autres temps ou d’autres institutions, pour affirmer seulement : il y a des défauts à corriger, des lacunes à combler, des structures à rajeunir et des déformations à redresser dans la vie communautaire pour être d’accord avec la pensée du Concile sur la vie religieuse.

Les lacunes sont évidentes :

Nous nous trouvons au-dessous de la cote d’alerte où le Concile estime que la charité vécue en commun peut devenir féconde. Entre l’idéal et la réalité, et ceci n’est pas propre à nous, il y a un gros écart. Problème de générosité, mais aussi de circonstances. La vie moderne a compliqué, spécialisé et extériorisé l’existence de telle façon, que les chrétiens et donc les religieux sont pris dans un filet énorme de conditionnements, de relations et d’interdépendances et que la véritable rencontre humaine, profonde et féconde se raréfie. On a en effet réduit le temps et les occasions de contact ; on en a trouvé des ersatz superficiels et sans authenticité, et on a ajouté des tâches et des occupations parfois bien lourdes, et qui n’ont rien à voir avec ln vie de communauté.

N’insistons pas et ajoutons seulement qu’il est indispensable de se prémunir contre une erreur assez commune qui consiste à croire qu’on arrange Ies choses et qu’on les réforme à force de paroles et d’écrits. Une réforme, cela ne se fait qu’en la vivant, jamais avant de la vivre ; et tout le reste est lyrisme. Curieuse évidence : il se trouve des questions dont la réalisation pratique est inversement proportionnelle à la préoccupation qu’on en a à mesure que se multiplient les publications, les conférences, les tables rondes, les congrès, etc. …, sur la théorie, la pratique s’amenuise. Il y a pour certains et même pour beaucoup peut-être, illusion compensatoire ou évasion. De parler du sujet leur donne bonne conscience[39].

Il y a donc bien des déviations à corriger, mais je voudrais insister sur l’une d’elles qui consiste dans la prédominance pratique et normative de l’extérieur sur l’intérieur ; du disciplinaire sur le pneumatique ; du règlement ‘sur l’amour, la rencontre et la communion. Il est triste que plusieurs, (non seulement pleins de bonne volonté, mais même d’un dévouement et d’une générosité admirables) s’épuisent sur une version erronée, ou au moins, beaucoup plus pauvre et moins sanctifiante, de la vie commune.

Je cite encore Sebastián Aguilar : « Ce n’est pas un secret de dire que nous avons souffert d’une conception trop étroite de la vie commune, qui mettait son essence dans le seul ordre disciplinaire. Cette vision dominante – sinon parfois exclusive – a cherché à l’excès à conserver l’homogénéité et la stabilité d’horaires rigides, presque comme une valeur suprême. N’importe quel changement était une déficience que l’on ne pouvait tolérer que temporairement, mais qui devait le plus vite possible faire retour à la normale.

Les difficultés et les objections qui s’élèvent contre la vie commune sont dues en grande partie à cette façon de la penser et de la mettre en pratique. Le conflit entre vie commune et apostolat, entre discipline régulière et vocations personnelles, provient de cette idée de régularité au sein d’une maison religieuse envisagée comme une forme supérieure de vie commune et sur laquelle doivent s’animer toutes les communautés, même en renonçant à d’autres biens plus grands. Parfois les buts mêmes d’une communauté exigeraient pourtant un autre style de vie, et alors cette conception les assujettit à des cadres inadéquats imposés naguère par la réglementation d’une vie dans laquelle n’entraient pas des occupations du même genre »[40].

Dans certains cas, ce phénomène n’a pas été un simple fait de passage et superficiel ; on en était arrivé à une mentalité qui en pratique renversait, sans mauvaise volonté, l’échelle des valeurs. Les gens qui ne réfléchissent pas, peuvent être entièrement formés – ou déformés – par la routine quotidienne. Avouons, au fond, que certaines pratiques ou attitudes ont été surfaites. On leur avait assigné à elles un rôle qui leur donnait une importance et une force d’obligation primordiales. Tout doucement, par contre se dévalorisaient les éléments clefs : âme et raison d’être des comportements. Ceux-ci, privés de leur âme, se réduisaient alors à un simple scénario, à du formalisme et du ritualisme.

Par ailleurs, les structures externes et disciplinaires de la vie communautaire, au lieu d’être relayées par d’autres plus fonctionnelles et plus modernes, étaient renforcées par elles : celles-ci s’ajoutaient, et on aboutissait à une hyper structure de caractère à la fois anachronique, lacunaire et inadapté[41].

Ainsi, dans la communauté, les uns étaient écrasés par les tâches personnelles, d’autres étaient bloqués dans leurs fonctions apostoliques, d’autres se voyaient orientés vers le souci de gagner des mérites sans que leur générosité pût vraiment servir à la vie commune[42].

La C.L.A.R. a signalé comme une question à revoir, ce qu’on appelait « la permanence de certaines formes sacrales de vivre qui peuvent empêcher une insertion plus authentique et efficace dans le monde : habit, horaire, système de clôture »[43].

La poussière du chemin s’est posée sur leur âme, avec le poids du temps, et ce dont la vie religieuse a besoin, c’est d’une chair animée par l’esprit qui est antérieur à la chair, et non d’une poussière qui ensevelit la vie, même lorsqu’elle prétend se substituer à l’esprit.

2) Or, une semblable situation n’a pas toujours existé. A l’origine, la source était jaillissante (même si elle charriait un peu de boue à l’occasion) et c’est pourquoi, le Concile invite à un retour aux sources[44].

Oui, les origines offrent l’exemple d’un perpétuel rajeunissement, comme tout amour historique qui commence. Les impuretés et tâtonnements n’en sont pas absents maïs il s’y révèle une réelle puissance de charité et de créativité, et aussi toute la souplesse d’une jeunesse à la recherche des sentiers qu’elle va suivre.

Il est remarquable le témoignage du Frère Jean-Baptiste sur la vie communautaire des premiers Frères : « La charité, l’union et la paix étaient admirables. Jamais aucune dispute, jamais aucune parole propre à offenser ou à blesser quelqu’un, n’a été entendue parmi nous ; nous nous aimions tous comme des frères ; point d’amitiés particulières, point d’antipathies, point de singularités ; nous n’avions tous qu’un cœur et qu’une âme. Quelqu’un était-il dans le besoin, tous les autres rivalisaient de dévouement pour le soulager »[45].

Les exemples du Fondateur et des premiers Frères, dans cette ligne, pourraient faire l’objet de multiples citations, et c’est là un point, parmi bien d’autres, où l’on peut se demander si Marcellin Champagnat n’était pas vraiment bien en avance sur son temps.

3) De vives aspirations à rénover la vie communautaire s’agitent  dans le cœur des jeunes d’aujourd’hui et alors, de deux choses l’une : ou bien nous les engageons dans un bon sillage, ou bien ils prendront une autre orientation et nous n’aurons plus d’aspirants parmi les jeunes. Or les aspirations rénovatrices qui se manifestent  dans les nouvelles générations peuvent se ramener à deux : le désir d’une communion authentique et profonde, et la recherche de nouvelles formes pour la réaliser.

Que penser d’abord de cette recherche ?

Elle est indispensable, mais doit être faite avec discernement, car la gamme est large qui va du narcissisme d’une génération satisfaite d’elle-même. jusqu’aux intentions évangéliques les plus limpides ; ce qui serait malheureux pour l’inquiétude moderne, c’est qu’elle ne rencontre pas chez les autres générations un désir de l’aider à découvrir sa manière à elle d’incarner dans l’Eglise le visage du monde actuel, afin de transmettre plus efficacement à ce monde le message de Jésus et d’attirer à la vie consacrée des candidats totalement engagés.

Voici les tendances les plus saillantes ayant Irait à la vie commune qui foisonnent aujourd’hui dans nombre de milieux religieux. Comme on le verra, certaines ont, sans conteste, une vigueur d’évangile ; d’autres par contre, sont bien discutables. Elles sont donc représentatives de divers courants collectifs de pensée parmi les religieux et peuvent plus oui moins tendre à se généraliser. L’exposé qui suit n’aura pas de réponse scientifique, mais comme il est représentatif des idées aujourd’hui en vogue, je l’insère ici simplement comme objet de méditation et je le fais précéder d’une citation de J.M. Cliche. L’auteur traite de cette sourde insatisfaction que certains religieux éprouvent à l’égard de la vie communautaire, avec ou sans raison, puisque parfois ils ont été coupables, avant d’être victimes, de la situation qu’ils critiquent :

« Chaque discussion, dit-il, chaque échange que j’ai avec un confrère sur le sujet, m’oblige à conclure que nous sommes plusieurs à partager le même idéal de communauté. Nous cherchons tous à dépasser les civilités coutumières pour découvrir la personne » avec qui nous vivons depuis deux, cinq ou dix ans. En somme, la vie que nous vivons en communauté en déçoit un trop grand nombre pour qu’il nous soit permis de passer outre à ces préoccupations. Cette vie nous déçoit parce qu’elle ne rejoint pas les personnes, parce qu’elle ne nous attache les uns aux autres que superficiellement et temporairement. Le tableau paraît bien sombre, et j’en suis même quelque peu gêné. Et pourtant. je n’ose pas affirmer que chez nous la vie communautaire a une intensité dynamique telle que les individus soient heureux d’y vivre. J’en prends pour témoins tous ces solitaires qui vivent dans nos rangs, tous ces silencieux qui rongent leur frein, tous ces gens aussi qui ont même oublié votre nom… Ils connaissent le Cher Frère … Nous mangeons à la même table, nous prions ensemble, nous chambrons  dans la même maison, nous travaillons à la même école. Et pourtant, tout cela demeure bien insuffisant »[46].

J’en arrive maintenant à une énumération des courants actuels. A notre époque :

1. – On a tendance à construire les communautés comme un groupe, avec prédominance, non pas des fonctions, mais de l’union des personnes.

2. – On désire la constitution des communautés par libre élection de leurs membres, car on pense qu’il n’est pas possible qu’une communauté nominée par un supérieur parvienne à créer le dialogue fraternel et on craint qu’elle reste au niveau de juxtaposition de forme sacrale.

Sur ce point, le Congrès national des Religieux du Canada éclaire bien notre problème : « Ils prévoient les exigences du nouveau style de vie communautaire qu’ils préconisent. Ils désirent que les membres de ces communautés nouveau style s’y engagent seulement de leur plein gré.

Ces communautés seraient, pensent-ils, plus aptes à satisfaire les besoins affectifs de leurs membres. Les relations y seraient plus simples, plus spontanées, moins formelles. Les participants seraient plus comblés dans leur désir d’appartenance et s’y sentiraient plus solidaires »[47].

3. – On est en faveur d’une volonté d’égalité qui se manifeste même par une certaine hostilité lorsqu’un membre de la communauté fait l’objet d’une promotion.

4. – On signale les tensions produites par la diversité de nationalité, d’âge et d’activité au sein d’une même communauté.

5. – On aspire à ce qu’il y ait des communautés adéquatement insérées dans le monde sans que cela crée des tensions artificielles entre Eglise et Monde.

6. – On désire qu’il y ait des communautés qui permettent et favorisent l’épanouissement chrétien et humain des personnes (où ne soit plus vrai ce que disait un religieux : « On m’a pressé comme un citron et après la dernière goutte de jus, on m’a mis de côté »).

On veut donc des communautés où l’on ait soin des véritables besoins somatiques des personnes, où l’on interprète les formes de clôture en fonction des tâches que l’on exerce et où l’horaire tienne compte de la santé, du repos. de l’apostolat, de la culture et de l’actualisation.

7. – On a le sens du relatif et l’on n’accepte pas la « communauté préfabriquée » a priori ; on veut la construire par voie d’expérience.

8. – On veut que non seulement la communauté soit formée en fonction des personnes, mais que son équilibre soit recherché en vue des personnes et non des structures ni même des œuvres.

9. – On pousse à avoir des communautés où puissent être mis en valeur les charismes personnels, les intuitions, les décisions de la conscience collective, la vocation particulière de chacun. « La vocation est la personne de celui qui est appelé », dit-on.

10. – Une tendance et une mentalité très anthropocentriques aboutissent à une crise de foi qui se manifeste par une attaque de front « au sacré artificiel » encore abondant çà et là. Ces choses que d’aucuns croyaient sanctifiantes par elles-mêmes sont admises plus difficilement et plus difficilement considérées comme des valeurs dans la vie communautaire.

11. – On désire qu’il y ait dans les communautés réelle subsidiarité et co-responsabilité à tous les niveaux sociaux.

12. – On préconise des communautés homogènes qui désignent leur supérieur elles-mêmes.

13. – On accepte mal les communautés nombreuses, convaincu que l’on est que deux défauts y deviennent inévitables : le formalisme général et I’esprit administratif du supérieur.

14. – On promeut un esprit d’égalité qui bannit le protocole et qui simplifie les rapports.

15. – On insiste pour que la communauté protège les droits sociaux de la personne : personnalité, réputation, participation, information, expression, culture, initiative : tous droits qui ne peuvent être satisfaits que si le groupe a une participation au gouvernement et un rôle dans la « lutte politique ».

16. – On veut que les relations humaines se basent sur le réel (les Frères et leurs besoins, leurs activités, leurs intérêts, les œuvres de la collectivité) et que l’on évite l’écueil des communautés fondées sur l’obligation juridique ou, pire encore, sur des motifs artificiels.

17. – Il y a des cas où le désir va plus loin dans le sens des rapports en profondeur et dans la véritable nature de ces rapports : c’est dire qu’il s’agit Iii d’une aspiration à des relations qui dépassent les bonnes manières et où le bien commun soit antre chose que la participation au produit de la collectivité. Les niveaux recherchés sont :

– la rencontre réciproque de tous ;

– l’émulation  dans le service.

18. – On n’accepte pas que la loi occupe la première place dans la vie communautaire, mais on veut que ce soit le réel qui commande avant la loi.

19. – Certaines valeurs repoussées radicalement comme valeurs pour la personne, tendent à être récupérées comme un service envers autrui : par exemple, le silence comme attention et comme charité envers le prochain.

20. – On préconise comme fondement des rapports communautaires, la satisfaction d’une série de besoins sociaux de la personne :

– besoin de sécurité ;

– besoin d’efficacité ;

– besoin de soutien ;

– besoin de fécondité ;

– besoin de réflexion en commun ;

– besoin d’aide mutuelle dans la responsabilité ;

– besoin de connaissance des autres.

21. – On accepte mal de voir briser les unités communautaires constituées, surtout si elles sont un succès.

On est mécontent si l’on déplace quelques-uns de leurs membres, spécialement si ceux qui les remplacent sont des éléments difficiles.

22. – Pour beaucoup, l’amour de Dieu reste une abstraction, s’ils ne lui trouvent pas une référence au plan humain.

23. – Il y a des groupes de religieux qui, au-dedans de leur consécration souffrent d’un manque d’équilibre émotionnel ; leur difficulté communautaire pour s’épanouir, pour se développer et pour s’adapter, naît directement de leur immaturité affective. Chez quelques-uns cela va jusqu’au sentiment souterrain d’être laissés en marge du courant d’amour qui traverse le monde moderne.

En réalité, ils n’ont pas trouvé leur place dans l’amour :

– aimer leur laisse un malaise ;

– ne pas aimer les met en conflit avec des lois profondes de leur être ;

– l’amour sublimé leur apparaît comme un idéal platonique.

Bien que cherchant dans toutes les directions, ils ne se trouvent pas eux-mêmes et les voilà quêteurs errants de nouvelles formules.

24. – On a pour l’amour, un profond respect – disons une admiration fervente – sans que cette admiration soit diminuée ou nuancée par la version érotisée que le monde nous présente de l’amour.

25. – On pense qu’un amour du prochain qui ne part pas d’une affection humaine et qui n’engendre pas cette affection n’est pas authentique ni évangélique.

26. – Le vif besoin d’affection humaine, et spécialement familiale, révèle un état d’immaturité

chez les religieux qui font défection, et cela pose un problème de la maturité requise avant l’engagement des vœux.

27. – On n’accepte pas a priori comme expression de la volonté de Dieu, l’organisation juridique ou administrative. On préfère trouver cette volonté dans la conscience subjective individuelle ou dans la conscience collective de la communauté.

28. – On constate, dans les structures et règlements, des éléments qui semblent ne plus correspondre au réel. Beaucoup de religieux disent devoir les accomplir sans les avoir acceptés. Il se pose alors un problème d’authenticité que l’on préfère résoudre en faisant appel à la responsabilité des consciences au lieu d’exiger l’observance contestée.

29. – On exclut radicalement l’autoritarisme, le légalisme, le formalisme, la routine, le paternalisme et le dirigisme  dans ce qui a rapport à l’idée qu’on se fait de l’autorité et de son mode d’exercice.

On pense que semblables défauts, en réduisant la volonté et la liberté, ne sont pas une manière de transmettre les exigences du dessein de Dieu sur les personnes, mais au contraire de les obscurcir.

30. – Le jeune homme, enfin, cherche au sein de la communauté la possibilité de s’engager à fond dans un genre d’engagement qui lui soit propre à lui. « Les jeunes d’aujourd’hui, dit Mac Luhan, sont plus intéressés par le processus de réalisation que par le résultat, par la découverte que par l’assimilation des connaissances transmises »[48].

Et, commente Bamberger, « cela suppose une organisation moins poussée, une moindre structuration, avec une plus grande souplesse et l’élimination de toute standardisation superflue »[49].

31. – Le désir de constituer des communautés pluralistes.

La litanie a été longue, et pourtant incomplète. Je l’ai faite, appuyé sur les études de plusieurs auteurs ou organismes, parmi lesquels, tout spécialement la C.L.A.R. et la Conférence des Religieux du Canada[50], dans son congrès annuel, cité plusieurs fois déjà. Sur les autres sources, je ne tiens pas à être plus explicite. Je n’ai pas cherché du tout l’originalité ; au contraire, plusieurs fois j’ai même cité textuellement, car il s’agissait de transmettre des réalités et non pas des concepts personnels.

J’ai évité de faire entrer dans la liste, des données sur la vie religieuse que des psychologues estiment typiques de la nouvelle génération : leur inconvénient ne serait pas de manquer de vérité, mais extraites du contexte total, elles pourraient fausser l’image de cette génération.

Prenons, par exemple, le concept faux de personnalité, de développement incontrôlé des pulsions instinctives, du pacte avec la sensualité, de l’ouverture précoce sur le monde adulte unie à une grande immaturité personnelle, des concessions à la nature jusqu’aux extrêmes limites. Même appuyée sur de sérieuses études, une description de ces phénomènes serait unilatérale.

Mais pour en rester aux critères évoqués, disons qu’ils représentent tout un amalgame de nobles idéaux, d’intentions authentiquement évangéliques, de désirs ingénus qui méconnaissent les limites réalistes de la vie communautaire, d’immaturité et de narcissisme qui se cherche à l’occasion de la rencontre avec l’autre, parfois de vraies déficiences qui n’améliorent pas du tout le passé, et finalement d’incompatibilités, puisque quelques-unes des tendances énumérées s’excluent : en accepter une sans nuance, équivaut parfois à en sacrifier une autre.

Concluons : La situation actuelle se présente comme une série de tensions dont on ne peut pas ne pas tenir compte, en ce qui concerne la vie communautaire, mais qui doivent déboucher sur une conclusion positive. Pour les déficiences, la doctrine conciliaire les a bien clairement dévoilées et en a fait prendre une conscience de plus en plus claire ; par ailleurs, c’est bien le désir d’une véritable vie communautaire qui se manifeste dans cette exubérance d’inquiétudes et de formes nouvelles que j’ai évoquées. La question n’est pas que les jeunes, sans souci des contradictions, veuillent récolter parfois sans semer ni cultiver. Les faits sont les faits : ce que nous demandent les nouvelles générations, le Concile le demande aussi : une sérieuse rénovation de la vie commune des religieux.

Il faut nous y mettre.

– EN QUOI CONSISTE LA RENOVATION ?

. En un réajustement et une conversion des structures.

. En un effort pour la vérité et l’authenticité de la vie commune.

. En une relation qui insuffle  dans la vie commune et  dans les structures, un amour qui leur donne forme, les rende possibles, afin qu’elles deviennent des instruments au service de cet amour.

Tout ce qui précède a essayé d’évaluer les trois dimensions de la vie communautaire : mise en commun de la vie personnelle, des biens et de l’apostolat.

Le vaste tableau de la communauté qui a été brossé en ces nombreuses pages permet d’abréger maintenant, puisque, à vrai dire, le programme est tracé : réformer la situation réelle de notre vie communautaire telle qu’elle se présente aujourd’hui, et l’aligner sur l’idée qu’en a le Seigneur et que Ie Concile nous a présentée.

J’ai donc signalé trois tâches dans cette rénovation.

1. – Réajustement et conversion des structures.

Il faut envisager avec courage ce réajustement et cette conversion. Ce n’est pas une invitation à ce que chacun fasse ce que bon lui semble. Le Chapitre Général a déjà réalisé l’essentiel de la tâche. Les Chapitres et Conseils Provinciaux doivent la prolonger dans le cadre de leurs pouvoirs.

Quelques expériences saines, dûment approuvées, peuvent ouvrir des routes au prochain Chapitre Général. Ceux donc qui ont pouvoir, devoir et mission de promouvoir ce réajustement des structures doivent réaliser cette tâche avec lucidité et courage. Si néanmoins on peut la dire déjà en partie réalisée, c’est dans les documents capitulaires (spécialement ceux qui concernent la vie communautaire) qui ont une grande ouverture et une grande richesse, mais il faut passer de l’écrit à la vie, de la théorie à la pratique.

Tout d’abord, une remarque :

Plus que le changement de tel ou tel point, il faut rechercher plus encore un esprit nouveau qui donne sens à ce changement, une nouvelle manière de se situer avec une nouvelle lumière face aux structures : avec une obéissance-liberté qui ne craint pas d’être liberté quand son intention est vraiment pure, et que ses motifs ont à la fois objectivité et importance. Ce n’est pas moi qui dit cela, mes Frères ; c’est le Christ qui nous l’a enseigné et qui plus est, face à la loi même de son Père[51].

Mais que l’on n’oublie pas les conditions de cette action. Il ne s’agit pas de faire le travail qui me plaît ou qui va dans mon sens à moi de la liberté[52]. Disons plus : quand il n’y a pas changement et ce sera le plus souvent – il importe de voir comment on se situe face aux structures, docile envers elles, tout en leur étant supérieur ; et il importe aussi de savoir pourquoi et pour quoi on s’en sert.

2. – Vérité dans la vie commune.

La vérité  dans la vie commune est un second point de la rénovation. En fait nous vivons physiquement unis : formation, lois, vie domestique, travaux, prières, sont un peu plus ou moins les mêmes pour tous. Les choses sont à l’usage de tous et les paroles et les relations humaines sont à l’état d’échange constant. Mais tous ces biens en commun, il faut qu’ils le soient en charité, que le soin que chacun a de ses affaires soit pour le meilleur profit des autres ; que mon bonjour soit sincère, et mes paroles et mes gestes, c’est-à-dire qu’ils soient porteurs d’un vrai amour envers mon frère, d’une joie de vivre avec lui, d’un désir sobre et sérieux, mais réel de laisser mes yeux traduire la sympathie que je lui porte comme à chaque membre de la communauté ; de manifester totalement que ceux-ci constituent mon foyer et ma famille, et que je veux être tout pour eux[53].

Il est question ensuite de secouer cette langueur qui parfois atteint notre cœur dégoûté par le quotidien et même par un faux surnaturalisme que nous avons fabriqué ; de donner une âme à nos gestes, et de faire tout ce qu’il faut pour que la vie commune soit vraiment union, chaleur, joie et amour. Saint-Exupéry évoque le sculpteur qui sait émouvoir par un ensemble mystérieux de signes  dans la pierre qu’il appelle : « structure d’un filet pour saisir sa proie »[54].

C’est ce que disaient si bien nos anciennes Règles à l’article 4 : « Ils portent le nom de Frères, afin de se rappeler sans cesse que ne formant qu’une même famille, ils doivent s’aimer, s’édifier et s’aider mutuellement à parvenir à la sainteté et à sauver les âmes ».

En somme il s’agit d’une vie d’amour vécue en commun. C’est ce qui fait que la vie sera vraie. Non comme dans certains foyers, qui sont un vrai contre-témoignage ; ou comme d’autres qui, devant la société font semblant de s’aimer, de s’entendre, mais qui pour l’hôte entré depuis quelque temps dans leur intimité ou ayant reçu leurs confidences, se révèlent vite proches du drame ou de la farce. Nous ne cherchons pas, nous, à « sauver les apparences », nous cherchons la vérité, une conversion à la vérité, un effort d’ascension vers une vie communautaire authentique.

3. – Relation entre structures, amour et vie commune.

La grande loi objective des moyens est qu’on s’en serve aux fins pour lesquelles on les a choisis. La grande loi subjective des moyens est qu’on s’en serve sans leur soumettre la fin ; par conséquent, pour le cas qui, nous occupe, sans soumettre la personne (qui est supérieure à la fin quand cette fin est une chose) aux moyens. Dieu veut que ses fils soient libres : qu’ils soient des seigneurs. Combien plus cela est-il vrai pour un jeu entre moyens et fin dont le terme est l’amour, le frère, l’amitié  dans le Christ, la communauté.

Il est donc question, non pas simplement de rajeunir les structures, de remplacer des modèles dépassés par d’autres nouveaux, d’éliminer les sur charges ; mais d’orienter de façon radicale et permanentes, les éléments de vie commune de manière que celle-ci se charge de fonctionnalité, de sens, de valeur, et non pas d’un poids mort dont la raison d’être soit invisible. Une vie commune dans laquelle l’esprit, les personnes, les structures ont été ainsi mises en relation n’est plus une chose difficile que pour l’égoïste.

Ce travail doit se faire dans les divers aspects de la vie commune, savoir : la communauté de personnes, la communauté de biens matériels et la communauté d’apostolat.

a) Il faut rénover la communauté de personnes, c’est-à-dire les déshabituer de leur vie ensemble, leur redonner un aspect nouveau ; par conséquent, recréer la volonté de se rencontrer, pas de se rencontrer n’importe comment, mais dans la franchise, la confiance et l’amour.

Dans ce sens, quelque chose de très utile est le geste de la transparence. Ouvrir sa vie aux autres – pourquoi pas ? et les autres doivent savoir voir avec intérêt et amour celui qui s’est ouvert à eux, et se servir de cette ouverture et de celles qu’elle provoque pour tisser une rencontre de personnes. Si deux personnes ne s’ouvrent pas, elles n’arrivent pas à être amies ; si plusieurs personnes ne s’ouvrent pas, elles n’arrivent pas à constituer une communauté fonctionnelle, un mystère d’amour. Le Christ nous a dit « ses affaires » et c’est pourquoi nous avons connu son intimité et nous avons compris que nous étions ses amis.

Voilà jusqu’où va la confidence, et donc le bel art d’être confident, c’est-à-dire l’homme idéal pour la confidence. La bonne confidence est celle dont l’origine et la fin sont bonnes et pour les deux intimes et pour toute la communauté ; car il y a aussi des orientations négatives.

b) C’est à partir de cette communauté de personnes, de cette réunion de cœurs que se crée la communauté de biens matériels ; je dirais : de biens personnels et matériels, car ceux-ci n’ont pas de sens, séparés de ceux-là. Sans forcer l’analogie, disons que serait aussi dépourvue de sens une union des biens mise à profit par des hommes qui vivent en commun, mais sans s’aimer, que pour les époux une union des corps dont les cœurs sont absents et même se repoussent.

La communauté des personnes est donc l’élément premier et l’âme de la communauté des, biens matériels : celle-ci est la matérialisation et le corollaire de l’autre. La première est germe, noyau affectif ; la seconde est périphérie effective. C’est parce que j’aime mon frère que je mets à sa disposition mon temps, mes affaires, ma collaboration, mes joies et mes peines, mon attention, et mes oreilles pour le cas où il veut me parler ; et, parce qu’il me fait confiance et qu’il sait que mon geste est sincère, il prend tout ce qui est à moi avec simplicité et naturel quand il en a besoin[55].

Gratitude, respect et discrétion dans l’usage des chiens, aboutissent dans ce contexte à la paix communautaire. Pas besoin d’être sur la défensive ; pas besoin d’arriver bien avant que s’achève la distribution : Il existe un bien commun qui n’est pas congelé, ni non plus distribué avec titres de propriété ; il existe un amour concrétisé et disponible, utilisé et en service, qui se nomme : « communauté de biens ».

Dans ce but, la première chose à éduquer après le cœur, c’est la main ; je veux parler du geste de mettre tout en commun (comme faisait la communauté primitive de Jérusalem), quand je reçois quelque chose d’un parent ou d’un ami (une montre, une invitation à un voyage ou une autre invitation). On va dire : « Mais on me le donne pour moi ; on ne veut pas que je le donne à un autre » ; eh bien, il faut avec délicatesse faire comprendre à ceux qui nous font ces cadeaux qu’ils donnent à quelqu’un qui vit en communauté, et que cette vie avec des frères que l’on aime exige le partage avec eux de ce que l’on reçoit, et que ce partage, par ailleurs, constitue une vraie joie.

Enfin, dans cette communauté de biens composée de choses et de sentiments (parce que mes sentiments sont des éléments psychiques qui servent au prochain) je dois mettre aussi à la disposition de mes frères mes possibilités de servir, de porter les fardeaux, de pardonner et de comprendre[56].

Il faut comprendre comment tout en nous a un sens social parce que tout a le sens de l’amour, puisque en Dieu l’essence ultime de chaque personne ne consiste pas à être absolue (un « en soi ») mais à être sociale (être « pour l’autre ») : pure et totale relation à l’autre[57]. Et Dieu même en sa totalité tri-personnelle, qui est un vrai absolu et qui, pour cette raison a pu dire de lui-même : « Je suis celui qui suis »[58]a voulu en sa bonté s’ouvrir à ses créatures et leur manifester son amour : « Je serai ton Dieu et tu seras mon Peuple »[59]; « Je serai pour eux un Père et ils seront pour moi des Fils »[60].

c) Communauté apostolique.

L’amour tend à se répandre ; c’est la pierre de touche qui distingue le vrai amour chrétien de l’embourgeoisement égoïste.

Une communauté égoïste se ferme sur elle-même. Ses membres sont parvenus à être assez équilibrés et semblables de mentalité et de caractère pour s’entendre, et assez égoïstes pour ne pas s’ouvrir. Ici une double réforme est possible : la conversion des personnes et la rénovation. des structures. Quelqu’un peut ne pas s’ouvrir ou bien parce que ce sont les structures qui l’en empêchent ou bien parce que c’est son cœur qui refuse, ayant subi une déformation. Même résultat peut exister dans une communauté.

Je voudrais prendre l’expression : « communauté apostolique » dans son sens le plus large de « communauté ouverte à l’amour » qui s’oriente de manière sacerdotale[61] vers le Père et les hommes. Vers le Père, dans le Christ, par l’Esprit, pour lui offrir un hommage cultuel, formel et vital, vers le prochain et le monde (qui est le prochain au sens large), en nous livrant à un triple apostolat de présence, de témoignage et de service.

Apostolat de témoignage et de service parce que nous sommes témoins d’une religion unfiante, d’une religion d’amour et de dévouement au monde. Mais comme cet amour est à la fois source et sacrement de la présence du Christ il est également apostolat de la présence, car lorsqu’il est vrai, il rend le Christ présent dans le cercle communautaire et visible aux yeux du monde tant de fois aveuglés, et la charité communautaire manifeste alors sa valeur mystique.

Voici ce qu’en dit Galot.

« Le rassemblement de frères au nom du Christ apporte mystiquement la présence de celui-ci. Le Concile se rapporte à la parole de Jésus : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mat. 18.20). Cette parole vaut pour n’importe quel rassemblement de chrétiens, même bref et occasionnel, pourvu qu’il ait l’intention de se réclamer du Christ. Pour la communauté religieuse, c’est une promesse de présence continuelle. Aussi, selon le mot du décret, ces communautés forment-elles « une vraie famille réunie au nom du Seigneur, qui jouit de sa présence »[62].

Dans sa prière sacerdotale, le Seigneur entrevoit non seulement cette présence objectivée de lui-même mais aussi cette présence de lui-même qui convainc quand l’amour et la vérité se sont accomplis jusqu’à l’unité : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croiront en moi. Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé »[63]

III – COMMENT ALLONS-NOUS FAIRE LA RÉNOVATION ?

Disons tout de suite que les étapes qui ont été suggérées répéteront nécessairement telle ou telle idée déjà exposée dans les pages qui précèdent. Cela prouve simplement que ce sont des idées qui ont une double ou triple fonctionnalité et qu’elles peuvent se retrouver en bonne place à divers endroits. Si donc je cours le risque de répétition, voire de lourdeur, c’est que je voudrais être bien concret au sujet des démarches réellement pratiques et parfois indispensables qu’il faut accomplir pour la rénovation de la vie communautaire ; et sous prétexte de purisme littéraire je ne voudrais pas faire quelque omission. Ces pages en effet ne sont pas écrites pour ceux qui recherchent un amusement spéculatif, mais pour ceux que le thème intéresse en fonction d’une rénovation pratique. Et ceux-là pardonneront aisément quelques redites si non seulement elles permettent de réaffirmer telle ou telle idée importante, mais encore et surtout jouent le rôle d’un commutateur qui met en marche le processus de rénovation de la question qui nous occupe.

1. – Le point de départ de toute rénovation possible c’est de vouloir sérieusement cette rénovation. Il faut vouloir y mettre le prix raisonnable. Cette attitude fondamentale est l’a.b.c. de tout effort rénovateur. Sans elle il est inutile d’écrire sur un thème aussi capital ; c’est même contre-indiqué, car on fait attendre quelque chose, et cette ambiance d’attente engendre ensuite la déception. Ceux à qui vous avez exposé l’idéal de la vie communautaire s’imaginent qu’il va leur tomber du ciel en éléments préfabriqués et que ce sera installé en un clin d’œil ; d’autre part ils ne sont pas disposés à se. gêner pour collaborer ; or la réalité dont on leur parle n’existe que dans la mesure où elle est en action. Sinon le résultat est négatif. C’est une lumière noire qui ne fait que fournir un schéma de critique amère contre la réalité, et porte à la rejeter, car on est trop déçu de la vie communautaire que l’on vit.

Dans cette situation, deux attitudes de vie deviennent normales : on abandonne sa vocation, ou on se résigne à une persévérance triste, cultivant, comme me disait un religieux, un jardin de roses noires.

Sur le rideau de fond de cette scène humaine s’est dessiné un schéma de mauvaises interprétations, d’autodéfense, d’agressivité, et peu à peu on accumule derrière la coulisse, des fautes contre la charité dont on ne se rend même pas compte : on se croit une bonne raison de les commettre ! Fossoyeurs du progrès de la vie fraternelle, peut-on dire de tels hommes.

Arrivons au pratique. Il est urgent que tout religieux se demande si ses rapports humains avec ses Frères sont difficiles, s’il est coupé d’avec les autres. Si oui, il faut poursuivre l’examen : Jusqu’à quel point cette situation anormale est-elle due à lui-même, à son caractère, et surtout peut-on compter sur lui – oui ou non – pour tenter une amélioration.

2. – Il faut fonder cette volonté de rénovation sur une volonté de vivre en commun qui soit à la fois vraie et réaliste.

Vouloir vivre en commun pour un motif noble. Que ce soit avant de connaître cette vie, ou dans les débuts, ou plus tard, ou même très tard, il faut des motivations claires à l’engagement dans une vocation. Par conséquent lorsque les motifs de l’engagement avec Dieu, l’Institut, la Communauté, ne sont pas purs, il faut les purifier. Si les tendances qui ont poussé vers la vie communautaire étaient captatives et immatures, on n’aboutit qu’à être déçu pour soi-même et gênant pour la communauté.

Que faire ? Démonter les schémas à partir desquels on a vécu et on a justifié des attitudes ou des omissions nuisibles à la vie communautaire ; reconnaître qu’on a fait erreur, qu’on s’est leurré soi-même ; renoncer carrément au refuge commode où l’on s’est abrité tant de fois dans le passé. Ah ! cela coûte de s’avancer sans armes dans une nouvelle vie communautaire, mais qu’il est bienfaisant cet abandon simple et vrai du château féodal d’autodéfense que l’on s’était construit !

3. – Que peut-on attendre des cours de rapports humains et de dynamisme de groupe ?

Les premiers peuvent nous aider à nous défaire de complexes et de difficultés caractérologiques, les seconds nous amener à nous convertir en éléments dynamiques d’un groupe réel. Par réel, j’entends non pas un groupe de laboratoire mais un groupe tout-venant où le mélange des mentalités, des caractères, la teneur en sociabilité, correspondent à un échantillonnage normal de vie religieuse.

Des cours de dynamique de groupe sont efficaces et non « problématisants » à deux niveaux. Ou bien on est très mûr du point de vue humain, social et « vocationnel », et dans ce cas n’importe quel cours bien mené est bénéfique. Ou bien, si l’on n’a pas ces qualités, que l’on ait un minimum de santé psychique. Quant au cours lui-même, il faut une équipe de dirigeants et une doctrine qui comprenne et respecte la vie religieuse. Enfin, ce cours doit être reçu et appliqué directement à la personne et non pas à la communauté. Celui que l’on examine et rééduque dans tous ses schémas, ses critères, ses attitudes et ses rapports humains c’est celui qui participe au cours, ce n’est pas sa communauté, qui en ignore tout. Il y a tout un langage critique qui est mis en œuvre, pour faire du cours un stimulant des communautés, mais à travers des transformations d’attitudes auxquelles consentiront tels membres mis en éveil. Mais si celui qui a été mis en éveil par le cours se met à vouloir appliquer les techniques aux autres et à la communauté, on peut être sûr que le résultat sera négatif.

4. – Il faut redécouvrir et vivre la triple valeur, mystique, ascétique et apostolique de la communauté.

On ne fait des efforts, on ne se sacrifie que pour ce que l’on aime, et pour aimer quelque chose il faut au moins en entrevoir la valeur.

Il s’agit donc d’abord de valeur ascétique, parce que « personne ne peut penser que ce sera facile. Un amour vraiment surnaturel et efficacement pratiqué entre les membres de la communauté impose un effort constant de purification pour veiller au bien de tous, pardonner continuellement les inévitables déficiences, soumettre et même sacrifier au bien des autres ses intérêts et ses désirs propres »[64]. Pas besoin de chercher des mortifications exotiques : une telle donation à la vie communautaire est pour l’homme qui cherche à s’ouvrir au Seigneur, un fleuve incroyablement puissant pour déblayer l’accès de son cœur.

Valeur mystique, également, car plus on laisse entrer la charité  dans le cœur, plus large se fait la présence du Christ. Tout effort, et particulièrement tout progrès de la charité communautaire et de la communauté « charitable », augmente sans nul  doute la présence du Seigneur non seulement par voie de concomitance, mais aussi de conséquence.

Valeur apostolique enfin, parce que, comme dit Galot : « Elle manifeste la venue du Christ ».

Selon les deux passages de l’Evangile de St. Jean cités dans le décret Perfectae Caritatis, l’amour mutuel est le signe auquel tous reconnaîtront les disciples de Jésus (13.35), et l’union des disciples dans l’unité du Père et du Fils invite le monde à croire que Jésus est l’envoyé du Père (17.21). « La charité doit donc être un signe de vie religieuse authentique. Elle a mission non seulement de démontrer que le Christ est venu de la part du Père en notre monde, mais encore d’exprimer sa venue actuelle, venue par laquelle il transforme les hommes et leur communique l’unité divine. La vie communautaire des religieux se présente ainsi au monde comme un appel à la foi »[65].

5. – Cette conscience des valeurs de la vie communautaire doit nous pousser à prendre au sérieux ce que nous pourrions appeler la conversion au « social ».

En effet « rénover » la vie religieuse et en particulier la vie communautaire c’est « rendre neuf » ce qui a été neuf ; rendre visible et mieux réaliser qu’il y a dans la vie communautaire la substance de l’Evangile et l’essence d’une congrégation lorsqu’on la sent vivante  dans l’esprit et le cœur des Fondateurs. Les choses ensuite perdent leur fraîcheur dans la vie surtout dans la vie sociale non pas à cause du temps, mais par le fait de l’égoïsme, par l’indigne reconquête du don de soi. Lorsqu’il y a amour, le temps rend cet amour de plus en plus aimable. Mais la suppression de l’égoïsme ne se fait pas sans sacrifice. Rajeunir le don de soi suppose une conversion réitérée.

Le Concile attire très fort notre attention sur la nécessité de la conversion pour toute rénovation salutaire. En effet ce qu’il faut renouveler, ce ne sont pas des réalités hypostasiées qui existent au-dessus de nos têtes et sont indépendantes de nous. Les pensées étrangères aux personnes et à la réalité sont des bulles de pensée sans consistance. Tout ce qui dans l’Eglise est vraie vie religieuse et évangélique vient de la conversion et de la réponse que donnent les hommes aux motions de l’Esprit-Saint dans leur propre vie.

6. – Or cet effort de conversion ne peut se faire sans la force d’En-Haut.

C’est dire qu’un contact vital s’impose avec les forces d’énergie spirituelle qui refont chaque jour une nouvelle jeunesse. La pratique a démontré que les efforts les mieux intentionnés et les plus sérieux en faveur de la rénovation de la vie communautaire, au bout d’un certain temps ont connu chute ou déviation quand les religieux ont négligé de recourir à la nourriture spirituelle.

Essentiellement cette nourriture se ramène à deux sources : le contact avec la parole de Dieu et la vie liturgique autour de l’Eucharistie.

De façon plus pratique, la Conférence des Religieux du Canada formulait la recommandation suivante au sujet de l’alimentation de la vie communautaire par la parole de Dieu : « Que, en réponse aux multiples recommandations des documents conciliaires, les communautés, surtout les communautés de vie active, se situent de plus en plus dans une perspective de théologie biblique et de spiritualité évangélique.

A cette fin, que les constitutions, les coutumes et toutes les structures de la vie religieuse soient repensées à la lumière de l’Evangile jusque dans les détails concrets.

Que tous les religieux, surtout les jeunes, reçoivent dans la mesure du possible une formation sérieuse en théologie biblique au moyen de cours, de conférences et discussions, de livres et périodiques en nombre suffisant sinon en abondance »[66].

Avec cette formation théologique biblique, nous croyons qu’il faut susciter le contact direct et vivant avec la parole de Dieu, mis à part tout travail de recherche théologique. Je dirais que, par delà toute intention de progrès ou d’assimilation théologique, il faut recourir personnellement et surtout communautairement à la parole de Dieu comme à un double foyer de lumière et de conversion pour la communauté et aussi de cohésion et d’approfondissement de la vie de communauté. L’attention à ces deux points rendra la communauté d’autant plus communauté et d’autant plus évangélique, car n’importe quel acte de « communautarisme » ou de solidarité intense n’est pas nécessairement évangélique.

Je me souviens du cas d’un groupe profondément évangélique dont les membres chaque matin se proposaient un passage de l’Evangile et ensuite s’engageaient à le vivre dans leur milieu de travail respectif. Le soir, chacun, sa tâche terminée, en rentrant en communauté rendait compte individuellement de sa fidélité à cette parole de Dieu que, le matin, il s’était engagé à vivre. Le passage était continué et approfondi les jours suivants, ou bien on en prenait un autre selon certains critères :

a) le passage était assez important et adapté à la situation concrète de la communauté ;

b) la communauté à travers chacun de ses membres avait réussi à répondre de façon vitale à l’Évangile jusqu’à faire de ce fragment évangélique un élément constitutif de l’âme collective de la communauté ; en d’autres termes cela créait une manière commune de penser et de juger, une réaction sympathique en fonction de certaines valeurs identiques et plus encore un vivant témoignage à la fois communautaire, par la découverte et la volonté communes qui l’avaient fait naître, et dispersé, puisqu’il se manifestait  dans les milieux Ies plus divers et au hasard des circonstances.

Un membre se trouvait-il « bloqué », la communauté au lieu de continuer en abandonnant le passage en question, s’y arrêtait pour favoriser chez ce membre plus faible une réponse à la parole du Seigneur, au moyen d’un nouvel engagement renouvelé jour après jour à l’égard du même point jusqu’à ce qu’il ait été tenu. Pour quelques-uns cette répétition les amenait à approfondir et à progresser, car la justice de l’Evangile n’est pas légale mais dynamique. Pour l’intéressé et parfois pour les autres, c’était un effort de conversion et d’efficacité au sujet d’une décision qui, bien qu’acceptée en principe, échouait en pratique. On ne laissait de côté le passage retenu pour en prendre un autre que lorsque la communauté entière unie autour de la parole du Seigneur, avait réussi à donner une réponse et un témoignage d’ensemble.

Et ceci rappelle avec force combien la communauté de Jérusalem restait dans l’intimité de la parole et de la mémoire du Seigneur : c’est autour d’elles et en fonction d’elles que vivaient ces premiers Chrétiens.

L’exercice que j’ai cité et qui est évidemment admirable, suppose d’une part tellement de sérieux, de liberté et de volonté de vivre l’Evangile en union avec les autres que seul pourra le refaire un groupe résolu à tout prix à réaliser sa propre christification. D’autre part il me semble clair que, dans une situation semblable, chacun des membres doit s’assurer à lui-même le temps et l’attention requis pour ses besoins spirituels personnels ou pour les appels que le Seigneur lui adresse, appels qui peuvent ne pas coïncider avec l’effort commun dans lequel est engagée la communauté par rapport à l’Evangile.

Un autre grand moyen de ravitaillement de la vie communautaire c’est le mémorial du Seigneur : son eucharistie. Celle-ci présuppose que la parole du Seigneur a été prêchée, accueillie, méditée. Sans cela, on risque de tomber dans une pratique ritualiste et presque magique, non seulement de l’eucharistie mais, de toutes les formes de la liturgie sacramentelle et sacrificielle ; ce qui serait bien regrettable, car les signes sacrés ne sont nullement des signes magiques, mais des signes qui prennent toute leur force et tout leur sens dans la Révélation et dans une foi bien éclairée.

Ce serait franchement absurde et même malédifiant qu’une communauté, appelée par vocation à être non seulement « communauté-témoignage » mais communauté missionnaire, évangélisatrice et catéchétique, se limite à un pauvre contact avec la parole de Dieu, soit faute d’avoir les moyens voulus, soit faute d’être préparée à un ministère si élevé.

Mais à supposer acquis ce contact, nous ne pouvons pas nous y limiter. Une communauté de foi qui ne débouche pas dans le culte eucharistique et, par lui, dans le culte de l’amour fraternel, éprouve un blocage dans son dynamisme divin et une atrophie dans sa vie communautaire, ce qui n’est pas admissible pour des consacrés.

Sans eucharistie, la communauté religieuse, non seulement subirait une déformation  perdrait son vrai visage mais en outre se priverait d’une des forces les plus vivifiantes et de l’un des moments Ies plus dignes d’être vécus, car jamais la communauté n’est plus vraiment communauté, tant que dure ce pèlerinage d’ici-bas, que lorsqu’elle est réunie autour de l’eucharistie. « Cette réunion a trois fonctions : de guérir, en aidant à corriger peu à peu les fautes et imperfections d’une communauté ; de faire vivre : en même temps qu’on vit le mémorial du Seigneur, on expérimente la grande force vitale d’être un et de l’être pour l’amour de Celui que les mystères pascals commémorent, c’est-à-dire font mémoire ensemble ; et aussi de témoigner : exprimant cette vie et se l’exprimant les uns aux autres.

Une telle expérience ne pourra, ni ne devra être ensuite démentie par la vie.

« L’Eucharistie n’est pas seulement rite passager, quelques minutes vécues ensemble dans la participation à un même culte. Comme tout sacrement, elle veut passer dans la vie et son effet tend précisément à s’actualiser dans la destinée des hommes. C’est ici qu’apparaît, au sein de la communion ecclésiale la communauté religieuse. Celle-ci veut être tout simplement la démonstration, la percée. la manifestation, l’épiphanie la plus parfaite possible du donné fondamental : en Jésus-Christ et en lui seul, Dieu le Père a déjà fait aux hommes le cadeau fondamental et seul nécessaire, la koinonia. Il a jeté dans le monde le germe de la vraie fraternité, fondée sur l’appartenance à l’unique Fils du Père. Ce germe est dispersé çà et là dans l’univers des hommes, ses effets sont souvent voilés du fruit de multiples tâches quotidiennes qui obligent le chrétien à se disperser pour être ferment dans la pâte. Seule l’assemblée dominicale parvient à en signifier plus intensément la réalité. La communauté se propose, par un style de vie chrétienne spécial, de rendre plus vivement et plus continûment perceptible cette présence. Elle se veut donc signe de communion ecclésiale en tant que celle-ci est don dit Père fait en Jésus Seigneur »[67].

Autrement dit, ce n’est pas l’eucharistie toute seule qui construit une communauté, mais l’eucharistie célébrée et vécue comme il faut. Ce que Lyonnet affirme en général de la communauté chrétienne peut s’appliquer avec plus de force à ces foyers de vie communautaire plus dense que sont les maisons religieuses, au sein de la communauté des croyants. « Pour qu’une communauté chrétienne puisse célébrer le mystère eucharistique comme il se doit, il ne suffit pas qu’un certain nombre de fidèles soient assidus à entendre la prédication de la doctrine du Christ et se réunissent à des moments déterminés, le dimanche, pour offrir au Seigneur un culte public ; il faut qu’ils s’efforcent de former entre eux, durant toute la semaine, une véritable communauté, une famille dont les membres se considèrent de véritables frères. La célébration de l’Eucharistie n’implique pas seulement que ceux qui y participent se sentent unis entre eux durant la fonction liturgique, voire expriment cette union par certains gestes extérieurs comme le baiser de paix ou même la distribution de quelques aumônes ; elle exige en réalité une transformation singulièrement plus profonde, celle de toute la vie.

En d’autres termes, l’Eucharistie suppose la vie de charité qu’elle exprime, comme le baptême, nous l’avons noté, suppose la foi dont il est le signe et l’expression. Saint Thomas n’hésite pas à établir le parallèle : « Comme le baptême est appelé sacrement de la foi, ainsi l’eucharistie est appelée sacrement de la charité qui est le lien de la perfection ».

D’ailleurs, de même que le baptême, signe de la foi, en est aussi la source, ainsi l’Eucharistie, expression de la charité, en est l’aliment par excellence. Deux aspects qui, loin de s’exclure, s’impliquent l’un l’autre, et que Vatican II, en tout cas, rappelle avec une particulière insistance »[68].

On le voit il existe une dialectique ascendante qui va de la parole de Dieu à la foi vive, de la foi à l’Eucharistie, de l’Eucharistie à la communauté fraternelle. Plus encore : il y a non seulement dialectique mais vraie circumincession, en sorte que l’on a comme des dynamismes réciproques qui se fécondent mutuellement. Quand on néglige l’un, les autres inévitablement s’affaiblissent ; et il n’est pas rare que rapidement se produise une dialectique descendante de la vie chrétienne et communautaire.

Il y a des cas où non seulement la fécondité pourrait être mise en doute, mais où l’on se demande même si l’on a encore accès à quelqu’un de ces dynamismes. Lyonnet le dit nettement : « Pareillement le temple de pierres où se célébrait le culte de l’Ancien Testament sera remplacé par la communauté elle-même, ‘corps du Christ ressuscité’, comme le Christ l’annonçait aux Juifs scandalisés de le voir ‘chasser les vendeurs du temple’ (Jn. 2, 19-71) ; celle-ci sera le centre du culte nouveau ‘en esprit et en vérité’ (Jn. 4, 20-24). L’Eucharistie, en effet, peut se passer d’un temple de pierres, mais il n’y a pas de célébration du mystère eucharistique sans une communauté, ‘assidue à la communion fraternelle’, une église, présente, physiquement ou non, mais réellement, dont l’Eucharistie est à la fois l’expression et le principe »[69].

La Conférence des Religieux du Canada mettant en pratique la fonction de l’Eucharistie, a fait la recommandation suivante : « Que la communauté exprime et approfondisse par l’Eucharistie l’amour mutuel qui lie ses membres. Que l’Eucharistie soit le gage de l’authenticité et le sommet de leurs relations interpersonnelles. Que la communauté y trouve et y renouvelle son unité »[70].

En effet si l’eucharistie doit être non seulement signe réalisant, mais encore signe et expression de ce qui est réalisé, et si dans le premier cas il ne doit pas être magique mais proprement chrétien, il faut que, dans la limite d’un sain réalisme à l’égard des hommes, des lieux et des circonstances, et d’une obéissance intelligente à la discipline liturgique de l’Eglise, on fasse un effort pour rapprocher le plus possible le signe et le signifié, de façon que l’amour à ce qui est visible de l’Eucharistie nous amène à la perception et à l’amour de l’invisible amour qui bat dans le cœur du Seigneur et qui circule dans nos cœurs sous forme de charité fraternelle. Mettre à profit ce qui est permis, surtout dans les petites communautés[71]et selon les circonstances pour établir une vie de charité communautaire et des célébrations eucharistiques, est un devoir de toute communauté créative, surtout si l’on se rappelle que les moments les plus vivants de communauté avec le Christ ont été ceux qui ont précédé et suivi l’institution eucharistique et qu’il en était de même pour les premiers chrétiens  dans la plus grande partie des récits que l’on a dans les Actes des Apôtres.

Je me suis bien étendu sur les deux centres privilégiés où se trouve la nourriture de notre vie communautaire et où l’on doit puiser au maximum si l’on veut la renouveler ; je ne puis pourtant terminer ce point sans appeler aussi l’attention sur l’importance de l’autorité  dans et pour la communauté chrétienne.

En premier lieu, Parole divine, Eucharistie et Autorité sont inséparablement unies et cela, par la volonté du Seigneur. La hiérarchie est une des formes de présence les plus nécessaires et les plus vraies de Jésus  dans son Eglise. Il n’y a pas d’interprétation sûre de la parole du Seigneur, sinon à travers les yeux de l’Eglise, épouse du Christ. Dotée de charismes multiples, elle a reçu spécialement en la personne de Pierre, des Douze et de leurs successeurs le don du magistère et du discernement des charismes. Analogiquement et en un sens spécial et très important, il faut dire que la hiérarchie fait l’eucharistie, du moment que l’épiscopat transmet aux prêtres le pouvoir de consacrer et qu’il n’y a d’eucharistie valide qu’en communion – physique ou morale – avec la hiérarchie.

La communauté religieuse doit  donc être très attentive à vivre la parole de Dieu et la rencontre eucharistique et tout le tissu des rapports communautaires autour de l’autorité hiérarchique. Plus encore on se souviendra qu’il n’existe pas seulement l’autorité fondée sur l’épiscopat, mais aussi une autorité promue par l’Esprit par voie charismatique, sanctionnée par l’Eglise à l’intérieur de ses congrégations, qui réside dans le Supérieur de la communauté, et qui joue un rôle important  dans la vie commune.

On ne peut pas ce serait une triste caricature – parler d’union communautaire sans union avec le supérieur et sans union des membres de la communauté autour de lui. On ne peut pas parler d’union si elle est purement fonctionnelle avec le supérieur et n’a pas de correspondant dans l’union des cœurs. Le supérieur doit considérer qu’il est tenu à un double service envers la communauté : être l’infatigable collaborateur dans une trame communautaire à tisser ensemble, le principal ouvrier dans cette œuvre de construction spirituelle ; il doit employer son autorité comme un service authentique : « Je suis parmi vous comme celui qui sert »[72], de façon que la communauté apprécie de plus en plus la personne et le service de l’autorité.

En face d’une certaine méconnaissance existant en divers lieux au sujet de la vraie nature de l’autorité ecclésiastique, je crois que le témoignage le plus éloquent est la communication fraternelle faite par la communauté de Taizé aux Catholiques : « Dans l’Eglise, l’autorité se trouve fortement combattue, même quand elle se présente comme un service à la communauté chrétienne. Parfois il semblerait qu’on exige que l’autorité se mette au service de l’individualisme de chacun : on demande d’elle qu’elle soit toujours disposée à toute initiative considérée comme prophétique par ses auteurs.

On voudrait que l’autorité fût collégiale dans le sens que tous devraient être responsables et exercer cette responsabilité de quelque manière. Cette conception, qui manque de réalisme, dévalorise l’autorité : elle la convertit en une somme des volontés individuelles. L’autorité perd donc son caractère de signe de la présence du Christ comme tête de l’Eglise qui est son corps. L’autorité dans l’Eglise ne peut conserver sa valeur spirituelle qu’à condition d’être le signe de l’autorité de Dieu dans son peuple et non la somme des volontés individuelles »[73].

7. – Exercer la vie communautaire.

Même si cela semble paradoxal, en maintes occasions, on passe sa vie sans la vivre, c’est-à-dire sans en faire un acte libre et conscient. Et pourtant la vie a été donnée à l’homme non pour qu’il la supporte végétativernent, mais pour qu’il l’assume moyennant un acte conscient et volontaire.

Ceci vaut aussi pour la vie communautaire. Il faut la vivre et la perfectionner par l’exercice : un exercice qui sera habituellement naturel, mais qui à l’occasion ou périodiquement pourra être artificiel.

J’appelle, étymologiquement, artificiel cet art qui répare, et améliore la vie communautaire, et qui la nettoie de cette poussière qui chaque jour se dépose sur elle.

Il faut donc des réunions communautaires plus ou moins simples ou complexes qui se proposent de faire des exercices formels : une sorte de gymnastique de la vie communautaire, avec cette grande différence que si on peut les appeler gymnastique parce que certains font appel à une technique et parce qu’ils sont gradués, ils sont bien loin d’être pure gymnastique, vu qu’il ne s’agit pas d’exercices à blanc, mais de moments qui sont des sommets de la vérité communautaire. Oui, il faut l’affirmer : la vie communautaire n’est pas seulement la résultante des réalités qui empoisonnent l’existence : heures de fatigue, conditionnements, énervements, préoccupations qui causent de regrettables distractions ; non, elle est d’abord elle-même, c’est-à-dire cette vie que nous voudrions et que nous nous proposons si souvent de vivre avec et pour nos Frères.

Jamais nous ne sommes plus nous-mêmes personnellement, communautairement et institutionnellement que lorsque nous exerçons sérieusement notre pleine liberté.

Quant aux techniques et aux moyens[74]pour pratiquer le dialogue communautaire, ils sont nombreux. Citons par exemple : la révision de vie communautaire, la communication de vie, l’homélie communautaire participée, la révision apostolique, la correction fraternelle, le pardon communautaire, etc. … et la liste n’est pas exhaustive ; d’ailleurs la nomenclature change de nom suivant les lieux. Disons même mieux : la créativité communautaire peut susciter de nouvelles formes : celles qui paraissent plus utiles. Je veux simplement donner ici, à titre d’échantillon, deux témoignages remarquables que j’ai reçus sur ces dialogues fraternels communautaires, qu’ils concernent toute la communauté ou une partie – disons une équipe.

« Cher Frère Basilio,

Paix dans le Seigneur, spécialement en ces derniers jours de la session.

Pour le moment tout va bien. Je n’ai pas trouvé de directeur spirituel, mais dans les révisions de vie que nous avons, nous nous faisons un bien immense. Nous avons commencé par le spirituel et nous avons déjà touché la question de la pauvreté. Nous espérons être généreux avec les exigences de ce vœu. Il manque le témoignage de pauvreté individuelle et nous en sommes restés à contrôler réciproquement notre argent et ce que nous avons, et nous remettons au Frère Directeur ce qui est superflu.

Quoi qu’il y ait un peu de travail en retard, la vie spirituelle va bien.

Notre tâche est considérable, vu le nombre de Frères que nous sommes, mais il y a bon esprit dans la communauté ».

Et ceci d’un autre :

« Le travail par équipes de vie a été une initiative vraiment merveilleuse et féconde que Dieu a bénie abondamment. Plusieurs communautés en ont établi et une influence bienfaisante se fait sentir parmi les Frères. Dans la communauté de X…  j’ai promis de m’engager à fond pour que les équipes fonctionnent le mieux possible. Dans ma communauté nous avons réussi à en établir deux, avec plusieurs Frères dans chacune. Ils entraînent la communauté par leur exemple, exercent une influence irrésistible pour tout ce qui va dans le sens de l’amélioration. Aussi le travail de direction, tant de la communauté que du collège m’est extraordinairement simplifié. Selon le Frère Provincial, cette communauté est ‘devenue une des meilleures de la Province… »[75].

Parlant de ces exercices de vie commune, Sebastián Aguilar a pu dire : « Il convient d’introduire quelque exercice de vie commune qui ait pour fin l’union des personnes, la révision et la mise en commun des travaux avec la réglementation précise des activités de chacun, afin que personne ne reste en marge de la communauté, privé du bien évangélique de la vie commune. Pour le moment nous tenons pour acquit cette union spirituelle des personnes, alors que, c’est là le plus difficile à réaliser et un des biens les plus précieux de la vie religieuse[76].

Avec plaisir j’accepte la recommandation de Galot sur la prudence et les limites à respecter dans les réunions spécifiquement destinées à favoriser la vie communautaire et sur le fait que ce serait seulement exceptionnellement très exceptionnellement à ma manière de voir – qu’elles pourraient, dans le cas de petits groupes, jouer le rôle de direction spirituelle selon ce que me faisait savoir récemment un Frère qui disait tout l’enrichissement reçu ainsi sous forme de direction spirituelle dans un groupe de révision de vie. Mais venons au texte de Galot :

« En tout cas, bien entendu, la discrétion reste  nécessaire en ce domaine. La liberté de chacun doit être respectée, et il convient de reconnaître que chaque personnalité garde toujours un fond mystérieux pénétré seulement par le regard de Dieu, qui ne saurait être livré aux autres.

La discrétion spirituelle conserve également son rôle. Le but à poursuivre n’est pas qu’un religieux se fasse diriger par tous ses frères. La direction qui concerne les problèmes personnels de chacun et qui implique une ouverture plus particulière à l’égard d’un père spirituel ne se confond pas avec des échanges fraternels ; ceux-ci ne la rendent pas inutile.

Mais il est souhaitable que les rapports fraternels d’une communauté fournissent davantage l’occasion d’un enrichissement spirituel »[77].

8. – On doit bien penser aux niveaux divers de la vie communautaire, et faire attention à chacun d’eux spécialement quand surgissent des difficultés.

Dans ce qui est communautaire, comme dans ce qui est personnel en général, il y a un bon principe : chaque problème doit se résoudre au niveau où il se. trouve. Ces niveaux sont les suivants : le niveau des membres en tant que personnes, le niveau interpersonnel, le niveau communautaire proprement dit, le niveau institutionnel et structurel, et finalement le niveau historique ou dialectique.

Voyons au moins sommairement chacun, nous attardant un peu plus sur les trois premiers.

a) Niveau personnel.

La communauté ne devra jamais oublier la dignité souveraine de chacun de ses membres. La personne humaine est un absolu et si on exige d’elle certaines choses, c’est seulement en fonction d’un absolu supérieur, qui est Dieu, à qui elle s’est liée elle-même. On le lui demande donc non pas à titre d’infraction, mais de cohérence avec l’option qu’elle a faite elle-même librement.

La communauté doit accepter la différence des personnes qui veulent être complémentaires.

Elle doit aider chacun de ses membres à assumer sa responsabilité en toute liberté, amour et générosité.

Elle doit leur fournir des occasions de décisions et d’initiatives saines  dans de justes limites.

Elle doit accorder aux personnes la priorité sur les choses.

Spécialement le Supérieur doit veiller à ne pas se laisser absorber par les travaux administratifs au point de vivre absent de la vie, des joies et des besoins de ses Frères, et, ce qui serait pire encore, de perdre la maîtrise de lui-même, et de traiter ses Frères comme des « choses ».

Cela exige aussi de limiter avec prudence la taille des communautés. En général une communauté exagérément petite agace ou éteint par sa monotonie, et d’autre part, dans une communauté plus grande, les membres se perdent dans le troupeau. En effet dans les grandes communautés, les relations deviennent formelles et extérieures. Il faut donc, selon le caractère de chaque congrégation et le travail requis, déterminer quel est le chiffre maximum et le chiffre minimum que l’on peut accepter pour une communauté, et quel est, dans ce même sens, la communauté idéale.

Il n’y a pas de doute que pour obtenir ce résultat une enquête sociologique nous aiderait bien[78].

Une petite communauté, si elle a vraiment la charité, se prête mieux à la participation de ses membres à l’information, à la consultation et, le cas échéant à l’adoption d’une décision collective. Au contraire, selon une loi sociologique, plus la communauté croît au-delà de certaines limites, moins profonde devient l’intercommunication : la trame de la vie communautaire se distend.

Il est évident que pour pouvoir réaliser la vie communautaire dans le respect dû aux personnes, il faut observer la maxime : « être soi-même et laisser les autres être ce qu’ils sont ». Vraie au plan naturel, elle l’est aussi au plan surnaturel.

« Le religieux doit s’efforcer de comprendre chacun de ses frères, avec sa personnalité propre, avec sa voie de sainteté particulière. Le charisme communautaire de la vie religieuse pousse à respecter et apprécier en chacun un charisme personnel. Il importe en effet de noter qu’il n’y a pas seulement, entre les membres d’une communauté, des différences de caractère ou de tempérament, parfois des différences de nationalité ou de mentalité ; il y a surtout une diversité de dons spirituels accordés par le Saint-Esprit. Pour surmonter cette diversité et rejoindre l’unité que l’Esprit d’amour veut réaliser, il faut estimer chaque don personnel comme une contribution spéciale à une harmonie d’ensemble, comme un apport indispensable à la richesse de l’Eglise »[79].

Le possesseur de ce don doit se rappeler ce que dit encore Galot : « Puisque la vie religieuse est un charisme communautaire, les inspirations de l’Esprit-Saint données à chacun doivent profiter, autant que possible, à tous les membres de la communauté, les confirmer dans leur propre voie et les éclairer davantage »[80].

Il faut même dire de plus : Cet accueil de la personne au sein de la vie communautaire doit nous conduire, d’accord avec Saint Paul, à porter les fardeaux des autres (Gal. 6.2). Terme moyen difficile à traduire lorsqu’il s’agit de fautes, car St Paul ne nous exhorte ni à être complices et solidaires de ce qui est mal ni à rester passifs sans aider le prochain à se vaincre ni non plus à l’écraser s’il tombe. Le Christ n’a pas condamné ; il a pris nos fautes et a accompli notre rédemption.

A la lumière de tout cet exposé, on voit comment la vie commune doit s’organiser et se vivre pour qu’elle n’étouffe pas les personnalités, mais les perfectionne, les dilate et leur donne plus de force surnaturelle et apostolique.

Tout cela implique qu’il ne s’agit pas de fabriquer d’abord des moules, et ensuite d’y faire entrer les personnes, ou comme le disait finement quelqu’un, il ne s’agit pas de créer des difficultés pour entraîner à vivre saintement les difficultés.

Les personnes viennent vivre en communauté non pour annihiler leurs dons et leurs talents, mais pour les cultiver et les faire fructifier au profit du Règne du Christ : en d’autres termes pour que ces dons trouvent un terrain d’exercice. Il n’y a donc pas à faire dévier les charismes et les vocations authentiques, ni à fermer la porte au Saint-Esprit[81]. Bien sûr, cette profession de respect aux personnes ne signifie pas respect des individualismes ni des égoïsmes ; c’est pourquoi, une vie commune respectueuse des personnes ne peut se mener qu’entre convertis qui veulent vivre « aussi » en commun, en établissant horaire et règlement pour Dieu et le service pastoral des hommes. Ce règlement ajuste donc son orbite à une double attraction : le service du plan de Dieu et celui des membres de la communauté, compte terni de l’orientation spirituelle de celle-ci, de ses activités et de ses responsabilités.

Récapitulons : pour la réalisation dont nous parlons, il faut purifier en chacun tout ce qui vient, non pas de la nature, mais de la chair : égoïsme, fausseté, caprice, manque de solidarité, impureté, naturalisme, et même le subjectivisme et les intentions équivoques. Ce n’est pas du tout étouffer une personnalité, c’est la libérer et lui donner toute sa force.

b) Niveau interpersonnel.

Il s’agit de ce qu’on a appelé avec tant d’insistance : « rencontre de personnes ». On ne peut nous en dispenser pour aucune raison, qu’il soit question de la rencontre avec la collectivité ou avec un groupe, en tant que tel un patron par exemple, se rencontre avec le syndicat, entité collective, mais il est possible qu’il ignore la personne de chacun de ses ouvriers ou avec la structure qui réglemente la vie de communauté.

Chaque Frère ne doit être content que lorsqu’il a obtenu une rencontre réelle interpersonnelle et quand il a vraiment permis à ses Frères de le rencontrer dans sa vraie manière d’être, dans son originalité. Ne pas le faire peut parfois être paresse, négligence des relations sociales, égoïsme, ou, dans le meilleur cas, vertu mal comprise.

Ne pas avoir fait l’effort d’atteindre ce niveau, ne pas s’en être occupé comme il fallait, a’ produit des « micromassifications » et a donné à certains la sensation de vivre dans l’anonymat et la solitude. Comme a dit Mgr. Pironio : « Il peut se faire qu’on vive dans la solitude sans en être responsable, car ce peut être la faute des autres ou éventuellement des structures entre les prêtres d’un séminaire ou les membres d’une communauté ». Mgr. Pironio signale divers types de solitude qui se produisent soit par la faute de la victime soit par la faute de ses frères. Il vaut la peine de les énumérer, car ils peuvent servir à un bon examen :

La solitude physique ou géographique : exceptionnelle chez nous.

La solitude spirituelle. C’est celle du génie ou du saint ; solitude féconde, voie indispensable pour être quelqu’un : mais elle ne requiert pas l’isolement ; on peut et même il faut la vivre en harmonie avec la vie fraternelle.

La solitude morale ou psychologique. Elle est provoquée par l’indifférence ou l’égoïsme. Ce type de solitude est caractéristique des sujets imperméables ou introvertis. Elle est plus que physique : ou elle vient de l’ambiance, et alors elle n’est pas coupable ; ou elle vient de l’intéressé, et alors elle est subjective soit pour des raisons psychiques, soit pour des raisons pédagogiques. Elle revêt des formes particulières que l’auteur souligne : la solitude de l’homme satisfait de lui-même, celle de l’aigri, celle du délaissé ou mis à l’écart[82].

Nonobstant l’énumération riche et pourtant réaliste, et la description faite par le conférencier ci-dessus mentionné, je crois que celui-ci a oublié un type de solitude qui est inéluctable et accompagne l’humaine condition même dans la forme la plus qualifiée de vie en commun que l’on puisse vivre : je veux parler de la solitude de l’homme en tant qu’homme.

Quoi que fasse un homme, quoi qu’on fasse pour lui, il vit seul et il meurt seul : la communication, surtout au niveau du sous-sol de sa personnalité, est impossible. Comme dit Saint-Exupéry : « Nul ne parviendra jamais à la connaissance d’une seule âme d’homme, et il est un secret de chacun, un paysage intérieur, aux plaines inviolées, aux ravins de silence, aux paradis secrets »[83].

Il y a des religieux qui n’arrivent jamais à bien profiter de la vie communautaire, parce qu’ils exigent d’elle ce que mille communauté normale ne pourra jamais leur donner ; et la mesure de leur attente détermine la mesure de leur frustration. Toutefois, le mieux est de leur rappeler que même le mariage le plus parfait ne pourra jamais supprimer la solitude. « Même en agissant comme des époux, on ne peut se fondre l’un dans l’autre. Même la plus grande intimité qu’un être puisse avoir avec un autre y compris le cas de l’amour nuptial ne permet pas d’atteindre les dernières profondeurs de l’autre ‘Je’ ni d’ouvrir les portes les plus secrètes de son être »[84].

Il faut se réconcilier sincèrement avec le caractère fini, limité, imparfait de notre condition humaine. Bien des amis, bien des époux surtout ont saccagé leur union parce qu’ils n’ont pas eu le courage de l’imperfection. Ils avaient attendu l’absolu. lis n’ont trouvé que du relatif. Pensant s’être trompés d’adresse, ils ont naïvement espéré qu’ils obtiendraient ailleurs l’étanchement de leur soif d’intimité absolue. Ils ont brisé le bonheur possible pour poursuivre une chimère alors qu’en acceptant leurs limites ils auraient vu leur union s’approfondir chaque jour et devenir la source d’un bonheur sans cesse croissant…

Le sentiment de la solitude c’est la signature de Dieu au cœur de l’homme, c’est le signe infaillible que nous ne trouvons pas notre achèvement ici-bas et que nous sommes faits pour une patrie où les cœurs se pénétreront après être restés si longtemps occultés les uns aux autres, où les âmes seront l’une pour l’autre d’une transparence totale dans la lumière de Dieu devenu Lui aussi transparent.

Si la solitude est l’essence de la vie, pourquoi la mort ne serait-elle pas l’accès d’un pays où l’on n’est jamais seul ? »[85].

J’aurais besoin de trouver maintenant autant de profondeur et de profit spirituels que Vieujean lorsqu’il s’adresse à ceux qui veulent remplacer Dieu par la communauté ; car je désire pour finir cette section m’arrêter à un autre aspect plus approprié au thème de cette circulaire. Je veux parler de l’importance et de la fonction de la solitude pour construire la communauté. En effet, une communauté authentique ne se construira qu’avec des hommes qui ont une vie intérieure. Et la mesure de cette vie intérieure sera aussi celle de leur apport à la communauté :

« La solitude, dit Bamberger, est implicitement sous-jacente à tout ce que nous avons avancé sur la communauté, sur le langage et sur l’homme lui-même. La solitude est l’âme (au sens jungien d’anima) de la communauté. Elle en est le côté féminin. Il n’y a de véritable communauté que là où la communication et le langage sont en relation organique avec la solitude. Entre autres facteurs, c’est sa relation vitale au silence et à la solitude qui confère au langage sa valeur. Le silence et la solitude fécondent le langage ; ils lui donnent son âme, sa vie, sa profondeur et l’enracinement dans le sol des réalités concrètes »[86].

Comme conséquence, ou mieux, comme une des conséquences que l’on doit tirer pour la réalisation de ce niveau interpersonnel, il faut mettre l’accent sur l’acceptation de cette condition indispensable à la nature humaine, qu’est la solitude intérieure, si on veut que cette nature soit vivante et féconde, au service de la communauté. Elle le sera par le silence qui est l’espace de préparation à la rencontre, soit avec Dieu, soit avec cette partie de nous-mêmes qui est la plus riche et la plus authentique, soit finalement surtout dans notre cas avec le frère.

Mais la solitude et le silence deviennent toxiques et insupportables s’ils n’ont pas leur issue dans la rencontre. Personne ne se réalise sinon dans le contact avec un « Tu » ; et il n’est pas une seule forme de structure qui puisse dispenser de ce contact.

Il y en a, en théorie, qui voudraient vivre en relation affective avec une entité institutionnelle et collective, comme la communauté et l’Institut, mais sans que cette relation porte sur les membres eux-mêmes ; ils dépersonnifient l’Institut jusqu’à en faire une entéléchie. Un peu comme l’ensemble des traditions du passé qui, si précieuses qu’elles soient, font perdre de vue le prochain et le frère. Ces gens là n’entrent en contact avec la communauté que lorsque celle-ci se présente globalement, c’est-à-dire quand elle ne les oblige pas à une relation interpersonnelle. Tel était le cas de cet humoriste qui faisait dire à quelqu’un pour évoquer sa psychologie : « J’aime bien l’humanité : ce que je n’aime pas c’est les hommes ».

Me sentir solidaire avec des frères avec qui je m’entends à merveille et que j’aime, en faisant abstraction d’un passé et d’un patrimoine communs serait une adhésion imparfaite à mon Institut ; mais serait également imparfaite mon adhésion à ce patrimoine, et, à la limite, au Fondateur lui-même, si je n’aimais et ne cherchais la rencontre avec mes frères.

Donc cet état de communion permanente n’est pas cet état équivoque où la communauté semble vivre dans une douce quiétude parce que tout conflit est évité. Les conflits qu’on évite demeurent, même consacrés par la charité, et surtout si on se retire dans un silence morbide. Chacun reste sur sa position et préfère le silence et la solitude à un dialogue qui obligerait l’un et l’autre à se faire connaître. L’état de communion exige plus qu’un silence passif ; il exige un climat de communications faites en vérité et en continuité. On n’a jamais une connaissance définitive de l’autre : comme nous-même il évolue, il vieillit, il a son passé et son présent. Communiquer au niveau des personnes, cela veut dire que nos communications dépassent le niveau des urgences, et va jusqu’à rejoindre les personnes dans ce qu’elles ont de plus personnel[87]. Voilà l’important ! Bien des communications sont faussées au départ parce que nous voyons notre frère sous une fausse représentation. Le frère qui vit avec moi, je le connais depuis deux, cinq ou dix ans. Oui, je connais ses petites manies, ses caprices, ses talents de professeur, etc. … Et pourtant, il demeure pour moi cet inconnu à qui je n’adresse la parole qu’à l’occasion et souvent pour régler des urgences. Lui aussi, il a ses aspirations apostoliques, ses angoisses. Il a de commun avec moi toute une vie intérieure faite de l’expérience de la vie, expérience qui forme une dimension profonde de cette personne que j’ignore…

Nous sommes l’un pour l’autre une boîte à surprises. Sous des dehors contrefaits à loisir, nous cachons notre petit inonde secret.

En somme, la communauté est en état de communion quand les personnes sont engagées les unes par rapport aux autres plutôt que les unes en face des autres. Le groupe communautaire n’est pas en état de communion parce qu’on réussit à chaque semaine où à chaque mois quelques réunions d’échanges sur un sujet ou l’autre. D’ailleurs, bien des expériences ont vite fait de tourner à l’échec ou au silence d’un certain nombre de personnes, et cela nous semble suffisant pour conclure que le groupe n’est pas synonyme de communauté.

Bon nombre de réunions de communauté ne sont que des échanges de mots : on s’adresse la parole, on échange des renseignements, on les évalue, et on peut même se faire des compromis mutuels. Mais tout cela vu dans un contexte de continuité est tout à fait superficiel parce qu’extérieur aux personnes. Bien que ces faits ne soient pas à prendre comme des généralisations, ils n’en demeurent pas moins significatifs de nos difficultés d’établir de vraies communications »[88].

c) Niveau communautaire.

Quoique la rencontre entre personnes soit indispensable, elle est pourtant de toute évidence insuffisante. Là où la vie communautaire se serait transformée en une série de rencontres interpersonnelles ; même là où elle serait parvenue au degré le plus haut dans le domaine des rapports d’amitié et de rencontre de chacun avec tous les autres membres de la communauté, ce serait encore insuffisant. Il faut arriver non seulement à la multiplicité des amitiés, mais à la vraie communauté. Cela doit s’entendre d’une résultante qui, au-delà de la personnalisation et de l’amitié personnelle, et appuyée sur celles-ci, soit une unité totale : un être social qui vive, sente, pense et agisse comme un tout unique et organique.

La simple rencontre de personne à personne ne peut donner ce résultat. Ne le donneront pas non plus, des relations humaines sans maturité ou marquées d’une sociabilité surnaturelle déficiente. Il ne sera le fruit que d’une maturité et d’un réalisme humains joints à un intense amour du Christ qui nous est communiqué par le Saint-Esprit.

Ceci va bien au-delà des trois phénomènes contraires à la création de la vraie communauté religieuse, que je me contente ici d’énumérer :

1. – incapacité de constituer des communautés qui aillent au-delà de la communauté classique ou groupe d’affinités naturelles,

2. – constitution de groupes compacts irréductibles voire hostiles au sein de la communauté elle-même,

3. – présence de membres à caractère difficile ou simplement en marge de l’amour communautaire et de la vie communautaire, pour des causes très diverses, mais non insurmontables.

Qu’on me permette d’insister. On n’a pas le droit de parler de vie communautaire là où on n’a pas formé un organisme communautaire totalement sain ; là où l’on trouve seulement des kystes dont les éléments se prêtent mutuellement appui et justification pour nuire à d’autres groupes de la même communauté : on se traite de progressistes, d’intégristes ou ce qu’on voudra.

Il ne faut pas non plus parler de vie commune quand il y a des membres qui restent étrangers à l’intégration et à l’affection communautaires. Si on veut rénover la communauté, il faut balayer tous les sous-groupes sans charité et faire rentrer ceux qui sont sur la touche. Ce sont là deux points nécessaires pour la rénovation à ce niveau.

Ici se place le problème relatif au profil que doit avoir la communauté : équipe ou famille ?

Dans les deux concepts il y a des avantages. Le mot « équipe » attire par son caractère dynamique de groupe social, par son activité apostolique, par sa théologie naturelle, par l’ouverture toujours offerte à de nouveaux membres, face à l’écueil de groupes trop fermés ; enfin par la jeunesse qui le caractérise.

Le mot « famille », à son tour, draine des éléments de représentation qui ne manquent pas non plus d’intérêt : stabilité de composants face à ce qu’a de passager l’appartenance à un groupe ; acceptation mutuelle, puisque les membres d’une famille ne se choisissent pas mutuellement, mais s’acceptent et s’aiment ; exclusion des vues utilitaires chez les membres de l’entité familiale, car, au contraire de l’équipe, la famille donne accueil aux malades, aux vieux, aux inutiles et même aux membres-problèmes. Le terme « famille » est finalement bien plus théologique, vu que, pour les religieux qui composent une communauté, la fraternité entre eux n’est pas métaphoriquement, mais mystériquement réelle[89].

Le Concile paraît pencher nettement en faveur du mot « famille » dans Perfectæ Caritatis 1 et 15, et dans la Constitution dogmatique Lumen Gentium

Ce qui n’empêche pas que, tout en respectant les traits typiques d’une famille, on puisse incorporer les aspects positifs de l’équipe.

Former le niveau communautaire suppose un effort, requiert des conditions inéluctables, et comporte des risques de déviation.

Voici les conditions de son existence :

1. – Une âme collective réelle, ou si l’on préfère, une mentalité communautaire, un courage communautaire, une communauté d’idéaux et de jugements de valeur, et une volonté dirigée vers des tâches et des buts communs.

2. – Un dynamisme qui mette en vibration, qui réactive toutes les énergies sociales, et ce sera l’amour et la charité du Christ[90].

3. – Une expression de cet amour : l’unité à l’intérieur et à l’extérieur.

4. – Un exercice de toute cette vie collective : le dialogue et la collaboration en équipe.

A côté de ces exigences de la vie communautaire, il y a divers dangers : l’esprit de chapelle et de classe qui éliminent le sens ecclésial ; l’absence de tout risque qui produit un certain style d’irresponsabilité et d’hyper protection, pour ne pas dire infantilisme ; la discrimination interne, causée par les groupes, les cultures, les âges, l’appartenance à une nation ou à une région, désunion qui est la ruine de la vie commune et qui réduit celle-ci à un fantôme. Avec les tares de ce genre, la vie commune, en arrive, c’est hélas vrai, à une cohabitation physique, sans plus, à une communauté de corps qui se touchent quand les âmes se repoussent : massification écrasante qui, loin de former, dépersonnalise et ennuie : à la limite ce n’est plus qu’un naturalisme qui réduit la vie en commun à un vulgaire fait social remplaçant le mystère d’amour. ou à un ordre qui impose une obéissance servile à des personnes et à la communauté envers les structures.

d) Niveau structurel et institutionnel.

Une communauté religieuse n’est pas une communauté chrétienne quelconque ; ce n’est pas une communauté indifférenciée, mais une communauté d’une certaine nuance et porteuse d’un témoignage typique et parfois unique. Le problème n’est pas que, en vivant de l’amour chrétien, elle reçoit une différenciation extrinsèque qui la distingue comme la différence spécifique distingue un genre du voisin et le différencie. La charité se différencie de manière pluriforme, non au dehors mais au-dedans par la force de son dynamisme intérieur qui s’épanouit dans la diversité et la différenciation.

Dans ce sens, le soin d’une congrégation ou d’une communauté à être fidèles à leur physionomie particulière, n’est pas inversion de valeurs – comme si on mettait ce qui est premier : la charité, après ce qui est second : le style propre c’est l’unique manière, si on comprend bien les choses, d’être fidèle à la charité elle-même.

Nous avons d’ailleurs un devoir de vivre non une charité et une vie communautaire quelconques, mais celles qui forment la spiritualité et le patrimoine propres de notre Institut, et aussi le devoir de demeurer liés aux membres de la communauté et de l’Institut de façon particulière et avec une force différente de celle qui nous oblige envers l’ensemble des membres des autres communautés. Si vous me demandez ce que devient en tout cela l’union ecclésiale, je vous dirai qu’une cellule du cœur n’est pas unie à une cellule du pancréas de la même manière qu’elle est unie à une autre cellule du cœur. Normalement un chrétien ne reste pas étranger à l’Eglise et à ses membres, mais il n’y insère affectivement et fonctionnellement à travers les organes de cette Eglise, les communautés charismatiques et de base, où l’Esprit-Saint l’a destiné à vivre.

Vivre au niveau institutionnel c’est par ailleurs, être héritier d’un passé et à la fois être fidèle à ce qu’il représente ; c’est incarner, non de façon capricieuse mais adaptée à notre temps cette manière particulière de vivre en communauté les uns pour les autres ; c’est enfin conserver fidèlement et transmettre intact le dépôt aux générations nouvelles.

N’oublions pas néanmoins, même si cela semble paradoxal, que parfois le seul moyen de conserver c’est de changer. Mais changer pour être fidèle.

Ceci nous amène directement au problème des structures, parce que l’homme n’est pas un pur esprit, mais un esprit incarné, immergé dans le monde et dans le temps et destiné inévitablement à engendrer des structures qu’il pourra ensuite changer avec plus ou moins de rapidité, de bonheur ou de souplesse, mais au sein desquelles il devra vivre pendant quelque temps. Quand il jugera bon, il les remplacera par d’autres qui, à leur tour le conditionneront pour une nouvelle période.

Les structures, donc, sans jamais perdre leur cohérence et leur adaptation à la personnalité de l’institution – exception faite des cas graves et seulement par manière de suppléance occasionnelle doivent être humaines, souples et dynamiques, spécialement en ce qui concerne les formes de vie communautaire. Refuser cette manière de voir c’est plonger à nouveau dans la loi de l’esclavage ceux que le Christ a libérés de leurs vieilles chaînes. Le Concile nous invite à délester les structures de la vie religieuse de ce qui est désuet et inutile, et à les adapter correctement aux conditions des religieux d’aujourd’hui et aux exigences de l’apostolat d’aujourd’hui. C’est dans ce sens que la CLAR « organise l’horaire en accord avec les exigences de santé, d’apostolat, de repos et de mise à jour pastorale et culturelle »[91].

Et tout à fait à bon droit. « L’homme, de fait, vit pour changer. Dans sa vie, le changement n’est pas seulement une chose fâcheuse ; il est aussi condition de croissance. Et par là même il est un devoir.

Le problème est alors d’apprendre à réaliser les changements nécessaires au maximum de développement humain, avec la conviction que dans un climat de vraie santé humaine, il est plus facile de trouver Dieu. Car là où l’homme est plus intensément présent, Dieu est présent lui aussi »[92].

Par ce qui précède on voit comment il est impossible d’encadrer dans un règlement fixe et définitif – une fois pour toutes – la vie commune. C’est une affaire d’attitude d’esprit et de position théologale, qui refuse de se laisser emprisonner, et cela, non pas par esprit de rébellion mais par appel de la liberté et de l’impulsion que donnent le service et l’amour. Cet amour et ce service portent à accomplir le commandement « nouveau », en sacrifiant toute une vie pour le bien des autres, en qui l’on voit les représentants du Seigneur. Sur ce sujet, il est difficile de trouver meilleure orientation que celle indiquée par Sebastián Aguilar et qui représente un juste milieu très sage : « Il est clair en effet que, même dans le cas d’hommes vraiment convertis, une certaine discipline est nécessaire. Oui, se mettre d’accord sur des points communs et vouloir régler dans un certain ordre des points de vue différents, est une entente qui n’a vraiment lieu que lorsque les personnes sont proches de la volonté de Dieu. Alors se fait jour une discipline aussi souple que réelle ; ce n’est plus une loi de surveillance – ce qui est devenu superflu ou de contrainte ; c’est une conclusion que l’on découvre par réalisme et par charité pour vivre en commun et pour collaborer ».

« Ce que nous avons dit n’a pas de sens si l’on pense à des êtres angéliques qui pourraient mener une vie impeccable, sans besoin d’autorité, ni d’aucune norme. L’autorité, la loi, existent dans la communauté et à son service ; au service des personnes qui la composent et de leur maintien à la hauteur surnaturelle de la paix et de l’amour fraternel.

Concrètement et pour fermer la route à tous les idéalismes, tenons compte du besoin d’un règlement de communauté qui ordonne et raffermit les liens de l’unité. Tout d’abord, le complément effectif des vœux est la structure fondamentale qui soutient du dedans la vie de la communauté. Détachement effectif des biens et possession en commun de ce qui est nécessaire pour la vie du groupe et pour l’efficacité de chacun. Chasteté évangélique, considérée comme démarche vers un amour vraiment surnaturel et fraternel. Soumission de tous au bien de tous et de chacun sous l’action unifiante de l’autorité. Il faut aussi d’ailleurs, inévitablement, une certaine institutionnalisation d’autres appuis indispensables à la vie communautaire et à sa réalisation effective : vie ensemble, uniformité de quelques exercices fondamentaux d’oraison et de formes de vie, etc. …

Sur ce point, deux observations : il faut que cette réglementation de la vie surgisse d’une vraie volonté de communion et conserve toujours ses références aux exigences réelles de ce but. Il faut être en garde pour que le Règlement ne s’empare pas d’un pouvoir qui ne lui appartient pas et ne devienne une fin qui trouve sa justification en elle-même. Tenir la juxtaposition matérielle de plusieurs vies pour une vraie vie commune sans s’astreindre à l’union spirituelle des personnes c’est donner une valeur sacrée à quelque chose qui n’a pas cette valeur en soi et s’exposer par suite à se fermer la route d’autres biens plus importants.

Le ‘motu proprio’ Ecclesiæ Sanctæ nous aide à nous délivrer de ce danger, en prévoyant la possibilité que ce règlement commun soit variable d’une communauté à l’autre du même Institut, suivant les activités et les situations. On admet la possibilité que les membres de la même communauté ne soient pas tous astreints au même habituel règlement de vie pour des raisons de travail ou de ministère. Si le cas se présente, cette situation ne doit pas être considérée comme dispense ou imperfection de vie commune, mais comme manière normale d’organiser ou de faire progresser la vie commune  dans ce cas concret. L’imperfection serait d’imposer un règlement qui ne tiendrait pas compte des circonstances concrètes des personnes pour les. quelles il est fait, car cela entraverait les occupations légitimes qui n’entreraient pas  dans ces schémas préfabriqués. Dans ce cas, une telle organisation de vie ne serait pas l’expression vraiment sensible d’une vie commune réaliste et fraternelle…

Ce que l’on demande c’est que tous les éléments disciplinaires et ascétiques soient effectivement mis au service de la charité universelle et du bien surnaturel des personnes concrètes qui forment la communauté, et que ce soit la charité qui impose l’aimable climat de confiance et de simplicité fraternelle qui doit régner dans une famille réunie au nom du Seigneur »[93].

e) Niveau historique, dialectique ou d’extension, de la vie communautaire.

J’aimerais développer ces points, mais pour abréger je n’y ferai qu’une brève allusion.

Parlons d’abord de l’aspect dialectique et de l’extension de la vie communautaire, à partir du mystère du Christ.

Effectivement l’amour n’est pas dans le christianisme une cause sans effet. La communauté, c’est l’amour qui l’engendre, et l’amour donne ensuite ce que nous appellerions ses sous-produits ou ses fruits : expression, communion, service et joie. La « source » de cette communauté, son originalité, son centre et son dynamisme sont Jésus-Christ et son Esprit. C’est le sens des textes suivants :

« En admettant que chaque personne donne à la communauté sa consistance et sa physionomie ; admettant que certaines personnes, par leur valeur, leur influence, donnent à la communauté sa consistance, nous pourrons comprendre que si un homme, qui est Dieu, vient à faire partie de cette communauté humaine, celle-ci recevra une dimension et une signification nouvelles, une plus-value dont on ne peut rendre compte que par notre foi en Dieu qui devient homme »…

« Dire que la personne ou la communauté humaine devient chrétienne, c’est affirmer qu’elle reçoit un dépassement ou une dimension nouvelle en raison de sa relation actuelle à la personne du Christ »[94].

« La présence au monde, quelles que soient ses formes, est de toute façon essentielle à la communauté chrétienne, qui doit toujours être foyer rayonnant d’unité et d’accueil. C’est par là qu’elle témoignera du Dieu vivant, de Jésus-Christ, et de sa volonté de servir l’unité du monde et la communion universelle des hommes »[95].

En effet, le dynamisme de la vie chrétienne croît – et toute vie religieuse prise au sérieux doit croître aussi   si nous voulons répondre à l’appel qui nous est lancé pour une rénovation. Et cette croissance doit arriver au point qu’elle devienne exemple et sacrement de l’unité du monde et de la fraternité des hommes. Ainsi entendue, la vie de communauté finit par être le Saint-Esprit à l’œuvre en chacun et le poussant à se donner, à agir, à recevoir, à entretenir et à créer des relations positives avec les autres ; c’est le Christ qui vit et croît dans la communauté. Peu à peu naissent alors des formes qui se concrétisent, vivent et manifestent de mieux en mieux cette union au fur et à mesure que l’on s’approche d’une mentalité eschatologique en quelques parties du monde et de l’Eglise et que progresse la marche du reste vers l’unité. La vie communautaire vécue dans sa forme virginale et, telle qu’elle existe, rendue possible seulement par l’amour et par le célibat, est une des manifestations qui reflètent le mieux le progrès de l’unité dans le monde. La vie religieuse est ainsi le complément de la vie laïque séculière et représente le pôle eschatologique comme la vie laïque représente le pôle de l’incarnation : c’est l’affirmation très pertinente de Matura[96].

On comprend facilement qu’une communauté ainsi réunie par la puissance et l’attrait de l’Evangile et avec un style de vie si particulier – disons si normal – n’a de sens qu’en Jésus-Christ. Toute communauté chrétienne se réfère à l’Evangile et a en lui sa source : mais la communauté religieuse est heureusement condamnée à vivre seulement dans l’orbite de l’Evangile. Se séparer de ce centre lui serait fatal ; elle perdrait toute sa raison d’être.

A l’intérieur, la communauté croît donc en approfondissant et en améliorant son amour et son unité ; elle croît à l’extérieur en rayonnement, en témoignage et en « diakonia » ; jusqu’à devenir que plus en plus la servante du monde par la force d’amour et de libération qui se développent en elle. Par dynamisme intérieur, elle tend au don total d’elle-même.

Mais tout ne va pas d’un bout à l’autre sans qu’il n’y ait des hauts et des bas. C’est d’ailleurs pour cela que le Concile nous appelle à la réforme. En tout cas, c’est pendant le pèlerinage d’ici-bas que les communautés religieuses ont l’occasion de révéler leur niveau d’historicité et de liberté. Va-et-vient, flux et reflux entre don de soi et autodéfense, vicissitudes dans la fidélité à l’Esprit-Saint et au Fondateur, embourgeoisement et laisser-aller mondain, tout cela est du pain quotidien.

En combien de communautés trouve-t-on des discordes causées par des tendances à la fois authentiques et presque inconciliables, ruine de l’harmonie fraternelle ! On ne peut rien leur faire de mieux que cette recommandation de Tillard :

La réforme ne doit pas s’accomplir sans la paix ou en détruisant la paix[97].

Une fausse paix ne peut servir de justification pour bloquer la réforme[98].

Mais passons au niveau historique[99].

La vie communautaire des instituts religieux est un phénomène de solidarité, d’engagement et de fidélité, non seulement dans l’espace géographique, mais aussi dans le temps.

Elle est à la fois un devoir et un fait historique, du moment que ce devoir est une tâche à réaliser dans le temps, une tâche confiée à l’action libre des hommes. Ceci donne la dimension historique des Instituts, imprévisible ou, disons, diaphane dans sa projection vers le futur, mais connue et susceptible d’être évaluée par des jugements de valeur, quant au passé. Un de ces aspects de la dimension historique est constitué par les diverses formes où s’incarne la vie communautaire selon les époques, et par un fait de solidarité avec ceux qui nous ont précédés et ceux qui viendront après nous.

En un mot : la vie de communauté ne peut être, ni dans l’Eglise, ni dans la vie religieuse, une solidarité limitée à l’aujourd’hui ; plus encore : il peut y avoir des faits de solidarité dans l’aujourd’hui qui sont anti-communautaires, parce qu’ils établissent une rupture de communauté avec les sources d’un Institut et par conséquent, avec le Fondateur et avec l’Esprit qui l’a inspiré. Par contre, il peut y avoir, à l’occasion, des changements à l’égard d’un passé plus ou moins immédiat, qui sont une vraie restauration d’une solidarité perdue.

Toute prétendue réforme de la vie commune doit tenir grand compte de cette dimension bien rarement prise en considération, si l’on ne veut pas tomber dans un excès d’arbitraire face à ce qui fait l’essentiel d’une famille religieuse et face aux adultes qui y sont entrés avec la conscience de s’incorporer dans une famille orientée d’une certaine façon et qui peuvent découvrir un jour qu’ils se sont déplacés de cent quatre-vingt degrés dans cette congrégation même qui est devenue la leur. Il faut réagir contre la tentation de ne pas écouter les points de vue et de ne pas tenir compte des droits légitimes des religieux mûrs, et surtout des anciens.

Naturellement, en disant ceci, je pense aux questions essentielles et non aux éléments accessoires et purement secondaires qu’il serait contre-indiqué de défendre et qui pourraient donner occasion – et ceci serait plus regrettable – à des divisions et à des partis. Sur nombre de points, les partisans du statu quo doivent comprendre que, bien des fois, on n’est fidèle à la tradition qu’en changeant ; bien entendu, lorsque se pose la question de ces changements, tous ont droit à être entendus ; et pas seulement les partisans des changements.

Voici quels doivent être les deux pôles de la vie en commun : d’une part ne jamais rompre la communion avec le passé et être des préparateurs du nouveau patrimoine pour l’avenir ; et d’autre part, modeler l’Institut avec un visage et une stature adaptés à notre temps, et pour cela, établir la forme de vie communautaire en ôtant de son visage et de sa stature les traits qui étaient ceux d’une époque et d’une société révolues.

La succession de ces visages de la vie, des formes institutionnelles qu’elle prend dans le cours des temps, et les phénomènes de décadence ou de résurrection, de fidélité ou d’adultération que cela entraîne, telle est la dimension historique de la vie communautaire. Bien que cela paraisse surprenant, la vie communautaire, organisée selon l’exposé qui eu a été fait – vie communautaire en esprit et en vérité ; vie communautaire appréciée et vécue non en surface, mais dans son cœur et son âme – ne peut renoncer à sa dimension d’histoire-au-passé et d’histoire-au-futur. Cette histoire met en évidence son caractère de mystère ecclésial et de communion avec beaucoup de gens de notre temps qui ne peuvent pas comprendre la dimension qu’on pourrait appeler congrégationnelle de la communion des saints.

Il serait intéressant de s’attarder à donner ici une série de consignes qui, me semble-t-il, sont des principes valables et nécessaires,  dans ce « cheminement historique » non seulement pour ne pas rompre cette communion des saints dans le temps, mais pour la réaliser et la perfectionner. Ces principes seraient également utiles pour apprécier le passé et distinguer vraie et fausse tradition ; mais il faut savoir se limiter.

f) Donner une formation adaptée à une vie communautaire en profondeur.

Il n’est pas question de former en vue d’une pure coexistence pacifique, ni même pour une quelconque vie d’amour, mais pour une vie où l’amour soit exprimé.

Une des choses dont il faut tenir compte c’est que la vie communautaire ne s’organise pas selon des recettes préfabriquées, mais grâce à une infatigable créativité à la lumière des bons principes. Rien n’est plus fécond pour la pratique qu’un bon principe – dans le sens correct bien que restreint du mot, c’est-à-dire bonne théorie à condition d’appliquer ce principe de façon efficace et souple face aux situations concrètes. Transmettre les grands principes capables d’éduquer le sens des relations et l’amour fraternel c’est cela qui s’appelle former pour la vie commune.

Et cette formation doit inculquer une mentalité, des vertus humaines, une ascétique et une mystique adaptées à la vie communautaire.

Pour réaliser ce travail il faut préparer les sujets en formation à éviter deux écueils :

a) Donner dans un certain « lyrisme » sur la vie communautaire, ressassant à l’excès ce qui s’écrit et se dit sur ce thème si riche, et ensuite dans le réel amène plutôt un recul qu’un progrès ; lançant la formation d’équipes qui, à l’usage, en viennent à chercher leur intérêt contre le bien commun. On dirait qu’il s’agit de syndicats qui se « mentalisent » réciproquement à coups de belles phrases et de dialogues répétés pour défendre à outrance et selon le style des groupes de pression leurs propres intérêts, leurs idées et leurs goûts, face aux autres Frères de la communauté.

b) Vivre les réunions communautaires avec une grande « communion apparente », alors qu’en réalité, les personnes restent cloisonnées à l’intérieur.

Je cite un témoignage : « Nous avons des réunions officielles de communauté, pour viser à l’amélioration de la vie communautaire, mais nous constatons que les personnes y demeurent extérieures les unes aux autres ». Ce qu’il faut chercher c’est la rencontre des personnes et par là aboutir à des communautés de valeur. Oui, plus loin que le personnage, c’est la personne qu’il faut découvrir. Et comme cette découverte doit se faire en toute liberté et respect, il faut que chacun apprenne à manifester non son personnage, mais son vrai moi.

Les deux pôles qui doivent orienter l’essentiel de la formation sont la technique et l’esprit.

Par la première, j’accepte de donner à la nature et à ses lois toute leur importance et leur valeur ; et en même temps j’évite les sacralisations et un certain surnaturel qui espèrent obtenir presque par miracle tel résultat dont le temps se chargera de montrer qu’il ne se produit pas. Parmi les meilleurs moyens d’ordre technique je le répète encore – il faut signaler la dynamique de groupes et les diverses formes de dialogue dirigé.

Par le second, on évite le naturalisme et ses résultats décevants : on se lance dans certaines initiatives de la vie communautaire ; elles sont suivies de brèves flambées d’enthousiasme, mais très vite, hélas ! s’évanouissent les soi-disant communautés expérimentales avec le départ graduel de leurs membres ou parfois la brusque rupture du projet initial. Et c’est logique : il n’est pas facile de faire cohabiter des égoïsmes même si tout le monde est plein de bonnes intentions et agit en toute bonne foi.

Quant à l’esprit qui doit présider à la formation, j’ai déjà expliqué ce qui fait la mystique des réalités qui motivent et meuvent une grande volonté de vie communautaire. Je voudrais maintenant conclure en faisant remarquer que, à côté de cette mystique, il faut une ascèse et une éducation orientées vers le réalisme. Une ascèse, car les motivations procédant de la mystique pour la vie communautaire n’atteignent pas la volonté des hommes, qui ont l’habitude d’être libres et disponibles ; ce qu’elles atteignent ce sont les volontés partiellement bloquées ou désorientées par l’égoïsme et le manque de maturité morale, donc des volontés aptes à la vie commune.

C’est dans l’oubli aujourd’hui fréquent de cette vérité qu’il faut chercher peut-être la raison du naufrage de tant de projets qui reposaient pour, tant sur beaucoup d’expérience et méritaient de connaître un heureux résultat.

Un Frère lancé dans une expérience intéressante me disait : « Je ne puis accepter une communauté-ferment qu’à condition que ce soient des hommes-ferment qui la composent ». En effet pour être un homme-ferment, il faut avoir fait en soi-même une action purificatrice au moins quant à l’indispensable.

L’ascétisme individuel, surtout s’il n’est qu’extérieur, est donc insuffisant de toute évidence pour préparer les hommes à être libres et capables d’être rapidement stimulés par une mystique communautaire. On pourrait dire que cela exige un certain type d’ascèse : « une ascèse spécifique ».

C’est à ce propos que Sebastián constate : «Une mise en action trop extérieure de l’ascèse laisse survivre une foule de sentiments qui atteignent le cœur même de la vie commune : l’envie, l’ambition, la paresse, le manque d’intérêt, d’empressement et d’amour pour les autres, et tant d’autres défaillances dont nous, les hommes, nous rendons coupables continuellement.

Si l’on supprime ces vices, et si on les remplace par la vraie charité, alors, oui, l’ordre et la règle de vie surgissent spontanément et s’enracinent vraiment dans les cœurs. Par contre, si ces vices continuent à couver, il n’y a pas de discipline extérieure qui sera capable d’unifier la communauté, ni une communauté qui acceptera une discipline commune qui ne correspond pas à de vraies dispositions intérieures »[100].

Si l’ascèse est nécessaire pour la vie commune, du seul fait que celle-ci doit être vécue par un homme réel – avec tout ce que cela signifie – ce réalisme a au moins autant de raison d’être du fait que chacun doit vivre en communautés réelles avec d’autres hommes, eux aussi réels. Ce sens du réel, il faut le communiquer au candidat, sinon, devenu religieux il réduira vite son effort de créer une communauté.

Pourquoi ? Parce qu’il aura lié cet effort à une condition idéaliste : vivre dans des communautés parfaites avec des religieux parfaits. Cette situation n’existant pas, il y aura donc abandon de l’effort personnel ; et cela, par une inadaptation au réel qui va se camoufler sous un schéma de justification.

Tout vient d’une erreur initiale : croire que mon effort de charité doit se pratiquer au sein d’une communauté parfaite.

La vie communautaire, dans un sens et un niveau élevé, n’est donc pas un point de départ, mais un point d’arrivée.

Les mécanismes de réalisation de la vie communautaire auxquels il faut que les formateurs soient très attentifs sont : le dialogue, la coopération et la participation.

Par la participation, les biens de la communauté et ceux de chacun deviennent ceux de tous. Par la coopération, les tâches, soit d’ensemble soit individuelles deviennent communes et les membres deviennent équipe. Par le dialogue, les esprits se corrigent, se complètent et s’unifient dans la possession de la vérité.

Il faudrait bien des pages pour traiter des lois qui doivent orienter et diriger l’exercice de la participation, de la coopération et du dialogue. Je me contenterai de parler de ce dernier ; ce n’est d’ailleurs pas afin de nous faire croire que le dialogue est tout. On peut arriver à dialoguer magnifiquement, et puis en rester là. Les exemples ne manqueraient pas.

Le dialogue est le vestibule de la participation spontanée et de la collaboration. Avant tout il faut que la lumière entre et que se produise l’accord des esprits. Et par ailleurs, comme j’ai invité les communautés à cet effort de dialogue, je veux les aider de quelques conseils pratiques.

Dialoguer c’est marcher de conserve vers la vérité. Plus encore : comme la vérité existe de façon partielle en chacun des membres de la communauté, le dialogue est aussi une intercommunication. Donner, chercher et recevoir : telles sont les trois fonctions caractéristiques du dialogue, car la vérité est en moi, dans les autres, dans le réel et en elle-même.

Bien sûr, elle est avant tout en Dieu, et cela exige que je me rapproche de Lui et de sa Parole par la lecture et l’oraison ; cependant elle n’est pas seulement en Lui, et, par ailleurs, ce qui nous intéresse pour le moment ce n’est pas le dialogue tel qu’il se présente dans l’oraison, mais le dialogue avec la communauté.

Ce dialogue n’est pas, et même il est bien loin d’être une méthode pour que des personnes ou un groupe « pré-constitué » décident ensemble que « leur » vérité est « la » vérité, et partant, aient pour première intention de leur dialogue, d’imposer cette vérité aux autres ; ce n’est pas non plus la préfabrication de schémas bâtis intentionnellement pour la « conscientisation ». Dans ce cas, le dialogue ne serait plus recherche, mais entraînement à se servir d’un matériel préparé pour que le groupe arrive à une thèse et à des résultats généraux proposés comme objectif valide par les préparateurs du matériel.

Il est certain que tout groupe qui dialogue, se rencontre, à l’intérieur de quelques limites théoriques : limites de magistère à l’égard par exemple de la Révélation, ou limites de démocratie à l’égard des options. Cela peut dépendre de l’Institution à laquelle on appartient, ou, comme c’est le cas pour nous, de notre famille religieuse, ou du sujet traité, ou du niveau de subsidiarité auquel a lieu le dialogue. Mais il n’en est pas moins vrai que personne n’a aucun droit de limiter abusivement, en deçà des limites normales, le terrain du dialogue et de l’option, soit pour escamoter le thème, soit pour en présenter les données dans une certaine orientation unilatérale, soit par manque de technique dans l’exercice même du dialogue.

Voici quelques normes qui peuvent bien servir dans les communautés pour conduire respectueusement le dialogue. C’est surtout les jeunes religieux ci. les supérieurs qu’il faut y former. Les premiers aiment beaucoup le dialogue, mais ils ne savent pas toujours le pratiquer. Les seconds sont obligés de le pratiquer, mais ils ne savent pas toujours l’accepter de bon gré et le mener avec sérénité et respect.

1) Le dialogue doit avoir pour base un amour déjà habitué à la vérité et à la rectitude, mises au-dessus de tous les intérêts subjectifs qui peuvent se présenter.

2) En dialoguant, il ne faut pas oublier que le Christ est présent dans la vérité, parce que c’est dans la Vérité que s’éclaire et vient demeurer toute vérité. Et la Vérité est une et s’appelle Christ.

3) Il faut se former à quelque chose qui souvent s’avère difficile : accepter la vérité du frère, du prochain.

Il nous est facile de l’accepter quand elle naît de notre effort personnel ou nous est transmise par un livre ; mais nous l’admettons plus difficilement quand elle vient d’un frère qui nous oblige à abandonner notre thèse.

4) Il est plus difficile encore de recevoir la vérité en communauté, en public ; et nous n’arrivons pas à nous apercevoir que bien souvent l’Esprit nous parle en communauté.

5) Dans le cas d’égalité et compte terni de l’égocentrisme dont nous sommes infectés et qui avec l’individualisme, détruit tant de bonnes choses qui pourraient exister  dans la communauté ou l’Eglise, mieux vaut la vérité qui me vient de l’autre que celle qui vient de moi, parce que, en la recevant, je pratique le dialogue en son aspect le plus difficile, je renforce l’échange et je tisse des liens communautaires. En même temps, je pratique une ascèse qui me prépare à de futurs dialogues et j’évite le danger d’erreur par passion.

Une chose est certaine : pour les biens matériels il est plus facile de les recevoir que de les donner ; mais pour la vérité, il est plus facile de la donner que de la recevoir.

6) I1 faut savoir commencer le dialogue : si chacun y est disposé mais que personne ne commence et que tout le monde attende, le dialogue ne démarre pas et se déroule encore moins.

7) Pour commencer, le mieux est de se mettre dans une attitude réceptive ; dans le dialogue à deux, je consulte ; dans le dialogue communautaire, je demande ; mais que ce soient une vraie consultation et une vraie demande et pas seulement méthodologiques, presque fictives, comme cela aurait lieu si l’on avait déjà fait préalablement une option (théorique ou pratique) et qu’elle ne fût pas modifiable. Dans ce cas, ce serait une mystification et, si elle se répétait, elle aurait tôt fait d’éloigner les participants. Si on consulte ou si on demande, c’est parce qu’on veut savoir ; parce que lorsqu’on sait quelque chose on veut le confronter avec les autres pour mettre à l’épreuve ce désir de vérité que l’on ressent comme une fierté.

8) Cela exige que l’on aille aux réunions sans armes ; pour la recherche, non pour la bagarre. Non pour vaincre, mais pour rencontrer. Avec la conscience que « ma » vérité est limitée et impure et qu’elle se trouve dans un stade de purification et de perfectionnement.

9) Je dois, ensuite, examiner non pas tellement si j’ai ou si je n’ai pas la vérité, mais si vraiment je l’écoute et si je sais adhérer à la vérité que je découvre dans les autres.

10) Finalement, je dois examiner si les dispositions avec lesquelles je donne ma vérité et avec lesquelles je la reçois des autres sont évangéliques : si je la donne avec un cœur chrétien ; si je la donne avec amour, respect, tact, graduellement, modestement, délicatement, avec pureté d’intention, effort d’objectivité et de vérité.

Est-ce que je la reçois avec gratitude, avec ouverture et de bon cœur, avec humilité et simplicité, sans avoir un sentiment d’échec ou de revendication ? plus encore, est-ce que je cherche avec désir de recevoir ou bien, en écoutant, n’ai-je pas seulement l’idée de découvrir les fragments d’erreur qu’il peut y avoir chez l’interlocuteur ? Enfin, quelle que soit ma place, suis-je capable de changer d’opinion avec naturel s’il le faut ?

Les formateurs pourront trouver des livres précieux et des cours de techniques de dialogue, de constitution et de fonctionnement d’équipes, et de dynamique de groupe : c’est pourquoi je ne veux pas, à cause des limites auxquelles je dois me tenir, faire ici une présentation abrégée et, par là, déficiente de ces techniques ; mais j’ai voulu faire imprimer ces conseils qui peuvent nous éduquer en des moments si favorables au bon usage – à l’usage chrétien – du dialogue.

Oui, c’est ainsi que l’on s’éduque au dialogue : la possession historique de la vérité est une étoffe que l’on tisse, un accès que l’on cherche vers la Vérité. Vers une vérité qui se fait (qui se subjective) en communauté : « veritatem facientes in charitate ». Vers une vérité qui non seulement se cherche en tant qu’orthodoxie, mais aussi en tant qu’«orthogrâce », car la vérité a une fonction salvifique et non uniquement théorique. Quelle profondeur dans cette parole du Seigneur : « La Vérité vous rendra libres » ! Plus encore : la vérité mettra le Seigneur au milieu de nous, car Il a promis d’être au milieu de ceux qui se réunissent en son nom. C’est en son nom que se réunissent ceux qui en vérité cherchent la Vérité.

Combien il est nécessaire de nos jours de former à tout cela !

Nécessaire aussi un progrès pastoral et pédagogique qui comprenne combien est difficile la marche historique de l’humanité vers la lumière. Tagore avait bien le sens de ces limites humaines dans l’accès à la vérité : « Si tu fermes la porte, disait-il, à toutes les erreurs, tu laisses dehors la vérité ». On comprend le sens : la vérité absolument pure ne se trouve dans l’intelligence d’aucun homme. Cela doit nous rendre respectueux dans le dialogue, même avec ceux qui se trompent, surtout s’ils agissent de bonne foi.

Cela doit aussi nous porter à ne pas exiger pour nos vérités et nos opinions plus d’assentiment et de consentement qu’elles n’en méritent d’après leur objectivité.

Cela veut dire enfin qu’il faut rester unis dans l’amour et la paix lorsque, en toute bonne volonté, notre dialogue n’a pas pu aboutir à un accord[101].

Quand vraiment le dialogue est chrétien, il ne doit jamais dissocier la communauté, ni blesser la charité. Il pourra se faire qu’il n’arrive pas à l’accord ou que, y étant arrivé avec bonne intention, cela ne coïncide pas avec la vérité, car la réflexion communautaire est faillible sur bien des aspects ; mais ce qu’il ne doit jamais faire du point de vue moral et chrétien c’est de briser les liens d’affection. Ne serait-ce pas le moment d’examiner, non pas même entre confessions chrétiennes, mais à l’intérieur de l’Eglise Catholique, si notre christianisme a monté ou baissé, lorsqu’on voit le triste spectacle d’oppositions qui non seulement prolifèrent, mais claironnent leur existence et exigent qu’on soit de leur côté : chose injuste et plus encore propice à diviser douloureusement les chrétiens en groupes incapables de la moindre vie ecclésiale commune ?

Oui, formons à la « convivence » ; à une « convivence » non pas élémentaire mais pleine, en un moment où les communautés et les instituts passent par une crise sérieuse à la recherche de leur rénovation post-conciliaire ; or, cela pose une question d’essence et de priorité, si nous voulons que la vie commune ne devienne pas un thème lyrique, mais une réalité qui rende témoignage au Dieu vivant et à sa volonté de servir le monde dans la communion universelle de tous les hommes.

Nous avons parlé de la formation au dialogue. Il aurait été aussi important de parler de la viabilité, de la convenance et des limites de l’existence d’équipes dans les communautés, d’équipes soit intracommunautaires, soit intercommunautaires et même inter-congrégationnelles ou d’un pluralisme encore plus étendu.

Mais de nouveau il faut se borner et laisser de côté en partie ce thème. Dans l’impossibilité de parler de chacune de ces catégories, je me limite à formuler quelques considérations concernant, sinon exclusivement, du moins en grande partie, les équipes intracommunautaires. Leur existence n’est pas du tout obligatoire dans nos communautés ; mais compte tenu qu’elles sont un phénomène qui se généralise et auquel beaucoup se sentent attirés, et réfléchissant par ailleurs que de leur création bonne ou mauvaise résultent de grands avantages ou de sérieux inconvénients pour la vie fraternelle de la communauté entière, je crois qu’il devient de plus en plus nécessaire que dans les maisons de formation on puisse donner une bonne orientation théorique et pratique sur le fonctionnement des équipes.

9. Raison d’être des équipes.

Dans les communautés il y a des membres qui sentent la nécessité d’un approfondissement de leur vie de fraternité, qui aille plus loin que le niveau général ou au moins que le niveau d’autres membres de la communauté. En d’autres termes le niveau qui suffit à l’ensemble de la communauté ne leur suffit pas à eux.

De même il peut arriver qu’existe un désir ou un objectif déterminés qui réclament l’existence d’une équipe, soit comme condition sine qua non, soit comme simple convenance. Tant dans le premier que dans le second cas on se trouve devant le même fait : si la communauté entière ne sent pas le besoin de ce niveau ou ne poursuit pas cet objectif précis, il n’y a que deux solutions au projet ou au désir : y renoncer ou le réaliser en groupes plus petits formés au sein même de la communauté et qui facilitent aux membres intéressés la réalisation de ce qu’ils cherchent, sans forcer la communauté entière à entreprendre quelque chose qui ne lui est pas nécessaire mais parfois même désagréable.

L’équipe, dans ce cas, devient une heureuse formule de service pour les uns et de liberté pour les autres, en dispensant ces derniers de se prêter personnellement à une structure de solidarité qui leur est inutile..

Il est possible de concilier « liberté » et « service » au sein même de cette communauté, par l’existence d’équipes qui savent naître, se développer et vivre sans créer de gêne dans une vie d’amour plus large et plus important que celui de l’équipe, comme est celle de la communauté.

Je crois que lorsque les équipes sont ainsi, leur existence au sein d’une communauté non seulement peut être permise mais qu’elle est même désirable, dès lors qu’elles ont la volonté sérieuse et efficace de viser à leur propre but non seulement sans nuire, mais en faisant grandir toute la fraternité communautaire, comme tout ce qui précède l’a amplement analysé et décrit.

Le groupe implique une action réciproque des uns sur les autres et vice-versa. On y exerce l’amour envers le prochain (considéré non comme masse, mais comme une personne) à un degré supérieur à celui de la vie communautaire habituelle. En réalité je précise il n’y a pas de charité vraie sans aimer effectivement le prochain comme une personne et non simplement comme un numéro dans un conglomérat social ; ce qui se passe, c’est que, dans le groupe, vu sa dimension réduite et son caractère plus naturel, l’anonymat d’une personne est supprimé et une bonne partie de sa vie et de son intériorité peuvent entrer en circulation à un rythme plus important que dans la situation communautaire moyenne.

La communion et la charité disposent de moyens commodes pour se manifester, et, par conséquent, plus visibles pour qui en est l’objet. Il n’est pas question, bien sûr, du fond même de la charité qui, lui, relève de facteurs indépendants de la forme de vie associée à laquelle on participe ; il ne s’agit que de la manifestation et de la fonctionnalité qui mettent en valeur cette charité de façon plus nette dans l’équipe. Mais la loi de l’équipe est donc la charité : la charité au-dedans et au dehors de l’équipe. Sa raison d’être et d’exister est fonction de la capacité à réaliser et à coordonner ces deux aspects. Si l’on n’a pas ce résultat, l’équipe doit disparaître : elle n’est en effet que moyen, et par suite doit tirer sa valeur de sa fin et de ses fruits, et pas seulement en rester aux intentions.

La vraie équipe, loin de diviser, renforce la consistance des communautés par des liens d’union plus solides que celles-ci n’en auraient sans l’existence de l’équipe.

Avantages que procure l’équipe

Pour la communauté : elle l’unit plus fortement, en accroît la qualité et surtout satisfait des besoins particuliers en permettant à quelques membres de faire des expériences sans qu’ils soient obligés de mobiliser toute la communauté pour réaliser leur objectif.

Pour ceux qui composent les équipes il existe plusieurs avantages que l’on obtient selon le genre d’équipe que l’on a :

1. Dans l’ordre affectif.

L’équipe donne sécurité à la personne, du fait qu’on sent qu’on en est membre et qu’on y est accepté par les autres.

Elle permet de surmonter plus facilement certaines situations de solitude, par les possibilités qu’elle offre d’être un bien d’échange interpersonnel et de donner le sentiment de vivre vraiment « en compagnie ».

Elle rend l’affectivité plus adulte.

Pour la vie en société, il apparaît à l’évidence que l’équipe est un élément vraiment formateur.

2. Dans l’ordre de la volonté.

Elle éduque la responsabilité personnelle et sociale, par le constant dialogue qu’elle implique ; elle suscite la participation, la créativité et l’initiative, et elle les éduque ensuite à dépasser le caprice et le subjectivisme, par l’habitude qu’elle donne de s’intégrer dans les objectifs et les actions de tous, même en renonçant à ses propres goûts, si c’est nécessaire.

Elle exige la réalisation de tâches accomplies ensemble, ce par quoi elle forme à la responsabilité envers les autres.

3. Dans l’ordre spirituel.

L’équipe aide à découvrir les défauts que chaque membre n’aurait pas vus tout seul, et qu’il n’aurait probablement pas voulu reconnaître si l’avis lui en avait été donné par la communauté ou le seul supérieur.

Elle contribue à purifier les fausses motivations et elle procure l’ambiance où germent et poussent les plus hauts idéals.

En un mot, le groupe aide à se désinstaller dans la vie spirituelle.

4. Dans l’ordre apostolique.

Elle permet de mettre en commun les inquiétudes, les aspirations et les tâches. De même elle donne l’occasion d’examiner ensemble les problèmes de pastorale et de dresser des plans d’action conjointe.

Participer à l’élaboration et à la mise en oeuvre de choix apostoliques donne une force psychologique et une fraîcheur d’engagement qui aident grandement à la générosité dans les combats apostoliques.

Formes d’équipes[102].

Equipes de vie : Elles visent à permettre la participation plus intime des autres dans nia vie et de ma vie dans celle des autres, et à faire ressortir la valeur personnelle de chacun, soit du côté humain, soit du côté surnaturel, si l’on peut attribuer des qualificatifs aussi tranchés à deux aspects bien mêlés. J’aurais bien des réserves à faire pour admettre l’utilité de l’existence d’une équipe qui ne se préoccuperait que des aspects humains,  dans une ambiance de communauté religieuse.

Les équipes peuvent mettre l’accent sur un aspect plutôt que sur un autre : et c’est cette accentuation qui en fera des équipes de vie proprement dites ou des équipes d’unité.

Equipes de formation ou d’étude.

Leurs membres cherchent à obtenir, par un effort en commun, une qualification scientifique ou professionnelle.

Equipes de travail et d’apostolat.

Leurs membres se chargent, en commun, d’une action apostolique ; soit en se complétant, et cela donne des équipes polyvalentes, soit en formant un bloc uni qui peut se donner comme objectif soit seulement de réfléchir ensemble sur l’action pastorale, ou bien de faire des projets ou bien de les réaliser.

Equipes de service et d’appui. Plus que des intérêts personnels, même légitimes et louables, leurs membres cherchent le service qu’ils peuvent rendre aux autres, surtout à la communauté où naît et vit l’équipe. Les membres s’aident donc à mieux détecter les besoins des autres et à trouver les moyens les plus adéquats pour y subvenir efficacement. Ces équipes doivent avoir trois caractéristiques : clairvoyance, tact et efficacité. Ici la motivation est pleinement altruiste, même au niveau du groupe.

Ce type d’équipe peut, de plus, s’orienter en un sens déterminé : par exemple dans les communautés, aider les nouveaux membres à s’adapter et à se trouver à l’aise, surtout lorsqu’il s’agit de jeunes ; se préoccuper de faciliter la formation des aspirants à la vie religieuse qui sont reçus dans une communauté ordinaire pour continuer leur formation[103]; intégrer dans la communauté des membres difficiles, qui généralement se trouvent en marge bien par leur faute ou, parfois, par la négligence des autres ou par suite d’un travail écrasant, ou aussi par suite de vraies fautes contre la charité.

Equipes de témoignage. Leurs membres se groupent pour s’aider à tenir la promesse d’être témoins d’une valeur en crise par suite soit de décadence collective, soit d’idées en vogue. Tel serait le cas de valeurs chrétiennes ou religieuses, vraies et importantes : l’oraison, le service des pauvres, le respect et l’obéissance qui sont dus au pape.

J’ajoute un mot d’orientation pour chacune de ces équipes :

Les équipes de vie doivent être discrètes : pas clandestines, ni publiques. Pas clandestines, parce qu’il n’y a pas de quoi en avoir honte ; pas publiques, parce que leur thème et leur but exigent cette nature et ce style réservés. Si l’on ne tenait pas compte de cela, les membres les plus sérieux ne resteraient pas longtemps. Les membres s’engagent donc à un secret bien naturel, y compris à l’égard des Supérieurs. Il ne faut pas qu’il y soit question de problèmes de conscience, ce qui convertirait le local de l’équipe en confessionnal ou en bureau de direction spirituelle. Mais par contre les équipiers doivent s’attacher a toute la dimension de vie spirituelle (qui ne relève pas de l’ordre moral pénitentiel) et aux thèmes spirituels qu’ils jugent convenables. Evidemment en toute liberté de chacun. Comme on voit, cela suppose des membres discrets, pondérés et sérieux.

Les équipes de formation et étude n’ont pas besoin de la même discrétion, car il s’agit d’équipes ouvertes et connues de tous. Néanmoins pour qu’elles aient constance et sérieux, il faut qu’elles ne soient pas constituées à base seulement de sympathie superficielle entre petits copains, mais bien entre amis ou frères qui visent vraiment le but qui a suscité la création de l’équipe. Et ces buts peuvent être n’importe quelle matière d’étude, tant religieuse que profane.

Les équipes de travail et d’apostolat sont aussi publiques. Plus elles sont en pleine lumière, mieux cela vaut. Il faut aussi qu’elles soient ouvertes – c’est-à-dire disposées à recevoir n’importe quel membre de la communauté qui veut y entrer – capables de s’attirer une sympathie qui provoque ensuite l’intégration du plus grand nombre possible des membres de la communauté.

Il y a des cas privilégiés ; là par exemple où c’est la communauté tout entière qui assume la responsabilité de la pastorale organique, et qui l’organise communautairement, tous se chargeant de la réaliser en se distribuant les tâches selon les aptitudes de chacun. Au Supérieur et à son Conseil on soumet tout ce qui exige examen et approbation. Dans le cas de ces communautés-équipes, on comprend donc que l’appartenance doive être volontaire. Il pourra y avoir aussi des cas où la communauté-équipe se trouve formée uniquement de ceux qui ont répondu à l’invitation. En définitive, ces équipes sont issues de la vie et non d’un décret de l’autorité.

Les équipes de service et d’appui doivent s’efforcer de servir avec discrétion ; sans rechercher les félicitations et encore bien moins exiger après coup un pourboire pour les services rendus, qu’on fasse payer les Supérieurs ou la communauté.

Jamais ni dans les dialogues ni dans les discussions internes qui pourraient survenir il ne faut mettre en vedette les services rendus. Quant aux projets, il faut être très attentif à leur mise en pratique : que ce ne soient pas seulement ou en priorité les amis qui soient favorisés, ceux qui ont les mêmes affinités ou ceux qui sont dans la ligne de pensée de l’équipe. Enfin il faut éviter tout genre d’appui ou de service qui tendrait à soutenir une personne ou un groupe de la communauté contre un autre ou d’autres de cette communauté ; c’est-à-dire, il faut éviter d’aider en divisant, en créant des jalousies, des envies, des privilèges. La charité est ordonnée, intelligente et pleine de tact.

Ce n’est qu’au prix de cet équilibre et de cette impartialité que ces équipes seront réellement ce qu’elles doivent être : la plus heureuse formule pour cultiver la joie et la charité fraternelle dans une communauté. Si elles agissent à l’opposé de ce qu’on vient de dire, elles risqueront bien de se convertir en groupes de pression ou petits clans portés à politiser le service.

Les équipes de témoignage, à leur tour, doivent donner ce témoignage avec esprit chrétien ; je veux avertir par là les membres d’être constamment conscients de leur condition pécheresse et du risque toujours latent où ils se trouvent de quelque faiblesse. Seul l’amour du Seigneur et le désir de dresser face au monde le témoignage d’un Evangile vécu doivent être les motifs de leur action. Il n’y a pas de meilleure réplique à certains faits et certaines théories que de vivre avec joie et sérénité aux yeux de tous ses propres convictions. La Bible, surtout le Nouveau Testament, nous rappelle la nécessité d’être témoins et nous dit en même temps comment et pourquoi il faut l’être. Ainsi évitera-t-on de donner à la communauté un spectacle ridicule ou pharisaïque en guise du bien que l’on se proposait.

Je crois aussi qu’il y a quelques recommandations qui, mutatis mutandis, sont valables pour tout l’ensemble des équipes dont nous avons parlé :

– Hors le cas d’un service ou d’une amitié qui sait à l’occasion s’offrir, les équipes ne doivent pas se mêler des affaires des personnes qui ne sont pas de l’équipe. Ceci vaut tout particulièrement pour certaines équipes de vie qui se proposent la correction fraternelle ou la révision de leur manière de vivre l’Evangile. On peut faire tout cela, bien sûr, si ce qu’on examine est la conduite des membres de l’équipe, mais ce serait suspect, voire ridicule, si l’on se mettait à examiner et à critiquer les Frères absents[104]. Ce pourrait être pharisaïque et injuste et on ne manquerait pas de nous appliquer le « médecin guéris-toi toi-même » et le « comment peux-tu dire à ton frère : laisse-moi enlever la paille de ton oeil, alors que tu as une poutre dans le tien ?» (Mat. 7, 4). Dans le meilleur des cas, une telle attitude, venant d’une équipe, serait sociologiquement fatale à la communauté. L’appréciation évangélique sur la conduite de la communauté et de ses membres, est quelque chose qui doit se faire ; mais qui doit se faire normalement en communauté.

– L’équipe ne doit pas être narcissique. Elle ne doit pas se chercher elle-même ni se convertir en agence de bénéfices pour ses membres. Elle doit chercher à oeuvrer sans cesse d’accord avec une hiérarchie des valeurs ; et pour cela, le bien premier qu’elle doit procurer à ses membres est celui de créer en eux des attitudes de désintéressement et d’abnégation pour le bien commun.

– La ou les équipes doivent tenir compte de l’importance numérique de la communauté. Quand la communauté est petite, cinq ou six par exemple, ce serait habituellement une sottise de constituer certaines équipes, comme par exemple les équipes de vie : ce serait la destruction de la communauté même. Ce qu’il faut faire alors c’est d’agir de telle façon que toute la communauté, dans ce cas, vive avec la densité d’une équipe. En général dans n’importe quelle communauté, les équipes doivent se former et fonctionner de manière à n’être pour personne, surtout pour des gens qui sont d’une bonne volonté manifeste, le début d’une période où ils sont moins heureux, où ils se sentent mis à l’écart. C’est un des cas où s’accomplit la loi : « Le bon arbre ne peut porter de mauvais fruits »[105].

Or, pour que ne se produisent pas les inconvénients signalés ou autres, il faut que certaines équipes – par exemple, les équipes de vie – n’existent et ne fonctionnent que le temps de la réunion, temps qui se présente comme un moment d’une densité exceptionnelle entre quelques membres de la communauté, pour leur propre bien et celui des autres. Finie la discussion, plus d’équipe ; ce qui reste ce sont des membres de l’équipe, et la communauté. L’équipe, comme être social, se reconstituera à la réunion suivante.

Finalement, l’équipe doit éviter deux erreurs, une sur le terrain opérationnel et l’autre dans le dialogue ; ou ce qui revient au même, une dans l’ordre de l’action et l’autre dans l’ordre de la vérité. Pour cette dernière, il faut ici répéter, et plus fortement encore, tout ce qui a été déjà dit sur le dialogue. En effet, si un groupe d’hommes ne vit pas une ascèse de la vérité, mais au contraire garde une attitude qui est opposée à celle-ci, plus sera forte sa solidarité, plus elle sera délétère pour la communauté et plus injuste envers la liberté de pensée des autres membres. L’équipe doit donc éviter de devenir foyer de « conscientisation » ou un groupe d’opinion qui passe ensuite à l’action (soit comme groupe compact, soit à travers l’action particulière de ses membres), ou encore une infiltration idéologique communautaire. Dans de tels cas, la vie communautaire deviendrait étouffante.

Sur le terrain de l’action, il faut éviter que les groupes deviennent des mécanismes tendant à imposer dans la communauté les opinions qui ont prédominé dans leurs réunions. Nous savons bien que dans une société ouverte et de bonne foi, comme c’est le cas d’une communauté, où les hommes, même s’ils sont d’opinions diverses, font confiance à la loyauté de leurs frères, il est très facile à une minorité cohérente et qui a le la technique, d’imposer ses opinions à l’ensemble. Non, une équipe ne doit être ni le siège ni l’instrument de ce genre d’opération qui attente à l’esprit de la vie commune et au bonheur qu’on peut y trouver.

Sur ce même terrain de l’action, et pour parler maintenant des équipes de travail ou d’apostolat, il faut éviter de se charger de tâches qui soient incompatibles non seulement avec nos possibilités physiques, mais aussi avec le genre d’activité ou d’activités que la communauté a en charge. Quand les options d’une équipe apostolique enlèvent force et enthousiasme aux engagements communautaires et mettent en crise les œuvres et les plans de la communauté, la façon d’agir de cette équipe est certainement contraire à l’action apostolique communautaire.

Quelques mots pour finir sur les équipes.

Voici ce que requiert l’existence d’une équipe :

– Du côté de la communauté : des Frères qui respectent le droit d’autres membres de se constituer en équipes, et avec les conditions ci-dessus énoncées, plus éventuellement d’autres. Des Frères qui voient avec respect et sympathie l’existence d’équipes, même s’ils n’en font pas partie.

Des Supérieurs, qui aient une attitude et une manière de gouverner susceptibles de permettre l’existence et le fonctionnement des équipes.

Le résultat ne serait certainement pas bon, si des équipes intracommunautaires devaient exister avec un supérieur inapte à gouverner la communauté elle-même ; cela aboutirait à des séries de chocs et à une gêne perpétuelle pour cette communauté.

– Du côté des membres de l’équipe, on demande qu’ils prennent conscience que n’importe quel groupe a sa dialectique particulière ; et une équipe ne se développera ni ne progressera que si elle surmonte les tensions internes inévitables et même parfois souhaitables. Ce n’est qu’à base d’affrontements, avec des attitudes psychologiques et sociales positives et avec un esprit d’amour pour l’évangile et la congrégation, que l’on réussira à dépasser utilement les « impasses » qui se présentent dans l’équipe comme conséquence de la pluralité des membres.

10. – L’existence d’apôtres promoteurs de la vie commune. Il y a des hommes qui découvrent dans leur vie une volonté de Dieu qui les pousse à travailler pour l’unité, et qui s’adonnent à cette action sans répit, en payant le prix de l’oubli de soi et du renoncement à ses propres intérêts, sans lesquels cette vocation et son efficacité ne sont que de l’utopie.

Conclusion

Mes Chers Frères : Voici un thème bien longuement traité, mais qui est d’une très grande actualité dans ce qui s’écrit sur la vie religieuse. Et s’il est d’actualité, c’est en partie parce que le renouveau dans la vie communautaire donne une cohérence et une force considérables au renouveau de toute la vie religieuse par suite d’une interaction réciproque. En effet, si les vœux sont des éléments capables de déblayer la voie vers l’amour vers un amour normalement pratiqué en commun – il n’en est pas moins vrai que la charité à son tour soutient les vœux comme la voûte soutient les murs, sur lesquels pourtant elle pose. Il n’y a pas à mythifier quoi que ce soit : la vie commune n’est pas tout ; elle n’est pas une panacée. Mais elle est l’exercice de l’amour et l’amour est le faîte de tout. Je n’ai pas parlé de la vie commune parce que c’est la mode, mais par conviction de son importance fondamentale et par nécessité de préciser quelques idées qui, appuyées sur le double réalisme de la nature et du mystère, puissent permettre de rendre de plus en plus possible, et même de réaliser dans un bref délai, quelque chose qui semblait tenir du songe. La doctrine exposée s’appuie sur du sérieux : la Révélation, la Tradition, le Concile. Nous ne pouvons donc pas nous en désintéresser comme si l’effort et la conversion que cela demande étaient à option : un sujet entre tant d’autres. Il est question d’un problème essentiel à la vie religieuse. Il ne faudra jamais oublier que la vie de communauté n’est pas renfermée en elle-même et qu’elle ne peut trouver son développement plénier que dans la recherche d’objectifs précis qui à la fois lui sont une impulsion et un obstacle. C’est notre condition d’hommes pèlerins d’être tiraillés[106].La communauté se sentira douloureusement prise entre l’option apostolique et le désir de vivre avec amour la vie communautaire. Ces choix il faudra les faire dans un équilibre pas toujours facile à garder et qui demande une constante mise au point.

Il faudra faire attention pour que la communauté ne soit pas dévorée et désintégrée par une vie qui lui serait totalement extérieure ; mais il ne faut pas non plus oublier que son essence est d’être apostolique et pastorale et qu’un des signes de l’authenticité de sa charité est justement de prendre au sérieux les engagements pastoraux et les activités apostoliques.

La communauté – il ne faut pas l’oublier – est un facteur dans les entreprises vraiment surnaturelles ; et celles-ci naissent seulement de la conversion de membres qui sous l’action de l’Esprit Saint offrent aux autres tout leur être et vivent dans une attention permanente au bien des autres. Il n’y a pas d’habileté ni de technique capables d’établir semblable état d’esprit si le souffle du Seigneur Jésus ne vient sanctifier et unir, arrêtant les égoïsmes, donnant la volonté de se dévouer pour le bien de son frère, dont on découvre toute la dignité à la lumière de la parole du Christ, et que l’on aime et que l’on sert selon la vocation unique qui est la sienne dans les plans éternels du Père.

Ce fait social est un témoignage d’évangélisation, une source de fécondité considérable.

« Cette réunion vivante de personnes diverses qui ont des origines et des mentalités diverses, soudées en une même entreprise à force de foi et de charité, d’humilité et de patience, est une preuve palpable du pouvoir unifiant du Christ et du mystère de communion qu’est l’Eglise. La communauté révèle la venue du Christ et crée un instrument plus puissant de son rayonnement sauveur. Le sacrifice de vivre et de travailler ensemble, multiplie le pouvoir de la grâce et pour ceux qui font ce sacrifice et pour l’Eglise entière. Selon la loi énoncée par Saint Paul, la mort fait son œuvre en nous, pour qu’en vous soit plus abondant le fruit de vie.

Malgré la merveilleuse inspiration évangélique de ce numéro du Décret, peut-être ne révèle-t-il pas assez la valeur de la communauté religieuse comme preuve sensible, signe, sacrement du mystère de communion spirituelle qu’est l’Eglise. Chrétiens, devenus frères dans le Christ, nous vivons tous mystérieusement en communion fraternelle avec le Fils, l’amour filial au Père dans l’Esprit-Saint. Ce mystère intérieur, de l’Eglise, inconnu et brisé tant de fois par nos péchés, est celui qui doit apparaître de manière sensible dans la vie généreuse et fraternelle de nos communautés. Les vœux, la discipline, tout ce qui fait notre vie, va dans le sens de la réalisation et de la révélation de ce mystère de la communion filiale avec le Père, la vie fraternelle avec le Christ, et en Lui avec tous les frères »[107].

C’est avec raison que cette vie d’unité a été le vœu dernier de notre Bienheureux Père Fondateur, vœu que je fais moi aussi et pour tous les Frères et pour moi-même.

« Je vous prie aussi, mes bien chers Frères, de toute l’affection de mon âme et par toute celle que vous avez pour moi, de faire en sorte que la sainte charité se maintienne toujours parmi vous. Aimez-vous les uns les autres comme Jésus-Christ vous a aimés. Qu’il n’y ait entre vous qu’un même rieur et un même esprit. Qu’on puisse dire des Petits Frères de Marie comme des premiers chrétiens : Voyez comme ils s’aiment !… C’est le vœu de mon lieur le plus ardent à ce dernier moment de ma vie. Oui, mes très chers Frères, écoutez les dernières paroles de votre Père ; ce sont celles de notre bien-aimé Sauveur : Aimez-vous les uns les autres.

Je désire, mes bien chers Frères, que cette charité qui doit vous unir tous ensemble comme les membres d’un même corps, s’étende aussi à toutes les autres congrégations. Ah ! je vous en conjure par la charité sans bornes de Jésus-Christ, gardez-vous de jamais porter envie à personne et surtout à ceux que le bon Dieu appelle à travailler comme vous, dans l’état religieux, à l’instruction de la jeunesse. Soyez des premiers à vous réjouir de leurs succès et à vous affliger de leurs disgrâces. Recommandez-les souvent au bon Dieu et à la divine Marie. Cédez-leur sans peine. Ne prêtez jamais l’oreille à des discours qui tendraient à leur nuire. Que la seule gloire de Dieu et l’honneur de Marie soient votre unique but et toute votre ambition »[108].

On voudra bien lire cette circulaire soit en communauté, soit en particulier.

Recevez, Mes Chers Frères, l’assurance de la fraternelle affection que vous porte en J.M.J. votre humble et dévoué serviteur.

F. BASILIO RUEDA, supérieur général

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APPENDICE STATISTIQUE ET SOCIOLOGIQUE

 

réalisé par le R. P. Juan de Dios Gonzalez Anleo, S.J.

qui a interrogé 1.600 Frères Maristes

sur la vie de communauté.

La présente étude est un choix de 22 tableaux qui mettent en évidence, par une analyse scientifique, un certain nombre d’aspects de la vie communautaire. Dans l’impossibilité de reproduire cette étude dans toute son ampleur étude qui n’est d’ailleurs qu’un chapitre d’une enquête plus étendue  le P. Gonzalez Anleo s’en est tenu aux aspects les plus importants qu’on trouvera ci-après.

Les considérations faites à propos de ces tableaux sont présentées de la façon la plus simple possible afin de les rendre accessibles au lecteur moyen.

Ce choix est dû à l’initiative de l’auteur, et ne préjuge pas si l’enquête dément ou confirme la doctrine de la circulaire elle-même.

Je n’ai pas la prétention d’attribuer à ces réponses une valeur universelle ; elles ne sauraient représenter toute la Congrégation mariste. Elles sont valables pour la zone géographique où elles ont été obtenues par des moyens rigoureusement scientifiques ; et pour d’autres régions ou groupements, elles peuvent au moins présenter une piste de recherche, un stimulant à la réflexion.

Quelques remarques.

Dans cet appendice statistique, réalisé à partir des données d’une enquête faite en 1967, dans les Provinces Maristes d’Espagne, et soumise à un traitement analytique électronique, on ne se propose de montrer que quelques-uns des aspects traités dans les pages qui précèdent.

L’énorme quantité des réponses soumises à examen, lors de cette enquête, a été réduite à une corrélation très simple. On a retenu seulement chacun des aspects importants de l’enquête : attitudes, opinions, comportements déterminés… cela a été confronté analytiquement avec chacun des facteurs qui pouvaient être cause ou condition de ces attitudes ou comportements dus à l’âge, au niveau de formation, à la Province d’origine, etc. … Dans cette analyse secondaire ont été introduites de nouvelles variables indépendantes ou des facteurs explicatifs de ces attitudes, opinions ou comportements.

Ces facteurs sont :

– le niveau de bonheur personnel.

– la décision de renouveler l’engagement mariste,  dans l’hypothèse qu’on devienne totalement libre de le faire.

– l’activité personnelle apostolique extra-scolaire.

– la régularité de la direction spirituelle.

– la conscience que l’on a d’une fidélité actuelle de l’Institut mariste à la volonté du fondateur à se consacrer aux classes les plus humbles.

– le niveau de satisfaction quant à la formation :

apostolique,

pédagogique,

intellectuelle,

académique.

– les orientations possibles de l’apostolat mariste.

Ces facteurs – qui expliquent ou sont cause d’attitudes ou de comportements des Frères – ont été appliqués exclusivement aux divers aspects de la vie communautaire au sein de l’Institut, afin d’analyser en profondeur les problèmes de cette vie de communauté.

On obtient donc les tableaux qui suivent. [et ne sont mis ici car il s’agirait de photocopies]

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[1]: «Je ne suis plus dans le monde, mais eux sont dans le monde. Moi, je viens à Toi, Père Saint ; garde en ton nom ceux que tu m’as donnés, pour qu’ils soient un comme nous (v. 11). Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croiront en moi. Que tous soient un, comme toi, Père, tu es un en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée pour qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en toi et toi en moi, pour qu’ils soient parfaitement un, et que le monde sache que tu m’as envoyé et que je les ai aimés comme tu m’as aimé » (S. Jean, 17. 11 et 20r24).

[2]: Eph. 4, 15 et 16.

[3]: Je ne veux pas dire ici qu’il ne soit pas possible de constituer à l’intérieur de la vie religieuse, des communautés du type « interchoisi » ; je veux simplement dire que pour se constituer, de telles communautés doivent examiner ce qu’il y a d’évangélique dans leurs motivations qui ne peuvent pas se réduire à celles énoncées plus haut, ni encore moins devenir la manière normale de constituer la vie commune.

[4]: “‘ Pas dans le sens de surajouter du dehors quelque chose qui améliore la grâce baptismale, mais dans le sens d’assumer en profondeur et par un nouvel engagement la vocation chrétienne.

[5]: Le Christ, dans la formation de ses disciples travaille inlassablement à purifier les fausses motivations, les égoïsmes, tes utilitarismes, les intentions de promotion personnelle, et il met constamment sous leurs yeux une image de l’autorité, de t’élection et de la consécration centrée sur l’humilité, le détache-ment, le service et le don de soi.

Là-dessus, nous avons entre autres le témoignage éloquent de la réprimande à Pierre, qui vient de recevoir la primauté dans son Eglise (Matth. 16, 21-27), la leçon sur le plus grand du Royaume des cieux donnée après la deuxième annonce de la Passion (Marc 10, 33-37), la réponse aux prétentions de la mère des fils de Zébédée (Matth, 20, 20r23) et l’important récit du Lavement des Pieds avec les beaux enseignements sur le service et l’amour mutuel qui suivent (Jean 13, 1-17).

Le plus intéressant c’est que ce sont les Apôtres eux-mêmes, une fois corrigés, qui ont eu soin de transmettre à la communauté de Pentecôte et à la postérité chrétienne le récit de leurs égoïsmes, de leur myopie, et en même temps, le travail de purification qu’avait opéré en eux le Seigneur. On entend dire parfois que ces vertus d’humilité, de don de soi, de détachement ne plaisent pas à la génération actuelle. A supposer même que ce fût vrai, cela voudrait dire qu’il y a là un travail d’évangélisation à faire. Mais on a le droit de douter que ce soit vrai. La génération actuelle a au moins autant de générosité que les générations précédentes ; ce qui est vrai, c’est qu’il faut l’aider à bien employer cette générosité, au lieu de lui créer des formes de vie médiocre.

[6]: MATURA Thaddée : «Célibat et Communauté ». Cerf, p. 109.

[7]: « Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux n’a fait qu’un peuple, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine, cette loi des préceptes avec ses ordonnances, pour créer en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, faire la paix, et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la croix : en sa personne il a tué la Haine. Alors il est venu proclamer la paix, paix pour vous qui étiez loin et paix pour ceux qui étaient proches : par lui nous avons en effet, tous deux en un seul Esprit, accès auprès du Père » (Eph. 2, 14-18).

[8]: Je cite encore un Frère qui parlait des efforts que l’on faisait dans sa communauté pour améliorer la vie communautaire, efforts bien intentionnés mais excessifs par leur fréquence, la remise en question, et l’insatisfaction qu’ils étaient en train de provoquer. Voici ce qu’il constatait : «Je ne sais pas ce qu’ils veulent encore qu’on fasse pour réaliser la vie commune ; je crois bien qu’il faudra arriver à s’embrasser. Nous cherchons et herchons encore, et tant de fois ce qu’est la vie communautaire que nous finissons par ne plus savoir ce qu’elle est». En effet, l’amour n’a pas de limites, mais l’expression de l’amour en a. La véritable vie communautaire, dans ses variantes culturelles a besoin d’une dose de sobriété et de virilité pour en équilibrer l’affectivité et devenir ainsi plus authentique, au lieu de glisser vers la sensiblerie ou la sensualité. Elle n’est pas faite pour guérir des insatisfaits de naissance ni des nostalgiques affectifs, mais pour pratiquer le commandement du Seigneur.

[9]: Le terme de la philosophie scolastique serait «formellement», car elle peut apporter une compensation «éminente » à ce besoin

[10]: La solitude dont il est question ici n’est pas seulement de l’isolement physique. Quoi qu’on fasse et qu’on veuille, l’homme vit seul et meurt seul. Il existe en lui une impuissance radicale à se communiquer aux autres jusqu’au fond de lui-même et il est aussi impuissant à pénétrer un autre jusqu’aux intimes replis de son être. Jamais il ne sera possible que se réalise pleinement t’identification de deux êtres, la volonté d’être reçus l’un par autre dans la forme qu’imaginait leur amour.

Il faut une bonne fois se réconcilier avec le caractère fini, limité, imparfait, de notre condition humaine. Beaucoup d’amis, beaucoup d’époux surtout, ont détruit leur union parce qu’ils n’ont pas eu le courage de l’imperfection. Ils avaient attendu l’absolu ; ils n’ont trouvé que le relatif et, pensant s’être trompés de, direction, ils ont candidement espéré qu’ailleurs ils pourraient apaiser leur soif d’intimité absolue. Ils ont décliné un bonheur possible pour poursuivre une chimère, alors qu’en acceptant leurs limites, ils auraient vu s’approfondir de plus en plus leur union et chaque jour grandir la source d’une vraie félicité. Mais qu’on te comprenne bien : accepter n’est pas croiser les bras, ou les laisser tomber, avec la chute des dernières illusions. Il faut tâcher de se dépasser toujours, de dépasser le corps si l’on veut que l’être trouve le moyen de se «réunir » à l’être, en se communiquant à lui plus intimement.

[11]: Il y a des cas où l’éducation en famille a laissé une marque d’insatisfaction et de revendication affective très difficiles à dépasser. Une seule chose pourrait sauver alors de l’immaturité (sorte d’affectivité restée au stade adolescent) : le don de soi, ce don que l’on n’a pas la force, ou pas la volonté, de faire.

[12]: Non pas dans le sens de : décidée à l’aumône, mais dans le sens de : possédant la force de l’amour

[13]: St Bernard était si convaincu de cette vérité – à condition toujours de respecter la proportion – qu’il ose dire aux Supérieurs : « Si votre communauté n’a que de saints religieux, tous à bon caractère, il faut en acheter un méchant, à caractère difficile, dur, hargneux, contrariant, afin de fournir à tous vos frères et à vous-mêmes l’occasion de vous former à la douceur, à la patience, à ta charité et à toutes les belles vertus sociales » (A.L.S. p. 10’7).

[14]: Comme l’homme qui trouve un trésor caché dans un champ, et, tout content, «va, vend tout ce qu’il a et achète ce champ » (Matth. 13, 44), ou comme le marchand de perles fines «qui en trouve une de grande valeur, vend tout ce qu’il possède et l’achète » (Matth. 13, 46), ou encore comme les pêcheurs qui, lorsqu’ils retirent leur filet plein de poissons, s’assoient et ramassent les bons dans des corbeilles, et jettent les mauvais» (Matth. 13, 48).

[15]: Pour qui vient au mariage avec une attitude captative, ou 11 faut changer cette attitude, ou s’attendre à ce que la vie soit un désenchantement progressif. Pour qui vient au mariage avec un amour oblatif, toutes les occasions de détérioration mettront en exercice son oblativité et revaloriseront son amour.

[16]: Le langage, dans un sens large, comprendrait non seulement ta parole orale ou écrite, mais aussi les gestes, les signes, les symboles, les rites, la liturgie. Il est bien extraordinaire de voir les efforts des hippies pour s’emparer de toutes les expressions du langage dans une créativité, une originalité, un sens d’une modification et d’une rénovation continuelles qui sont radicalement à l’opposé du formalisme et de la stéréotypie de ce même langage. Un opposé qui a ses aspects vicieux et extravagants, mais ne laisse pas quand même de nous appeler à une révision, de nous transmettre un message.

[17]: C’est une attitude semblable à celle de l’homme qui revient du travail, demande à sa femme de ne pas le déranger, aux enfants de cesser de jouer, et qui s’assoit dans un fauteuil pour lire te journal, répondant par un monologue grognon aux interrogations.

[18]: BAMBERGER, J.E. : « L’homme par la communauté » (La dynamique de la communication). Dans «Supplément de la Vie Spirituelle » No 90, septembre 1969, p. 421.

[19]: S’il était ouvert, il parlerait avec son frère, lui dirait le mal que lui a causé l’événement et lui demanderait amicalement une explication. Et ensuite, le malentendu serait terminé.

[20]: Je veux parler de certaines formes de vertu un peu stoïciennes et nuisibles qui se développent par suite d’actes de volontarisme qui n’ont jamais été dirigés psychologiquement et qui finissent par avoir des conséquences fâcheuses.

[21]: Lév. 19, 18.

[22]: Schutz Roger : Règle de Taizé, p. 39.

[23]: 10 Actes 4, 32.

[24]: “‘ cf. G. S. 38.

[25]: Il y a une dimension du prochain qui nous a été révélée et nous y croyons dans le sens agissant de la foi.

[26]: L’Eglise et le chrétien incarnent la médiation du Christ. Le Concile nous présente l’Eglise comme le sacrement du Christ, de même que le Christ est le sacrement du Père (cf. L.G., I).

[27]: « J’ai à moi toutes les bêtes de la forêt, et celles par milliers, des montagnes. Je connais tous les oiseaux du Ciel, et ce qui se meut dans les champs, j’en dispose. Si j’avais faim, je n’irai€ pas te le dire, car je possède le monde et ses richesses. Mangerai-je la chair des taureaux, ou boirai-je le sang des boucs ? Offre à Dieu un sacrifice de louange et acquitte au Très-Haut tes vœux» (ps. 49, 10-14).

Pour le Nouveau Testament, la vie chrétienne de charité n’est rien d’autre qu’une participation à la charité même du Christ qui culmine en sa mort : «Marchez dans l’amour, à l’exemple du Christ qui nous a aimés et s’est livré pour nous, s’offrant à Dieu en sacrifice d’agréable odeur » (Eph. 5, 2), charité qui nous est communiquée dans le mystère eucharistique, sacrifice de l’alliance nouvelle, si bien que chacun d’entre nous peut et doit dire avec Saint Paul : «Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi» (Gal. 2, 20).

(Lyonnet, Stanislas : « Eucharistie et vie chrétienne » p. 45).

[28]: Article cité, p. 77.

[29]: Matura Thaddée : op. cit. p. 114.

[30]: Matura Thaddée : op. cit. p. 117. ‘

[31]: P. C. 12.

[32]: Matura Thaddée : op. cit. p. 119.

[33]: Galot Jean, « Porteurs du souffle de l’Esprit » p. 115.

[34]: Sebastián Aguilar, Fernando : op. cit. p. 371.

[35]: On peut affirmer que s’il n’y a pas d’amour plus grand que celui de donner la vie pour ses frères, elle est aussi très grande la charité de celui qui leur consacre sa propre existence. Ce n’est pas là donner sa vie en mourant, c’est la donner en vivant pour le bien et pour le service des autres. C’est offrir un témoignage inappréciable, et si quelqu’un ne jugeait pas ainsi, sa mentalité tendrait vers l’égoïsme qui fait apprécier les hommes en fonction de la catégorie sociale, mentalité qui aujourd’hui, même du simple point de vue humain, est en baisse.

[36]: Const. Art. 57, 1-9.

[37]: Huyghes : e Equilibre et adaptation ».

[38]: Jerphagon, Lucien : «Prières pour les jours insupportables» » – p.- 65.

[39]: C’est le cas, par exemple, de certains week-ends où tout le monde quitte la maison. Il ne suffit pas qu’ils aient été bien préparés par la communauté pour en devenir irrépréhensibles, si à cette occasion on oublie toutes ses responsabilités devant des faits contraires à l’esprit et aux exigences de la vie religieuse.

[40]: Sebastián Aguilar Fernando : op. cit. p. 358.

[41]: «Il faut tenir pour désuets les éléments qui ne constituent pas la nature et les buts de l’Institut et qui, ayant perdu leur sens et leur force, n’aident plus véritablement la vie religieuse ; on retiendra cependant qu’il y a un témoignage que l’état religieux a le devoir de porter » (Motu proprio « Ecclesiae Sanctae » – II – No 17).

[42]: Je laisse leur responsabilité à ceux qui voudront tirer de ces réflexions des conclusions que je suis loin de partager et d’appuyer. Le contexte général dira, à qui voudra comprendre, ce que j’ai voulu dire.

[43]: Il paraît évident qu’en parlant d’habit, on veuille dire : type d’habit, car le Concile a demandé aux religieux que leur habit soit signe sensible de consécration ; et tout le document de la C.L.A.R., version latino-américaine d’une authentique rénovation conciliaire, a été présenté à la Congrégation des Religieux, et retouché d’accord avec ses indications comme le dit très claire-ment le R.P. Edwards, Président de la C.L.A.R., dans le prologue, p. 8.

[44]:«La rénovation adaptée de la vie religieuse comprend à la fois le retour continu aux sources de toute vie chrétienne ainsi qu’à l’inspiration originelle des instituts et, d’autre part, la correspondance de ceux-ci aux nouvelles conditions d’existence » (Décret : Perfectae Caritatis – 2).

[45]: Vie du Père Champagnat, p. 139.

[46]: Cliche Jean-Marc : art. cité, p. 243.

[47]: Publications du Congrès des Religieux du Canada, p. 11 Nos. 3 et 4.

[48]: Marshall Mc Luhan, cité par Bamberger (art. cité, p. 418).

[49]: Bamberger, art. cité, p. 418.

[50]: C.L.A.R. op. cité, p. 14 à 16 ; Congrès des Religieux du Canada, p. 8 à 12.

[51]: Cf. Mc 2.27.

[52]: Cf. Gal. 5.13.

[53]: Ne me presse pas de te quitter et de m’éloigner de toi car où tu iras j’irai où tu demeureras, je demeurerai, ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu ; là où tu mourras, je mourrai, et là je serai ensevelie ! Que Yahvé me fasse ce mal et qu’il ajoute cet autre encore, si ce n’est pas la mort qui nous sépare. (Ruth. 1. 16 et 17) : paroles de Ruth à sa belle-mère Noémi.

[54]: Saint-Exupéry. A. de : Citadelle – Livre de poche p. 237.

[55]: Qu’on entende «mon frère » dans le sens de «tous> et chacun des membres de la communauté, surtout ceux qui en ont Ie plus besoin.

[56]: Evidemment beaucoup de choses mentionnées peuvent se trouver dans la. communauté des personnes (la personne et ses expressions).

[57]: Cf. Jn 17.20.

[58]: Ex. 3.14.

[59]: Ex. 6.7. Cf. Jer. 31.33 et 2 Cor. 6.16.

[60]: 2 Cor. 6.18. Cf. Ex. 4.22 ; Deut. 1.31 et 32 ; 6. 2 Sam. 7.14 ; Os. 11.1 et Jér. 3. 9.

[61]: D’un sacerdoce soit baptismal soit ministériel, selon les cas et les circonstances.

[62]: GALOT, Jean : Le Renouveau de la vie consacrée, p. 96.

[63]: Jean 17.20 et 21.

[64]: Fernando Sebastián : op. cit. p. 560.

[65]: GALOT, Jean : Renouveau de la vie consacrée, p. 98.

[66]: Op. cit. au chapitre : Communauté religieuse et parole de Dieu, p. 22.

[67]: TILLARD, Jean-Marie : op. cit, p. 71.

[68]: LYONNET, Stanislas : Eucharistie et vie chrétienne, p. 39.

[69]: Pour ce passage et mieux encore pour l’exposé doctrinal littéral et complet, voir dans «Eucharistie et vie chrétienne» le chapitre : «La vie chrétienne et le culte spirituel », surtout p. 46.

[70]: Op. cit, p. 18.

[71]: Il est évident que certaines initiatives sont difficiles, voire impraticables dans la mesure où augmente le nombre de participants et manque la culture nécessaire.

[72]: Luc 22.27.

[73]: Max THURIAN : Informazioni p. 216 (1970) : Autour de la Semaine de l’Unité. Le texte est traduit à partir de l’espagnol.

[74]: Moins technicisés et plus proches de la vie réelle.

[75]: Les deux cas exposés correspondent à des initiatives prises spontanément. On pourrait ajouter quelque témoignage qui embrasserait toute la communauté. Il faut dire, pourtant que les équipes restreintes à l’intérieur de la communauté peuvent être la ruine ou la bénédiction de la vie fraternelle selon leurs membres et selon la manière dont on mène ces équipes, le type de communauté où elles se trouvent et le supérieur. Mais donner un conseil là-dessus est une autre question et peut faire partie du matériel offert aux communautés qui veulent s’intéresser au problème de manière pratique.

[76]: Op. cit. p. 366.

[77]: GALOT Jean : «Porteurs du souffle de l’Esprit » p. 123. (Duculot-Lethielleux).

[78]: Voir appendice statistique.

[79]: GALOT, Jean : Porteurs du souffle de l’Esprit, p. 125.

[80]: GALOT, Jean : Porteurs du souffle de l’Esprit, p. 124. Et encore : « La “communion d’un même esprit ” n’est pas préservation passive d’un dépôt commun, mais rapprochement dans le jaillissement charismatique, par lequel l’élan de l’Esprit Saint dans un membre tend à se communiquer aux autres ».

[81]: Quand il y a vrai charisme incompatible avec la fin de l’Institut ou tout à fait en marge, ce qu’il faut ce n’est pas de I’étouffer, mais lui chercher accueil dans la congrégation ou dans te secteur de l’Eglise qui lui va.

[82]: Mgr. EDUARDO PIRONLO, secrétaire général du CELAM : syn• thèse d’un remarquable conférence qu’il a donnée.

[83]: SAINT-EXUPERY, Antoine : Citadelle.

[84]: Rudolph Allers : «L’Amour et l’Instinct ».

[85]: VIEUJEAN, Jean : « L’autre toi-même», p. 32. 34-35.

[86]: BAMBERGER, Jean-Eudes : «L’homme par la communauté» : Suppl. Vie Spirituelle, n. 90, page 420.

[87]: Dans le chant. « Viva la gente » se retrouve magnifiquement exprimée l’idée de Clichet : «Les choses sont importantes ; les gens le sont plus encore ».

[88]: CLICHE ; Jean-Marc : Art. cité, pag. 245 et 244.

[89]: Personne ne doit être exclu de l’affection ni du respect, car ces sentiments ne s’adressent pas essentiellement aux qualités ni à quoi que ce sait d’accidentel à l’homme, mais à sa personne elle-même. Si on n’aime poux ma sagesse, ma mémoire, ma serviabilité, mon jugement, ma sympathie, ce n’est pas moi qu’on aime pour moi-même, ce sont mes qualités, et pour elles-mêmes ; et comme je peux les perdre, je suis toujours dans l’incertitude de l’amour, menacé dans ma vie sociale.

[90]: « A la différence d’autres sociétés où les membres apportent essentiellement ce qu’ils possèdent : leurs biens, leurs qualités humaines, la communauté religieuse se forme par un apport divin ; elle se nourrit de l’Evangile, de la Liturgie, plus spécialement de l’Eucharistie. La charité dont elle vit est un don qui vient d’en haut : elle est répandue dans les cœurs par l’Esprit Saint, rappelle le Décret, et elle assure une présence mystique du Seigneur parmi les siens. Aussi la joie éprouvée par les religieux dans leurs relations d’amour communautaire n’est-elle pas d’abord la satisfaction de leurs dispositions de bonne entente, mais, la jouissance commune de cette présence du Christ : la communauté «jouit de sa présence».

J. GALOT : «Porteurs du souffle de l’Esprit» p. 122. Duculot-Dethielleux.

[91]: Rénovación y adaptación de la Vida Religiosa en America Latina y su proyección apostólica, p. 16.

[92]: J. E. BAMBERGER : article cité, p. 423.

[93]: FERNANDO SEBASTIÁN : op. Cit. p. 365, 366 et 369.

[94]: BERTHELET : art. cité, p. 72 et 73.

[95]: MATURA, Thaddée : op. cit. p. 110.

[96]: Op. cit. p. 123-124.

[97]: « Voilà pourquoi tout essai de réforme et de conversion des formes actuelles de la vie religieuse ne peut être authentique que s’il s’accomplit dans un climat de paix. D’abord dans l’immédiat de la recherche et de la prise en conscience des problèmes. Il ne peut être question pour chaque génération ou chaque école spirituelle de tenir à sa position et de vouloir la faire triompher à tout prix ; il s’agit de regarder ensemble l’idéal commun, de ne jamais oublier que la fraternité comme telle, avec la paix qui rayonne d’elle, est au cœur même de la vie religieuse, qu’on ne peut donc jamais consentir à la mettre en péril.

Une réforme qui déchire la communauté, qui y crée des tensions difficilement résorbées, est inutile, même si elle se propose de résoudre une situation inconfortable déjà existante. Il faudrait que la rénovation (profonde, il le faut) des communautés religieuses soit, dans l’aujourd’hui de l’Eglise, le paradigme de la réforme de l’Eglise entière, et cela avant tout par son climat d’irénisme et de paix » : ne sommes-nous pas ceux qui font officiellement profession de rechercher la perfection ecclésiale, donc de la démontrer par nos comportements ? (Les religieux au cœur de l’Eglise, p. 75)

[98]: «Mais la paix du Christ doit être aussi considérée comme le but même de la reconversion de la vie religieuse. Lorsque l’on réfléchit, en effet, aux causes les plus profondes du malaise qui existe actuellement un peu partout dans les communautés, on s’aperçoit vite qu’à la racine de tout il y a le manque de paix intérieure de beaucoup de religieux. Ils veulent servir le dessein de Dieu généreusement. Mais les formes actuelles sont souvent inadaptées à la qualité de service qu’exige le temps présent : nous ne sommes plus à l’époque où vivaient les fondateurs et les fondatrices ; les accents sont déplacés, l’équilibre chrétien s’est recentré sur la Parole de Dieu et l’Eucharistie, on a redécouvert le sens du dialogue. D’où les inquiétudes souvent douloureuses, là où l’on sent la volonté de ne rien changer ou de ne changer qu’à contrecœur sans la largeur d’esprit évangélique qui fuse partout dans l’Eglise. Refuser de tout faire pour redonner à nos communautés ce climat de paix, c’est pécher contre l’Eglise. Plus gravement encore, c’est pécher contre le Père qui veut de la communauté le signe de son don d’amour et de paix, dans le Christ Jésus. Mais se servir du thème de la paix pour camoufler le refus de tout changement ou celui d’envisager les problèmes en face, est une faute odieuse. La paix du Christ ne correspond jamais à une démission. Elle ne se confond pas non plus avec la béate satisfaction de celui qui trouve toujours que tout va bien. Elle est au contraire perpétuelle exigence de fidélité au désir du Père dans l’aujourd’hui de son dessein. Créer la paix ne revient pas à bercer les frères et à les endormir dans l’inertie de la médiocrité. C’est leur permettre la communion la plus toc& possible au Christ, seule paix véritable donnée aux hommes ». (J. M. Tillard, O.P. : «Les religieux au coeur de l’Eglise », Ed. du Cerf, 1969, p. 75).

[99]: Inévitablement il y aura certaines répétitions de ce que j’ai dit plus haut il est question d’une autre face du même l’histoire est une croissance et toute croissance libre est matière d’histoire.

[100]: FERNANDO SEBASTIÁN AGUILAR : op. Cit. p. 368.

[101]: «Je demande à Dieu et je vous prie de lui demander vous aussi un esprit comme celui du pape Jean XXIII, qui a été, je le crois de tout cœur, le prophète des temps modernes, celui qui a ouvert des chemins au Seigneur dans votre cœur et dans le mien. Cela veut dire que j’aspire à être, avec une humble confiance et une marge d’erreurs, un évêque du renouveau. Dieu sait que je n’ai pas pour autant l’intention de blesser personne ni de rien détruire, mais de chercher la vérité évangélique dam ma vie personnelle et dans mon ministère pastoral.

Permettez-moi de vous dire, à vous qui arborez des bannières de rénovation, que l’on ne nous croira pas et que l’on n’acceptera lias notre message, si celui-ci ne colle pas à tout l’Evangile. Si nous n’enlevons pas de notre œil ce que nous critiquons chez autrui. Si nous nous prévalons d’une authenticité tranchante, sans Ie baume de la charité. Si nous n’aimons pas l’Eglise concrète, celle qui désire se réformer. Si nous perdons la paix, béatitude caractéristique des fils de Dieu». (Mons. Antonio Montero : Al-locution au cours de sa consécration épiscopale : 17-5-69. Dans Ecclesia N. 1441, mai 1969).

[102]: En les nommant, je demande qu’on tienne compte de ce qui précède et qu’on ne fasse pas trop attention aux termes, variables d’un lieu à l’autre, tout à fait relatifs, pas définitifs du tout et même pas exacts.

[103]: Ceci revêt une importance particulière avec les possibilités offertes par Renovationis Causam pour la formation.

[104]: Ces conseils pour le bon fonctionnement des équipes, je les donne, mes Chers Frères, appuyé sur l’expérience – déjà assez longue à mon avis – de la vie communautaire mariste ; et ils valent, me semble-t-il, pour cette forme de vie communautaire qui est la nôtre. Que ces conseils, vaillent aussi ou non pour d’autres formes de vie religieuse ou communautaire, c’est à qui de droit de l’examiner et de faire l’adaptation.

[105]: Luc 6, 43.

[106]: En français dans le texte.

[107]: Fernando Sebastián Aguilar : Op. cit. p. 364.

[108]: Constitutions : Testament Spirituel, p. 123.

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