Circulaires 386

Basilio Rueda

1976-09-08

Un nouvel espace pour Marie 

Introduction
Première Partie
MARIE, MERE ET TYPE DES CROYANTS
Avertissement préliminaire
A - Principes élémentaires d'interprétation
B - Un message marial et non un traité de mariologie .

CHAPITRE I
MARIE PREND PROGRESSIVEMENT CONSCIENCE
DU MYSTERE DE SON FILS

A - Le plan du salut dans l'ancien testament .

B - La Vierge Marie: le plus beau fruit d'Israël .

C - Quelques faits marials dans l'évangile
1 et 2: L'Annonciation et la Visitation .
1) - L'Annonciation à Marie
a) La personne de Marie au moment de l'Annonciation
b) L'annonce - proposition, ou la vocation de Mar
c) La question de Marie
d) La dimension mystérique du Fils annoncé à Max
e) L'acceptation de foi de Marie
2) - La Visitation de Marie
a) La conduite de Marie en cohérence avec sa foi
b) La rencontre des deux mères sous l'effusion de l'Esprit
c) Elisabeth loue la foi de Marie . .
d) Le chant marial de gratitude et de louange à Dieu
3 et 4: La Présentation et le Recouvrement de Jésus au Temple
3) - La Présentation de Jésus par Marie
a) Jésus - Marie et la Loi du Seigneur
b) Deux témoins de l'offrande
c) La Prophétie de Syméon
4) - La perte et le recouvrement de Jésus par Marie .
a) La famille de Jésus et l'accomplissement de la Loi
b) La perte et le recouvrement de Jésus
c) La question de Marie
d) La réponse énigmatique de Jésus
e) La foi de Marie devant le mystère .
5) - Synthèses: les constantes dans la vie de Marie
6) - Essai d'un portrait psycho-religieux de Marie

D - Le noyau de l'existence de Jésus et le mystère pascal
1) - Le concept de mystère
2) - Le mystère du salut ou le mystère du Christ
3) - Un seul mystère dans le Christ

E - L'accompagnement marial de la vie publique de Jésus .
1) - Note préliminaire
2) - Marie au seuil de la vie apostolique de Jésus .
a) Les noces à Cana de Galilée
b) L'initiative de la Mère de Jésus
c) La réponse révélatrice de Jésus
d) La réaction de foi de Marie
3) - Faisant route avec Jésus
La béatitude de Marie: une maternité approfondie
4) - Marie médite la révélation de Jésus
a) Les gestes et les attitudes de Jésus
b) Les paroles et le message de Jésus
c) La personne et le mystère de Jésus

F - Marie à l'heure de la «Mort-et-Résurrection» du Seigneur
1) - Le fait historique de la mort du Christ
2) - L'événement pascal de sa résurrection
3) - La participation croyante de Marie dans cet unique mystère
a) Les grands événements de la Passion
b) Les paroles de Jésus en croix adressées à Marie .
c) Et le disciple l'accueillit
d) Le couronnement de la foi de Marie


 

Chapitre II

DEMARCHE DE LA FOI DE L'EGLISE

FACE AU MYSTERE DE MARIE

A - La conscience de l'Eglise en recherche de son être

B - L'Esprit dévoilant à l'Eglise le mystère de Marie

1) - La découverte progressive du mystère de Marie

2) - La mariologie du Concile Vatican II et les appels de l'après-Concile

3) - L'Esprit-Saint et Marie dans le mystère de l'Homme Nouveau

a) Le rôle de l'Esprit    

b) L'Esprit dans l'Ancien Testament 

c) Et à l'ère messianique        

d) L'Esprit réalité expérimentée

e) L'Esprit et Marie

e.1 - dans l'Evangile de l'enfance, de St Matthieu.

e.2 - dans l'Evangile de l'enfance, de St Luc

e.3 - Liberté et action dans l'Esprit-Saint                  

C – Marie, exemple et modèle du juste renouveau



 

Chapitre. II

MARIE DANS LA VIE D'UN FRERE AUJOURD'HUI

A - Notre enquête

1) Les réponses          

2) Le dépouillement.               

a) Lecture

b) Distribution aux aides

c) Nouvelle classification

   c.1 - Témoignages intégraux

   c.2 - Témoignages groupés par thèmes    

3) Les critères

4) Une question (les absents) et une réponse provisoire (IBM)    

a) Motivations mariales et vocation mariste..                       

b) Motivations mariales et générations actuelles.               

5) Constantes

6) Lacunes

7) Attitudes

B - Données de l'enquête      

1) Le pourquoi du témoignage                      

2) Une question

a) Rôle universel de Marie

b) Rôle particulier pour certains groupes     

c) Rôle particulier pour certains individus                

3) Groupements des témoignages   

4) Une suggestion


 

Chapitre III

TEMOIGNAGES

I. TEMOIGNAGES FRAGMENTAIRES

A- Le climat de la famille

1) Pratiques mariales de la famille   

2) Consécration

3) Famille et vocation

4) Dévotion unie à l'ouverture aux pauvres

5) Empreinte laissée par la famille

B - Education mariale continuée par l'école et la paroisse

C - Marie et la vocation           

1) A l'origine de la vocation   

2) A l'origine d'un second appel       

3) Protectrice contre les premières crises

4) Créatrice de la persévérance        

5) Celle qui fait retourner       

6) Celle qui prend l'initiative

7) Celle qui ne lâche pas                   

D   - Atmosphère mariale des maisons de formation

1) On reste impressionné par l'atmosphère

2) Piété mariale personnelle de l'aspirant

3) Reflétée extérieurement                

4) Noviciat: plus grand approfondissement

5) Les maîtres  

E - Marie, réalité vivante dans la vie des Frères.      .            .

1) En général  

2) Marie, mère 

   2.1. Soin maternel tout au long de la vie

   2.2. Fidélité

3) Marie, ressource ordinaire             

4) Marie, lieu d'union avec Dieu       

   4. a. Phase mariale un peu indépendante du Christ       

   4. b. Jamais séparée de Dieu

   4. c. Marie menant à Jésus, ou Jésus menant à Marie

5) Marie modèle

   5. a. Sens traditionnel mariste

   5. b. Sens traditionnel de l'Eglise

   5. c. Sens plus existentiel                

6) Marie et atmosphère mariale         

F - Marie protectrice de l'Institut         

1) Témoignages fragmentaires

2) Témoignages intégraux

2.1. Un Frère Provincial

2.2. Un responsable de noviciat       

2.3. Situation mariale aux Philippines         

2.4. Histoire mariale mariste aux Philippines                       

G - Quelques « approches » de Marie          

1) Virginité de Marie

2) Consécration mariale         

3) Le mouvement Focolarini

4) Le Chapelet             

5) Le mois de Marie    

6) Autres prières

H - Apôtres de Marie   

1) Une mission            

2) Une joie       

3) Légion de Marie      

4) Soutien pour la vocation.               

5) Souvent avec des moyens très simples

6) Les fruits      

7) Apostolat marial: source de dépassement

I - Dévotion mariale traditionnelle et Vatican II

1) Irritation

2) Part d'inconscience dans la crise             

3) Tristesse et espérance       

4) Remontée après une descente      

5) Travail à entreprendre

J - Cas de vides marials         

1) Vide négatif             

2) Vide attendant d'être comblé.         .                       

3) Baisse relative

4) Cas particuliers


 

II. TEMOIGNAGES INTEGRAUX

1) Cas exceptionnels

2) Cas classiques       

3) Cas difficiles           

4) Cas de jeunes         

5) Cas de nouvelles chrétientés       

6) Marie et le religieux du 3ième âge            

7) Vie mariale rajeunie           

En forme de conclusion         

Réflexions sur les valeurs.

1) Ne se démontrent pas; se montrent         

2) La crise des valeurs           

3) Causes de la crise

a) Saturation axiologique      

b) Imposition axiologique       

c) Hypertrophie axiologique  

d) Nouvelles valeurs à l'horizon

e) Reformulations dans l'expression

4) Sortir de la crise      

a) Un temps pour Marie          

b) Des moyens concrets


En forme de conclusion         

Réflexions sur les valeurs.

1) Ne se démontrent pas; se montrent         

2) La crise des valeurs           

3) Causes de la crise

a) Saturation axiologique      

b) Imposition axiologique       

c) Hypertrophie axiologique  

d) Nouvelles valeurs à l'horizon

e) Reformulations dans l'expression

4) Sortir de la crise      

a) Un temps pour Marie          

b) Des moyens concrets

 

Annexes

   1 - Note sur la maternité intégrale de Marie

   2 - Un exemple pour éclairer la corédemption

   3 - La paternité selon J. P. Sartre   

4 - Etude sociologique des motivations mariales

A. Points concrets

B. Méthode

5 - Suggestion pour une enquête au niveau provincial.

5° Statistique générale de l’Institut

6° Défunts

7° Election de Provinciaux.

8° Sommaire



386.1

V.J.M.J.

Rome le 8 septembre 1976

 Un nouvel espace pour Marie

introduction

Le Chapitre Général est arrivé. Bientôt la nouvelle administration sera à la tête de l'Institut pour le conduire à l'horizon 85.

Mais j'ai voulu, avant de terminer mon mandat, faire encore cette circulaire que je vous avais promise sur notre «Ressource Ordinaire». Comme plus ou moins tous mes prédécesseurs, je n'aurais pas de peine en effet à montrer tout ce qu'elle a fait pendant ces 9 ans, et ceci grâce surtout grâce à ceux qui ont prié Marie pour la Congrégation avec autant d'intensité qu'ils le faisaient autrefois.

Plus de 500 d'entre vous ont envoyé leur témoignage, et je comprends très bien, qu'en cette période qui est la fin de l'année scolaire pour beaucoup, un bon nombre d'autres qui auraient voulu n'ont pas pu. Sans compter les aléas du service postal qui est bien souvent déficient. De toute façon c'est un nombre supérieur à celui sur lequel je comptais.

A ces Frères et à tous les autres qui m'ont exprimé de vive voix ou par écrit, en diverses circonstances, qu'il désiraient que je parle de Marie, je dédie cette circulaire. Elle sera un hommage de vénération filiale et permettra aussi de voir à quel point la vie mariale est réelle dans le cœur de beaucoup d'entre vous.

* * *

Voici la méthode qui a été suivie cette fois. Ce n'est pas une circulaire écrite de ma main, ni une circulaire rédigée à partir de conférences. C'est une circulaire faite en collaboration, à partir d'un schéma que j'ai conçu.

Nous avions en effet à envisager un travail dans lequel le contenu biblique et dogmatique était beaucoup plus délicat que dans les autres circulaires. Dans ce domaine, nous savons combien les sciences modernes ont fait devenir complexe la formulation de la vérité. Il n'est guère possible de l'exprimer avec la simplicité d'autrefois dans un document public. N'étant pas spécialiste, je ne pouvais pas, sans témérité, me passer de collaborateurs ayant une certaine formation à cet égard.

A cela s'ajoute la masse de documentation qu'il fallait brasser et l'effort de synthèse qu'il fallait faire en peu de temps pour montrer la dimension historique de l'influence mariale dans notre Institut. Tout cela impliquait un travail d'équipe, et c'est effectivement une équipe de six Frères qui a travaillé avec moi pendant une dizaine de jours. C'est la première fois que je prépare une circulaire dans ces conditions.

Pour certains Frères, cela deviendra une garantie supplémentaire d'objectivité et de sérieux ; d'autres au contraire ne seront peut-être pas très contents, ne sachant pas s'ils reçoivent une Circulaire du Supérieur Général ou un travail fait par un groupe et signé par le Supérieur.

Voici ce que je puis dire aux uns et aux autres. L'équipe m'a puissamment aidé à être plus objectif et plus attentif dans le domaine de l'expression théologique ou biblique. Par ailleurs cette circulaire a été conçue et réalisée selon le plan et la doctrine que je portais dans mon cœur avant même que l'équipe ait été constituée. Mais son message est enrichi, nuancé et complété par la collaboration de toute l'équipe que je remercie sincèrement.

Pas à pas nous avons examiné les sources bibliques qui ont une relation directe ou indirecte avec Marie, la manière dont elles sont vues par les exégètes sérieux, à l'aide des sciences modernes. A l’occasion nous avons pu confronter les différents courants d'une mariologie systématique, tout en maintenant notre démarche dans une ligne biblique.

Quant à la partie historique, le travail a été complémentaire. Un Frère s'est consacré à rechercher les éléments de la vie mariale chez le Fondateur et les premiers Frères, et d'autres ont fait un travail semblable pour les circulaires des Supérieurs Généraux et pour les Bulletins de l'Institut.

Evidemment de tout cela on n'a pu retenir qu'une minime partie et cette circulaire paraîtra déjà trop volumineuse. Nous avons fait de notre mieux. Si nous avons péché par excès, c'est par respect et amour de ces trésors que nos aînés ont accumulés autour de celle qui, après le Seigneur, constitue le cœur même de l'Institut.

Après tout il vous est toujours loisible de ne pas tout lire et le matériel reste disponible à l'usage de tel ou tel qui voudra le consulter.

J'ajoute encore que cette circulaire a été faite dans une maison de retraite et en esprit de retraite. Elle a été entourée de prière et d'une vraie communication de foi et de cheminement marial. Chaque jour a été marqué par une communion de travail, de recherche, de prière et de détente dans un rythme de travail assez serré. Parfois le dialogue marial durait trois heures et plus, sans que le temps paraisse long. Les prières, participées ou non, duraient de demi-heure à une heure et demie. De tout cela je remercie l'équipe qui, avec joie et un vrai amour à Marie, s'est engagée dans cette démarche, et qui représentait des nationalités, des fonctions, des mentalités et des âges divers : exactement ce qu'il nous fallait.

La méthode d'étude des témoignages est indiquée au Chapitre 2 de la 2ième partie. Qu'il me suffise de vous dire ici, que ces témoignages nous ont été une consolation et une source de louange au Seigneur, pour la vie de leurs auteurs au sein de l'Institut ; et aussi un chemin de communion ou de dépassement. On peut ne pas se sentir attiré par la manière dont tel on tel interprète ou pratique sa dévotion à Marie, mais lorsqu'un témoignage, même mal exprimé est évidemment lié à la persévérance, à la fidélité, à l'expression d'une générosité et d'une joie profondes, on ne peut qu'en retirer un grand bien spirituel.

L'équipe a souvent entremêlé la récitation des psaumes de l'office ou d'autres prières avec la lecture des témoignages, qui prenaient ainsi une dimension nouvelle.

J'ai même pensé qu'il pourrait y avoir là seulement le début d'un dépôt à constituer au service de l'Institut, pour alimenter des retraites mariales qui pourraient alterner avec les semaines maristes de prière et les semaines de réflexion sur nos Constitutions qui existent déjà en quelques Provinces. Ce seraient là trois instruments précieux pour approfondir le renouveau.

Que l'Esprit-Saint qui a donné à l'Eglise, Marie, cette créature merveilleuse : anticipation et sommet de l'humanité rachetée ; et qui a donné à l'Institut la grâce d'être particulièrement chargé de la faire connaître et honorer, bénisse les paroles de cette circulaire.

J'invite tous les Frères à la lire dans le même esprit d'amour, de joie et de prière dans lequel elle a été rédigée, et à l'éclairer à la lumière de l'Esprit qui peut faire resplendir tout ce qui n'a pas pu encore être découvert du mystère de Marie à cause de nos péchés.

Une préoccupation me reste. A cause des lenteurs de la poste, cette circulaire a dû attendre un peu avant que l'on ait pu trier vos réponses. Tout cela, ajouté aux travaux du Conseil Général, qui a consacré plusieurs semaines aux séances plénières, a retardé considérablement la rédaction de ces pages jusqu'à la deuxième quinzaine de juillet. Le mois d'août romain annule pratiquement les services d'imprimerie. Même si les imprimeurs ont promis de faire tout leur possible à partir du début de septembre, je me sens mal à l'aise devant la possibilité d'une parution un peu tardive de ce document.

Rédigé comme un dernier geste de gratitude envers un Institut dont je n'ai reçu pratiquement que des consolations et des preuves de bon esprit, il risque de sortir au moment où mon successeur aura déjà pris la relève. S'il doit en être ainsi je voudrais que personne ne l'interprète comme une sorte de présence prolongée, ce qui est loin de mes intentions, car je voudrais qu'à ce moment-là, vos yeux et vos cœurs se concentrent sur le message du 17ième Chapitre Général, et sur la personne de celui qui sera élu pour incarner la présence du Fondateur parmi nous.

Quant à moi, soyez sûrs que je conserverai inoubliable le souvenir de vous tous.

Je reste totalement disponible pour le poste que l'obéissance me confiera.

Fraternellement vôtre.

                        Frère BASILIO RUEDA,   Supérieur Général.

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PREMIÈRE PARTIE

MARIE, MERE ET «TYPE» DES CROYANTS.

«Par la foi, Abel offrit à Dieu un sacrifice meilleur que celui de Caïn … Par la foi Hénoch … Par la foi Noé … Par la foi Abraham obéit et partit pour un pays qu'il devait recevoir en héritage … Par la foi, Sara, malgré son âge avancé, fut rendue capable d'avoir une postérité. «…Par la foi, Isaac … Par la foi, Moïse … Ainsi donc, nous aussi, qui avons autour de nous une telle nuée de témoins, rejetons … le péché … et courons avec endurance … l'épreuve qui nous est proposée » (Héb. 11 et 12). 

Avertissement préliminaire.

Cette première partie voudrait vous aider à parcourir le cheminement spirituel de Marie. Il n'y a pas besoin pour cela de se placer à un niveau de spécialistes, mais il faut cependant trouver une assise doctrinale solide. Je vais donc faire deux groupes de considérations préliminaires, l'un sur l'interprétation de la Bible et l'autre sur le sens spirituel de ce message qui n'entend pas être un traité de mariologie.

A — PRINCIPES ELEMENTAIRES D'INTERPRETATION BIBLIQUE.

Le niveau des connaissances d'un ensemble de religieux est nécessairement très divers et pose, pour une circulaire comme celle-ci, le problème d'atteindre réellement les lecteurs. Parmi ceux-ci, il y en a peut-être qui n'ont presque pas de recyclage biblique. D'autres, après recyclage, n'acceptent pas telle ou telle des nouvelles interprétations ; et ce n'est pas ici le lieu de dire s'ils ont tort ou raison, car un large pluralisme est admis dans l'Eglise.

Le contact direct avec des milliers de Frères me permet de me faire une idée très concrète de ce pluralisme, et les témoignages cités plus loin en sont encore une preuve. Je fais donc ici une introduction qui me paraît indispensable, même si elle doit paraître à plus d'un superflue et de niveau doctrinal élémentaire[1].

 L'apologie du siècle passé a essayé en vain de vouloir prendre à la lettre toute l'Ecriture, et cela l'a obligée à un concordisme qui peu à peu s'est révélé insoutenable. Aujourd'hui cette conception est dépassée par l'enseignement le plus authentique des représentants de la théologie systématique et de la théologie biblique. Je conviens d'ailleurs qu'en plus d'une occasion telle exégèse biblique a pu causer et cause encore malaises et perplexités pour la vie spirituelle et l'action pastorale.

Il faut se rendre compte que l'Ecriture ne peut pas être abordée, ou bien comme une pure création humaine qui n'aurait pas l'appui permanent de Dieu pour garantir sa véracité, ou bien comme une œuvre littéraire géniale, de nature spirituelle, où chacun puise ce qu'il veut suivant l'inspiration du moment.

Le mouvement biblique tant catholique qu’œcuménique a progressé à travers bien des difficultés, mais après ses méandres du début, il commence à former une ligne sobre et sérieuse au milieu de dérivations ruisselant au hasard des pentes et dont il vaut mieux ne pas s'occuper.

Donc, pour aider ceux qui ne sont pas préparés, je vais énoncer quelques principes assez élémentaires.

1) – Le Nouveau Testament et particulièrement les Evangiles (à plus forte raison l'Ancien Testament) n'est pas la transcription d'un film qui aurait capté des faits et d'un enregistrement qui aurait capté des mots ; ni même un condensé de ce film et de cet enregistrement. C'était plus ou moins ainsi qu'on voyait les choses dans le passé, avec la différence qu'une assistance spéciale de Dieu avait remplacé magnétophone et caméra : il fallait prendre les récits tels quels, car l'auteur avait été guidé avec toute la précision voulue.

2) – Si je me limite aux Evangiles, on admet aujourd'hui que ce sont des récits un peu tardifs (même si cela veut quand même dire 1ier siècle), s'inspirant de sources écrites ou orales précédentes déjà constituées en un patrimoine commun qui s'enrichissait à l'occasion des longues rencontres de prière, prédication, échange de souvenirs qu'avaient les communautés chrétiennes à l'occasion de la fraction du pain.

Dans ces occasions-là, la communauté chrétienne n'inventait pas du faux ni ne fabriquait de l'imaginatif, mais bien au contraire jouait, par ses témoins immédiats ou médiats, une fonction de critique à l'égard de la fantaisie, et c'est même ce qui distinguera profondément les écrits canoniques des apocryphes.

Donc c'est la communauté qui peu à peu constituait un trésor à partir des données reçues du Seigneur (faits et paroles), non par mythification, mais par rappel des souvenirs oubliés, que l'un ou l'autre apportait et qui étaient reconnus et attestés par d'autres témoins.

Mais ce rappel des souvenirs prenait une densité insondable et profondément mystérieuse, et soutenait apôtres et disciples au milieu des vicissitudes constantes, car leur amour et leur engagement n'évoluaient pas dans un monde irréel, mais au milieu de crises. Leurs interprétations n'étaient pas des !eux d'intellectuels, mais elles s'éclairaient au fur et à mesure que le cœur et l'intelligence des premiers convertis prenaient conscience, sous l'illumination du Saint-Esprit, de la personne et de la vie de celui qui était tout pour eux.

Les faits advenus au temps de Jésus s'illuminaient par d'autres faits survenus ultérieurement du point de vue historique, mais qui, psychologiquement, s'ajoutaient au trésor commun de la communauté pour former et éduquer son sens ecclésial d'une relecture des événements évangéliques, sa conscience réflexe, sa mémoire rétrospective, etc. … face à tout ce qui allait devenir – plus tard – le dépôt à transmettre aux générations futures.

Paul, puis d'autres apôtres, ont fait les premières synthèses explicatives des mystères du Seigneur et des événements qui ont fondé l'Eglise. Les Evangiles, comme récit écrit, vont devenir nécessaires à un certain moment, comme une catéchèse spécialement préparée à l'intention de tel public et de telle situation, mais qui vise à la fois ce groupe présent et aussi l'avenir.

L'histoire rendra complémentaires ces deux desseins qui se fondront l'un dans l'autre, aidant à une nouvelle compréhension et à un nouvel usage de cette révélation.

C'est le moment où s'entremêlent l'apport de la foi, le récit des faits, le rôle de la mémoire et de la communion chrétienne et surtout l'assistance du Saint-Esprit pour aboutir à un texte. L'auteur de ce texte a sa propre personnalité et son style ; il a tel genre littéraire qui s'accorde mieux à tel récit, tel autre à un autre ; il a des structures de construction, etc. … Et c'est à partir de tout cela qu'il va aboutir à ce chef-d’œuvre qui nourrira la foi et la vie de l'Eglise au cours des siècles.

Les Evangiles sont donc profondément vrais et profondément historiques, mais sont aussi bien plus que cela. En eux nous possédons non seulement ce qui est arrivé, mais la compréhension de ce qui est arrivé : cette compréhension découlant et du contenu et de son interprétation par l'Eglise, surtout l'Eglise primitive.

Par ailleurs une grâce intérieure résidant dans la parole de Dieu, rend cette parole de plus en plus lumineuse et explicite au fur et à mesure que l'Eglise avance dans l'Histoire. A condition cependant que nous n'interprétions ce développement ni comme une négation du donné originel objectif, ni comme une manière subjective de traiter ce donné à travers la sensibilité et l'imagination, mais comme la croissance historique de l'intelligence de l'Eglise découvrant peu à peu les richesses insondables de la révélation du Seigneur.

Voilà, me semble-t-il, le genre d'explication qui peut rassurer certains religieux. Sûrs d'une part que l'Ecriture détient la vérité, ils sont libérés par ailleurs d'une lecture trop littéraire et trop servile d'un texte. Les sciences modernes, judicieusement mises à profit, ont en effet quelque chose à nous importer. Placées à l'intérieur de la foi, elles peuvent aider à mieux saisir et à mieux transmettre ce que le Seigneur et l'auteur sacré ont voulu dire.

Ceux qui veulent trouver une bonne initiation n'auront pas de peine aujourd'hui à la trouver, dans les divers pays, chez des auteurs sérieux et équilibrés

C'est grâce à des exégètes profondément religieux, et qui savent en même temps faire appel aux méthodes des sciences contemporaines qu'un texte peut être analysé avec toute la rigueur possible. Parfois la structure de la composition montrera que l'auteur introduit des éléments qui visent moins à dire un réel littéral qu'à mettre en relation soit le Nouveau et l'Ancien Testament, soit les épisodes de la vie de Jésus (1ière et 2ième entrée au Temple par exemple). Parfois des textes se prêtent à plusieurs interprétations sérieuses entre lesquelles ni mes collaborateurs ni moi-même n'avions l'intention ou la capacité de trancher. Il va de soi cependant que vous avons tâché d'éviter des interprétations purement dévotionnelles ou subjectives.

B — UN MESSAGE MARIAL ET NON UN TRAITE DE MARIOLOGIE.

Cette circulaire n'est pas un traité de mariologie. Il y aura certainement bien des aspects de Marie qui seront laissés de côté, sans que cela traduise un quelconque refus. Il y a bien des angles pour aborder le mystère de Marie à partir d'une bonne théologie, et je vous rappelle que le Concile a voulu, tout en exposant une doctrine mariale merveilleuse, ne pas trancher entre les différentes positions mariologiques, et laisser la liberté des démarches et des options aux chercheurs et aux serviteurs de Marie.

C'est dans ce même esprit de respect et d'ouverture que je veux me situer devant le pluralisme de mentalités des Frères. Ce que j'adresse, c'est un message dans une ligne bien déterminée, qui me semble valable pour toutes les conceptions mariologiques, et qui voudrait être éminemment dynamiques pour un moment de renouveau et particulièrement capable de nous donner une leçon de fidélité et d'ouverture. Fidélité à l'essentiel et ouverture à l'imprévu de l'Esprit, en un temps où l'union du l'identité et de la souplesse semblent aussi indispensables que difficiles.

 

CHAPITRE I

MARIE PREND PROGRESSIVEMENT CONNAISSANCE

DU MYSTÈRE DE SON FILS.

« Et sa Mère gardait tous ces événements

dans son cœur » (Le 2, 51). 

A — LE PLAN DU SALUT DANS L'ANCIEN TESTAMENT.

Dieu a un dessein d'amour qui se manifeste d'abord comme une alliance avec Israël. C'est à Israël qu'est promis le Messie-Sauveur qui sera issu de ce peuple. Celle qui sera la mère de ce Messie doit donc être une fille d'Israël, aussi pleinement fidèle que possible au mystère de l'alliance.

L'idée d'alliance est antérieure à l'existence du peuple d'Israël qui, lui, commence avec Abraham. Dès l'époque du Déluge il y a l'alliance de Dieu avec Noé : « Je vais établir une alliance avec vous, dit Yahvé, avec votre descendance après vous et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous » (Gn. 9.9). Mais cette alliance universelle prend une forme historique à partir d'Abraham, partenaire choisi par Dieu pour s'engager avec lui dans une promesse de paternité universelle. Avec Noé l'alliance était signifiée dans l'univers par le signe de l'arc-en-ciel. Avec Abraham, comme il s'agit de la promesse d'une descendance, l'alliance sera signifiée par un signe dans la chair : la circoncision.

Mais avec Moïse, dans le Buisson Ardent et le Sinaï, l'alliance de Dieu avec les hommes s’impose comme une loi et un dialogue destinés à former le « peuple du Seigneur » : « Si vous écoutez ma voix et observez mon alliance, vous serez mon peuple privilégié parmi tous les peuples. Car toute la terre est à moi, mais vous serez pour moi un royaume de Prêtres et une nation sainte » (Ex. 19, 5).

La vocation d'Israël sera donc d'appartenir au Seigneur et de jouer un rôle médiateur entre Dieu et le reste du monde.

Effectivement Israël vit conscient de cet engagement gratuit de Yahweh. Mais toute son histoire est pleine d'infidélités. Constamment la Loi (ou Torah) lui est rappelée comme étant la base indispensable de l'alliance. De façon assez fréquente aussi surgit un prophète qui vient l'alerter, lui rappeler l'amour de Yahweh et ses épousailles avec son peuple. Sous le souffle de l'Esprit, l'homme de la Parole dénonce l'adultère d'Israël, la rupture de l'alliance.

Mais le prophète est le témoin d'un Dieu bon qui sait la faiblesse de l'homme. Dieu est parfait, Dieu est fidèle. Mais l'homme deviendra-t-il un jour, lui aussi, fidèle ? Le prophète annonce deux choses :

1°) Dieu fera triompher sa volonté de sauveur, en pardonnant « sans y être tenu » et « pour sa seule gloire ». Et ce sera la base d'une « alliance nouvelle en Jésus-Christ ».

2°) Cette alliance ne consistera pas en modification des directives du Sinaï et des engagements pris alors ; ni même seulement en un nouveau culte purement spirituel. Elle sera surtout un don : le don du cœur nouveau. La loi ne sera plus un texte écrit sur la pierre, mais le cœur de pierre de l'homme sera attendri, la structure de la personnalité régénérée au point qu'il n'y aura plus besoin de formation de l'homme par l'homme : chacun, sans être instruit par d'autres, connaîtra et accomplira la volonté du Seigneur (Jr 31, 34 suiv. ; Ez. 36, 26 ; Es. 55, 3 ; 54, l-10).

Cela aura lieu, à la fin du Temps. Il s'agit d'une alliance eschatologique. Elle aura pour artisan le mystérieux serviteur que Yahweh établit «alliance de la multitude et lumière des nations» (Es. 42, 6). Mais qui est ce serviteur fidèle ? Nous touchons là au mystère du Messie, personnage aux multiples visages.

Pour les uns, ce sera un roi, descendant de David, et, comme lui, restaurant la domination politico-religieuse de son peuple. Pour d'autres, il sera la manifestation de Dieu venant procéder à une nouvelle alliance et répandre son Esprit sur toute l'humanité. Pour d'autres, il est un délégué de pouvoirs de Yahweh. Les vicissitudes politico-religieuses d'Israël aidant les meilleurs à approfondir le dessein de Dieu, ils voient le visage humain du Messie sous les traits d'un Serviteur souffrant qui, bar un martyre immérité, rachète non seulement le peuple élu, mais aussi toute l'humanité ; ils entrevoient sa mort expiatrice et sa rédemption universelle.

Le messie sera prêtre à la manière de ce Melchisédech, personnage mystérieux, supérieur à Abraham melon le commentaire de l'épître aux Hébreux (6, 7). Il sera aussi, selon Daniel, comme «un fils d'homme» qui vient vers Dieu pour une intronisation solennelle : messie céleste représentant le Peuple de Dieu, s'identifiant même avec lui, possédant un Mouvoir et un règne universels et éternels. 

B – MARIE, LE PLUS BEAU FRUIT D'ISRAEL

Face à ce mystère du Messie, comment réagissent les contemporains de Jésus ? Un bon nombre, c'est assez évident, se rallient à un messianisme politique et, à cet égard, il suffit de se rappeler la question des disciples lors de l'Ascension : Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas établir le Royaume pour Israël ?

Cependant il y a aussi des Juifs pieux qui pensent autrement : les pauvres de Yahweh. Cœurs ouverts au Seigneur, ils vivent sa Parole dans un abandon absolu à sa volonté. Humblement convaincus de leur misère spirituelle, ils appellent de tous leurs vœux le Désiré des Nations, n'attendant leur salut que de Dieu seul : leur messianisme est essentiellement spirituel.

Impossible de douter que la «Fille de Sion», choisie par Dieu pour devenir très personnellement celle en qui le Christ s'enracinera dans notre race, n'ait su concentrer dans son âme très pure le plus pur des aspirations messianiques de son peuple. Marie est sûrement la parfaite «pauvre de Yahweh», comme le révèlent le dialogue de l'Annonciation et le Magnificat.

Tout la fait baigner dans l'espérance messianique. Son milieu familial nous est connu au moins par les cousins qui « suivent tous les commandements et observances du Seigneur d'une manière irréprochable » (Lc 1, 6). Il faut donc voir Marie recevant une forte éducation religieuse, mise au contact direct et quasi continuel des Livres Saints, soit à la maison paternelle, soit à la synagogue, où elle se plaît à en écouter la lecture commentée et priante. Cette Parole de Dieu tombe, chez elle, dans un cœur qui écoute, une mémoire qui conserve, savoure, assimile et approfondit. Son silence intérieur et son esprit virginal l'appliquent instinctivement aux choses de Dieu. Par ailleurs, au fur et à mesure qu'elle comprend, elle sent les besoins spirituels de son peuple et ce que la religion officielle a d'inadéquat comme aux temps des prophètes. Comment tout cela, sous la mouvance de l'Esprit, ne ferait-il pas de la jeunesse de Marie une attente amoureuse et empressée du Libérateur à venir : « Rorate coeli desuper… »[2].

 Dieu prépare avec soin ses élus. Il a dû préparer sa bien-aimée lui inspirant ce qu'elle devait faire pour se disposer à sa vocation personnelle, même si cette vocation ne lui était pas connue avant l'Annonciation. La réponse de la jeune Marie à ces mystérieuses préparations a été la FOI. Une foi virginale, absolue, pleine d'amour. Une foi vivante, qui d'avance l'insérait dans le plan de Dieu et l'engageait à jouer le rôle voulu dans l'Histoire du Salut.

Sur les traces d'Abraham et des héros bibliques qui ont vécu et sont morts fidèles (cf. He. 11), Marie va cheminer d'un pas alerte dans ce chemin de la foi, chantant les merveilles de Yahweh dont elle garde mémoire dans son cœur reconnaissant. L'attente messianique de Marie ne peut pas avoir été inférieure à celle des autres saints de son temps. N'est-elle pas, comme le Concile l'a reconnu et affirmé, la «Fille de Sion», c'est-à-dire, la personnification vivante de ce petit reste de peuple élu, qui conservait la «virginité de sa foi au Dieu-Sauveur et à son alliance de salut ?».

Mais qui dit FOI ne dit pas VISION. La foi est toujours une connaissance imparfaite et partielle. Dans le clair-obscur de sa conscience de croyante, Marie devait se demander maintes et maintes fois ce que serait le Messie attendu. Se sentant plus que quiconque fortement solidaire de son peuple et, partant, indigente de salut, elle vivait pour Dieu dans la confiance qu'il ne tarderait plus à envoyer son Christ : les temps étaient mûrs. « Lorsque, à l'heure de l'Annonciation, vint l'accomplissement, bien que bouleversée par le prodige, Marie aura senti monter de son cœur la réponse : c'était donc cela ! Quelque chose aura passé dans la pleine lumière, qui jusque-là existait dans un indicible pressentiment » (Romano Guardini, op. cit, ib.).

Au seuil du Nouveau Testament, nous nous trouvons donc devant cette Femme merveilleuse, fruit à la fois de la meilleure tradition d'Israël, des grâces données par Dieu à ce peuple tout au long de son histoire, et d'une prédestination singulière et personnelle, comme nous le verrons plus clairement dans la deuxième partie.

Cette Femme est la seule, dans toute l'Ecriture Sainte à recevoir le nom propre de «FAVORISEES»[3] ou «Bien-aimée de Dieu» (cf. Lc. 1, 28). En elle resplendit la présence bienveillante de Yahweh qui la comble de ses faveurs. Un peu plus tard, elle est félicitée comme la Croyante par excellence (cf. Lc. 1, 45). Tels sont les deux versants de son mystère : prise par Dieu et enveloppée par son amour avant même de le connaître ; mais aussi, fidèle au Seigneur qui lui parle à travers les événements de sa vie, elle, si apparemment semblable à ses contemporaines, pieuse Juive soumise à la Loi et n'ayant d'autre langage pour répondre au message divin que celui de l'Ancien Testament. En réalité, perle cachée sous le couvert d'une existence banale.

C — QUELQUES FAITS MARIALS DANS L'EVANGILE.

Pour suivre l'itinéraire de la foi de Marie nous avons choisi quelques faits évangéliques où elle apparaît d'une manière plus saisissante, plus explicite, plus personnelle. Elle parle. Elle prend des initiatives. Elle agit. Elle réfléchit devant la révélation progressive du Mystère de Jésus. Nous en laissons intentionnellement certains autres où il est question d'elle aussi, mais dans lesquels, dirait-on, sa participation est moins accentuée. Certes, ces textes permettent aussi d'entrer dans ce que M. Ollier appelle «la vie intérieure de la Très Sainte Vierge», mais nous avons préféré ici limiter notre contemplation aux démarches les plus vivantes de sa foi.

Notre lecture mariale se propose donc d'embrasser ces faits vécus par Marie, dans deux dyptiques :

1.2 : Annonciation et Visitation d'abord, soit parce que ces deux événements sont très intimement liés dans la pensée de l'évangéliste, soit parce que le premier trouve sa confirmation et son intelligibilité dans le second.

3.4 : Ensuite, Présentation et Recouvrement au Temple. Quand on sait que tout l'évangile de Luc est animé d'un unique mouvement d'attente et de réalisation de l'espérance messianique qui trouve son centre et son symbole dans le Temple de Jérusalem, on comprend mieux le rapport intrinsèque entre les deux visites de Jésus enfant et adolescent à la Maison du Père. C'est dans le Temple de Jérusalem qu'il est proclamé «Gloire d'Israël et Lumière de toutes les Nations» et là aussi qu'il affirme pour la première fois son mystère de Fils de Dieu. Marie ne pouvait qu'être intérieurement frappée par cette double révélation.

L'activité contemplative de la Mère accompagne la croissance de son Enfant en repassant dans son cœur tous les événements de cette croissance.

1 et 2 : L'ANNONCIATION ET LA VISITATION.

Avant d'aborder cet événement central dans la vie de Marie, il est bon de rappeler la vraie nature des évangiles. Saint Luc, pas plus que les autres évangélistes, n'a prétendu nous fournir une biographie complète de Jésus-Christ ni non plus des récits purement anecdotiques sur le Maître. Les faits qu'il nous rapporte sont bien des faits réels ; ils entendent nous présenter un Jésus qui a vraiment existé, un Jésus historique ou, si l'on préfère, une histoire de Jésus. Mais il s'agit d'une histoire religieuse, stylisée à dessein, chargée d'une signification et d'un symbolisme soigneusement organisés en vue d'une catéchèse. En d'autres termes, une histoire de Jésus dans l'optique d'un témoignage de foi. Il ne pouvait pas en être autrement, car toutes les paroles du Seigneur Jésus, tous ses actes, tous les événements de sa vie sont des faits mystériques, c'est-à-dire, porteurs d'une signification qui les dépasse et dont les témoins n'auront la pleine compréhension qu'à la lumière pascale répandue plus tard par l'Esprit Saint[4].

 C'est dans ce même Esprit que nous devons aborder l'Ecriture, et les évangiles en particulier. Voici donc comment, dans les pages suivantes, nous lirons les faits marials de l'Evangile. Laissant plutôt dans l'ombre les détails dont je ne me sens pas la compétence de faire l'exégèse, je retiendrai les grandes lignes significatives et suivrai la construction littéraire ou chronologique du récit. Par exemple, pour la lecture de l'Annonciation, je suivrai le schéma suivant : 1) – Marie reçoit l'Annonce de sa vocation. 2) – Elle est ébranlée. 3) – Dieu l'assiste en illuminant sa foi. 4) – Elle questionne et reçoit réponse. 5) – Marie adhère pleinement à la Parole de Dieu.

1 – L'ANNONCIATION.

a) – La personne de Marie au moment de l'Annonciation.

La Vierge à qui s'adresse le message messianique qui commence la vie de Jésus est donc une Nazaréenne, modeste, sans aucun titre de gloire personnelle. Il n'est même pas dit à son propos qu'elle était, à l'instar de Zacharie et d'Elisabeth, une Israélite exemplaire dans la pratique de la Loi. Sa grandeur est tout autre. Elle a trouvé grâce auprès de Dieu, elle est favorisée par l'Amour gratuit et tout puissant de Yahweh. Mais sa beauté intérieure, personne ne la voit. Sa vie se déroule dans le cadre obscur d'un village obscur de Galilée. Elle est fiancée à un homme de la maison de David : Joseph, le juste.

Un jour, le Dieu qu'elle aime de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, lui fait savoir qu'elle a une vocation maternelle à l'égard du Messie. C'est une annonciation qui commence par une invitation à la joie messianique. «Sois Joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu !» Yahweh la comble de son amour bienveillant, et lui assure une présence spéciale (te couvrira de son ombre) en vue de la mission qu'elle doit accomplir dans l'Histoire du Salut de l'humanité.

Elle en est troublée. Quelle peut bien être cette mission ? Les paroles initiales de l'ange lui laissent entrevoir quelque chose de singulier. Marie questionne, mais sa perplexité n'est nullement un manque de foi, comme ce fut le cas de Zacharie dans une circonstance analogue. Elle cherche à pénétrer le mystère de cette révélation inattendue, elle, la vierge «réfléchissante», comme l'appelle joliment Jean Guitton. Par une réaction de dialogue et de disponibilité elle cherche à comprendre dans la foi ce que le Seigneur veut d'elle, et comment il veut l'accomplir. Mais elle est trop simple pour se poser des problèmes théologiques. Elle est trop petite pour se croire d'emblée « celle qui doit enfanter le chef d'Israël » (cf. Mi. 5, 1-2). Son humilité cependant la rend toute réceptive : vase d'élection, argile entre les mains de Yahweh. Il n'aura qu'à lui signifier sa volonté : elle est pure écoute de sa PAROLE.

b) – L'annonce – proposition ou la vocation de Marie.

Elle est prête pour être la première évangélisée, c'est-à-dire pour recevoir la bonne nouvelle du salut : «Tu concevras dans ton sein et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus». Jésus, c'est-à-dire Yahweh – Sauveur. Elle sera donc la demeure maternelle du Messie, de l'Emmanuel, du Dieu-avec-nous … Et le messager de lui décrire son enfant sous les traits du Messie prophétisé par Nathan à David. Tout est joie, semble-t-il, dans la maternité qu'on lui propose ! Son fils sera le Messie glorieux et puissant, dont le règne n'aura pas de fin. Pas besoin de lui préciser, comme à Joseph (cf. Mt. 1. 21), le sens du nom de Jésus. Est-ce dire que Marie a plus d'intuition et de sens méditatif ?

Il ne faut peut-être pas trop prendre à la lettre la très belle dramatisation de S. Bernard : la décision de Dieu suspendue à la réponse de Marie. Le message de l'ange commence en effet par «Voici que tu concevras… et ne laisse aucun doute sur la réalité de cette volonté divine. Comme l'observe A. Müller, l'annonce porte non seulement sur la conception de Marie, mais aussi sur tout l'avenir éternel de son enfant. Cependant il est très juste de dire avec Guardini : «Le message n'est pas la simple annonce qu'en Marie quelque chose s'accomplira : ce message s'adresse à la liberté de celle qu'il appelle, il la convie au service de la rédemption, il l'interroge : est-elle prête ?». En cet instant, la vie personnelle de Marie et l'Histoire universelle de la Rédemption se confondent » (43-44).

Marie peut comprendre que Dieu lui demande de donner le jour au Messie promis à Israël ; sa maternité contribuera à la réalisation de la promesse faite jadis à David (cf. 2 Sm. 7, 14-16). Mais elle éprouve le besoin d'un dialogue, cette Vierge obéissante toujours en quête de plus de lumière pour sa foi. Et elle prononce la première de ses paroles que nous ait transmise l'Evangile.

c) – La question de Marie.

Une simple demande d'explication : « Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d'homme ? »[5].

Elle cherche à résoudre une difficulté. Marie est vierge, mais elle est aussi l'épouse légale de Joseph. Si elle se propose en ce mariage les relations conjugales normales (que la Bible désigne par le mot : connaître), l'annonce de sa maternité ne devrait présenter pour elle aucun problème, d'autant plus que Joseph est de la maison et de la race de David … Alors quel est le sens de sa question ? Faut-il, comme l'a généralement fait la tradition, parler de propos de virginité chez cette fiancée ? Je ne veux pas m'engager dans une discussion exégétique, et dire par exemple qu'il y a là un simple parallèle à la question de Zacharie (Lc. 1, 18) servant à introduire la révélation de l'ange sur l'origine divine du Messie, signifiée par sa conception virginale. Je voudrais plutôt éclairer quelques idées à ce propos. D'abord il n'est nullement question d'une préférence de Marie pour la virginité charnelle, à laquelle elle sacrifierait la maternité qui vient de lui être annoncée. Pareille supposition est contraire à ce que l'Evangile nous dit de cette humble servante qui fait toujours la volonté de Dieu. D'autre part, il n'est pas impossible que Joseph et Marie, qui allaient devenir « mari et femme dans le Seigneur Jésus », et pour Lui, aient pressenti par un mouvement de l'Esprit, qui les unissait par-delà les liens charnels, l'idéal de la chasteté parfaite pour le Royaume, et l'aient embrassé sans trop savoir où cela les mènerait[6].  En ce cas, l'objection de Marie pourrait signifier : J'ai choisi volontairement la «stérilité», cette pauvreté existentielle qui fait souffrir tant de couples de mon peuple. L'état auquel ils se résignent douloureusement, le Seigneur m'a inspiré de l'aimer, par la virginité dans le mariage. Comment maintenant concilier cette «volonté» divine avec la maternité qu'il me demande ? Je ne veux que sa sainte volonté. Dites-moi comment je dois comprendre.

D'autres ont pu penser aussi à une situation plus simple. Marie a envisagé ses fiançailles comme une démarche qui conduirait à un mariage ordinaire. Cependant «une conviction intime lui disait que les choses suivraient un cours à part». Dès lors elle s'abandonnait à Dieu : à chaque jour suffit sa peine. Jusqu'ici en tout cas, elle ne «connaît point d'homme» au sens physiologique. Puisque l'ange lui propose de devenir mère, elle demande comment, et, apprenant qu'il s'agit d'une conception virginale, elle forme alors sa décision de virginité perpétuelle, renonçant aux joies communes de la chair, pour le Christ qui lui est donné miraculeusement hors de l'union charnelle.

Eh bien, même dans cette supposition-limite que Marie n'était pas décidée à un mariage virginal, et qu'elle envisageait un mariage normal avec Joseph, il faut comprendre que sa question à l'ange a un sens très profond et tout autre qu'une naïve perplexité, car, si elle attend, de relations normales avec Joseph, le fils qui lui est promis, son comment n'a aucun sens. On peut envisager une double explication possible pour le comment :1°.) Comment d'un être humain pourra naître un fils répondant à la description du message ? (7).

(7) Si on lit attentivement une traduction œcuménique, comme celle de la TOB, les notes concernant ce passage montrent bien que leurs auteurs ne doutent pas que cette description fasse référence, même si c'est de façon obscure, au Fils de Dieu et à ses fonctions envers Israël : il s'agit de quelqu'un qui ne vient pas de l'homme et dépasse l'homme.

Et ce comment devient donc très normal. non seulement par suite de la disproportion entre ce fils et sa mère, mais aussi parce que les paroles de l'ange laissent entrevoir une conception de nature exceptionnelle, c'est-à-dire qui ne se fera pas et ne peut pas se faire par une relation sexuelle avec Joseph. Et c'est cette partie sous-entendue du contenu du message qui, dans cette hypothèse-limite et pour cette hypothèse-limite, provoquerait l'interrogation de Marie : Comment cela se fera-t-il ?

2°.) Mais laissons de côté cette hypothèse-limite et reprenons le comment dans le contexte d'un projet virginal de Marie, où il y aurait non seulement un fait de virginité, comme dans le cas d'une vertueuse fiancée, mais volonté de virginité préexistant à l'annonce de l'ange. Dans ce cas-là le «Comment cela se fera-t-il» devient profondément normal. D'une part, en effet, dans le contexte hébraïque du temps, cette volonté de virginité ne pouvait pas avoir une signification autre que religieuse, c'est-à-dire, selon la Tradition : une inspiration, une vocation du Seigneur. Si donc, à un moment donné sont offerts un nouveau rôle, une nouvelle situation existentielle, le comment veut provoquer une réponse du Seigneur qui fasse la lumière sur une incompatibilité.

Il s'agit en effet de maintenir dans une unique fidélité à un unique Seigneur la réponse à deux appels qui semblent opposés. Marie sait bien que Dieu ne se contredit pas, et pourtant il l'appelle et à la virginité et à la maternité messianique.

d) – La dimension mystérique du Fils annoncé à Marie.

 La virginité de Marie a été saisie, depuis le commencement de l'Eglise, comme un signe parlant de la divinité du Fils, comme un privilège de la naissance de Celui qui venait instaurer une nouvelle création, comme un symbole de la gratuité de la rédemption. La conception virginale de Jésus achève, pour ainsi dire, la révélation de son mystère au moment de l'Annonciation : «L'Esprit-Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre : c'est pourquoi Celui qui va naître de toi sera saint, et sera appelé Fils de Dieu».

Notons bien que c'est la demande de Marie qui a provoqué cette réponse éclairante pour la foi. Que signifie-t-elle ? Elle évoque deux images bibliques : l'Esprit qui plane sur les eaux primitives pour les féconder, et la nuée, symbole biblique de la présence de Dieu sur la « tente de la rencontre » ( Ex. 40, 34).

Marie peut comprendre que l'enfant qui naîtra d'elle sera celui sur qui doit reposer l'Esprit du Seigneur (Es. 11, 1), car jamais il n'y aura eu créature issue aussi directement de Dieu.

Mais en plus, faut-il aller plus loin et supposer chez elle une connaissance de la vraie nature divine de Jésus, à ce moment-là ? C'est improbable. Pour nous qui lisons le texte de Luc à la lumière de la Résurrection du Christ, l'expression «Fils de Dieu» a un sens précis, celui qui a été défini au Concile de Chalcédoine. Mais pour une Israélite du début de notre ère, cela signifierait initiation en bloc à tout le mystère trinitaire. Si nous en restons au texte de l'Evangile, il est plus naturel de voir Marie initiée progressivement à la découverte de la divinité de Jésus. Au moment de l'Annonciation, elle est initiée à l'idée d'un Messie qui va venir en elle, encore très enveloppé de tout son Mystère qui la dépasse et elle va vivre sous le poids de ce Mystère, «persévérant dans l'attente de sa pleine révélation», selon une croissance progressive.

Le sommet de cette croissance est peut-être à placer dans l'événement de la Pentecôte, alors que Jésus l'a quittée, mais la croissance elle-même a commencé bien avant, comme on le verra lors de la Rencontre de Jésus au Temple. Toute la vie de Marie a été une recherche inlassable de Dieu, dans la personne de son Fils, une longue marche dans la foi en quête de lumière. Oui, ce qui lui est demandé, au moment de devenir la Mère de ce Messie mystérieux, c'est un grand acte de foi. L'annonce de la conception virginale lui a montré qu'il fait bon s'abandonner à Dieu : il va toujours au-delà des contradictions. Evidemment ce qui lui est demandé est folie selon la chair, c'est une aventure impossible qui exige le saut dans la nuit. Ce projet de vie que le Seigneur lui propose ferait rire les Athéniens, et Sara, l'ancêtre, avait ri elle-même pour une proposition moins audacieuse. Marie accueille totalement le don de Dieu et entre dans une connaissance expérimentale de l'Esprit de Puissance, qui ne va pas s'exercer en elle par une succession indiscrète de miracles, mais en faisant alterner nuit et jour spirituels pour de l'épanouissement le mieux réussi de cette fleur de notre race.

e) – L'acceptation de foi de Marie.

«Je suis la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi comme tu l'as dit » : c'est la réponse de la toute jeune Marie au Dieu qui lui parle à travers un événement qui va devenir le centre de son existence, le point de référence toujours actif, toujours approfondi, de toutes ses attitudes.

Elle est la servante du Seigneur comme tous les grands patriarches qui l'ont précédée dans la foi, comme les prophètes qui ont laissé Yahweh les prendre par la main, comme le Messie lui-même (toutes proportions gardées). Sa volonté est pure adhésion à la Parole de Yahweh.

Si nous examinons les éléments qui composent pour ainsi dire un acte de foi, nous nous rendrons compte de la perfection du «fiat» de Marie. Tout acte de foi est l'effet de l'intelligence qui «voit» par la Parole de Dieu dans les ténèbres du Mystère ; mais c'est aussi et indissolublement le fruit d'une volonté qui adhère consciemment et cordialement au dessein et à la Personne de Dieu, sous la mouvance de l'Esprit-Saint. Car pour croire à la Parole du Dieu Vivant, pour accueillir la Présence du Mystère et y conformer sa propre vie dans l'obéissance et la fidélité, il est absolument indispensable de se laisser faire par l'Esprit de Dieu, l'unique capable de transformer notre cœur de chair en cœur nouveau.

Or ces divers éléments d'intelligence, de volonté, d'affection, de confiance dans l'Esprit, n'ont pas manqué au Fiat de la Vierge à l'Incarnation.

C'est en toute conscience et liberté qu'elle a dit son OUI, vraie partenaire humaine du dialogue salvifique de Dieu avec son peuple, avec toute l'humanité. Analysant la réponse de Marie, A. Müller explique (Mysterium Salutis, tome 13, p. 95) que Marie ne dit pas d'abord CREDO, au sens d'un acte de raison qui déclare que quelque chose est croyable et le tient pour vrai. Cet aspect de la foi est compris dans l'acte beaucoup plus vaste du don total à Dieu. Ce que Marie connaissait de Dieu, elle le vit déjà, mais le don total qu'elle fait renouvelle et approfondit radicalement sa foi. Le noyau de cet acte de foi de Marie se trouve dans le plus intime de son cœur travaillé par l'Esprit. «Qu'il me soit fait…». Mihi à moi. Notre attention est attirée sur ce datif : à moi. La Vierge ne se met pas dans la situation d'un sujet, mais dans celle d'un collaborateur auquel quelque chose arrive. C'est Dieu qui opère. Son verbe faire est passif et se rapporte à l'agir divin en elle ; elle ne fait qu'accueillir d'avance, et déjà sous l'action de l'Esprit, cette fécondité virginale et surnaturelle de sa foi : Jésus, le fruit béni de ses entrailles !

La réponse de Marie à la révélation de Dieu touche le centre même du plan salvifique. C'est l'acte le foi par excellence à la suprême communication du Dieu-Sauveur qui «envoie son Fils» (Ga. 4, 4). C'est pour cela que la théologie chrétienne catholique verra dans le Fiat de Marie la réponse de toute l'humanité à l'acte divin qui fonde notre salut. A l'Annonciation, Marie est plus qu'un exemple pour notre foi ; elle est bel et bien notre porte-parole, notre représentante, notre Mère en qui se façonne l'Eglise, c'est-à-dire, nous tous.

Bien entendu, il n'est pas nécessaire de supposer une conscience réflexe en cette jeune fille, qui serait à même de comprendre, dès ce premier moment, son rôle maternel et œcuménique dans la nouvelle économie de la grâce : la question n'est pas là. Il suffit qu'elle veuille se livrer entièrement à Dieu. Et lui verra comment et quand lui faire découvrir, comme dit St Irénée « que le nœud que la désobéissance d'Eve avait noué, a été dénoué par l'obéissance de Marie … et que … le genre humain, enchaîné par une vierge, est délivré par une vierge ».

Ouvrant son cœur à la foi, ses lèvres à l'acceptation et son sein au Sauveur, Marie s'est simplement engagée par là à vivre sa maternité dans une foi constante à la Parole de Dieu. Tout au long de sa vie avec Jésus, elle sera «celle qui écoute la Parole de Dieu», dans la Bible sans doute, mais surtout dans ce Fils, si semblable à tous les enfants des hommes, et pourtant chaque jour un peu plus déconcertant, incompréhensible, transcendant.

2) — LA VISITATION DE MARIE.

Nous avons vu plus haut l'Annonciation et la Visitation de Marie comme un tout, soit du point de vue littéraire et rédactionnel soit du point de vue littéraire et rédactionnel, soit du point de joints nous laissent entrevoir. Les limites de cette circulaire m'obligeront à être plus bref sur ce second aspect du mystère.

a) – La conduite de Marie en cohérence avec sa foi.

Tout d'abord, pourquoi ce départ hâtif de Marie et ce voyage à travers le haut pays de Juda ? Pourquoi St Luc a-t-il retenu le fait de cette rencontre des deux mères tout de suite après l'annonce de la naissance de Jésus ?

Il ne peut pas s'agir du simple épisode de la vie d'une villageoise de Galilée qui rend visite à une cousine enceinte. Il y a bien cela, mais il n'y a pas que cela.

L'ange annonciateur avait dit à Marie : «Et voici que ta parente, Elisabeth, est, elle aussi, enceinte d'un fils dans sa vieillesse, et elle est à son sixième mois, elle qu'on appelait la stérile, car ''rien n'est impossible à Dieu'' ». Ce signe avait été donné en relation avec la conception virginale de Jésus. Ce n'était pas un détail négligeable, dans le genre : «Pour être complet, je dois ajouter que … . Mais revenons à notre question ». Non, c'était un don de Dieu pour Marie, qui faisait partie du message. Et Marie y découvrait un appel caché à se rendre chez Elisabeth. Pour rendre service ? Sans doute, la disponibilité de Marie, son amour effectif du prochain, son sens de la gratuité devaient la pousser à cette démarche de pure charité. Comment « la servante du Seigneur et la Mère du Serviteur de Yahweh » n'aurait-elle pas senti l'élan vers les hommes que son Fils venait sauver et libérer par un service rédempteur ? Mais outre la vertu acquise de disponibilité, il y a dans la promptitude de Marie une autre motivation. Elle porte son enfant, mais elle est mue par lui, ou mieux par cet Esprit qui déjà repose sur lui. Dans cette Visitation, Marie est donc pur service à la mission de son Fils incarné en elle, et qui est venu … non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mt. 20, 28).

Très pure dans ses intentions, la Vierge est très cohérente aussi avec sa foi. Dieu lui donne un signe ; il faut y croire, non d'une foi indifférente, morte, mais au contraire il faut communier à ce signe et en rendre grâces à Yahweh, entrer dans la joie et l'action de grâces de sa parente, en vraie pauvre, de Yahweh. L'ange annonciateur l'avait invitée à la joie messianique, une joie à partager dans la foi ; Marie saisit l'occasion qui se présente pour communiquer sa joie à ces pieux Israélites qui, eux aussi, attendent dans la prière et l'espérance la venue du Sauveur. Visités par le Dieu d'Israël, Zacharie et Elisabeth sont en mesure de goûter plus intimement la joie de Marie.

Cette joie, dont les prophètes avaient annoncé la surabondance (cf. Es. 9, 2) et même l'exubérance extérieure (cf. So. 3, 14), donne des ailes à la jeune visiteuse. Comment chanterait-elle toute seule, l'allégresse de son cœur et cette nouvelle création qui a commencé dans son sein virginal ? Sans doute la hâte est bien naturelle à cette jeune fille simple et spontanée, et son cœur est vraiment trop plein d'enthousiasme pour ne pas frémir d'impatience dans l'attente d'une possibilité de louer Dieu en communion fraternelle. Et la voilà en route, porteuse de la bonne nouvelle du salut qui vit en elle, ouverte à la communication dans le Seigneur ! Première à recevoir et à représenter la Nouvelle Alliance, elle se rend chez la dernière stérile de l'Ancienne Alliance que le Seigneur a rendue féconde.

b) – La rencontre des deux mères sous l'effusion de l'Esprit.

La hâte de la marche laisse entrevoir le ton du salut et le mouvement de la rencontre avec la vieille cousine. C'est Elisabeth qui nous renseigne sur l'effet immédiat de ce salut et de cette embrassade. Toute remplie du Saint-Esprit, sentant bondir dans son sein l'enfant qu'elle porte depuis six mois. Elisabeth, folle de joie, se met à crier :

«Tu es bénie entre toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein ! Comment m'est-il donné que la Mère de mon Seigneur (c'est-à-dire du Messie) vienne à moi ? Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein…».

L'Esprit-Saint, qui a couvert Marie de son ombre, descend donc aussi sur Elisabeth et la remplit au point que ses paroles dépassent toutes le niveau épisodique de deux amies qui se rencontrent. Dans le saut de joie de son fils, elle reconnaît la venue du Messie. Elle devine la présence en Marie d'un enfant qu'elle appelle son «Seigneur». Elle accomplit ainsi, avec Jean-Baptiste, le premier acte de foi en « Jésus vivant en Marie ». Elle est la première à louer Marie à cause de son Fils. Et pour Marie, c'est le premier acte ecclésial, la première tâche maternelle accomplie dans le cadre de la nouvelle alliance au service de Jésus et des hommes.

Si l'on fait attention, on s'apercevra sans doute que Luc, dans l'épisode de la Visitation, a déjà devancé en quelque sorte les effets extraordinaires de la Pentecôte. Elisabeth et Jean sont remplis de l'Esprit-Saint. L'ange avait annoncé à Zacharie que son enfant serait rempli de l'Esprit-Saint dès le sein de sa mère (cf. Le. 1, 15) ; cette promesse s'accomplit maintenant au contact indirect de Jésus porté par Marie. «Et c'est là, la plus pure réalisation de l'ancienne alliance » (A. Miiller).

Cette venue de l'Esprit lors de la Visitation nous apparaît encore plus saisissante quand on compare les faits prodigieux qui ont eu lieu chez les parents du Précurseur avec ceux du jour de Pentecôte au Cénacle de Jérusalem. Il y a don de prophétie, joie, exultation, louange à Dieu, et reconnaissance du Christ Seigneur dans le Fils de Marie.

c) – Elisabeth loue la foi de Marie.

Marie est célébrée et félicitée par sa parente comme plus bénie que toutes les femmes, en raison sans doute de sa maternité, mais surtout de la foi avec laquelle elle a accueilli cette maternité :

« Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira !».

Dans cet éloge de Marie la croyante, implicitement mise en contraste par Elisabeth avec Zacharie (1, 20), dont le mutisme atteste encore l'incrédulité, l'Eglise primitive trouvait sans doute le premier portrait spirituel de la Mère de Jésus, sa première définition. C'est aussi la première béatitude évangélique : « Bienheureuse celle qui a cru ». Elle avait reconnu que Dieu agirait au fur et à mesure d'une maternité miraculeuse qui lui était annoncée. Elle avait obéi à l'appel de collaborer à cette action salvifique de Yahweh ; elle avait répondu à cet appel en plongeant dans l'inconnu. Le but de la venue du Messie reste encore à réaliser : rédemption d'Israël et rédemption universelle. Mais Elisabeth peut dire : Ce qui t'a été annoncé de la part du Seigneur s'accomplira. Tu n'as pas engagé ta destinée et ta vie en vain. Le Seigneur est fidèle. Marie en était sûre, mais quel encouragement pour elle, que ces paroles inspirées » de sa cousine ! … Elle se laisse instruire par Elisabeth … Trois mois de partage de la Parole de Dieu dans la prière et l'enthousiasme ! Elisabeth a bien dû pour elle-même, et pour l'éducation de Jean-Baptiste, tirer le plus grand profit de cette fréquentation de la Mère de Jésus, dont la foi ne pouvait être que très communicative.

d) – Le chant marial de gratitude et de louange à Dieu.

Pouvons-nous imaginer la plénitude intérieure le joie dans laquelle baignait l'âme de Marie dès quelle se sentit mère du Messie ? Cette joie va exploser dans le Magnificat.

Que cet hymne remonte réellement à Marie ou qu'il ait pris naissance dans la liturgie des premières communautés de Palestine, l'essentiel est que St Luc s'en est servi pour nous décrire des sentiments vrais de Marie. Oui, ce cantique est bien placé sur les lèvres de la Mère de Jésus : il nous livre le fond de son cœur jubilant.

Sous la forme classique d'un psaume de louange où l'action de grâces apparaît dans le filigrane des thèmes traditionnels de l'Ancien Testament, Marie chante un fait nouveau : Le Royaume est là ; les promesses de la Nouvelle Alliance viennent d'être accomplies dans sa maternité messianique.

On peut facilement distinguer deux mouvements distincts et complémentaires dans ce chant de Marie : les premiers versets soulignent la reconnaissance personnelle de la servante du Seigneur parce que Yahweh a jeté les yeux sur sa petitesse, et qu'il a fait pour elle des merveilles. La personne de Marie disparaît ensuite, faisant place à Israël qui proclame sa gratitude au Seigneur pour l'accomplissement de l'alliance promise autrefois.

Nulle part comme ici, peut-être, Marie ne se montre la parfaite « pauvre de Yahweh ». Elle se sait du même monde humilié que les Juifs pieux d'après l'Exil, solidaire de tous ceux qui ont besoin de rédemption ; elle reconnaît son indigence ; elle célèbre le Dieu qui l'a tirée de sa «bassesse» (peut-être pense-t-elle à la « stérilité » volontaire assumée par son option virginale) et l'a rendue mère. Toute sa grandeur à elle consiste à n'avoir jamais gêné l'action de Dieu.

Ainsi Marie, répondant aux éloges d'Elisabeth, confirme que c'est bien la foi qui l'a animée : la foi humble et joyeuse des petits de son peuple ; une foi qui perçoit et proclame prophétiquement le renversement d'un ordre des puissants de ce monde par un ordre nouveau : celui de la justice salvifique de Dieu qui intervient personnellement dans l'histoire. La magnificence de Dieu s'est déployée en faveur des pauvres, des affamés, des faibles, des dépouillés. Ceux-ci trouvent en Marie, comblée par la miséricorde de Dieu, une expression et un symbole vivants.

On comprend alors pourquoi l'Eglise a faite sienne cette «prière de Marie», résumé de la prière de l'Ancien Testament et prélude des Béatitudes évangéliques. En chantant le Magnificat, nous témoignons aussi avec Marie de la fidélité de Dieu qui se souvient de son amour aussi grand que notre pauvreté spirituelle.

3 et 4 – LA PRESENTATION ET LE RECOUVREMENT DE JESUS AU TEMPLE.

3) – LA PRESENTATION DE JESUS PAR MARIE.

Après la visite à Elisabeth, Marie s'en retourna dans sa maison de Nazareth. Et c'est alors la révélation faite à Joseph de la conception virginale de l'Enfant Rédempteur, que sa fiancée porte dans ses entrailles. Marie se tait : Dieu qui a su éclairer Elisabeth saura bien mettre fin aux angoisses de Joseph et lui assigner un rôle paternel dans la vie de Jésus par rapport à la Loi et à la filiation davidique. C'est ensuite le mariage virginal, puis la naissance de Jésus au hasard d'un voyage à Bethléem.

Maintenant que l'enfant va avoir quarante jours, il faut le présenter au Seigneur, car la Loi est nette là-dessus : «Tout garçon premier-né me sera consacré » (Ex. 13, 2).

Voyons l'épisode et le sens qui s'en dégage.

a) – Jésus – Marie et la Loi du Seigneur.

Saint Luc introduit le récit de cet événement en rappelant les prescriptions légales qui le conditionnent. Par trois fois il insiste sur la conformité des parents de Jésus à ces prescriptions. Et il emploie même un possessif curieux : leur purification, alors que la purification concernait seulement la mère qui avait accouché.

Dans le Lévitique (13, 1-8), Marie avait pu lire ou entendre lire que toute femme contractait une impureté légale ou rituelle après ses couches, et qu'elle devait offrir un sacrifice de purification pour pouvoir participer de nouveau au culte du Dieu Trois Fois Saint. Dans la mentalité de son peuple, tout ce qui est exceptionnel, anormal, insolite, tout ce qui est changement, passage d'un état à un autre, apparaît comme une menace, la manifestation d'une puissance qui se joue des règles connues, comme une souillure dont il faut se libérer par une purification. La naissance, surtout du fait qu'elle est accompagnée d'une perte de sang et qu'elle est bien aussi un changement pour le groupe social qui doit accueillir le nouveau-né, constitue pour sa mère une «impureté».

Quel sens pouvait avoir chez Marie le geste de la purification ? Certainement pas celui d'un pur formalisme, car elle était une Israélite en esprit et en vérité, vivant une Loi intériorisée. Mais alors de quoi pouvait-elle se purifier ? D'avoir accueilli dans son cœur d'abord, puis dans son sein, le fruit de l'action de l'Esprit-Saint ? D'avoir accouché du Saint d'Israël ? Loin d'être une impureté, c'était là une source de grâces.

Il faut donc voir, dans le geste de Marie, une double densité :

– La solidarité d'une femme avec son peuple : elle ne se prévaut pas de la situation d'exception de sa naissance, de peur de produire un anti-témoignage. Dieu sait s'il y a là pour maintes situations un exemple à imiter, et si cela réduirait beaucoup de nos critiques superficielles contre des structures et des institutions ecclésiales, qui nous paraissent insupportables parce que nous sommes un peu trop avants ou un peu trop libérés.

– La volonté de respecter l'heure de Dieu : ce n'est pas elle qui prendra l'initiative de dévoiler un mystère lorsqu'elle n'en a pas reçu mission.

On a dit souvent que Marie aurait pu se soustraire à la prescription légale au nom de sa virginité demeurée intacte. Cette pensée n'a guère dû effleurer son esprit. Sans doute, Jésus appartenait-d au Père d'une manière infiniment plus profonde que ce que pouvait exprimer le rite, mais ne fallait-il pas là aussi «accomplir toute justice». Il n'était pas non plus requis que la présentation eût lieu au Temple. N'importe, les parents de Jésus sont heureux de témoigner par leur zèle à accomplir cette prescription, leur fidélité amoureuse à Yahweh. La Torah est au centre de leur vie, elle est pour eux le Sacrement du Dieu de l'Alliance dont elle transmet la volonté. Que de fois n'ont-ils pas dû emprunter les accents du Psaume 118 (pour chanter leur amour à cette Loi, incarnation de Yahweh ?) ! Leur piété juive se retrouvait bien dans cet attachement filial au Dieu miséricordieux. Lui obéir par amour, faisait leurs délices : c'était la source de leur sainteté, de leur justice, de leur sagesse, de leur jeunesse spirituelle. Mais à coup sûr le Christ a préservé sa Mère des déformations qu'il reprochera plus tard à tant de ses contemporains : mettre sur le même pied tous les préceptes religieux, moraux, civils, cultuels, sans les ordonner correctement autour du précepte central et absolu : «Ecoute, Israël … Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force » (Dt. 6, 4). Marie conduite par l'Esprit, ne pouvait perdre de vue ce noyau central de la Torah : elle en vivait en plénitude. Aucune trace chez elle (et dans l'éducation qu'elle donnerait à son fils) de la tendance tatillonne des pharisiens vers le culte des minuties. Cette femme libre avait le don du discernement spirituel, elle si souple à l'Esprit. Dans l'Esprit, elle avait compris que sa justice ne lui venait pas de son obéissance et de ses bonnes œuvres, mais de Yahweh qui sauve et justifie. St Paul devrait plus tard traiter de fous les Galates qui ne voulaient pas comprendre leur appel à la Liberté. Mais l'âme simple de Marie entrait sans difficulté dans cette vision.

Non, la démarche de Marie n'est pas « un rite de plus ». Elle est une «volonté d'offrande». Comme la mère du jeune Samuel, Marie pensait : «Je le cède au Seigneur. Pour toute sa vie il est cédé au Seigneur ». (I. Sm. 1, 28). L'amour qu'elle portait à Dieu et sa connaissance de l'origine miraculeuse de son Jésus étaient plus que suffisants pour justifier une relative solennité de cette cérémonie d'offrande à laquelle l'Esprit-Saint allait d'ailleurs communiquer un relief particulier par le moyen le deux témoins : Syméon et Anne.

b) – Deux témoins de l'offrande.

Anne est une prophétesse qui peuple son veuvage et sa vieillesse par une présence assidue et priante au Temple : une parfaite Israélite ; Syméon, un homme habité par l'Esprit-Saint, c'est-à-dire, pour nous conformer au langage de l'Ancien Testament, un prophète aussi. «Il lui avait été révélé par l'Esprit-Saint qu'avant de mourir il verrait le Messie ».

C'est probablement un simple habitant de Jérusalem. Rien ne dit qu'il soit prêtre. Ce jour-là il vient au Temple mû par l'Esprit. En prenant l'enfant dans ses bras, il constate que la promesse de Dieu est accomplie, et il chante son Nunc Dimittis, bénissant Dieu pour la joie de «voir» le Christ et s'abandonnant à Lui pour les jours qui lui restent à vivre.

Dans la personne de ces deux témoins, Syméon et Anne, Marie fait la rencontre avec tous ceux qui, comme elle, avant l'annonciation, vivaient dans l'attente d'un Messie spirituel, d'un vrai Sauveur. Ces deux vieillards parlent le même langage qu'elle et que Joseph. Ils sont sous la mouvance de l'Esprit, comme Elisabeth. Vraiment la présence agissante de l'Esprit dans tout l'Evangile de l'enfance est considérable. Toutes les révélations concernant le mystère de Jésus, que ce soit à Marie, Joseph, Jean, Elisabeth, Syméon ou Anne sont l’œuvre de cet Esprit de Vérité et de Sagesse.

c) – La Prophétie de Syméon.

Au terme de son cantique, Syméon avait découvert dans la ligne du Second Esaïe (40, 5 ; 42, 6 ; 45, 6) la dimension spirituelle et la dimension universelle du salut messianique : « …mes yeux ont vu ton Salut que tu as préparé face à tous les peuples, lumière pour la révélation aux païens et gloire d'Israël, ton peuple». Il amplifie ce qui avait été dit à Marie lors de l'Annonciation. Gabriel avait tout simplement parlé d'un Messie davidique dans le cadre du judaïsme. Syméon va plus loin : le Christ est venu pour l'ensemble de l'humanité : païens et juifs ; son royaume s'étendra sur toute la terre. L'horizon de Marie se trouve ainsi «universalisé ». Sa foi peut prendre l'aspect d'une réponse explicitement universelle. C'est consciemment, au nom et en faveur de toute l'humanité qu'elle va élever son Enfant Rédempteur pour qu'il puisse accomplir sa mission.

Mais à cet aspect glorieux et réconfortant pour le cœur de Marie, le saint vieillard ajoute le portrait du «serviteur souffrant de Yahweh ». Le Messie accomplira son œuvre dans la souffrance et la contradiction. « Et Syméon les bénit et dit à Marie (à elle exclusivement) : «Voici que cet enfant est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté. Toi-même, un glaive te transpercera l'âme. Ainsi seront dévoilés les débats de bien des cœurs ».

Cette prophétie de la passion de Jésus, la toute première du Nouveau Testament, mérite quelque attention.

Le comportement et les paroles de l'inspiré de Dieu ne peuvent avoir qu'une seule explication. Dans la lumière de l'Esprit, Syméon voit et proclame l'association de Marie à la destinée douloureuse de son Fils. Elle doit participer, intimement unie à Lui, à cette cascade de contradictions et de tensions qui aboutiront au drame du Calvaire. Jésus, en effet, est un signe qui doit être librement accueilli par la foi de ses auditeurs. Syméon annonce qu'une part importante d'Israël et beaucoup d'autres hors d'Israël le refuseront. D'où l'expression qui a dû percer l'âme maternelle de Marie : Ton fils sera un signe de contradiction. Israël sera divisé devant la Personne et le Message de Jésus. Sa mission produira des effets contraires à son but. Et elle aboutira à «manifester les secrets du cœur», car Jésus lui-même devra dénoncer souvent l'incrédulité profonde de ses auditeurs les plus assidus. La position bien définie qu'il prendra face au judaïsme et à la loi entraînera la passion et la mort en croix. Mais dans l'intention du Père, la mort de Jésus qui, au regard des hommes, apparaîtra comme un châtiment pour son péché de blasphème, va renverser complètement la situation. Par sa dimension glorieuse, c'est-à-dire par la résurrection qui la glorifie, cette mort démontrera la justice de Jésus et le péché du monde qui ne l'a pas reçu. La croix glorieuse sera le jugement de Dieu sur le monde. Prophétiquement Syméon parle du présent et du futur. Le Calvaire se dessine déjà dans le panorama du Temple où la jeune maman vient d'offrir son premier-né.

Cependant il y a quelque chose de plus étrange encore dans cette prophétie qui suit un crescendo : c'est qu'elle atteint son point culminant en Marie elle-même. Alors qu'on s'attendait à l'évocation explicite de la mort du Messie contesté, souffrant et persécuté, voilà que Syméon transfère à l'âme de Marie la blessure du glaive. «Un glaive te transpercera l'âme !». La compassion ou la transfixion douloureuse de la Mère est donc le voile prophétique à travers lequel nous est donnée la première annonce de la mort rédemptrice de Jésus. Pouvait-on avoir une démonstration plus profonde de l'intime communion et participation à la mission rédemptrice de Jésus ? Cette douleur sans doute atteindra Marie dans ce qu'elle a de plus intime, comme le « Serviteur de Yahweh », dont Esaïe a dit : «il a été transpercé à cause de nos péchés» (cf Es. 53, 5). Mais cette douleur est bien autre chose que la souffrance morale d'une mère au chevet de son enfant mourant. C'est la douleur même du Christ, répercutée dans le cœur immaculé et maternel de Marie ; elle est parfaitement unie avec Lui dans le mystère de ses souffrances et de sa mort.

Du même coup, voilà la compassion de Marie intimement liée au dévoilement des cœurs. Elle ne sera pas seulement victime avec Jésus de l'opposition des hommes au Messie, mais d'une certaine façon mise en rapport avec le jugement et l'exécution du Messie sur le Calvaire.

On peut bien remarquer que l'oracle de Syméon commence tout de suite à agir dans la vie de Marie (opérant ce qu'il annonçait). La jeune mère va vivre désormais dans la perspective de son association intime au destin douloureux et mystérieux de son Fils. Elle commence à le voir sous un autre jour, peut-être. Il n'est pas seulement le Messie-Roi ; il est aussi le Serviteur Souffrant de Yahveh, et elle est appelée, elle, à partager dans son cœur le double destin qui lui est offert, à lui : mort – glorification. Pour le moment, les détails du drame lui font défaut. Elle doit marcher à son tour sur les traces de son ancêtre Abraham, «prêt à sacrifier son fils unique, alors qu'il avait reçu les promesses» (cf. He. 11, 17). Aurait-elle déjà des lumières suffisantes, à ce moment-là, pour se dire ce que Paul fera dire à Abraham s'acheminant vers le pays de Moryya : «Même un mort, Dieu est capable de le ressusciter» ? (He. 11, 19)[7].

 Remarquons aussi cette constante dans la révélation progressive du Mystère de Jésus à sa mère, Marie. Dieu s'est servi d'intermédiaires pour découvrir à Marie les aspects de la personnalité de son Fils : Gabriel, Elisabeth, Syméon, Anne, les bergers, les mages … Chacun d'eux a pu dire à Marie quelque chose de Jésus qu'elle ne connaissait pas. C'est la dimension sociale de la foi. La Mère de Dieu elle-même n'a donc pas été dispensée des méditations de l'Eglise. On a tendance, depuis le Moyen Age, à imaginer la perfection de la Vierge comme statique, achevée. Non. L'Evangile nous dit autre chose. Marie n'est pas celle qui savait tout, qui avait tout et qui donnait tout aux autres, sans rien recevoir d'eux. Elle est plutôt celle qui a toujours vécu à l'écoute de Dieu parlant par la bouche des hommes. Plus tard nous la retrouverons au Cénacle Parmi les disciples de Jésus sous la conduite de Pierre et des apôtres. Une sœur et une disciple du Seigneur glorifié. Elle aura toujours à apprendre, comme nous tous.

4) – LA PERTE ET LE RECOUVREMENT DE JESUS PAR MARIE.

Jusqu'ici nous avons parcouru avec Marie l'itinéraire de sa foi au Christ, de l'Annonciation à la Présentation. Le Fils de Dieu s'est donné à elle sous le voile de l'humanité, éclairant son mystère par quelques oracles de l'Ancien Testament, puis par la double perspective qu'ouvrait Syméon : lumière des nations et signe de contradiction. Marie voit ensuite grandir son fils, semblable aux autres enfants. Longues années de silence et de contemplation. On ne nous a rapporté aucune parole de Jésus avant son entrée à 12 ans dans le Temple de son Père.

Nous savons déjà que cet épisode aussi est chargé de mystère. Et nous verrons à la fin qu'il est également une préfiguration de la Pâque du Christ. C'est pourquoi nous pouvons le rattacher à la Présentation au Temple qui annonçait la Passion.

a) – La famille de Jésus et l'accomplissement de la Loi.

Jésus avait donc 12 ans, et à cet âge l'enfant israélite atteignait sa majorité religieuse. D'après la Loi il devait répondre de lui-même et, à partir de ce moment, était tenu de prendre part aux fêtes de la Pâque, de la Pentecôte et des Tabernacles qui se célébraient à Jérusalem.

Marie n'était pas obligée d'y aller, étant femme. Mais l'Evangile souligne une fois de plus la piété juive de Notre-Dame : «Les parents de Jésus allaient tous les ans à Jérusalem pour la fête de la Pâque» (cf. Le, 2, 41).

Marie a-t-elle l'intuition que quelque chose va se produire dans la vie de son Jésus ? L'intuition féminine et maternelle, l'intuition surtout de son cœur méditatif pouvait bien l'amener à se demander comment et quand les paroles de Syméon commenceraient à se réaliser. Que serait ce premier contact conscient avec Jérusalem ? avec le temple ? Mais Jésus lui-même ne savait peut-être pas d'avance ce que le Père allait lui demander tout à l'heure, par le contact avec les Docteurs, plus ignorants peut-être de l'essentiel que les simples Marie et Joseph : «Tu es docteur en Israël et tu ignores cela» (Jn 3. 10), pourrait-il dire à l'un ou l'autre.

La Sainte Famille suit donc les prières liturgiques et prend sans doute part aux sacrifices rituels pendant tous les jours de la fête, bien que la Loi ne prescrive pas de prolonger le séjour à Jérusalem pendant les huit jours de la célébration pascale. Ils sont des modèles de piété généreuse : on ne donne jamais trop au Bon Dieu. Marie fait ses délices de ces longs moments de prière communautaire où la louange alterne avec l'action de grâces à Yahveh. Pourtant, elle ne peut pas, sans doute, détacher sa pensée et son cœur de Jésus, «le Fils de Dieu», selon l'annonce de l'ange. Bientôt il ne sera plus à elle, il sera reconnu fils de la Loi et partant, soustrait à l'autorité paternelle. De son cœur aimant, et en ce temple même, monte au ciel une nouvelle offrande de son Fils, écho de l'offrande de la lointaine Présentation. La prophétie mystérieuse de Syméon lui revient alors à la mémoire, et «quelque chose d'inexprimable se passe dans l'âme de la mère, au moment même où l'âme de Jésus est remplie par l'inexprimable » (Willam). Lui aussi, en effet, est en train de faire une profonde expérience de Dieu dans l'intime de son être. Sa conscience messianique, le sens de sa filiation divine, mûrissent, quel que soit le degré qu'ils aient atteint jusque-là.

b) – La perte et le recouvrement de Jésus.

«A la fin des jours de la fête, ils s'en retournaient chez eux ; le jeune Jésus resta cependant à Jérusalem sans que ses parents s'en aperçoivent». Ils pensaient même qu'il était avec leurs compagnons de route.

On peut se faire une meilleure idée de cette «méprise» de Joseph et de Marie quand on connaît les habitudes des contemporains de Jésus pour ce qui concerne les voyages en caravanes, les lendemains des fêtes religieuses. Les routes étaient remplies de gens, d'animaux, de chars. On partait vers midi par groupes. Et l'on ne se réunissait en famille que le soir tombant afin de prendre ensemble le repos.

Ce fut donc le soir du premier jour que Joseph et Marie se rendirent compte que Jésus n'était pas venu avec eux, personne n'ayant vu l'Enfant durant le trajet. Pleins d'angoisse devant cette perte inexplicable, ils se séparèrent des autres et, la nuit même sans doute, refirent le chemin qu'ils avaient parcouru, s'enquérant auprès de tous, parents et amis, artisans et marchands. Rien.

Au bout de trois jours ils découvrirent finalement Jésus … au Temple … assis parmi les docteurs, entouré par l'admiration générale[8].

En effet, dans le parvis du Temple, les Docteurs de la Loi avaient la coutume de s'asseoir sur des escabeaux et autour d'eux se formait un groupe de tous ceux qui voulaient les écouter. Pour les gens habitant hors de Jérusalem, c'était une occasion unique de voir et d'entendre ces Maîtres en Israël. La conversation entre eux et leurs disciples, assis par terre, constituait une partie essentielle de l'enseignement des Ecritures.

C'est dans un de ces cercles que Joseph et Marie aperçoivent leur fils, dont les réponses et les demandes à ces savants remplissent d'admiration enthousiaste les assistants. A cette vue, «ils sont déconcertés». La première pensée de Marie a dû être celle-ci : «Jésus ne nous a pas perdus, il nous a quittés. Pourquoi cette émancipation sans aucun avis préalable ? Qu'avons-nous fait ? ».

c) – La question de Marie.

«Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Vois, ton père et moi, nous te cherchons tout angoissés» (Lc. 2, 48).

Aucun reproche dans pareille demande d'une Mère qui, toute à la joie d'une rencontre soudaine et si désirée, ne peut pas cacher sa douleur et tout simplement l'avoue à son enfant. En toute simplicité et en toute confiance.

Son amour maternel envers Jésus, dont elle ne veut pas se séparer, sa délicatesse envers Joseph dont elle reconnaît une paternité à l'égard du fruit virginal de ses entrailles, son étonnement devant l'attitude mystérieuse de Jésus, c'est tout cela qui passe dans l'interrogation si touchante de Marie.

Mais Jésus va obliger Marie à descendre encore plus bas aux profondeurs de sa foi.

d) – La réponse énigmatique de Jésus.

Jésus répond donc : «Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être chez mon Père ?» (cf. Le 2, 49).

C'est la première parole de Jésus dans l'Evangile : une déclaration sur «son Père». A l'heure de sa mort, il aura aussi une dernière parole et ce sera pour s'abandonner totalement aux mains de ce Père. Entre ces deux affirmations, un seul programme de vie : «Je suis venu pour faire la volonté de mon Père».

Cette parole place le jeune Jésus dans une opposition consciente (qui nous paraît dure) avec la vie qu'il a menée jusqu'ici, de relations filiales avec une mère humaine et un père légal. il fait découvrir à ses parents l'abîme qui le sépare d'eux : il appartient à Dieu seul.

Il n'est pas facile, cependant, de trancher entre les diverses interprétations dont est susceptible la réponse de Jésus. Tout d'abord, on peut la lire de deux façons distinctes et, tout compte fait, complémentaires :

Ne saviez-vous pas que je dois être chez mon Père ?

Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père ?

La première s'accorde mieux avec le contexte. Jésus est au Temple qu'il considère comme la «maison de son Père». C'est là que Joseph et Marie auraient dû supposer qu'il était ; ce n'était pas la peine de le chercher partout. Mais s'il devait être chez son Père, c'est naturellement pour s'occuper des intérêts de ce Père.

A. Müller fait aussi observer très finement : A un premier niveau, la réponse de Jésus peut bien signifier : cherchez-moi auprès du Père, et par là le Christ renverrait à sa filiation divine entendue dans le sens de son appartenance exclusive au Père ; mais à un second niveau, l'accent tomberait sur le mot chercher : pourquoi m'avez-vous cherché ? et par là d'une manière beaucoup plus large que dans la première interprétation, le Christ mettrait en évidence sa mission messianique qui ne permet aucune prétention sur lui. Les parents eux-mêmes doivent le laisser aller où le Père l'envoie. Là encore, les deux interprétations ne sont pas incompatibles entre elles.

Mais pourquoi ce «Ne saviez-vous pas…» ?

Cela suppose que Joseph et Marie auraient pu ou auraient dû le savoir. Serait-ce en raison de la présentation au Temple qui a fait de sa vie une vie consacrée et qui l'a éclairée par la prophétie de Syméon ?

e) – La foi de Marie devant le mystère.

Quoi qu'il en soit Joseph et Marie, «ne comprirent pas ce qu'il leur disait».

A n'en pas douter, Jésus a voulu donner à entendre à ses parents et surtout à Marie, qu'il était au Père et qu'il lui devait une obéissance inconditionnelle pour accomplir sa mission. Elle, sa mère selon l'humanité, doit disparaître petit à petit pour le laisser absolument libre d'obéir au Père et de le révéler à Israël. Les rapports humains qu'elle et Joseph ont avec lui ne doivent pas faire oublier mon origine divine, son identité personnelle de Fils de Dieu.

Mais d'autre part, dans cet événement symbolique, Jésus a voulu faire une annonce préfigurative de son mystère pascal. Le drame vécu par ses parents pendant les trois jours de recherche angoissée évoque prophétiquement sa mort et sa résurrection au terme de sa vie publique, quelques années plus tard. Les paroles : «Ne saviez-vous pas que je dois être chez mon Père» sont une allusion voilée à son retour définitif à la maison de son Père par sa mort et résurrection. Lorsqu'il sera retourné à son Père, l'Eglise le trouvera toujours et définitivement. Notons encore : «Il faut» que je sois chez mon Père. «Il faut» est la formule-clé du mystère de la Passion et de la Résurrection, parce que tel est le plan salvifique du Père : «Ne fallait-il pas que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire» (Lc. 24, 26), dira encore Luc à la fin de son Evangile.

Marie et Joseph ne comprirent pas leur fils. Ils n'avaient pas compris sa disparition. Maintenant ils ne comprennent pas sa réponse, ni le contenu, ni la forme de cette réponse. Ils doivent affronter le mystère, d'autant plus déconcertant que Jésus va reprendre toute une vie de soumission et de lente croissance. De nouveau, un parmi d'autres.

Le Christ fait ainsi accéder sa mère à un autre palier de compréhension à l'égard de sa mission rédemptrice : il doit être suspendu au bon plaisir du Père. Il donne à Marie quelques lumières de plus sur son «moi» divin ; et il le fait en s'arrachant à des liens d'affection qui étaient excellents, bénis, pleinement conformes à la volonté du Père, mais qui doivent évoluer. Dès ce moment Jésus fait comprendre à Marie qu'il la veut plus croyante que mère.

5) – SYNTHÈSES : LES CONSTANTES DANS LA VIE DE MARIE.

L'ensemble de faits marials que nous avons analysé nous permet de dégager certaines constantes :

a) – Jésus a été confié à Marie comme un DON pour toute l'humanité. Ce DON pour sa foi l'a illuminée, elle la première, avant d'illuminer aussi la foi de toute l'Eglise.

b) – Mais ce don d'un être divin, qui sera en situation de progrès, n'est pas assorti d'une révélation éblouissante en bloc. Marie doit faire une démarche, passionnante sans doute, mais, en certaines occasions, très douloureuse, pour comprendre le mystère qui la dépasse de toutes parts et auquel elle doit s'ajuster dans une fidélité toujours croissante et toujours pleine.

c) – Marie ne sait pas, face à chaque situation, ce que le Seigneur veut d'elle. Pour le savoir elle doit consulter, réfléchir, chercher, prier.

d) – Ce n'est qu'à partir de sa méditation dans la foi, et de l'éclairage progressif du mystère existentiellement vécu par elle, que la lumière lui vient, et, dans certaines occasions, grâce au témoignage et à l'aide d'autres croyants. «Comprenant certaines choses, examinant les autres, sachant que viendrait le temps où ce qui était caché serait manifesté en son Fils » (Origène), Marie a su attendre l'Heure du Seigneur dans un dynamisme de foi que l'Eglise devra revivre, à sa suite, au long des siècles.

e) – C'est pour cela que nous voyons signalée dans l'Evangile une croissance de la foi contemplative de Marie accompagnant de très près la croissance de Jésus en sagesse, en taille et en grâce auprès de Dieu et auprès des hommes[9]

6) – ESSAI D'UN PORTRAIT PSYCHO-RELIGIEUX DE MARIE.

C'est toujours en méditant l'Evangile qu'il faudra trouver le meilleur portrait possible de Marie. Un portrait dépeint par le Saint-Esprit lui-même. Un portrait inépuisable : toutes les générations l'ont contemplé avec joie et ont découvert quelque trait nouveau dans cette sublime simplicité. Car la simplicité est la caractéristique fondamentale de Marie. En elle tout est simple, tout est sublime : «le visage qui ressemble le plus au visage du Christ !» disait Dante.

Comment les évangélistes ont-ils vu le visage psycho-religieux de Marie ? Avant tout, Marie est attentive à la Parole de Dieu (La Vierge qui écoute). Elle sait accueillir avec amour cette Parole qui, bien des fois, bouleverse ses projets de vie, transperce son cœur, plonge son âme dans le trouble, l'anxiété, les incompréhensions ; elle l'observe fidèlement et l'incarne dans sa vie. Marie est la servante de Yahweh d'accord par avance avec la volonté de son Seigneur.

Sa personnalité humaine est attachante. Calme et sereine dans son esprit, elle dialogue avec Dieu et avec les hommes, questionne, répond à propos. Très ouverte, elle sait lire les signes du temps, et n'hésite pas à accepter le changement, le nouveau, l'inattendu. Maîtresse de ses sentiments, elle ne se laisse pas emballer par une annonce qui aurait jeté dans l'enthousiasme n'importe quelle jeune Juive de son temps : la maternité messianique. Marie attend, réfléchit, pèse, objecte, quête un peu plus de lumière. Mais aussitôt qu'elle est assurée que c'est la volonté de Dieu, elle se livre confiante à la mission qui lui est proposée, croyant que Dieu est maître de l'impossible et s'abandonnant à l'action de son Saint-Esprit. Que de valeurs humaines dans le consentement lucide, libre et amoureux de Marie à l'incarnation !

Très humaine dans tout son être et son agir, elle se réjouit avec ceux qui sont dans la joie, et s'apitoie sur ceux qui souffrent ou vont éprouver quelque besoin pressant. Sa compassion est opérative. Elle se met effectivement au service des uns et des autres, prévoyante, délicate, humble, modeste et généreuse, traduisant son immense charité en des gestes d'amitié et d'aide fraternelle. On la devine souriante et sympathique, affable et accessible à tous. Sa présence apporte la joie de vivre ; sa parole communique la paix du Seigneur, et dans certains cas attire le Saint-Esprit sur ses interlocuteurs, car elle-même porte toujours le Verbe de Pieu dans son cœur, après l'avoir porté dans son sein virginal neuf mois durant.

Elle est pourtant une femme silencieuse, recueillie, cachée et presque inconnue, vivant comme tant d'autres dans son village de la Galilée ou parmi les foules à Jérusalem, ou encore mêlée aux disciples de son Fils au long des routes de Palestine ou séjournant à Capharnaüm. Elle ne se fait pas remarquer, parle peu, à moins qu'elle ne se laisse aller à la louange de Dieu et à l'action de grâces, quand elle partage avec ses amis sa prière et son bonheur de croire. Toute sa vie se concentre en contemplation de la Parole et des signes de Dieu, et en amour maternel pour Jésus et pour l'humanité. Elle comprend de plus en plus profondément le Mystère des paroles et gestes, des événements et de la Personne de son Fils, sans jamais le découvrir complètement. Jusqu'au bout elle peut ainsi poursuivre le pèlerinage de la foi.

Cette foi, si humble, est cependant lucide et lumineuse ; elle est à la base de la simplicité de Marie et de ses rapports maternels avec Jésus. Marie accepte d'un cœur reconnaissant et assuré les dépassements auxquels son Fils ne cesse de l'inviter, souvent par des paroles qui ont le ton abrupt des oracles prophétiques, et qui peu à peu l'introduisent dans le mystère de la Croix. Au Calvaire, elle vit le plus grand dépouillement qu'on peut demander à une mère : échanger, à la parole de Jésus, sa maternité charnelle et humaine pour une autre, spirituelle et universelle. Elle était mère ; Jésus a su la changer, d'abord en simple disciple parmi les disciples, mais pour la faire accéder à la fonction formidable de mère des disciples.

Fidèle observante de la Loi, âme profondément pieuse, Marie a vécu sa jeunesse et les débuts de son âge adulte dans la meilleure tradition observante de son peuple, mais sans étroitesse d'esprit. Elle a toujours eu des rapports spontanés et filiaux avec le Dieu trois fois Saint, bon et miséricordieux, proche et inaccessible, mystérieux et déconcertant. Un jour elle s'est trouvée, dans sa chair, mère de ce Dieu fait homme en Jésus-Christ : sa petitesse et sa docilité étaient entrées en collaboration avec l'Esprit dans l'ascension vers ces sommets.

En devenant mère de Jésus, elle s'était faite la première chrétienne ; en vivant jusqu'au fond l'expérience chrétienne, elle allait se découvrir mère du Christ total : chef et membres. Mais cette maternité, qui est son bien très particulier, appartient, par ailleurs, à toute l'Eglise qu'elle représente et devance dans son mystère personnel. Marie a dû comprendre progressivement sa vocation et sa solidarité spirituelle avec nous tous, dans la mesure même où elle acquérait une intelligence de plus en plus profonde de l'insondable mystère de Jésus.

Dans les années de l'enfance et de l'adolescence de Jésus, elle s'est montrée une vraie mère de famille, se dévouant eux tâches domestiques propres à la femme, sachant commander, et accueillant avec simplicité la «soumission» de son Fils-Messie. Sa psychologie tout à fait féminine était pleine d'intuition, d'initiative dans les moments difficiles, de délicatesse et de persévérance. Elle s'avérait parfaite éducatrice, formant l'Enfant Jésus à affronter la vie et à accomplir sa mission avec les sentiments et la sensibilité que manifestent maintes pages de l'Evangile. Avec lui et pour lui, elle a connu la pauvreté et le travail, la persécution et l'exil, les situations d'oppression et l'urgence de la libération humaine. Elle n'a cédé ni à la peur ni à la lâcheté. Elle a toujours cru en son Fils même quand tous l'ont abandonné.

Son âme était pleine de la sagesse biblique. Elle connaissait l'histoire de son peuple et savait pénétrer la trame divine qui la conduisait. C'est pour cela qu'elle «ne craignait pas de proclamer que Dieu est celui qui relève les humbles et les opprimés et renverse de leur trône les puissants du monde ».

Aucune aliénation chez cette âme totalement abandonnée à la volonté du Seigneur. Humble et modeste, elle ne se réfugie pas pour autant dans une passivité paresseuse. Son contact journalier avec Jésus, son écoute assoiffée des enseignements de ce Maître de sagesse, sa foi toujours grandissante et opérante l'ont remplie jour après jour de la sagesse chrétienne, elle qui sans aucun doute était la «première» de ces petits du Royaume auxquels le Père aime à révéler ce qui est caché aux sages de ce monde.

C'est vers cette sagesse de Dieu, contenue tout entière dans l'accomplissement historique du Salut en Jésus Christ, mort et ressuscité, qu'elle conduit maternellement la communauté du Cénacle, et par son exemple et par sa prière. Lentement. Discrètement. Efficacement. Marialement. Comme elle a formé Jésus en son sein au long d'une paisible gestation, puis à travers les événements qu'a voulus le Seigneur, il faut de nouveau qu'elle reproduise ses propres traits dans la physionomie spirituelle de tous ses fils, au cours des événements concrets de l'existence.

Je ne voudrais pas terminer cette esquisse bien imparfaite du vrai visage de Marie sans vous rapporter la liste des «vertus solides et évangéliques» que Paul VI dans son exhortation «Marialis Cultus» a cru devoir retenir pour les hommes de notre temps (cf. M. C. 57). «Vertus solides, évangéliques : la foi et l'accueil docile de la Parole de Dieu (cf. Le l, 26-28 ; 1, 45 ; 11, 27-28 ; Jn 2, 5) ; l'obéissance généreuse (cf. Lc 1, 38) ; l'humilité sincère (cf Le 1, 48) ; la charité empressée (cf Le 1, 39-56) ; la sagesse réfléchie (cf Le 1, 29-34 ; 2, 19. 33. 51) ; la piété envers Dieu, qui la rendit zélée dans l'accomplissement des devoirs religieux (cf Lc 2, 21. 22-40. 41), reconnaissante pour les dons reçus (cf Le 1, 46-49), offrante dans le Temple (cf Le 2. 22-24), priante dans la communauté apostolique (cf Ac 1, 12-14) ; la force d'âme dans l'exil (cf Mt 2, 13-23), dans la douleur (cf Le 2, 34-35. 49 ; Jn 19, 25) ; la pauvreté pleine de dignité et de confiance en Dieu (cf Le 1, 48 ; 2.24) ; la prévenance attentive envers son Fils, de l'humilité de la crèche à l'ignominie de la croix (cf Lc 2, 1-7 ; Jn 19, 25-27) ; la délicatesse prévoyante (cf Jn 2, 1-11) ; la pureté virginale (cf Mt 1, 18-25 ; Le 1, 26-38) ; l'amour conjugal fort et chaste. De ces vertus de la Mère s'orneront les fils qui, avec ténacité, regardent ses exemples pour les reproduire dans leur vie. Et leur progression dans la vertu apparaîtra comme la conséquence et le fruit déjà mûr de cette force pastorale qui se dégage du culte rendu à la Vierge».

D — LE NOYAU DE L'EXISTENCE DE JESUS ET LE MYSTERE PASCAL.

l) – LE CONCEPT DE MYSTÈRE.

Fermons maintenant cette parenthèse et continuons à suivre Marie dans tous les lieux évangéliques jusqu'à la Pentecôte. Après l'examen de ce que nous avons appelé les «faits marials», il nous faut maintenant tenter d'approfondir un peu plus le cheminement de foi en Marie, pendant la vie publique de son Fils, surtout pour mieux évaluer ses réactions de croyante aux lumières qui lui viendront des gestes, paroles et messages de Jésus durant sa prédication. Ce chapitre intercalera donc une réflexion de théologie biblique systématique sur le mystère du Christ.

Le but final est de cerner la réalité profonde du Mystère Pascal, clef de toute la Bible et noyau central de l'existence humaine du Christ. Mais il faut d'abord expliquer un peu le concept de mystère devenu un terme classique de la théologie chrétienne depuis Saint Paul.

Laissant de côté la conception philosophique de mystère, je dirai que, dans l'ordre de la grâce, ou, si l'on préfère, d'un point de vue proprement théologique, l'histoire a connu une évolution et une clarification progressive de cette notion si riche et si suggestive.

Les religions païennes nous parlent des mystères, comme d'une réalité cachée, secrète, symbolique, à laquelle on a accès par des rites d'initiation et par laquelle on obtient le salut. Le mystère évoque donc un acte liturgique et magique. Les réalités divines sont mystérieuses.

La Théologie chrétienne, elle, a une autre conception du mystère. Pendant des siècles elle a parlé de «mystères» dans un sens intellectuel et de connaissance. Les réalités divines de notre salut, disait-on, ne sont pas compréhensibles. Elles sont révélées et il faut les croire à cause de l'autorité de Celui qui nous les révèle. Le mystère exigeait donc la foi dans la Parole de Dieu telle qu'elle nous était proposée par l'Eglise, instrument du Christ pour les hommes d'ici-bas.

Dans cette conception, le mystère était une vérité à croire, même si on ne pouvait pas la comprendre. Il apparaissait donc surtout sous son aspect négatif et s'en tenait au point de vue de la compréhension. Il marquait une limite de notre connaissance et l'obligation de la dépasser par la foi. La tâche de l'apologétique consistait à justifier systématiquement que le mystère n'était pas contraire à la raison mais au-dessus d'elle[10].

Garrigou-Lagrange a fait faire un pas en avant au concept de mystère dans un livre remarquable appelé : « Le sens du mystère et le clair-obscur intellectuel». Il présente le mystère, non comme une lumière pour laquelle nos yeux ne sont pas faits et qui, finalement, est obscure, mais comme une réalité qui est révélée et s'offre à l'intelligence humaine avec les grandes zones où l'intelligence est satisfaite et comprend – et ce sont les zones de lumière et le lieu de la théologie – et aussi de grandes zones qui dépassent le niveau de l'intelligence humaine et forment un clair-obscur intellectuel. Dans ces deux zones doit s'exercer la foi, mais avec des nuances différentes.

En tout cas, cette progression dans la découverte du mystère que nous venons de voir est très importante. Dans la théologie actuelle, le mystère apparaît sous un angle qui permet mieux d'en voir la richesse. Je vais essayer maintenant de le définir. non pas que la définition importe, car on peut toujours en proposer une autre, mais il faut qu'à travers cette définition on puisse saisir le sens et le cœur même du mystère divin.

Le mystère est une réalité pneumatique et transcendante qui est en elle-même inaccessible à tout effort humain pour la connaître, mais qui s'incarne pour ainsi dire dans une autre réalité immanente et temporelle que l'homme peut saisir et comprendre, atteignant ainsi de quelque façon la première réalité.

Dans ce sens le mystère renferme une sorte de symbiose entre un élément qui vient du Dieu trois fois saint et une donnée de notre réalité. Il est important de bien noter la limite du mystère qui est son lieu d'accès. En d'autres termes, l'élément réel exerce deux fonctions opposées à l'égard de la réalité transcendante. Grâce à cet élément, ce qui serait inaccessible devient accessible, à notre portée. Mais à cause du décalage entre l'organe d'expression et de transmission d'une part, et l'immense richesse du don d'autre part, la réalité transcendante est nécessairement voilée et entrevue seulement en partie.

Le mystère des mystères, c'est Jésus en qui se déverse, s'incarne et s'exprime la Parole d'amour éternel que le Père adresse à l'humanité dans la chair du fils de Marie et qui ne fait plus qu'un avec cette chair[11].

 La nature humaine de Jésus dévoilera et rendra tangible aux hommes la présence salvifique de Dieu parmi eux dans la personne de son Fils. Elle sera aussi non seulement une limite à la connaissance du mystère de Dieu, mais un vrai scandale, et c'est pourquoi le Christ devra dire à ses apôtres : il vous est bon que je m'en aille.

2) – LE MYSTÈRE DU SALUT OU LE MYSTÈRE DU CHRIST.

Pour St Paul la notion de mystère est fondamentale, car elle dit notre élection éternelle par la Rédemption du Christ, réalité profonde, cachée et révélée à la fois. Son objet est la Bonne Nouvelle annoncée par l'Evangile de Jésus Christ : Dieu nous aime gratuitement et nous adopte comme fils dans son Bien-aimé en nous donnant son Esprit ! Voilà ce que c'est qu'un mystère, ou mieux, le mystère, car il n'y en a pas d'autres, si l'on exclut le «mystère du mal» désigné par l'Apôtre comme «le mystère d'iniquité».

La Parole de Dieu qui nous révèle le mystère est en même temps message intelligible et puissance de Salut ; elle révèle et elle agit ; elle opère ce qu'elle annonce. D'où les deux aspects du mystère de Dieu : son aspect de connaissance et son aspect de vie. L'homme, laissé à ses forces naturelles, est incapable de connaître le plan salvifique de Dieu réalisé en Jésus-Christ pour nous tous. Mais dès que l'Esprit, qui sonde tout, même les profondeurs de Dieu, survient dans un homme, il lui fait connaître les dons de la grâce de Dieu et, se joignant à notre esprit, il nous fait aussi «sentir» que nous sommes fils de Dieu. Il y a donc une connaissance du mystère de Dieu, mais c'est une connaissance existentielle, une expérience personnelle et intime, irréductible à n'importe quelle gnose naturelle. Une connaissance d'amour dans la foi qui est participation à la science de Dieu, mais qui est partielle : «Tant que nous habitons dans ce corps, nous sommes hors de notre demeure, loin du Seigneur, car nous cheminons par la foi, non par la vue…» (2 Co. 5, 6-7).

Mais ce grand mystère de Dieu, dans lequel nous sommes plongés et dont la connaissance constitue la vie éternelle, se concentre et atteint sa perfection suprême dans le Christ Jésus. Le Christ est en effet le mystère de Dieu communiqué à tous. En Lui, païens et Israélites sont réconciliés et forment un seul peuple gratuitement sauvé par la justice de Dieu. Voilà le Mystère caché dans le silence des temps éternels, mais maintenant manifesté et porté à la connaissance de tous les peuples … pour les conduire à l'obéissance de la foi » (Rm. 16, 26). C'est aussi le mystère qui constitue l'Eglise, corps et épouse du Christ, et c'est par elle, c'est-à-dire par sa prédication et ses sacrements qu'il se communique et vivifie ceux qui l'accueillent. Mystère de Dieu (Col. 2, 2), mystère du Christ (Ep. 3, 4), mystère de l'Eglise qui prolonge le Christ à travers l'histoire jusqu'à la Parousie. «Qu'il est grand ce mystère de la foi !» (1 Tm. 3, 16).

Le mystère chrétien est donc l'événement du Christ-Sauveur, une fois pour toutes accompli dans son Incarnation rédemptrice, sa mort en croix et sa résurrection par la puissance de son Esprit de Sainteté.

Le développement de l'Année Liturgique déraillera ce mystère en étapes ou célébrations ; de sorte que nous nous sommes habitués à parler des mystères du Christ : nativité, transfiguration, passion, mort, résurrection, ascension, pentecôte, parousie… Mais il n'y a qu'un seul mystère : celui de l'Incarnation-Mort-et-Résurrection du Seigneur, ou, si l'on veut, le mystère de la Croix pascale. Mais c'est la vie trinitaire de Dieu et son dessein salvifique qui en est le centre et comme l'âme.

Il faut s'attarder un peu là-dessus.

3) – UN SEUL MYSTÈRE DANS LE CHRIST.

Dans la vie du Christ, il y a une foule d'épisodes contingents. Le Christ, par exemple aurait pu ne pas naître à Bethléem, n'être pas obligé de fuir en Egypte, n'avoir pas une rencontre avec la Samaritaine ou un repas chez Zachée. Mais il y a quelque chose qui est essentiel, constitutif dans la vie de l'Homme-Dieu Rédempteur : c'est sa Pâque. Il devait mourir et ressusciter pour rassembler les hommes et les faire entrer avec Lui, libérés du péché et de la mort. dans la communion définitive avec son Père.

Nous venons de voir que le seul et unique Mystère, est fait pourtant de trois moments historiques et dialectiques, c'est-à-dire, trois moments qui se postulent et, d'une certaine façon, s'imbriquent mutuellement. L'incarnation du Verbe dans le sein de Marie en est le moment fondamental. Le Mystère se déploie essentiellement selon une trajectoire qui commence par la venue du Fils de Dieu dans notre monde et se termine par son retour glorieux à son Père, à travers sa mort et sa résurrection.

En donnant notre chair passible et mortelle au Fils de Dieu, Marie lui communiquait en même temps la nécessité intrinsèque de mourir ; en le mettant au monde, elle le mettait sur la route qui devait nécessairement le conduire à la Croix. Mais celle-ci, parce que salvifique, serait une croix essentiellement pascale. Je m'explique.

Selon une certaine philosophie, l'homme jeté dans l'histoire, vient du néant et va vers le néant. Aux yeux de la foi, les choses ne se passent pas ainsi. Nous venons d'un amour préférentiel de Dieu qui nous a élus dans son Bien-aimé et nous sommes destinés à partager la gloire éternelle de ce Fils. Mais surtout, le Christ n'est pas venu du néant, Lui qui était depuis toujours « dans le sein du Père ». Envoyé par ce Père, il s'incarne par l'opération de l'Esprit-Saint dans les entrailles virginales de Marie et se fait homme. Or cette humanisation du Verbe concerne tous les hommes, car leur sort éternel en dépend.

L'Incarnation, c'est donc Dieu devenant chair, Dieu entrant dans l'histoire, Dieu assumant notre temporalité, notre mortalité. La mort, répétons-le, ne survient pas à Jésus extrinsèquement, par la volonté des hommes, ni même par un décret extérieur de son Père qui l'aurait voué à je ne sais quel sacrifice d'expiation. Non. Son incarnation contenait déjà, dans cette chair prise de Marie, la semence de la croix.

D'autre part, comme fait remarquer justement Alfaro, «ce processus qui mène Jésus au Calvaire depuis le jour de sa conception dans le sein de Marie n'est pas automatique ni purement biologique ; il a, au contraire, pour ressort essentiel, l'acte de libre et continuelle soumission du Christ. Jésus s'est fait obéissant (à la volonté du Père qui « lui avait façonné un corps ») jusqu'à la mort… Il a donné sa vie parce qu'il a voulu … Il ne pouvait pas « désobéir » à cette loi intrinsèque sans pécher. Par conséquent, par sa constitution même de Verbe Incarné, il devait mourir. Son mérite et sa libre obéissance à la loi de la mort étaient déterminés d'avance par le fait même de son Incarnation.

Le Calvaire serait la plénitude de Nazareth et de Bethléem ; de même aussi la Résurrection serait l'achèvement et le couronnement normal, nécessaire, de la mort en croix, car si le Christ ne ressuscitait pas, comment maintenir son incarnation, quel serait le sens de sa solidarité rédemptrice avec les hommes qui doivent mourir et qui ont besoin de résurrection ? Nous reviendrons là-dessus dans la suite de cet exposé (voir F).          

Retournons maintenant à l'itinéraire spirituel de la Mère croyante pendant les années où le Mystère Pascal lui est annoncé par les gestes et paroles du Christ lui-même. Nous savons déjà que la collaboration que Dieu demanda à cette mère dans l’œuvre salvifique de son Fils, était justement la foi. Cette foi devait coller au Mystère pendant que celui-ci se déroulait dans l'histoire. Telle fut la co-rédemption de Marie, son apport personnel à notre salut.

E – L'ACCOMPAGNEMENT MARIAL DE LA VIE PUBLIQUE DE JESUS.

1 – note préliminaire.

Marie était la mère de Jésus. En tant que mère (voir appendice sur la maternité intégrale) elle ne pouvait rester ni indifférente, ni en dehors de la passionnante histoire et du drame humano-divin qu'allait vivre son Fils.

Ce drame ne se déroule pas en terrain neutre, mais autour d'une confrontation avec les chefs religieux, autour d'un magistère aussi, et finalement autour de la fondation «sociologiquement parlant» d'un nouveau groupe religieux.

Il n'est pas concevable que Marie soit en dehors de tout cela. Si l'on tient compte qu'elle était la croyante par excellence, la favorisée de Dieu, celle qui méditait tout dans son cœur, et enfin celle qui vivait « à l'ombre de l'Esprit » bien avant la Pentecôte, on peut comprendre qu'elle suivait de très près tout ce qui concernait le déroulement historique et significatif de la vie de son fils.

Pendant la vie cachée, elle avait dû méditer les quelques paroles de Syméon, puis celles de Jésus au Temple, et c'étaient là des jalons bien éloignés, pour des étapes bien longues, où son fils n'apparaissait rien autre que son fils.

Au contraire, à partir de Cana, elle est inondée par les vagues successives, et parfois tempétueuses d'une abondante prédication qui nourrit son désir d'entendre et qui soumet son cœur à un rythme accéléré de méditation pour pouvoir assimiler la lumineuse et éclatante doctrine de son fils : « Jamais homme n'a parlé comme cet homme », « Bienheureux le ventre qui t'a porté »…

Si donc on voit ainsi les choses et qu'on lise dans cet esprit les pages qui vont suivre, on comprendra que nous nous soyons limités à l'essentiel (de la prédication de Jésus) pour suivre, sans nous perdre, l'évolution de la foi de Marie et que, à l'intérieur de ces limites, nous ayons fait les choix qui nous semblaient le mieux permettre de saisir les vrais problèmes auxquels Marie était affrontée pour rester dans le sillage de son fils.

Pour aider à suivre le développement et la croissance historique de la foi de Marie au long de la vie de Jésus, je crois bon d'ajouter ce qui suit :

1°.) Il faut prendre avec précaution. disons même comme pures hypothèses, la plupart des passages et faits invoqués. Si l'on veut se placer sur le terrain de l'exégèse ou de l'histoire stricte, il n'est pas facile de dire que c'est à propos de telle parabole, de tel événement important, ou de tel enseignement du Seigneur que la foi de Marie a réagi de telle façon. Et ceci pour trois raisons :

a) Les évangiles ne sont pas, dans le détail, organisés chronologiquement. .

b) Nous ne savons même pas s'il y a une quelconque chronologie ; en tout cas nous ne savons pas quelle est la synchronisation entre les événements et les réactions de Marie. Pour ne prendre qu'un exemple : à l'occasion de la perte de Jésus au Temple, l'évangéliste ne nous dit pas à quel moment l'événement a été compris. Il nous dit seulement : « Ils ne comprirent pas ».

c) Enfin nous ne savons ni jusqu'à quel point, ni à quelle occasion exacte Marie a pu avoir connaissance de tel fait ou de telle parole de son fils. Etait-elle présente ? Le lui a-t-on raconté ? Aucune réponse ne peut nous être donnée : c'est évident.

2°.) Mais autant j'ai voulu attirer l'attention sur la relativité matérielle de nos conjectures, autant je crois que l'ensemble tient debout psychologiquement et spirituellement, et peut être pris au sérieux.

2) – MARIE AU SEUIL DE LA VIE APOSTOLIQUE DE JESUS.

Saint Jean nous présente Marie en deux situations qui encadrent toute l'activité messianique de Jésus durant les années de sa vie publique : Cana et le Calvaire. Quand on sait que l'évangéliste a entendu faire surtout une œuvre théologique après de longues années de méditation priante sur l'expérience chrétienne et aussi après avoir eu chez lui la Mère du Seigneur, on ne peut pas s'empêcher de trouver dans ces deux faits historiques de la vie de Marie, l'approfondissement le plus authentique de son rôle dans l'histoire du salut.

Les récits du 4ième évangile sont très stylisés et leur intention principale n'est sans doute ni le détail anecdotique ni l'analyse psychologique. Ce qui ne nuit pas pourtant à la vérité de l'événement.

Fidèles à la ligne suivie jusqu'ici de chercher à découvrir, à travers l'évangile la foi croissante de Marie, nous nous penchons maintenant sur l'épisode de Cane pour contempler la foi de Marie au seuil de la prédication apostolique de Jésus et la genèse de la foi des premiers disciples grâce à l'intervention de la première Croyante.

a) – Les noces à Cana de Galilée.

La scène est connue et apparemment banale dans le cadre d'une vie paysanne. Un mariage d'un couple ami de Marie. Elle s'y est rendu la première. Elle y a pris part d'une façon si familière que les serviteurs n'ont pas eu de la peine à lui obéir aussitôt qu'elle le leur a commandé. Peut-être ce récit reproduit-il le point de vue de Marie, ses impressions et son souvenir de ces noces qui ont marqué l'inauguration du ministère de son Fils. «On imagine qu'elle devait citer la remarque du maître du repas avec un sourire, et voiler, par la gaieté de ce bon mot la grandeur de l'événement dont elle avait été l'origine. En fait, en terminant sa narration par la boutade sur l'excellence du vin, elle réussissait à dire, avec une pointe d'humour, ce que S. Jean écrit plus solennellement : Jésus manifesta sa gloire ». (Galot, Marie dans l'Evangile, p. 100).

Ce qui est certain c'est que le récit a un objectif : faire ressortir la première manifestation de la gloire de Jésus : celui-ci est bien le Messie annoncé par les prophètes, instaurateur d'une économie nouvelle.

Et cette glorification s'est réalisée au cours d'un festin de noces. Plus tard Jésus n'allait-il pas lui-même annoncer le Royaume de sa Gloire comme le banquet des noces messianiques, en reprenant le thème nuptial par lequel l'Ancien Testament décrit l'union idéale entre Yahveh et son peuple. Et voilà la clef biblique pour l'interprétation symbolique de ce miracle qui instaure le régime messianique et nous dévoile l'étendue du rôle de Marie. Elle est celle qui introduit en ce monde les noces messianiques, en donnant le vin de la fête : cette joie du Christ qui transforme la Loi et apporte la Nouvelle Alliance à tout l'univers, dans la foi.

Mais revenons au fait lui-même dans la simplicité du récit évangélique.

b) – L'initiative de la Mère de Jésus.

« Comme le vin manquait, la mère de Jésus lui dit : " Ils n'ont pas de vin " ».

Marie ne demande pas explicitement un miracle. Elle se contente d'exposer le besoin à son Fils le laissant libre d'agir ou de ne pas agir ; mais son désir n'est pas moins évident. Elle veut que Jésus intervienne pour que l'humble joie des jeunes mariés, pauvres gens, ne soit pas entamée dès le premier jour de leur vie commune. Marie veut que la fête continue. Son tact, son attention à tout, son esprit de service, sa tendre compassion maternelle, la portent à faire discrètement cette requête audacieuse à son Fils qu'elle voit entouré de ses premiers disciples, jeune rabbi signalé tout à l'heure par le Baptiste comme « l'Agneau de Dieu … celui sur lequel repose l'Esprit Saint ».

Marie ne peut guère ignorer ce qui s'est passé au Jourdain, et qui s'ajoute à la connaissance progressive de Jésus qu'elle acquiert depuis l'Annonciation, et à cette éducation de sa foi à travers une volonté constante de le comprendre et de se situer à son égard. Cela donne donc à Marie une intuition de plus en plus riche qui va déclencher sa conduite dans cet épisode si plein de contenu et que Jean a choisi intentionnellement parmi d'autres pour notre enseignement.

Elle ne sait pas encore ce que Jésus pourra ou voudra faire pour dépanner les époux. Mais, connaissant le cœur de ce Fils et son amour des humbles, elle a comme l'intuition que quelque chose pourrait sortir de cette humilité, de cette banalité.

c) – La réponse révélatrice de Jésus.

La réponse de Jésus a exercé 20 siècles d'exégèse. Elle paraît éconduire la demande de Marie. Plus exactement c'est un langage énigmatique, pour mettre sa foi à l'épreuve. Car il va tout de même opérer le miracle, après avoir, d'abord, élevé l'humble désir de sa mère au rang d'un droit ultérieur d'intervention. Mais n'anticipons pas.

« Femme, lui dit-il, qu'y a-t-il pour toi et pour moi ? ». Jésus utilise une expression sémitique que nous pouvons aussi traduire par « Que me veux-tu ? » ou « Que nous importe ? » ou même : « De quoi te mêles-tu ». L'essentiel à noter c'est que cette expression marque toujours une différence de plans entre les deux interlocuteurs. Jésus et Marie ne sont pas, souligne Jésus, dans le même niveau. Marie, mue par son instinct maternel, par l'intimité qu'elle a eue jusqu'ici avec lui, lui demande une aide au niveau humain. Jésus va opérer ce qu'elle désire, mais à un niveau qui dépasse de beaucoup celui que Marie envisageait.

Mon heure n'est pas encore venue : voilà la réponse qui fait changer de niveau.

Le mot à définir est le mot HEURE. Or, dans S. Jean, Jésus parle 8 fois de son heure et chaque fois cela signifie l'heure de sa Passion. Ce serait vraiment curieux que nous ayons ici la seule fois avec un sens différent.

Et si l'heure est vraiment celle de la Passion-Résurrection tout devient profondément mystique, mais clair pour nous qui connaissons ce que Marie ne connaissait pas encore. L'Heure où je verserai le vin de la Cène, puis le sang de la croix n'est effectivement pas arrivée. En cette Heure-là, toi que j'appelle Femme (comme au Calvaire) tu entreras dans tout ton rôle, tu demanderas ce que tu voudras. Maintenant au contraire tu vas entrer dans une phase obscure, cessant d'avoir sur moi les prérogatives de mère humaine du Christ, et n'ayant pas encore les prérogatives de mère des Disciples.

Jésus voit en effet nécessaire une douloureuse séparation, qu'il avait déjà préparée par un coup de semonce à l'âge de 12 ans. Ensuite il avait laissé Marie reprendre sur lui l'ascendant qu'elle voulait. Il était soumis. Nous n'avons aucun effort à faire pour penser que Marie n'abusait pas, mais enfin leurs relations étaient les plus empreintes d'amour filial et maternel.

Par ailleurs si nous voyons Marie quand même exaucée, il ne faut pas en déduire que Jésus a bouleversé le plan du Père, devenant presque désobéissant pour réaliser une demande de sa mère qui était peinée de la situation difficile des nouveaux mariés. Cette interprétation peut aller dans un contexte dévotionnel, mais elle a le tort de ne pas bien aller avec la séparation radicale que Jésus s'impose par rapport à sa famille et qu'il demande à ceux qui veulent le suivre : «Laissez les morts ensevelir les morts ».

Cela nous invite donc à chercher l'explication à une autre profondeur : Jésus veut annoncer par un fait prématuré le rôle que Marie devra jouer dans l'Eglise d'après la Pentecôte ; elle sera celle qui, par son intercession, obtiendra des grâces exceptionnelles pour la croissance de l'Eglise, car exceptionnelle aussi sera sa situation vis-à-vis de Jésus, par suite d'une densité de foi sans égale, et d'un intérêt maternel du plus haut niveau pour tout ce qui va naître de son fils.

L'attitude de Marie reste malgré tout difficile à saisir au premier abord, mais l'expérience spirituelle enseigne qu'il y a des occasions où un je ne sais quoi nous pousse à suivre telle route de Dieu dont on ne comprendra le sens que plus tard, à partir d'une expérience et d'une lumière rétrospectives.

Il ne faut pas oublier que Marie a été placée dans l'ombre de l'Esprit divin, non seulement pour faire mûrir le fruit qu'il lui avait été donné d'accueillir dans son sein, mais pour acquérir à son égard une maternité intégrale[12], et accomplir ainsi tout au long de l'histoire sa vocation tout à fait particulière. 

d) – La réaction de foi de Marie.

C'est donc avant tout comme une inspiration de l'Esprit qu'il faut comprendre la réaction de Marie à l'égard de la parole de Jésus : « Que me veux-tu, femme, mon heure[13] n'est pas encore venue». Sa réaction est délicieuse. Elle ordonne aux serviteurs : «Quoi qu'il vous dise, faites-le», ou, selon une autre traduction : «S'il vous dit quelque chose, faites-le».

Marie ne se sent pas repoussée par la réponse de son Fils, mais elle n'insiste pas non plus auprès de Lui pour qu'il agisse et lui accorde sa requête. Jésus lui a fait comprendre qu'elle ne doit pas interférer dans son activité messianique, qu'elle doit rentrer dans le silence et conserver une certaine distance. L'humble servante du Seigneur, la croyante par excellence, va s'y conformer religieusement. Jamais plus on ne la verra intervenir dans le ministère de Jésus. Mais avant de disparaître, elle fait une dernière démarche, dit son dernier mot, renvoyant les serviteurs directement à Jésus lui-même. Elle sait très bien qu'il faut vouloir la volonté du Père. Mais elle ne sait pas exactement ce qu'a voulu dire Jésus, ni quand sera l'HEURE, et elle peut toujours conseiller aux gens du service de faire la volonté de Jésus. Quoi de plus normal ? Elle fait comme fera la Cananéenne : Sans doute c'est juste ce que tu dis, mais il y a encore cette objection des petits chiens qui mangent les miettes ; il y a encore les serviteurs qui attendent des directives. Et en écoutant Marie Parler aux serviteurs, Jésus pense sans doute : «Ô femme, grande est ta foi ; qu'il te soit fait comme tu as cru».

Et l'HEURE commencera par le vin de la fête, prélude du vin eucharistique et du sang de la Croix.

La demande de Marie suppose en tout cas qu'elle avait progressé dans la découverte de l'identité de son Fils. Au Temple, quelques années auparavant, elle le traitait comme son fils à elle, tout en sachant qu'il était le Messie ; à Cana elle laisse entendre qu'elle le voit déjà comme le Fils de Dieu partageant avec son Père céleste la toute-puissance divine. Quoi qu'il en soit, tant la demande initiale de Marie, que sa recommandation finale aux serviteurs dénotent la maturité de sa foi, une foi qui est la première de toutes, et en temps et en qualité. Les disciples de Jésus commenceront à croire en Lui parce qu'ils auront vu le miracle. Marie fait partie de ceux qui croient sans avoir vu.

3) – FAISANT ROUTE AVEC JESUS.

LA BEATITUDE DE MARIE : UNE MATERNITE APPROFONDIE.

Les évangélistes qui nous racontent la vie publique de Jésus, dans l'ensemble passent sous silence la présence de Marie. Pourtant St Jean nous dit que la scène de Cana s'est terminée par un déplacement de Jésus avec sa mère, ses frères et ses disciples vers Capharnaüm où «ils ne restent que peu de jours».

Marie qui était venue seule à Cana en sort mêlée aux disciples de Jésus. Son Fils lui avait indiqué une place modeste de disciple dans la communauté messianique jusqu'à ce qu'il s'en retourne vers la gloire de son Père. Tout simplement, la Vierge obéit et se fait compagne de cette troupe itinérante. De façon régulière ou sporadique, nous n'en savons rien, mais, il est psychologiquement et spirituellement impensable que celle dont la foi a progressé dans le contact de Jésus, la méditation de ses paroles, maintenant ne le suive plus, alors que le moment devient le plus important. Même de Nazareth, elle reste au courant de l'essentiel. De temps à autre, il sera question d'elle rapidement : elle apparaît associée à une parenté pas trop sympathique. Elle est exaltée par une femme de l'auditoire de Jésus, etc. … (Mc 3, 31-35 ; et Le 8, 19-21 et 11, 27 …).

Un jour donc où Jésus commence à attirer des foules, et à devoir soutenir des controverses, sa mère et ses «frères» viennent le voir. Mais ils ne peuvent pas entrer où il est, tellement la maison est pleine. Ils le font appeler[14]. «Voici, dit-on à Jésus, que ta mère et tes frères sont là dehors qui te cherchent». Il leur répond : «Qui est ma mère et mes frères ?». Et parcourant du regard ceux qui sont assis en cercle autour de lui, il dit : «Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu est pour moi un frère, une sœur, une mère». (Mc 3, 31).

 Jésus dit toujours la même chose. Dans l'accomplissement de sa tâche messianique il n'est tout entier qu'à son Père céleste, dont la volonté est sa nourriture et toute la substance de sa vie. Il ne veut dépendre d'aucune parenté basée sur la chair et le sang. Sa famille, ce sont les enfants de Dieu qui font, comme lui, la volonté du Père. Ses parents peuvent y trouver leur place et lui être proches, mais ce n'est pas en vertu de la parenté. Les liens du sang, même la maternité, ne sont rien s'il ne s'y ajoute la foi.

Une autre fois, Jésus doit redresser dans le même sens la perspective d'une brave femme, prise d'enthousiasme devant ce jeune rabbi qui chasse le démon et tient tête à ses détracteurs. Elle a élevé la voix au milieu de la foule et lui a dit : «Heureuse celle qui t'a porté et allaité !». C'est qu'elle pensait à la fierté légitime de la maman d'un tel Maître. Et Jésus lui répond gravement : «Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l'observent». Cet idéal, qui donc l'accomplit mieux que Marie ? Voici la réponse que donne Marialis Cultus à ce propos : «Cette réponse, qui s'avère être un grand compliment à la Vierge, selon l'exégèse de certains Pères de l'Eglise, confirmée par le Concile Vatican II (cf. LG. 58), résonne pour nous comme une invitation pressante à vivre selon les commandements de Dieu… » (M.C. 39).

Marie a très bien compris la leçon de Jésus : «Ce n'est que par la foi en la Parole et l'accomplissement de la volonté divine qu'elle a eu accès à Jésus dès l'Annonciation. Pourquoi la maternité divine est-elle si merveilleuse ? a-t-elle été tant exaltée par l'Eglise ? Parce que ce qui est premier en elle, ce n'est pas le lien biologique ou psychologique, c'est le lien spirituel. Il faut que Marie conçoive d'abord Jésus dans son cœur pour le concevoir ensuite dans son ventre : «prius mente quam ventre concepit», dit St Augustin[15].

 La conséquence c'est que tous les croyants peuvent être rendus participants de cette relation intime et maternelle de Marie avec Jésus dans la mesure où ils font leur l'attitude fondamentale de la servante du Seigneur, de celle qui est bienheureuse d'avoir cru. Et voilà la maternité divine et spirituelle de Marie reproduite dans et par l'Eglise de tous les temps.

Un poète français, Patrice de la Tour du Pin, évoque assez bien la trajectoire qu'a suivie le «voici» de Marie à l'Annonciation.

«Ce fut le mot voici qui fut touché : il ne se troubla ni ne s'obscurcit. Il se multiplia … comme s'il portait jusqu'à moi la nouvelle Mère, à moi disant : " me voici " ».

Nous avons donc vu les Evangélistes souligner la présence agissante de Marie dans la première étape de la vie de Jésus, puis son retrait pendant la vie publique voulu par le Christ lui-même. Cette vie publique, à son tour, est une phase inaugurale du Royaume messianique, suivie de l'heure de Marie à partir du Calvaire et dans toute l'histoire de l'Eglise. Le sens de ces alternances, c'est que Marie a quelque chose de provisoire et de permanent. Pendant l'enfance de Jésus, elle a eu un temps pour parler et agir de son propre mouvement. Pendant la vie publique, elle a gardé le silence et elle a accompagné de près ou de loin son Fils, en disciple qui l'écoutait et gardait ses paroles, selon une habitude déjà bien acquise. Après la glorification de Jésus, elle sera à la fois la présence silencieuse et l'intercession vivante et agissante dans l'Eglise des apôtres et l'Eglise de tous les siècles. Son rôle, cependant, reste le même fondamentalement : prolonger le Fiat de l'Annonciation à toutes les étapes du déroulement historique du Mystère du Salut.

4) – MARIE MÉDITE LA RÉVÉLATION DE JÉSUS.

La conception de maternité intégrale peut nous aider à bien lire ce que nous dit la Bible au sujet de Marie. Dieu qui donne gratuitement ne serait pas cohérent avec lui-même s'il ne continuait à gratifier Marie en proportion de sa fidélité, car «les dons de Dieu sont sans repentance». Or la Bible nous montre un dialogue Dieu-Marie, parfait d'écoute et de réponse. Marie «favorisée» de Dieu répond par une fidélité de servante. Louée et définie par Elisabeth comme la croyante, elle répond par la louange de son Seigneur. Associée par Syméon à la Passion, elle progresse en méditant les paroles et les événements qui l'aident à comprendre.

Enfin arrive un moment où ce jeu entre Marie et Dieu commence à prendre toute sa dimension.

Elle intervient à Cana, et comme nous l'avons vu, non seulement elle obtient un miracle, mais elle permet à Jésus d'entrouvrir mystérieusement un avenir où se déploiera son rôle de médiatrice. En effet agissant sous le souffle de l'Esprit, elle prélude à l'action qu'elle exercera dans l'Eglise en provoquant, à travers le signe, la foi des disciples, une adhésion plus compacte des disciples autour de Jésus.

Tout cela nous montre en Marie une démarche de foi qui la situe comme mère du Seigneur non pas par une maternité physique accueillant une chair humaine, mais par une autre maternité qui va s'amplifiant et qui accueille tout entière la Parole de Dieu pour en faire sa vie et sa nourriture dans la foi.

Aussi pour entrer dans la compréhension profonde de la médiation mariale il faut la suivre continuant sa démarche de foi face à la manifestation progressive de Jésus, même si cette démarche n'est plus active comme à Cana, mais passive et silencieuse. Il nous faut donc regarder avec elle, un certain nombre de gestes et paroles de Jésus qui, peu à peu révèlent sa personnalité totale de Fils de Dieu.

Ces gestes et paroles ne créent pas la foi en Marie mais l'illuminent au jour le jour à partir du concret.

C'est en pensant à Marie immaculée qu'il faut essayer de comprendre cela. Romano Guardini a dit là-dessus dans un petit livre : «La mère du Seigneur» des choses très profondes.

«Ce serait une tâche, et une tâche difficile, pour la "psychologie théologique" que de décrire comment un tel mode d'être se traduit dans la conscience. Chez nous pureté et maturité signifient victoire sur le mal, et par là même expérience du mal. Dans le cas présent, il faudrait montrer qu'en cette conscience la victoire sur le mal est bien prise au sérieux, tout en n'étant pas rapportée à un combat personnel, mais à la vie rédemptrice du Christ. La vie du Christ était tout pour Marie en raison de sa vocation ; elle l'a vécue avec lui, étant sa mère, dans un contact direct et pur.

Accoutumés comme nous le sommes au péché, nous avons peine à comprendre comment peuvent aller ensemble l'expérience de la vie et l'innocence, la liberté et l'obéissance, l'accomplissement personnel et la simplicité. A notre sens, il va de soi que la maturité dans l'existence est liée à l'expérience du mal ; mais cette fausse évidence ne fait que témoigner d'un ordre de valeurs bouleversé et d'une connaissance de soi pervertie. Il faut aller plus loin : nous trahissons notre volonté de justifier l'injustice qui fait le tissu de notre existence. C'est encore le mensonge du Tentateur : «Si vous mangez, alors vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal» (Gn. 3, 5). Se dégager de cette vue sommaire de l'existence est difficile, et ne s'obtient que par un sincère «exercice du christianisme». Mais c'est ainsi, et dans la mesure où on y réussira, qu'on pourra comprendre ce qu'est Marie». (R. Guardini : La mère du Seigneur p. 84).

L'objection pourrait être que cette immaculée d'une très grande liberté intérieure, risque de se laisser trop conditionner par une tradition. Elle n'a aucune difficulté intérieure pour «suivre tous les commandements et observances du Seigneur d'une manière irréprochable» comme ses cousins Elisabeth et Zacharie ; et dès lors, n'y a-t-il pas danger d'une fidélité statique à un moment où le changement s'impose ? C'est justement là un autre prodige : que Marie soit capable d'un changement radical, même de mentalité, à partir de sa contemplation de Jésus qui, lui, se laisse «pousser par l'Esprit».

L'idée de voir Marie contemplant Jésus n'est donc pas une fantaisie de l'imagination, car si l'on n'emprunte pas cette route on est réduit aux solutions suivantes : ou on laisse Marie aux prises avec un Dieu incohérent qui lui a fait faire de grands pas en avant, puis, à un certain moment, la bloque et la laisse se fermer à une évolution qu'elle ne peut comprendre ; ou on suppose que des grâces extraordinaires lui arrivent, mais directement d'En-Haut, et que sa foi continue ainsi de croître de manière infuse ; or nous avons vu au contraire qu'elle avait reçu beaucoup de ses illuminations par des intermédiaires humains.

C'est pourquoi voir Marie évoluant dans l'orbite de son Fils et selon l'ouverture que donne sa vie publique au jour le jour, semble bien ce qui convient à celle qui est toute relative à Jésus.

a) – Les gestes et les attitudes de Jésus.

Voici donc quelques gestes et attitudes par lesquels Jésus prend une ligne nouvelle, et nettement différente des légistes. Non qu'il abolisse la loi : il l'accomplit, il la perfectionne, et c'est très clair dans le Sermon de la montagne (par exemple en St Matthieu ch. 5). Il y aura même ces faits assez curieux, comme l'impôt à payer au Temple et qui sera payé grâce à la pièce trouvée dans la bouche du poisson. Et il y aura ce souci jusqu'à la fin, «d'accomplir toute justice», et par exemple de préparer la Pâque pour qu'elle soit célébrée selon les rites.

Mais quand une loi relative vient en concurrence avec la loi d'amour, alors Jésus tranquillement abandonne la loi relative. Et cela scandalise parce que la loi relative est concrète, bien formulée, et qu'une désobéissance à cette loi se voit immédiatement.

Jésus en profite d'ailleurs pour donner ses raisons, et elles sont de deux sortes. D'abord il a une raison concrète d'agir : par exemple « cette femme, fille d'Abraham, que Satan a liée depuis 18 ans … il fallait la détacher de ce lien » (Lc. 13. 16). Ensuite, il a une raison encore plus scandaleuse pour ses ennemis : il est Seigneur du Sabbat (Mt 12. 8), il est antérieur à Abraham (Jean 8. 58), il est plus grand que le temple (Mt. 12. 6).

Et alors c'est la relativisation du sabbat, du temple, des ablutions, etc. C'est une autre façon de voir les relations avec les pécheurs, les publicains, les prostituées. C'est la décision de s'opposer à la condamnation à mort d'une femme adultère. En somme pour Jésus, la miséricorde et le salut sont toujours à placer avant la-loi-pour-la-loi.

Ce retournement est-il facile pour Marie ? Sans doute elle est instinctivement ouverte, fidèle à l'Esprit et sûre de Jésus. Mais ce qui lui est demandé c'est quand même de renoncer à des principes de son éducation, au risque de se vouer à la haine même de beaucoup de braves gens.

Elle s'en aperçoit le jour de la prédication de Jésus à Nazareth. On veut le tuer, simplement parce qu'il se présente comme prophète, réalisant qu'annonce d'Esaïe. Et pourtant, peu avant, on lui «rendait témoignage» (Le 4. 16-30).

Parmi les disciples il va y avoir le choix de Matthieu qui est un publicain ; ce qui amène Jésus à frayer officiellement avec ces collaborateurs des Romains, souvent pas très honnêtes. Jésus le fait-il exprès pour irriter ? Non, sans doute, mais il a néanmoins de ces réponses à l'emporte-pièce : «Je suis venu appeler non les justes, mais les pécheurs». Si donc vous vous estimez justes, je ne suis pas pour vous.

Et l'épisode du repas avec les publicains donne lieu aussi à une discussion sur le jeûne, ce jeûne dont Jésus semble ne pas se soucier. A la maison de Nazareth on y était sans doute fidèle. Mais maintenant il y a des intérêts supérieurs qui relèguent ce jeûne au second plan. Ce doit être assez déconcertant pour Marie, la fidèle observante. Et voici que Jésus explique son point de vue avec une comparaison que, de toute évidence, il emprunte à l'observation de sa mère : «on ne met pas une pièce neuve à un vieux vêtement ». Alors, pour qui donc sera la doctrine de Jésus ? Avec qui va-t-il changer le monde ? Que faut-il faire pour avoir «un cœur nouveau» ?

Un autre jour ce seront les épis arrachés. Sans doute est-ce un peu ridicule de considérer comme un travail, rompant le repos du sabbat, ce geste de froisser des épis. Mais si l'on remet tout en question, où allons-nous ? Faut-il réduire la loi au Décalogue ? Les 613 observances ne compteraient-elles plus ? Et les rites ? la liturgie du temple ?

Voici en effet que, dans une parabole, Jésus a mis en opposition un Samaritain et les officiers du culte. Et c'est le Samaritain qui a le beau rôle, qui se comporte vraiment en prochain, qui s'occupe vraiment d'un blessé. Pourtant les Samaritains sont des hérétiques et facilement des ennemis, qui peuvent vous créer des ennuis quand vous allez de Galilée en Judée pour la Pâque. Faut-il les prendre en exemple ? On ne peut pas dire que tout cela soit humainement très facile à suivre pour Marie.

Et un jour elle apprend que Jésus a longuement parlé avec une Samaritaine, qui était même une femme légère, et qu'il lui a annoncé un temps où l'adoration ne serait plus à Jérusalem.

Il est vrai que tout le village est venu et a voulu écouter Jésus. Seraient-ils eux aussi des brebis perdues de la maison d'Israël ? Marie n'y avait peut-être pas pensé. Une éducation, le mieux faite soit-elle, comporte la transmission d'un certain nombre de préjugés, au moins à l'état diffus.

Et voilà plus grave, au moins de conséquences : Jésus a chassé les vendeurs du temple. Et d'une façon violente, inaccoutumée. Là, Marie est infiniment d'accord, car quoi de plus écœurant que ce trafic dont elle a souffert plus d'une fois, et qui détourne de la prière. On achevait de construire ce temple magnifique, mais voilà que sa splendeur ne servait à rien pour vous élever à Dieu, à cause de pratiques comme celles-ci.

Jésus se présentait donc de plus en plus comme un maître : un maître qui contestait la loi, qui se disait supérieur au temple, et qui agissait en responsable de ce temple. Que signifiaient ces prises de position, et où menaient-elles ? Les prêtres, les lévites, les hommes du culte allaient réagir. Etaient-ils mauvais ! Marie ne s'était jamais vraiment posé la question. Mais si Jésus les attaquait, cela voulait dire que la fonction, si sacrée fût-elle, ne garantissait rien.

Et même chose pour les interprètes de la loi : les scribes et les pharisiens. Jésus disait : « Ils sont dans la chaire de Moïse, faites ce qu'ils vous disent ; ne faites pas ce qu'ils font ». C'est dur de juger ainsi les chefs du peuple. Marie a plutôt été formée à la douceur. Si Jésus est doux et humble de cœur, il l'a hérité de Marie. Mais si maintenant il attaque, c'est que c'est nécessaire, que la douceur serait faiblesse, qu'une certaine pratique sclérosée, hypocrite, est en train de tuer la vraie religion, et qu'il faut sans pitié dénoncer les coupables.

Pour cela Jésus saisit toutes les occasions. Et ce sera le paralytique, et l'aveugle-né. Jésus ne fait que ce que le Père lui montre. Il rencontre ces malades un jour de sabbat. C'est donc que le Père les lui envoie pour les guérir ce jour. Cela provoque des polémiques. Et voilà que ces gens, surtout l'aveugle-né, vont se charger de dire aux Pharisiens quelques vérités assez dures : «Moi je ne sais pas si c'est un pécheur, mais en tout cas il m'a guéri». Il y a décidément un monde qui est en train de se renverser. La science acquise et qui permettait quelques conclusions du genre : «Si un homme viole le sabbat en pratiquant la médecine, c'est un pécheur», cette science-là n'est plus vraie, et un homme sans aucune instruction raisonne mieux maintenant qu'un savant. On retrouve en exemples concrets les prophéties du Magnificat.

En attendant, le filet se referme sur Jésus. Certains pharisiens, comme Simon, sont peut-être plus curieux que malintentionnés. Mais d'autres vont se relayer avec les Sadducéens pour prendre Jésus dans ses paroles. Marie est heureuse de l'habileté avec laquelle Jésus a répondu sur l'impôt à César, heureuse plus encore qu'il ait sauvé une femme adultère de la lapidation. Si horrible que soit le péché, elle était écœurée de ces lynchages où tant de pécheurs se vengeaient bassement et faisaient expier aux autres ce qu'ils auraient dû subir eux-mêmes., Cette fois, ils n'avaient pas osé. Ils avaient eu peur que quelqu'un vienne leur rappeler un fait de leur vie. Jésus, par son seul calme, les avait tous écartés. Quel pouvoir avait son fils !

Il était tout-puissant. Il était celui sur qui la voix du Père s'était fait entendre : «Tu es mon Fils bien-aimé, il m'a plu de te choisir» (Mc 1.11).

Elle connaissait bien d'ailleurs tant de miracles qu'il avait faits depuis Cana. Et maintenant celui de Lazare. Jésus qui, depuis quelques jours vivait hors frontières, était revenu à deux pas de Jérusalem pour accomplir ce miracle retentissant. Mais l'intuition de Marie devinait aussi la haine qui montait autour de Jésus. En revenant vers Béthanie, Thomas avait dit aux autres : « Allons, nous aussi, et mourons avec lui». Réellement allait-il mourir celui qui rendait la vie aux autres ? Quel paradoxe étrange ! Marie ne savait pas.

Elle voyait seulement les évènements se précipiter. La foule, soulevée d'enthousiasme par la résurrection de Lazare, s'était mise en procession de Béthanie vers la colline des Oliviers et vers Jérusalem en acclamant le fils de David. Et Jésus avait bien accepté ce triomphe, même s'il avait voulu en souligner l'absence de prétention avec sa modeste monture. Marie aimait qu'il soit ainsi le triomphateur des petites gens, des malades guéris, des très pauvres.

Or, voilà qu'arrivé au milieu de la colline, face à Jérusalem, au temple éblouissant, Jésus n'éprouvait pas de la fierté pour sa ville, mais de la pitié. Il se mettait à pleurer, disant que c'était trop tard, que Jérusalem n'avait pas voulu comprendre et que le malheur allait fondre sur elle. Y aurait-il un nouvel exil de 70 ans ?

Mais lui Jésus, pouvait-il mourir ? Marie ne savait pas. Entre ce Fils «dont le règne n'aurait pas de fin», et ce serviteur souffrant d'Esaïe que Syméon lui avait dépeint comme objet de contradiction, que devait-elle choisir ? Comment son âme à elle serait-elle transpercée ? Pour avancer à l'intérieur de ce mystère, Marie devait méditer aussi, bien des paroles de Jésus.

b) – Les paroles et le message de Jésus.

Jésus, en effet, en avait dit des paroles étonnantes depuis le début de sa vie publique. Il ne craignait même pas de tout perdre plutôt que de renoncer à s'exprimer en phrases-choc. Il venait annoncer un royaume invisible, et, pour y inviter, il avait décidé qu'il fallait seulement suggérer. Il avait fait par exemple le grand miracle de la multiplication des pains, mais ensuite il exigeait qu'on lui fit confiance et il annonçait : «Vous devez manger ma chair et boire mon sang», sans aucune explication sur le comment, et au contraire en ré insistant sur l'obligation. Au point que tout le monde était parti sauf les apôtres. Quand Marie avait appris la chose, elle n'avait pas compris non plus ; elle avait médité cela dans son cœur.

Et voici que Jésus avait aussi annoncé sa Passion, et déjà plusieurs fois. Mais si Marie interrogeait là-dessus les apôtres, ils n'aimaient guère en parler. Pierre s'était fait vivement rabrouer et traiter de Satan parce qu'il voulait détourner ce genre de conversation qui lui paraissait déplacé. Marie savait bien que Jésus ne parlait pas sans but. Elle voulait savoir pour méditer dans son cœur. Elle savait aussi que Jésus avait dit : « Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. Qui ne se charge pas de sa croix et ne me suit pas n'est pas digne de moi » (Mt. 10. 37).

Que signifiait pour elle, la mère : «aimer son fils plus que moi ? ». Il était son fils, mais ce fils lui avait déjà dit, au Temple : «Pourquoi me chercher ? Est-ce que vous ne saviez pas que je dois être chez mon Père ?». Pour Marie, donc, ne pas aimer son fils plus que Jésus (ce Jésus, Fils de Dieu, allant jusqu'à la mort pour toute l'humanité) signifiait accepter de perdre son fils pour le laisser accomplir toute sa mission, avec toutes les conséquences qui s'en dégageraient et qu'elle voyait déjà se profiler à l'horizon. Elle était invitée à chercher Jésus au-delà de son fils.

C'était bien là, la chose la plus extraordinaire qui lui était demandée. Et si nous devons une gratitude immense à Marie, pour nous avoir donné Jésus dans l'Incarnation, nous lui en devons une encore plus grande pour avoir acquiescé à ne pas aimer son fils plus que Jésus et à le livrer pour nos péchés.

Jésus disait aussi – lui, doux et humble de cœur – qu'il n'était pas venu «apporter la paix sur la terre, mais la division» ; donc qu'elle ne devait pas s'étonner de ces oppositions farouches qu'elle constatait, même à l'intérieur du clan de Nazareth. «Pas la paix, mais le glaive», ce glaive qui lui avait été promis à elle, pour la transpercer.

Par contre il y avait la prière et l'union qui étaient toutes-puissantes sur le cœur de Dieu. «Si deux ou trois s'accordent sur la terre, au sujet de r toute affaire qu'ils demandent, cela leur arrivera de mon Père» (Mt 18. 19). Est-ce ainsi que serait remplacé le culte de Jérusalem ? Recommencer par de petites cellules un nouveau peuple de Dieu ? Marie savait quelle union avait représenté sa famille à Nazareth, et avec quelle intensité on y priait le Père. Fallait-il recommencer maintenant avec d'autres disciples ? Elle était prête.

Ce ne serait pas avec des doctes, mais avec des petits, car Jésus avait exulté en pensant que le Père se révélait aux petits. Lui seul, Jésus, pouvait révéler le Père et à qui il voulait. Il l'avait déjà révélé à Nazareth quand il disait «abba» dans sa prière. Marie avait été surprise de l'emploi de ce mot familier qui ne serait venu à l'idée d'aucun Juif fidèle. Mais si Jésus disait : «abba», n'avait-elle pas ce droit elle aussi ? Et en disant ce terme de tendresse, n'est-ce pas vrai que son rapport au Père s'approfondissait encore ?

Car tout est au-dedans : «Le royaume de Dieu est au-dedans de vous», avait dit Jésus. Non, cette venue ne se laissera pas observer. Il y aura des gens qui ne s'en seront même pas douté. Mais en vivant attentif à la Parole et aux signes du temps, on est sûr de voir grandir ce royaume.

Et puis un jour, Jésus s'était raidi, avait tourné son visage vers Jérusalem. C'était sûrement une étape décisive. En Galilée, Jésus reprochait aux gens leur inertie : ils ne se convertissaient pas. A Jérusalem, ce serait la haine. Oh ! ces apostrophes aux pharisiens ! Est-ce possible que Jésus les ait attaqués si impitoyablement ? Et ces scribes qui ont «caché la clef de la connaissance» ! (Luc 11, 52). Ces gens qui veulent que l'accès à Dieu se fasse à travers une gnose pour spécialistes, alors que Jésus veut et peut s'adresser aux humbles, aux non-initiés, aux prostituées et être compris très vite ! Il y avait vraiment chez les doctes, une perversion de l'essentiel qui ne pouvait durer.

«Alors, si cela mène à la mort, Jésus, ce n'est pas moi qui t'abandonnerai, et je sais que tu me donneras la force de te suivre puisque, aussi bien, tu me l'ordonnes».

Et Marie était montée, elle aussi, à Jérusalem, comme à chaque Pâque. Peut-être avait-elle entendu les dernières paraboles, celle des Vignerons Homicides par exemple, les dernières apostrophes à Jérusalem qui tue les prophètes et leur élève ensuite ces monuments (qui subsistent encore dans la vallée du Cédron). Marie ne peut guère se faire illusion maintenant sur le sort qui attend Jésus. Les apôtres, eux, n'ont pas compris, n'ont pas aimé approfondir toutes les prédictions un peu tristes que faisait Jésus. Marie, au contraire, a compris que le Juste entre les justes ne serait pas mieux traité que les prophètes martyrs.

c) – La personne et le mystère de Jésus.

Arrivé à ce point, peut-on dire que Marie a une parfaite connaissance de la personne et du mystère de Jésus ?

Ce que l'on peut dire sûrement, c'est qu'elle est en marche vers la lumière, car elle n'a jamais cessé de faire la vérité.

Jésus l'a menée très loin dans la conception qu'elle pouvait se faire de la justice et du Juste. Il va falloir maintenant qu'elle voie celui-ci condamné par tout ce qu'il y a de représentatif dans son monde civil et religieux.

On peut donc être le Fils du Père, et connaître le Père et le traiter avec toute la tendresse possible, et prier, et subir quand même l'épreuve de la mort.

Marie a-t-elle compris dès l'Annonciation qu'elle devenait le lieu où la rencontre éternelle du Père et du Fils allait se continuer dans la chair ? Cela n'a sûrement pas été si clair du premier coup. Mais puisque c'était la vérité, Marie serait invitée peu à peu à s'en rendre compte et elle ne mériterait sûrement pas le reproche que Jésus devait faire à Philippe, à la fin de la vie publique, pour n'avoir pas compris les relations du Fils et du Père : «Qui me voit, voit le Père. Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ?» (Jean 14. 9-10). Jésus avait dit aussi : «Si quelqu'un m'aime, il observera ma parole : et mon Père l'aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure (Jean 14. 23).

Comment refuser cette expérience à Marie, la plus fidèle observatrice de la parole ?

Non, il n'est guère possible de se représenter Marie, à la fin de la vie publique, autrement que comme une très extraordinaire initiée, non à coups de révélations spéciales — même si de telles choses existent clairement chez St Paul par exemple —mais à force de fidélité dans la contemplation et dans l'action qui en découle.

Marie est certainement sur le point de comprendre que Jésus va donner au Père cette plus grande preuve d'amour dont il a parlé et qui est de mourir pour lui. Voilà pourquoi il a pris chair dans son sein à elle. Pour donner cette preuve au Père et aux hommes. Voilà quelle est la personnalité de son Fils : aimer jusqu'à l'extrême. Elle est prête à entrer avec lui dans sa Passion, dans cet échange où de nouveau Jésus veut recevoir la vie du Père, après en avoir fait le sacrifice.

F – MARIE A L'HEURE DE LA «MORT-ET-RESURRECTION» DU SEIGNEUR.

Voici donc arrivée l'HEURE dont Jésus a parlé si souvent.

Il y a d'abord une sorte d'anticipation avec cette onction où Marie de Béthanie répand ce parfum extrêmement cher dont le gaspillage scandalise Judas, mais sera loué par Jésus comme étant une prophétie de sa mort : l'embaumement est déjà commencé. Jamais sans doute la Vierge n'aurait pu recueillir l'équivalent d'une année de salaire, mais elle qui était prête à tout quitter, même son fils, pour trouver Jésus, elle pouvait apprécier la générosité des hôtes de Béthanie.

L'HEURE même de la Passion commencera avec l'heure de l'eucharistie, cette scène à laquelle Marie ne participera pas, car Jésus a voulu, cette année, la réserver pour les DOUZE. Ces Douze qui étaient restés avec Jésus alors que toute la foule de Capharnaüm était partie choquée par le discours sur le pain de vie, ce sont encore eux cette fois qui sont convoqués pour l'institution de l'eucharistie et du sacerdoce. Comment et quand Marie saura-t-elle ce qui s'est passé ? «Ceci est mon corps livré pour vous. Faites ceci en mémoire de moi». Quand Jésus prononce ces paroles, Judas a déjà accompli sa trahison ; et Jésus le sait : On ne me prend pas ma vie ; je la donne.

Au cours de cette Cène, Jésus fait aussi toute sa révélation sur l'Esprit-Saint, qui ne laissera pas orphelins ceux qui appartiennent au Christ. Et nous savons bien que Marie sera à la Pentecôte dans le groupe des l.20 personnes réunies au Cénacle. Plus qu'aucun autre, elle connaît l'Esprit-Saint.

Un jour, Marie connaîtra bien ce qui s'est passé au cours de la Dernière Cène, et elle aidera Jean à en pénétrer la profondeur. D'ailleurs, pendant cette Dernière Cène, elle ne peut pas être bien loin, car à la vaste chambre haute correspond une chambre basse où le reste de la famille a peut-être pris son repas, la Pâque étant un repas familial. Peut-être Marie aura-t-elle pu se rendre compte que même si Jésus a recommandé le calme, des apôtres comme Pierre sortent du Cénacle bien décidés à se battre. C'est la première fois qu'il y e cette ambiance. Que va-t-il se passer ?

Marie sait bien que Jésus ni ne blessera ni ne tuera. Il va au contraire entrer en agonie, entrer dans une situation inouïe : la perplexité. Jusque-là il faisait sans hésiter la volonté du Père. Voilà que maintenant sa volonté est tellement divisée[16] que cela produit en lui un traumatisme : il sue abondamment du sang. Ce sang qui bientôt lui sera arraché par des objets : les fouets, les épines, les clous, la lance, lui est arraché maintenant par le déchirement même de sa nature.

 On peut au moins noter que Luc, évangéliste de la Vierge, plus que les autres, est celui qui connaît la sueur de sang, donc un aspect plus terrible de l'agonie, qui connaît aussi un ange consolateur mystérieux qui vient aider le Christ.

Il est intéressant en tout cas de constater que Luc et Jean, auxquels l'exégèse moderne trouve bien des parentés, donnent de la Passion une vision moins désespérante que Matthieu et Marc. Chez Matthieu et Marc, la dernière parole de Jésus c'est : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?». Chez Luc au contraire, c'est «Mon Père, entre tes mains je remets mon esprit», précédé d'ailleurs de la conversion du larron. Et chez Jean c'est : «Tout est achevé», précédé de «Femme voici ton fils».

Ne pourrait-on pas dire que chez ces deux derniers évangélistes il y a le témoignage de quelqu'un qui était près, très près, et qui pouvait entendre non seulement les cris, mais les murmures, et qui savait que, même si tout le monde l'abandonnait, Jésus n'était pas seul, et que le Père était toujours avec lui (Jean 16. 32). Ce qui n'empêche pas du tout que l'obéissance de Jésus ait constitué au moment de la passion un apprentissage terrible (Hb. 5. 8).

Et il faudrait encore suivre avec Marie tout l'odieux de ce procès où personne ne cherche la vérité. Marie n'était pas le genre de personne à s'indigner de l'iniquité de toute cette opération. Autant qu'elle le pouvait, elle avait cherché à comprendre le silence de Jésus. Après avoir proclamé qu'il était le Fils du Béni et qu'il reviendrait au dernier jour, après avoir dit qu'il était roi, mais d'un royaume qui n'était pas de ce monde, il pouvait laisser fonctionner le mécanisme de haine et de lâcheté où s'entremêlaient mystérieusement le Prince de ce monde avec les chefs et le peuple pour aboutir à l'écrasement du Juste.

Marie sait que son rôle est simplement d'être là le plus totalement possible, le plus douloureusement possible, car le vin de Cana va subir maintenant son autre mutation et couler en flots de sang.

1) – LE FAIT HISTORIQUE DE LA MORT DU CHRIST.

Il faut surtout que Marie soit témoin de la mort de Jésus. Elle est la seule à pouvoir connaître le miracle de la conception de Jésus. Elle sait comment le Fils de Dieu lui a été donné. Il faut qu'elle soit maintenant la plus proche pour savoir qu'il meurt et comment il meurt. Elle est témoin non seulement de la mort que tout le monde peut voir — et St Luc notera que des gens repartent en se frappant la poitrine — mais du contrôle de la mort par le coup de lance du soldat, fait signalé par le seul St Jean.

Elle est là pour l'embaumement provisoire – signalé aussi par le seul St Jean – avec bandelettes, suaire et cent livres d'aromates.

Il faut qu'elle voie le fruit de ses entrailles livré à la terre, «selon qu'il est coutume aux Juifs d'ensevelir».

Marie aura donc été là, à tous les moments essentiels pour faire pleinement son expérience de foi. Jamais expérience spirituelle n'aura été moins nuageuse. Venu du Père, son Jésus a été confié à la terre. Et maintenant sur quoi va s'ouvrir cette tragédie du néant ?

2) – L'EVENEMENT PASCAL DE SA RESURRECTION.

Au risque de décevoir, je ne vais hasarder ici aucune des théories qui ont littéralement inondé les librairies ces dernières années. La résurrection reste un mystère. Les évangiles ne nous disent absolument rien sur le rôle qu'y joue Marie. Là encore, sa foi doit être d'un métal incroyablement fort. Au lieu d'imaginer des révélations, des relations directes avec Jésus, nous sommes conviés à voir Marie, dans l'Eglise, ayant à faire confiance aux témoins. De même qu'elle avait appris bien des choses d'Elisabeth, de Joseph, des bergers, de Syméon, etc. … elle apprendra maintenant, comme Paul (1 Cor 15. 6) «de Céphas, des Douze, de Jacques, des 500 frères… ». Elle apprendra que le fils de Marie, qui avait été mis dans l'histoire par elle, qu'elle avait vu mort et enterré, a été rendu à la vie, dans un corps glorifié, mais pas moins réel qu'avant, par la force de l'Esprit et selon la dialectique même de son incarnation.

Il est bien difficile en tout cas, quand on pense à l'apparition à Thomas : «Bienheureux ceux qui ont cru sans avoir vu», de ne pas faire la relation avec la foi de Marie dont Elisabeth avait dit : Bienheureuse, toi qui as cru.

Les témoins sont chargés d'aller annoncer au monde : Nous avons vu. Mais les nouveaux croyants sont surtout invités à faire l'expérience du Christ ressuscité en eux. Pratiquement ma foi ne sera pas vraie tant que je n'aurai pas fait l'expérience intérieure du Christ ressuscité. Marie avait exulté quand Elisabeth lui avait fait part de ce qu'elle éprouvait à cause de Jésus-vivant-en-Marie. Quelle ne doit pas être l'exultation de Marie maintenant de voir que son Jésus réveille d'autres témoins qui sont sûrs de l'avoir vu vivant.

3) – LA PARTICIPATION CROYANTE DE MARIE DANS CET UNIQUE MYSTÈRE.

Essayons maintenant de revivre avec Marie tout de mystère pascal. L'«heure» de Jésus est venue, de passer de ce monde au Père et d'être glorifié par le Père. Marie est debout au pied de la croix. La carrière prophétique du Messie s'achève et le Serviteur souffrant de Yahweh va connaître la glorification. Marie l'a suivi jusqu'au fond de l'épreuve, coopérant, par sa foi indestructible, à la mission rédemptrice du Sauveur. Elle va maintenant vivre la dernière étape de sa maternité messianique, soutenant courageusement le Fiat donné au début du Mystère qu'elle a vécu.

A proprement parler, elle ne reçoit pas de fonction nouvelle, car elle était déjà notre Mère spirituelle par sa 'foi et sa charité ; mais c'est au moment suprême de l'histoire d'amour du Christ, (le l'histoire aussi du dépouillement accepté de sa propre maternité humaine, qu'elle s'entend proclamer Mère de ceux que la mort de Jésus enfanterait à la vie, Mère du Disciple, Mère de l'Eglise (18). 

(18) Voir par exemple la TOB

a) – Les grands évènements de la Passion.

Marie a donc communié maternellement aux mystères douloureux de Jésus. Elle les a vécus en associée privilégiée.

C'est profondément que toute mère vit le moment de la naissance de son fils, et de sa mort, s'il meurt avant elle. C'est aussi de toute la profondeur de son existence que le croyant doit participer à la passion du Seigneur. Or Marie avait été préparée par la prophétie de Syméon et aussi par la prédication de Jésus à voir arriver l'HEURE de son sacrifice. Surabondamment elle avait vécu cette heure que Jésus comparait à l'heure d'un enfantement (Jean 16. 21). Le grain de blé, qui allait tomber en terre pour mourir et germer, provenait de l'épi virginal appelé Marie, et elle était chargée d'envelopper le mystère de la Passion de son Fils de tout l'amour maternel possible, comme elle avait, avec la plus grande tendresse, emmailloté le corps du nouveau-né à Bethléem. Alors elle avait déposé Jésus dans une mangeoire ; maintenant, elle avait à le déposer en terre.

b) – Les paroles de Jésus en croix à Marie.

Nous continuons à chercher ce qui s'est passé dans le cœur de Marie, qui mûrit sa foi au contact de tous les évènements de la vie de son fils. Pour bien conserver ce but, je serai plutôt sobre à l'égard de ce que nous apportent aujourd'hui les exégètes sur la Passion selon St Jean.

Voici le texte. Avant de mourir, Jésus parle à sa mère et de sa mère : «Voyant sa mère et près d'elle le disciple qu'il aimait, Jésus dit à sa mère : Femme, voici ton fils». Il dit ensuite au disciple : «Voici ta mère». Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui. Après (sachant que tout était achevé désormais pour que l'Ecriture fût parfaitement accomplie), Jésus dit : «J'ai soif».

Les exégètes sont nettement d'accord pour dire que l'étude grammaticale du texte ne permet pas facilement de réduire à la seule personne de S. Jean le terme de «disciple». Les «voici» annoncent La mère et Le disciple, avec assez clairement l'idée d'un collectif. Et l'analyse structurale du passage confirme cette intention.

Mais ici notre propos est autre. Ce que nous cherchons c'est la résonance produite dans le cœur de Marie pour inaugurer une nouvelle démarche de sa foi. Elle était déjà tellement habituée à voir jalonner sa vie par des tournants inattendus, auxquels elle répondait par un acte d'acquiescement dans l'obscurité de la foi. Elle se mettait ensuite à méditer dans le fond de son cœur le nouveau contenu qui lui était offert afin de mieux suivre, mieux s'adapter, mieux obéir dans la nouvelle étape qu'elle aurait à traverser !

Il est très possible que nous soyons ici devant un nouveau tournant pour Marie. Ce n'est pas téméraire de le penser et, au contraire, il serait peu conforme à l'économie du mystère de Jésus de limiter, à l'enfance et à la prédication de Jésus, la révélation faite à Marie, de telle sorte que la croix n'ait plus rien à lui apprendre. Le Seigneur avait dit : « Quand je serai élevé de terre, j'attirerai tout à moi». Comment cette croix, source de fécondité pour tout croyant, ne deviendrait-elle pas surabondamment féconde pour Marie, tant du point de vue humain que du point de vue mystérique ? Oui, cet évènement si plein de douleur, d'amour, de mission aussi, vécu en profonde symbiose entre Jésus et Marie, va produire une révolution, un dépassement insoupçonnables dans cet être privilégié qu'est Marie de Nazareth.

c) – Et le disciple l'accueillit.

Marie du Calvaire devra consacrer les jours qui suivront la résurrection dans la méditation profonde de ce qui s'est passé, de ce que cela signifie, de la relation qu'il faut y voir avec la prophétie de Syméon et celles d'Esaïe ; et surtout du destin et du rôle nouveau qu'elle doit jouer à l'égard de ce disciple qui lui est donné, en vue d'établir avec lui une relation réciproque progressive.

Il est vrai que bon nombre d'exégètes fondent dès l'Incarnation la relation maternelle de Marie à l'égard de tout ce qui naîtra de Jésus par la puissance de l'Esprit, mais il ne faut pas oublier qu'un être ne connaît pas dès son point de départ tout ce qu'il est et tout ce qu'il va devenir. Il serait naïf de supposer que Marie a eu au départ conscience de sa maternité universelle, alors qu'elle ne comprenait pas encore les limites de sa maternité par rapport à Jésus. Il semble donc que, à partir de l'évènement du Calvaire, les paroles explicites du Seigneur vont, non seulement révéler à l'Eglise le rôle de Marie à l'égard du disciple, mais révéler aussi à Marie avec une certaine plénitude quelle tâche elle a à l'égard de l'Eglise.

d) – Le couronnement de la foi de Marie.

L'Ecriture ne nous permet pas de savoir combien de temps a duré cette nouvelle étape pour l'ultime évolution sur terre de la conscience de Marie. Il y en a qui penchent pour un temps assez réduit, d'autres plus large, pour cette période qui suit la Pentecôte. Mais il n'y a aucun fondement historique pour décider en faveur de l'une ou l'autre option.

Ce qui est important, c'est que Marie n'apparaît dans aucune des démarches pour aller «chercher parmi les morts celui qui est vivant» ; dans aucune non plus de ces scènes de perplexité entre la foi et l'hésitation face au fait de la résurrection, comme nous le constatons pour les apôtres et les saintes femmes. Et la raison en est bien simple : l'intérêt de Marie est ailleurs ; elle vit profondément la dialectique intérieure de l'unique mystère de son fils, du mystère pascal avec ses grands mouvements, de la crèche à la croix et de la croix à la gloire. En conséquence la résurrection devient non seulement normale, mais inévitable.

Pas besoin pour Marie des explications nécessaires aux disciples d'Emmaüs, qui eux, ont un «cœur lent à croire». Elle, au contraire, depuis bien des années, a mis son cœur en action, puisant «dans son trésor, du neuf et de l'ancien», cherchant la lumière dans ce qu'avaient dit les patriarches et les prophètes, et surtout dans ce qu'avait dit Jésus.

Il n'y a rien d'étrange à imaginer que Jean est là qui peut lui raconter l'essentiel des discours de la Cène. Pour elle en tout cas, c'est le temps de l'attente : laissons se produire ce que Jésus a annoncé, et qu'éclate la gloire de Dieu, et que tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers. En attendant, elle verra de mieux en mieux quel est le rôle qu'elle doit jouer, d'abord dans la modestie et la discrétion, toujours avec l'Esprit-Saint, et toujours dans son ombre, au sein d'une petite communauté de croyants. Elle devance ceux-ci, bien sûr, dans la science des mystères du Royaume, sans se sentir, pour autant, le droit de leur enseigner ce qu'elle a déjà découvert.

Elle n'est ni évangéliste, ni apôtre, ni prêtre. Elle doit transmettre la parole non à l'état de parole, mais à l'état de vie, c'est-à-dire dans l'unité de la parole de vie. A elle de mettre la parole dans la vie ; à l'Eglise de découvrir ce que dit cette vie.

Disons plus simplement que Marie a compris dès cette terre qui étaient et son fils et l'Esprit. Leur rôle à tous deux pour l'Eglise lui est apparu plus clairement dans la lumière de Pentecôte, et dans les premiers évènements de la jeune Eglise ; et sans doute aussi a-t-elle pu avoir l'intuition de ce qu'elle était elle-même dans l'Eglise et pour l'Eglise.

Elle l'a compris, mais elle a gardé le silence, remplissant sa mission par le témoignage et la prière, dans la communauté des croyants, ne parlant que lorsqu'on le lui demandait et de ce qu'on lui demandait. De ces confidences laconiques et occasionnelles sortirait la base des évangiles de l'enfance de Matthieu et de Luc, orientés chacun selon une intention catéchétique différente.

Quand elle partira à la suite de ses fils pour boire in calice (d'ailleurs bien moins amer que celui qu'elle avait bu dans la mort de Jésus), elle inaugurera la plénitude de son action ecclésiale, même si l'Eglise doit mettre plusieurs siècles pour découvrir dans le mystère de Jésus et dans le mystère de l'Eglise, le mystère de Marie.

 


[1]  Pour l'orthographie des noms bibliques, nous adoptons celle de ta TOB, donc Syméon, Esaïe, etc. …

[2]Romano Guardini a écrit à ce sujet : « …de toute son âme Marie a attendu le Messie ; elle l'a espéré, peut-être pressenti sa venue prochaine ; n'a-t-elle pas aussi pressenti qu'elle-même contribuerait tout spécialement à cette venue ? … A l'attente universelle du Messie s'est associée en Marie, une expectation toute personnelle, mais qu'elle aurait sans doute été incapable de qualifier d'une manière plus précise ? » (La Mère du Seigneur, pages 31-33).

Et F. M. Willam, dans son ouvrage très connu sur la « Vie de Marie, Mère de Jésus », va jusqu'à dire : « Vers cette époque, l’attente du Messie était si vivante que certains approuvaient et reprenaient de bonnes œuvres qui avaient pour but de " hâter sa venue ". C'est d'une intention du même genre que procède certainement la résolution prise par Marie de consacrer sa vie au Seigneur (dans la virginité). Elle s'offrait elle-même en sacrifice caché et silencieux pour la maison de David et pour l'avènement du Rédempteur (page 48-9).

[3]Si nous avons retenu la traduction « favorisée » ce n'est pas pour éviter d'exprimer la profondeur de ce que l'ange veut lui dire et que la Vulgate a traduit par « gratis plena ». Il faut simplement comprendre que la théologie systématique a développé toute une doctrine de la grâce et du péché originel qui, partant d'Augustin et passant par St Thomas, Duns Scot, etc., arrive jusqu'à nous, mais est à peu près en dehors de la perspective du monde orthodoxe. La doctrine catholique, née plusieurs siècles après le texte original, colore donc l'expression « gratia plena » de façon gênante pour une pure recherche biblique de nature œcuménique.

Ce n'est pas à dire que la traduction « gratia plena » est fausse. Le mot de l'ange, évoque grâce et évoque plénitude. C'est le même verbe qu'on retrouve en Ep. 1.6 : la grâce dont il nous a comblés en son Bien-Aimé.

il ne s'agit nullement de discréditer la doctrine catholique de la grâce (ou celle de l'Immaculée-Conception qui s'appuie justement sur ce texte), mais d'éviter d'introduire des harmoniques théologique dans un texte biblique qui veut s'en tenir à la simple mélodie fondamentale.

Or la « faveur de Dieu » n'implique ni les nuances de grâce actuelle, grâce sanctifiante, ni celles de l' « état de grâce» que Marie possède dès le premier instant de sa conception, etc. …

Cette traduction peut donc être une manière de ne pas donner à "kecharitomené » (pleine de grâce) des résonances postérieures de plusieurs siècles au terme original.

Messie s'est associée en Marie, une expectation toute personnelle, mais qu'elle aurait sans doute été incapable de qualifier d'une manière plus précise ? » (La Mère du Seigneur, pages 31-33).

Et F. M. Willam, dans son ouvrage très connu sur la « Vie de Marie, Mère de Jésus », va jusqu'à dire : « Vers cette époque, l’attente du Messie était si vivante que certains approuvaient et reprenaient de bonnes œuvres qui avaient pour but de " hâter sa venue ". C'est d'une intention du même genre que procède certainement la résolution prise par Marie de consacrer sa vie au Seigneur (dans la virginité). Elle s'offrait elle-même en sacrifice caché et silencieux pour la maison de David et pour l'avènement du Rédempteur (page 48-9).

[4]Pour mieux comprendre l'attitude de Marie face à l'Ecriture ( Ancien Testament), on doit la situer dans une attitude contraire à celle des disciples d'Emmaüs, auxquels il faut expliquer a toutes les Ecritures, commençant par Moïse et tous les prophètes » (Le 24. 27). Il faut donc se dire que pour Marie, la Parole de Dieu a été vte, salut, écoute, ouverture, confiance. (Jr. 16.15 ; 20. 7-9. Es. 45. 23).

[5]Même si ce travail est une étude biblique, il veut l'être à l’intérieur d'une foi d'Eglise, et la virginité de Marie est un dogme de notre foi.

 Les diverses interprétations de la parole de Marie, qui ont été données ci-dessus, ne mettent donc pas en question le dogme de ta virginité, mais font simplement état du pluralisme qui peut exister parmi les exégèses qui maintiennent la croyance en la Virginité.

[6]Même si le cas de Marie et de Joseph est unique, il est bon de rappeler ici la spiritualité des Pauvres de Yahweh dont l'attitude fondamentale est d'être « clients » c'est-à-dire ouverts à Dieu dans une humilité totale (Es. 66, 2). Fiers d'être le peuple de Dieu (ps. 149, 4) ils espèrent la venue du Messie qui sortira peut-être de leurs rangs (Es. 53).

Cet idéal de pauvreté est vécu avant notre ère par les Esséniens, près de la Mer Morte. Flavius Josèphe en parle, ainsi que Philon et Pline l'Ancien. Voici leurs caractéristiques :

– Ils vivent en communauté.

– Ils aspirent à la sainteté, et se séparent des autres hommes pour s'exercer à la vertu, d'où le nom de la secte (Hasê pieux, dévôt).

– Souvent ils observent aussi le célibat qui est facilité par la vie communautaire.

– Ils mettent leurs biens en commun.

– Ils observent rigoureusement le sabbat.

– Ils ont une foi très vive dans l'immortalité de l'âme et la rétribution des actions dans une vie future. (Intr. au Nouveau Testament. Ramazzotti. Morcelliana, p. 449).

[7]Le Père A. Feuillet, dans son beau livre : « Jésus et sa Mère » (page 65) écrit à ce propos : « Saint Luc pouvait-il marquer avec plus de force que la souffrance éprouvée au Calvaire par la Mère de Jésus, fait, elle aussi, partie intrinsèque de l'histoire du salut ? Certes elle n'est d'aucune manière rédemptrice ; il faut absolument maintenir, avec l'ensemble du Nouveau Testament, y compris le Nunc Dimittis de Syméon, que Jésus est l'unique Sauveur des hommes. N'empêche qu'on ne peut manquer d'être frappé par e lien si étroit mis par Syméon entre Jésus souffrant et sa Mère douloureuse ».

[8]Tant ici que dans les paragraphes suivants, je ne voudrais rien exagérer. L'admiration causée par Jésus doit être relative à son Age et à sa condition. Les apocryphes et les exégètes un peu triomphalistes ont pu forcer les données de l'évangile en nous montrant an Jésus qui jette la confusion parmi les docteurs, mais cela n'est pas très conforme à l'attitude de Jésus, même pendant la vie publique. Il entre en scène avec discrétion, et ce n'est que progressivement que l'on pourra prendre conscience de son être et de sa mission. Tout le début de S. Marc insiste sur la volonté de Jésus de ne pas attirer l'attention sur sa personnalité (1.25 ; 1.34 ; 1.44 etc…) S. Matthieu fait les mêmes remarques et de plus cite Esaïe pour décrire la discrétion du messie : « on n'entendra pas sa voix sur les places» (12.19). Lue signale sa réaction face au succès populaire : il se retirait dans les déserts et priait (5.10). Et Jean, dans les derniers entretiens, mettra ces mots sur les lèvres des apôtres : « Voici que maintenant tu nous parles ouvertement et que tu sais tout…» (Jn 16, 29-30).

[9]«Marie gardait la PAROLE, c'est-à-dire, l'événement chargé de sens ; elle la gardait dans son cœur, et prenait ainsi conscience d'une nouvelle dimension de son rôle dans l'histoire du salut » ( A. Müller).

[10]Les meilleurs philosophes ont reconnu l'existence de mystères ontiques devant lesquels l'intelligence de l'homme, à toutes les périodes historiques de son savoir, se trouve devant d'importantes réalités qui le dépassent, qui dépassent ses connaissances et ses réponses, en partie à cause des limites de la science à tel moment donné, et en partie, à cause des limites intrinsèques de cette science.

[11]  Cf. Préface de Noël.

[12]  Voir en appendice : La maternité intégrale de Marie

[13]Même en donnant à « heure » le sens d'heure des miracles on devrait plus ou moins aboutir à une explication voisine, mais qui serait beaucoup moins cohérente et qui ne tiendrait pas compte de l'encadrement de la vie publique de Jésus par 2 scènes où est employé le mot étrange de FEMME alors qu'on attend Mère

[14]Peu auparavant, dans le texte de Marc (3, 20.21) l'évangéliste a fait remarquer que « la parenté » ne comprend pas sa mission, y voit une folie et veut se saisir de lui. Il faut être attentif à ne pas unir deux faits dans un seul, pour conclure que Marie aurait partagé le point de vue de « la parenté ». Marie, qui, face à l'enfant de 12 ans, avait été si respectueuse de sa mission, ne risque pas de détourner l'homme de 30 ans de cette même mission. En employant un terme générique : « la parenté » au verset 21, alors qu'il dira « ta mère et tes frères » aux versets 31-35, après avoir intercalé une discussion de Jésus avec les scribes, Marc sépare assez nettement Marie de l'intention du groupe, et l'on devine assez facilement le drame du clan qui a fait bloc, suivi quelque leader, et obligé la mère à les accompagner.
[15]  Voir Annexe I : Maternité intégrale.

[16]En employant ce terme, je voudrais en souligner toute une relativité, car nous sommes dans une profonde ignorance face à ta conscience de Jésus et à tout cc qui s'est passé en elle à ce moment dramatique de la croix. Nous sommes là dans un mystère tellement inaccessible que tout ce qui a été dit et tout ce que nous pouvons dire doit être compris comme de respectueuses hypothèses qui tâchent d'aborder par divers angles le mystère de Jésus.



CHAPITRE II

DEMARCHE DE LA FOI DE L'EGLISE

FACE AU MYSTERE DE MARIE

A – LA CONSCIENCE DE L'EGLISE EN RECHERCHE DE SON ETRE. 

«L'Esprit-Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre » (Luc 1. 35). 

Pentecôte : du Cénacle, la communauté primitive a pris conscience, sous l'action de l'Esprit, qu'elle était le Nouvel Israël, choisi par le Christ pendant sa vie publique et racheté par sa mort et sa résurrection. Dès ce jour l'Eglise existe comme telle. Elle peut vivre, plus ou moins indépendamment de la synagogue, une vie qui va s'approfondir et s'amplifier. Réalité ecclésiale et prise de conscience : ce sont deux aspects de son mystère.

Sans le Christ Jésus, l'Eglise ne serait pas ce qu'elle est ; mais, sans l'Esprit envoyé par Lui, ressuscité et exalté auprès du Père, l'Eglise ne saurait pas ce qu'elle est. C'est l'Esprit-Saint qui la guide pédagogiquement vers la plénitude de la vérité du Christ ; c'est lui qui lui remémore et fait

comprendre les paroles et gestes du Christ. Et en ouvrant l'Eglise vers la pleine vérité, le Paraclet lui révèle son propre mystère : elle est signe et instrument de la communion des hommes avec la Trinité par Jésus-Christ, le seul médiateur toujours présent et agissant.

Illuminée par l'Esprit, l'Eglise se voit donc telle qu'elle est : pleine de vie divine et chargée de transmettre cette vie à tous les hommes, elle est un ferment de résurrection qui doit faire lever tout le cosmos, sauvé en puissance par le sang de Jésus. Sous cet aspect l'Eglise reste indéfinissable et incompréhensible. Elle ne finira jamais de se découvrir sur cette terre.

La première expérience de la réalité mystérique de l'Eglise fut donc faite par les apôtres, les disciples, les « frères » de Jésus, les pieuses femmes : tout ce groupe rassemblé au Cénacle et priant en compagnie de Marie, mère de Jésus.

Pour eux, l'option pascale pour le Christ était faite, et un dogme et une théologie du Christ, allaient commencer à s'élaborer au fur et à mesure des questions posées et des évocations de souvenirs.

Les apôtres allaient prendre, sous l'action de l'Esprit, une conscience de plus en plus vive du mystère du Christ, essayer de le dire par leur témoignage, leur prédication, leur catéchèse, et ainsi poser les fondements de notre foi, et puis de ce qui serait la théologie et la tradition dogmatique de l'Eglise du Christ.

La conscience qu'ils ont de leur foi, le magistère qu'ils exercent dans la transmission de cette foi restent la source et la norme de notre foi d'aujourd'hui, et un point de référence que ne pourra récuser aucune époque de l'histoire de l'Eglise. La conscience qu'aura l'Eglise elle-même à n'importe quel siècle sera toujours dépendante de cette première prise de conscience sous l'effet de la première Pentecôte.

Cependant tous les siècles auront aussi leur Pentecôte, car l'Esprit qui est l'âme de l'Eglise et l'organe vivant qui lui permet d'avoir toujours un souvenir adéquat du Seigneur Jésus ne manque pas de lui dévoiler, selon les temps et les circonstances, un aspect nouveau du Visage du Ressuscité. C'est cela la Tradition vivante dans l'Eglise : cet Esprit toujours à l’œuvre pour révéler un Jésus toujours vivant et agissant.

Chaque génération de croyants sera sensible à tel ou tel aspect du mystère chrétien. Et on peut bien espérer que la Révélation gagne en lumière et en compréhension au fur et à mesure que progresse la marche historique des enfants de Dieu. Car la Parole de Dieu est vivante et éternellement jeune. L'Eglise n'est pas un club d'archéologues.

Or, c'est à l'intérieur même de ce processus vital de la Révélation, que nous devons chercher la place de Marie dans la conscience de l'Eglise. Les premières générations, toutes proches des témoins de la Résurrection, ont pu voir comme un résumé du mystère de la grâce dans cette créature idéale, et c'est dans cette perspective que l'on peut comprendre les débuts de Mathieu et de Luc. Mais il était réservé aux siècles ultérieurs, selon les lois mystérieuses de la pédagogie de Dieu, de conduire la contemplation des fidèles vers une illumination progressive à l'égard de la personne et de la mission de Marie. 

B – L'ESPRIT DEVOILANT A L'EGLISE LE MYSTERE DE MARIE.

Aux Frères en quête de lumière

et à ceux qui ont déjà vu lu lumière. 

1) – LA DECOUVERTE PROGRESSIVE DU MYSTÈRE DE MARIE.

A grands traits, voici, semble-t-il, comment l'Eglise du Christ a pris conscience de Marie, sous le souffle de l'Esprit.

Au temps de la première prédication évangélique, ce qui compte c'est Jésus ressuscité, et les apôtres, disciples, ou saintes femmes qui sont vraiment témoins de la résurrection comme fait historique, sont encore plus témoins d'une résurrection comprise, dans la lumière de Pentecôte, comme fait significatif. Ils sont témoins aussi de la vie publique de Jésus où ils trouvent une claire préparation du mystère pascal.

L'attitude de Jésus dans les 30 ans de sa vie cachée, semble tellement différente de son temps de prédication, que, même pour les «frères» de Jésus — qui sont présents au Cénacle — elle peut sembler sans importance. Marie, qui a laissé le Ciel intervenir pour révéler à Joseph le mystère de sa maternité, n'est sûrement pas celle qui va se mettre en avant pour expliquer les mystères de l'enfance. Ou si elle le fait — ce qui a bien dû avoir lieu après quelque temps — c'est par exemple à St Jean.

La première génération chrétienne voit donc Marie, la vénère comme la mère de Jésus, mais ne parle pas d'elle, sinon comme d'un témoin parmi d'autres. St Paul parle incidemment de sa maternité (Gal. 4. 4), mais sans nommer Marie explicitement.

Lorsque Marie a quitté la terre, il est moins indiscret de parler d'elle, et alors l'un ou l'autre peut faire état de souvenirs d'elle ou sur elle. Par ailleurs, les chrétiens ont commencé à s'intéresser à l'enfance et à l'incarnation de Jésus. Une première théologie posera des questions : celui qui est ressuscité des morts, comment est-il apparu sur terre ? Les premières hérésies naîtront aussi, auxquelles font référence l'apocalypse ou les épîtres de St Jean, et ces hérésies provoqueront des réponses. Les évangiles de Luc et de Jean offrent le reflet d'une «théologie mariale initiale» très sobre et très dense de contenu, où Marie apparaît en fonction de son fils, mère virginale, croyante fidèle, servante du Seigneur, modèle et mère du peuple messianique. Les grands thèmes mariologiques y sont déjà en semence, garantis par l'autorité même de la Parole de Dieu. Le fait qu'Irénée, à la fin du 2ième siècle, puisse développer le thème de la Nouvelle Eve, montre bien que l'entourage de Polycarpe dont il venait, et qui transmettait la doctrine de l'entourage de Jean, avait une catéchèse de coloration mariale assez nette.

Mais ce second siècle est surtout marqué par une prolifération d'apocryphes qui nous montrent à quel point les chrétiens sont intéressés maintenant par les origines humaines de Jésus, puis celles de Marie. Ce genre littéraire populaire, imaginatif et poétique va avoir une influence considérable sur la piété, l'iconographie et l'homilétique de tout le moyen âge, et même jusqu'au dernier siècle.

La période anté-nicéenne n'a pas encore l'idée d'un culte marial on prie plutôt les martyrs — ; cependant le Sub Tuum praesidium peut avoir existé dès les persécutions, bien qu'il faille penser plutôt au 4ième siècle pour l'origine de cette prière mariale.

Les premières hérésies christologiques amènent l'Eglise à approfondir les textes évocateurs de la conception virginale du Christ. On peut même dire que la virginité de Marie constitue un pôle d'attraction pour la pensée et le regard contemplatif de l'Eglise. Marie sera appelée Aeiparthenos : la toujours Vierge, et Theotokos : Mère de Dieu.

La proclamation de ce dernier titre (S. Cyrille) opposé au titre de mère du Christ (Nestorius) jugé insuffisant, montre bien que le problème de Marie est fortement lié à celui du Christ puisque, en définissant un titre de Marie, l'on affirme l'unité de personne en Jésus.

La doctrine de la médiation de la Mère de Dieu, déjà présente dans l'Eglise des siècles précédents, prend un nouvel élan après le schisme d'Orient (1054). Le moyen âge a baigné dans la croyance et le culte de médiation de Marie. A vrai dire il a davantage appelé Marie Notre-Dame que Notre Mère, et c'était sous l'influence de l'amour courtois et de la chevalerie là encore caractéristiques de l'Occident chrétien. Mais cependant l'idée de mère de miséricorde n'était pas absente non plus (Salve Regina). On avait même avec St Bernard l'idée d'une médiatrice auprès du médiateur : tellement Marie paraissait plus proche de notre faiblesse.

Les deux derniers siècles du moyen âge (14ième et 15ième), marqués en Occident par de très grands malheurs (peste, guerre de cent ans, grand schisme), seront des siècles douloureux tournés vers la Compassion de Marie. Elle apparaît au Calvaire participant volontairement au sacrifice de son Fils, et on trouve dans cette Compassion le fondement de sa médiation.

La prière populaire, l'art des églises ont alors une influence presque exclusive pour un peuple qui ne sait pas lire. Le Christ effraye un peu, tandis que la Vierge souriante ou la Vierge «compatissante» rassure.

Le concile de Trente et le mouvement de la contre-réforme qui le suit vont donner un élan puissant au culte marial, traduit aussi en images triomphantes par l'art baroque. Cependant la mariologie de l'Ecole française du 17ième siècle exercera une influence plus intériorisante. Marie est vue en intime contact avec Jésus dans le sein du Père. On aime contempler l'intérieur de Marie, son Cœur admirable, la vie de Jésus en Marie. Jean Eudes et Grignion de Montfort savent parler aux fidèles sur la Mère du Verbe Incarné et de son Corps Mystique. Après le vide relatif du 18' siècle, l'influence de cette Ecole se fera de nouveau sentir au 19ième.

Ce siècle, lui, va connaître, suite surtout à la proclamation du dogme de l'Immaculée-Conception un nouvel élan marial. Il faut bien dire aussi que dans l'histoire de l'Eglise, jamais il n'y avait eu une telle série de grandes apparitions mariales, ayant, grâce à la presse, même hostile, et à la facilité des voyages par chemin de fer, une diffusion extraordinaire.

On redécouvre et on propage le Traité de la Vraie Dévotion de Grignion de Montfort. De nombreux Instituts religieux, de charisme marial, sont fondés. Mais, exception faite de quelques grands noms : Newman ou Scheeben, la théologie mariale reste pauvre. Les papes prennent la tête d'un mouvement marial surtout de dévotion, par des encycliques, congrès, couronnement de statues, etc. … Le pontificat de Pie XII avec la proclamation dogmatique de l'Assomption en 1950 marque l'apogée de cette ERE MARIALE que la plupart d'entre nous ont bien connue.

Plusieurs théologiens ont étudié à fond la «question mariale» avant le concile et exposé les requêtes conciliaires de Lumen Gentium, en ce qui concerne la mariologie et la dévotion à la Vierge.

Déjà, avant le Concile Vatican II, les théologiens avaient travaillé à intégrer Marie dans la synthèse du dogme catholique. Deux thèmes, très anciens, occupaient l'essentiel de leurs recherches : «Marie, Nouvelle Eve, Coopératrice du Christ dans la Rédemption» et «Marie type de l'Eglise». Mais, d'une part, la tendance à situer Marie entre le Christ et l'Eglise, c'est-à-dire en fait hors de l'Eglise, et d'autre part, une certaine mariologie des privilèges, qui tendait à situer Marie durant sa vie terrestre en dehors et au-dessus de l'ordre commun de la grâce et de la vie chrétienne, compromettaient l'équilibre et la justesse des essais de synthèse mariale dont on disposait.

Par ailleurs, les grands mouvements ecclésiaux : biblique, patristique, liturgique, ecclésiologique, missionnaire et œcuménique avaient pris de l'importance et exigeaient l'ouverture et le ressourcement d'une certaine mariologie close sur elle-même. Cela créait des tensions, dont l'expression suprême s'est manifestée lors du fameux vote du 29 octobre 1963 demandé aux Pères de Vatican II. «OUI ou NON faut-il intégrer le chapitre sur la Vierge Marie, dans la Constitution Dogmatique sur l'Eglise ? 1.114 OUI, 1.074 NON, 5 Bulletins nuls. L'unanimité conciliaire était rompue « à l'occasion de Celle qu'on se plaisait à appeler ''Mère de l'Unité''». Le 21 novembre 1964 pourtant, le texte officiel pouvait être promulgué. Pour la première fois, un Concile Œcuménique présentait sur le rôle salvifique de Marie, une synthèse vaste et équilibrée.

2) – LA MARIOLOGIE DU CONCILE VATICAN II ET LES APPELS DE L'APRÈS-CONCILE.

a) – Vatican II .

Résumons : Les caractéristiques de la mariologie de Vatiean II sont les suivantes :

Une mariologie biblique : D'une part, elle reprend certains thèmes bibliques abandonnés par la mariologie post-tridentine, comme : Marie, Fille de Sion, tabernacle eschatologique du Dieu Incarné ; Marie, humble pauvre de Yahweh ; d'autre part, toute l'orientation du discours sur la Vierge suit la dynamique de l'Histoire du Salut, la Mère du Christ appartenant à la fois à l'Ancien Testament, au Temps du Christ et à l'Eglise itinérante et eschatologique.

Une mariologie patristique : on découvre le visage de Marie vu par les Pères : Marie est la Nouvelle Eve qui a conçu le Christ dans son cœur par la foi avant de le concevoir dans son sein virginal. Marie est le type de l'Eglise. Quant aux privilèges : immaculée en sa conception ; toujours vierge, mère de Dieu ; actuellement au ciel dans la gloire de son Fils, en corps et en âme, ce sont là des formulations dogmatiques qui sont bien vraies ; il faut cependant interpréter les privilèges de Celle qui est le Type de l'Eglise et Mère des croyants, surtout dans une perspective fonctionnelle du Salut, comme des charismes qui appartiennent d'une certaine manière à toute l'Eglise. Les privilèges de Marie sont donc éclairés et revalorisés dans cette perspective.

Une mariologie liturgique. L'Eglise prend conscience de son propre mystère quand elle l'exprime, surtout devant le Père, dans la célébration liturgique. Au début la piété mariale était partie intégrante de la liturgie. C'est encore aujourd'hui la grande caractéristique des Eglises d'Orient.

La Constitution «Sacrosanctum Concilium» a rappelé excellemment ce but de la liturgie : «En célébrant ce cycle annuel des mystères du Christ, la sainte Eglise vénère avec un particulier amour la bienheureuse Marie, mère de Dieu, qui est unie à son Fils dans l’œuvre salutaire par un lien indissoluble ; en Marie, l'Eglise admire et exalte le fruit le plus excellent de la Rédemption, et, comme dans une image très pure, elle contemple avec joie ce qu'elle-même désire et espère être tout entière». (N°. 103).

Lumen Gentium, et plus près de nous Marialis Cultus, ont invité les fidèles à chercher Marie surtout dans la liturgie vécue, et les théologiens à étudier les liturgies de l'Eglise, source si importante pour la connaissance vitale de Marie et si souvent négligée.

Une mariologie œcuménique et missionnaire, c'est-à-dire pastorale. Il faut abandonner certaines formules particulières qui nuisent aux progrès du véritable oecuménisme en avivant l'image caricaturale de la Vierge que les autres communautés chrétiennes attribuent à l'enseignement catholique ; réaffirmer la doctrine de l'Unique Médiateur, de la foi «pleine» de Marie, traduire le langage des dogmes mariaux de façon qu'ils soient mieux compris. D'autre part, la perspective et le but pastoral du Concile, son souci pour l'homme dans ce monde en évolution, sont de pressantes invitations à réorienter la mariologie pour que nos contemporains, comme nos ancêtres ont réussi à le faire, trouvent toujours en la Vierge, la Femme Nouvelle, modèle et aide d'un humanisme chrétien et d'une vraie libération des hommes.

Cette dernière dimension a été mise en évidence surtout par la récente exhortation de Paul VI, dans la ligne du Concile : Marialis Cultus.

b) – Les appels de l'après concile.

Voici les principales exigences de notre temps :

Il faut revaloriser la dévotion et le culte marial, en redécouvrant l'image évangélique de Marie, purifiant certaines conceptions, éliminant les éléments culturels périmés qui ont été indûment introduits dans le cours des siècles, et éclairant notre compréhension par les acquisitions des sciences humaines. Il faut aussi mieux situer Marie dans la théologie de l'Esprit-Saint. A ce sujet la lettre de Paul VI au Congrès Marial International de l'Année Sainte est remarquable. Le pape propose de prendre Marie comme modèle destiné à reproduire en nous sa vie théologale de foi, d'espérance et de charité ; de cheminer avec elle dans sa foi qui a toujours été à l'écoute de la Parole de Dieu pour lui obéir fidèlement ; dans son espérance, qui résumait celle de toute l'humanité à la venue du Dieu Sauveur et Libérateur ; dans sa charité qui accueillit et répandit sur nous l'immense amour du Père révélé dans son Fils Jésus.

Plus que jamais nous sommes appelés à vivre profondément notre expérience de vie chrétienne et religieuse par les chemins de Marie : Elle est maîtresse de vie pour tous. 

3) – L'ESPRIT-SAINT ET MARIE DANS LE MYSTÈRE DE L'HOMME NOUVEAU.

a) – Le rôle de l'Esprit.

Selon la directive du pape, essayons de mieux situer Marie dans la théologie de l'Esprit-Saint. On se souvient du mot de Grignion de Montfort : «Quand le Saint-Esprit a trouvé Marie dans une âme, il y vole». Si donc notre époque doit plus que d'autres être sensible à l'Esprit-Saint, elle n'a sûrement rien à perdre à être en même temps très mariale.

Entrer en communion avec Jésus et recevoir de lui ressuscité l'Esprit qu'il nous envoie, c'est la même chose. Les arrhes de l'Esprit (2 Cor. 1. 22) sont là pour attester que les promesses ont été réalisées (2 Cor. 1. 20). «En Jésus, vous avez entendu la parole de vérité … Vous avez été marqués du sceau de l'Esprit, acompte de notre héritage» (Eph. 1. 13).

L'Esprit nous est donné dans un double but : en premier lieu, nous rendre conformes à l'image du Fils afin que celui-ci soit le premier-né d'une multitude de frères » (Rom. 8. 29) ; en second lieu, devenir la nouvelle loi (Gal. 5. 18). Cet Esprit qui vit en nous et nous tient lieu de loi est la vraie source de notre liberté (2 Cor. 3. 17) et c'est à cette liberté que nous avons été appelés (Gal. 5. 1).

Comprenons bien de quelle liberté il s'agit. Cet Esprit qui est principe d'action, n'oriente pas vers n'importe quelle action. Essentiellement il arrache à l'égoïsme, et donc sa nouveauté consiste en une disponibilité à servir, qui est tout le secret de la liberté chrétienne. Il ne rend cependant pas parfait par un coup de baguette magique, et si le chrétien est appelé saint, ce n'est pas parce qu'il a déjà atteint cet état, mais parce qu'il est en route, « choisi dès le commencement pour être sauvé par l'Esprit qui sanctifie » (2 Thess. 2. 13).

C'est dans ce mystère d'une sanctification, œuvre de l'Esprit, qu'il faut insérer Marie « sanctuaire de l'Esprit » (LG. 53). Tout chrétien doit être sanctuaire de l'Esprit, mais Marie témoigne constamment de cette présence en elle et nous révèle ce que peut faire l'Esprit dans un cœur pleinement docile.

b) – L'Esprit dans l'Ancien Testament.

Au départ, Marie est une Israélite, et qui vit pleinement la réalité socio-religieuse d'Israël. Peut-on alors penser à sa vie intérieure dans une ligne incluant l'Esprit-Saint ? La réponse est affirmative, car si l'Esprit est la «nouveauté» du Nouveau Testament, c'est une nouveauté qui n'est pas improvisation.

Sans doute le Nouveau Testament parlera de l'Esprit-Saint d'une manière nouvelle, nous en dévoilera et nous en révélera les œuvres, les «mirabilia», après que les «Douze», et les «500 Frères» (1 Cor. 15. 6) et puis la multitude des gens venus à la foi» (Actes 4. 32) seront «renés» de l'Esprit (Jean 3.8). C'est l'Esprit de Pentecôte qui fera lire les événements de la vie de Jésus. et donc aussi de la vie de Marie selon un certain code : le «code pascal». Mais ce même Esprit fera lire aussi sa propre présence dans l'Ancien Testament selon le «code pentecostal».

Le langage humain fait ce qu'il peut avec les mots «vent, souffle», avec des images plus ou moins suggestives qui en dérivent, mais, s'il n'arrive pas à nous donner, avant le Christ, une idée personnalisante de l'Esprit-Saint, la présence de cet Esprit dans l'Ancien Testament est quand même incontestable dans des manifestations aussi variables qu'imprévisibles.

On dit de lui qu'il plane sur les eaux (Gn. 1. 2), qu'il investit Amasaï (1 Chr. 12. 19), qu'il s'empare du prêtre Zecharya (2 Chr. 24. 20), qu'il est répandu sur la descendance d'Israël (Es. 44. 3, Ez. 39. 29), qu'il sera répandu sur toute chair (Jo. 3. 1), qu'il pénètre en Samson (Juges 14. 6, 19), qu'il fond sur Saül (1 Sam. 10. 10). Quelqu'un peut être rempli de l'Esprit (Ex. 31. 3) ; Yahweh peut mettre son Esprit dans le peuple (Ez. 36. 27), ou en Moïse (Es. 63. 11). Il peut même prélever de l'Esprit qui est en Moïse pour le donner aux Anciens (Nb. 11, 25).

L'Esprit est le principe de la vie pour tous les êtes vivants (Qo 3. 21) ; et effectivement, c'est par un souffle que Dieu communique sa vie au début de la création (Gen. 2. 7) et au début de la nouvelle existence (Jean 20. 22).

c) – Et à l'ère messianique.

Pour l'être messianique l'Esprit est annoncé avec une particulière plénitude, au Roi (Es. 11. 2), au Serviteur de Yahweh (Es. 42. 1 et Mt. 3. 16), au Prophète (Es. 61. 1 et Le 4. 18-19).

Il sera répandu sur le peuple entier (Es. 32. 15) ; et l'Exode est déjà une anticipation réalisée sous la conduite de l'Esprit (Es. 63. 11-14).

Dans la sobriété du cœur nouveau (libre pour aimer : Ez 11. 19), l'Esprit de Dieu est senti comme la force qui fait vivre selon le vouloir divin (Ez 18. 31), comme une promesse de transformation au temps eschatologique (Jo. 3. 1-5) et comme un don pour le roi messie (cf. Mt 12. 18 ; Le 4. 18).

d) – L'Esprit : réalité expérimentée.

On peut donc dire que dans le Nouveau Testament, mais aussi dans l'Ancien, l'Esprit-Saint est une réalité expérimentée, et quelques personnes agissent visiblement sous l'action de l'Esprit-Saint.

Luc nous présente Jean-Baptiste, Elisabeth, Zacharie, «remplis de l'Esprit-Saint» (Luc 1.15. 41.67) à un certain moment, et Syméon se livrant à son action (Luc 2. 26-27). Le rôle de tous ces personnages animés par l'Esprit ne prend toute sa valeur et tout son sens qu'en référence à Jésus, et, dans le contexte où on nous les présente, Jésus ne fait qu'un avec Marie.

Dans la vie de Jésus, l'Esprit est présent aux moments décisifs de sa vocation. Jésus est soumis à l'Esprit et se laisse pousser par lui (Luc 4. 14).

Au baptême, par la présence de l'Esprit, Jésus reçoit une nouvelle conscience de son rôle prophétique : le salut du monde va s'accomplir. Donc l'Esprit qui plane sur les eaux au début de la première création (Gen. 1. 2) apparaît aussi au début de la seconde (Mt 3.16 ; Mc 1.10 ; Luc 3.22 ; 4.14.18 ; Jean 1.32). Un Esprit isolé de Jésus n'est pas pensable.

On peut dire que chaque époque et chaque personne ont leur Pentecôte. et que l'Esprit de Pentecôte est l'âme qui fait l'unité entre l'histoire ancienne et les temps messianiques du salut.

C'est le même Esprit qui fait les mêmes œuvres : il investit la personne du Messie pour le temps de son activité terrestre (Lue 4. 14-18 ; Actes 10.38) ; il investit la communauté dont il fait un lieu de salut ; mais auparavant il investit Marie dont il fait le lieu de l'Incarnation (Luc 1, 35 ; Mt 1, 20), puis le «type» de l'Eglise, complètement modelée, sanctifiée et possédée par Lui, car «il lui est advenu selon la parole» de l'ange (Luc 1. 38).

Et voilà que germe en Marie cette semence de sainteté dont avait parlé Esaïe (Es. 6, 13 ; Le 1, 35). Ce premier-né » saint, consacré au Seigneur (Es. 13, 1 ; Le 2, 23), est formé en elle de l'Esprit-Saint, et il est vraiment le Fils de Dieu (Le 1, 35).

e) – L'Esprit et Marie.

En effet, c'est par sa relation à l'Esprit que Marie est située dans le mystère du Verbe Incarné. Dans la Trinité, l'Esprit est celle des Trois Personnes dont le rôle est le plus caché, car c'est vers un autre qu'il conduit, vers le Fils, pour nous rendre semblables à lui et ainsi nous introduire finalement au Père. Il va donc naturellement faire en sorte que Marie, Servante du Seigneur, ait pour rôle de faire grandir un autre, de rendre présent celui qui est au centre de l'univers, en étant sa mère et en nous le donnant.

e.1) – DANS L'EVANGILE DE L'ENFANCE DE ST MATTHIEU.

Le rôle de l'Esprit-Saint en Marie est amplement souligné par les Evangiles de l'Enfance de Matthieu et de Luc.

Chez Matthieu, c'est la révélation à Joseph qui introduit l'idée de ce rôle. Pour comprendre le texte : «Ce qui a été engendré en Marie est de l'Esprit-Saint» il faut le rapprocher d'Ezéchiel 11. 9 annonçant le cœur nouveau et l'esprit nouveau. L'Esprit va renouveler le peuple élu en le purifiant. Si donc Joseph apprend que son épouse a conçu un être humain d'une manière virginale, c'est que la pureté de cette conception est signe de radicale nouveauté, et d'une nouveauté orientée vers l'apparition d'un nouveau peuple.

Joseph reçoit d'ailleurs connaissance du nom à donner à l'enfant : «Tu l'appelleras Jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés». L'Esprit-Saint vient donc fonder en Marie un peuple nouveau, et Marie, mère du Sauveur, est mère des sauvés.

e.2) – DANS L'EVANGILE DE L'ENFANCE DE ST LUC.

Chez Luc le texte qui parle de l'Esprit : «L'Esprit-Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre» (Le 1. 35), est à rapprocher d'Esaïe (32. 15) : «L'Esprit viendra sur vous d'En-Haut», où il s'agit d'une irruption des forces divines dans une existence humaine.

L'Esprit descend pour rendre la fécondité à la terre d'Israël, devenue stérile, et la vie au peuple de Dieu décimé et désolé. On pourrait encore penser aux chapitres 36 et 37 d'Ezéchiel sur les ossements desséchés.

L'annonce faite à Marie s'inscrit donc dans un contexte d'instauration d'un nouveau peuple de Dieu, grâce à l'intervention de l'Esprit divin. Tant Luc que Matthieu mettent un lien étroit entre la naissance virginale de Jésus et la naissance de Nouvel Israël. D'où le lien aussi entre le caractère virginal de la maternité de Marie et la création nouvelle de l'ère de la grâce. L'Esprit intervient parce que quelque chose doit être entièrement neuf.

Luc, d'ailleurs, souligne un point qui ne figure pas dans Matthieu : la libre acceptation de Marie, C'est librement que Marie devient mère du Messie selon «la loi de l'Esprit» (Rm 8, 2) qui rend libre.

Vierge et mère, Marie est le prototype de l'Eglise chrétienne. Car virginité veut dire tout autre chose que stérilité. Celle-ci était imposée à Anne ou à Elisabeth. La virginité de Marie est librement consentie. C'est très significatif pour l'ère de la grâce.

Cette liberté de la réponse de Marie la relie d'ailleurs très fortement à Jésus dans l'Esprit-Saint. Avant de reposer sur Jésus au baptême, l'Esprit repose sur Marie pour consacrer l'entrée du Christ-Serviteur dans le monde par l'entremise de la Vierge-Servante. Le Fiat coïncide avec l'acte initial d'obéissance de Jésus : «Je viens, ô Dieu, pour faire ta volonté» (Hb. 10, 7).

e.3) – LIBERTE ET ACTION DANS L'ESPRIT-SAINT.

Marie n'est pas seulement celle qui donne à Jésus son humanité, mais encore celle qui coopère avec lui à la Rédemption. Dans l'Evangile de Jean, quand Jésus «transmet» l'Esprit en mourant (Jn 19, 30), cet Esprit repose d'abord sur Marie debout au pied de la croix, afin de confirmer la maternité spirituelle qui vient d'être proclamée.

Le jour de la Pentecôte il viendra de nouveau sur Marie, dans la communauté ecclésiale, pour confirmer et rendre efficace sa vocation dans l'Eglise.

Que Luc ait noté la présence de Marie au Cénacle, le jour de la Pentecôte, montre bien qu'il veut indiquer par là que Marie est présente au début du temps eschatologique, temps de l'action spécifique de l'Esprit. C'est le temps du «déjà» et du «pas encore» de l'Eglise ; le «pas encore» devenant peu à peu, sous le souffle de l'Esprit, clair-obscur, aube et vrai jour.

Pour Marie, c'est déjà le moment de la plénitude et de la sanctification parfaite. De nouveau elle devient mère ; signe de l'Eglise, elle est, avec elle, en marche, non plus, oserons-nous dire, à l'écoute de la parole de Dieu, mais à l'écoute de la parole de ses fils.

Car la Pentecôte n'est un point d'arrivée ni pour les Apôtres ou les Disciples, ni pour Marie ; c'est un début. Le temps de l'Eglise n'est pas un temps mort, dans l'attente de la parousie (tentation qui a eu lieu dans la primitive Eglise), mais un temps «positif». Un temps cependant totalement silencieux pour Marie. Qu'elle soit restée peu ou beaucoup sur terre, son rôle est maintenant celui d'orante au sein de l'Eglise, et elle est enlevée au ciel dans la plénitude de son être pour remplir ce rôle d'orante.

C – MARIE EXEMPLE ET MODELE DU JUSTE RENOUVEAU.

Nous vivons dans un temps douloureux et passionnant. Un de ces temps dans lesquels il y a comme une accumulation d'apports divers qui fait cristalliser une situation nouvelle et ambivalente.

Le P. Congar me semble admirablement synthétiser ce qui se passe, en énumérant les mutations socioculturelles et ecclésiales qui ont brutalement modifié les conditions de l'évangélisation et le visage de l'Eglise.

«Nombre de questions ont surgi depuis 10 ans que le Concile n'a pas connues, ou tout juste soupçonnées ; écroulement du crédit de la métaphysique, fièvre d'herméneutisme, triomphe des méthodes critiques, développement des «sciences humaines», possibilités de manipulation de l'homme, révolte d'une jeunesse qui constitue un monde semi-autonome, montée des femmes dans la vie sociale et le domaine de l'initiative, sécularisation radicale, urbanisation galopante, rupture avec les expressions classiques de la doctrine, crises du «magistère», inintérêt de beaucoup même chez les clercs, pour ce qui est d'Eglise et accaparement par les choses terrestres, invasion par la politique et par les catégories marxistes… D'autre part, l’œcuménisme a profondément modifié bien des façons de sentir et d'agir. Le spécifique confessionnel catholique recule devant le "chrétien", quand ce n'est pas devant les attitudes assez protestantes… On ne demande pas à un homme s'il est validement ordonné, mais s'il vit et sert vraiment les hommes»[1]

A l'intérieur de ce phénomène social et ecclésial, les familles religieuses, la nôtre y compris, ont marché en cherchant des réponses de fidélité au Seigneur dans le temps de brume de ces dernières années.

Il y en a qui ont cru devoir faire une crise d'identité comme signe de fidélité. Or ce que Dieu invite à abandonner, ce n'est pas l'identité, c'est la situation. Il ne demande pas à Abraham de cesser d'être Abraham, ni à Marie de cesser d'être Marie. Il leur demande simplement de croire et de marcher.

Cette attitude est extrêmement importante comme modèle à une époque où les forces de la chrétienté se gaspillent en tensions antagonistes, certains, remarquablement vertueux, mais nostalgiques de restauration et de sécurité ; d'autres, mettant tout en question et abandonnant les sources les plus authentiques. Marie apparaît donc aujourd'hui comme le signe d'un merveilleux équilibre, mais d'un équilibre de marche. Au sein de son peuple, elle devance, par son désir et par son être, les temps à venir, mais elle est, en même temps la présence la plus pure du reste fidèle d'Israël. Et c'est pourquoi, quand le Seigneur veut trouver en Israël le lieu où surgira une renaissance et un dépassement définitif, c'est elle qu'il choisit et qu'il travaille par son Esprit. C'est en elle que doit venir au monde celui qui clôturera le temps des promesses et ouvrira l'Alliance définitive de Dieu avec le peuple des hommes.

Marie n'est pas appelée à sortir d'Israël, mais elle, qui est fidèle à la meilleure tradition de son peuple, elle est appelée à devenir, par sa maternité croyante, la première Israélite chrétienne.

Toujours fidèle dans la foi à son Fils, toujours à l'intérieur de la communauté des croyants, elle accepte progressivement la disparition d'un ordre provisoire pour s'engager dans l'ordre nouveau, ayant compris que l'ordre ancien n'était que l'ombre et la préparation de cette «plénitude de la loi» apportée par Jésus.

Oui, au fur et à mesure que les gestes, les paroles et la personne de Jésus rendent de plus en plus clair ce qui doit venir, elle entre de plain-pied dans la spiritualisation et le dépassement de la loi, dans une intuition vitale des Béatitudes, dans le chemin royal de la charité, dans l'émouvante économie de la miséricorde, dans la radicalité de la suite du Christ, dans la pleine découverte de l'ineffable paternité de Dieu «de qui toute paternité tient son nom» (Eph. 3. 15).

Mais, plus encore, Marie est le témoin méditatif du drame de Jésus rejeté par son peuple : «Il est venu dans son propre bien, et les siens ne l'ont pas accueilli» (Jn. 1.11). Peu à peu s'éclaire l'annonce que Syméon avait faite à Jésus et à elle. C'est d'abord l'imperméabilité de Nazareth et de la Galilée ; puis la méfiance des chefs religieux qui va se changer en sourde hostilité dans la capitale religieuse et enfin aboutira à la persécution ouverte, à l'excommunication explicite et à la condamnation à mort de Jésus.

Elle comprend ce que la Samaritaine a dû avoir du mal à saisir : que le temps est venu où il n'y aura plus de lieu privilégié de l'adoration. Elle est invitée à relativiser le sabbat, la circoncision (qu'elle avait voulue pour son Fils), le temple (dans lequel elle l'avait présenté), etc. … pour s'insérer dans la communauté marginale des disciples qui, sur le Conseil de Jésus, s'est réunie dans la prière et l'attente d'une force d'En-Haut, et qui devient justement sur terre le nouveau temple de Dieu parmi les hommes : «Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom…».

Dieu sait si cette période-là a été un temps de transition. Et si notre période aussi est un temps de transition. Je ne veux pas dire pour autant que ce sont des périodes identiques, et faire abusivement une application du mystère de Marie à notre temps. La différence, c'est qu'elle était d'une certaine manière le dernier moment d'une «économie» qui se mourait et le premier d'une autre qui commençait.

Inaugurée par le Christ, cette économie de grâce, au sein de laquelle nous sommes, ne connaît qu'un seul Seigneur, un seul baptême, un seul Esprit, une seule Eglise. Il n'y a donc pas à attendre une nouvelle Eglise, mais sans doute la conversion de plus en plus profonde de la seule Eglise du Christ. C'est en elle que l'Esprit distribue les grâces pour le salut du monde, et, parmi ces grâces, des charismes spéciaux ont été donnés aux Fondateurs pour faire naître des groupes de disciples menant une certaine forme. de vie et étant chargés d'une mission particulière.

Voilà donc la situation des Instituts religieux : une identité donnée par l'Esprit, fondée dans le charisme et développée par l'histoire. Leur problème est, comme celui de Marie, de rester fidèles aux intuitions et intentions de la fondation, d'une part, et disponibles d'autre part, à l'imprévisible appel de l'Esprit. Celui-ci parle aussi dans les événements, car la fidélité à laquelle il convoque est une fidélité créatrice, qui sait unir à la fois paix, attention et discernement. C'est d'ailleurs cette attention et ce discernement qui fondent la vraie paix, car le même Esprit qui a dirigé l'intuition fondatrice, appelle ensuite des continuateurs, et, à leur tour, les dirige vers une adaptation qui ne peut pas être contradiction.

C'est pour cela qu'il faut se pénétrer de cette attitude méditative de Marie accompagnant Jésus dans les événements de sa vie, discernant le mystère de chaque geste évangélique. Ainsi pourrait-on distinguer les éléments essentiels auxquels il faut toujours rester fidèle, et les accessoires qui sont bons, mais qu'il faut remplacer par d'autres meilleurs, plus capables d'incarner dans l'aujourd'hui de Dieu notre vocation de toujours.

Marie est la Vierge forte. En elle, la vie a acquis une vraie densité, les faits historiques sont entrés dans son être avec tout leur poids. Aussi est-elle devenue une de ces femmes de l'histoire dont l'existence a été vraiment dramatique[2]. Du point de vue humain et du point de vue religieux elle est le sommet le plus émouvant de la générosité sans limite, devant qui pâlissent les autres mères de héros.

 Le rosaire qui nous la fait contempler pourrait donc nous offrir une école de vie, une invitation au dépassement et un lieu de lumière et d'équilibre d'une qualité et d'une richesse exceptionnelles. Oui, ce chapelet, si critiqué, les témoignages nous en dévoilent le rôle merveilleux dans la vie de certains Frères. Par son propre mécanisme de répétition, il constitue le genre de prière vocale qui laisse l'esprit libre pour vaquer à une contemplation : celle que l'Esprit-Saint offre au jour le jour au cœur pieux.


[1]Vida Religiosa n. 306, p. 283.

[2]Le rapprochement est sans doute déplacé, mais le destin de Marie aurait bien été capable d'inspirer un tragique comme Sophocle.


DEUXIÈME PARTIE.

ELLE A TOUT FAIT CHEZ NOUS 

CHAPITRE I

LE PERE CHAMPAGNAT ET LES SUPERIEURS GENERAUX

A – LE PERE CHAMPAGNAT[1]

1) – SON ESPRIT MARIAL.

L'esprit marial ne nous est pas venu à travers une pensée brillante, mais à travers une vie authentique. Le Père Champagnat a lui-même puisé sa dévotion à Marie dans sa famille, spécialement auprès de sa mère et de sa tante.

Au Séminaire, surtout de Lyon, il trouve aussi établie une fervente vie mariale, et une bonne doctrine mariale enseignée par des hommes qui ont été élèves des Sulpiciens : Gardette, Cholleton, etc. Leur théologie, qui est celle de Bérulle et d'0llier, met l'accent sur les relations de Marie avec les personnes divines, la participation de Marie aux «états» du Christ : enfance, passion, eucharistie, etc. Cette théologie conduit à l'imitation des attitudes d'âme de Marie, développe l'esprit de Marie qui est surtout d'attention, de service, de vie intérieure.

Lyon même est une cité mariale et peut se vanter d'avoir, avec son évêque Irénée, les plus antiques références mariales, puisque cet évêque, qui parle si bien de la Nouvelle Eve, a vécu à Smyrne auprès de Polycarpe, et se souvient parfaitement de la manière dont celui-ci évoquait l'apôtre St Jean (Lettre à Florinus).

Fourvière draine donc une tradition mariale presque deux fois millénaire qui a même par moments été d'avant-garde, puisque St Bernard reprochera aux chanoines de Lyon la célébration de l'Immaculée-Conception, doctrine qui, au 12ième siècle, n'est pas accréditée à Rome et que lui, grand apôtre de Marie, ne juge pas acceptable.

2) – SA FORMATION.

Tel est donc le milieu qui a formé Marcellin Champagnat. La piété mariale de la mère et de la tante religieuse a été bien soulignée par le F. Jean-Baptiste, premier biographe de Marcellin Champagnat. «Cette bonne mère, dit-il, ajoutait à tant d'excellentes qualités une grande dévotion à la sainte Vierge ; tous les jours elle récitait avec ses enfants le chapelet … en outre, elle s'acquittait en son particulier de plusieurs autres pratiques de vertu et de piété, qu'elle s'était imposées pour honorer la sainte Vierge et mériter sa protection» (Vie p. 25). Quant à la tante : «La dévotion à la sainte Vierge, aux saints anges gardiens et aux âmes du purgatoire était aussi très souvent le sujet de ses instructions» (Vie p. 28).

On notera cependant qu'il y a quelque contradiction avec ce que dit plus loin le même Frère Jean-Baptiste qui fait remonter aux «Séminaires» la résolution de Marcellin de dire tous les jours le chapelet, encore que la période de relative dissipation qui a caractérisé sa 19ième année (classe de 6ième, où le travail et la capacité sont corrects, mais la conduite médiocre) puisse très bien laisser penser à une baisse provisoire de la piété (0.M. I, p. 140), qui a motivé ensuite une nouvelle résolution.

C'est surtout pendant la préparation au sous-diaconat qu'a lieu la formation doctrinale mariale. Il y est question, entre autres choses, de «l'esclavage de Marie», qui vient directement à travers S. Sulpice, car le «Traité» de Grignion de Montfort ne sera redécouvert qu'en 1842.

M. Champagnat va s'attacher à un vocable (retrouvé depuis, sous la plume du Père de Clorivière)[2]qui deviendra classique parmi nous : Ressource Ordinaire. L'emploi fréquent qu'il fait de ce vocable est attesté par Fr. Jean-Baptiste, Fr. Avit, Fr. Sylvestre, Fr. François, et bien d'autres.

Il a aussi une devise : «Tout à Jésus par Marie, tout à Marie pour Jésus», dont le F. Jean-Baptiste nous dit qu'elle remonte à l'époque de son Petit Séminaire. Et comme plusieurs autres, il appelle Marie : Mère, Patronne, Modèle, Première Supérieure. Après expérience, il dira aussi : «Elle a tout fait chez nous».

3) – SA VIE.

Sa vie spirituelle au séminaire ne nous est guère connue que par ses résolutions. Dès 1814 il prend la résolution d'installer un oratoire à Marie hors de sa chambre (donc avec intention d'apostolat). Les résolutions de 1815 sont encore plus nettement mariales (esclave de Marie).

Avant de quitter Fourvière, le 23 juillet 1816, il fera avec onze autres la consécration et la promesse de fonder la Société de Marie, et le lendemain encore renouvellera en son particulier cette promesse. (Vie p. 58, éd. 1931).

Bientôt après, arrivé à La Valla, il restaure l'autel de Marie, introduit la pratique du mois de Marie, pratique encore très ou totalement nouvelle en France (Bulletin vol. 27 p. 748), et multiplie les pèlerinages à N.D. de Pitié, spécialement lorsque, en 1822, la source des vocations semble provisoirement tarie. Il obtient alors l'étrange arrivée de 8 postulants au printemps de cette année, bientôt suivie de nouveaux groupes à l'automne.

1823 est l'année du Souvenez-vous dans les Neiges, miracle réconfortant pour préparer aux assauts des autorités académiques et religieuses. L'arrivée de Mgr de Pins en 1824 sauve la situation et donne au P. Champagnat l'occasion d'aller remercier N. D. de Fourvière.

La maladie de 1825, suivie de la crise Courveille en 1826, puis de l'abandon de M. Terraillon, mettent le P. Champagnat dans la situation la plus tendue peut-être qu'il ait connue. Il doute alors d'une vraie possibilité de Société de Marie (OM doc. 625.9), pense se limiter à l'Institut des Frères, et écrit à M. Cattet une lettre angoissée (OM. doc. 173).

Mais en juillet 1828, il va renouveler à Valfleury, sanctuaire marial, ses résolutions de jeune Prêtre et ; en décembre de la même année, une lettre à M. Cattet montre qu'il a repris confiance dans le projet total de Société de Marie (OM. doc. 185, 2).

Les épreuves continuent avec la crise «des bas de drap et du système de lecture» en 1829. Comme chacun le sait, elle se termine au pied de l'autel de Marie : «Que ceux qui veulent être de bons religieux et de véritables enfants de Marie viennent ici à côté de leur Mère» (Vie p. 206, éd. 1931).

En 1830 (et surtout en 1831), ce sont les événements consécutifs à la Révolution de Juillet. La seule précaution que veut prendre Champagnat au milieu de l'affolement général, est de décider que désormais on chantera le Salve Regina le matin.

Et on pourrait trouver pour à peu près chacune des 10 années qui suivent, une épreuve majeure qui jamais n'affolera le P. Champagnat : «Quand toute la terre serait contre nous, nous ne devons rien craindre si la Mère de Dieu est avec nous».

4) – SA DOCTRINE.

Nous ne savons guère ce que le P. Champagnat disait sur Marie. Le F. Sylvestre par exemple nous laisse entendre qu'il parlait souvent de Marie, soit aux Frères : «Il provoquait notre admiration et notre amour lorsqu'il nous entretenait sur la grandeur, la bonté, sur la personne et les vertus de la bonne mère ; son cœur débordait des plus beaux sentiments et sa bouche ne tarissait pas pour les exprimer» ; soit aux élèves : «Quand il visitait les classes, il ne manquait pas de parler de cette dévotion aux enfants».

Le P. Champagnat n'a presque rien écrit : quelques lettres, la plupart lettres d'affaires très banales, quelques canevas de sermons ou d'instructions. Il avait tout autre chose à faire. Il ne savait d'ailleurs guère écrire, mais il savait parler, même si son français était incorrect.

On peut seulement glaner quelques phrases ça et là dans la tradition que nous a conservée F. Jean-Baptiste et signaler le point de vue des autres Frères.

Quelques phrases :

 Dévotion Christocentrique :

– Celui qui a une grande dévotion à Marie aura certainement un grand amour pour Jésus.

– Marie ne retient rien pour elle ; quand nous la servons, quand nous nous consacrons à elle, elle ne nous reçoit que pour nous donner à Jésus, que pour nous remplir de Jésus». (Vie p. 136 et 137 ; éd. 1931).

 Confiance totale :

– J'ai la confiance que Marie ne laissera périr aucun de ceux qui persévéreront jusqu'à la mort dans leur vocation et qui quitteront la terre avec ses livrées. (Vie p. 382, éd. 1931).

– Ne craignez rien ; les apparences sont contre nous, mais Marie arrangera tout ; elle saura bien écarter les difficultés, dominer les événements et les faire tourner à notre avantage. (Vie p. 210-211, éd. 1931).

 Amour :

Au F. Sylvestre en confession : Il me répétait en me serrant les bras : «Aimons Marie, mon cher Ami, aimons-la bien, aimons-la chaudement» et d'autres expressions de ce genre. Mais ce n'étaient pas des mots, mais bien des étincelles de feu qui échappaient de son cœur tout brûlant d'amour pour elle» (105).

 Imitation :

A toutes les pratiques de piété … le pieux Fondateur voulait que l'on joignît deux choses indispensables … La première est l'imitation de ses vertus. Il demande donc que l'amour des Frères pour Marie les porte surtout à prendre son esprit, et à imiter son humilité, sa modestie, sa pureté et son amour pour Jésus-Christ. (Vie p. 386, éd. 1931).

 Zèle :

… La seconde (chose indispensable) c'est que les Frères se regardent comme particulièrement obligés de la faire connaître, de la faire aimer, de répandre son culte et d'inspirer sa dévotion aux enfants. (Vie p. 386, éd. 1931).

– Si vous avez du zèle pour faire honorer Marie, vous triompherez des tentations … vous persévérerez dans votre belle vocation, vous y serez heureux, et la sainte Vierge vous accordera des grâces particulières. Si elle est pleine de bonté pour tous les hommes, combien sera-t-elle plus miséricordieuse à l'égard de ceux qui, non contents de la servir, travaillent encore à la faire aimer et honorer par les autres. (Vie p. 388, éd. 1931).

En somme, on peut bien dire avec le F. Sylvestre (Mémoires p. 104-105) : «La Sainte Vierge, qui le savait choisi de Dieu pour fonder une Société qui porterait son nom et qui propagerait sa dévotion dans tout l'univers, surtout parmi la jeunesse chrétienne, dut naturellement donner au Père Champagnat cette dévotion à un degré suréminent, afin qu'il pût la communiquer abondamment à la famille qu'il devait fonder».

Les premiers Frères allaient être à leur tour des modèles de vie mariale. «Frère Louis établit Marie Supérieure de la maison de Marlhes et ne voulut être regardé que comme son intendant» (Biographies, 16).

Frère Bonaventure fait la confession suivante : « Je la prie tous les jours de m'obtenir la grâce de faire en tout la volonté de Dieu, car c'est la seule chose que je désire» (Biographies 127).

Et l'on devrait citer F. Stanislas, F. Chrysostome, F. Léon, F. Cassien, F. Nicétas, F. Ribier, F. Pascal, ce dernier attiré à notre congrégation parce qu'elle portait le nom béni de Marie.

5) – FONDATION DE L'INSTITUT.

Nous pouvons ajouter quelques détails qui se rapportent plus directement à la Fondation.

Disons d'abord que, selon le témoignage de F. Jean-Baptiste, le P. Champagnat sent très fortement que la vocation de F. Louis lui est indiquée par Marie : «Il lui sembla entendre une voix intérieure qui lui disait : "J'ai préparé cet enfant, et je te l'amène pour en faire le fondement de la Société que tu dois fonder" » (Vie 1931, p. 88).

Quoi qu'il en soit des premiers développements, il peut déjà dire à Marie dans la consécration de 1822 : « c'est votre œuvre… c'est vous qui nous avez réunis, malgré les contradictions du monde…. Mais si cette œuvre périt, c'est la vôtre, car c'est vous qui avez tout fait chez nous» (Vie p. 123).

En 1835, après environ 20 ans de luttes, et alors que l'année précédente on a failli lancer ses Frères dans une aventure en les unissant à d'autres, sous prétexte que lui n'est pas capable de les former, il peut écrire à Mgr de Pins : «Notre maison s'accroît à vue d’œil ; tous les jours nous recevons de nouveaux sujets et de nouvelles demandes. Je n'ose refuser ceux qui se présentent, je les considère amenés par Marie elle-même. Nous sommes près de 200, 29 écoles et 4.000 élèves».

En 1837, il donne par écrit sa démission puisque l'obéissance le requiert, et il la donne à Marie : «Marie, ma tendre mère, je remets purement et simplement entre les mains de M. le Supérieur Général de la Société de Marie, la branche des Frères maristes qui m'avait été confiée en mil huit cent seize. Veuillez, je vous en prie, ô Mère de miséricorde, m'obtenir le pardon de toutes les fautes dont j'ai pu me rendre coupable en négligeant ou en ne m'acquittant pas comme j'aurais dû de mes obligations à l'égard de cette œuvre…» (OM. I, 951).

Et enfin son mot, répété plusieurs fois à des Pères et à des Frères, est : « Qu'il fait bon mourir dans la Société de Marie».

Son Testament Spirituel insiste encore : «Qu'une dévotion tendre et filiale vous anime dans tous les temps et dans toutes les circonstances pour notre bonne Mère. Faites-la aimer partout autant qu'il vous sera possible».

B – L'ANIMATION MARIALE CHEZ LES CONTINUATEURS DU P. CHAMPAGNAT.

1) – F. FRANÇOIS.

 On peut s'attendre légitimement à trouver chez les successeurs du P. Champagnat un écho de sa pensée et de son zèle marials. Et effectivement dès 1843, le F. François profite de la proximité du mois de Marie pour rappeler, dans un sens marial, le souvenir du Père Champagnat : «Marie était sa ressource ordinaire, sa force et son refuge» (Circulaire vol. I, 73).

Comme le P. Champagnat, le F. François fait hommage à Marie de tout ce qui arrive de bien à l'Institut : «C'est Marie qui a ménagé et consommé notre union avec les bons Frères de St-Paul-3-Châteaux. … C'est par Marie que nos établissements se soutiennent …. C'est elle qui nous assure la faveur de Nosseigneurs les évêques … Oui, c'est à Marie que la Société doit son origine, sa conservation et son progrès…».

«Le grand moyen de faire du bien parmi les enfants et de les gagner à Dieu, c'est de les recommander à Marie, et de leur inspirer envers elle une grande et véritable dévotion … N'allons à Jésus que par Marie. Faisons tout pour Jésus en Marie».

Cette dernière formule, un peu compliquée, est-elle une autre version de la seconde partie de notre devise : «Tout à Marie pour Jésus», que devait nous transmettre F. Jean-Baptiste, ou bien est-elle inspirée par la prière : O Jésus vivant en Marie ? il n'est pas possible de le préciser[3].

 Le reste de cette brève circulaire consiste en conseils pratiques pour l'apostolat marial.

Une autre circulaire en 1847 insiste sur l'aspect d'imitation qui doit caractériser la dévotion à Marie : «Je suis bienheureuse, mais je ne le suis pas tant pour avoir conçu le Fils de Dieu dans mon sein que pour l'avoir conçu dans mon cœur par la fidélité que j'ai eue d'obéir à sa parole» (I, 128).

La proclamation du dogme de l'Immaculée Conception en 1854 donne au F. François l'année suivante, l'occasion d'une exhortation de style très oratoire, sur cette croyance toujours professée par le P. Champagnat. C'est l'occasion d'unir dévotion mariale et dévotion au pape : «Un vieillard s'est levé, le Chef suprême de l'Eglise, Pie IX ; il a dit une parole, et aussitôt trois cents millions de catholiques ont incliné la tête, et pas un seul entre tous les membres de l'Episcopat qui n'ait applaudi» (II, 212).

C'est aussi l'occasion d'inciter à faire des invocations déjà bien entrées dans la pratique des Frères. «Répétons continuellement cette belle invocation : "Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous", ou cette précieuse aspiration : "Bénie soit la très sainte et très Immaculée Conception de la glorieuse Vierge Marie, Mère de Dieu, à jamais" ».

Enfin cet événement d'Eglise entraîne le devoir de «professer extérieurement et d'enseigner, selon notre état et notre emploi, le dogme de l'Immaculée Conception» (II, 219).

Au début de 1857, F. François fait une longue circulaire pour présenter la «Vie du P. Champagnat par le F. Jean-Baptiste», qui vient d'être éditée quelques mois plus tôt. Dans la partie qui concerne la dévotion à Marie, il souligne notre devise, semblant d'ailleurs en expliquer la seconde partie : «Tout à Marie pour Jésus» par ces mots : «Chaque jour il se consacrait à elle et lui offrait toutes ses actions, afin qu'elle daignât elle-même les présenter à son divin Fils» (II, 282).

Enfin la Circulaire du 2 février 1858 064 est vraiment un hymne à Marie. C'est une rétrospective, un peu dans le goût du psaume 135 où l'on rappelle tout ce que Dieu a fait pour Israël, «car éternel est son amour», mais ici le refrain est à peu près : C'est Marie qui a fait cela.

«Nous n'avions pour dortoir qu'une grange, pour lit qu'un peu de paille… et pourtant rien au monde n'aurait pu nous détourner de notre vocation … c'est qu'en nous recevant, le P. Champagnat nous avait parlé de Marie avec tant d'amour qu'il nous avait attachés à elle pour jamais».

Dans les besoins les plus pressants… «Allons, disait-il, allons à notre ressource ordinaire. Nous irons à Marie notre ressource ordinaire ».

En 1825, … «Marie envoie à son secours l'ecclésiastique même qui avait été le plus fortement prévenu contre le bon Père ; l'excellent M Dervieux … se chargea lui-même de payer toutes ses dettes».

Suivent des exemples de faveurs signalées, qui amènent le F. François à répéter cinq fois le mot ressource ou ressource ordinaire.

Puis évoquant les cabales et les défections, il rappelle : «Le Bon Père ne craignait pas de dire que la Congrégation doit autant à Marie pour les sujets qu'elle a exclus à cause de leur mauvais esprit que pour les bons Frères qu'elle lui ménage et lui conserve» etc. etc.

Et puis c'est la période qui suit la mort du Fondateur : reconnaissance légale d'une part ; adoption des Règles et Constitutions d'autre part : tout cela obtenu par l'intercession de Marie.

«Toutes les pensées, tous les projets utiles au bien de l'Institut viennent à la suite de nos neuvaines à Marie, à l'occasion d'une de ses fêtes, d'un des mois que la Règle lui a spécialement consacrés».

Et le F. François, qui est sur le point de partir pour Rome, en profite pour demander de nouvelles prières à Marie en vue d'obtenir l'approbation de l'Institut par S. S. Pie IX.

 2) – F. LOUIS-MARIE.

 Frère Louis-Marie est élu en 1860. Dès 1861 il écrit une très enthousiaste circulaire sur la Sainte Vierge.

Comme l'avait déjà fait le F. François, il voit dans la dévotion à Marie la caractéristique principale de l'Institut au point même de dire : «Ne souffrons jamais qu'on nous surpasse en amour et en respect pour notre bonne mère … en confiance … en zèle pour son honneur et sa gloire … Que ce soit là notre gloire, notre ambition, notre distinction». Il justifie cette ambition par la parole de St Ignace : «Je désire que personne ne nous surpasse dans la pratique de l'obéissance ». On peut discuter cette justification un peu triomphaliste, mais il y a là un idéal que le F. Louis-Marie veut rappeler et qu'il formule ainsi :

«Nous ne pouvons être les enfants, les disciples de notre Père Fondateur qu'à la condition d'aimer Marie, d'honorer et de servir Marie, de vivre de la vie et de l'esprit de Marie, de travailler de toutes nos forces et de toute notre vie à répandre le culte et l'amour de Marie».

En effet, «tout le but du P. Champagnat, l'objet constant de ses efforts, la fin de toute son œuvre n'a été que l'amour et le service de l'auguste Reine du ciel, la propagation de son culte, afin d'arriver par la dévotion à Marie, à étendre plus facilement le règne et l'amour de Jésus» (III, 42).

On a d'ailleurs l'impression d'être dans une période bénie, car, comme le F. François en 1858 – et il serait intéressant de se demander d'ailleurs si l'inspiration et la rédaction ne sont pas du même auteur dans les deux cas – F. Louis-Marie n'hésite pas à trouver que tout va bien et que l'esprit mariste du P. Champagnat est «aujourd'hui dans toute sa force parmi nous» : Règles, Constitutions, Guide, Livres ; il est l'âme et la vie des établissements et des maisons de noviciat, il entre dans tous les avis et les instructions des Supérieurs, dans tout l'enseignement des Frères, dans toutes les habitudes et pratiques de la congrégation. …» (IlI, 45).

Ayant de bonnes références patristiques, il va aussi consacrer une partie de sa circulaire à citer les auteurs spirituels qui ont promis le salut par Marie, et il cite aussi deux fois le terme «ressource ordinaire» qu'il classe parmi les autres expressions de la médiation de Marie. «Allons à notre ressource ordinaire, à Marie ; " car c'est la volonté de Dieu, dit S. Bernard, que nous ayons tout par Marie "» (III, 59).

En 1871, F. Louis-Marie écrit une longue et très remarquable circulaire sur la Visitation. Il sait très à propos souligner la diligence de Marie qui ne lui était pas imposée par l'ange : «C'est le cœur de Marie, c'est son désir du salut des âmes qui lui fait deviner le reste… » (IV, 209).

Avec S. Bernard, il salue «Marie, Inventrice de la grâce ! Qui l'a si heureusement trouvée pour elle-même et pour nous !» (1V, 211).

Un peu curieusement, selon notre goût actuel, cette méditation très doctrinale, peut passer au ton moralisant ou menaçant du prédicateur des grandes vérités, car si l'on ne se hâte pas, comme Marie, on s'expose à l'enfer.

Mais de nouveau, on revient à la doctrine, cette fois pour évoquer l'effusion de l'Esprit sur Elisabeth et faire des considérations sur les sept dons et le besoin actuel qu'en a le monde. Ici F. Louis-Marie renvoie surtout à un délicieux catéchisme du Curé d'Ars sur le Saint-Esprit, qu'il avait cité dans une circulaire précédente.

Il passe ensuite au séjour de Marie chez Elisabeth pour voir la Vierge pratiquant «ce que St François de Sales appelle les petites vertus, lui, le modèle parfait et le propagateur de ces vertus» (IV, 220).

Encore aujourd'hui cette circulaire de F. Louis-Marie peut être reprise et méditée, même si elle inclut des événements d'actualité (protection de la maison de Paris contre les bombardements ou d'un Frère prisonnier de la Commune ; prière pour le «Prisonnier du Vatican»).

Avec les 4 circulaires sur Pontmain on a. quelque chose d'un peu plus étonnant. Non pas que l'apparition soit négligeable : Laurentin en a fait récemment une bonne étude critique, et à son avis, elle est très sérieusement attestée. F. Louis-Marie a donc bien raison de raconter en grand détail cette apparition et de tirer des leçons de confiance filiale de la phrase que Marie inscrit dans le ciel : «Mais priez, mes enfants. Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon fils se laisse toucher».

Nous le suivrons bien encore lorsqu'il voit Marie : «Institutrice universelle des Chrétiens» face aux cinq voyants et à la population du village : Elle est un modèle si naturel du Frère Mariste moyen de cette époque ! Mais les considérations d'ordre pratique que fait F. Louis-Marie nous semblent aujourd'hui vraiment loin du sujet.

Dans la 3ièmecirculaire sur Pontmain, on entre encore dans un genre plus spécial. Il est vrai que l'apparition est pleine de détails piquants, mais F. Louis-Marie cherche à interpréter toutes les lettres, et les nombres que représentent les mots (V, 150). Marie reste présente, mais préside une «science des nombres sacrés … sans laquelle, dit St Augustin, on ne peut connaître les merveilles de Dieu», mais qui est bien déconcertante.

Il est vrai que les circulaires sur Pontmain font l'équivalent d'un livre et que l'on peut concéder qu'une partie en soit peu abordable. L'enseignement marial de F. Louis-Marie a été vraiment marquant dans la congrégation.

Or, lui qui avait si bien parlé de la Sainte Vierge devait mourir le 9 décembre 1879 après avoir célébré, la veille, le plus solennellement possible le 25ième anniversaire de la proclamation du dogme de l'Immaculée-Conception. Il avait fait relire la bulle, en interrompant souvent la lecture pour y ajouter des commentaires. Il avait ensuite commenté l'office de l'Immaculée, puis l'hymne des Petites Heures de l'office de la Sainte Vierge : «Mon désir le plus ardent, ajoutait-il, est que la dévotion à la Sainte Vierge grandisse toujours dans l'Institut».

Ceci avait eu lieu le matin du 8. Le soir, aux Vêpres, il chanta de toute la force de sa voix. Peu après il était frappé d'apoplexie, et mourait quelques heures plus tard.

 3) – F. THÉOPHANE.

 F. Nestor n'a pas eu le temps d'écrire une circulaire de nature mariale.

Après sa mort inopinée, F. Théophane, qui lui succède, va gouverner l'Institut 24 ans (1883-1907). Les faits les plus saillants de sa période sont l'essor missionnaire de l'Institut, les événements de 1903 et l'approbation canonique de l'Institut. Les pontificats correspondants sont ceux de Léon XIII et de Pie X. La coloration du catholicisme français est alors ultramontaine : on est d'autant plus attaché à Rome que le pape est le prisonnier du Vatican.

On est aussi au début de la mariologie scientifique et à un moment important du «mouvement marial» qui va du dogme de l'Immaculée-Conception (1854) à la mort de mort de Pie XII (1958).

On peut donc s'attendre à une catéchèse mariale des Supérieurs qui soit un écho du magistère : publication d'extraits des encycliques de Léon XIII sur le Rosaire, et de celle de Pie X lors du cinquantenaire du dogme de l'Immaculée Conception.

Cette catéchèse s'exprimera par des exhortations d'avoir à se rallier au «mouvement marial» de toute l'Eglise par la récitation du rosaire et la célébration du Jubilé de l'Immaculée Conception, par l'insistance sur l'observance des pratiques mariales (un second chapelet, au moins le dimanche (VII, 191), litanies de l'Immaculée (X, 422), et une mise en garde contre un culte trop extérieur.

Il ne faut pas se limiter à des sentiments passagers issus de célébrations mariales, mais se proposer l'imitation de Marie (X, 422). Notre devise «Tout à Jésus par Marie» a une valeur que le Fr. Supérieur rapproche de la doctrine de Pie X : «Tout restaurer dans le Christ … car … il appartient à la Vierge … d'unir les hommes à Jésus » (X, 422).

Deux pèlerinages à Fourvière (1899 et 1903) donnent l'occasion de renouveler la consécration à Marie du Père Champagnat (IX, 414 et X, 346).

Discrètement est rappelée l'existence du livre : Marie enseignée à la Jeunesse (IX, 102) et plus explicitement celle des Méditations mariales rédigées à partir du livre (XI, 149).

 4) – F. STRATONIQUE.

 F. Stratonique sera, lui, l'homme optimiste qu'il faut en un moment difficile. Au tout début de son généralat (1907), il consacre l'Institut au SS. Cœurs de Jésus et de Marie, et le Chapitre Général qui l'a élu attire l'attention sur le Catéchisme du samedi.

Se trouvant à Jérusalem, le vendredi-saint 1910, F. Stratonique réfléchit à la scène du Calvaire : «Voici votre mère» qu'il rapproche des paroles du Père Champagnat peu avant sa mort : «Ne l'oubliez pas, avait-il dit au F. Louis-Marie en présence du F. François, vous avez la Très Sainte Vierge qui est le soutien de l'Institut, sa protection ne vous manquera jamais ».

Il n'a pas de peine dans une autre circonstance à rappeler des successions d'événements où la protection de Marie a été visible. Elle a été « la vraie fondatrice», et son action est visible dans la prodigieuse prospérité de l'Institut malgré ou à cause des événements de 1903. Cette date en effet a été en même temps celle de l'approbation des Constitutions.

 5) – F. DIOGENE.

 Chez Frère Diogène, on trouve surtout un vrai souci d'apostolat marial, face à une baisse des efforts qu'il semble ressentir.

En 1924, lors de l'exhumation des restes de F. François, au cimetière de l'Hermitage, il a eu l'inspiration de quelques réflexions mariales qu'il a appuyées de citations fort bien choisies. Essentiellement il pense à l'éducateur religieux. Celui-ci est l'auxiliaire de Marie dans sa tâche. Et il renvoie à la «docte circulaire du 16.7.1861» du Fr. Louis-Marie. (XV, 153).

… La formation des âmes, continue-t-il, appartient à l'Eglise. Mais l'Eglise est fille de Marie (il cite le cardinal Mercier : Marie, mère de l'Eglise). Donc les éducateurs ne peuvent qu'être les coopérateurs de Marie. (XV, 154).

Il tire alors du Directoire des Marianistes d'excellentes considérations et il conclut que, plus la science de Marie grandit dans l'éducateur, plus celui-ci devine comme d'instinct ce que ferait Marie à sa place.

La dévotion à Marie doit être assez spontanée, mais cependant basée sur des convictions fortes, celle-ci entre autres que «Dieu en introduisant une mère dans la religion de son fils, veut exploiter toutes les ressources du cœur humain».

C'est dire l'importance de l'éducation méthodique concernant la place de Marie dans les mystères chrétiens et aussi ses privilèges : spécialement maternité divine et maternité de grâce.

Suit un rappel de ce que la Règle nous demande en l'honneur de Marie.

En 1930, le Congrès Marial de Lourdes formule un vœu en faveur de la consécration du genre humain au Cœur immaculé de Marie. Frère Diogène en profite pour insérer dans sa circulaire un article sur l'évolution de cette dévotion.

En 1932, il fait 20 pages de réflexions sur Marie modèle des 3 vœux. Ces réflexions sont puisées très largement dans l’œuvre de Catrini, jésuite italien, qui lui-même se réfère aux Pères ou à des Mystiques pour faire des affirmations que notre sensibilité actuelle juge incontrôlables : Marie aurait pu vivre de l'héritage paternel, mais elle l'a distribué aux pauvres et au Temple (Canisius) ; elle s'est engagée par vœu à ne rien posséder (Ste Brigitte) etc. … Le but est de dire aux Frères : Et nous, où en sommes-nous par rapport à la pauvreté de La Valla, même s'il faut penser que la vie a dû évoluer ? Comment pratiquons-nous le Chapitre de la modestie, etc. … ? (XVII, 10).

Dans la même circulaire est inséré un article sur la fête de la Maternité Divine qui vient d'être instituée (XVII, 50).

En 1934, F. Diogène insère un autre article sur «le Chapelet des enfants», rappelant un événement du début du siècle, où un village français déchristianisé a repris une vraie ferveur grâce au chapelet des enfants.

C'est l'occasion pour F. Diogène de faire quelques rappels historiques sur le rosaire et de citer aussi un événement de la vie de F. Urbain : son succès parmi les garnements de la Seyne sur mer en 1850 (XVII, 215).

Il en profite pour insister sur l'animation du rosaire à travers les mystères et pour faire deux citations excellentes : une de Schrijvers : «Quand la Ste Vierge a fait comprendre à une âme comment elle doit lui rester unie par une prière continuelle, cette âme possède le gage le plus sûr de sa future sainteté» ; une de S. Alphonse qui raisonne à peu près ainsi : Je serai sauvé si je prie ; mais prierai-je quand ce sera le moment ? Mère chérie … donnez-moi la pensée et la volonté de vous prier toujours … Si je cessais … vous m'y forceriez pour ne pas me voir perdu».

Et il rappelle toutes nos prières, notant que la consécration à Marie est déjà dans les Règles de 1837.

En 1937, il publie le texte de l'encyclique «Ingravescentibus malis» qui propose le recours à Marie contre le communisme et le nazisme (XVII, 742).

Frère Diogène meurt en 1942. F. Michaelis qui assurera l'intérim fera cette même année 1942 une circulaire sur Fatima, rappellera que Marie a demandé la consécration du monde à son Cœur Immaculé, que Pie XII vient d'accomplir cette demande, et que cette consécration a été faite aussi au nom des Frères Maristes à St Genis-Laval le 812-42 (XIX, 176).

 6) – F. LEONIDA.

 F. Léonida (1946-58) fait lui aussi écho aux messages pontificaux. Il rappelle l'encyclique de Pie XII sur le Rosaire, donne le texte intégral de la bulle « Munificentissimus Deus » qui définit le dogme de l'Assomption, celui de l'encyclique «Fulgens Corona» sur le centenaire de la définition de l'Immaculée-Conception, et celui de l'encyclique : «Ad coeli Reginam» sur la Royauté de Marie.

Il demande que l'Année mariale de 1954, comme le suggère le S. Siège, soit marquée non seulement par des cérémonies, mais aussi par des réalisations sociales, etc. …

Il ne manque même pas de souligner des faits plus mineurs, comme le centenaire de l'agrégation de l'Institut à l'archiconfrérie N.-D. des Victoires, œuvre si liée à la Consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie.

Sans doute le pontificat de Pie XII se prête-t-il particulièrement à ces expressions de dévotion mariale, mais enfin F. Léonida est personnellement un grand serviteur de Marie, et il suffit ici de renvoyer à sa biographie.

Pas plus que ses prédécesseurs il n'a une préparation dogmatique pour parler de Marie, mais il va le faire avec une ampleur qui n'est dépassée que par F. Louis-Marie.

En effet en 1952, il consacre à Marie une longue circulaire. Les considérations en sont un peu génériques et le style surtout exhortatif, mais il y met bien aussi quelque chose de lui-même pour insister sur des points qui lui tiennent à cœur. Dans sa vie de prière à lui, Marie peut être liée au soulagement des âmes du purgatoire, et tant pis si sa référence est aux Mystiques faute de l'être à l'Ecriture : «Je suis la mère de tous ceux qui sont au Purgatoire, dit-elle à Ste Brigitte, et il ne se passe pas une heure que la rigueur de leur peine ne soit adoucie par mon intercession» (XXI, 37).

Par ailleurs il n'est pas un sentimental, et son expérience personnelle lui permet de parler de «confiance de volonté» en s'appuyant sur S. Thomas.

Outre cette longue circulaire, il en écrira l'année suivante une autre sur le vice impur, mais où l'idée de Marie protectrice occupe la moitié de l'espace. En particulier il a recueillî beaucoup d'exemples d'anciens élèves qui ont été marqués par le catéchisme du samedi.

De même la dernière année de son généralat sa circulaire sur la persévérance met fortement l'accent sur la dévotion à Marie comme moyen d'éviter les défections.

N.B. On trouvera plus loin l'évocation de la période de transition constituée par les deux derniers généralats. 

C – L'ESPRIT MARIAL DANS LE BULLETIN DE L'INSTITUT.

Il pourra être utile aussi de voir très sommairement comment une publication moins officielle, comme le Bulletin, a cherché à entretenir un peu l'esprit marial dans la vie des Frères.

Cette publication commence en 1909 sous le généralat de F. Stratonique.

 Elle publiera des articles

1) – de nature mariste :

a) Notre devise (XXV, 13).

b) L'esprit (XIX, 286 ; XXIV, 299).

c) Le P. Champagnat et le mois de Marie (XXVII, 748).

d) Le «miracle» de Valbenoîte (XV, 373).

e) Aimons-nous Marie ? (XVIII, 295).

2) – sur l'histoire de la dévotion mariale :

a) Le Rosaire (XIX, 529 ; XXVIII, 255).

b) Le Salve Regina (à propos du centenaire de son introduction dans notre vie de prière) (XII, 7).

c) Le Sub Tuum (XVII, 269 ; XXIX, 17MM).

d) L'Ave Maria (XX, 225).

e) Le Souvenez-vous (XXI, 281).

f) L'archiconfrérie N.D. des Victoires, et la consécration au Cœur Immaculé (XV, 5 ; XIX, 441).

g) Le Petit Office de la Sainte Vierge (XX, 386, 465).

h) L'Office d'En-Calcat (XXIV, 382 ; XXVI, 488, 579).

3) – Sur les sanctuaires. Parmi plusieurs articles sur Lourdes et Fatima, il faut signaler (XXVIII, 255) celui qui est une interview assez précise à 3 personnes connues des Frères.

4) – Sur la catéchèse mariale (XIX, 468 ; XX, 381 ; XXIII, 389 ; XXIV, 275).

5) – Ou des indications bibliographiques de l'Institut (XV, 397 ; XXIII, 389).

6) – Sur des événements d'actualité :

a) Apposition d'une plaque commémorant le 24.7.1816 à Fourvière (XIV, 473).

b) Congrès marial de Lyon de 1939 (XVI, 474).

c) Année mariale de 1954 (XXI, 471).

d) Exposition mariale (XX, 412).

7) – Parfois de doctrine :

a) Doctrine de Grignion de Montfort (V, 314).

b) Sens de la dévotion mariale (XXVIII, 398).

c) La consécration (XXI, 181).

d) L'Immaculée (XXI, 461 ; XXIII, 290).

e) Notre-Dame et les Educateurs (XX, 396).

8) – Ou d'apostolat :

Légion de Marie (XXIII, 368).

Enfin une vingtaine de Frères ont composé un Mois de Marie sur la Prière de Marie et la Prière à Marie (XXIX, pages MM).

A ces articles, de valeur et d'étendue très inégales il faudrait en outre ajouter de nombreux articles brefs parus dans la nouvelle revue FMS.

Spécialement dans la période hésitante de l'après concile, l'image de Marie était maintenue présente, et c'est le même but qui est recherché dans la présente circulaire.

D – VERS UNE NOUVELLE ÈRE MARIALE A DÉCOUVRIR.

« Levez les yeux et regardez ; déjà les champs sont blancs pour la moisson » (Jn 4. 35).

Tout le parcours doctrinal que nous avons fait, si réduit qu'il ait dû être dans la ligne choisie, nous a permis directement ou indirectement de toucher du doigt une vérité dont on doute parfois : il y a un ensemble de rayons qui convergent vers Marie. L'Esprit-Saint, la Ste Ecriture, Vatican II, la théologie catholique et, actuellement, le mouvement oecuménique prennent une même direction : non seulement Marie est reconnue comme le lieu humain où se condense le mystère chrétien, mais elle occupe une place insigne dans l'histoire du salut de tous.

Jésus a promis à la Samaritaine un nouveau lieu d'adoration que Marie a su trouver dans son âme d'une pureté exceptionnelle : elle est vraiment elle-même un des hauts lieux du culte nouveau. Par conséquent la vie de tout chrétien doit, par le seul fait qu'elle est chrétienne, faire une place importante à Marie. Et quand un chrétien a, par vocation, reçu des grâces mariales spéciales, il doit, par fidélité à ces grâces, mettre en relief dans sa vie d'une façon plus explicite la place et le rôle de Marie.

1) – ELEMENTS A RETENIR.

Notre parcours d'histoire mariste a eu l'avantage de nous rappeler ce dont nous avions l'intuition grâce à notre formation et à nos études mariales, et que je pourrais ramener aux éléments suivants :

a) – Héritage d'un christianisme marial.

Nous avons hérité d'un christianisme à forte sensibilité mariale, et cet héritage nous a été transmis plus encore à travers des exemples vécus qu'à travers une doctrine.

b) – Mission.

Une mission a été donnée à l'Institut dans le cœur même du Fondateur et, même si quelques-uns trouvent là un peu d'hypertrophie, cette mission s'est transmise jusqu'à nous : faire connaître et aimer Marie et donc éduquer la dimension mariale de la vie chrétienne.

    c) – Relation vivante.

Il y a eu, vivante et agissante, une relation de Marie à nous et de nous à Marie :

c.1 – MARIE PRÉSENTE.

De son côté, Marie était présente comme mère, modèle et médiatrice. Ce n'est pas l'Institut qui la constituait ainsi ; c'est l'Eglise tout entière qui l'avait reçue comme telle. «Elle a tout fait chez nous», est la constatation expérimentale du Père Champagnat. Mais des milliers de Frères ont réaffirmé cette croyance au long d'un siècle et demi.

c.2 – ATTIRE DES VOCATIONS.

Le nom de Marie a attiré à l'Institut de nombreuses vocations. Les enquêtes soumises à l'ordinateur, révèlent, comme on le verra plus loin, que, non seulement l'influence de Marie est considérable dans les motivations d'un grand nombre de Frères, mais ce qui est plus important, que cette motivation, quand elle existe, est liée à un dynamisme et une solidité dans la vocation, bien supérieurs aux cas où cette motivation n'existe pas. Et les témoignages écrits évoqués dans cette circulaire ont explicité cela d'une manière incontestable, parfois même émouvante.

C.3 – PLACE QUE LUI A DONNÉE L'INSTITUT.

Du côté de l'Institut, il y a toujours eu la volonté de la situer comme Mère, première Supérieure et surtout ressource ordinaire.

Par le passé, une espèce d'instinct marial conduisait les Frères à l'invoquer et, par ailleurs, les journées étaient vraiment jalonnées de contacts marials, au point de créer toute une atmosphère dans laquelle on baignait sans s'en rendre compte.

Elle était la première saluée et elle recevait la dernière louange avant que le grand silence recueille la communauté pour le repos de la nuit.

Outre de nombreuses prières mariales, dont les principales étaient l'office et le chapelet, pratiquement tout exercice communautaire se concluait par le Sub Tuum.

L'Image de Marie était partout dans les maisons ; l'atmosphère mariale devenait encore plus dense un jour par semaine et deux mois par an, sans compter les fêtes liturgiques.

On peut faire des mises au point quant à la qualité et au bien-fondé de la doctrine et de certains procédés, mais ce qui est incontestable, c'est qu'il y avait là un ensemble de moyens qui prenaient les jeunes, généralement déjà sensibilisés en famille et dans leur milieu à cette atmosphère mariale. Tout naturellement il se développait un attachement et une relation à Marie réellement remarquables.

Il ne faut pas s'étonner si les classes devenaient le lieu où la créativité des Frères transmettait, en le reproduisant, ce qu'ils avaient eux-mêmes reçu. Je ne crois pas que cette description soit exagérée le moins du monde.

Compte tenu de cette ambiance, il n'y a donc pas à être surpris si certains témoignages attribuent tout à Marie avec une simplicité qui est peut-être mal comprise, voire mal reçue, de certains esprits . critiques : cette simplicité est dans la logique de cette ambiance.

2) – LA TRANSITION.

a) – L'Administration du F. Charles-Raphaël.

Le gouvernement de F. Charles-Raphaël (195867) se situe dans la période de transition, où toute une partie de l'Institut est encore dans un climat d'essor marial, alors qu'une autre partie connaît déjà une forte remise en question.

A son avènement, il faut noter un vœu intéressant du Chapitre Général dont une commission s'est penchée sur le problème de la vie mariale des Frères et des élèves. On suggère que soient créées des bibliothèques mariales, qu'un ouvrage soit composé expliquant notre spiritualité, et aussi un bon traité de mariologie pour nos élèves du Secondaire. Ce qui n'a guère pu être réalisé au plan général, l'a été dans plusieurs Provinces qui ont pris ces suggestions, très au sérieux spécialement par des fiches destinées à une catéchèse mariale bien insérée dans un programme général d'enseignement religieux.

Le F. Charles-Raphaël, dans sa circulaire du 9-12-60, expliquant dans quel sens viennent d'être modifiées les Règles Communes, en profite pour bien resituer notre spiritualité mariale : «Il n'est pas seulement question d'un catéchisme du samedi, ou du jeûne du samedi ou de telle ou telle pratique de piété. C'est toute la vie des Frères qui doit être imprégnée de l'esprit marial» (XXII, 501).

C'était déjà annoncer les Constitutions composées entre 1966 et 1968, où Marie ne sera plus dans un chapitre isolé, mais, tout au long du texte, apparaîtra inspiratrice et modèle de toute la vie.

Cette circulaire donne aussi la même directive pour l'apostolat des Frères qui doit «toujours être nettement marial» (XXII, 502). Il s'agit là d'une «noblesse mariale», qui, comme toute noblesse,

La circulaire annonce encore la parution de l'office marial d'En-Calcat, que le Chapitre Général de 1958 avait décidé d'adopter. C'était un gain évident par rapport au Petit Office en latin. Il y avait toute une possibilité d'approfondissement. Sans doute on a pu en voir ensuite certaines lacunes, mais, en son genre, il n'a pas encore été dépassé.

Cependant, le fait majeur de cette période allait être le Concile, avec la nouvelle vision mariologique, qui pouvait avoir des résultats très positifs, mais, dans l'immédiat, les a eus assez rarement à cause d'un contexte peu favorable. La réponse provisoire de la Congrégation, en son 16ième Chapitre Général (1967-68) aura été, en tout cas, de publier un «Document Marial» destiné à aider la méditation de chaque Frère pour qu'il trouve la place de Marie dans sa vie et son enseignement.

b) – Problème actuel.

Mais en dépit de ce qui a été fait, chacun est assez conscient que, depuis une date difficile à préciser, la situation mariale est médiocre. On perçoit un vague malaise dans la conscience collective de la Congrégation. C'est vrai de l'Eglise en général, sans doute, mais c'est plus aigu dans les groupes chrétiens que l'Esprit-Saint avait orientés vers un rapport spécial à Marie.

On pourrait à peu près définir ainsi ce malaise : il y a quelque chose qui ne va pas ; les choses ne sont pas ce qu'elles devraient être ; on est mécontent, et, malgré les raisonnements qu'on fait et tout ce qu'on affirme, ce malaise demeure une plaie au flanc de la Congrégation.

Le diagnostic de cette plaie serait exprimé en deux affirmations :

b.1 – Les formes de dévotion mariale existantes se rétrécissent comme une peau de chagrin. Certains pessimistes s'estiment «Derniers des Mohicans».

b.2 – Et les formes nouvelles qu'on était en droit d'attendre restent à venir, ou en tout cas se trouvent dans un degré très faible. Les petites minorités qui les vivent ne contrebalancent pas l'impression d'ensemble qui est réellement celle d'un affaissement de terrain.

Je dois d'ailleurs moi-même le premier, faire un sérieux mea culpa, car dans mes retraites de renouveau, je n'ai pas donné la place qui convenait à l'éveil de la dévotion mariale nouvelle.

Les raisons en sont simples. Rarement j'ai eu le temps de présenter moi-même la doctrine mariale, car je la renvoyais au dernier jour pour couronner la retraite, mais à ce moment-là, j'étais débordé par les demandes d'entrevues et épuisé par le travail des jours précédents. Presque chaque fois je devais demander à quelqu'un de l'équipe de me remplacer.

Par ailleurs, le rythme et la densité de la retraite provoquaient chez les Frères une saturation psychologique, ce dernier jour.

Le 16ième Chapitre Général doit d'ailleurs aussi convenir qu'il a bien su parler de Marie, mais n'a guère réussi à faire passer le messag e et à transformer en vie ce qui était écrit.

Cependant, malgré toutes ces erreurs tactiques, toutes ces lacunes, je ne suis pas pessimiste pour cette époque à laquelle nous sommes arrivés, et c'est pour cela que j'ai commencé cette conclusion en disant : «Levez les yeux, les champs sont blancs pour la moisson».


[1]L'édition de ta Vie à laquelle nous renvoyons est celle de 1931, uniquement pour une raison pratique, car trop peu de maisons auraient l'édition de 1856.

[2]Le texte du Père de Clorivière (mort en 1819), où le Père Jean Coste, sm, e retrouvé cette expression, est une publication de manuscrits, faite un siècle plus tard, donc que le Père Champagnat n'a pas pu connaître : « Voilà votre mère » : Extraits des œuvres du Père de Clorivière. Castermann 1936, p. 180.

[3]On pourrait aussi rapprocher le texte de Grignion de Montfort : « Il faut faire ses actions en Marie » (Traité de la vraie Dévotion p. 216-217, éd. 1953). Le manuscrit, retrouvé en 1842, a été publié en 1843.



CHAPITRE II

MARIE DANS LA VIE

D'UN FRERE AUJOURD'HUI

 

A — NOTRE ENQUETE

Donc pour pouvoir répondre à ces diverses questions nous vous avons envoyé une lettre qui vous demandait une réponse facultative.

 1) – Les réponses.

Nous avons reçu quelque 550 réponses, représentant d'ailleurs assez bien toutes les Provinces.

Très peu ont demandé l'anonymat, mais nous éviterons cependant de désigner nommément qui que ce soit.

Nous avons voulu éviter une enquête scientifique afin que chacun se sente plus à l'aise, et puisse répondre avec plus de spontanéité.

 2) – Le dépouillement.

Voici comment a été fait le dépouillement :

a) J'ai lu moi-même tous les témoignages et ai fait une première classification.

b) J'ai distribué entre 4 collaborateurs de confiance ceux qui ne demandaient pas le secret.

N.B. – Lorsque, sans exiger le secret, un Frère donnait un témoignage de nature réservée, le collaborateur se savait tenu par le secret professionnel.

Nous faisions alors une nouvelle classification en vue d'une publication selon deux formes :

c.1 – Des extraits groupés, pour les thèmes qui reviennent des dizaines ou centaines de fois de façon plus ou moins semblable : influence de la famille, de la mère, des pratiques mariales, etc.

c.2 – Quelques témoignages donnés intégralement ou presque, qui ont l'intérêt de mieux exprimer en général tout le contexte d'une vie.

En procédant par éliminations successives pour réduire le matériel reçu à des dimensions raisonnables, il peut très bien se faire que tel très bon témoignage ait été victime de nos éliminations successives et ne figure même pas dans une seule des dix sections que nous avons retenues. Nous nous excusons dans ce cas auprès de son auteur. Que celui-ci sache cependant que son effort n'a pas été vain et que son témoignage est conservé pour d'autres utilisations éventuelles parmi les moyens que je signale à la fin de la conclusion : retraites mariales ou autres.

 3) – Les critères.

En principe, voici quelques critères qui ont guidé notre choix.

Outre la qualité du contenu, il y avait parfois la connaissance que je pouvais avoir de l'auteur : un texte littérairement ou doctrinalement médiocre pouvait me paraître plus important à citer à cause de la qualité de vie mariste qui le sous-tendait.

Les témoignages ont été en général littéralement respectés, ce qui pourra déconcerter, car ils représentent un pluralisme de cultures et de générations. Nous n'avons pas prétendu dire ce que devait être la dévotion mariale, mais ce qu'elle avait été ou était, aussi bien chez tel novice que chez tel vieillard.

Dans quelques cas très rares, nous avons éliminé des réflexions trop difficiles à interpréter, ou trop naïves qui auraient produit l'effet inverse de ce que voulait l'auteur.

Toute tendance idéologique a été évitée dans le choix des extraits. C'est une loyauté totale au matériel offert qui a guidé ce choix.

 4) – Une question (les absents) et une réponse provisoire (ibm).

Comment maintenant interpréter la situation mariale de ceux qui n'ont pas répondu ?

Disons tout d'abord que le nombre de réponses est largement satisfaisant pour le style de l'enquête qui était faite et la brièveté du délai qui vous était imparti. D'une part, c'est très supérieur à l'enquête sur la vie de prière à laquelle vous avez été invités il y a deux ans, et puis, un ensemble triple ou quadruple de réponses aurait vraiment posé un problème de dépouillement.

Il reste cependant que la question se pose à l'égard de ceux qui n'ont pas répondu : qu'en est-il de leur vie mariale ? .

Je ferai plus loin une suggestion pour que l'on puisse essayer, au niveau provincial, là où l'on voudra, de prolonger un peu les résultats du travail actuel.

A l'égard des absents », il y a quelques lumières que je puis offrir déjà et qui seraient une première réponse, de nature sociographique. Cette analyse pourrait être un stimulant pour des enquêtes au niveau provincial qui prolongeraient, là où l'on voudrait, les découvertes faites tant par l'enquête elle-même que par cette analyse.

Vous trouverez en annexe 5 une suggestion en vue d'une étude éventuelle au niveau provincial, et en annexe 4 l'explication de la méthode suivie dans l'analyse sociographique. J'insère ici même dans le texte de la circulaire les très intéressantes conclusions de cette analyse.

a) – Motivations mariales et vocation mariste.

Nous avons donc étudié un échantillon techniquement représentatif de deux groupes de Frères, l'un qui est entré dans la Congrégation avec des motivations mariales et l'autre sans ces motivations.

Pour simplifier la présentation des deux groupes, nous appellerons Groupe 1, le groupe marialement motivé, et Groupe 2, le groupe non marialement motivé.

a.1) – Conviction d'avoir une vocation mariste.

Au niveau de la conviction d'avoir une vocation mariste, il n'y a pas de différence appréciable entre les 2 groupes.

a.2 – Degré de bonheur dans la vocation.

Au niveau du bonheur, les choses changent déjà. Le groupe 1. se déclare heureux à 57%, l'autre à 41%.

Parmi ceux qui sont à moitié heureux dans la vocation, 7% sont du groupe 1,19% du groupe 2.

Parmi ceux qui ne sont pas heureux 0% sont du groupe 1, 4 % sont du groupe 2.

Je ne voudrais pas souligner exagérément la différence entre le niveau de bonheur des uns et des autres, mais cette différence est encore plus notable au niveau d'un éventuel réengagement dans la vocation.

a.3) – Volonté de se réengager dans la vocation.

76% du groupe 1 disent nettement oui à l'éventualité de se faire Frères Maristes s'ils avaient à recommencer leur vie, et seulement 47% du groupe 2.

Parmi ceux qui ne savent pas s'ils se réengageraient, 19% sont du groupe 1 et 40% du groupe 2.

Parmi ceux qui ne se réengageraient sûrement pas, 5% sont du groupe 1 et 13% du groupe 2.

Vraiment les différences sont très éloquentes sur ce point pour confirmer celui des témoignages de notre enquête que vous trouverez plus loin dans la 3' des subdivisions que nous avons faites pour les présenter.

a.4) – Estime de la vocation.

Quant à l'estime actuelle de la vocation mariste, les résultats sont curieux. Il n'y a pas de différence entre les deux groupes, ou même la situation est légèrement favorable au groupe 2. Je ferai plus loin un essai d'interprétation de ce point.

Mais la situation est très différente quand on interroge sur l'estime habituelle de la vocation tout au long de la vie.

57% du groupe 1 se situent dans les degrés d'affection intense pour la vocation, et seulement 23% du groupe 2.

Mais le chiffre est encore plus fort quand il s'agit de mesurer le plus haut degré d'affection auquel un Frère est arrivé à l'égard de sa vocation.

46% du groupe 1 a atteint le plus haut degré d'affection, (amour profond), contre seulement 8% du groupe 2. La différence est vraiment surprenante.

Dans le degré au-dessous (grande estime ou affection moyenne) d'appréciation de cette affection à la vocation, la différence est moins nette : 43% pour le groupe 1 et 35% pour le groupe 2.

En descendant vers une estime plus moyenne de la vocation (degrés a et b du test) on obtient encore 89% pour le groupe 1 et 43% pour le groupe 2.

Pour revenir maintenant au problème posé par le début de cette section, (estime actuelle de la vocation) où la réponse est légèrement en faveur de ceux qui n'avaient pas de motivations mariales, il y a un peu lieu d'être surpris de voir que ce résultat diverge. J'avance 3 hypothèses d'interprétation qui peuvent d'ailleurs être complémentaires.

a.4.1) – La motivation mariale, tout en continuant d'exister, s'est affaiblie par suite des crises mariales de l'après-Concile, et si elle s'affaiblit, s'affaiblit aussi son pouvoir de motivation et d'attachement.

a.4.2) – Certains Frères vivaient d'une mariologie et d'une conception de la vie religieuse du style des années paisibles, régulières, sans problèmes. Sont venues les années de recherche, de reformulation, de changement, voire même de crise. Ils ont été déconcertés et leur affection à l'Institut et à la vocation a diminué. Le test auquel nous faisons référence étudie en effet non la conviction, mais l'estime affective.

a.4.3) – La théologie nouvelle (je n'envisage que la bonne théologie) met nettement le Christ au centre comme unique médiateur et unique rédempteur. Cela ne peut manquer d'avoir une influence sur l'attrait qu'exerçait à l'égard de la vocation le personnage de Marie, dans une théologie où elle avait une place plus prépondérante, qu'il n'est pas possible de lui attribuer aujourd'hui. Donc dans le groupe 1, les motivations mariales persistent sans doute, mais leur intensité, en tant que pouvoir d'attachement à la vocation, diminue.

Mais fermons cette parenthèse et terminons avec le résultat qui est peut-être encore le plus surprenant.

a.5) – Remise en question de la vocation.

21% des Frères du groupe 1 ont un « problème » de vocation et 33% du groupe 2.

En approfondissant la recherche, le 21% se subdivise comme suit :

– Ont eu des motivations mariales, mais inconstantes, c'est-à-dire uniquement à quelque étape de la vie, et ont maintenant un « problème » de vocation : 12%.

– Ont eu des motivations mariales toute leur vie et ont maintenant un « problème » de vocation : 11%.

Si donc on compare ce dernier résultat avec l'ensemble de ceux qui, ou bien n'ont pas eu de motivations mariales ou bien les ont eues seulement de manière instable, et qui ont maintenant un « problème » de vocation, on a 11% en face de 45%, c'est-à-dire 4 fois plus de « problèmes » de vocation dans le second groupe.

Cette différence se passe de commentaires. Une chose est claire : la dévotion et les motivations mariales jouent un grand rôle pour éveiller des vocations à l'égard de notre Institut, pour les maintenir à travers les crises, pour les porter à un haut niveau d'affection à l'Institut et dans une attitude de réengagement si la vie était à refaire.

Y a-t-il là un effet ou une cause ? Ce serait une recherche à faire. En d'autres termes, Marie est-elle la cause qui attire et attache à la vocation ou au contraire est-elle un test qu'on est plus attaché ?

Il me semble qu'il y a réciprocité, mais je penche davantage vers la 1ière hypothèse, et ceci pour des raisons sociologiques complémentaires qu'il serait trop long d'expliquer ici.

b) – Motivations mariales et générations actuelles.

Aux données extraites de l'étude sociologique qui, comme il est rappelé à l'Annexe 4, a porté sur quelque 5.000 Frères, et plus de 30 Provinces, je puis encore en ajouter quelques autres provenant d'une seconde étude sociologique qui sans avoir, et de loin, les garanties de la première, offre cependant quelques compléments intéressants. Sa valeur sera seulement indicative. Vu la rapidité avec laquelle on a procédé et les déficiences du courrier, on n'a pu recevoir que des réponses partielles et donc on ne peut pas dire que celles-ci soient techniquement représentatives[1].

 Cependant la question que je pose est la suivante : A quel point la dimension mariale de l'Institut et les motivations mariales sont-elles aujourd'hui quelque chose qui attire les jeunes à se consacrer au Seigneur dans l'Institut ?

 Voici les chiffres :

Présentent des motivations mariales :

Postulants : 41,3%

Novices :35%

Scolastiques et Frères de vœux temporaires : 26,3%.

Si nous comparons aux chiffres que nous donnait l'étude préalablement citée, la différence n'est pas très considérable au niveau de l'entrée (3% en faveur des nouvelles générations). Il faut cependant tenir compte qu'auparavant l'entrée avait lieu en général au-dessous de 14 ans, et reflétait surtout la mentalité de l'enfant et du milieu familial. Aujourd'hui nos postulants et novices sont plus facilement des jeunes de 20 ans ou plus, et donc il faudrait plutôt les comparer à des profès temporaires d'autrefois. Si on les compare avec des Frères de la première profession, le décalage devient nettement plus grand et cette fois en défaveur des nouvelles générations (6% en défaveur).

Si maintenant on met de côté la question de l'âge et qu'on prenne plus en considération la question de la formation, la démonstration que nous laissait l'étude générale (5.000 Frères), c'était que les motivations mariales augmentaient beaucoup jadis dans les maisons de formation, passant de 38% au moment de l'entrée à 47% au moment de la 1ière profession et ce chiffre restait sensiblement acquis pour le reste de la vie.

La situation actuelle est bien différente. Les postulants nous offrent 41% de motivations mariales[2]. Mais ce pourcentage descend à 35% pour les novices et tombe pour les scolastiques et les profès temporaires à 26%.

 Si ces chiffres ne nous trompent pas et sont vraiment représentatifs d'un phénomène général chez nos jeunes, il y a lieu d'être préoccupé pour les scolastiques et les jeunes Frères, car par rapport aux 46% de jadis on a perdu 20%, et cela doit attirer l'attention dans une Congrégation dont l'esprit, le but et le charisme sont marials. C'est le cas d'un examen de conscience pour les responsables des maisons de formation.

Si on compare avec ce qu'on obtenait hier dans ces mêmes maisons, on est même tenté de se poser une question : La courbe descendante qui va du postulat au noviciat, et du noviciat au scolasticat, démontrerait-elle que les maisons de formation, au lieu d'améliorer la situation mariale de départ dans laquelle se trouvent les jeunes, la négligent, la refroidissent au point de provoquer une baisse ?

Je ne voudrais pourtant pas trop pousser cette hypothèse, car une autre aussi est possible et c'est la suivante : Les scolastiques et les jeunes Frères ne sont-ils pas les victimes des années critiques de l'après-Concile ; et maintenant, cet aspect de la crise étant un peu passé, les nouvelles générations (postulants) ne se trouveraient-elles pas en pleine reprise ?

Dans ce cas évidemment, le creux constaté au niveau des scolastiques n'aurait pas à être imputé directement aux maisons de formation.

5 – Les constantes

On trouvera dans le groupement même des témoignages (voir plus loin : C : Les données de l'enquête), une dizaine de constantes qui situent assez bien et concrétisent notre problème. De façon très générale, un certain nombre de constatations sont faites qui peuvent nous éclairer sur ce qui a été vécu, ce qui se vit maintenant, ce qui est en crise, ce qui est souhaité, etc. …

– Les lacunes.

Il y a aussi des lacunes qui peuvent attirer notre attention.

Presque aucune référence n'est faite, ni à tout l'aspect marial des Constitutions, ni au document marial. Les Capitulants avaient produit là des documents remarquables, mais pour une raison ou pour une autre, ils n'ont pas été assez assimilés par les Frères. Il est curieux que très peu des Frères qui ont répondu y fassent une quelconque référence. Pourtant on pourrait légitimement supposer qu'ils représentent au moins en partie l'élite mariale de l'Institut.

Avant, il y avait des véhicules, que ce soient des fleurs, des images, etc. Même si la doctrine n'était pas toujours profonde, l'essentiel passait. Maintenant il y a une bonne doctrine, mais peu de chose, peut-être rien pour faire le pont entre l'intellect et le cœur. Par quoi remplaçons-nous le chapelet communautaire, l'office marial, le jeûne du samedi, la méditation du samedi, etc. … ?

L'Eglise nous a dotés de moyens remarquables, comme par exemple la lectio continua » à la messe, mais, outre qu'elle est encore utilisée de façon très routinière, souvent même peu audible, quand donc Marie va-t-elle y paraître ? Quel profit marial pourra en être tiré ? Par quoi avons-nous remplacé le mais de Marie ? Notre étude religieuse, notre méditation s'orientent-elles de temps en temps vers Marie ? Si de plus, nous n'avons pas été fidèles à une prière mariale un peu longue (genre chapelet ou autre), que nous reste-t-il comme contacts vrais ?

7) – Attitudes.

Il faut donc prendre les choses où elles en sont. Les diverses attitudes des Frères pourraient se ramener à quatre principales :

Je suis attaché à des pratiques (que j'ai d'ailleurs intériorisées) et je m'y tiens ». Il n'y a pas à mépriser cela comme superficiel. Ces pratiques peuvent être porteuses de valeurs qui ont donné des résultats remarquables.

« Je suis fidèle à des pratiques (mais non intériorisées). Il y a là un problème de formation. Quels moyens les formateurs donnent-ils pour développer la vie mariale ?

e) Je me sens mal à l'aise dans les anciennes formules». Il faudra sans doute réfléchir, surtout à la liturgie mariale, un peu plus en profondeur, puisque c'est une des directives de L. G. 67.

d) J'exclus les pratiques traditionnelles, et je mets l'accent sur les attitudes de Marie ». Ceci a du bon, mais est trop systématique. Il faut aussi quelque moyen pour aboutir à des relations spontanées avec Marie.

B — LES DONNEES DE L'ENQUETE.

Comment vous présenter maintenant les témoignages que nous avons retenus ?

Voici la méthode que j'ai pensé suivre :

1) Expliquer le pourquoi du témoignage.

2) Répondre à une question qui m'a été posée, une fois terminée la rédaction de cette circulaire.

3) Expliquer comment nous avons procédé pour tirer le meilleur parti des témoignages.

J'explicite un peu ces 3 points :

 1) – LE POURQUOI DU TEMOIGNAGE.

Dans la 1ière partie et même la 2nde, j'ai essayé d'exposer une doctrine, toujours en l'appuyant sur la parole de Dieu. De la sorte, au moins la source était inattaquable. De nos jours en effet, il y a une telle abondance ou surabondance de littérature sur tous les thèmes, que ce soit sous forme de livres, ou d'articles, ou de conférences, etc. … qu'on finit par en être fatigué, voire immunisé. Un exposé de doctrine, quelque forme qu'il prenne, ne passe plus comme jadis. Qui plus est, bien des exposés de ce qui aurait été jadis la même doctrine, sont déversés en des sens souvent pluralistes, voire inconciliables. Il n'est pas rare non plus que des auteurs qui avaient sensibilisé des lecteurs ou des auditoires, et ce, de façon remarquable, du jour au lendemain décident de renoncer à leurs engagements[3].

On comprend que tout cela ait jeté, dans certains esprits, le discrédit sur le livre religieux, d'exposition théologique ou de recherche, et que la tentation ait eu lieu de n'y voir qu'un pur bavardage.

Un théologien aussi sérieux que Urs von Bathasar s'est senti le devoir de dire fortement sa méfiance pour les prises de parole interminables, et sa préférence du témoignage par rapport aux théories et aux systèmes[4]

Voilà pourquoi, à mon tour, je voudrais donner tant de valeur aux extraits marials qui vont suivre : ils ne sont pas du bavardage. L'expérience m'a appris que ce défaut n'est pas trop fréquent chez les Frères Maristes, surtout chez les plus de 30 ans : ils ne se multiplient pas en confidences sur leur vie intérieure, et au contraire il y a eu une forte tradition de discrétion ou de réserve totale, même dans la direction spirituelle qui était plus orientée vers l'aveu des fautes et la consultation sur les difficultés qu'à une recherche de discernement sur les phénomènes spirituels qui se passaient dans le cœur.

En répondant à cette enquête, tout un nombre n'ont ouvert les trésors de leur expérience spirituelle que par amour pour Marie, et pour collaborer à revivifier sa présence dans l'Institut. Ce témoignage est donc lourd de vérité et de sérieux, et il faut le recueillir avec joie et respect parce qu'il y a là un type de réel qui est authentiquement le lieu de rencontre de la tendresse de Dieu s'ouvrant à l'homme qui l'accueille.

Sans doute, à la lumière implacable de la critique savante et de la précision théologique, plus d'un cas de ces témoignages paraîtra pauvre et naïf. Comme de bons juges qui ont, ces toutes dernières années, traité du « catholicisme populaire » avec beaucoup plus de respect, je ne suis pas porté à hausser les épaules devant les expressions de la piété mariale un peu imparfaites.

Dans la première partie j'ai essayé d'en rester le plus possible à une théologie biblique, tout en tenant compte du pluralisme des lecteurs. Mais face au réel, il faut savoir suivre l'action de Dieu qui a voulu heurter le juridisme juif et la sagesse grecque par la folie de la croix. En son propre Fils il adopte un langage qui s'adresse aux simples, sans jamais manquer de profondeur.

Ce langage de Jésus-Christ deviendra une source coulant de lui vers les chrétiens[5]pour emporter dans ses flots non seulement la sagesse païenne et l'érudition juive, mais aussi, bien des enseignements qui se croiraient chrétiens alors qu'ils obscurcissent le mystère éternel de Jésus mort et ressuscité[6].

La présence, en milieu chrétien, de savants qui se confient en la loi chez les Judaïsants, ou en l'« Esprit » chez les gnostiques », ou en d'autres appuis (cf. Phil. 1, 15…) ne doit pas nous paraître une histoire d'autrefois, mais nous alerter pour juger des phénomènes analogues en notre temps.

Les épîtres pastorales (spécialement 1 Timothée ch.4, et 2 Timothée ch. 3 et 4) ne parlent pas tant du présent que de l'avenir. Et il est curieux de voir avec quelle régularité renaît constamment une catégorie sociale qui exerce une des formes les plus habiles de la domination : les experts en philosophie et religion, érudits jusqu'à en devenir intouchables ». Eh bien ! dans l'enseignement et la conduite du Christ[7], dans l'enseignement aussi de Paul, ils sont soumis au jugement de la parole de Dieu. Jésus nous apprend que ce n'est pas la sagesse qui juge la parole de Dieu, mais la parole de Dieu qui juge les sages et la sagesse.

 Je pense donc pouvoir insister dans le même sens, non par anti-intellectualisme et refus de textes savants, mais simplement par respect pour des vies fidèles et saintes et par désir d'attirer l'attention sur de vrais phénomènes spirituels.

Dans le domaine de la science, dit le philosophe Hartmann, les théories ne valent pas un seul phénomène, si elles ne servent pas à expliquer celui-ci ».

2) – UNE QUESTION

Il y a quelques semaines un jeune Frère m'a posé une question intéressante et pleine de sens. D'un côté il avait reçu, et de sa famille, et de son école, et des maisons de formation une dévotion mariale qui l'avait fortement marqué, et d'autre part, les courants nouveaux de la mariologie et de la théologie moderne — surtout les études bibliques —avaient ébranlé cette dévotion dans son aspect émotionnel et l'avaient obscurcie dans son aspect idéologique.

De quel droit objectif, disait-il, pouvons-nous fonder une dévotion qui donne à Marie une place très importante dans notre vie, tout en restant dans la ligne de l'économie du salut telle qu'elle est révélée et historiquement développée dans la vie authentique de l'Eglise ?

Mon dialogue avec ce Frère m'a permis de lui exposer ma manière de voir, et puisque celle-ci a semblé l'aider, je la résume ici.

Ma réponse est triple et complémentaire.

a) – Rôle universel de Marie.

Il est incontestable — nous l'avons vu dans la partie — que le Seigneur a choisi Marie pour accomplir un rôle aussi nécessaire qu'exceptionnel dans l'histoire du salut. Et cela fonde non seulement le droit, mais le devoir de vivre une relation à Marie qui est différente de toute autre, et supérieure à toute autre, exception faite pour la Sainte Trinité.

Je ne veux pas répéter ici tout ce que j'ai dit au Frère. Essentiellement j'ai essayé de bien distinguer ce qui, dans la mariologie, était théologiquement le plus solide d'avec ce qui était seulement opinion libre, même si, dans le domaine de la dévotion, ce qui est opinion passe parfois pour acquis définitif.

b) – Rôle particulier pour certains groupes.

Mais outre ce rôle et cette place universellement attestés pour Marie à l'égard de tout chrétien, et qui se dégagent de l'économie du salut, il y a une autre donnée incontestable, qui éclaire la question et y répond. L'Eglise aux cent visages peut avoir entre autres définitions, celle d'être le lieu où l'Esprit multiplie et différencie ses charismes dans l'histoire et dans l'aujourd'hui.

Ces charismes, par ailleurs, sont complémentaires, ce qui, entre autres effets, a celui de créer des places et des rôles particuliers, et des relations réciproques entre les organismes et l'Eglise. Et il n'est pas nécessaire que ces rôles et ces relations soient applicables à l'Eglise universelle pour être fondés et authentiques.

Je vais prendre un exemple qui choquera peut-être par la disproportion, mais c'est seulement un raisonnement à fortiori. St Ignace a reçu dans l'Eglise un charisme, un rôle, une relation, spéciaux par rapport à la Compagnie de Jésus et à chaque Jésuite. (Ce rôle est d'ailleurs aussi incontestable quand il s'exerce dans son propre secteur qu'il serait insoutenable s'il envahissait toute l'Eglise et voulait inspirer la spiritualité franciscaine ou mariste, ou dominicaine).

Si maintenant je pense à Marie, je puis constater que l'Esprit a voulu établir, entre elle et certains groupes, outre son rôle universel, tout un courant spécial de grâces qui donnent à ces groupes une dimension, une vocation, et, pourrait-on dire, une densité mariales.

Donc en raisonnant à fortiori, je puis penser que ceux qui, par vocation, sont en relation plus particulière à Marie peuvent, au moins au même titre que les disciples de St Ignace, avoir en toute confiance et assurance d'objectivité, des contacts plus étroits avec Marie, sans qu'il soit besoin de voir fonder ces contacts de façon universelle.

c) – Rôle particulier pour certains individus.

Il y a plus encore. Soit en dehors de toute Institution soit à l'intérieur d'un groupe spécifiquement marial, l'Esprit peut accorder et accorde effectivement, des grâces particulières qui établissent une relation plus profonde et plus intime de tel chrétien à l'égard de Marie et vice versa. Et les raisons, seul en a le secret le Seigneur qui distribue ses dons à qui il veut pour l'infinie variété de son Eglise.

L'expérience montre que certaines vies ont été privilégiées sous cet aspect, et qu'elles sont nées, se sont développées, ont fleuri, sont arrivées au plein épanouissement sous l'ombre de Marie. Ceux qui ont été l'objet de cette faveur n'ont pas à se préoccuper de ce que leur relation personnelle à Marie n'est pas étendue au niveau de toute l'Eglise. C'est leur, don particulier : ils doivent simplement en remercier le Dieu trois fois saint, et avoir soin de le vivre dans la fidélité.

Tel était concrètement le cas du Frère dont je parle, et qui était un peu troublé de ne pas voir certaines situations de sa vie mariale confirmées soit par l'Ecriture, soit par la théologie générale.

On peut comprendre maintenant pourquoi j'ai parlé de trois réponses à la fois différentes et complémentaires pour fonder sérieusement la dévotion à Marie, et comment à partir d'elles, nous pourrons mieux accueillir avec simplicité et gratitude les témoignages qui nous sont offerts par les Frères que nous allons citer.

3) – GROUPEMENT DES TÉMOIGNAGES

Les témoignages qui vont suivre peuvent être groupés autour de quelques grandes dominantes qui me sont peu à peu apparues au cours de la lecture et qui sont les suivantes :

1°.) Influence mariale de la famille.

2°.) Influence des éducateurs et de la paroisse.

3°.) Marie et la vocation.

4°.) Influence des maisons de formation[8].

5°.) Marie, réalité vivante dans la vie du Frère.

6°.) Marie, dans la vie de l'Institut.

7°.) Formes privilégiées de la dévotion mariale.

8°.) L'apostolat marial.

9°.) La dévotion traditionnelle et Vatican II.

10°.) Cas de «vides» marials.

11°.) Finalement j'ai voulu retenir un petit nombre de témoignages marials intégraux qui nous permettent de voir, en des formes différentes, la beauté d'une assistance mariale et d'une fidélité tout au long .d'une vie réelle, qui a ses vicissitudes et ses contingences de nature soit extérieure soit intérieure. 

4) – UNE SUGGESTION 

Il serait bien intéressant, et personnellement je me réjouirais, si à travers une enquête sociologique de type fermé, soit dans tout l'Institut, soit dans quelques Provinces, on pouvait tester la situation des Frères qui ne sont pas représentés dans les témoignages.

A toutes fins utiles, je fais quelques suggestions. là-dessus (en Appendice 5).


[1]  Le nombre de réponses reçues pour la seconde enquête diffère considérablement de celui de la première.

Dans la première, nous disposons de 85% de réponses, tandis que pour l'autre nous n'avons que 16% dans le cas des postulants, 7,29 dans le cas des novices, et 8,43% dans le cas des scolastiques.

Les chiffres sont donc irréguliers, et les régions de provenance, plus encore ; c'est pour cela, que ces données sont seulement indicatives, disons même plutôt seulement des pistes de recherche.

[2]Toujours à travers la seconde étude sociologique à valeur approximative.

[3]Je n'aurais guère de peine à dresser une liste assez longue de ces défections qui ont découragé et scandalisé bien des chrétiens de bonne volonté.

[4]  Voir par exemple le petit livre : Cordula..

[5]« De son sein coulent des fleuves d'eau vive Jn 7. 38).

[6]  Actes 20, 27-32.

[7]Voir par exemple l'épisode de l'aveugle-né Un 9).

[8]Pour le moment présent, on sent que, dans certaines maisons de formation cc rôle se continue de façon traditionnelle ou renouvelée, mais il y en a d'autres, peut-être la majorité, où il a beaucoup baissé, voire même disparu.


CHAPITRE III

TEMOIGNAGES

I. TEMOIGNAGES FRAGMENTAIRES

On remarque dans les témoignages et une attente et un désir de collaboration.

Attente :

« La petite communauté de F. … vous adresse sa modeste contribution à la circulaire mariale que vous projetez. Elle vous en félicite chaudement. Nous serions tentés de dire que c'est là une œuvre prophétique qui survient à point nommé ».

Ma joie est grande, de savoir que vous allez écrire sur Marie. Je fais des vœux pour que notre Mère vous guide bien dans ce message et que beaucoup de Frères retrouvent le sens d'être maristes ».

Collaboration :

Quelques Frères ont fait, avec un vrai amour de Marie, des aveux qui coûtaient beaucoup à leur sens de la discrétion, mais,

– « Puisque c'est en l'honneur de la Sainte Vierge, je n'ai pas le droit de me taire ». Un témoignage, beaucoup plus émouvant à cet égard mérite d'être cité plus au long.

– « Pardonnez-moi les coquilles de toute sorte. Je ne vois que les lettres du clavier. J'écris donc lettre par lettre. Le résultat sur le papier je ne puis pas le voir. Que tout cela soit pour Dieu !…

J'ai mis 12 jours à préparer cette lettre, car ayant très mauvaise vue, je ne puis consacrer beaucoup de temps à écrire et lire. Mais ça ne me fait rien de souffrir ensuite pourvu que mon écrit procure quelque gloire à ma Bonne Mère du Ciel…

(à la fin de la lettre) : Ecrire et lire me sont de plus en plus difficile. A en juger par ces quelques lignes que j'écris maintenant à la main, on ne le dirait pas trop. Mais ce qui me coûte c'est qu'ensuite j'ai les yeux qui me font mal tout le reste du matin. Mais pour la Vierge, notre Mère, douleur et malaise deviennent douceur ».

————————————– 

Voici maintenant des fragments groupés comme il a été dit.

A – LE CLIMAT DE LA FAMILLE

Ce rôle capital qu'a joué la famille historiquement dans la dévotion de nos Frères est souligné dans la presque totalité des cas. Nous subdivisons pour mieux en cerner les aspects.

1) – PRATIQUES MARIALES DE LA FAMILLE.

– Le rosaire en famille se disait le soir, et des statues ou images de la Sainte Vierge étaient en bonne place dans la maison ».

– Quand j'avais 9 ans, j'allais avec mon père (ma mère était morte quand j'avais 18 mois) à la Neuvaine de N.D. du Perpétuel Secours, à un sanctuaire voisin assez connu. Je suis sûr que c'est là que s'est développée mon intimité avec Marie, ma mère céleste. … Mon père était merveilleux (sa sainteté me fait honte) ; il a communié tous les jours pendant les 40 dernières années de sa vie ; il avait un amour très fort pour Marie, disait le Rosaire tous les jours, assistait à la Neuvaine tous les samedis matin, et jeûnait sans le faire remarquer tous les samedis. Son amour pour Marie aurait dû me toucher ».

– « Ma dévotion à Marie remonte au foyer et à l'influence que ma mère avait sur nous. Nous nous mettions toujours au lit en disant le chapelet, avec l'idée que si nous ne le finissions pas, nos anges gardiens le finiraient… Au mois de mai nous élevions un autel fidèlement chaque année et nous disions le chapelet en famille pendant ce mois… ».

– « Du plus loin que je remonte dans ma plus tendre jeunesse, je vois ma mère et mon père (le soir) agenouillés et entourés de leurs nombreux enfants pour réciter le chapelet et les litanies de la Sainte Vierge… ».

– « En famille notre dévotion spéciale était le chapelet qu'on récitait en entier durant la morte saison et, durant la saison des travaux des champs, on ne manquait jamais de réciter une dizaine ».

– « Tous les soirs, sauf en été, récitation du chapelet suivi de la litanie de la Ste Vierge et d'une longue prière du soir. Statue et image de la Sainte Vierge ornent la chambre. … Dans le tronc de l'arbre de notre cour, j'ai ciselé une petite niche pour y loger la statue de Marie, vitrée et ornée de minuscules bougies et de fleurs. J'aimais à y prier surtout durant le mois de Marie ».

– « Le mois de mai, nous le faisions en famille, devant la statue de Marie ornée. Mon père avait une voix fort mélodieuse, ma mère chantait comme une casserole cassée. … Mon père ne voyait plus rien, mais était absorbé en Dieu. Pendant la procession du St Rosaire, je vois mon père devant moi, un chapelet usé dans la main droite ; il ne voyait plus personne et semblait parler avec une personne invisible. Tout le trajet, il égrenait son chapelet brun, simple comme un enfant ne pensant qu'à sa mère ».

– « Je suis né dans une famille très mariale. Autant mes parents que mes grands-parents … ont été des modèles de dévotion à Marie. Le village aussi avait envers Marie une dévotion que j'ose appeler extraordinaire ».

– « Dans mon enfance, la Vierge était tout».

– «J'ai sucé la dévotion à Marie avec le lait maternel ».

– « Un vieil oncle a dû rester alité les 10 dernières années de sa vie. Il était aveugle et il disait une multitude de chapelets qu'il intercalait avec des chants et quelques bonnes pipes ».

– «Un fait : étonnement lorsque la maman (pas la vraie, elle était morte quand j'avais 8 jours) donnait le chapelet au papa avant son départ pour le fond de la mine. Cela m'effrayait sur les conditions du travail et me rassurait aussi, car ce geste pour moi était chargé de signification profonde».

Dans les cas qui suivent, l'intensité des dévotions pourra laisser incrédules quelques lecteurs, mais il y a des pays où la vie chrétienne atteint des seuils difficiles à comprendre par d'autres plus sécularisés.

Dans le cas suivant ce n'est pas uniquement la famille qui est responsable, mais enfin la piété familiale explique en bonne partie ce qu'a été la préparation d'une vocation :

L'idée de m'engager dans une confraternité mariale me venait à l'esprit. J'entrai d'abord dans la Légion de Marie, dans le C.C.D., dans la confraternité de Notre-Dame, reine de tous les cœurs ; dans celle de la Médaille miraculeuse, celle du rosaire perpétuel, dans la garde d'honneur de Marie. Je pratiquais les dévotions à Notre-Dame du Mont Carmel, disais le Petit Office de l'Immaculée-Conception, de N. D. du Perpétuel Secours, de N.D. des Sept Douleurs, du premier samedi, etc… En même temps j'avais une grande dévotion à Notre-Seigneur, faisais l'heure sainte tous les mois, communiais le premier vendredi. Puis ce fut la Ligue eucharistique qui me demandait la messe et la communion quotidiennes. Ayant un amour spécial pour Marie et son cher fils, j'en fus récompensé en étant envoyé dans la Congrégation des Frères Maristes. Maintenant je suis catéchiste… ».

– Et voici un autre cas un peu semblable :

L'influence de la famille n'est pas dite positivement, mais comme il s'agit de la période « avant le juvénat » on peut juger que cette influence n'était pas absente :

« Etant adolescent, je priais beaucoup pour obtenir générosité et lumière. Le mois de mai qui a précédé mon entrée au juvénat, je disais tous les jours le rosaire (15 dizaines), la plus grande partie à genoux, les bras en croix. Deux mois plus tard, des circonstances me montrèrent clairement le chemin du juvénat des Frères Maristes, alors que je ne connaissais pas du tout la Congrégation ».

2) – LA CONSÉCRATION.

– « Ma mère est morte alors que je n'avais qu'un peu plus de 3 ans. Ma marraine, grande amie de ma mère, m'a révélé le détail suivant : Ta maman était une sainte femme. Quand elle cousait à la machine à coudre, elle plaçait une statue de Marie au devant d'elle pour garder son souvenir bien vivace dans son esprit et demander son intercession. Quand elle te portait, elle t'a consacré à Marie, et elle me parlait déjà de toi ».

– «Dans ma famille, il y a eu 10 enfants. Les trois premiers sont mariés ; le 4° est rédemptoriste ; les 5°, 6°, 7e, 8e sont morts en très jeune âge. Ma mère et mon père ont alors fait le vœu de consacrer les enfants qui naîtraient encore, à la Ste Vierge. Ce furent d'abord moi-même, et puis le plus jeune, mon frère, mort Frère mariste. Nous avons porté, en signe de consécration, des habits bleus jusqu'à l'âge de 12 ans. C'était la promesse faite par mes parents vers l'année 1910 ».

– « Ma mère avait une grande dévotion à Marie. Les 11 enfants qu'elle a mis au monde, elle les a présentés à N. D. du Rosaire. Elle les déposait sur le maître-autel et les offrait à Marie. Souvent elle nous disait : Aimez Marie, vous lui êtes consacrés ».

– « Chaque fois que nous allions en vacances en famille, nous consacrions un jour à N.D. de … Dans le sanctuaire figuraient nos photos, témoins que nous étions consacrés à Marie ».

– « Tout d'abord, ma pieuse mère m'avait consacré à Marie dès avant ma naissance, et le jour de mon baptême, ma marraine me porta devant l'autel de la Ste Vierge pour m'offrir à Marie ».

– « Dès ma naissance, ma pieuse mère me consacra à la Sainte Vierge. C'est mon frère qui me l'a révélé à mon entrée au noviciat, en m'assurant que lui-même avait répété cette consécration quand il veillait auprès de mon berceau. Et j'attribue à une protection spéciale de Marie le fait que jamais le plus léger doute surgit dans mon esprit concernant ma vocation, malgré des circonstances dangereuses dans lesquelles je me suis parfois trouvé : obligé à faire mes études presque sans maître, et ma première formation presque sans guide, et dans un entourage de plusieurs "Frères soldats". (allusion sans doute au rêve du P. Champagnat). La sollicitude de ma Bonne Mère du Ciel qui me faisait insensible aux mauvais exemples, me ramenait vite sur le bon chemin quand je m'en étais écarté ».

– « A l'âge d'un an, j'étais très malade. Ma mère, qui déjà m'avait consacré à Marie, m'emmena à un sanctuaire de Marie à … Il y a là une reproduction de la grotte de Lourdes. Elle me plongea dans l'eau et dit à Marie : Cet enfant est à toi. Si tu veux le prendre, prends-le, mais si tu le veux pour une œuvre à toi, guéris-le. Ma mère m'a dit que j'étais revenu complètement guéri ». 

3) – MARIE, FAMILLE ET VOCATION

– « Après la guerre, je retrouvai ma mère, perdue dans la campagne : plus de maison, plus rien. Quand celle-ci s'aperçut de la crise où je tombais à cause de la terrible situation de ma famille, (le père était mort à la guerre) elle me dit catégoriquement de penser à suivre ma vocation mariste et que la Providence penserait à elle ». (La partie précédente de la lettre évoque la dévotion mariale familiale).

– « C'est pendant mon séjour à … que mourut ma chère mère. … J'avais écrit au Supérieur pour pouvoir aller aider mes parents (ma mère était souvent malade). Mais ma mère, avertie de mon désir d'aller les secourir, m'a écrit une longue lettre me disant : " N'abandonnez pas votre vocation ; nous vous avons donné à la Ste Vierge et à son Fils ; restez-y. Ils viendront à notre secours. Nous prions pour votre persévérance ».

– « Mon père était de la confraternité du St Rosaire. Dans la famille nous sommes 5 religieux : 3 Frères Maristes, dont un mort en mission, et 2 religieuses ».

– « Nous disions le chapelet tous les soirs … J'ai 3 frères jésuites et 3 sœurs religieuses… ».

– « Quand mon père lut pour la première fois la vie du Bx. M. Champagnat il s'écria : "Combien il nous ressemble ce prêtre !, son père !, son village ! Les mêmes problèmes que chez nous et une grande dévotion à l'Immaculée. Mon fils tu es sur le bon chemin" ».

– « Admis au juvénat, j'eus beaucoup de peine le jour du départ. Ma mère était assez malade mais elle fit tout pour que je ne remette pas à plus tard. Après m'avoir béni, elle me prit par la main et me conduisit à l'autel de Marie Auxiliatrice. Nous nous mîmes tous deux à genoux et elle dit : "Vierge très sainte, je te confie cet enfant, protège-le, défends-le de tout danger". Je montai à cheval. Mon père marchait à 5 mètres de moi et me dit : "Mon fils, heureuses les âmes qui se consacrent au service de N. S. et de la Ste Vierge. Qu'ils te conduisent et te protègent". Je ne peux m'empêcher de pleurer quand je pense à cela ».

– « J'entrai au juvénat et au bout de 48 heures je m'y sentais chez moi. Je demandai à mes parents de pouvoir partir en mission. Ils me répondirent : "Avant d'être à nous, tu es à Dieu ; quand nous t'avons laissé aller au juvénat, nous t'avons donné à Dieu pour toujours. Si tu penses que Dieu t'appelle à aller en mission et si les Supérieurs sont d'accord, nous sommes très heureux de dire oui"».

4) – DÉVOTION UNIE À L'OUVERTURE AUX PAUVRES

– « Marie-dans-ma-vie a commencé à la maison où, à nous, les 10 enfants, on demandait de ne jamais refuser quelqu'un qui venait demander quelque chose à manger : "Ce pourrait être le Christ, fils de Marie" ».

5) – EMPREINTE LAISSÉE PAR LA FAMILLE

– « Je me rappelle une prière que ma mère m'a fait apprendre et que je dis encore :

Doux cœur de mon Jésus,

faites que je vous aime de plus en plus.

Doux cœur de Marie,

soyez le salut de mon âme.

– «Pendant la récitation du chapelet en famille, nous, les enfants, nous n'étions pas toujours sérieux, mais malgré ça quelque chose passait : l'importance de Marie pénétrait en nous de quelque façon.

De temps en temps, nous allions veiller chez de bons voisins et, au retour en voiture et au clair de lune, nous récitions le chapelet. Ce sont des souvenirs impérissables ».

– « Marie fut présente pour moi dès mon plus jeune âge. Ayant perdu ma mère très tôt … je fus donc privé d'une affection qui, aujourd'hui encore, je le sens, a laissé un grand vide dans ma vie. Très tôt aussi je fus porté à combler ce vide, cette absence maternelle, par une dévotion qui pour moi, m'apportait beaucoup de consolations. Je sentais que lorsque je priais Marie, elle était là, vivante auprès de moi, remplaçant par sa tendresse, l'affection de ma mère disparue ».

Ajoutons encore ce témoignage si fortement exprimé :

– « Autant mes parents que l'ambiance chrétienne et catholique de la famille, du village et de la région m'ont injecté la dévotion à Marie jusqu'à la moelle des os, à tel point qu'il faudrait remplacer toutes les cellules de mon corps et toute l'essence de mon âme par des éléments païens si l'on voulait m'arracher la dévotion à la Mère de Jésus ».

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B — EDUCATION MARIALE CONTINUEE PAR LES ECOLES ET LES PAROISSES.

Les témoignages sur ce point sont moins nombreux que sur le point précédent, mais il est vrai qu'il n'est pas toujours facile de séparer l'un de l'autre : on a pu s'en apercevoir dans les pages précédentes.

– « La dévotion " ordinaire " à la Ste Vierge, je l'ai reçue au foyer paternel, à l'école et à

l'église ».

– « Très nettement, un des souvenirs qui me restent, c'est ce ton marial évident qu'il y avait dans les écoles de Frères que j'ai connues. Il y avait toujours le petit autel de Notre-Dame avec des cierges et des fleurs, et des prières bien récitées, et des hymnes bien chantés. Les Frères nous communiquaient une dévotion spontanée, et il y avait toujours des groupes de garçons, qui, en rentrant chez eux, s'arrêtaient à l'église paroissiale pour une visite : dans la plupart des cas, une courte prière à l'autel de Notre-Dame, puis une autre devant le Saint Sacrement … Le Mois de Marie était vraiment quelque chose … Les autels étaient soignés, et nous rivalisions à qui apporterait fleurs, cierges, huile pour les lampes … Les instructions que nous recevions étaient les leçons traditionnelles de l'époque. La mariologie était probablement limitée, et le matériel pédagogique pas bien au point, du point de vue historique. Cependant je me souviens avoir été très impressionné quand j'ai entendu pour la première fois l'histoire de Lourdes, de la Médaille miraculeuse, la conversion de Ratisbonne. Certainement les efforts des Frères produisaient le double effet de nous donner une confiance très enracinée envers la Ste Vierge et un profond amour pour elle ».

Et ce cas d'une paroisse tenue par les Pères Maristes :

– «Avant de venir à l'école des Frères, j'avais déjà été exposé à l'influence de l'esprit mariste».

– « Quand j'étais en 7ièmeannée, mon maître, Fr. J. S. nous tenait sous le charme de ses entretiens sur Marie, tous les vendredis matin ».

– « Je me souviens des catéchismes de la Ste Vierge et du grand amour pour Marie qu'avaient tous les professeurs ».

– « L'homme qui a le plus contribué à insérer dans mon existence la dévotion à Marie a été mon maître, un Frère Mariste, qui fut aussi mon recruteur. Je suis resté 2 ans dans sa classe.

C'est durant ces 2 années qu'il m'a vraiment marqué du point de vue de la formation religieuse, du culte à l'eucharistie et de la dévotion à la Vierge. Sa discipline était un peu sévère, mais, pour ma part du moins, était tempérée par l'amour de Dieu et de la Vierge qui brûlaient dans son cœur…

Je ne me souviens pas tellement des catéchismes qu'il nous faisait, mais ce que j'ai encore dans ma mémoire et dans mes yeux, c'est les quelques dizaines de chapelet qu'il nous faisait réciter chaque jour. Il était là devant moi, égrenant son chapelet. Je le dévorais des yeux. Et puis il y avait aussi cette façon familière de nommer la Vierge, de parler d'elle. C'était notre « maman du ciel ». Je pris l'habitude de l'appeler ainsi dans mes prières ».

– « Dans la paroisse, 3 chapelets avant le chant des Vêpres ; à complies, chant des litanies de la Vierge et salut du S. Sacrement. … J'avais été à bonne école pour entrer chez les Frères Maristes ».

Sans doute, en lisant ce dernier témoignage quelques-uns vont-ils hausser les épaules en pensant à ce temps « heureusement révolu » où l'on imposait de telles choses à des enfants. Et il faut convenir que cela manquait de mesure, encore que l'intéressé ne précise pas si cela était le fait de tous les dimanches, ou si, comme en beaucoup de paroisses, le chant des Vêpres, très suivi, était précédé de la récitation, beaucoup plus facultative, d'un ou plusieurs chapelets.

Mais l'enfant d'aujourd'hui qui consacre 6 -10 heures du dimanche à la télévision, est-il mieux partagé ?

– A l'âge de 9 ans, j'ai fréquenté l'école des Frères Maristes. Les catéchismes marials faits par les Frères ont accru considérablement ma dévotion pour Marie. A 13 ans, les Frères m'ont invité à entrer au juvénat. J'en parlai à mon père qui refusa. J'en fus profondément affligé et, me souvenant que la Vierge Marie ne restait pas sourde, je me jetai à genoux près de mon lit avant de me coucher, ce soir-là, et je récitai un fervent Souvenez-vous » dans le but bien précis d'obtenir le consentement de mon père. Le lendemain matin, celui-ci me donna la permission ».

– Édifié dès mon enfance par ma mère qui récitait le chapelet au cours de la journée dans ses courts moments de repos ; élevé au sein d'une famille où se récitait le chapelet pendant le carême ; élève des Frères Maristes qui orientaient vers la Vierge par la catéchèse du samedi et par la célébration solennelle du mois de Marie Dans ma 3ième année primaire, notre Frère professeur nous invita à faire une neuvaine à Marie pour connaître notre vocation. Je la fis avec soin. Au cours de cette neuvaine, dans un rêve, je vis des Frères Maristes s'avancer en groupe vers moi. Cela frappa mon imagination. Plus tard, à 12 ans, sans aucune sollicitation de la part de mes professeurs, je fis ma demande d'entrée dans la communauté : le culte marial et l'esprit de dévouement des Frères m'y avaient incité.

Même pour le jeune Frère ou le Frère plus âgé, il a pu y avoir l'influence mariale d'une paroisse très chrétienne dans laquelle il enseignait :

— «A L. puis à B. : tout de suite, pris par l'ambiance de foi. Etonnement, puis émerveillement de voir la dévotion pratiquée sur la paroisse : processions avec chants, et ce par tous les hommes. Quelle impression !».

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C – MARIE ET LA VOCATION

Ici les témoignages abondent. Nous les répartirons en un certain nombre de sous-titres, qui seront des variations sur un thème spirituel.

1) – Marie à l'origine de la vocation.

– « Je suis né dans une famille pauvre, mais très catholique et dévote à Marie.

J'entrai au juvénat, puis j'en sortis à 15 ans. Je m'engageai dans l'armée. Un dimanche, pendant la messe, j'entendis une voix intérieure qui me disait : " Si tu m'aimes ou si tu veux m'aimer, pourquoi ne retournes-tu pas à ma Congrégation ? ".

Je fis les démarches pour rentrer. Au bout de 15 jours, pas de réponse. J'entendis de nouveau la voix : ‘’ Ecris de nouveau ". Et cette fois j'eus la réponse : " Vous pouvez venir dès que vous voudrez. Vous serez reçu les bras ouverts ". Et jusqu'ici je travaille loin de ma patrie. Mais Mariste ».

– « A 18 ans, j'étais à l'école normale des Frères de la Charité, et, quoique chrétien, je vivais comme un incroyant. Un beau jour, l'idée me vint en tête de dire chaque jour 10 Ave Maria, et je le fis. Après une semaine, une autre idée me vint de me faire religieux et un mois après j'entrai au noviciat des Frères Maristes. Sans aucune résistance de mes parents ».

– « J'ai bien dit oui au Frère recruteur parce que le nom de Marie donné à cette Congrégation m'a plu, et j'aimais tendrement la Ste Vierge ».

– « Lorsque ma mère est morte (j'avais 13 ans), je me souviens d'avoir senti au dedans de moi-même quelque chose qui me disait : Puisque tu n'as plus ta mère ici-bas, tu dois te retourner entièrement vers la Vierge Marie ».

– « Je ne me souviens pas d'avoir eu un Frère comme maître d'école. Je sais seulement qu'un jour, on m'a remis un fascicule sur la vie de F. François. Est-ce sa dévotion à Marie qui m'a attiré vers les Maristes, c'est probable ».

– « Je suis convaincu que la part de Marie dans ma vocation est considérable. Je suis entré au noviciat à 30 ans, et il m'a fallu 4 ans pour me décider à m'engager définitivement. Pendant cette période, je pensais et je priais beaucoup, surtout Marie. Je trouvais bien des raisons pour ne pas me décider, mais finalement j'ai pu (sans doute grâce à elle) vaincre ces hésitations ».

– « Au collège de … j'étais un des élèves de dessin du saint Frère X. qui rassembla des volontaires pour une petite "sodalité" (sic) de la Sainte Vierge. Nous récitions lentement le très vieil office de la Sainte Vierge. Un peu plus tard il choisit 9 ou 10 d'entre nous pour faire une heure d'adoration dans la chapelle tous les dimanches matin. Les directives n'étaient pas compliquées : regarder le tabernacle, penser aux scènes évangéliques de Jésus, fils de Marie, qui a vécu en Galilée et est mort pour nous sur la croix… Ce groupe a donné 3 Frères Maristes et 4 prêtres ».

– « J'avais 14 ans lorsque mon Directeur, Frère Mariste, me proposa le juvénat ; mais je n'étais pas très chaud, vu la situation des Frères sécularisés de l'époque. … J'attendis une année pour lui donner une réponse.

Il m'avait remis une belle image du P. Champagnat en prière devant la Vierge. Cette image trouva place dans mon missel et je n'y prêtai pas une plus grande attention. Or, 8 mois après, une nuit, ce fut pour moi un coup de foudre : oui la Vierge était là devant moi avec le P. Champagnat, elle semblait m'appeler.

A mon réveil j'étais complètement décidé. J'eus ensuite la visite de mon curé, pour le séminaire et même celle d'un Père trappiste. Je répondis aux deux : trop tard ; je rentre chez les Frères Maristes. … Depuis lors, grâce à Marie, je n'ai jamais eu aucun doute, ni aucune tentation sur la réalité de ma vocation (témoignage après 50 ans de vie mariste) ».

– « J'ai été séminariste ; j'ai dû quitter, ne réussissant pas dans les études. J'allai en pèlerinage à X. où je priai Marie avec ferveur. Plus tard pensant à me marier, je la priai encore de m'aider dans le choix d'une épouse avec laquelle nous puissions nous entraider à faire notre salut. Puis tout à coup tout change dans ma vie : ma manière de voir les choses, de nouvelles valeurs qui se présentent comme des réalités vivantes : Dieu, le Christ, l'Esprit-Saint, Marie … Oui, pour moi, des réalités vivantes qui m'amènent à me laisser guider par les circonstances … et j'entre dans la vocation mariste ».

– «La nuit. de Noël, je pensais à ce que je pourrais offrir à Marie…. J'entendis une voix intérieure qui me disait : Le meilleur cadeau, ce que je désire le plus de ta part, c'est que tu te décides enfin à devenir Frère Mariste.

Je pense que la vie mariale de mon enfance, le chapelet, les fleurs offertes, les prières quotidiennes ont été ce qui a préparé et augmenté la possibilité de ma réponse affirmative, de mon OUI».

– «Depuis l'âge de 10 ans, j'avais appris de mon maître d'école primaire que la prière était efficace, spécialement quand on priait Dieu par Marie. Le chapelet était le principal instrument à cet égard.

A cet âge, et plus encore en grandissant, je n'étais pas aussi pur qu'un chrétien doit l'être. Mais alors il me vint à l'esprit de mettre en pratique ce que j'avais appris sur Marie et sur le chapelet. Je me mis à réciter le chapelet tous les jours pour demander d'être un bon chrétien. Plus tard j'entrai dans une école commerciale. L'immoralité y régnait. Le rosaire m'a sauvé de la damnation. Un jour un adulte me demanda si je voulais entrer dans la Légion de Marie. Je m'y décidai. La première allocution du président du præsidium redoubla ma dévotion à Marie. Je devenais un autre homme. A mon tour je devins président. C'est de là que je suis entré dans cette autre Société des Frères qui porte aussi le nom de Marie ».

– «Je dois ma vocation à Notre-Dame. Je suis d'une famille africaine pauvre et l'espoir de ma famille reposait sur moi. Ma mère était malade. Aussi quand me vint l'idée de devenir religieux, la pensée de ce que deviendrait ma mère et le reste de ma famille était toujours la plus préoccupante. Mais je ne pouvais me défendre contre cette idée de me faire religieux. Bientôt, recommandant ma famille à la miséricorde de Dieu, je me mis à faire les démarches pour entrer dans une congrégation.

Quand ma parenté connut mon intention, ils firent des efforts pour m'empêcher, toujours en insistant sur la maladie de ma mère. Mais, rien à faire, je ne pouvais chasser l'idée de me faire religieux. Finalement, mettant ma confiance en Marie et en son fils, je me dis que celle qui m'attirait vers cette vocation saurait bien s'occuper de ma mère. Et cela mit fin à toutes mes hésitations.

Je pourvus alors à l'installation de mon frère aîné sans rien me réserver pour moi. Je n'avais pas l'idée qu'on allait me prendre à l'essai, ni ne pensais que je devais faire un essai avant d'être admis. Après un an et demi d'attente on nous fit passer des examens décisifs et 7 des aspirants furent éliminés. Pourquoi pas moi ? c'est Notre-Dame qui le sait.

Le test pour les maths avait 8 questions et il fallait en réussir 5. Je me voyais capable d'en essayer 6 afin d'en réussir 5. Mais après les 6, comme j'avais le temps j'essayai la 7ième. Et c'est là que Notre-Dame fit le miracle. C'était un simple problème de proportion : « 8 hommes font tant de travail en tant d'heures. En combien d'heures tant d'hommes feront-ils ce travail ? Je ne savais pas bien la formule. J'invoquai Marie et je lui dis qu'elle seule pouvait trouver le chiffre ; pas moi. Je commençai ; je recommençai ; plusieurs fois ; et cela fait… ? Finalement j'aboutis à un chiffre et je le mis comme réponse. Et c'est ce 7ième test qui me sauva, au lieu de ceux sur lesquels je comptais».

– «Ma foi en Marie est basée sur le "Tout ce qu'il vous dira, faites-le" et sur le fait que Marie "ne garde rien pour elle". Les louanges qu'on lui donne vont à son fils Jésus (Lc 1, 45…) ».

– «Je crois que Marie a été "origine et formatrice" de ma vocation mariste. La seule d'ailleurs car personne ne m'avait invité à devenir Frère. Ce fut un appel tout intérieur que j'attribue à Marie elle-même. Pendant mon juvénat, mon noviciat, mon scolasticat, mes années de jeune Frère, Marie fut une force dynamique, une créatrice d'ambiance spirituelle, une source de joie, un baume pour ma jeunesse, un oracle qui a éclairé les problèmes de ma vocation».

– « J'attribue l'origine de ma vocation à l'eucharistie … Mais être devenu mariste et avoir persévéré, cela je l'attribue à Notre-Dame. Déjà au juvénat je m'efforçais de converser vraiment avec elle en récitant le chapelet. Je fermais les yeux et je pensais que je parlais avec elle dans le langage des Ave Maria. Pendant ma vie j'ai eu des phases pendant lesquelles cette conversation avec Marie, ma mère, était plus intense tantôt à travers des prières ordinaires adressées à elle, tantôt à travers des prières composées par moi selon mes besoins du moment ».

– « Bonhomme de 3 ans et demi, bambin curieux, je regarde la statue de Marie à l'église. J'aperçois les traits, plutôt flous et vagues, d'une femme… de même que ceux de l'Enfant qu'elle porte dans les bras. Je dis bien : d'une manière floue et vague… Personne de mon entourage ne sait, ni ne devine que je vois mal, que je suis très myope, comme une taupe. Moi-même, je ne m'en rends pas compte. Après un moment, mes regards errent de ci de là, se fixent un instant sur un objet brillant, se dirigent vers le plafond. Un petit jeu commence. Bientôt debout, le bras droit levé, l'index dressé, je désigne en les comptant, l'une après l'autre, les nervures du plafond ; ensuite les hautes fenêtres et… je termine, toujours en les désignant, par compter les personnes présentes… Je tourne le dos à l'autel et à la statue.

Tout à coup, sans brusquerie, maman, tendre et maternelle, d'un geste décidé, qui n'autorise aucune résistance, me fait virevolter, me remet en attitude de prière, les yeux fixés sur la statue de Marie. Souriez, riez, haussez les épaules… Ce fut de cette manière peu classique, peu orthodoxe, que Marie entra — pour de BON — dans ma vie ».

2) – MARIE, À L'ORIGINE D'UN SECOND APPEL.

– « Fin de la guerre de 1914-18. J'étais à X. pour me faire démobiliser. J'accomplis les formalités au Bureau Militaire, je reçus ma prime de démobilisation avec laquelle j'achetai un costume civil, puis j'allai dans un petit restaurant. Je sortis de là, rongé par l'incertitude : que vais-je devenir ? Chercher du travail, me présenter chez les Frères pour y revivre ma vocation ? Un ennui terrible s'empara de moi. J'eus alors l'idée de monter au sanctuaire de X… Je m'approchai le plus possible de la statue et adressai cette prière à Notre-Dame : «Ma bonne mère, me voici à vos pieds, je ne sais que devenir, je m'offre à vous, si vous voulez de moi dans votre Congrégation, éclairez-moi, arrangez-vous ».

Je sortis aussi peu décidé qu'avant. Vers la fin de l'après-midi, je pris le train pour Y… Là, j'ai vécu deux jours d'ennui, dressant plan sur plan. Je me rendis ensuite à Z… pour réfléchir. La 2ième jour, le facteur me remit une lettre. C'était une convocation à la retraite. C'était la réponse de Marie à ma prière. Plus de doutes, plus d'hésitations. Le cœur rempli de joie je me rendis à cet appel. Merci encore une fois, ô Bonne Mère ! ».

3) – MARIE, PROTECTRICE CONTRE LES CRISES DANS LES MAISONS DE FORMATION.

– « Je n'avais pas encore douze ans lorsque F. X… vint nous visiter; mon grand père (j'étais orphelin de père) et ma mère hésitaient parce que nous n'avions pour vivre que le strict nécessaire. Le soir, avant de me coucher, j'adressai à Marie la prière suivante : "Marie, ma mère, si vous me prenez, vous aurez un Frère de plus ; si vous ne faites rien, vous en aurez un de moins". Le lendemain tout était réglé, j'allais au juvénat. Je me suis ennuyé à en mourir, mais Marie m'a soutenu à travers les difficultés qui furent nombreuses, pénibles.

Vers la quarantaine, j'étais désemparé, dégoûté, attiré par le monde que j'avais peu connu et fort combattu. J'allais tout abandonner quand Marie se chargea encore d'y mettre la main…. La rencontre d'hommes fermes et remplis de Dieu me permit de passer à travers, non sans larmes, souffrances et brisements de cœur. Marie avait gagné la partie. … Aujourd'hui je me sens heureux dans ma vocation, je réalise que l'abandon m'eût été fatal ».

4) – MARIE, CRÉATRICE DE LA PERSÉVÉRANCE.

– « Il m'est difficile d'exprimer tout ce qui a grouillé en moi lors de mon séjour à X. … Je me trouvais en pleine déroute … et sans foi dans mon avenir, ni goût de vivre. Je me rendis à la chapelle de la Médaille miraculeuse. Rien ne m'y attirait, surtout pas l'ambiance vieillotte de la chapelle. Là je restai comme écrasé, dans un vide complet de sentiments et d'idées ; c'était simplement un temps devant Notre-Seigneur et devant sa Mère.

Mes yeux alors rencontrèrent l'inscription au-dessus du maître-autel : "Des grâces seront accordées à ceux qui viennent prier au pied de cet autel". J'adhérais à cela, sans aucun désir précis, sinon celui de rester fidèle au Christ, même si j'allais quitter l'Institut. Je faisais confiance à Marie, mais sans aucun enthousiasme ; j'étais sûr d'elle, de sa parole, mais en moi l'attente était morne, aveugle. Puis ce fut la retraite, et pendant la journée de désert, la certitude que Dieu m'aimait et qu'il me rendrait fécond. …Puis ce fut une autre retraite et, le 14 août, en quelques instants la chape intérieure a fondu. Je me suis découvert libéré et possédant une paix fraîche, une exultation intérieure. Maintenant je travaille en mission ».

– « Les responsables sont souvent isolés affectivement face à la communauté, face à leur profession. Si leurs Frères, leurs Supérieurs, les documents capitulaires sont très exigeants pour eux, ils auront tendance à chercher ou à capter une compensation affective dans le travail, la réussite, la femme.

Deux demoiselles sont devenues amoureuses folles du « directeur » … Je n'ai jamais marché, demandant à Marie tous les jours de garder tout mon être à son Fils et à elle, par amour, jusqu'à mon dernier soupir. Jusqu'à présent Jésus et la Vierge que je prie ont toujours eu gain de cause. Je veux rester leur bien, leur propriété ».

– «Marie a été mon rempart et mon refuge pendant mon adolescence. Elle m'a tenu par la main, et quelque ingrat que j'aie été, elle n'a pas cessé de m'écouter dans mes découragements et mes lâchetés ».

– «Vers 20 ans, j'étais allé dans un magasin de jouets pour des achats en vue de la loterie de la fête de l'Immaculée. La vendeuse me dit avec quelque malice que j'étais beau gosse et qu'une jolie fille m'irait très bien. Je lui répondis que j'étais déjà amoureux de la Madone, et je la plantai là ».

– «Fréquemment je me suis demandé si ma vocation ne serait pas une récompense pour l'amour que mes parents professaient envers Marie. Je crois que oui, et ceci m'oblige à être fidèle à ma vocation, malgré toutes les difficultés de la vie et tant d'incompréhensions qu'il faut trouver dans le pèlerinage de la terre. Les 3 ans que j'ai été interne dans les écoles maristes, je ne crois pas avoir manqué un seul jour d'aller visiter celle qui est ma Mère et mon aide, et que je vois maintenant comme la cause de ma persévérance, et qui me donne ]e courage pour me consacrer à l'éducation des jeunes qui sont aujourd'hui si difficiles à diriger ».

– «Les moments cruciaux pour la vertu et la vocation sont venus pour moi vers la cinquantaine et pour divers motifs, y compris quelques imprudences de ma part. Eh bien ! j'ai touché du doigt l'assistance de la Madone, qui est intervenue à temps dans chacune des circonstances où la faiblesse de ma vertu m'avait amené. Je me suis parfaitement rendu compte du péril que j'avais couru et je l'ai remerciée de tout cœur ».

– «Un jour j'étais décidé à abandonner ma vocation mariste. Cependant avant de faire ce pas, j'ai cru devoir consulter la Vierge. Je vais donc à la chapelle et je mets entre les mains de Marie ma décision, tout en lui disant que je ne voulais pas du tout faire ma volonté, mais celle de Dieu et la sienne. A l'instant l'idée de quitter l'Institut disparut, et je me suis relevé plein de courage et d'enthousiasme pour vivre en Frère de Marie».

– «A la puberté a commencé une lutte pour la chasteté qui me paraissait insoutenable, mais elle m'a amené à me recommander à la Vierge au moyen de deux prières : une pour demander de mourir mariste et l'autre pour demander chasteté et force».

– «Je croyais que la lutte durerait seulement le temps de la jeunesse, mais elle s'est prolongée jusqu'à la vieillesse. J'ai prié encore plus. Et arrivé à 70 ans je puis dire que je ne me suis pas laissé vaincre par la concupiscence, malgré les difficultés rencontrées».

– «Je dois à la Ste Vierge ce que je suis en ce moment : Frère Mariste, réalisant un apostolat avec les jeunes. Je pris, à la fin de mon noviciat la résolution unilatérale de tout abandonner et de rentrer chez moi. Pendant l'office je mijotais les préparatifs de route, j'étais distrait. Mais au Magnificat je réfléchis : " Et si je remerciais la Vierge pour mon pauvre noviciat, mon noviciat personnel … et si je remerciais la Vierge pour mon scolasticat inconnu qui allait bientôt commencer "… Mes idées noires étaient disparues… et je prononçais mes premiers vœux— C'est Marie qui a arrangé tout… et bien, très bien" ».

– «Comme tout le monde j'ai eu mes difficultés dans la vie. Il y a eu des heures moins ensoleillées que d'autres, mais jamais, au grand jamais, je n'ai eu l'idée de quitter ma vocation pour entrer dans la vie séculière. Cela je le dois à Marie, à qui j'avais donné ma parole d'honneur de lui appartenir toujours. C'est Elle qui m'a aidé à être fidèle.

J'ai été heureux dans toute ma vie religieuse, même très heureux partout où j'ai été. J'attribue ce bonheur à ma constante dévotion à Marie qui me conduit naturellement à son divin Fils.

La seconde chose qui a contribué au bonheur de ma vie, c'est d'avoir été fidèle à la devise prise en 1926, au noviciat : " Dans ma vie je veux faire mon bonheur à rendre les autres heureux quoi qu'il m'en coûte " ».

5) – MARIE, CELLE QUI FAIT RETOURNER.

– «Quand je suis parti de chez moi pour le juvénat, ma mère m'a donné un chapelet et m'a confié à Marie : " Mon fils, je te confie à Marie très sainte qui sera ta mère ; dis toujours le chapelet à N.D. du Perpétuel Secours pour qu'elle te protège ".

J'allai au juvénat, attiré par le fait que la Congrégation portait le nom de Marie. Jamais je n'aurais cru que je rencontrerais tant de difficultés.

A 35 ans, j'eus une crise si violente que j'en arrivai à demander la dispense des vœux. Et pendant 4 ans je restai hors de la Congrégation.

Je continuais cependant à mener la même vie qu'avant : rosaire quotidien, messe et communion … Je compris ma responsabilité et que j'avais trahi mes engagements.

Je récitai bien des fois le Souvenez-vous, je me rendis au sanctuaire de N. D. du Perpétuel Secours … puis demandai ma réadmission à l'Institut … et, guéri et aidé par les Frères, je me prépare à ma profession perpétuelle».

6) – MARIE PREND L'INITIATIVE.

– «J'étais le danseur N°. 1 du village, aimé des filles, déjà fiancé. Je n'avais que dégoût pour les moines…. Quant aux Frères qui venaient d'arriver au pays, c'était encore pire, si l'on peut dire. Tout en eux me paraissait non seulement bizarre, mais repoussant. Je n'avais vraiment pas envie d'en rencontrer… Et j'en rencontrai un accompagné du curé. Le curé m'invita à partir avec lui. Je dis oui, pour me débarrasser d'un importun.

Je devais regretter d'avoir manqué de courage, d'avoir menti…. Tout un drame à la maison.

Arrive donc le moment du catéchisme (sur la vocation). Le curé parle du Frère. Je dis à mes compagnons que ce Frère, il ne m'emmènera pas. Le curé dit encore que les Frères sont les privilégiés de Marie. Et quand le curé demande : Qui est-ce qui veut partir avec le Frère ?, je réponds : MOI. Eh oui ! tu me tiens, toi ma Mère, moi le petit Don Juan, heureux ; et après moi il y en a 23 qui m'ont suivi dans la -vie religieuse. Merci, ô Mère».

7) – MARIE, CELLE QUI NE LÂCHE PAS.

– « Dans les circonstances difficiles que j'ai rencontrées, je n'ai jamais remis en cause ma vocation et je vois que la Sainte Vierge m'a aidé et soutenu, malgré mes déficiences ».

– « J'ai l'habitude de dire tous les jours – depuis ]e juvénat – une prière à Marie pour demander la persévérance ».

– « Elle m'a aidé à franchir toutes les difficultés de ma vie. Elle me permet de voir clair, de ne pas me créer des problèmes de crise dont parlent tant de religieux aujourd'hui >>.

Après le récit d'un très grand péril pour sa chasteté :

– « Ce fut là la tentation la plus dangereuse de ma vie. Mais la victoire est totalement due à Marie. Aussi puis-je affirmer que la Madone a été pour moi l'ancre de salut, le phare dans la tempête, une tempête terrible qui voulait tout submerger.

La prière sincère et sentie qui jaillit avec ardeur des profondeurs du cœur est une puissance qui désarme toutes les forces adverses. Je l'ai expérimenté».

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D — ROLE IMPORTANT DE NOS MAISONS DE FORMATION

Nos maisons de formation mariste ont joué un rôle très important jusqu'à ces dernières décades.

1) – ATMOSPHÈRE DONT ON RESTE IMPRESSIONNÉ.

Même si les moyens employés ont pu être considérés ensuite naïfs ou sensibles : fleurs, lumières, chant etc. … le cœur des anciens juvénistes ou novices reste fortement impressionné après des dizaines d'années. Le retour du balancier amène d'ailleurs aujourd'hui à se rendre compte que la naïveté peut- être très authentique. Que l'on regarde l'importance donnée à la lumière, à l'encens, aux fleurs dans des lieux comme Taizé, aux expressions du sentiment, dans les groupes charismatiques ; et à l'orchestration des fêtes populaires comme en pays communistes.

– « Les chapelets récités au juvénat, le chant : "Bénie soit ta pureté", devant l'image de Marie ont été pour moi des moments délicieux, et que, encore aujourd'hui j'aime à me rappeler ».

– « Au juvénat, l'ambiance franchement mariale faisait suite à ce que j'avais vécu en famille. Les pratiques du mois de mai avec leurs sacrifices quotidiens, les litanies chantées avec toute la solennité et l'accompagnement d'un petit orchestre : toutes choses animées par un directeur qui avait une dévotion mariale profonde, m'ont donné un enthousiasme que j'ai toujours pour Marie.

Mais ce fut au noviciat, en lisant ce que le Père Champagnat avait demandé aux Frères de faire pour Marie, que je compris vraiment ce que voulait dire : avoir de la dévotion envers Marie. Depuis lors je fais tout ce que je peux pour propager son culte, basé sur les Evangiles, Luc en particulier. C'est là que je cherche à fonder mon enseignement marial. J'espère qu'elle me bénira comme elle l'a fait jusqu'ici, et qu'elle portera mes élèves à Jésus, et convertira ceux qui, par hasard, auraient quitté le droit chemin ».

– « Mon premier soir au juvénat, je ne l'oublierai jamais — le beau Salve Regina ; et puis penser que nous invoquions Marie au début et à la fin du jour : Au réveil, et quand l'ange de la nuit… J'ai toujours pensé que Marie prenait soin de moi, et je veux seulement que ma vie puisse commencer à lui manifester cet amour profond dont je parle aux autres ».

– « En arrivant (au juvénat) nous sommes allés à la chapelle pour le chant du Salve Regina. Jusqu'à ce jour, je n'ai jamais oublié la première grande impression que cela m'a fait — et la statue de Notre-Dame éclairée par une guirlande de lumières colorées ».

– « Au juvénat de … j'ai eu pour directeur Frère X, grand dévot de la Madone. Je me souviens encore, comme si c'était aujourd'hui, des fantastiques processions aux flambeaux du 15 août. Il me semble entendre encore l'écho du cantique : "J'irai la voir un jour, au ciel dans ma patrie". Et je revois les bras et les flambeaux qui s'élèvent vers le ciel : "Au ciel, au ciel, j'irai la voir un jour".

Quand, le matin, j'avais fini de me préparer et que j'attendais, en rang, le signal pour descendre à l'oratoire pour la prière, je chantais en silence, dans mon cœur, toutes les strophes de ce chant qui étaient imprimées derrière une image de la Madone, et je récitais le chapelet. C'est comme cela que la Madone est entrée définitivement dans ma vie ».

– «L'entrée au juvénat a représenté pour moi un élargissement et une prise de conscience de cette dévotion que j'avais vécue en famille. La période de ma formation a coïncidé avec la guerre, et alors les pratiques de dévotion étaient nombreuses et solennelles. La dévotion des Supérieurs m'impressionnait : ils avaient toujours le chapelet en main dans les allées et venues ».

– «Au juvénat comme au noviciat, toutes les fêtes de Marie étaient pour moi, comme pour la petite Thérèse, des moments de joie. J'étais heureux le samedi, de monter sur la colline pour chanter le Salve Regina … C'était une dévotion assez sentimentale. Elle dura peu, mais mûrit au moment des premières années de classe. Elle n'a plus rien de sensible. J'aime Marie comme une Mère, mais je dois dire que ma dévotion est bien aride».

2) – VIE DE PIÉTÉ MARIALE PERSONNELLE DANS LE JUVÉNAT.

Ce niveau du sentiment, on le voit, n'est pas du tout à négliger, car il est une incontestable dimension humaine et spirituelle. Mais passant à un autre niveau, il est bien certain aussi que le juvénat a été pour beaucoup de Frères et l'inauguration et la consolidation de leur vraie histoire mariale, soit à travers la consécration, soit à travers d'autres formes.

Pour quelques-uns même, cette expérience vécue est restée une marque de feu, avec des conséquences inappréciables et durables.

– « Au juvénat, j'ai découvert peu à peu la dévotion à Marie dans le sens de l'imitation. J'apprenais à m'offrir à elle tous les jours, à lui offrir ma vocation, toutes mes aspirations, mes espoirs, mes problèmes, et je continue de le faire ».

– « Déjà, dès le juvénat, Marie a été toujours présente en ma vie d'une façon vraie, authentique et continue. Depuis plus de 30 ans je dis le rosaire complet (15 dizaines) chaque jour. Je n'y ai pas manqué un seul jour ».

– « Depuis le juvénat, ma relation à Marie a été croissant, et un regard en arrière me permet de voir que Dieu m'a accordé, par Marie, la persévérance dans ma chère vocation. Au juvénat on nous enseignait à confier à Marie notre vocation et depuis, j'ai pris au sérieux ma persévérance ».

– «Depuis mon juvénat, j'ai l'habitude de me consacrer à Marie, offrant tout à Jésus par elle, lui recommandant ma vocation et disant la prière à Notre-Dame des Sept Douleurs».

– « C'est surtout au juvénat qu'a commencé ma vraie histoire mariale : je faisais des efforts pour dire le chapelet sans me laisser distraire. Au noviciat, je multipliai encore ces efforts pour prier sans distractions et je prenais d'autres moyens pour concentrer mon attention, récitant deux chapelets en marchant dans les corridors. ETA j'ai conservé cette habitude de dire le chapelet dans les allées et venues pendant de longues années ».

– « Ce fut au juvénat que j'appris à aimer Marie, à l'honorer, à la servir, en plus de ce que j'avais appris à la maison avec mon grand-père qui m'avait initié au rosaire».

– «Notre juvénat de … fut un modèle pour cela. Les Frères anciens étaient vraiment des apôtres de Marie».

«La crise d'adolescence, avec tous ses douloureux problèmes, me désarçonna et personne n'en sut rien, pas même le Frère directeur. Mais on nous avait tellement dit qu'avec Marie ou aurait le dernier mot. Alors, mais sans conviction réelle, je me tournais vers Elle : peut-être pour la première fois, pour la prendre à témoin de ma souffrance, de ma misère, car ma crise affective était terrible, vu que je n'avais pas connu ma mère de la terre et que je ne connaissais personne à qui parler… J'avais honte, j'avais peur, j'étais désespéré… Je pense que Marie eut pitié de l'orphelin que j'étais. Enfin la paix revint… j'eus même l'occasion de remonter un camarade désemparé : il craignait d'être damné. Je crois l'avoir adressé à Marie. Cela m'avait réussi. Alors !».

3) – ET CETTE FORMATION SE REFLÉTAIT EXTÉRIEUREMENT.

« Aujourd'hui, 30 ans après mon entrée au juvénat, je me souviens que, étant en vacances chez moi, quelqu'un est venu à la maison : un monsieur, ami de mon père. Mon père lui présentait ses enfants, et quand, à mon tour j'arrivai, le visiteur demanda : "Et celui-ci, qui est-il ?" – "Celui-ci c'est Maria Santissima".

Je ne dis rien sur le coup, mais quand le visiteur fut parti, je demandai à mon père pourquoi il m'avait donné ce nom. "Eh bien ! depuis que tu es chez les Frères, dans toutes tes lettres tu parles toujours de Maria Santissima".

Effectivement j'ai commencé à cheminer avec Marie depuis les premières années de ma formation mariste ».

4) – LE NOVICIAT (1ierOU 2nd) EST UNE ÉTAPE DE PLUS GRAND APPROFONDISSEMENT.

– « Une grâce unique ! Un éducateur exceptionnel : le Frère Avit. Il m'a inculqué une grande dévotion à N. D. des Sept Douleurs, et, au Second Noviciat, à N. D. du Bon Conseil… Les causeries sur Notre-Seigneur et la Ste Vierge me touchaient jusqu'au fond de l'âme. Aux moments critiques de ma vie, lorsque mon cœur était déchiré, partagé, meurtri, envahi par des amours humaines, je criais ma détresse à N. D. du Bon Conseil, à la Mère des Douleurs, ce qui m'a permis de surnager malgré bien des accrocs à ma soutane de religieux… L'équilibre retrouvé, grâce à l'Immaculée, je ne songeais plus qu'à réparer et me préparer ».

– « Une dévotion profonde et doctrinale nous fut enseignée au noviciat : la consécration totale, selon l'enseignement de St Louis Grignion de Montfort. Au cours des années, de nouvelles prises de conscience de notre vie ;réelle en Marie et par Marie … m'ont fait découvrir la petite voie d'enfance mariale ».

5) – LES MAÎTRES.

En certaines occasions, les crises face à la dévotion mariale vont venir assez tôt, même au noviciat. Mais les Frères qui donnent leur témoignage ont trouvé, comme dans les cas précédents, des maîtres qui les aidaient à dépasser la crise et à mûrir.

— « A l'école, l'institutrice qui m'enseignait nous donnait la possibilité de monter un autel à la Vierge. Et nous faisions le mois de Marie.

Mais c'est surtout au juvénat. Quand le Frère V. nous donnait une petite conférence sur la Vierge, on sentait réellement un amour de la Vierge. On le sentait dans ses mots, dans sa façon de nous présenter son exposé. Pour moi, c'est un souvenir inoubliable. J'ai appris à ce moment-là que Marie était ma mère, et que je devais la prier chaque jour pour la persévérance dans ma vocation».

– « J'eus une crise dans ma dévotion à Marie pendant le noviciat. Le Frère Provincial, à qui je m'en ouvris, me conseilla de faire quelque lecture solide sur Marie. Le résultat fut que j'acquis une dévotion mieux fondée et que je pus continuer des pratiques de mon adolescence avec une maturité grandissante ».

– « Entré au juvénat de … j'ai eu la chance d'avoir pour directeur le " saint " Frère F. qui avait trois grands amours : l'Eucharistie, la Sainte Vierge et l'Institut. Et j'ai gardé cette ligne, et son souvenir reste en moi impérissable ».

– «Une fois, le Frère Avit m'appela deux minutes chez lui (il était alors secrétaire général) : " Voyez Jésus par transparence en Marie ", et il parla de la grande statue du hall de V. devant laquelle il avait tant prié autrefois».

Ce n'est donc ni tellement l'étape, ni la maison qui a compté pour bon nombre de témoignages précédents, mais des formateurs qui ont laissé une empreinte ineffaçable.

J'ai renoncé à l'anonymat pour F. Avit, connu de toute une génération de Seconds Novices, et qui fait partie de l'Histoire Mariste. J'y renonce aussi pour le bref témoignage suivant, concernant F. Miguel Dario, mort tout récemment[1].

— Le C. F. Miguel Dario a été mon premier professeur au juvénat. Je me souviens du zèle avec lequel ce Frère nous faisait le catéchisme du samedi, très goûté des juvénistes. Je le vois encore préparant les autels de la Vierge pour la célébration du mois de mai ou d'octobre. Ça m'a marqué pour la vie. Plus tard j'ai tâché de faire comme lui. Je ne crois pas que ce soient des pratiques extérieures tout court ; elles m'ont fait aimer davantage la Vierge ».

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E – MARIE : RÉALITÉ PRÉSENTE, VIVANTE ET AGISSANTE DANS LA VIE DES FRERES

1) – EN GÉNÉRAL.

Un certain nombre de témoignages font état de ce sentiment d'une façon assez générale. Voici par exemple :

– « Dans mes difficultés, lorsque je suis en train de prendre mes décisions, c'est " drôle ", mais subitement je l'entrevois qui se place dans ma vie. Que de fois n'ai-je pas changé de décision — au point de vue de la vocation — rien que par cette " vision " de notre Mère … Une seule chose est sûre et certaine pour moi : La Vierge se permet de déranger ma vie en se plaçant sur ma route».

– « Je suis sûr que Marie a guidé toute ma vie, malgré les grandes luttes et les échecs. Aujourd'hui Marie est tout dans ma vie ».

– « Je vois Marie au centre de ma vie, et de ma vie mariste. Je pense qu'elle a influencé mon choix de cette vie et de cette Congrégation. Ce qui me peine c'est que personnellement je ne fais pas assez pour la rendre plus réelle ; oui, que je ne fais pas assez à cet égard avec mes élèves… Marie est la source de notre amour et de notre souci communautaires. Je pense qu'elle nous influence invisiblement, comme une mère humaine le fait pour sa famille. J'essaie de penser à elle dans le contexte de l'école et je la prie de rendre mes actions constructives et fécondes, envers mes élèves, en me donnant l'attention qu'elle avait pour Jésus. Je prends très au sérieux l'idée de Marie Première Supérieure, et que c'est elle qui, au début, a rassemblé nos premiers confrères ».

– « Je suis très conscient que mon tempérament volontaire et passionné peut facilement blesser quelqu'un. Aussi je commence habituellement une réunion par un Souvenez-vous ou une prière pour aimer les autres comme Marie aimait Jésus. Je demande d'être aussi gentil envers les autres que Marie lorsqu'elle allaitait Jésus ou s'occupait de lui ».

– « Recourir à Marie, notre sainte mère, non seulement aux moments de crises ou de difficultés, mais aussi aux moments de joie : cela est devenu une partie très normale de mes dispositions personnelles. Elle est devenue un peu mon pain quotidien. Vraiment sans elle je ne sais pas ce que deviendrait ma vie ».

– « Je vis en Elle et par Elle. Elle me fait découvrir les richesses insondables du Cœur de son Fils Jésus, souverain Prêtre éternel, Verbe fait chair, victime immolée, et comment, en lui, par le mystère de l'Incarnation, nous participons à la vie trinitaire, dans l'amour de l'Esprit-Saint, grâce au baptême. Et tout ce que cela implique dans la vie quotidienne ».

– « Une expérience de vie que j'ai faite me montre clairement que, quand on oublie ou qu'on néglige la prière à Marie, ça ne marche plus, et les difficultés surgissent dans la vie spirituelle. Mettre Marie dans sa vie, à mon avis, c'est mettre la base de la vocation et de la persévérance ».

– « Je me suis imprégné de la dévotion à Marie auprès de ma mère. Nous disions le chapelet en famille tous les soirs. Pour la vie quotidienne, Marie a accompagné chacun de mes pas : depuis le noviciat, il y a 45 ans, je ne me mets jamais au lit sans dire, à genoux, l'Ave Maria, le Sub Tuum et le Salve Regina. Je ne participe à aucune réunion, ni ne prends de décision importante sans avoir dit auparavant un Ave Maria. Je lui recommande tous les cas difficiles à résoudre, soit personnels. soit avec d'autres. Je n'abandonne pas la récitation quotidienne du chapelet. Je profite de toutes les bonnes occasions pour parler de Marie en classe ou dans des entretiens, et je suis très fier d'appartenir à sa Congrégation ».

– «Maintenant que je suis parvenu à l'âge de la maturité et des responsabilités, Marie est devenue progressivement la " Maîtresse de Vie ", le modèle de l'attention à la volonté de Dieu, dans les événements de tous les jours et la méditation de l'Ecriture. Ma vie, me semble-t-il, est devenue une collaboration à l' "œuvre de Marie ", dans l'Eglise, les jeunes et les confrères de tous les âges. Marie me demande de travailler avec elle, mais me donne tout pour cela : santé, joie, force et lumière. Dans la prière surtout, elle m'aide à accueillir l'Esprit-Saint par qui Jésus Ressuscité nous sanctifie et nous sauve».

– «Ce que je rapporte remonte à l'année 1950, année du jubilé, et de plus, je crois, jubilé marial…. En cette année, la région avait fait vœu d'ériger une statue de la Vierge au sommet de O. qui culmine à 2.222 m. La pointe n'est accessible qu'aux piétons. On avait donc réuni tout le matériel nécessaire à l'érection de cette statue, dans un chalet situé à 1.200 m. d'altitude et le comité avait fait appel aux volontaires, pour le transporter à dos d'homme du chalet au sommet. Désirant dénicher une vocation mariste dans le groupe de mes neveux, je décidai 4 d'entre eux à répondre à l'appel du comité dans le but d'obtenir de la Vierge la grâce que je sollicitais : chacun devait transporter 20 kg. de gravier. Quelle grimpée, Seigneur ! Point de sentier, des amas inextricables de rochers ; souvent rampant à quatre pattes dans les endroits scabreux ; jetant le sac 50 cm. plus haut pour le reprendre avant un nouveau bond…

Eh bien, je l'ai eue ma vocation : il est actuellement Provincial».

2) – MARIE, MÈRE.

Marie est découverte comme mère, soit parce que l'on a vu mourir sa propre mère – et Marie entre alors comme une valeur sublimée remplaçant la valeur tangible disparue ; soit à partir d'une toute autre expérience.

Il y a en effet telle expérience humaine qui favorise ou au contraire obscurcit le sens de la paternité de Dieu ou de la maternité de Marie[2].

 Cette maternité sera ressentie avec de très nombreuses nuances que nous essayons de grouper en divers sous-titres.

2.1) – SOIN MATERNEL TOUT AU LONG DE LA VIE.

– « Je sens que je lui appartiens. Je sens qu'elle est proche, comme un fils tellement habitué à sa mère qu'il en oublie sa présence, alors qu'il joue auprès d'elle. Je crois que Marie joue encore son rôle dans ma vocation et assume ma persévérance ».

– « Marie a toujours été pour moi une mère — quelqu'un vers qui j'ai senti que je pouvais me tourner avec amour, confiance et certitude d'être compris, parce qu'elle est la mère de Dieu et ma mère aussi. Je pense que cela résume ma relation constante envers Marie ».

– « Marie a tout fait chez nous, disait le Bx. P. Champagnat. Pareillement je puis dire avec raison : " Marie a tout fait chez moi ". Quand je donne un coup d'œil rétrospectif, dès mon bas âge, je dois dire que j'ai toujours été l'enfant choyé de cette Bonne Mère ».

– « Quand je me mets à réfléchir à ce que c'est que la vie, à me demander si je suis bien dans ma vocation, si je suis à même de satisfaire aux exigences de mon apostolat, c'est toujours la petite Vierge d'Israël qui vient dans ma prière et me rappelle le saut qu'elle a fait en donnant son accord pour recevoir Jésus dans son sein. Elle est toujours celle qui dit gentiment que tout marchera et que tout ce que j'ai à faire c'est d'être décontracté et de laisser son fils faire mon travail. Elle me console dans mes moments de doute, quand je me mets à perdre confiance au Seigneur et à moi-même ».

– « J'ai expérimenté que Marie convertit plus avec son amour maternel qu'avec sa parole. Elle parle dans l'Evangile et elle prie beaucoup. Mais c'est de façon silencieuse qu'elle fait tout chez nous. Découvrir l'amour de Marie a été pour moi comme naître à nouveau >>.

– «La Vierge dans ma vie a représenté, ou plutôt a été, une mère authentique, parfaite, empressée. Et c'est pour cela que je trouve absurde la demande : pourquoi j'aime ma mère ? Je l'aime parce qu'elle est ma mère.

Ainsi, j'affirme simplement mais clairement que Marie a été ma mère très aimée et, pour cela, mon tout en toute ma vie, spécialement en ma vie mariste ».

– « L'extraordinaire de la présence de Marie dans ma vie a consisté dans une présence maternelle que j'ai sentie constamment et qui s'est manifestée dans tous les événements ordinaires et simples de chaque jour ».

– « Une espèce d'instinct marial m'inclinait, même inconsciemment, vers elle. Bien des fois je l'ai sentie présente en ma vie, et combien d'autres fois je l'ai ignorée ! ».

– « Je peux dire que la Vierge a été tout pour moi, la " personne ", la " Mère " en qui toujours je me suis confié, et à qui toujours je suis disposé à raconter mes peines, mes préoccupations, mes fautes, mes découragements, mes efforts, comme à quelqu'un qui non seulement est près de moi, mais en moi ».

– « Ayant perdu ma mère très tôt, je fus vite privé d'une affection, qui, je le sens, a laissé un grand vide dans ma vie … et je fus porté à combler ce vide, par une dévotion qui m'apportait beaucoup de consolation.

L'invitation de mes deux frères à les suivre dans une communauté toute dévouée à Marie, décida ma vocation.

Jeune religieux, souvent, j'ai été en proie à de violents combats, à des situations désespérées, à des déceptions, des découragements nombreux. Marie était pour moi, un asile, un abri, une mère à qui je pouvais confier mes peines et mes désespoirs, m'en remettant constamment à elle. A travers ces difficultés journalières, et malgré elles, ma pensée va toujours vers Marie qui a toujours été et est constamment ma force, mon soutien. Elle a contribué à me tourner sans cesse vers son Fils Jésus ».

– « Ma mère est morte alors que j'avais 12 ans. Quand j'ai reçu la nouvelle, le Frère Directeur du juvénat m'a dit d'aller à la chapelle et de demander à Notre-Dame d'être ma mère. J'ai suivi son conseil. Ce sentiment d'un gosse de 12 ans est devenu une ferme conviction dans ma vie. Je dois tant à Marie : une protection continuelle et ma persévérance. J'aime sentir que Marie est avec moi dans ma vie de chaque jour ».

2.2) – FIDÉLITÉ.

– « Je peux résumer ainsi son intervention : elle est la mère qui aime son fils, bien des fois infidèle ».

– « De mon premier noviciat, je n'ai pour ainsi dire rien retenu. Un seul petit point. Le Frère Maître avait insisté sur ceci : dire chaque jour un " Souvenez-vous " pour demander la persévérance. Sans s'occuper de la liturgie, dont en ce temps-là on parlait si peu, il nous demandait de dire cette prière entre les deux élévations de la Messe.

C'était devenu un peu machinal et les paroles que je prononçais étaient souvent bien distraites. 50 ans plus tard, je disais au Frère Provincial : « Quand je revois tout le film de ma vie, je ne puis que dire : ma persévérance est un miracle de la Sainte Vierge. Revoir toutes les situations où je me suis trouvé, soit par les circonstances, soit par ma propre faute ou mon imprudence et me voir aujourd'hui fêté comme jubilaire me remplit de honte. Ce n'est pas moi qu'il faut féliciter mais bien la Sainte Vierge qui a accepté ces " Souvenez-vous " et m'a gardé jusqu'en ce moment ».

2.3) – ACCUEIL QUI PARDONNE.

– «J'étais venu à la retraite pour faire du vélo et non pour me rénover dans la vie mariste. … Je me croyais libre ! Mais j'étais un esclave de moi-même et de mes passions. Je suis allé à Lourdes et je demandai vraiment ma guérison. Et à la suite de la retraite avec le Père M… tout a changé. Jésus m'y attendait. J'ai pleuré, j'avais perdu ma liberté… Mais Marie avait intercédé… et je savais désormais que je devais me laisser travailler par Dieu en suivant la vocation à laquelle il m'avait appelé depuis toujours ».

2.4) – TRANSMISSION D'UNE VIE QUI VA CROISSANT.

Mais pour quelques Frères, la relation à Marie est encore plus profonde. Au-delà du niveau psychologique, ils atteignent le mystère de la foi. La vie du Verbe, accueillie par Marie dans son sein, grandit dans la vie d'un chrétien et rend de plus en plus manifeste la vie divine en l'homme. Il y a là la source de l'expérience spirituelle : Marie fait grandir en nous la vie divine.

– « Pendant un sermon sur la Vierge, j'ai vu clairement la relation. Marie-Jésus, Marie-chrétien (frère de Jésus).

" Voici ton fils " : ce fils c'est l'homme racheté parce qu'il accepte le Christ. (Et celui qui croit au Christ, a, comme lui, la vie éternelle, sa propre vie à lui). Marie est ma mère. Dans l'économie du salut, elle accepte cette mission. « Voici ta mère ». Donc, par volonté du Christ, tout passe par elle. Son action dans l'Eglise et dans les chrétiens est nécessaire par volonté du Christ.

" Jean la prit dans sa maison ". Le chrétien accepte cette Mère, vit avec elle, dépend d'elle. Quelle meilleure, quelle plus grande sécurité ? !

Jésus a dépendu pendant 9 mois totalement de Marie. Le chrétien est à l'état d'embryon jusqu'à son plein développement en Christ dans la vie eschatologique >>.

3) – MARIE «RESSOURCE ORDINAIRE».

De loin c'est, dans les témoignages, ce qui domine. Le Père Champagnat a dit une chose très vraie pour le passé historique de la congrégation. Les témoignages confirment que sa vision a été et est partagée par ses fils.

Marie, ressource ordinaire : c'est chez beaucoup la version mariale de la dimension providentielle de Dieu. Parfois c'est un choc résultant de l'expérience de toute une vie, dont on s'aperçoit plus explicitement un jour. Parfois on a découvert Marie dès l'enfance, et Marie a été la gardienne d'une vie limpide, sereine, sans à-coup. Parfois, au contraire, la vie a été secouée par des événements extérieurs (guerres, persécutions) ou par des crises. Et dans ces divers cas, on constate : Marie était là.

Je n'entre pas dans les détails que l'on trouvera ci-après et qui feront voir combien des Frères ont été portés soit à tout percevoir à travers Marie, soit à voir son assistance maternelle au long des années, sans pour autant cesser de voir en Dieu la source première.

L'aide de Marie peut concerner des choses aussi diverses que l'apostolat, les études, la maladie, les crises, les faiblesses, le découragement, le besoin de grandir, l'acceptation des postes difficiles, et même des situations plus poussées comme la prison ou le camp de concentration.

– « Le 1iermai, les docteurs décident de m'opérer ; et c'est un succès complet. Après ma convalescence, je reprends mon enseignement, jamais je n'ai été plus en forme que depuis ces 16 ans. Marie voulait encore avoir besoin de moi, pour passer son message à cette mission où je suis ».

D'un pays africain où la main d’œuvre qualifiée n'est pas toujours facile à trouver :

– « Il y a eu une période où nos deux machines ne marchaient plus, et je ne savais plus que faire. Nous avions fait appel à beaucoup de techniciens pour venir les réparer, mais … personne. Un jour, en allant au travail, je me souviens que j'ai oublié d'en parler à notre Mère bénie. Je me mets à lui dire que ce travail que nous faisons est son travail, pas le mien, et que s'il ne marche pas ce n'est pas le mien qui ne marche pas, mais le sien.

J'arrive alors à faire repartir une machine, puis moins d'une semaine après, un monsieur que je ne connaissais pas nous envoie un électricien qui la répare un peu sommairement, puis une semaine plus tard arrive un technicien qui la répare complètement ».

– « Vers l'âge de 10 ans, j'ai été atteint d'une grave maladie (peut-être le typhus) qui m'amena au bord du tombeau : je n'avais plus que la peau et les os. Le docteur m'avait condamné, mais la Madone voulait me sauver dans sa famille ; elle me ramena donc à la vie. Les gens qui me revoyaient croyaient voir un mort ressuscité. Qu'on pense ce qu'on voudra. Moi j'attribue tout à l'attention maternelle de Marie. Et effectivement, grâce à elle, je me trouve dans sa Congrégation que j'ai toujours tant aimée, malgré pas mal de grandes difficultés que j'ai rencontrées. A propos de ces difficultés, je dois ajouter à l'honneur de Marie, que bien des fois, surtout dans les premières années de ma vie religieuse, j'ai senti vraiment comme une caresse maternelle de sa part ; les difficultés disparaissaient comme par enchantement, et mon âme restait sous l'impression très douce de cette caresse intérieure ».

– « Décrire les interventions de Marie dans ma vie physique, spirituelle, religieuse ? Je suis un composé de ses grâces.

Un accident de route en 1961. Je sors de l'autostrade à 90 à l'heure dans l'impossibilité de freiner, et en direction d'un petit canal. Je devais me tuer, mais en fait je suis rentré sur l'autostrade toujours à la même vitesse ; la voiture s'est renversée, mais aucun mal : ni moi, ni la voiture. J'ai toujours dans la voiture un médaillon de la Madone, et je conduis en disant mon chapelet sur un dizainier scout ».

– « Ce sont les chapelets et les prières adressées souvent à la Madone qui m'ont obtenu la pleine victoire dans une occasion très dangereuse pour ma vertu, que je ne puis raconter ici. Je répète seulement ceci : La Madone s'est mobilisée pour moi (car j'agissais en bonne foi). Mon " non " décidé a reçu d'elle toute sa force et mes sens ont été comme frigorifiés ».

– « En 1940, nous avons imprimé un mois de Marie avec des chants et nous avons insisté sur la puissance de Marie, et nous lui avons demandé une aide financière. Deux fois mille livres sterling et quelques centaines nous sont arrivées presque miraculeusement. Et parmi les membres de la "sodalité " (sic) mariale, un bon nombre sont devenus Frères ou prêtres, y compris 2 évêques ».

– « Je me rends compte que je dois tout à l'intercession de N. Dame, par exemple ma persévérance, quand j'étais très tenté (il y a des années) de quitter la Congrégation, la guérison de ma mère lors d'une grave opération à 76 ans — et elle a vécu 10 ans de plus —, ma propre guérison d'une dépression nerveuse après la mort de mon jeune frère. Ceci parmi bien d'autres exemples.

Par-dessus tout je sens qu'elle m'aide maintenant dans la lutte de chaque jour pour éviter le découragement et pour continuer mes efforts jusqu'au bout. Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans elle ».

– « A 18 ans (fin de la guerre 1914-1918) je devais partir à la caserne … et au front, et je craignais de perdre ma vocation. Or, pendant mon noviciat j'avais lu : " Le Petit Frère de Marie qui confiera sa vocation à cette divine Mère ne la perdra jamais » (cf. A.L.S. p. 36). Je me suis dit que j'allais en faire l'expérience. Je composai une prière à la Ste. Vierge. Je la récitais matin et soir avec l'arrière-pensée de ne pas aller à la caserne… Le conseil de révision déclare : " Bon pour le service armé…". Je continuai à prier … et j'attendais ma feuille de route à L. … lorsque survint l'armistice du 11. 11.1918 … et je ne suis pas parti».

– « Pendant ma vie – qui n'est plus si courte — tout n'a pas été tout rose. J'ai dû passer par bien des adversités et des vicissitudes, braver même des bourrasques … mais, malgré les faiblesses, les manques de générosité, je me suis toujours " accroché " au manteau protecteur de Marie Immaculée en qui je dépose toute ma confiance, mes joies et tristesses, mes victoires et mes échecs. Marie n'est-elle pas notre Ressource Ordinaire ? ! ».

– « Je suis passé par des difficultés parfois bien amères, et toujours j'ai eu recours à celle que le Bx. M. Champagnat a si bien nommée : " Notre Ressource ordinaire " ; " Notre Première Supérieure ". Je la suppliais de m'aider. Et à la fin, les choses s'arrangeaient. Je continue toujours à recourir à la Vierge très sainte … Je suis grand ami du chapelet, mon arme spirituelle infaillible. J'en dis deux presque tous les jours ».

– « Je ne suis pas un ascète en perfection, ni un homme de prière, perdu en Dieu. Je remercie le Seigneur de m'avoir donné une confiance en la Bonne Mère, confiance qui m'a sauvé en plusieurs occasions. Depuis plusieurs années j'ai l'habitude d'invoquer la Ste Vierge spontanément … et dans la méditation avec les juvénistes ou dans les prières, je m'arrange toujours pour invoquer ou parler de la Ste Vierge ».

– « Chaque fois que j'en venais au bord du découragement, je rencontrais cette Mère aimante sur mon chemin et je ne pouvais m'empêcher de lui dire : " Si vous n'y mettez la main, je vais tout lâcher ", et chaque fois je retrouvais la paix en sentant dans mon âme l'encourageante réponse : " Penses-tu que je ne puisse te suffire, laisse faire les autres et compte sur moi ". C'est avec l'assurance de la protection de notre Ressource Ordinaire que j'ai accepté les différentes tâches qu'on m'a confiées et particulièrement celle de la direction du noviciat malgré mes répugnances, sachant très bien que je n'étais pas préparé pour ce travail ».

– « Les Frères Maristes m'ont communiqué une forte dévotion à Marie ; toute mon enfance, mon adolescence ont été baignées dans une atmosphère mariale.

Dans les plus durs moments de ma vie, dans les camps de prisonniers, dans mes heures de doute, de tentations de toutes sortes, son nom n'a jamais été loin de mes lèvres. C'est à elle, à ma mère, à ma sœur, deux saintes, que je dois d'être resté dans ma vocation malgré mon indignité».

– « Je suis très convaincu que la Vierge est la Grande Solution pour tout. Elle nous porte à aimer Jésus, à aimer notre vocation, à être contents, à ne pas nous décourager pour rien, à reconnaître nos faiblesses, nos limites, à aimer les autres…».

« Vers la fin de mon noviciat, c'était en août 1911, je me rendis dans la pénombre à la chapelle. Devant l'autel de ma Mère céleste je m'étendis de tout mon long devant Elle et d'un cœur fervent, mais simple et généreux, je la suppliai de m'accepter comme son enfant dans sa famille mariste. Là, dans la paix absolue, je l'adjurai d'accepter mon âme, mon corps, mon être entier ; c'était, en cette offrande simple et généreuse, le don total de mon être de me laisser mourir plutôt que de manquer à cet engagement… Par suite des études, des charges, des responsabilités, cette ferveur s'atténua… mais à l'occasion de retraites, toujours si bien venues, je renouvelais sincèrement cette. offrande initiale … Je peux affirmer, 65 ans plus tard, que cette bonne Mère a été ma principale sauvegarde, qu'elle m'a gardé de la main surtout aux occasions multiples qui se présentaient et où parfois la nature regimbait. J'ai l'idée d'avoir toujours été objet de protection».

– « Marie a été et est ma confidente habituelle dans tous les ennuis de la vie. Avec elle et par elle j'ai trouvé le remède à mes besoins spirituels ; les incompréhensions n'ont pas laissé de trace en moi ; je suis arrivé à tenir les élèves ; il ne me reste qu'à remercier Dieu d'avoir guidé ma vie avec une telle tendresse, à travers toutes les situations ».

– « J'ai l'idée d'avoir toujours été objet de protection spéciale de la part de la Ste Vierge, surtout depuis que je suis dans la Congrégation. C'est tout près de son sanctuaire de F. que je suis né. Je sens que je lui dois ma vocation et j'ai toujours eu pour elle beaucoup de dévotion. Et c'est grâce à cette dévotion que je dois aussi ma persévérance jusqu'à ce jour.

– « Aujourd'hui que j'approche de mes 80 ans, je puis dire devant Dieu et ma conscience que je reconnais avoir bénéficié d'une protection spéciale au cours de ma jeunesse d'abord ; je crois pouvoir ajouter à la gloire de Dieu et à celle de la Vierge que j'espère n'avoir jamais connu le péché mortel tout au cours de mon existence. Et j'ajoute que je n'ai jamais eu de véritable tentation contre ma vocation. Pourtant, je suis passé par de très grandes difficultés d'ordre administratif, mais le plus tragique m'a été évité, et l'amertume de la confusion m'a été bien adoucie ».

– « La Vierge, en ma vie, a représenté quelque chose de substantiel dans mon être mariste fondamental. Marie est ma ressource ordinaire, comme la respiration de mon âme, spécialement dans mes temps forts de prière et dans les situations difficiles de ma vie ».

– « Je puis assurer que Marie ne m'a jamais manqué : c'est elle qui m'inspirait dans mon travail et dans les conseils que j'avais à donner. J'ai consulté souvent les prédicateurs de nos retraites aux novices et aux postulants : ne valait-il pas mieux démissionner pour laisser la place à des Frères mieux préparés ? Chaque fois, je reçus la réponse : " Non. Continuez à vous laisser conduire par la Vierge, comme vous l'avez fait jusqu'à présent " ».

– « Je l'ai choisie pour en faire ma devise : " Étoile de vérité ". Elle m'a éclairé pour décider et poursuivre mes engagements apostoliques depuis ces 14 ans. Elle m'a soutenu dans la recherche constante du Christ. C'est sous son regard que je me suis donné à une étude et à un travail continuels, surmontant l'inconstance de mon caractère ».

– « La dévotion à Marie m'a donné profondeur dans la réflexion, dans la prière personnelle quotidienne, sérénité face aux difficultés et aux tentations ».

– «Dans une prison de 4 x 2m avec 15 compagnons, pendant la guerre sino-japonaise, en 1939. … Des spots lumineux braqués sur ma figure me font perdre la tête. Je pense : ils m'ont questionné sur tant de choses, demandé tant de précisions sur des événements jusqu'à mon enfance, et sur des parents et amis. S'ils me répètent les questions autrement et trouvent quelque chose qui ne correspond pas, y compris sur les affaires de la Congrégation ou de l'Eglise… Plus je pense, plus je prends peur. Plus j'ai peur, moins j'ose penser. Moins j'ose penser, moins je suis capable de ne pas penser. Vraie torture spirituelle. Je sue. Alors je me mets à prier en silence, demandant à Dieu et à Marie de me donner le courage… Cela me calme. Je puis dormir.

(On le soumet à un supplice qui consiste à faire boire de l'eau jusqu'à ce que le ventre en soit gonflé, puis à continuer à en faire avaler en exigeant une réponse. " Si vous n'avouez pas, nous recommencerons jusqu'à cent fois ". — " Faites ce que vous voulez ". Avec l'aide de Dieu et de Marie, je n'avais pas peur du tout.

Avant, pendant et après la torture, mon caractère timide avait été changé. Je répondais sans hésitation, ni peur, ni erreur.

De retour dans la prison, je fus félicité par mes compagnons : Tu as de la chance. Hier, il y a un prisonnier qui a subi le supplice qu'ils t'ont infligé ; mais il en est mort.

En 1940, je retrouve ma mère dans une situation très pénible, mais elle est optimiste et me dit : " Je t'ai offert à Marie. Dieu tout-puissant et Marie s'occuperont de moi si tu es fidèle à ta vocation ". Et une autre, fois : " Il faut suivre fidèlement ta vocation en dépensant toute ton énergie dans le travail apostolique des Frères, pour la plus grande gloire de Dieu et la propagation de la dévotion à Marie " ».

– «Je ne sais pas quelle est l'explication théologique … mais, dans une Institution ou une personne où Marie est présente, les choses vont bien, où elle est absente, les choses vont mal».

– «Avec des centaines d'hommes, j'ai travaillé pendant 18 ans à diverses constructions, sans le moindre accident. Je n'ai eu aucune difficulté dans mes relations avec ces hommes parfois un peu rustres. J'ai toujours attribué cela à la dévotion à Marie».

' 4) – MARIE, LIEU D'UNION AVEC DIEU.

Les témoignages qui suivent peuvent permettre d'apprécier jusqu'à quel point Marie a rayonné comme centre d'une vie. Est-elle devenue source d'aliénation ou, au mieux de " distraction ", empêchant le Frère d'aller au Christ — vrai centre et vrai fondement de sa conscience religieuse —, et par le Christ, à Dieu ? Ou bien la dévotion mariale a-t-elle' progressé de conserve avec une expérience christocentrique dont elle a été l'éducatrice, l'animatrice ?

Ce qui est certain c'est que les dons sont divers. Chacun a le sien qui s'incarne dans son tempérament. Nous avons constaté que Marie avait été lieu de rencontre avec Dieu. Dans certaines cultures ou situations, elle devient plutôt un centre ; mais en général, vraiment la pensée de Marie coïncide avec le sens de la présence de Dieu, avec la nuance que tantôt c'est elle qui conduit à Jésus ou tantôt Jésus qui conduit à elle, et cela de manière assez simultanée. Enfin dans quelques cas on sent vraiment qu'elle a eu un remarquable rôle pédagogique pour l'éducation d'une vie intérieure de plus en plus centrée sur Jésus et sur Dieu.

On peut dire que, sauf peut-être dans quelques cas, la présence de Marie a été une vraie source d'esprit religieux, et les vies intensément mariales ont été ou totalement des vies baignées d'Evangile ou des vies qui, en dépit de vicissitudes et de problèmes, étaient destinées à faire retour à Dieu à un moment ou l'autre.

4.a) – PHASE MARIALE UN PEU INDÉPENDANTE DU CHRIST.

— A une époque, Marie signifiait pour moi dévotions multiples : chapelet, scapulaire, médaille miraculeuse, N.D. du Perpétuel Secours, etc. … C'était alors dans le vent et Marie occupait vraiment le premier plan. En y repensant, je suppose qu'il y avait là une attitude d'enfant envers une mère qui pouvait tout, une attitude qui lui laissait tout faire, qui lui laissait l'initiative. Peu importe : c'était là mon attitude et elle me fait comprendre la foi simple que montraient tant de nos parents et grands-parents. Leur dépendance à l'égard de Marie était extraordinaire et enviable.

De façon discrète quoique réelle, depuis ma 6ième année, autant que je m'en souvienne, j'éprouvais un attrait bien défini vers la Vierge ; je me sentais gagné par un goût particulier pour les images de sa Conception Immaculée. J'aimais bien ses fêtes, ainsi que l'autel à Elle dédié dans l'église paroissiale et aussi une petite église dite «ermitage», également dédiée à la Ste Vierge, Notre-Dame de Lourdes, proche du village.

Au cours de mes années de formation, ma dévotion et mon amour envers Notre-Dame et notre Mère furent progressivement éclairés, purifiés, fortifiés. Puis, lors de mes années d'activité dans les écoles, c'est avec plaisir, avec un amour filial profond et aussi ambitieux pour faire aimer la Vierge par les élèves, que je me suis plu à rehausser – dans la mesure où cela dépendait de moi – la célébration de ses fêtes : neuvaines, ornementation de ses autels ou images, chants, pèlerinages, mois de Marie, catéchismes.

Je dois dire que durant les 20 premières années de ma vie religieuse, la Vierge Marie avait le plus grand rôle dans ma vie spirituelle, bien que très conscient de ma consécration à Dieu, Père et Seigneur. Pas d'écran marial, mais un intermédiaire plus saisissable, élevant vers Dieu. Depuis 10-12 ans je dois avouer que j'ai découvert » (avec l'Eglise d'ailleurs), le Dieu-Christ. Ainsi Jésus-Christ, mieux révélé par son Eglise ccs dernières années, a rapproché Dieu des consciences et de la vie des hommes et de moi-même. Ce qui fait que ma vie spirituelle actuellement repose – si je puis dire – plus aisément et, me semble-t-il, plus solidement sur la dévotion – préexistante – à la Vierge Marie et sur celle, mieux révélée et connue, de Dieu-Christ devenu plus proche.

L'irruption relativement récente ou plus forte, de Jésus Christ et de son Evangile dans la vie des chrétiens et des religieux a été positive pour moi ».

– « A travers ces difficultés journalières, – et malgré elles, ma pensée va toujours vers Marie qui a toujours été et est constamment ma force, mon soutien, mon réconfort. Elle me donne l'espérance et contribue à me tourner sans cesse vers son Fils Jésus, à la messe, à la prière, à mon travail et surtout, durant les tentations et les défaillances. C'est alors que je trouve le courage du repentir, le courage de m'humilier et d'essayer de vivre un peu plus en conformité avec sa vie ».

– « Il me semble que Marie tient une très grande place dans ma vie… Elle a pénétré dans mon existence et continue d'y pénétrer ; elle est présente dans mes actions quotidiennes et je pense que cela a commencé quand j'étais tout petit ».

– « Je pense que mes années les plus heureuses sont celles que j'ai passées à Rome, comme étudiant. J'ai essayé de vivre ces années dans une union intime et permanente avec Marie. Cela me remplissait d'une joie ineffable, indescriptible. Peut-être maintenant avec moins d'intensité, j'essaie quand même de conserver dans ma vie ce contact avec Marie ».

– « Chaque fois que l'occasion m'était donnée de rendre visite à ma famille, surtout pendant les grandes vacances, je partais de chez moi avec une bonne dose de " cafard " ayant dans ma pensée mes frères et sœurs fiancés ou nouvellement mariés, vivant heureux.

Dans le bateau du retour en communauté, la longueur du voyage aidant, je m'enfermais dans ma solitude ruminant un tas d'idées. Cependant j'essayais de donner une valeur surnaturelle à cette épreuve en égrenant mon chapelet et demandant à la Vierge de faire en sorte que cette épreuve soit une cause de consolation dans ma vocation. L'attachement solide à cette vocation actuellement, est dû sûrement à ce départ dans la vie religieuse, mûri par l'épreuve et soutenu par la Vierge ».

– « J'ai 50 ans. Avec l'évolution de l'âge, de l'expérience chrétienne, de la théologie, ma dévotion est toujours la même à l'égard de la Vierge, présente et proche de tout ce que je suis, de tout ce que je fais, de tous ceux avec qui j'ai des relations. C'est à peu près toujours en dialogue avec elle que se sont élaborées et que s'élaborent encore mes options d'engagement ou d'action, de conversion ou de fidélité, soit dans l'invocation soit dans la simple réflexion intérieure comme dans un dialogue avec une " présence " qui éclaire et conseille, qui encourage et accompagne dans le détail des situations d'une vie qui se déroule.

Je crois que c'est grâce à cette " présence proche " que, malgré les moments difficiles personnels ou de situation, j'ai toujours été heureux dans ma vocation, dans mon travail, dans mes communautés».

– « A la fin de notre postulat, un certain Père T., CSSR, nous a prêché une retraite. Très peu de son exposé me revient à l'esprit ; mais deux ou trois choses qu'il a dites de la Vierge sont restées ancrées dans ma mémoire. Entre autres choses : " Lorsque tout ira mal, lorsque vous ne verrez plus clair, accrochez-vous à la robe de la Vierge ! Tenez coûte que coûte ! Fermez les yeux et faites-lui pleine confiance. Une mère ne peut abandonner son fils ". Sachant peut-être que j'aurais plus besoin de ça que les autres Frères, je n'ai jamais oublié ces paroles. Je les ai mises en pratique tant et tant de fois. Je ne suis pas peut-être un mariste modèle, mais je suis encore mariste. Et pour ça, j'en remercie la Vierge à qui je dois d'être encore ici.

Certains de nos jeunes Frères (noirs) ont essayé de me faire croire que la nouvelle génération étant plus mûre, doit aller directement à Jésus. D'après eux, il ne faut pas trop intensifier la dévotion à Marie ; ça deviendrait de l'adoration !

Sans doute, c'est assez facile de réfuter leurs objections et je l'ai fait ; et j'espère avec assez de succès. Mais ce qui fait de la peine, c'est que peut-être ils ont reçu cette tournure d'esprit de certains de leurs Frères (maristes) aînés».

– « Le Laudetur ! Pour moi, c'est un cri de joie ; une source d'énergie joyeuse. Dans presque toutes nos communautés — sous divers prétextes, mais surtout parce que l'on ne veut plus de cloches ! — on a abandonné ce pieux cri matinal. Je me le répète donc à moi-même. Ça me donne un élan de vie dès que mes yeux s'ouvrent. J'irai même jusqu'à dire que c'est moins difficile de me lever lorsque je me répète cette belle prière de soumission à la volonté divine. Une belle prière de louange ! ».

– « Je n'arrive pas à m'expliquer. C'est quelque chose que je sais : elle est ma mère ; et je dis cela avec tout le sens que mon cœur peut mettre dans chacun de ces mots. Je ne peux pas mieux dire. Pour comprendre, Frère, il faut que vous la connaissiez comme mère ».

– « Chaque soir, avant d'aller à ma chambre, je vais à la chapelle, faire une prière spéciale à Notre-Dame. Je lui demande de prier pour moi et pour les gens qui entrent dans ma vie et dans mon travail quotidien. Je lui demande surtout de prier pour que je devienne plus semblable au Christ dans mes jugements, mes pensées, mes actes, mon amour. Je fais cela depuis des années et j'y ai rarement manqué. Aussi je vois Marie comme mère continuellement, en arrière-fond, veillant sur moi et sur ceux que j'aime, même quand je suis très occupé et que je n'ai pas le temps de leur consacrer la moindre pensée. Je la vois comme jouant un rôle essentiel dans ma vie mariste en m'apportant l'Esprit du Christ par sa prière, comme elle l'a fait pour lés Apôtres à la Pentecôte ».

4.b) – MARIE JAMAIS SÉPARÉE DE DIEU DANS LA VISION INTÉRIEURE DU FRÈRE.

Pour certains, le sens marial a toujours marché de pair avec le sens christologique.

– « Marie dans ma vie ! En y pensant je puis affirmer avec pleine conviction que sa personne a marqué mon christianisme et ma vocation christiano-mariste depuis 'l'enfance. Voir Marie avec Jésus, comme une mère aimante : depuis tout petit, j'ai trouvé cela le plus naturel du monde ; et je ne puis concevoir les choses autrement ».

– « Je puis dire que découvrant le Christ, d'une façon plus existentielle et plus vraie dans ma vie, et cela depuis trois ans, j'ai découvert aussi Marie et j'essaie aujourd'hui de vivre Marie, c'est-à-dire, être, comme elle, attentif à la Parole de Dieu, la garder dans mon cœur et la méditer tout au long des jours ; être à l'écoute des autres pour leur venir en aide ; vivre simplement et modestement comme Marie à Nazareth ».

– « Je vois à présent, la présence de Marie dans notre Institut, comme une collaboratrice du Christ qui travaille dans et par les Frères. C'est pourquoi, l'insistance de mettre le Christ au centre de ma vie mariste, je la vois aussi en admettant Marie qui collabore intimement avec le Christ dans ma vie mariste. De même toutes mes réponses au Christ ne sont qu'en termes de la présence de Marie collaboratrice. Dans cette nouvelle dimension, je refuse certaines pratiques qui voient en Marie une personne mise à part, c'est-à-dire une dévotion où Marie n'entre pas en relation de collaboration avec le Christ dans l'œuvre du salut à laquelle notre Institut est appelé à travailler ».

– « C'est à Marie que je dois, sans aucun doute, l'attrait et l'amour que je sens et j'ai senti, depuis l'enfance, pour Notre-Seigneur. Pas de doute : Marie nous conduit à Jésus ».

– « Quant à moi, je ne suis pas capable de séparer, dans ma pensée, le Christ et Marie. Si je parle au Seigneur ou me dirige vers lui, je parle aussi à Notre-Dame et je me dirige vers elle ».

« Quand je me sens seul, il me semble que je me rapproche de Marie, et, par elle, je demande à son fils de me pardonner ».

– « Je trouve que les scènes où Marie paraît dans l'Evangile, et les paroles qu'elle dit sont pour moi un sujet de méditation très attirant. Avec elle comme compagne, je trouve plus facile d'aimer Dieu, de voir Jésus comme elle le voyait ».

– « Marie a toujours été l'axe et le centre qui m'unissent à Dieu ».

– « La décision de dire oui à tant de choses qui lui coûtaient a eu comme résultat que Jésus est devenu présent. De même il deviendra présent en moi et autour de moi, si, comme Marie, j'accepte de dire oui ».

– « La fatigue m'obligea à suspendre mon enseignement à 70 ans. J'ai alors dirigé mes études religieuses vers le Ch. 8 de Lumen Gentium. En me documentant auprès de mariologues avertis : Laurentin, Serra, Peretti, Feuillet, j'ai tenté de cerner la doctrine mariale conciliaire : mon admiration et mon amour pour la Mère du Christ et de l'Eglise se sont accrus sensiblement : elle tient dans mon esprit et dans mon cœur la plus haute place après le Christ ».

– «Mon oraison quotidienne est avant tout un entretien avec Marie, et, par elle, avec Jésus».

4.c) – DANS D'AUTRES CAS ON TROUVE MARIE MENANT À JÉSUS OU JÉSUS MENANT À MARIE.

– « Mon engagement mariste me montre une voie originale de transmettre Jésus aux confrères avec lesquels je vis, aux collègues de travail et aux jeunes que je côtoie tous les jours. Je dois aimer comme Jésus a aimé. Aimer Jésus comme Marie l'a fait. Elle a laissé Jésus suivre la voie que lui traçait le Père, avec détachement. Elle a été humble et simple, esprit que voulait Marcellin Champagnat pour nous. … ».

– « A mesure que je devenais spirituellement plus mûr, j'ai mieux compris la personne de Jésus et comme la personne pleinement humaine qu'il était, et comme le Fils du Père. Cette compréhension profonde a créé une relation personnelle unique entre Jésus et moi. Je ne doute pas que ce soit par Marie que j'en suis venu à connaître Jésus. C'est son acceptation de son fils qui m'a amené à connaître Jésus comme mon sauveur personnel.

Comme c'est le cas dans notre propre compréhension de Marie, son rôle est de porter les hommes à son fils. Aussi actuellement je n'ai pas envers elle le même genre de vénération extérieure que j'avais avant ; mais sa présence n'en est pas moins sentie dans ma vie spirituelle. De même que je connais et j'éprouve la présence de Jésus dans ma vie, je connais et j'éprouve la présence de Marie. C'est peut-être quelque chose de silencieux ; ma reconnaissance silencieuse de sa place dans ma vie ».

– « Je trouve maintenant que je prie moins Marie, avec des prières précises, mais que j'essaie de prier, avec elle, Jésus son fils. Sa foi continuelle est un modèle qui parfois est la seule chose qui me maintient debout. Malgré mes péchés, je puis la prier, puisque, elle, l'immaculée, partage ma souffrance, mes misères. Les qualités de compassion et de générosité, ainsi que sa simplicité sont le charisme de Marie, et j'ai vu aussi ces qualités chez des religieux avec qui j'avais vécu ».

– « Dans ma vie spirituelle, je reconnais que la dévotion à Marie m'a amené à mieux connaître N. Seigneur et à l'aimer plus profondément. Elle m'a fait découvrir l'Esprit-Saint déjà avant Vatican II. Et de là, ma dévotion filiale envers le Père ».

– « Je suis entré dans la vie religieuse d'abord pour suivre le Christ. En particulier, je suis Mariste parce que j'essaie de le suivre à la façon dont le suivait Marie. Marie pour moi a été une très simple femme proche du réel qui a pris la vie avec grande joie et qui a connu la longue attente de l'appel de Dieu vers l'inconnu. Elle était vraiment " le Pauvre de Yahweh ", vivant entièrement dans la volonté de Dieu… Je crois que nous avons passé le temps de notre prière, trop à honorer Marie et pas assez à nous souvenir qu'elle est là nous aidant par sa présence à nous approcher de Dieu ».

– «Avec les années, ma confiance en Marie n'a fait que grandir. Aujourd'hui (j'ai 46 ans) je réalise parfaitement la vérité de cette parole du Père Champagnat : " Marie ne nous reçoit que pour nous donner à Jésus "…. La grande sensibilité dont la nature et la grâce m'ont gratifié m'a permis de reconnaître et d'apprécier les attentions et les délicatesses de la Vierge pour moi. Pour tout dire : elle m'a aimé et elle continue de m'aimer malgré mon extrême misère en tenant mon regard fixé sur son adorable Jésus. Tout comme Marie, vu que je me sens bien avec Jésus, je ne puis songer à m'en séparer ».

5) – MARIE MODÈLE.

On perçoit cette force de modèle dans trois directions :

a) Un groupe — le moins nombreux — à la manière traditionnelle mariste (Nazareth ; humilité, simplicité et modestie).

b) Un autre groupe voit Marie moins à la manière traditionnelle mariste qu'à la manière traditionnelle de l'Eglise.

c) Enfin un autre groupe part d'une situation existentielle plus théologique, et d'une certaine manière nouvelle, car elle oblige en effet à un dépassement des concepts traditionnels devant des situations en transformation.

5.a) – SENS TRADITIONNEL MARISTE.

– « Je ne suis pas le Frère Mariste que je voudrais être, je suis un Frère qui veut être comme Marie très sainte voudrait que nous soyons, comme le Bx. Fondateur a été et a voulu que nous soyons, comme quelques Frères avec qui j'ai vécu : modestes, humbles, dévoués aux autres ».

– « Je remercie de tout cœur Dieu qui a voulu me faire mûrir dans le même lieu où il a fait mûrir son fils : dans le " lieu " que nous nommons Nazareth avec la présence de Marie et Joseph et tout ce que cela suppose. Tout ce que le Fondateur, les Règles antérieures, les Constitutions actuelles évoquent en disant Nazareth, suppose pour moi l'expression la plus simple et à la fois la plus complète de notre esprit mariste ».

– «Personnellement je vois Marie comme modèle de consécration à Dieu, avec un oui (fiat) continuel à la volonté du Père, et modèle de don de soi aux hommes, pour moi, les élèves».

5.b) – SENS TRADITIONNEL DE L'EGLISE.

– « Ce que je pourrais appeler la grâce de ma vie religieuse, c'est d'avoir compris que le plus beau témoignage de " mariste " que je peux donner — c'est de m'efforcer de lui ressembler de cœur. Et d'abord dans sa discrétion et dans son attention aux autres. Et puis surtout dans sa constante recherche de l'aimante volonté de Dieu ».

– « Pour moi, Marie est la personne qui, devant Dieu ne sait que faire et se trouve les mains vides. Elle dit oui, elle laisse faire Dieu. Je commence à comprendre à la lumière de Marie, que, dans la mesure où je suis moins encombré, où je me trouve avec mon néant, mes mains vides, Dieu peut agir par moi, sur les personnes qui m'entourent».

– « Pour moi, Marie est un modèle de vie chrétienne que je crois le plus authentique et le plus uni à Dieu. J'essaie de réaliser cela dans ma vie religieuse et je me suis rendu compte que ce n'est pas facile, car accepter les changements, les responsabilités, les travaux que d'autres refusent, n'est pas agréable ».

– « Mon amour de Marie a trouvé sa plus fréquente expression dans l'essai que je fais de vivre à l'ombre de son engagement, en imitant son consentement à la volonté du Père et en mettant Jésus au monde en moi-même et dans les autres ».

– « Mon propre appel. dans cette vie, même s'il est tout différent du sien, en est finalement très voisin. Elle recevait tout, était ouverte à la présente totale du Verbe. Ceci est mon appel, et elle, elle est mon espérance. Elle est un modèle de l'amour auquel je vise, complètement non-possessif. J'ai expérimenté en petit des Annonciations, des Visitations, et même donné naissance au Verbe. Elle est avec moi à ce niveau profond ».

– « Chacune de mes journées commence avec la Vierge et se termine avec la Vierge. Pour moi, c'est sous le titre de " Mère du Bel Amour " que je l'invoque, que je la prie. Elle est ma Ressource Ordinaire, ou plutôt ma Ressource quotidienne. Elle est présente dans toutes mes prières. J'ai senti sa présence d'amour dans les crises de ma vie. Elle a été la gardienne de ma chasteté ».

– « Les besoins des jeunes de notre société aujourd'hui réclament une réponse dans le style de Marie. Nous, les membres de sa famille, consacrés par des vœux, nous devons courir à leur aide. Comme Marie (à la Visitation) nous pouvons aller à eux, portant Jésus en nous. L'eucharistie est la force sur laquelle nous comptons pour servir les autres. Nous oubliant nous-mêmes et pleins du Dieu d'Amour, nous embrassons ceux que Jésus nous envoie servir. Tout le renouveau de la théologie, de la sociologie, ou de la philosophie ne peut ajouter un degré de beauté au Commandement divin qui nous a été donné pour que notre service se fasse dans l'amour, comme faisait Marie ».

– J'ai découvert Marie il y a 2 ans, et depuis, Marie est vivante en moi. J'essaie de la rendre présente à nouveau, en la répétant dans ma vie, de la rendre présente par ma manière d'agir. D'elle j'ai appris à faire le bien sans bruit. Faire passer ma découverte à mes élèves : telle est la base de mon apostolat ».

5.e) – SENS PLUS EXISTENTIEL.

– « Ce qui me porte à aimer Marie et à cultiver sa dévotion, c'est sa disponibilité envers la volonté de Dieu. Dans les trois dernières années, j'ai dû éprouver dans ma propre chair combien il est dur de changer le rythme de vie. J'ai failli aller au fond. Heureusement l'exemple de Marie toujours disponible à la volonté du Seigneur m'a sauvé. Elle aussi a dû changer de rythme de vie ».

– « J'espère voir croître en moi cette attitude qui consiste à penser Marie très proche de moi aux moments difficiles de ma vie de Frère. Je pense que cela pourrait être le sens de " ressource ordinaire " – genre de compassion pour moi. Je ne pense pas que Marie soit quelqu'un à qui il faille recourir au moment du besoin – elle connaît vos besoins et les miens – mais je dois l'écouter parler. Je sais que cela semble un peu trop simple, mais pour moi ça marche. Je ne trouve pas Marie en privé (rosaire. Lourdes, Fatima) même si je vois que cela, a une valeur pour d'autres. Je vois plutôt Marie dans le contexte de l'Ecriture – où, pour moi, elle " vit " – comme quelqu'un qui apporte aux autres — comme quelqu'un qui est présent à la formation de la communauté messianique – comme quelqu'un qui est la semence qui donne cent pour un – comme quelqu'un qui est au cœur de la prière — comme quelqu'un que l'Esprit a béni, etc. … ».

– « Marie, pour moi, a cessé d'être une statue rigide, imposante, froide, comme elle l'était pendant des années. Aujourd'hui je l'ai découverte comme compagne de route. Elle a cessé d'être celle vers qui je me dirigeais chaque fois que j'avais une histoire, pour devenir une vraie amie avec laquelle je résous tous les genres d'expériences heureuses ou pénibles, enthousiastes ou décevantes. Elle a cessé d'être le reçu commode et pas compromettant pour devenir la personne qui me pousse en permanence vers l'aventure pleine de risques, à la recherche de la volonté divine. Elle a cessé d'être un objet auquel je fais une prière pour recevoir, et elle s'est transformée en quelqu'un que j'écoute et à qui je dis tout».

– « Aujourd'hui Marie m'apparaît si différente d'autrefois, si disponible au Seigneur et si attentive aux hommes que je ne vois pas de raison pour ne pas l'aimer et ne pas l'imiter en m'engageant».

– « Dans mon désir d'interpréter les signes des temps sur ma vie et la vie religieuse, je me demande comment agirait Marie dans telle ou telle situation. Le problème est que je n'ai pas assez de courage pour m'engager sur le chemin qui se découvre. C'est aussi la radicalité de l'Évangile. Et c'est ce courage et cette radicalité qu'il faut. Et c'est quand même à cause de cela, du Christ et de Marie, que je suis maintenant en mission … J'ai déjà mûri beaucoup comme personne, et mon amour a grandi pour le Christ et Marie ».

– « Marie est pour nous pèlerine dans la foi. Elle a engagé sa vie totalement à Dieu dans une situation où sa science des conséquences consistait seulement en confiance en Dieu. Elle est un vrai modèle pour moi de la confiance qu'il faut mettre en voyant combien il en est digne… Marie est celle qui écoute toujours et aime toujours. Je prie avec elle plus que je ne la prie. Le chemin le plus sûr vers le cœur d'une mère c'est se dévouer pour son fils. La personne de Marie est un modèle pour moi de la camaraderie et de l'amitié qui devraient caractériser nos relations avec nos élèves. Pour moi, les Frères ont toujours eu le charisme d'être très proches de leurs élèves, tout en étant authentiquement fermes. Je regarde cela comme un reflet marial ».

6) – MARIE ET ATMOSPHÈRE MARIALE.

Enfin il y a des témoignages assez généraux mais qui touchent les sommets : Marie envahit tout, de telle sorte que dans le même témoignage on la trouve mère, inspiratrice, modèle. Elle est le milieu dans lequel est présent le Verbe. En transformant le sens du psaume on pourrait dire : Dans ta lumière nous verrons la lumière.

– «Pour moi, la Vierge a représenté une mère avec qui je parle de tout en pleine confiance, le modèle que j'essaie d'imiter, mon étoile sur le chemin où je suis le Christ. La Vierge est, en grande partie, le pourquoi de ma vocation. Elle me donne la force dans mes difficultés, m'encourage dans mes échecs, stimule ma fidélité pour accomplir les exigences de ma consécration religieuse ».

– «Marie me dit quelque chose seulement quand je la vois face à la parole de Dieu : elle est celle qui est pleinement attentive à la parole et surtout oriente la vie totalement vers cette parole, jusqu'à devenir elle-même une Parole du Dieu vivant».

– « Comme une vie mariale est avant tout une vie théologale, en vivant mon idéal je m'applique à imiter Marie dans la pratique des trois vertus théologales, sans oublier la vertu d'humilité qui est la base de toute vie religieuse sérieuse et que j'essaie de pratiquer ».

– « Mon amour pour Marie s'est très simplifié ; il reste une admiration joyeuse et reconnaissante de ce qu'elle est et de la façon dont elle a aimé le Christ ; je la félicite pour sa chance, je lui dis merci pour sa fidélité à Jésus et me découvre " béni " en elle, aimé par Dieu en elle ; c'est pourquoi je dis souvent à Dieu : " Merci d'avoir aimé Marie comme tu l'as aimée ". Ma prière exprime habituellement cela »[3].

F – MARIE PROTECTRICE DE L'INSTITUT

Dans cette section je donnerai des témoignages fragmentaires et des témoignages intégraux. 

1) – TÉMOIGNAGES FRAGMENTAIRES.

Certaines réponses sont catégoriques :

– « Je suis convaincu que la reprise de la dévotion à la Madone dans l'esprit de l'Eglise et de notre Fondateur est le moyen sûr de renaissance de notre Institut ».

– « Je tiens pour certain que la Congrégation, sans une dévotion vivante et agissante à la Très Sainte Vierge, restera dépouillée d'une de ses principales caractéristiques ; profondément appauvrie, et subissant les conséquences d'un état d'orpheline spirituelle ».

– « Notre dévotion mariale est quelque chose d'intégral et d'essentiel à notre vocation et doit être maintenue. N'importe quel Frère Mariste aurait été rassuré et réconforté par la force et l'uniformité de ce sentiment ».

D'autres font davantage la liaison entre la vie fraternelle à l'intérieur de l'Institut et la présence maternelle de Marie :

– « J'envisage l'avenir dans la confiance en celle qui a tout fait chez nous, selon la tradition du Bx. Fondateur. Je crois en cette Congrégation et en son pouvoir de revivre, de recommencer un cycle vital avec re-naissance et croissance, parce que je crois en l'amour que les Frères Maristes ont les uns pour les autres. C'est là le secret de la survie, la vertu la plus chère au P. Champagnat, parce qu'elle est et reste celle du Christ lui-même. Et je crois fermement qu'avec la renaissance mariale, la Congrégation est sur le point de retrouver une conscience de notre commune mère, de notre sens. fraternel, et que va émerger une vie communautaire qui sera vraiment humaine, parce que d'abord vraiment évangélique, vraiment de Nazareth ».

– « Il m'a paru parfois étrange que les Maristes n'aient pas, pour leur dévotion à Marie, quelque titre spécial comme tant d'autres ordres religieux, et que nous trouvions ça tout naturel. Mais notre voie semble être une voie très simple, comme celle des relations toutes naturelles à l'intérieur d'une famille. Il me semble aussi que la dévotion des Maristes à Marie est une des choses qui ont été les moins secouées parmi les transformations actuelles, quand les gens ont vu avec consternation la disparition d'un certain nombre de dévotions et de pratiques mariales. Cela m'amène à penser que notre Fondateur nous a donné avec Marie une relation enracinée dans les plus vieilles traditions et qui n'a pas eu besoin de réajustement ou de réforme ».

D'autres témoignages font davantage allusion au rôle du Fondateur :

– « Le Père Fondateur m'a attiré. Je me suis rendu compte qu'aujourd'hui le monde a besoin de Marie, mais d'une autre façon, en incarnant Marie dans notre vie. Et c'est tout un changement ».

– « Quand j'ai fait ma profession, je me suis dit : " Ou tu te mets en quatre pour rendre vivante la figure de Marcellin aujourd'hui, ou tu perds ton temps ". Je me suis intéressé à la vie du Fondateur et j'ai compris ce qu'il était pour ses Frères : quelqu'un qui leur donnait Jésus continuellement ».

– « D'abord, Marie continue d'être quelque chose comme ce qu'elle a été aussi loin que je me souvienne : symbole maternel, surtout celle qui me protège nuit et jour – " sous le regard de Marie ". De plus je pense à elle comme à celle qui a inspiré le Père Champagnat et qui continue de protéger l'Institut qu'il a fondé. Il me semble que je continue à penser en termes de " un véritable enfant de Marie ne peut périr ". La prière – apprise au juvénat qui résume mon attitude théologale est : " Esprit-Saint, daignez me former avec Marie et en Marie • selon le modèle de notre divin Jésus ". Mon " sentiment " envers Marie est l'abandon complet de l'enfant envers une mère aimante :- " sicut ablactatus est super matre sua " ». 

2) – TÉMOIGNAGES INTÉGRAUX.

J'ajoute ici des témoignages cités plus longuement à cause de leur importance.

« Marie a tout fait chez nous » : cette constatation que nous avons lue dans la section E des témoignages, concernant la vie personnelle des Frères, nous pouvons la reprendre comme valable au niveau de l'Institut.

C'était le mot qui venait fréquemment aux lèvres du Père Champagnat et des premiers Frères dans une reconnaissance admirative, quand ils considéraient la disproportion entre les moyens employés et les résultats obtenus.

Aujourd'hui en plusieurs endroits de notre Institut cette disproportion et cette reconnaissance sont aussi éloquents qu'hier.

Je donnerai ci-après le témoignage d'un Provincial, puis celui d'un co-responsable de noviciat. Ensuite j'ai choisi deux témoignages des Philippines parce qu'il s'agit là d'un secteur où les Frères sont engagés de façon assez exceptionnelle au service de l'évangélisation et de l'éducation. Lors de ma visite j’ai été édifié et consolé de les voir à l’œuvre. De ces deux témoignages des Philippines le premier situera surtout la dévotion mariale de ce pays et l'autre révélera à quel point Marie a tout fait pour les Frères Maristes.

2.1) – TÉMOIGNAGE D'UN FRÈRE PROVINCIAL.

Quand j'ai été nommé Provincial j'ai consacré à Marie les Frères et toutes les œuvres de la Province, et l'avenir de cette Province. Je me sentais très peu capable de remplir ce rôle, mais je sentais que si Marie y prenait une part active, tout irait bien — car cette Province était la sienne, ces Frères étaient les siens et elle nous protégerait.

J'ai aussi pris la résolution de parler d'elle, de faire des conférences sur elle, et de profiter de toutes les occasions pour la faire honorer parmi les Frères et dans toute la Province.

En retour, je sens très fortement que des miracles de grâce ont eu lieu dans toute la Province. J'ai trouvé que quand je devais parler aux Frères qui avaient de graves problèmes comme l'alcoolisme ou des problèmes psychologiques profonds, je cherchais l'aide de Notre Mère dans la prière, spécialement le Souvenez-vous », et quelquefois avec une facilité stupéfiante, ces Frères s'ouvraient au conseil que je leur donnais. Ils demandaient d'être aidés à résoudre leurs problèmes, alors que je m'attendais à un refus d'accepter des suggestions, alors qu'on m'avait dit qu'ils étaient endurcis dans leur situation, qu'ils ne voulaient même pas convenir de leur état. Oui, pour tous, Notre Mère venait à leur secours et attendrissait leur cœur.

Parfois j'étais ému jusqu'aux larmes en voyant une conversion évidente se faire sous mes yeux ; je savais que la puissance de Marie et son intercession étaient là à l'action.

Chaque jour j'ai récité (et je récite encore) une très ancienne et très charmante consécration à Marie que notre Bx. Fondateur disait chaque jour au séminaire. Dans cette prière, on rappelle à Marie que rien de bon n'arrivera si elle ne vient pas à notre secours ; et comme je la récite chaque jour, je sais par expérience vécue que Marie peut remuer puissamment les cœurs et être très véritablement protectrice de ses Frères. Si nous voulions seulement recourir à elle avec un abandon d'enfant, des miracles surgiraient sous nos yeux.

2.2) – LE TÉMOIGNAGE D'UN RESPONSABLE DE NOVICIAT.

– « Ma dévotion à Marie remonte au foyer et à l'influence que ma mère avait sur nous. Nous allions nous coucher en disant notre chapelet, et si nous ne le finissions pas, " nos anges gardiens le finiraient… ". Nous avions un autel du mois de mai fidèlement chaque année, et nous disions le chapelet pendant ce mois — ceci avait été inspiré par les Sœurs de l'école primaire, mais aussi encouragé à la maison. Comme des gosses, nous riions beaucoup pendant ces rosaires, mais, d'une manière ou d'une autre, quelque idée de l'importance de Marie passait.

Je grandis et entrai chez les Frères Maristes où je fus entouré par la dévotion mariale, et, à cause de tout l'entraînement que j'avais, je n'y trouvai rien ni d'étrange, ni d'idolâtre.

Avec les années post-conciliaires, je dois dire . qu'une bonne part de ma dévotion mariale (et celle des Frères en général) est passée sous terre. Mais je sens que le temps est maintenant venu de la ramener à la surface. Comme vous je pense qu'une circulaire sur Marie est à propos. Ce qui m'en convainc, ce sont les 3 ans que j'ai passés comme codirecteur des novices. Pendant des années, j'ai suivi pas mal de cours, et j'ai dû laisser s'insinuer en moi des tas de sophismes : « On ne dit plus ça, on ne fait plus ça », « Les théologiens disent… », « Les exégètes lisent maintenant ce texte comme suit ». Et patati, et patata. Même les Frères qui voyaient cela avec mépris ont dû payer leur écot à ce courant. On met en question sa propre piété : est-elle authentique, ou est-elle une pure superstition ? Qu'on dise ce qu'on veut dans une chaire académique. Mais, pour reprendre un mot connu, on ne fait pas de cérémonies dans un terrier ; et quand on est chargé du noviciat on est dans un terrier : on doit s'occuper du cœur, de la vie, de la vocation. C'est un travail délicat et vital … comme celui du chirurgien qui opérerait à cœur ouvert 24 heures par jour. Il ne s'agit pas de s'amuser.

Quand j'ai vu que c'était là mon « job », je me suis mis sous la protection spéciale de Marie. Plus tard, la même année, est mort Frère X, un vieil ami et un saint homme. Comme il voyait peu, il ne disait jamais l'office, mais il disait le chapelet comme prière. Le Frère Provincial m'a donné son chapelet — véritable marque d'honneur. Je m'en sers depuis 4 ans maintenant, matin et soir, pour demander la grâce de bien faire ce travail — pour que les novices profitent au maximum de leur année.

Ceux qui me connaissent savent qu'une de mes habitudes quotidiennes c'est de faire 5 ou 6 kilomètres de course tous les matins – c'est sacré ! Mais ils ne savent pas que je me lève demi-heure plus tôt pour dire mon chapelet pour les novices, avant cette course. Et ce qu'ils ne savent pas non plus c'est que Marie est mon arme secrète comme elle était ressource ordinaire pour le Fondateur.

Quand un novice est en difficulté, quand tous les moyens humains ont échoué, je le confie à Marie. Et le plus surprenant c'est que ça marche. J'ai honte de dire que ma foi est seulement du type terrier de renard, seulement de recours à l'ultime moyen, à l'arme secrète, mais ça été le début d'une nouvelle confiance en Marie et un nouveau désir de lui redonner sa place dans notre vie.

J'ai eu le privilège d'aider à prêcher la retraite à quelques-uns de nos Frères, à Pâques, et même le grand honneur de parler de Marie aux vénérables cheveux gris assis en face de moi. Ils n'avaient pas besoin d'être convaincus, mais, d'avoir à leur parler m'inspirait les paroles et les pensées qu'il fallait :

Nous portons le nom de Marie ; personne ne parle d'elle ces jours-ci ; n'est-ce pas notre tâche de l'annoncer à cette génération ? ».

Nous avons récemment parlé de Marie dans notre vie, ici au noviciat. C'est triste de voir monter une génération qui vraiment n'a pas entendu parler de Marie, qui ne sait vraiment pas quelle est sa place. Et nous, les gens d'âge moyen, nous tâchons en trébuchant de donner une explication. Je vois donc le premier effort vers une circulaire basé sur un partage de foi. Je voudrais voir les Frères assez libérés pour partager en communauté leur foi en Jésus et Marie. Je pense que nous avons peur qu'on se moque de nous, mais nous oublions que Dieu s'occupe de nous individuellement et que la foi n'est pas une chose dont on doive se moquer.

Je prie pour que les années qui viennent et les efforts que nous y faisons puissent nous rapprocher de cette foi simple qui était la foi de Marie et qui a communiqué une foi semblable au Fondateur : les racines en sont encore vivantes parmi nous, mais elles sont ensevelies sous des couches de doute et de sophismes.

Continuons à prier Tout à Jésus par Marie, Tout à Marie pour Jésus.

2.3) – SITUATION MARIALE AUX PHILIPPINES.

On voit dans cette région du monde une grande expression publique de la dévotion à Marie, tous les mercredis, spécialement le soir quand a lieu la neuvaine à N.D. du Perpétuel Secours. Cette dévotion traditionnelle des Philippines amène des millions de gens à la messe le soir. qui forme une partie de la neuvaine. Dans des écoles comme Marbel, Kidapawan, Dadiangas, les étudiants réagissent exceptionnellement bien et les églises sont aussi bondées qu'à la messe du dimanche.

Il y a un lien très fort entre les écoles, et c'est leur titre : Notre-Dame. Ce lien a servi à unir les diverses congrégations de telle sorte qu'il n'y a pas entre elles des jalousies mesquines. Les maîtres laïcs sont considérés comme une partie intégrale de la famille, car ils travaillent dans les « Notre-Dame ». Il y a 85 de ces Notre-Dame » qui vont de l'école élémentaire à l'Université. Elles sont fréquentées par 40.957 élèves : chrétiens, musulmans ou païens qui sont assis sur les mêmes bancs.

L'hymne de l'école dans ces institutions est le même : Notre-Dame, notre Mère. Il termine toute cérémonie qui a lieu dans un «Notre-Dame». Le moment par excellence est peut-être la remise des diplômes lorsque les étudiants et leurs parents se joignent pour honorer Notre-Dame, notre Mère.

La plupart des congrégations qui enseignent dans les «Notre-Dame» ont une grande dévotion à Marie. Les écoles dirigées seulement par des laïcs imitent ce qu'elles voient dans celles qui sont dirigées par des religieux. Il y a une perspective commune à travers laquelle tous les directeurs semblent envisager leur tâche, et c'est que la dévotion à Marie fasse partie intégralement de toutes les écoles «Notre-Dame».

Notre propre dévotion à la Sainte Vierge nous nourrit dans les efforts que nous faisons pour être au service des écoles. En tant que Mariste, j'ai le désir de servir Notre-Dame d'une manière particulière et que trouverais-je de mieux que d'aider les écoles «Notre-Dame» à réaliser leurs buts et objectifs fondamentaux ?

C'est ce dernier point qui nous a amenés à faire porter nos efforts en grande partie vers le renouveau spirituel ou le progrès spirituel des maîtres. Tout au long de la semaine, des retraites-séminaires envisagent non seulement des thèmes spirituels, mais aussi des aspects professionnels de notre vie d'éducateurs. En voici quelques-uns : La prière et sa place dans la vie quotidienne, Vatican II et l'éducation catholique ; Lire et méditer l'Ecriture ; Les valeurs chrétiennes à l'intérieur des disciplines scolaires ; Sens et place de la liturgie dans la vie de l'école ; Cultiver la dévotion à Marie.

Il y a des religieux et des maîtres laïcs qui participent à ces retraites-séminaires et se font ensuite l'écho de ce qu'ils y ont appris. Notre objectif ici est d'établir une forte communauté chrétienne, où chaque faculté donnerait un témoignage quotidien aux étudiants.

Je pense qu'il y a beaucoup à faire pour améliorer les écoles, mais je pense que le travail a été facilité à cause des Notre-Dame. Notre propre dévotion s'est renforcée à cause de cette relation et il est certain que cela a nourri le zèle avec lequel nous essayons d'entreprendre nos travaux. Notre décision est que ce petit coup d’œil sur l’œuvre des Frères ici aux Philippines, puisse servir à inspirer une légitime fierté de notre héritage, à d'autres Frères.

2.4) – L'HISTOIRE MARIALE MARISTE AUX PHILIPPINES.

A la fin d'environ 30 ans dans cette mission je peux en toute vérité dire que, sans l'aide de Marie, nous n'y serions pas aujourd'hui.

Quand on pense aux années passées et à tous les obstacles qu'il a fallu franchir, on ne peut s'empêcher de dire : «Merci, Marie».

Combien les Frères étaient zélés en voyant que Marie était connue et aimée par leurs élèves ; en voyant qu'on récitait tous les jours le chapelet dans les classes, que le catéchisme du vendredi sur la Sainte Vierge n'était pas oublié, que ses fêtes étaient dignement célébrées, que le mois du rosaire était très bien fait. Ce n'était pas étonnant si elle veillait sur nous, réparait nos erreurs, guidait nos décisions, malgré nos bévues et nos imprudences.

Comment expliquer cette croissance, le succès de nos écoles, autrement qu'en l'attribuant à l'intercession de Marie ? Je crois qu'il y aura de graves ennuis dans la vice-Province si cette dévotion vient à manquer.

Je pense à beaucoup d'affaires où l'aide de Marie a été évidente. En voici quelques-unes.

L'idée de prendre cette mission en 1948 n'a pas été reçue avec enthousiasme par tous les Frères aux USA, et même des Supérieurs s'y sont opposés. Le groupe de laïcs, d'anciens élèves et de parents qui se sont proposés pour recueillir l'argent n'ont pas été encouragés par les autorités, mais malgré cela ils sont arrivés à trouver 500.000 dollars, ce qui nous a aidés à construire la plupart de nos écoles et nous a permis une implantation à Cotobato. Si des laïcs sont arrivés tout seuls à nous procurer cette aide, ce ne peut être sans qu'il y ait eu une inspiration de la Sainte Vierge.

En 1948, notre maison a été cambriolée. On nous a tout pris excepté les vêtements. Les 2.000 dollars que nous avions apportés pour démarrer s'étaient envolés. Plus rien. Mais trois semaines plus tard nous arrivait un chèque de 1.000 dollars de la part de Mgr Swint, de Wheeling (Virginia West). Marie s'occupait encore de nous.

En 1957, Rome nous dit d'ouvrir notre noviciat et de cesser d'envoyer nos aspirants étudier aux USA. Mais comment ? Où prendre l'argent pour acheter le terrain et construire le bâtiment ? Marie écoute nos prières. On nous avertit qu'un certain M. Broce, planteur espagnol, pouvait nous donner le terrain si nous le contactions. Nous joignons un aéroport près de chez lui, à quelque 600 km de Cotabato. Nous empruntons une voiture aux «Christian Brothers» et nous faisons les 100 km qui nous séparent de son domicile. Il n'y était pas. Temps perdu ? Sa femme nous dit que nous pourrions le trouver en reprenant la même route, car il allait arriver lui aussi de ce côté-là. Nous repartons donc en écarquillant bien les yeux. Vers 18 heures nous voyons effectivement sa voiture. Nous klaxonnons. Il s'arrête. Poignée de mains. Il nous demande ce que nous voulons. En mauvais espagnol nous lui expliquons. Et là, sur la route, au crépuscule, il nous fait don de 20 hectares pour construire le noviciat. Qui est-ce qui voudrait une preuve plus convaincante de l'aide de Marie ?

En 1958, nous sommes obligés de déplacer notre école à Dadiangas, parce que notre terrain appartenait à l'église et que l'église en avait besoin. Nous cherchons un terrain. Le moins cher revenait à 80.000 pesos pour 4 hectares. Marie une fois de plus allait nous donner un coup de main par l'intermédiaire d'un ami du conseil municipal. Celui-ci découvrit une résolution votée en 1938 et jamais révoquée, qui permettait à une église ou à une école d'acheter du terrain à 5 centimes le m2. De la sorte, nous pouvions acheter une magnifique propriété à Dadiangas pour 2.000 pesos au lieu de 80.000. Il y avait quelqu'un de notre côté.

Ces 4 exemples sont pour moi une claire indication de la sollicitude que Marie continuait d'avoir pour les Maristes des Philippines.

Personnellement, elle m'a aidé de bien des manières. Ma persévérance, ma santé, ma disponibilité à accepter les échecs sont son œuvre. Je crois en son invisible présence ici, à sa gentillesse et à sa compréhension.

Il m'a été difficile d'écrire cette lettre. Je l'ai fait seulement parce que vous me l'avez demandé et parce que je crois fermement que, sans cette dévotion à Marie, l'Institut déclinera sans rémission.

G — QUELQUES «APPROCHES» DE MARIE.

J'aimerais dans cette section retrouver quels ont été les «lieux» familiers dans lesquels les Frères ont pu demeurer plus proches de Marie ou la trouver avec plus de facilité et de profondeur.

Sans doute chaque époque a sa culture, ses événements religieux, ses grâces particulières, et il me semble que de ce côté-là nos Frères ont reçu largement ces influences. Les uns se sont tournés vers la vénération de la Virginité de Marie, d'autres vers la consécration intégrale à Marie (particulièrement selon Grignion de Montfort) et enfin, ces derniers temps, vers la spiritualité mariale des Focolarini. Et il est curieux de voir que cette dernière formule attire aussi bien des septuagénaires que des jeunes ; ce qui voudrait dire qu'elle a quelque chose très en harmonie avec l'âme de notre Institut. Je parlerai plus loin d'une seconde série de «lieux» marials. 

1 – VIRGINITÉ DE MARIE.

Certainement, beaucoup de Frères ont été marqués par la vénération de Marie Immaculée, car il y avait là les résonances de la médaille miraculeuse, de la proclamation du dogme, puis des apparitions de Lourdes. Mais les témoignages y ,font peu allusion, alors que pourtant les invocations à Marie Immaculée étaient très présentes dans les prières et que la Règle soulignait le devoir d'honorer particulièrement ce privilège.

On peut dire que la Virginité l'emporte, même si là-dessus non plus les témoignages n'abondent pas. Vierge est en effet comme un troisième nom après Marie et Mère de Dieu. Et même c'était peut-être bien le plus répandu : on parlait de la «Sainte Vierge», on s'adressait à elle, comme à la «Vierge», ou à la «Vierge Marie». Et tout ce qui la concernait se trouvait condensé dans ces mots.

Par ailleurs c'est dans un contexte moralisant qu'était transmise la vision de la chasteté et du sexe, et on donnait sur ce point une formation très pauvre. On n'en parlait pratiquement pas et on proposait un idéal très exigeant qui même laissait penser que la chasteté parfaite était une chose acquise qu'il fallait seulement conserver soigneusement. On comprend alors combien il était naturel de s'arrêter devant ce modèle merveilleux qu'était Marie, unissant la virginité, la fécondité et l'amour le plus profond, le plus universel et le plus tendre. Elle devenait celle qu'on imite et celle à qui on s'adresse pour dépasser les vicissitudes, les difficultés, la pénible montée de l'évolution psychologique et spirituelle, les accrocs de l'âge mûr, etc. … Elle pouvait conduire une vie qui par la virginité se consacre au Royaume, mais qui n'en demeure pas moins et sexuée et richement douée pour la paternité et pour un amour de complémentarité.

Sans doute se taisait-on là-dessus et laissait-on chacun éprouver sa nature avec perplexité, et croire particulier à lui-même ce qui est la situation normale d'un homme de bonne volonté.

Cet état de choses, ce recours à Marie Vierge, nous l'avons vu assez amplement dans la section des témoignages sur la vocation. Nous ajoutons ici seulement un fait qui concerne la défense de la virginité de Marie.

«Pendant la guerre civile espagnole, un sergent se mit un jour à lire tout fort un article d'une revue qui attaquait la virginité de Marie. J'invoque alors Marie : "Ma mère, aide-moi" et je lui arrache la revue et lui dis : " C'est un tissu de mensonges et de calomnies contre la Vierge. Qui es-tu ?". Il me répond : " Un paysan ". – " Eh bien, vois, il y a des choses que tu ne comprends pas en agriculture ; c'est la même eau qui arrose les plantes ; on leur met le même fumier, et pourtant il y en a qui sont douces et d'autres amères, il y en a qui ont telle couleur, les autres une autre couleur. Et toi homme animal, tu comprendras encore moins les choses de la religion". Il devient alors furieux et me dit : " Tu es un curé ". – " Non, je suis catholique, disposé à défendre la religion devant n'importe qui ". – " Si tu avais dit ça avant (on était vers la fin de la guerre) et que nous ayons été seuls, je te tuais ".

Un lieutenant communiste me dit : " Nous savons que tu es Frère, mais tu te comportes bien avec les miliciens les plus humbles, et les plus délaissés, et maintenant tu t'es révélé si courageux que nous les officiers nous avons promis de te défendre contre ce sergent… ". Et ils ont accompli leur promesse… Et la Vierge que j'avais défendue m'a visiblement protégé ».

2 – CONSÉCRATION MARIALE (SELON GRIGNION DE MONTFORT).

Beaucoup plus nombreux sont ceux qui disent avoir trouvé avec Marie leur contact vital dans la consécration. Il s'agissait d'un acte ou engagement qui prenait tout l'être et toute la vie, et qui se fondait sur une spiritualité et une motivation très solides non seulement pour l'époque, mais aussi, au moins dans plusieurs de ses aspects, pour notre temps.

Cette consécration, ou don total de soi, à Marie, était en somme une orientation vers Marie pour Jésus, qui est profondément en harmonie avec l'intuition du Père Champagnat et avec notre devise : «Tout à Jésus par Marie, tout à Marie pour Jésus». Elle vise à rejoindre l'action de l'Esprit-Saint qui fait croître le Verbe en nous (christification) en proportion de la densité de présence mariale dans une vie et de l'abandon du cœur entre les mains de Marie pour être éduqué et conduit par elle.

Peut-être aujourd'hui le progrès des études bibliques amènerait-il à s'exprimer autrement, mais la consécration montfortaine renferme une vérité profonde et son résultat peut se juger aux faits. Voici quelques-uns de ceux-ci :

– « Après avoir émis le vœu de stabilité à 40 ans, j'en suis venu à me demander si ma vie religieuse avait du sens. J'ai pris un directeur spirituel, je suis entré dans les voies tracées par Grignion de Montfort dans son livre sur la Vraie Dévotion. Maintenant Marie est une présence continuelle dans ma vie, tant dans les moments de peine – que de joie. C'est en donnant à Marie ses droits de mère que nous pouvons nous considérer comme ses fils ».

– « La découverte du trésor que constitue la dévotion mariale me fut d'abord manifestée dès mes années de juvénat par l'étude du catéchisme marial, commenté soigneusement par le professeur et le Frère Maître. Mais ce n'est que 20 ans après que je fus vraiment emballé pour la cause mariale, à l'occasion de la lecture et de l'étude du traité du Bx. de Montfort, et autres ouvrages ou revues sur le même sujet.

Depuis, c'est-à-dire pendant environ 40 ans, mon enthousiasme s'est maintenu : je tâche de vivre la fameuse consécration du Bx. de Montfort, et ne passe guère de jours sans m'acquitter du chapelet, de la couronne montfortaine, et autres menues pratiques, auxquelles je pourrais ajouter la lecture des publications mariales qui font toujours mes délices. Inutile d'ajouter que j'attribue à la protection de ma bonne Mère du Ciel une multitude de faveurs précieuses, inestimables, et que je compte sur elle pour obtenir la persévérance finale ».

– « Vers ma 30ièmeannée il s'est produit un grand revirement. Je me suis procuré un exemplaire du livre de Grignion de Montfort. Je l'ai lu et médité pendant une année entière. Je fus frappé de la similitude de cette dévotion avec celle du Bx. Père Champagnat. L'essentiel traite de l'esclavage envers Marie.

Comme j'avais mûrement réfléchi, j'ai cru que c'était une affaire pour moi. Pour toute assurance, lors de la retraite annuelle, je consultai le Frère Assistant, et il m'a encouragé dans cette voie.

J'ai fait cette consécration d'esclavage à la Ste Vierge … il y a 55 ans. Cette consécration a eu une grande répercussion au cours de ma vie. Elle m'a donné une si grande confiance en la Providence, en la protection de Marie, que jamais je ne me suis dégagé le moins du monde de l'engagement pris, et jamais je n'ai eu la moindre tentation sérieuse au sujet de ma vocation mariste… Que jamais, dans les circonstances difficiles où je me suis trouvé, je n'ai perdu ni la tête, ni la bonne humeur. Quelques-uns m'appellent l'éternel optimiste. Que ma vie s'est écoulée de la meilleure façon qu'on puisse souhaiter en ce monde ».

– « J'étais à la guerre et elle allait vers sa fin. J'avais abandonné toute pratique religieuse et vivais sans m'occuper des commandements de Dieu. La guerre terminée, je rentrai dans la Congrégation à laquelle j'appartenais depuis des années. Je fis à la retraite de 1946 une confession générale, le premier pas de retour vers Dieu ; suivit bientôt le deuxième : la consécration à la Ste Vierge selon la méthode de St Grignion de Montfort et dans l'esprit du Bx. Champagnat. Peu à peu la lumière revint dans mon esprit presque complètement assombri. La consécration à la Ste Vierge devint de plus en plus l'âme de mon retour. Je la renouvelais fréquemment avec la confiance qu'un serviteur de Marie ne périra jamais. Les mille petits et les quelques grands pas du long chemin de retour furent faits à la main de la Mère ».

– « Au noviciat je fus initié à la " Vraie Dévotion à Marie " selon Grignion de Montfort. … Cette dévotion me prenait parce qu'elle me semblait incorporer toutes les autres et aussi parce qu'elle semblait une application parfaite de la devise du P. Champagnat : " Tout à Jésus par Marie ". Après avoir bien réfléchi, et sans subir aucune pression, j'ai donc fait cet acte et je ne l'ai jamais révoqué. Quand je regarde en arrière, je ne puis dire que j'ai été très héroïque. C'est facile d'être héroïque quand il s'agit des valeurs et des biens de l'autre vie dont on n'a pas l'expérience. Mais cependant l'Esclavage de Marie est toujours présent à ma vie, et plus on le pratique généreusement, plus notre vie est agréable à Dieu et sanctifiante pour nous ».

– Un autre Frère a connu d'abord la consécration selon G. de Montfort. Puis « quand je suis entré chez les Frères Maristes, l'amour réciproque entre la Vierge et moi a grandi rapidement ».

– « Je me suis consacré par un acte du type monfortain. J'ai tout donné et tout reçu. La générosité de cette consécration m'a soutenu dans les moments de crise, dans le découragement qui venait de ma faiblesse ou des confrères ».

Ajoutons aussi qu'il y a eu d'autres formes de consécration qui ont eu spirituellement d'heureux effets. Le témoignage qui suit, par exemple, ne fait pas référence à la doctrine de Montfort, mais à une forme voisine de consécration qui n'a pas connu une aussi importante diffusion.

– « Ce fut pour moi le salut. Je m'y accrochai à mesure que les difficultés frappaient à la porte. Surtout la crise des 40 ans. Plus j'avais de difficultés, plus Marie prenait pour moi tout son sens. Et puis à un certain moment l'Esprit-Saint et la personne du Christ entrèrent dans ma vie avec une séduction et une force que je n'avais jamais expérimentées ».

Cette consécration, constamment répétée m'a formé à la cohérence, à la parole donnée, à l'honnêteté de vie dans mes rapports avec Dieu, nonobstant les misères humaines et plus que toute autre chose ; et j'ai touché du doigt combien est vraie la doctrine du Fondateur à cet égard, à savoir que le chemin le plus court pour aller à Jésus et à Dieu c'est Marie».

3) – LE MOUVEMENT FOCOLARINI.

Le mouvement Focolarini, né pendant la dernière guerre, trouve un large écho dans les témoignages, et, en effet, non seulement il fait référence au rôle de Marie, mais il provoque une renaissance mariale parmi nous.

Ce n'est pas le cas ici d'expliquer en quoi consiste ce mouvement – les témoignages d'ailleurs le feront assez bien comprendre – mais d'attirer l'attention sur un fait. A première vue, il semblerait devoir poser un problème pour la spiritualité d'un Institut dont les membres s'enthousiasment pour une autre spiritualité, mais il n'en est rien. Je puis apporter mon propre témoignage, car je connais les Focolarini depuis 16 ans, par un contact vital et permanent.

Evidemment j'ai pu entendre des Frères craindre qu'il n'y ait là une aliénation et un détachement affectif de la congrégation chez ceux d'entre nous qui sont attirés par ce mouvement. Mais la connaissance que j'ai des Frères me permet de dire que lé mouvement Focolarini produit chez un nombre croissant de Frères Maristes un très grand bien : non seulement ces Frères se sentent de plus en plus maristes, de plus en plus proches du Fondateur, mais en outre il se produit en eux toute une renaissance de ferveur, d'esprit de charité, de souplesse pour accepter la volonté du Seigneur, et surtout une nouvelle manière de voir ou de vivre Marie. Et cette renaissance dépasse cultures, âges et pays. C'est un phénomène qu'on ne saurait traiter par le dédain[4].

 La connaissance du mouvement Focolarini que j'essaie de vivre avec d'autres religieux, précisément parce que là, Marie est tout, m'amène à redécouvrir le Fondateur en même temps que je me confirme dans ma vocation ».

Il y a 5 ans que j'ai fait connaissance avec le mouvement Focolarini. Je peux dire que ça été une grâce extraordinaire de Dieu. J'ai fini par voir clairement ce que voulait dire : imiter Marie. Plus encore : être Marie en ne faisant pas de la peine aux autres, en souriant toujours, en étant toujours au service des autres, en sachant se taire, écouter, conserver une chose dans son cœur sans demander à Dieu des explications ».

– «Je ne crois pas que Marie a eu pour moi, pendant de longues années, une grande signification pour ma vie religieuse. Je l'aimais bien et je l'honorais. Mais elle n'était pas ma Ressource Ordinaire ; elle n'était pas pour moi la Parole de Dieu vécue. Jusqu'au jour où Marie m'a pris au mot…

Je suis venu en contact avec un mouvement évangélique, qui directement a pris un grand ascendant sur moi. Tout m'attirait dans ce mouvement : le nom (Œuvre de Marie), les réunions annuelles (Mariapolis), les vertus de Marie dans ses adhérents : l'imitation de Marie, vivre la parole de l'Evangile, comme Marie. C'est surtout cette vie évangélique, comme Marie l'a vécue, qui m'a pris entièrement et qui depuis ne m'a pas lâché.

J'y voyais la solution à tous mes problèmes de vocation mariste. Dans nos réunions à nous, on n'avait trop souvent élaboré que structures sur structures, sans tenir beaucoup compte de la vraie vie, qui doit précéder toute structure. On construisait parfois des bâtiments sans âme, alors que la vraie vie se trouve tout entière dans l'Esprit, l'Evangile, le Christ lui-même en somme, puisque le Christ est tout entier présent dans chaque parole de l'Evangile comme Il est présent dans chaque parcelle d'Hostie».

– «La spiritualité des Focolarini revitalise et approfondit la dévotion à Marie. … Une de mes préoccupations est de trouver dans l'Evangile la – ou les – Parole capable de synthétiser tout notre esprit mariste…

A la suite d'une Mariapolis, nous avons écrit des phrases d'Evangile susceptibles d'être tout un programme de vie… Je proposai : «Prends avec toi l'Enfant et sa Mère » (Mt 2, 13). Cette parole évangélique prit place auprès de centaines d'autres. Elles seraient distribuées à la fête qui aurait lieu à la réunion du soir avec laquelle s'achevait la rencontre. J'allais récupérer un des sacs qui avaient servi au transport de papiers contenant les Paroles de Vie. On avait oublié de prendre les papiers de ce sac… Avec l'aide de camarades, je me suis mis à les distribuer en me réservant le dernier… sur ce dernier papier j'ai pu lire : "Prends l'enfant et sa Mère"

Plus tard tout près de la châsse de notre Fondateur je compris le rapprochement de notre devise inscrite sur la châsse de notre Fondateur : " Tout à Jésus par Marie. Tout à Marie pour Jésus ", avec celle de " Prends l'Enfant et sa Mère " … Mon désir c'est que cette Parole : " Prends l'Enfant et sa Mère " devienne la devise de tous les Frères ».

– « Au moment où je souffrais le plus de la solitude, la Vierge s'arrangea pour désorganiser une réunion programmée et m'emmener à une retraite chez les Focolarini. Et c'est là que jaillit la lumière et surtout la force pour faire face à l'avenir. Ce furent alors des mois difficiles, mais la persévérance de Marie à mes côtés eut raison de mon désespoir».

4) – LE CHAPELET.

Il y a une autre série de lieux marials qui est constituée par ce qu'on peut appeler les pratiques.

Et ce sont peut-être uniquement des pratiques, en effet pour un certain nombre. Mais les témoignages montrent que, pour d'autres, il serait absurde de les appeler seulement pratiques, car ces formes de prières sont devenues pour eux une atmosphère, un lieu où Marie leur donne rendez-vous et où ils vont avec une joie et une spontanéité qu'on ne pourrait nier sans être sectaire. Une fois de plus est juste le mot de Claudel : laisser dire au réel ce que le réel veut dire[5].

 Le premier de ces lieux a été le chapelet. Jusqu'à il y a vingt ans, je doute fort qu'il y ait eu dans l'Institut — mise à part l'eucharistie — quelque chose qui ait marqué plus profondément la vie et développé plus intensément l'union à Dieu.

Et il s'agit là d'un de ces «lieux» aux cent visages qui évoque consolation, conversion, fidélité, courage, etc. …

– « La dévotion à Marie a eu une place à part dans ma vie spirituelle, et, parmi les dévotions à Marie, il y a celle du chapelet que j'ai apprise à la maison. Etant malade j'ai récité jusqu'à 17 chapelets en un jour. J'ai une affection pour cette prière ».

– «Tous les jours, une heure avant le lever je fais une visite à Jésus et à Marie ; ce sont pour moi des moments de paradis. C'est pour moi un moyen d'expier les imprudences, les fautes et les misères de ma vie. Je contemple la statue de Marie et cela m'amène à désirer la voir bientôt au ciel. Je récite tous les jours au moins 6 chapelets».

– «Si j'ai passé à travers les difficultés de l'âge des crises, je le dois à Marie que j'ai toujours priée avec confiance et, depuis 1954, j'ai pris l'habitude de réciter 3 chapelets tous les jours pour obtenir de ma mère du ciel mon pardon, mon salut et les grâces dont j'ai besoin».

– «Pendant 16 mois je suis resté dans une maison de cure. Je recevais de temps en temps la visite d'un Frère. Solitude terrible. Je ne pouvais quitter le lit. La Ste Vierge a été ma compagne la plus assidue et celle qui M'a apporté le plus de joie. Je disais le chapelet sans interruption. C'était mon occupation favorite pendant les longs moments d'insomnie. Sans l'aide de la Ste Vierge j'aurais difficilement pu supporter cette longue épreuve loin de mes Frères et dans une ambiance où la plupart des malades étaient des obsédés qui vivaient des problèmes familiaux dans un état de mortel désespoir».

– «Le rosaire est depuis longtemps mon aide, mon livre évangélique, ma nourriture des beaux et des tristes jours, opérant miraculeusement à l'intérieur et au dehors. Sans doute est-ce pour l'avoir tellement expérimenté que j'ai pu le faire aimer et désirer des enfants et des grands jeunes, en l'animant avec foi et amour ».

– «Lors d'un mois de Marie, j'ai pris la résolution de dire 3 chapelets, de faire de fréquentes visites au S. Sacrement et de pratiquer quelques mortifications. J'y ai réussi malgré les difficultés rencontrées.

Et j'ai senti une telle paix et une telle joie que cela me semble impossible pour le jeune de 15 ans que j'étais alors.

Alors se sont éveillés en moi un si grand sens du service et un tel soin pour les choses de la maison que cela ne semblait vraiment pas de mon âge.

J'offris à la Vierge ma vocation, je lui demandai de ne pas laisser éteindre mon envie d'être missionnaire et de ne pas me laisser tomber dans le péché. Je me joignis à d'autres compagnons pour réciter le chapelet et visiter le S. Sacrement. Marie sera toujours pour moi la première après Jésus. Je l'ai toujours vue ainsi et je désire la voir toujours ainsi».

– «Pendant 3 ans de prison, jugements, condamnation, travaux forcés, vexations de toute sorte, faim et incommodités, je dois confesser, que malgré tout, mon esprit s'est maintenu à flot, grâce au rosaire quotidien et à beaucoup de prières à Marie».

– « En 1937, je me suis rendu compte un jour que je devenais tiède ; alors j'ai pris la résolution de dire le rosaire entier tous les jours pour m'améliorer. Je le fais encore aujourd'hui plus ou moins bien. Et c'est à cette pratique que j'attribue d'avoir une vie pacifiée».

– «Dans les heures difficiles, la méditation des mystères du rosaire m'a toujours donné grande force».

– «Pour moi la dévotion à Marie, je l'ai reçue de ma mère ; le chapelet chez moi se récitait avec de nombreuses intentions tous les jours en famille. Après mes études primaires, je suis resté quatre ans à travailler à l'étranger, mon chapelet m'a sui- vi ; dans ma 18' année, j'avais à choisir l'armée ou le Juvénat. Au Noviciat à 20 ans, mes convictions se raffermirent. En 1965 j'étais terrassé par une encéphalite. Huit mois d'hôpital et 150 jours au sérum antibiotique. Maux de tête, ma vue très affectée ; on m'enlève un poumon, je suis à moitié perdu ; une seule chose me reste : mon chapelet, ma seule consolation, je le récite plusieurs fois le jour et la nuit. Marie m'a aidé, m'a consolé dans mes moments sombres. Ma dévotion à Marie était ma seule prière, celle qui me revenait toujours à la mémoire. Comment oublier celle qui m'a protégé si longtemps et qui reste encore la consolation des affligés ?».

– «Les plus grandes grâces, ou même si l'on veut, les miracles, je les dois au chapelet, soit en classe, soit en communauté, soit en privé ; et aussi, lors d'une retraite, à une adoration du S. Sacrement. C'est pendant cette retraite que j'ai pu me libérer d'un avilissement moral qui a duré plus d'un an».

-«Même aujourd'hui, rien que de toucher mon chapelet suffit pour apaiser mes passions et calmer ma chair. Merci Notre-Dame !».

– «Le chapelet quotidien que je m'oblige à égrener tous les jours avant le repos de la nuit, les bras en croix, en souvenir des souffrances de Notre-Dame, me transforme et m'oblige à tout considérer sous un éclairage marial, si je puis m'exprimer de la sorte. C'est ce qui me permet, semble-t-il, de dépasser de rudes épreuves d'ordre moral, épreuves telles qu'il y a quelques années, je n'aurais pu les endurer sans "casser". Puisse Notre-Dame me valoir la force de tenir, de rester gai et détendu malgré une tension psychologique incroyable, supportée depuis maintenant 3 ans et de façon presque continue.

Je m'arrête là et peux dire que, parti d'un niveau sans profondeur, c'est-à-dire infantile, mon amour, avec les années est devenu plus pénétré de respect et de tendresse, et capable de sacrifices coûteux».

Même si je crois profondément à la possibilité d'un renouveau du chapelet — et à cet égard il est très facile aujourd'hui de trouver, dans toutes les

langues, des suggestions pour cette rénovation que Paul VI appelle «pieux exercices tirant leur inspiration du Rosaire» (Marialis Cultus n. 51) — je trouve judicieuse aussi l'indication du pape, dans ce même Marialis Cultus (55) : «Nous voudrions recommander qu'en diffusant une dévotion aussi salutaire, on … ne la présente pas avec un exclusivisme inopportun : le rosaire est une prière excellente au regard de laquelle le fidèle doit pourtant se sentir sereinement libre, invité à le réciter, en toute quiétude, par sa beauté intrinsèque».

Et à cet égard, je cite ce témoignage qui évoque assez cc qui s'est fait dans plusieurs communautés et devrait se faire partout.

– « Je suis revenu dans une école où j'ai enseigné pendant six ans. On m'a demandé d'être animateur communautaire. Après entente avec la communauté, nous avons remis en honneur les exercices communautaires, lesquels ne se faisaient plus. J'ai profité de la circonstance pour rendre plus fervente, plus animée la récitation du chapelet et de l'office. Nous avons souligné toutes les fêtes mariales, ainsi que les mois du Rosaire et de Marie. J'ai aussi lu en lecture spirituelle le document marial. Une lecture mariale hebdomadaire est également au programme».

Voici enfin le témoignage d'un éducateur qui a été Frère, et qui donne un point de vue intéressant :

«J'ai quitté la Congrégation il y a 20 ans, sur le conseil que m'en ont donné d'ailleurs les Supérieurs eux-mêmes.

Je suis actuellement directeur d'une école secondaire, dont la clientèle des petites classes (plutôt locale) est assez souvent d'un milieu peu chrétien, mais dont la clientèle des grandes classes au contraire appartient à des familles nettement chrétiennes.

J'avais suffisamment puisé chez les Frères Maristes la dévotion au chapelet pour maintenir cette forme de prière qui, de la 10ième à la Terminale, est récitée par tous, tous les jours, ainsi qu'une petite consécration à Marie.

Il me semble en effet que Marie a suffisamment insisté sur le chapelet dans toutes ses apparitions pour qu'on soit fidèle à cette «prière des pauvres» sur laquelle Paul VI est revenu d'ailleurs dans Marialis Cultus.

Je vois tous les jours que mon école se trouve dans une situation où les problèmes graves la feraient facilement chavirer, mais elle va de l'avant : je ne puis moins faire que de voir là la main de Marie.

Je ne dirai pas que le chapelet est dit avec enthousiasme, mais il est bien dit. Beaucoup d'élèves portent un chapelet sur eux. Certains continuent à le dire pendant les vacances. Quelques-uns des petits arrivent à en faire dire un peu dans leur famille.

La communauté des professeurs récite le chapelet avec les élèves, car nous procédons de la façon suivante. Un jour de la semaine, le chapelet est récité par toute l'école ensemble (quelque 300 élèves). Les autres jours, on dit deux dizaines le matin à la rentrée, une dizaine au début de l'après-midi, une autre dizaine est dite au début d'un cours, dans chaque classe, et les élèves sont invités à dire la 5ièmeen leur particulier »[6]

5) – MOIS DE MARIE.

Avec le mois de Marie on a l'évocation de deux lieux de rencontre mariale : la célébration des fêtes mariales, très marquée dans les Règles et qui comportait vraiment toute une atmosphère de famille, et par ailleurs le mois de Marie et le catéchisme marial.

Il y a eu là un aspect de joie et un aspect de grâce, et un véhicule dont les Frères se sont servi pour transmettre ce qui débordait de leur cœur. On a dit que le bien tend par nature à se répandre et que la charité tend par nature à circuler. C'est vraiment le cas dans ces témoignages à double effet : enrichir sa propre vie spirituelle et la communiquer aux autres.

– «Dans notre collège, depuis toujours nous faisons le "mois de Marie", où prennent part tous les élèves, catholiques et orthodoxes. Les courtes allocutions sont faites soit par les Frères, soit par les professeurs catholiques ou orthodoxes, soit même par les élèves. La sœur d'un ancien élève, mort d'un cancer, arrive au Collège avec un bouquet de fleurs. "Mon Frère, je vous apporte ces fleurs de la part de mon frère pour la Vierge. Chaque année, au mois de mai, mon frère venait à l'école apporter à la Mère de Dieu un bouquet. Cette année la mort l'en a empêché. Alors j'ai apporté ce bouquet à sa place" ».

– «Il y a près de mon village natal un sanctuaire dédié à Marie, sous le vocable de N.D. de L., où au temps de ma jeunesse c'était une habitude, que chaque dimanche du mois de mai trois ou quatre paroisses des environs se rendent en pèlerinage.

Ce lieu de pèlerinage à la Vierge a été et demeure encore centre spirituel de toute la région… Ma paroisse a de 350 à 400 habitants et au cours des années 1930-1940, nous étions plus de 20 au service de Dieu, dont 3 Frères Maristes. Nul doute que l'appel a été entendu aux pieds de N.D. de L., soit au cours d'un pèlerinage solitaire, soit dans le recueillement et la prière… ».

– «Ça été toujours pour moi une grande joie lorsque mes anciens élèves m'ont écrit ou dit de vive voix que ce qui les avait beaucoup impressionnés c'était de voir le zèle des Frères à leur inculquer une grande dévotion à la Vierge. Et toujours ils faisaient mention de deux choses surtout : le catéchisme du samedi et le mois de Marie qui se faisait tous les jours dans toutes les classes. J'ai connu des protestants, des hindouistes et des Chinois païens qui pendant le mois de Marie apportaient des fleurs pour orner l'autel de la Vierge qui se trouvait dans chaque classe. C'est mon expérience de 26 ans de séjour aux Seychelles…».

– «En 1903, à Porto-Alegre. 3 Frères ont participé aux premiers pas d'une nouvelle section du Collège Anchieta, dirigé par les Jésuites. Il y avait peu d'élèves, et d'une grande ignorance religieuse.

Habitué à faire en Europe le mois de Marie, avec les élèves, je décidai de le faire aussi dans mon nouveau pays.

Un tableau de l'Immaculée bien placé contre le mur, et des vases de fleurs en avant. Les élèves furent surpris, mais personne ne protesta. Le Père Recteur alla trouver Fr. Weibert notre Supérieur : Figurez-vous que F. X. a mis un autel dans la classe. Nous ne sommes pas en Europe. Sûrement, cela va éloigner les élèves, si opposés à la pratique religieuse.

Un élève de Fr. Weibert, voulant voir ce qu'il en est, entre dans ma classe, voit l'autel et dit : "Que c'est beau !". Il va trouver son professeur et lui dit : "Il y a un très bel autel dans la 1ière classe. Est-ce que vous allez en faire un aussi ?".

Et les élèves, au lieu de diminuer allèrent tellement en augmentant qu'il fallut bientôt dédoubler la 1ière classe».

6) – AUTRES PRIÈRES.

On a pu noter çà et là, dans les témoignages précédents, l'importance qu'a eue une prière comme le Souvenez-vous. Voici un témoignage où l'on verra que ce n'était pas seulement une «pratique».

Dans la visite au St Sacrement que faisait la communauté, on disait la prière de St Bernard à la Ste Vierge, on faisait un instant de silence pendant lequel on demandait une grâce. Moi, je demandais toujours la grâce de «persévérer dans ma vocation et de devenir saint. Maintenant qu'il n'y a plus l'occasion de cette prière à laquelle j'attribue une partie de ma persévérance, je la fais rarement».

II – APOTRES DE MARIE.

1) – UNE MISSION.

Il est une réalité qui était universelle jusqu'à ces deux dernières décades : le Frère Mariste était vraiment apôtre de Marie et par Marie. Aujourd'hui on ne peut plus dire que ce soit vrai pour tous les Frères Maristes, mais enfin c'est encore très net pour un grand nombre d'entre eux.

– «Je ne désire rien pour moi, tout pour elle. Je me suis consacré à son service, pour faire vivre aux autres sa présence, son amour».

– «Je me suis mis depuis 4 ans à faire des recherches pour aider les enfants à mieux connaître et à mieux aimer la Vierge.

D'autant plus que cette dévotion à Marie est une vie pour moi. Or pour transmettre une vie il faut d'abord la vivre, autrement c'est du pharisaïsme».

– «Puis, enfin, ce fut la réalisation de mon grand rêve : l'éducation chrétienne des enfants. Leur faire connaître et aimer la Ste Vierge. En éducation, ce fut toujours le premier de mes soucis. Mon catéchisme marial hebdomadaire était ma plus grande consolation. Inutile de dire que le chapelet quotidien, les mois du Rosaire et de Marie étaient à l'honneur dans ma classe. En un mot, je n'ai rien négligé pour que la Ste Vierge soit connue et honorée. Je pourrais citer ici de nombreux témoignages d'anciens élèves. L'autre jour, j'encourageais un enfant de 10 ans à bien faire le mois de Marie. Je lui dis : " Tu sais, la Ste Vierge, elle t'aime beaucoup ". L'enfant me regarda avec de grands yeux étonnés et me répondit : " C'est vrai ? " – " Aussi vrai que tu es devant moi ". Il me sourit, tout heureux d'apprendre cette heureuse nouvelle. Il me dit encore : " La Sainte Vierge doit nous entendre parler d'Elle, en ce moment ". – " Bien sûr " ».

Il ne faut pas croire cependant que tout est simple et que le succès est assuré :

– «Je me suis donné de la peine pour stimuler les Frères, et, par eux, les maîtres laïcs. J'ai préparé des mois de Marie, des catéchismes pour le primaire, des schémas de célébrations pour les fêtes mariales. Je me suis basé sur Vatican II et sur des travaux déjà faits par de bons catéchistes. Je demandais qu'on me signale les défauts, qu'on les adapte du point de vue pédagogique. Rien à faire.

Même les invitations à prier ensemble parfois, le chapelet (avec les formes adaptées si on voulait) n'ont pas eu de résultat. … Je vous demande, Fr. Supérieur Général, de faire en sorte de ré-alphabétiser et conscientiser les Frères là-dessus, avec toutes les améliorations qu'il faut aujourd'hui, car pour moi c'est essentiel. Que l'on rétablisse quelque chose de valable, sinon en quoi consiste l'esprit de l'Institut des Frères Maristes ? ».

– «Il y a pas mal de temps déjà que je pense constamment à une chose : faire un travail de catéchèse mariale : comment présenter Marie comme exemple et modèle de vie chrétienne selon les divers points d'un programme de catéchèse, et comme centre fondamental de cette source de catéchèse appelée : Vie de l'Eglise ».

– «Je demandai à ma Mère du Ciel de me fournir l'occasion pour une étude plus complète de ses grandeurs. Sa réponse ne se fit pas attendre. Nommé professeur au scolasticat pour Sciences et Mathématiques, j'eus . aussi à remplacer le Frère chargé de la mariologie. Et ainsi pendant 14 ans j'eus à assurer un cours hebdomadaire réparti sur les 3 ans du Scolasticat».

– «Maria Santissima dans ma vie spirituelle est un être très important ; je saisis toutes les occasions de la prier, de parler d'elle, d'expliquer ce qu'elle est pour moi, dans l'Eglise, pour Dieu et pour nous Chrétiens, et quel est le genre de vie et de prière qui lui plaisent. Jamais je n'ai plaint ma peine pour répondre à une invitation dans ce sens, afin de lui témoigner combien je lui dois et combien je lui suis reconnaissant».

– «Dans ma vie d'éducateur j'ai toujours tâché d'inculquer la dévotion à Marie. Dans ma communauté, je m'efforce de consacrer, avec les confrères, un jour spécial et une étude annuelle sur la Vierge Mère».

– «Je me suis efforcé d'inculquer la dévotion à Marie et celle aux âmes du purgatoire, à mon millier d'anciens élèves, dont je garde les noms et le souvenir, et pour lesquels je prie tous les jours, ainsi que pour leurs parents et enfants, sans oublier de le leur dire à l'occasion».

– «J'ai fait tous mes efforts pour parler de Marie aux élèves depuis 25 ans, par le catéchisme du samedi et le mois de Marie, sentant qu'en bien des cas j'ai donné paix et idéal à des jeunes pleins d'inquiétudes et de problèmes de foi et de morale.

J'ai aussi constaté comment la spiritualité mariale baisse chez les adultes, spécialement chez les couples d'une certaine culture chrétienne. Depuis 3 ans, chargé d'animer des " équipes du Rosaire " formés de 15 couples chacune, j'ai pu vérifier comment autour de Marie on peut aborder et faire franchir toutes les difficultés dans la formation chrétienne et familiale des parents et des enfants et comment insensiblement on apprécie la prière, les sacrements et l'apostolat dans tous les milieux et comment on cherche une spiritualité de la famille et un engagement pour l'Eglise».

– «Encore aujourd'hui, je fais toujours un catéchisme marial par semaine. Et les élèves aiment cela aussi bien les petits que les grands. Aux grands il faut donner une doctrine solide, mais aussi des exemples vivants ; et alors ils s'intéressent».

Je sens une gratitude sans limites pour Marie. Jamais je ne l'aimerai assez. J'ai vibré avec le Congrès Marial de l'Année Sainte et maintenant plus que jamais, je suis en train de devenir apôtre de Marie, répandant sa dévotion, la faisant connaître et aimer ».

2) – UNE JOIE.

Non seulement l'apostolat marial était senti comme une mission, mais comme une joie.

– «Marie est entrée d'une façon définitive – j'espère – dans ma vie ; c'est elle qui m'a conduit par le calvaire, la croix, à une nouvelle résurrection. J'ai dû perdre petit à petit ma petite personne égoïste, qui avait bien peur de souffrir, et de mourir à tant de choses. Je dois de plus en plus devenir le grain de blé qui meurt, pour faire germer une nouvelle vie en moi-même et chez les autres.

Pratiquement aucune leçon de catéchisme ne se passe sans que je parle d'elle. Le mois de Marie est vécu d'une façon particulière et inaccoutumée. Chaque jour l'école se réunit autour de la chapelle de l'école. Chaque classe prépare " sa visite ", à son tour de rendre hommage à la Vierge. Nous avons pris comme thème de ce mois cette parole de vie de l'Evangile, qui résume la vie de Marie et de Jésus : " Voici la servante du Seigneur ". Tous les élèves s'efforcent de la vivre. Tous les jours les élèves d'une classe racontent à côté de la chapelle, comme ils ont imité la Vierge ; comme ils ont vécu donc cette parole de l'Evangile. Ils le font sans prétention, sans fausse honte. Et l'exemple fait tache d'huile… Ce n'est pas une dévotion doucereuse, mais réelle, évangélique, que les jeunes d'aujourd'hui apprécient. Ils veulent laisser vivre le Christ en eux, en un mot, vivre comme chrétiens.

Il me paraît que c'est par là que devrait commencer notre renouveau. Vivre de nouveau comme Marie ; laisser vivre le Christ en nous, en vivant à chaque instant une parole du Christ ; c'est-à-dire à laisser vivre le Christ en nous. Il n'y aurait plus de problèmes de structures ; la vie chrétienne en Marie ferait bien susciter de nouvelles structures ».

– «Peut-être la plus grande joie de ma vie (et aussi le plus grand élan, la plus grande exigence par rapport aux autres, quand je pense à ce que je dois faire pour eux), c'est de voir comment le Seigneur s'est servi de moi comme instrument pour aider les autres à grandir.

Je vois ceux que le Seigneur m'a confiés, je les vois grandir, mûrir en chrétiens et en religieux, et répondre, et choisir Dieu. Et cela me fait sentir la Vierge tout près, elle qui conservait tout (ce qui concernait Jésus) pour le méditer dans son cœur».

– «C'est pour moi une satisfaction de vair que mes élèves reçoivent avec enthousiasme le message marial et accomplissent avec goût les pratiques de dévotion en l'honneur de la Reine du Ciel».

– «Pour moi, mon catéchisme du samedi, le mois de mai sont une satisfaction. J'ai pris intérêt à faire aimer Marie par mes élèves».

– «Ma dévotion à Marie a été et est : travailler à rendre amoureux de notre Mère les élèves et anciens élèves, les parents et les amis, par la parole et l'exemple».

– «Il n'y a pas grand-chose que vous pouvez dire quantitativement sur Marie, mais ce peu est l'essentiel : ce sont les attitudes fondamentales des chrétiens envers le Christ, envers le Père et envers les hommes. Je regrette de n'avoir pas encore trouvé le langage pour parler de Marie aux enfants. Il y a une chose que je veux chercher : comment transmettre l'esprit mariste dans la vie de chaque jour à l'école ? Y a-t-il une éducation mariste distinctive : humilité, simplicité, modestie, esprit de famille ? Je crois que oui et je voudrais bien trouver comment y conduire».

– «Comme directeur, pendant 13 ans, je me suis toujours réservé les causeries sur la Vierge aux élèves du collège. Et j'en étais ravi».

– «Grâce à la dévotion à Marie, que je tâchais d'inspirer aux élèves pendant mes 40 ans de surveillance, je n'ai jamais expulsé un enfant. Mon succès auprès des jeunes, je le dois à cet apostolat marial».

– «Après mon catéchisme marial, un jour (1926) un élève me remet une image de la Sainte Vierge. Au verso, il y avait ceci : " Par votre sainte Immaculée Conception, ô Marie, purifiez mon cœur et sanctifiez mon âme ". Depuis cette année j'y ai toujours été fidèle avant de m'endormir».

– «Devenu professeur, c'était toujours une joie de faire chaque samedi le catéchisme de la Sainte Vierge. Une fois cependant, pour une raison ou pour une autre, je l'avais omis. Or voilà que pendant la journée, un petit garçon vint me trouver et me dit simplement : " Frère, vous avez oublié de nous parler de la Sainte Vierge aujourd'hui. Quand le ferez-vous ? ". Ce fut pour moi une leçon».

3) – LÉGION DE MARIE.

Une des formes les plus efficaces de l'apostolat marial a certainement été la Légion de Marie. Depuis 50 ans, ce mouvement a fait des merveilles par la rigueur de ses exigences. Ceux qui en ont fait l'expérience ont profité du zèle qu'il créait parmi ses membres jeunes ou adultes.

– «Maintenant à la retraite, à plus de 75 ans, je suis lié personnellement à la section locale de la Légion de Marie, petit groupe de 5 ou 6 personnes».

– «A X. la Légion de Marie florissait en ces jours-là et je lançai un Praesidium qui se réunissait pendant la récréation de midi. Il florissait d'activités sous la tutelle de Marie (rosaire en famille et autres) et toujours en son nom, de sorte qu'un second Praesidium put être fondé. Ét les vocations aussi fleurissaient ».

4) – SOUTIEN POUR LA VOCATION.

Le zèle, en effet, quelque forme qu'il prenne, est un soutien pour la vocation.

– «Ce qui m'a évité bien des chutes graves, c'est que j'ai toujours senti le désir de la faire connaître et aimer, comme un autre sentirait la vocation sacerdotale, ou religieuse ou mariste. Et pour cela, jamais je ne la remercierai assez de m'avoir inspiré le désir d'étendre sa dévotion, et de l'honorer chaque jour. C'est pourquoi depuis des années je récite tout le rosaire chaque jour comme signe de remerciement, de demande et de réparation».

5) – SOUVENT AVEC DES MOYENS TRÈS SIMPLES.

Il ne faut pas s'attendre, dans tous les témoignages, à trouver l'idée d'une catéchèse toujours bien mise à jour, avec toutes les nuances d'aujourd'hui. Surtout les Frères d'un certain âge évoquent une catéchèse simple, qui n'avait pas d'ailleurs à se poser les problèmes avant l'heure.

– «J'ai soigné avec amour le culte extérieur de la Madone. A X. à l'entrée, au bas de l'escalier je lui fis ériger une statue, pour qu'elle accueille élèves et parents et pour qu'on pense à elle».

– «J'enseigne dans une école mixte, mais cela ne doit pas faire oublier Marie. Au contraire, la présence des filles et des Sœurs dans quelques-unes de nos réunions de prière, ainsi que des femmes professeurs ont souligné un peu plus la place de Marie dans notre vie. Elles nous aident à honorer Marie et à la prier pour que nous puissions être et manifester " un seul esprit dans le Christ " ».

6) – LES FRUITS.

Sans doute faut-il toujours améliorer. Mais les fruits d'un enseignement même pas très élaboré, sont incontestables : par le passé, ce qui a marqué les anciens élèves plus que tout e'est la dévotion mariale et aussi son impact sur une vie chrétienne pure, fidèle, en dépit des difficultés[7].

 Voici quelques témoignages d'anciens élèves :

* N'est-ce pas vrai, Frère, que dans la vie, on ne peut rien faire sans la Vierge ?

* Sans la dévotion à la Vierge, je me serais suicidé dans une circonstance grave de ma vie.

* Elle a été tout pour moi, surtout dans les moments difficiles de ma vie. Je ne sais si maintenant on fait toujours le catéchisme marial, mais ce que je peux dire c'est que ce catéchisme a été pour moi le salut.

«J'arrive au mariage, comme vous me l'avez conseillé : le front haut et les yeux fixés sur l'hostie, je pourrai dire à ma fiancée : " Je me suis conservé pour toi ". Cela m'a coûté, mais le rosaire que vous m'avez donné m'a aidé. La Ste Vierge a été pour moi un phare dans les tempêtes de ma vie».

* Comment expliquez-vous qu'au milieu de cette vie d'aventures je n'aie pas manqué à mes devoirs religieux ? Si j'ai conservé le trésor de la vie chrétienne, je le dois à la dévotion à la Vierge qu'on m'a inspirée en famille et qui s'est grandement développée pendant mes années de collège ;

* Un ancien élève va à l'étranger pour compléter ses études et charge sa mère de porter chaque année au mois de mai, un bouquet de fleurs à la Vierge de son école.

Un élève chassé d'une école, se présente le 31 mai avec un bouquet de fleurs : «Je ne peux pas oublier ce qu'on m'a enseigné sur la dévotion à Marie».

Un ancien élève certifie qu'il dit tous les jours le chapelet.

«Le rosaire quotidien et la méditation sur Notre-Dame font des merveilles pour nous et nos élèves. Ils posent des questions et on en voit vite l'influence. Cela est particulièrement notoire chez les enfants non catholiques… ».

Il y a quelques années à X. les parents m'ont dit leur tristesse de voir baisser la dévotion à Notre-Dame dans les écoles catholiques. Ils disaient : Le manque de dévotion mariale cause le manque de vocations dans l'Eglise».

– «En 1952, on inaugura le collège de X. mais l'internat resta moitié vide. Aux vacances suivantes, avec d'autres Frères, nous allâmes donc faire une tournée dans la région pour le faire connaître. Un soir nous étions reçus dans la famille d'un interne. La maman me dit : "Frère, bénissez la table. Et je fis la bénédiction en usage au collège. À la fin la maman me dit : Vous la dites comme mon fils. Et elle ajoute : Nous avons toujours été bons chrétiens, mais sans trop nous rendre compte que nous vivions en peu en païens".

– «A la maison personne ne bénissait la table, ni ne disait le chapelet, mais depuis que mon fils est revenu du collège il a demandé qui lui soit accordé cet honneur et depuis, jamais nous n'avons manqué de bénir la table, ni de dire le chapelet. Maintenant nous communions tous les dimanches, nous disons le chapelet en famille, nous n'allons pas aux films dangereux, nous avons fait disparaître des balances fausses de notre commerce, nous payons un juste salaire à nos ouvriers…». Et je ne sais combien de choses elle ajouta encore.

Quand je félicitai l'enfant pour l'exemple étonnant qu'il donnait dans sa maison, il me révéla quelque chose que je n'oublierai jamais. Avec votre catéchisme du samedi, vous m'avez gravé si profondément dans l'âme la dévotion à Marie que je me suis épris d'elle et que je lui ai promis une visite chaque jour de cinq minutes. Pas pour la prier, mais pour écouter ses consignes et ses conseils de mère.

J'allais à la chapelle, je me mettais à genoux, la tête entre les mains, je fermais les yeux et gardais le silence. Que de belles choses j'ai entendues de la Vierge pendant ces silences. Je ne sais ce qui se passait, mais je sortais transformé de ces visites ; mon âme était devenue de feu et j'avais un immense désir de devenir saint, d'être bon, d'être son apôtre, de lui gagner des âmes, d'étudier davantage pour rendre heureux mes parents, et, comme de juste, mon apostolat devait commencer à la maison».

7) – APOSTOLAT MARIAL : SOURCE DE DÉPASSEMENT.

Et ce dépassement peut même être héroïque à un âge où l'on a la tentation de s'installer et où le Seigneur au contraire, demande de nouveau, comme à Abraham «de quitter son pays».

– «En 1955, je lançai l'association des Chevaliers de Notre-Dame, à l'Institut de Q… Dans nos réunions périodiques j'invitais les enfants à dire comment ils s'y prenaient pour aimer Marie et la faire aimer. C'était libre. Mais je suis resté émerveillé de ce que pouvait la grâce.

Les Chevaliers de Notre-Dame étaient ceux qui se distinguaient le plus au sein de l'Action Catholique. Ils préparaient le catéchisme marial qu'ils expliquaient ensuite à quelques parents…

Missionnaire en Afrique, j'ai cru que la mission n'allait pas donner de résultat et je dois même dire que j'étais découragé. Et puis je commençai à organiser le " Foyer des Vocations ". Les jeunes prirent ça très au sérieux et plusieurs y ont trouvé la voie pour étudier leur vocation, et cela a déjà donné des postulants et des novices».

– «Quand le Frère Provincial me proposa de partir en mission, j'acceptai quoique totalement ignorant de ce qu'était la région ou j'allais et que je ne connaissais que par des lectures.

Je suivis un cours de rénovation biblique. Et puis je partis seul. Seul, ne connaissant personne, ni même l'avion à prendre, ni les escales intermédiaires, car dans mon immense Brésil j'étais à 6.000 km de distance de mon point de chute. Dans l'avion je fus envahi par un sentiment d'insécurité. Pour réagir je pensai à Maria Santissima en l'honneur de qui je n'ai jamais cessé de dire mon chapelet et dont j'ai eu maintes preuves qu'elle me protégeait. Dès que j'eus fixé ma pensée sur Marie, je retrouvai la sérénité, et, fermant les yeux, je m'imaginai jouant entre les bras de Dieu. J'attribue à Marie de n'avoir pas eu de maladies graves pendant ces 7 ans en Amazonie ». 

I — DEVOTION MARIALE TRADITIONNELLE ET VATICAN II.

Incontestablement la position mariale du Concile a été mal interprétée. Au lieu de rénover, on a laissé tomber. Pour la première fois, dans l'histoire de l'Eglise, un Concile faisait un long document pour dire d'excellente façon sa vision du rôle Marie. Et pratiquement, dans l'immédiat, le résultat allait être plutôt négatif.

Evidemment cela tenait à toute une série de faits. Le droit à la parole permettait à tous les minimalistes de faire bruyamment leur contestation et de ridiculiser les pratiques d'un catholicisme populaire. La réforme de la liturgie réduisait considérablement les fêtes mariales — ce qui était remarqué — mais laissait beaucoup de possibilités à la créativité, spécialement le samedi — ce qui était moins remarqué. Cette réforme nous amenait à adopter comme office la Prière du Temps Présent au lieu de l'office marial. Les Chapitres Provinciaux pouvant décider assez largement des prières à faire en Communauté ou en particulier, on allait avoir un considérable affaiblissement de la prière mariale pour des religieux habitués à se laisser guider par le mouvement du groupe, etc. …

Il n'y a donc pas à s'étonner des réactions soit de déception chez les uns qui constatent leur faiblesse et leur désorientation, soit de révolte chez d'autres qui sont effrayés de tous ces pans de murailles qui tombent autour d'eux.

1) – IRRITATION.

Quelques témoignages manifestent une certaine irritation, qui peut d'ailleurs produire une volonté de réparation.

– «Personnellement je n'ai jamais tant aimé notre commune et bonne mère que cette dernière année. Je ne sais comment et par le mérite de qui s'est réalisé en moi ce doux progrès, mais je pense qu'au-delà de toutes les causes secondaires, il y a elle : Marie.

Et c'est heureux qu'il en soit ainsi parce que dans ce temps de loups où nous avons le malheur de vivre, ce temps où les media ne nous apportent que des nouvelles toujours pires de haine et de mort, ce temps où Satan et le dragon rouge de l'athéisme et du marxisme semblent triompher partout, ce temps où l'on crie " à mort " et avec une haine diabolique, contre l'amour, contre la vie, contre la pureté, contre le pape, où l'on veut égorger ou brûler tous les prêtres et les religieux et transformer les églises en salles de bal ; oui, en ce temps de loups il m'arrive souvent d'être fermé et triste. Mais il y a elle, et elle, la Vierge-Mère me donne la force d'aller de l'avant, de recommencer de sourire, d'espérer contre toute espérance. Peut-être mon amour pour Marie est-il en grande partie sentimental et affectif ; mais le sentiment et l'affectivité sont des dons de Dieu et n'ont pas à être méprisés. Pour moi, il n'y a pas de peur plus vile que cette peur du sentiment. Jésus n'a pas eu honte de pleurer en public devant la tombe de son ami Lazare.

Quoi qu'il en soit, ma spiritualité mariale actuelle d'amour à la Madone peut se résumer en une attitude de consécration… ».

– «Maintenant que des chrétiens et des religieux ont réduit Marie à un pur souvenir dans leur vie, maintenant qu'ils l'ont reléguée comme un objet inutile, un article de musée, eh bien ! j'ose proclamer qu'elle continue à compter dans ma vie. Je crois que le jour où nous, Maristes, la jetterons comme du lest qui alourdit notre nacelle, qui nous embarrasse, ce jour-là nous aurons cessé d'exister».

– «J'aime bien prendre des phrases de la Bible se rapportant à Marie et les commenter aux élèves, sans dédaigner la doctrine des saints et surtout celle du Fondateur.

Je suis sûr que les nombreuses défections que nous avons eues ces dernières années ont leur origine dans l'abandon des pratiques mariales de nos règles, que nous avons trouvées trop infantiles : nous trouvions qu'en nos temps on n'admettait plus de telles " mystifications ", qu'il fallait tout rationaliser… Avec l'humilité et la simplicité du cœur on a perdu la foi et en perdant la foi on s'est trouvé les mains vides ».

2) – PART D'INCONSCIENCE DANS LA CRISE.

Plusieurs constatent qu'ils ont été victimes d'une sorte de raz-de-marée où ils ne retrouvaient plus l'orientation ; mais que l'on peut maintenant sortir de cette inconscience ou léthargie accidentelles et repartir avec enthousiasme.

– «Il y a une crise de dévotion mariale. Le malheur de notre temps, c'est qu'on ne parle plus de Marie. Chaque fois que j'ai parlé de Marie à quelqu'un, je suis pratiquement sûr que Marie a été plus connue, plus aimée ».

3) – TRISTESSE ET ESPÉRANCE.

– «Quelle est la situation maintenant ? Je pense pouvoir dire que Marie est une partie naturelle de ma vie et une de ses principales joies. J'aime savourer les prières quotidiennes à Marie, lire quelque chose sur elle, célébrer ses fêtes. C'est fréquemment un plaisir pour moi de découvrir quelque chose de nouveau sur Marie ou de voir des vérités anciennes sous un nouveau jour.

Mais il y a deux déceptions que je dois mentionner pour être complet. L'une, c'est la difficulté de faire passer ces choses aux autres : élèves ou Frères. Et liée à ceci, voici l'autre déception : je suis souvent triste de voir que d'autres — élèves, communautés paroissiales et même Frères — apparemment ne connaissent pas Marie de cette façon et ne sont pas aussi intéressés à l'étudier et à célébrer ses fêtes. Cela me fait comprendre de plus en plus quel trésor nous avons reçu dans notre tradition mariste».

(Cependant ce Frère, que nous avons cité aussi dans la 6ième section, pense que l'Institut conserve en profondeur une relation vitale à Marie).

– «Je me suis embarqué en 1930, avec une vingtaine de missionnaires pour l'Australie et la Nouvelle Calédonie… Un cyclone se déclenche… Le commandant du bateau nous dit : " Priez bien la Ste Vierge, c'est sa fête demain ".«.. Le calme reparaît dans la matinée du 21 novembre, Présentation de la Sainte Vierge… N'est-ce pas une vraie tempête qui s'est abattue sur l'Institut que ces désertions en nombre et cette pénurie de vocations ? La Ste Vierge, notre Ressource Ordinaire, qui nous a sauvés de la première tempête nous sauvera aussi de celle-ci ; je ne verrai pas le renouveau mais je l'espère de sa bonté en faveur de ses Petits Frères… J'ai 77 ans».

– «Notre formation a été mariale. La vie du mariste doit être consacrée à Marie. On nous l'a répété depuis le juvénat et l'exemple de nos aînés a été à cet égard convaincant. Marie était présente dans les conférences, les prières, etc… Son image était partout. On nous disait que les anciens élèves gardaient un grand souvenir de ce que nos anciens Frères avaient fait sous ce rapport.

Depuis le Concile, la dévotion à Marie a été mise en discussion. Nouvelles idées, les unes bonnes, les autres mauvaises. Il se maintient un minimum de dévotion, mais personnelle, car du point de vue communautaire il y a eu diminution.

Je conserve mes pratiques mariales, celles qu'on m'a enseignées. Je remarque en moi un refroidissement dans ma dévotion, dû peut-être à l'ambiance communautaire… Si la Congrégation perd son caractère marial, même seulement en partie, je crois qu'elle perdra le pouvoir d'attraction qu'elle a sur les jeunes » (D'un Frère missionnaire).

– «Les Frères qui ont fait des études théologiques vers les années 60 ont détruit l'ancienne piété mariale au lieu de l'établir solidement sur des bases bibliques et patristiques adéquates.

Les jeunes Frères ont laissé tomber tout l'aspect externe sans améliorer l'intérieur.

Nous, les Frères âgés, nous nous accrochons à l'extérieur sans l'actualiser et le fonder théologiquement. Maintenant beaucoup ont presque honte de l'ancienne piété mariale et mariste : ils ne font rien pour lui redonner vie.

La doctrine conciliaire sur Marie nous a plu, ainsi que le Document marial publié par le dernier Chapitre, mais ce n'est pas passé dans la vie quotidienne.

J'aime bien la phrase que vous avez dite dans une retraite : "Continuez à dire le chapelet tant que vous ne trouverez pas une meilleure prière" ».

– «J'ai eu le bonheur d'être accepté dans une communauté où on prie spécialement la Sainte Vierge et pendant les quarante-cinq ans que j'ai eu le bonheur d'enseigner, j'ai toujours été fidèle à mon catéchisme sur la Ste Vierge chaque semaine et c'était toujours un plaisir pour moi que de parler de ma mère du Ciel.

Malheureusement celle belle dévotion a baissé beaucoup depuis quelques années. Mais nous reprenons courage lorsque nous voyons les efforts que nos Supérieurs font pour relancer nos belles traditions de dévotion à Marie et l'avenir ainsi nous semble moins sombre».

4) – REMONTÉE APRÈS UNE DESCENTE.

– «Ma dévotion à Marie s'est développée pendant mes années de formation et s'est maintenue à un bon niveau pendant mes 20 premières années de vie religieuse. Et puis ça été le temps du cafard, où les pratiques de dévotion à Marie ont été mises au feu, vers le temps du Concile. Il y a eu ensuite une dégringolade où vraiment je ne savais plus que penser de ma vocation et de l'Institut puisqu'il fallait y trouver de telles contradictions entre les principes et les idéaux d'une part et la pratique actuelle de l'autre. Mes relations avec Marie sont devenues gênées pendant plusieurs années, mais depuis, elles ont repris et je crois qu'elles gagnent en profondeur. Le mystère de Marie a un nouvel attrait pour moi et je vois de plus en plus en elle le prototype de l'âme consacrée».

– «Je dois reconnaître que beaucoup de prières mariales, je les ai abandonnées et que dans ma vie de prière Marie est beaucoup oubliée. Mais je reconnais que c'est spontanément vers elle que je me tourne dans les moments difficiles et surtout après des lâchetés, aussi après la confession.

Si mes prières proprement mariales sont rares, Marie est assez souvent présente dans les autres prières, l'examen de conscience. La seule véritable prière formelle que j'apprécie c'est le Magnificat de Vêpres. Y a-t-il évolution ou abandon ? Marie est certainement plus près de ma vie quotidienne, mais différemment… Je crois que les racines profondes de mon attachement à Marie prennent de nouvelles formes dans ma vie de prière et mon apostolat ; mais que je dois m'ingénier pour en découvrir d'autres encore».

– «Par rapport au chapelet, à l'époque du Concile, je me suis laissé prendre par le courant qui disait de ne pas casser la tête aux élèves avec une prière qui les ennuyait, et dans ma vie aussi je me suis mis à donner peu d'importance à cette dévotion. Mais je me suis vite rendu compte de mon erreur crasse. Les élèves ont commencé à ne plus lui donner d'importance et à ne plus en donner non plus à la catéchèse.

Et c'est l'époque où je me suis mis à dire 3 chapelets par jour, et ça été l'époque la plus féconde de ma vie».

– «A partir de Vatican II, une crise s'est produite en moi par rapport à la dévotion mariale. Heureusement la Bonne Mère reprend sa place».

– «Aujourd'hui j'ai pris Marie comme modèle, telle que nous la présente l'Evangile : associée à Jésus, désireuse de servir et de chercher le bien des autres».

«Dès mon enfance et ma jeunesse, Marie a été la grande animatrice de toute ma vie. Je la sentais proche, je vivais sa vie, elle était présente à toutes mes actions, réellement Ressource Ordinaire.

Plus tard, comprenant mal la dévotion christocentrique, j'ai passé des années sans beaucoup de vie mariale, et puis, Marie est redevenue ma grande "animatrice". De nouveau je la sens proche, je vis le grand travail qu'elle accomplit en moi et dans l'Eglise. Elle est pour moi un grand modèle de vie chrétienne. Je sais qu'elle doit engendrer Jésus en moi».

– «Mes premières années de classe furent marquées par une fidélité à la dévotion mariale. …

Le mois de Marie et du Rosaire étaient des mois où l'on nous faisait vibrer par les moyens qu'on avait à cette époque.

Ceci se passait avant Vatican II et quelques années après. Mais ensuite arriva une crise de dévotion mariale qui eut sur moi des effets tantôt négatifs tantôt positifs. Mais l'exemple de mes parents, la formation et les expériences de vie acquises jadis dans nos maisons, maintinrent en moi un appel – même s'il est à moitié étouffé – à la dévotion mariale.

Comme grandissait en moi le principe qui domine ma vie : toujours essayer d'agir, je me mis à réfléchir sur le cas en question, et cela m'obligea à une nouvelle étude sur la dévotion à Marie mieux adaptée aux exigences d'aujourd'hui».

– «A la suite de Vatican II, les théories qui apparaissaient, les incertitudes et les hésitations, ces vents purificateurs, me laissèrent perplexe et, pour être franc, rabattirent pas mal mon enthousiasme marial. C'en fut assez pour faire baisser sensiblement mon thermomètre spirituel. Je n'ai pas encore tout récupéré. Je passai alors par la pire des crises de ma vie, la plus matérialiste, si je peux ainsi parler. Mais je lutte et j'espère récupérer mon âge d'or, plus purifié maintenant et plus lumineux, mais avec la même action inspiratrice de la ferveur religieuse du passé».

– «Faites tout ce qu'il vous dira» : je veux réfléchir à ce testament de Marie. Pour moi vivre le testament de Marie " signifie accepter le " vin nouveau ", chercher à vivre une vie mariste intense et profonde, avec les sens suivants :

a) accepter Vatican II,

b) accepter les documents capitulaires et donc le document marial,

c) accepter d'approfondir Marialis Cultus de Paul VI».

– «…Plus récemment cependant, je me suis aperçu que mes relations avec Marie s'étaient refroidies. Est-ce dû à une attitude plus réaliste de l'âge moyen ? mais je trouve que la théologie moderne, dans son effort de mettre Marie en sa juste place, m'a laissé mal à l'aise, et je me suis demandé si ma perspective théologique était juste à cet égard, en compliquant des choses qui naguère étaient simples : l'enfant tout contre sa mère. J'éprouve quelque culpabilité à avoir laissé tomber le culte de Marie».

5) – TRAVAIL À ENTREPRENDRE.

– «L'Institut des Petits Frères de Marie m'apparaît de plus en plus dans sa conception et son inspiration divine au Fondateur comme un Nazareth qu'auraient abîmé de nombreux crépissages, mais qu'on essaie de rendre à sa simplicité dépouillée, ce qui sera facile dans les livres et décrets, mais long et douteux dans les réalisations».

– «Personnellement, et je l'avoue bien humblement, j'ai manqué face à ma dévotion mariale. Cependant, grâce à quoi je l'ignore, il y a eu un sursaut et un réveil en moi. La Vierge devient pour moi une préoccupation… Il y a eu un réveil chez moi. La Vierge a tant fait pour nous… il faut que je fasse quelque chose pour Elle».

– «Quand je passe quelque temps à réfléchir sur Marie (son caractère, son style de vie, sa réponse à Dieu et son humanité) elle devient beaucoup plus vivante pour moi. La condition pour éprouver ce sentiment de proximité c'est de passer du temps à réfléchir et prier. Essentiellement cette " approche " part de l'Ecriture et non d'un angle dévotionnel. La réflexion mène à la prière (pas la prière communautaire mais la prière personnelle). C'est-là le terrain où j'ai trouvé la dévotion à Marie la plus pleine de sens».

«Vatican II m'a rempli de joie quand il nous a donné -cette synthèse admirable du Ch. 8 de L.G. Je l'ai commenté plusieurs fois aux élèves et leur ai fait faire à ce sujet des travaux de groupes…

Si j'ai insisté sur l'aspect intellectuel de ma dévotion mariale, c'est parce que je suis convaincu que " rien n'est aimé avant d'être connu ". D'ailleurs le Concile nous met en garde contre le sentimentalisme stérile et transitoire et la vaine crédulité. Je pense que nous avons eu un peu ce défaut et que c'est une des raisons pour lesquelles les Frères ne se sentent pas préparés à parler de Marie». 

J – CAS DE « VIDES » MARIALS.

Enfin il y a un certain nombre de cas où le vide marial est évident, et alors il est ressenti comme peu guérissable, ou au contraire comme attendant d'être comblé. Parfois aussi ce n'est qu'une baisse relative. Enfin il y a des cas où cette baisse semble permise par Dieu pour une nouvelle orientation spirituelle.

1) – VIDE NÉGATIF.

– «Pour moi Marie se présente comme un moule passablement stéréotypé. Je sais bien des choses sur elle – sa grande foi, son espérance, ses souffrances, son amour pour tous les hommes, mais tout ça est chez moi à un niveau rationnel. Il y a peu de chose que j'apprécie en elle comme personne.

Je comprends Marie comme type et modèle. Elle appartient à la ligne des prophètes, des patriarches ; elle est la Seconde Eve, la première chrétienne ; et il y a quelque chose de confortablement mystique dans cette connaissance, comme si ces pièces apportaient de l'authenticité à une religion.

Ce que je trouve en Marie, c'est quelqu'un qui a servi le Christ autrefois, qui a mené une vie consacrée à l'idéal chrétien et donc quelqu'un qui a posé un exemple. Mais je trouve en Marie peu d'éléments que je puisse relier ensemble pour en faire un tableau, une personne, une image réelle.

Il y a eu dans ma dévotion à Marie beaucoup d'attachement émotionnel à une représentation que je m'étais faite à partir de dévotions privées et de récits provenant de révélations privées».

– «Franchement à présent (et c'est triste à dire) je me sens vide, et je ne semble pas penser à Marie comme autrefois. Je me demande si c'est le résultat d'une mauvaise interprétation de Vatican II ou si ma dévotion s'est desséchée ».

– «Quoique dévot de Notre-Dame depuis l'enfance, j'ai, surtout depuis quelque 10 ans, bien perdu de ma ferveur envers Marie. Il peut y avoir diverses raisons, mais le fait est que je ne me suis encore accroché à rien qui me permette de construire une identification signifiante à partir de la dévotion ou de la doctrine mariales».

– «L'unique prière que je réussis à faire de façon authentique à Marie est de nous aider à être disponibles à la Parole de Dieu qui nous interpelle et nous juge chaque jour.

Je ne puis comprendre pourquoi on insiste tant sur une prière comme le rosaire, et comment Marie peut être louée par tant de paroles, toujours les mêmes, qui de plus ne changent rien à notre vie».

– «Je crois que Marie n'est jamais entrée dans ma vie de manière authentique. Je suis toujours resté plutôt froid à son égard, peut-être par réaction à tant de considérations mariales de ton moraliste ou sentimental, que souvent j'ai entendues, surtout pendant les années de formation.

En effet, beaucoup de ce qu'on dit ordinairement sur Marie me semble forcé ; on veut l'insérer de gré ou de force dans le discours».

2) – VIDE ATTENDANT D'ÊTRE COMBLÉ.

– «Au noviciat et après, j'ai senti de la dévotion envers Marie. Maintenant rien. Ma dévotion – ou ce qu'il en reste – tend à être intellectuelle. J'envie ceux, Frères ou autres, qui éprouvent de la dévotion envers Marie. Je reste convaincu que je dois toujours porter mon chapelet, le dire en entier tous les jours, avoir une image ou une statue de Marie dans ma chambre, etc. … Mais il me semble que ma dévotion s'est terriblement usée».

– «Je dois confesser à ma honte que je suis en état de descente dans ma dévotion à Marie, par suite d'une négligence graduelle de pire en pire ; par une certaine lassitude qui m'a fait laisser diverses pratiques et dévotions ; par la " découverte " de la femme en chair et en os qui m'a attiré et m'a fait perdre l'idéal de vertu, de beauté, de bonté et d'amour qu'était pour moi jusque-là Marie».

– «Je reconnais l'importance capitale du rôle de Marie dans l'œuvre salvatrice de Dieu et j'en suis vraiment convaincu. Par ailleurs je reconnais aussi le rôle de Marie envers notre Institut et envers les premiers Frères et je vois leur dévotion vivante à cette divine Mère. Mais puisqu'il faut parler franc, cette dévotion entre très peu dans ma vie et je dirai sincèrement que son influence reste minime au fin fond de mon être, car je ne me limite qu'à des courtes prières envers elle et à des célébrations communautaires pour l'honorer. Autrement dans ma vie quotidienne, cette dévotion reste inactive ; mais je désire tant la réanimer. Voici le témoignage d'un jeune Frère».

– «Sincèrement je crois que je ne peux pas encore affirmer, aussi loin que je me souvienne, avoir eu une solide expérience mariale, comme c'est le cas d'autres Frères, surtout des anciens. Je suis encore jeune et il me reste du chemin à parcourir et beaucoup plus encore à apprendre. Cependant ce simple thème de Marie qui est fondamental pour tout Frère Mariste, me pousse à mettre par écrit, imparfaitement, ce que je sens et vis par rapport à la Bonne Mère.

Pour moi, Marie est quelque chose de vague que je ne puis bien saisir : je ne la connais pas assez pour me confier à elle comme Mère, pour pouvoir affirmer qu'elle est la femme de ma vie… Sa simplicité est ce qui m'attire à elle comme Mère».

– «La vérité est que, pour moi, en ces temps-ci, la Vierge ne signifie presque rien. Je sais que c'est une erreur, que cela ne va pas avec l'esprit mariste, mais c'est ainsi.

Je me souviens avec nostalgie de ce rôle de Mère que Marie jouait à mon égard à l'époque de mon juvénat supérieur. Je crois que pendant l'adolescence, j'ai senti Marie très proche de moi ».

– «Actuellement ma dévotion à Marie est en baisse de manière notoire ; sans doute est-ce parce que je me laisse porter presque inconsciemment par les courants en vogue tant dans l'Eglise que dans la Congrégation. Je ne connais pas à fond le document marial sur la Sainte Vierge dans la vie du Frère Mariste. J'ai presque honte de parler de Marie aux élèves et de dire le chapelet avec eux».

– «Mon témoignage est plutôt un contre-témoignage. Jamais je ne me suis distingué par une dévotion spéciale à Marie. Cependant j'ai bien dans la tête que " qui n'honore pas la mère, n'honore pas le Fils ". A ce manque de dévotion à Marie, j'attribue mon état de doute à l'égard de ma vocation».

– «Marie comme Ressource ordinaire n'est pas, pour ma vie pratique, la réalité. A vrai dire je ne comprends pas bien la prière de demande et ce terme de Ressource Ordinaire me paraît très lié à la demande. Par ailleurs Marie, dans ma vie pratique, a perdu cette sorte d'enchantement qu'elle exerçait quand j'étais plus jeune. Dans ma vie de chaque jour la dévotion à Marie se réduit à quelques Ave Maria récités avec dévotion il est vrai ; mais je sens que quelque chose me manque».

– «Il y a un fait nouveau qui se passe ; je sens un vide en moi, car, après avoir fait de nombreuses expériences, j'ai redécouvert le sens et la joie de la vie chrétienne et religieuse ; je sens que Marie doit entrer, de façon nouvelle, dans ma vie de Frère Mariste.

Maintenant je la découvre, comme la créature qui dit merci, celle qui " magnifie le Seigneur " parce qu'il est grand, parce qu'il opère des merveilles dans notre histoire, parce qu'il est miséricorde, parce qu'il est amour».

3) – BAISSE RELATIVE.

– «Je trouve difficile de transmettre à mes élèves la dévotion mariale et je considère que je risque de donner un contre-témoignage, car si on n'est pas capable de transmettre avec chaleur un sentiment c'est qu'il n'est pas encore bien incarné. Mais je fais comme si je sentais une vraie dévotion à ma Mère du Ciel. Et je récite au moins six chapelets par jour en essayant de bien méditer les mystères».

– «Je reconnais la diminution de ma dévotion à Marie. C'est l'activisme qui l'étouffe : manque de réflexion, mais non dédain ni mépris. Le chapelet a été pour moi, et est encore la prière chérie. Et c'est ce qui m'a soutenu dans les graves crises que j'ai eues».

– «Quand j'étais jeune, au début de ma vie religieuse, j'avais pour Marie des sentiments que maintenant je n'ai plus. Je n'oubliais presque jamais mes prières particulières à Maria Santissima, et quand je ne les faisais pas, j'étais peiné et j'avais du remords.

Je ne sais pourquoi, à partir d'un certain âge, ce besoin de sentir Marie à mes côtés est disparu. Ce n'est pas que j'aie cessé de l'aimer, me semble-t-il, mais je n'ai plus cet élan que j'avais pour tout ce qui la concernait.

Frère Basilio, vous demandez qu'on donne des « faits vécus », des «expériences», mais comment faire si ma vie me semble si vide de tout cela, et si je ne trouve rien malgré mes recherches ?

J'espère que votre circulaire pourra rallumer en moi une vraie dévotion à ma Mère… Tâchez d'écrire pour ceux qui ont perdu presque ou tout à fait les sentiments filiaux qu'un Frère mariste doit avoir pour Marie ».

4) – CAS PARTICULIERS.

Voici deux cas où le mouvement charismatique produit des effets assez différents quant à l'orientation mariale.

«A partir du contact avec le mouvement charismatique, l'Ecriture Sainte et particulièrement l'Evangile et les Epîtres ont acquis une saveur nouvelle pour moi. Je dois remarquer cependant que, depuis lors, il me semble que Marie se retire dans l'ombre. J'ai comme l'impression que, m'ayant conduit à son Fils, elle disparaît… C'est l'état où je me trouve maintenant».

«Je suis mariste, mais la dévotion à Marie ne m'avait jamais préoccupé. Ma famille a toujours été désunie, et j'en ai gardé un complexe ou au moins comme le sentiment d'être orphelin. Quand on ne disait pas le chapelet en communauté, je ne le disais jamais tout seul.

Lors d'un premier contact avec un groupe charismatique, j'ai commencé à découvrir l'importance de Marie dans la vie d'un homme. En entrant en contact avec une famille, je découvris que j'avais une Mère qui m'aimait, qui se mettait en quatre pour moi. Ce fut dans une prière d'intercession que je découvris Marie comme Mère.

Et depuis lors, chaque jour, je dis le chapelet, ou au moins j'ai un souvenir vivant de Marie. Depuis que je dis le chapelet j'ai la présence vivante de Jésus dans ma vie. rai découvert la vie mariste et la nouvelle communauté fondée sur la prière, l'apostolat et la pauvreté.

J'ai eu envie d'abandonner la Congrégation, sous prétexte qu'elle manquait de vie. J'ai découvert mon péché d'inauthenticité. Je suis descendu au fond de moi-même. Et le Seigneur fait des merveilles en moi. Et tout cela je l'attribue à Marie. C'est fantastique de cheminer en compagnie de Jésus et de Marie. C'est merveilleux de se sentir aimé. Je crois que si j'ai découvert quelque chose dans la vie, quelque chose d'important, comme c'est le cas quand on découvre Jésus, je le dois à l'intervention de Marie. Ce qui a été capital, c'est ma rencontre avec une famille où l'on m'a parlé de telle façon de la Sainte Vierge que j'ai compris sa grandeur.

Un détail important. Pendant 12 ans j'ai eu de graves problèmes affectifs et de chasteté. Je devais recourir à un psychologue et j'étais toujours dans une situation d'angoisse. Depuis que je prie, depuis que je confie ma vie à la Bonne Mère, je me vois enveloppé dans sa pureté. Je n'ai plus de complexes. Les problèmes de ma famille s'arrangent. Gloire au Seigneur Jésus et à sa mère qui nous sauvent».


[1]J'ai eu la possibilité de connaître de très près F. Miguel Dario et sa vie intérieure. Son union avec Dieu et son sens évangélique étaient vraiment exceptionnels. Consacré depuis 1962 (voir Bulletin de l'Institut N. 216 p. 213) à l'apostolat et au syndicalisme parmi les classes paysannes les moins favorisées du Sud du Brésil, il a pu atteindre plus d'un demi-million de familles et a laissé une marque ineffaçable dans une série de diocèses. Dans sa modestie, cet homme, dont je désire beaucoup qu'on écrive la biographie, a été un géant d'apostolat et de vie intérieure, sachant unifier ces deux aspects qui, chez tant d'autres, restent en dichotomie. A l'occasion du Congrès Marial de l'Année Sainte, organisé par plusieurs congrégations du Brésil, dans le style du Concile des Jeunes de Taizé, il a multiplié ses efforts pour entraîner à une rénovation spirituelle, paysans, militants, religieux, religieuses, etc. …

[2]  Sartre, dans « Les Mots » : Annexe 3.

[3]  On serait assez tenté de rapprocher ce témoignage du poème de Claudel : La Vierge à Midi.

Il est midi. Je vois l'église ouverte. Il faut entrer.

Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.

Je n'ai rien à offrir et rien à demander. Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.

Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela, que je suis votre fils et que vous êtes là.

……………………

Ne rien dire, regarder votre visage.

Laisser le cœur chanter dans son propre langage.

Ne rien dire, mais seulement chanter

parce qu'on a le cœur trop plein.

…………………….

Parce qu'il est midi

Parce que nous sommes en ce jour d'aujourd'hui.

Parce que vous êtes là pour toujours, Simplement parce que vous existez, Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée !

(Dans «Les plus beaux textes sur la V. Marie» Régamey : La Colombe).

[4]Je puis dire ici que j'ai vu avec grande sympathie mes Frères entrer dans tout ce qui était bon et sain dans l'Eglise : Monde Meilleur, Oasis, Taizé, Mouvements de Prière, Groupes Charismatiques, Focolarini, etc. … et j'ai trouvé qu'ils gagnaient beaucoup à ces contacts. Mais dans le cas des Focolarini et des mouvements de prière, l'importance numérique invite à en souligner l'intérêt.

Si, çà et là, un Frère a une personnalité qui ne plaît pas à tout le monde, qu'on veuille bien se rendre compte que la cause en est dans sa propre personnalité et non dans les contacts qu'il a avec ces mouvements. Il était déjà ainsi avant. Sa nature est peut-être restée ce qu'elle était, ce qui ne l'empêche pas de s'enrichir spirituellement.

[5]Avec quelque audace, on pourrait parler des «sacrements marials » qu'ont été le chapelet, le mois de Marie, les fêtes mariales.

[6]Ceci, dans un pays où il ne semble pas qu'aucune école de Frères fasse encore dire le chapelet en entier.

[7](38) Il est très possible que cette vie ait eu une orientation trop personnelle et que, sauf dans le domaine de la maîtrise des relations sexuelles, elle ait eu peu d'inftuence dans le domaine social ou politique.

Ce n'est pas une raison pour rester avec des lacunes aujourd'hui, mais si le passé n'a pas produit tous les fruits possibles, il a produit bien des fruits qu'il faut reconnaître.

Nous ne voulons pas pour autant trop généraliser non plus les témoignages du passé et dire que tous nos anciens élèves étaient de bons chrétiens. Toute évangélisation a ses limites et le Christ lui-même a accepté de faire face à un public qui ne se convertissait pas.


II. TEMOIGNAGES INTEGRAUX

On trouvera ci-après des témoignages cités intégralement ou presque, parce que cela peut être plus parlant que dans une citation fragmentaire, qui révèle moins bien un contexte.

1) – CAS EXCEPTIONNELS.

Il peut y avoir des cas de vie mariale qui ont une origine exceptionnelle. Voici par exemple :

«La Vierge m'a protégé pendant mes premières années par le fait suivant.

J'avais deux ans et me trouvais couché dans mon berceau, victime d'une paralysie qui ne me permettait aucun mouvement ; tout changement de posture me faisait éclater en pleurs stridents et en gémissements sonores. C'était très pénible pour mes parents, mes frères et mes sœurs, surtout la nuit pendant les heures de sommeil.

Une nuit parmi tant d'autres, je commençais à beugler comme d'habitude… ! Ça y est… le veau… ! Personne ne pouvait trouver le sommeil. Ma mère et ma grand-mère avaient l'habitude de se lever et de me bercer doucement, mais le remède était pire que le mal : au lieu de me faire taire, elles provoquaient de plus grands " beuglements " et finissaient par me laisser tranquille. Cette passivité me fit grossir et mes pleurs étaient plus fréquents et plus forts.

Mon père avait l'habitude de dire : «Ça recommence. Quand est-ce que ça va finir » ! Une de ces nuits fatidiques, il se leva résolu. Sans dire un mot il descendit à l'étable, mit la selle à Rojilla, la jument, et sortit de la maison. Tout le monde resta muet.

D'après ce que mon père a raconté à ma mère, et que celle-ci m'a rapporté plusieurs fois, mon père prit sa veste de peau, enfourcha sa monture et quitta la maison, se dirigeant vers le sanctuaire de la Vierge du B., très vénérée dans le nord de la Province.

Mon père frappa au presbytère, demanda la clef du sanctuaire et une lanterne ; il mit sa jument à l'étable, et nu-pieds se dirigea vers le sanctuaire, distant d'un bon kilomètre.

Il fit sa demande et sa promesse à la Vierge, et ceci fait, revint au presbytère, se chaussa, remit les clefs et la lanterne, et, remerciant Monsieur le Curé qui lui offrait sa maison pour y rester jusqu'au matin, remonta à cheval et reprit la route du village.

L'aube commençait à poindre ; il était à peu près 7 heures du matin ; quand il arriva. Il attacha la jument à la grille de la fenêtre de la cuisine et monta directement auprès du berceau de son fils. Là il éclata en sanglots en le voyant debout, appuyé au mur. Son fils ne pleurait plus ; il était guéri. Tout le monde se leva stupéfait, et la paix revint dans la maison paternelle.

Cet événement a été pour moi d'une importance très grande. La Bonne Vierge a continué à me protéger dans mes hésitations et les moments difficiles de la vie. Comment maintenant, après tout ce que cela signifie pour moi, puis-je être infidèle à une mère qui, avec tant de sollicitude, sut répondre à la foi de mon père si chrétien ? Bonne Mère, continue à veiller sur ton fils adoptif ».

2) – CAS CLASSIQUES DE VIE FIDÈLE.

D'autres témoignages représentent bien la fidélité d'une vie religieuse qui a progressé régulièrement dans l'amour de Marie.

    2.1 «7 octobre, fête de N.D. du Rosaire. Un gamin de douze ans arrive au juvénat d'A. et commence sa vie de juvéniste avec Notre-Dame comme étoile.

Je fais une confession générale. Je m'accuse de péchés d'enfant, d'un enfant de la campagne qui apprend facilement le mal et plus difficilement ce qui est bien parce que personne ne le guide : gamineries avec les filles de notre âge, espiègleries de tout genre, vilains mots, blasphèmes même. Dans nos villages d'alors les mots grossiers sont sur presque toutes les bouches.

Je me confesse de tout, mais je n'ai pas à avouer d'indélicatesses envers le nom de Marie. Souvent je faisais des remarques à mes camarades de jeu à ce sujet, et pour mon cœur d'enfant c'était une grande consolation que cette netteté à l'égard de Marie.

Deux mois après mon arrivée, le 6 décembre, avec 16 autres compagnons, nous devenions les fondateurs du juvénat de V. Je me rappelle que mon premier acte fut d'entrer à la chapelle et de m'y consacrer à Marie.

Pendant le noviciat je lis «le Traité de la Vraie Dévotion» de Grignion de Montfort. Je fonde ma spiritualité sur «l'esclavage» envers Marie. C'est cette dépendance totale à l'égard de Marie qui est la constante de ma vie et qui est ma route vers Jésus.

Je fais la guerre dans la zone tenue par les «Rouges». Marie est toujours avec moi pendant ces trois années difficiles. Lorsque je commence ma vie militaire, je lui fais des promesses et je reste fidèle à mes dévotions. Marie comble mon affectivité et occupe la première place dans mon cœur. Face à l'impossibilité de témoigner par ma vie devant les hommes qui m'entourent, je m'adresse à la nature qui se prête à mes confidences. Marche longue et dure, puis halte au bord d'un ruisseau ; sur la rive les peupliers lancent leurs branches jusqu'au ciel et offrent leur peau nue au passant ; un cœur sera gravé sur l'écorce, une flèche le transperçant avec un nom qui s'unit à celui de Marie : témoins qui rappelleront au passant qu'un amoureux s'est arrêté par là.

Des montagnes qui contemplent la ville de T., ct pendant les aubes silencieuses de l'été 1938, mes pensées et mon cœur prennent la dimension de l'immense plaine jusqu'à embraser mystiquement la sainte colonnette de S. La protection de Marie est tangible. J'ai pu écrire dans mon journal : «N'ayant rencontré aucun prêtre qui, en cas de besoin, aurait pu m'aider dans les dangers de l'âme ou du corps, je puis affirmer que j'aurais pu à tout moment mourir dans la paix, sans avoir besoin de me confesser». C'est ainsi que j'ai franchi cette difficile étape avec la protection de Marie.

Paix, études universitaires, vie active dans les collèges. A C. je reçois une grande grâce : ma seconde conversion. Marie n'est pas étrangère à cette manifestation du Seigneur. Elle est toujours la mère partout présente. Que de fois je vais épancher ma tendresse dans l'église voisine, dédiée à la Vierge des Douleurs, ou dans les églises, dans les sanctuaires et ermitages des collines de C. Marie cultive soigneusement la grâce de ce passage printanier de Jésus dans mon âme.

Puis les responsabilités arrivent. Je suis directeur du collège de M. pendant 5 ans. Comme témoignage concret de mon amour pour Notre-Dame j'y laisse la belle statue en bois sculpté et celles des Cœurs Sacrés de Jésus et de Marie. Mais surtout, chez les élèves, le rappel des samedis et des fêtes de Notre-Dame, du mois de mai, des chapelets récités aux aurores. Tant et si bien que 25 ans plus tard, une des promotions qui célèbre ses noces d'argent se retrouve à l'église S.C., et, et après la récitation du chapelet chante le Salve Regina sur la place de l'église, dans le silence du milieu de la nuit. Ce chant, que les gens ont appris dans leur enfance, édifie et attire sur leur balcon les voisins de l'église qui contemplent ce spectacle insolite au milieu d'une nuit d'été.

Provincial pendant 15 ans, j'ai toujours mon étoile qui luit devant moi. Direction des âmes, construction de collèges, retraites spirituelles à organiser… Elle est toujours présente. Je réserve toujours pour Notre-Dame une de mes conférences dans les retraites annuelles. Depuis la fin de la guerre, mes doigts ont égrené les Ave des trois parties du rosaire. Il a fallu que souffle le vent de ces derniers temps pour réduire mon rosaire au chapelet communautaire.

Pendant le dernier chapitre général, ma plus grande joie fut de participer à la Commission du Document marial. La certitude d'offrir aux Frères un document pleinement accepté par les Capitulants était la meilleure récompense de tous nos travaux.

Tels sont les points saillants de la présence de Marie tout au long de ma vie. J'espère que pour la dernière étape, elle continuera d'être ma confidente et mon guide jusqu'au jour où cette semence mariale reçue à travers ce qu'il y a de meilleur dans l'esprit de notre Institut, cultivée avec amour dans mon cœur par l'enseignement de ceux qui nous ont précédés et l'exemple de mes confrères, deviendra fruit de vie éternelle à côté de notre Fondateur et de la Congrégation mariste céleste ».

    2.2) «Depuis que je suis entré au juvénat, mes relations avec la Sainte Vierge n'ont cessé de croître. Actuellement, lorsque je considère ma vie passée, je vois clairement que c'est à Dieu, par la médiation de Marie, sous le titre de Notre-Dame du Perpétuel Secours que je dois la persévérance dans ma chère Congrégation des Frères Maristes des Ecoles.

Au juvénat, on m'a enseigné à confier ma vocation à la Très Sainte Vierge, et, sans que personne ne me le dise, depuis le début j'ai pris très au sérieux la persévérance dans ma vocation. J'ai vécu des moments difficiles : soldat pendant la guerre civile espagnole, tentations, dépression nerveuse, presque l'obsession de ne pas persévérer. Mais jamais jusqu'à ce jour, depuis que je suis entré au juvénat, ne m'est venu le moindre découragement, et j'ai tout vaincu par la récitation du rosaire. Depuis 1948, je n'ai cessé de méditer, chaque jour, au moins les 15 mystères. Depuis 1943, je pratique la dévotion des 5 premiers samedis du mois, de N.D. de Fatima, et j'invite les élèves à la pratiquer. J'ai la grande consolation d'avoir toujours fait et de continuer à faire le catéchisme du samedi, pas précisément le samedi, puisqu'il n'y a plus de classe ce jour-là.

Je n'ai aucune difficulté à pratiquer le vœu de chasteté. Consultant un Père jésuite à ce sujet, après m'avoir posé plusieurs questions, il me dit : «Vous êtes très timoré». Depuis de nombreuses années, je ne vais jamais me coucher sans avoir mis mon chapelet autour du cou ou dans la poche de mon pyjama.

Actuellement je regrette que notre Reine et Mère ne soit pas plus connue, mais je continue de profiter des vrais exemples de dévotion mariale et je puis dire qu'ils nous font beaucoup de bien, aux élèves et à moi-même.

Le jour de ma prise d'habit, ou le jour de ma première profession, ou peut-être les deux fois, je me suis consacré à la Très Sainte Vierge par la prière de Consécration qui se trouvait à la fin du petit office. Depuis que j'ai fait mon vœu de stabilité, j'ai pris la résolution de réciter le rosaire devant le saint sacrement pour remercier d'un si grand bienfait, et je puis dire que j'y ai toujours été fidèle.

Le jour de ma prise d'habit, on nous a donné une feuille tirée à la pâte, sur laquelle figurait une prière à N.D. du Perpétuel Secours, pour demander la persévérance dans la vocation mariste. J'ai récité cette prière et je continue de la réciter avec ferveur. Avec l'argent du cadeau des Rois, je l'ai fait imprimer et je l'ai envoyée au noviciat pour qu'on la distribue aux novices ».

3) – CAS DE FIDÉLITÉ DIFFICILE.

Pour d'autres, Marie est présente comme une ombre qui les suit tout au long de leur vie, tenant par la main ces hommes plus faibles qui font une traversée pas toujours brillante.

    3.1. «Quand je réfléchis à ma vie passée, j'ai bien des raisons de ressentir honte et regret pour des années de laisser-aller et pour les nombreuses fautes qui ont été la conséquence de ce laisser-aller et du manque de fidélité envers Notre-Seigneur et sa Mère.

Par deux fois après ma profession, j'ai failli quitter l'Institut. A ces moments de crise spirituelle, quand j'étais écrasé par mon sentiment de culpabilité et presque de désespoir, tout ce que j'ai pu faire, ce fut de me jeter à genoux et de lui demander son aide à elle. Refuge des pécheurs.

Le passé ne peut pas ne pas avoir été. Mais je puis espérer que par une plus grande fidélité, je pourrai au moins montrer ma reconnaissance envers Notre-Seigneur et sa sainte Mère et obtenir leur secours pour persévérer jusqu'à la fin ».

    3.2. «Je peux me considérer en tout un miraculé de la Ste Vierge, notre bonne Mère : et quant au corps, et quant à l'âme.

Quant au corps j'ai eu des infirmités sans nombre ; plusieurs fois j'ai été en danger de mort, j'ai dû subir des opérations très dures, mais j'ai pu m'en sortir chaque fois grâce à l'intercession de la très Ste-Vierge. A cause de mes infirmités on m'a toujours considéré comme un diminué physique et cela avec un paternalisme exagéré, c'est pourquoi on ne m'a jamais donné la chance de pouvoir accrocher quelques titres académiques.

Mais grâce à ma ténacité et à l'intercession de la Ste-Vierge, j'ai pu accomplir mon devoir professionnel dans l'enseignement, devoir aussi bien accompli que tant d'autres de mes confrères qui eurent plus de chances de pouvoir s'instruire et de se ressourcer. J'ose parler ainsi, car ce n'est pas mon mérite, mais le mérite de la Ste-Vierge qui a voulu me choyer sans aucun mérite de ma part.

Quant à mon âme, il s'est passé aussi des choses très lourdes : je ne crois pas utile de les énumérer mais il est bon qu'on sache que toujours la Ste-Vierge a su si bien faire que chaque fois c'est Elle qui m'a aidé à m'en sortir grâce à la dévotion que j'ai toujours gardée envers Élle : bien sûr jamais cette dévotion ne m'a fait défaut, mais je ne l'ai jamais eue trop grande, car je reste malgré tout son pauvre et très limité serviteur.

Je déclare aussi que j'ai incité mes élèves à la dévotion à Marie : je leur ai demandé qu'ils L'aiment véritablement, en Lui consacrant leur corps et leur âme et qu'ils aient recours à Elle comme à une mère toute puissante dans toute sorte de dangers, tant corporels que spirituels. Tous les jours je l'ai priée et encore maintenant je la prie avec mes élèves. Quand j'étais en prison, les jours que je pouvais, je Lui récitais jusqu'à 9 chapelets et maintenant, depuis 3 ou 4 années je Lui récite les 3 parties du Rosaire chaque jour.

Enfin, comme vous pouvez le constater, grâce à son intercession, j'ai mérité de Dieu et de son divin Fils, d'être ce que je suis. Je dois dire aussi que je n'ai jamais été déçu de Marie, malgré d'autres crises de tous genres, en Elle j'ai trouvé toujours la véritable solution.

Je n'aime pas écrire du bien de moi, mais je sais que c'est pour Élle que je le fais et que tout ceci soit pour son honneur et pour sa gloire qui sont le même honneur et la même gloire de Dieu le Père, le Fils et le St-Esprit. Ainsi soit-il».

4) – CAS DES JEUNES.

Le cas suivant a été choisi pour faire réfléchir ceux qui, trop facilement pensent que les jeunes ne sont pas intéressés par la Vierge Marie.

«Je suis scolastique.

Une des raisons pour lesquelles j'ai justifié, au Noviciat, ma consécration religieuse dans l'Institut, c'est le charisme marial de celui-ci, car personnellement je vivais mon imitation du Christ à partir de l'attitude de Marie.

Aujourd'hui, après 3 ans, j'ai centré davantage ma vie en Christ et ma spiritualité est celle qui jaillit du Mystère Pascal.

Ma relation avec Marie s'est orientée dans ce sens :

– Son fond intérieur est ce que je m'efforce d'imiter en elle et ce que j'admire le plus.

– Sa contemplation me porte à mon idéal, Jésus.

– Le rosaire est pour moi un acte de contemplation du Mystère Pascal et j'ai décentré le sens marial unique que je lui donnais auparavant.

– Par l'intermédiaire de Marie je confie chaque jour ma vocation à Dieu.

– Je me dirige particulièrement vers elle peu fréquemment.

– Je l'aime comme ma propre Mère et surtout pour sa façon merveilleuse de participer à l'Histoire du Salut.

Au cours des longues années de juvénat, ma dévotion à Marie fut très intense, je me risque à dire aujourd'hui, exagérée et sans une claire vision de la vie spirituelle. Je n'avais ni ne connaissais un équilibre en ce qui regarde l'essentiel de ma foi. Marie remplissait tout. Voici quelques caractéristiques de ce temps-là :

– De nombreuses pratiques, oraisons jaculatoires, chapelets, tout dirigé vers Marie.

– Dévotion très tendre, très affective.

– Il me plaisait de la voir avec Jésus dans ses bras.

– Il y eut une époque où la figure de Marie se ramenait toute à celle de Marie Immaculée, parce que je mettais Marie en relation seulement avec la Pureté.

– Marie était ma ressource ordinaire.

Au Noviciat, j'ai purifié ma dévotion mariale.

Actuellement, je ne suis pas satisfait de mon effort dans cette relation avec Marie ; je crois que cela n'est pas dû à une mauvaise orientation, mais plutôt à un affaiblissement généralisé de ma vie de foi ».

5) – CAS DE NOUVELLES CHRETIENTÉS.

Les deux cas suivants sont empruntés à des religieux maristes africains.

    5.l. «Ma première rencontre avec Notre-Dame eut lieu en 1958 alors que je faisais du commerce. C'est alors que j'ai compris que si je ne mettais pas en elle mon refuge, je ne demeurerais pas longtemps en état de grâce et d'amitié avec Dieu. Elle m'a poussé à me joindre à la Légion de Marie, mouvement engagé dans un apostolat actif. Marie n'a pas hésité à me manifester sa maternelle sollicitude. C'est à cette époque que j'ai pris la décision d'abandonner toutes les formes de médiocrité qui prévalaient dans mon milieu. Le résultat fut une attaque de tous les côtés à commencer par les membres de ma proche famille et en allant jusqu'à toute ma parenté. Tous en chœur, ils se liguèrent pour me convaincre que je m'étais éloigné des traditions de nos ancêtres. En fait c'était une révolution totale : je m'opposais avec force à toutes les pratiques irréligieuses que ma famille avait hérité de nos grands-parents qui étaient des païens. En conséquence, j'étais rejeté. Cela était dû au fait que je prévenais les miens que leur manière de voir certaines choses était complètement opposée à la religion chrétienne. C'est alors que j'ai fait l'expérience de ce que Paul avait écrit : «Je surabonde de joie au milieu de mes tribulations».

Mon premier mouvement fut de me consacrer à Jésus par Marie ; durant cette période, j'ai fait l'expérience de quelques visites célestes («heavenly visitations») particulièrement dans des cas d'incertitude. J'ai goûté à beaucoup de consolations spirituelles mais cela a eu des conséquences néfastes sur ma santé parce que je rejetais presque tout ce qui était terrestre. Donc, ma santé devint mauvaise ; mon médecin me fit une mise en garde. Vers la fin de 1960, j'ai reçu la réponse de Notre-Dame et j'ai su ce qu'elle souhaitait me voir faire.

Aussi, le début de 1961 est-il un point marquant dans ma vie : ce fut le moment de mes plus grandes épreuves et le moment où Notre-Dame me poussa à rejoindre la congrégation des Frères Maristes.

A ce moment précis, je reçus une lettre du regretté F.J. de sainte mémoire. J'appris à mes amis et à ceux qui me voulaient du bien que j'étais appelé à me joindre à l'Institut des Frères Maristes et ma joie était à son comble de porter le nom de Marie. Avant de me rendre à U… j'avais lu des livres sur Notre-Dame comme La vraie dévotion à Marie de St Grignon de Montfort. Je dois dire que j'étais épris de Notre-Dame et que j'étais entièrement donné à Marie avant même de joindre les Frères Maristes. En conséquence, tout le temps où j'étais aspirant, postulant ou novice a été une preuve concrète du haut degré d'amour que Marie me portait.

Le regretté F. J…. fut le premier à s'en rendre compte parce qu'il était un homme qui voyait clair. En bref, ma vie a été un tissu de miracles continuels. Je vais n'en citer qu'un : quand je vivais à U… en 1961, j'avais une blessure à une jambe et cela avait duré depuis quelques mois. Le F. J… m'envoya à l'hôpital où je suis resté pendant deux semaines. A mon retour à U…, la blessure a continué à me causer des soucis. Je n'étais pas capable de prendre part à la récréation avec les autres bien que je pouvais exécuter des travaux manuels qui ne demandaient pas des déplacements. Pour dire vrai, le F. J…. n'appréciait pas de me voir malade. Un jour il m'appela en entrevue et me demanda à brûle-pourpoint : «Aimez-vous Notre-Dame ?». Je lui répondis : «Si je ne l'aimais pas, qu'est-ce que je ferais ici ?». Ainsi il comprit que Marie était la raison principale de mon choix pour la vie de Frère. Alors il me donna une relique de premier choix et il me demanda de commencer une neuvaine pendant qu'il en ferait autant de son côté en vue d'obtenir ma guérison de Notre-Dame (J'étais bien convaincu dans mon for intérieur que si cette neuvaine n'était pas pas exaucée, on me demanderait de quitter).

Heureusement environ cinq jours plus tard comme le F. J… me croisait après la bénédiction du dimanche soir, il me demanda de lui faire voir ma jambe. Je la lui montrai. A sa grande surprise, il constata que la blessure s'était miraculeusement cicatrisée. Cette intervention le confirma dans sa conviction que Notre-Dame m'avait confié une mission spéciale. Dès lors, notre amitié devint de plus en plus solide.

Vers la fin de mon noviciat, tout était contre mon admission aux vœux. C'était le F. X… qui était Provincial. Durant l'entrevue que j'eus avec lui, je lui fis part de mon âge et de mon peu d'éducation. Ces révélations n'ont pas semblé lui plaire. Je remarquai qu'il semblait hésiter à m'admettre aux premiers vœux. Je me rendis à la chapelle pour me recommander à Marie.

Toujours est-il que le jour de la profession, j'ai été admis à prononcer mes vœux avec les autres novices. Après la cérémonie un saint Frère s'approcha pour me serrer la main et il me demanda si j'avais eu la permission de faire mes vœux.

D'après le timbre de sa voix, je compris qu'une bataille en règle avait eu lieu autour de mon admission aux vœux. Merci à Notre-Dame qui s'est servi du F. G… maître des novices et du regretté F. J…, visiteur, comme de ses instruments pour faire voir au F. X… que pour Dieu l'âge et l'éducation ne sont pas des absolus.

J'ai été troublé par le discrédit qui a entouré la dévotion mariale après le Concile. Dieu merci, elle est en train de reprendre et j'espère que ça va durer ».

    5.2. La Vierge Marie est réellement notre Mère. Cependant, l'Ecriture dit d'Elle seulement qu'Elle est Mère de Jésus-Christ, le Fils de Dieu et notre Sauveur. Dieu l'a voulu ainsi. Dieu nous laisse à notre initiative.

Tous ont une mère sur la terre. On peut faire une comparaison avec une mère de la terre. Une personne adulte peut voir ce qu'une mère souffre de sa maternité jusqu'à ce que les enfants aient grandi et même soient morts : toutes ces souffrances sont regardées comme un acte d'amour. Mais sans la Rédemption du Christ, elles auraient été vaines.

Mais la tendresse d'une mère pour ses enfants et même ses souffrances ne seraient pas plus grandes que celles d'un animal envers ses petits si Notre-Dame n'avait pas purifié et exalté ces choses, physiquement et spirituellement par Celui qu'Elle a mis au monde.

Mes parents sont protestants, mais j'aimais tant . ma mère que je les suivais à leur église et quelquefois j'allais à l'église catholique avec un neveu, mais quand je fus un peu plus avancé en âge, je découvris, et ce fut grâce à Notre-Dame, que dans l'Eglise Méthodiste une chose manquait : ils ne disaient pas le «Je vous salue Marie» dans leurs prières ni le chapelet et ne disaient rien au sujet de Marie.

Et j'aimais dire le «Je vous salue Marie» et écouter ses bontés envers ceux qui l'honorent, choses qui, pour des raisons qui m'étaient inconnues, n'existaient pas dans l'Église Méthodiste. Je me suis alors tourné vers l'Eglise Catholique où plus tard je fus baptisé et, étant le premier fils, j'obtins par la récitation constante de mon rosaire et la bonté de Marie, que le reste de mes frères et sœurs s'intéressent à Marie.

Comme moi, ils entrèrent dans la Légion de Marie et tous furent baptisés. À la maison nous récitions notre rosaire ensemble et nous le disions même avec nos parents qui étaient encore protestants. Ils me connaissaient comme celui qui honore Marie quand eux ne servaient que Dieu. Mais à notre grande surprise et celle de nos voisins, il n'y a eu aucun trouble à la maison, malgré les efforts de mon père contre ma dévotion à Marie.

Comme le temps avançait, j'entrai moi-même dans un groupe de la Légion de Marie où, je ne puis expliquer ce qui m'arriva, je fus d'abord dans les auxiliaires comme un commençant. Là, on nous enseigna comment dire le rosaire et nous le disions dans la réunion après la messe avec d'autres prières formant une chaîne ; et l'Angélus récité très solennellement nous était enseigné comme un acte d'honneur envers Marie à réciter quotidiennement, et je n'ai jamais manqué de le dire. Quant à mon rosaire, je le récitais, et j'avais alors 20 ans, à différents moments de la journée.

Le «Je vous salue Marie» je savais comment le réciter. Je m'en fis comme un point d'honneur, et j'ai toujours dit mon rosaire aussi souvent que possible sans autre raison que l'amour de Marie de laquelle on nous a dit qu'elle rassemblait toutes les prières qui lui sont adressées pour aider ceux qui sont dans le besoin. Elle est une distributrice équitable des grâces de Dieu.

Voilà donc la source de ma dévotion à Marie.

Alors vint le moment ou je fus un membre actif au præsidium du Junior-Senior où je travaillai pour Elle en faveur des pauvres, des veuves, des handicapés et en instruisant les ignorants.

Comme je comprenais son rôle et ses vertus, par-dessus tout sa simplicité, sa vie cachée, son humilité, sa modestie et toutes les autres bonnes vertus au-dessus des forces humaines, ma dévotion croissait et me poussait fortement à entrer dans une société où je pourrais me consacrer exclusivement à Elle ; ce fut alors un moment d'incertitude parce que je ne savais pas quoi faire.

Je m'étais déjà entendu avec Elle que je la servirais si Elle m'aidait à passer mes examens, mais que, si j'échouais, alors je saurais que je devrais la servir seulement comme tous les autres. Ayant réussi je me mis à chercher de l'emploi dans les journaux et un jour je trouvai de la publicité sur la prêtrise et la vie des Frères Maristes. Je fis alors une demande pour les deux, bien que n'ayant aucune connaissance de la vie des Frères avant de les avoir rencontrés.

J'allai vers la prêtrise, et j'eus une interview ; plus tard on me référa à l'évêque pour qu'il confirme mon entrée au grand séminaire, mais en même temps j'attendais une réponse des Maristes. Comme il plaisait à Notre-Dame, j'obtins une réponse et je fus appelé pour une rencontre. Ayant réussi sans difficulté et même sans être allé voir l'évêque de mon diocèse, je me trouvai au Noviciat des Frères Maristes, aidé financièrement par le groupe du rosaire de mon quartier parce que mon père était incapable de m'aider.

Quand j'arrivai au Noviciat nous étions quatre, mais après, deux quittèrent et nous ne demeurions que deux qui commencèrent leur postulat. Avant la fin du postulat l'autre quitta me laissant seul pour faire mon noviciat ; seul, croyait-on, mais en réalité je fis mon noviciat avec Notre-Dame. Alors, quand arriva le temps de ma profession, elle m'envoya à B. ou je représentais toutes les Congrégations de Frères de mon pays durant le pèlerinage national de l'Année Sainte le jour de sa Fête, le 8 décembre 1974. Un peu avant ce jour, j'avais entendu mon saint patron, Saint Lazare dire, par la voix de mes Supérieurs, que je ferais ma profession le jour de sa fête, le 17 décembre. Les autres saints pouvaient bien vouloir que ce soit le jour de leur fête, mais Notre-Dame arrangea les choses pour que ce soit le jour de sa fête à elle : 8 décembre. Quelle faveur !

Mon expérience de Marie ne peut pas être pleinement développée dans cet écrit pour Elle.

Elle gouverne ma vie, elle me préserve dans ma vie religieuse en venant spécialement à mon aide dans les situations les plus désespérées. Je lui ai donné mon corps et mon âme par des oraisons jaculatoires je lui dis deux fois par jour et au moment des tentations : «O Marie conçue sans péché, sanctifie mon corps et purifie mon âme». Ainsi ce n'est plus moi qui agit, mais je trouve en cette formule une confiance totale en Elle : Donne un œuf à Marie et Elle te donnera en retour une poule bien portante pour te pondre des œufs et te donner des poulets.

Oh ! qui pourrait ne pas sentir implicitement que c'est un peu la chair de Marie qui est dans le Saint-Sacrement puisqu'Elle donna à Jésus sa chair et son sang et pourtant, quoique ayant parfaitement droit d'être remarquée, elle s'est tenue tranquillement en prière pour notre salut, comme le Christ qui, bien qu'ayant tout en commun avec le Père, n'a pas réclamé son égalité avec le Père.

Je pourrai entendre Notre-Dame me dire toujours de faire ce qu'Il a dit aux serviteurs aux noces de Cana. Elle fait tout cela pour moi parce qu'elle est mère des hommes, et non pas à cause de ma piètre dévotion envers elle, même si elle sait que je ne pourrais guère faire plus. Je dis mon chapelet régulièrement et offre tout à Dieu par ses mains.

Si j'imite quelque saint dans ma dévotion, c'est à Marie que je le dois. Je dirai que je connaissais Marie avant même que je connaisse assez Jésus-Christ pour le suivre ».

6) – MARIE ET LE RELIGIEUX DU 3ième ÂGE.

Marie est capable de guider le religieux arrivé à l'âge de la retraite, vers un nouveau départ et un nouvel héroïsme.

    6.1. «J'ai célébré 50 ans de Vie Religieuse le 06.01.76, à P. A. Pour remercier des innombrables grâces reçues et après mûre réflexion et prière, j'ai décidé, après avoir entendu mes supérieurs locaux, de donner mes années qui restent à l'œuvre missionnaire que j'ai toujours aimée, maintenant dans la Prélature immense et presque abandonnée.

Comme conséquence normale de mon choix, j'ai démissionné de la charge bien rémunérée de professeur titulaire de l'Université fédérale et de celle de directeur de l'Institut de Philosophie et Sciences Humaines où j'ai enseigné depuis sa fondation. Une fois connu, ce choix a produit une certaine perplexité parmi mes parents, mes amis et même des confrères, mais maintenant elle est dépassée, puisque j'ai expliqué clairement l'unique raison qui m'a motivé, qui n'est autre que celle de remercier Dieu et la Très Sainte Vierge.

Maintenant, quelques aspects mariaux de ma vie personnelle :

a) Je suis vraiment comblé de grâces par Notre-Darne depuis mon enfance, puisque ma mère, quoique semi-analphabète, était d'une rare piété mariale. Dans son authenticité cette mère m'a parlé beaucoup de fois de la Sainte Vierge et a cultivé en moi la vocation mariste, spécialement pendant les périodes de vacances. Encore enfant, je sentais déjà l'appel à la vocation mariste, vocation qui ne m'a jamais laissé le moindre doute mais une pleine assurance sur le chemin choisi.

b) Avec le passage des ans, ma vie religieuse sous l'impulsion directe de Marie qui m'a toujours orienté parfois de façon concrète, a commencé son processus de sélection et d'approfondissement ; j'ai vu clairement ce que signifiaient les vœux, leur vrai sens ecclésial, leur force libératrice pour mieux servir l'idéal chrétien et religieux.

La Sainte Vierge est devenue une présence continuelle, une conseillère et, avant tout, une Mère empressée. Dès lors, beaucoup de choses de la théologie, l'évangile de S. Luc même, et la pensée des maîtres de la Spiritualité Mariale ont pris une nouvelle signification, avec des conséquences directes pour ma catéchèse, pour ma vie intérieure, pour mes relations et particulièrement pour mon esprit de donation. L'évangile, les sacrements, l'Eglise, les vœux, la vie tout a été porté à la transparence et à l'unité. Je ne sens plus de tensions, de dichotomies, d'antinomies insurmontables. L'Eucharistie, la Messe sont devenues centrales.

Et tout cela naturellement, sans sursauts ou doutes, mais très maternellement, vu qu'Elle a assumé ce que je lui ai confié totalement en cherchant les seuls intérêts de Son Divin Fils.

c) De cette présence mariale est née chez moi une totale confiance dans la vie, qui a dégagé l'avenir qui m'apparaît chaque jour plus rempli de ses desseins d'amour. Je le ressens comme une exagération maternelle de sa part, qui me porte à une générosité calme et opérante dans mes limites que je ressens de plus en plus sans me laisser abattre.

d) Les vœux surtout ont pris du relief, spécialement la chasteté, et justement à une époque surexcitée sexuellement et avec des dérèglements presque officialisés par une société décadente. Le sens d'oblation et de sacrifice qui exprime et anime ma vie, lui donnent des joies inattendues et tellement profondes que je me demande quel est bien mon mérite d'être leur dépositaire. Enfin, tout est grâce.

Que la nouvelle Circulaire que vous avez si heureusement voulu donner à la Congrégation soit pour la vocation mariste un fort stimulant charismatique et éveille dans l'Eglise des vocations maristes parmi les jeunes ».

 6.2. «Je suis né à J. en 1906 et j'ai grandi dans ce qui est devenu le centre de la ville. Enfant, j'ai été à l-école primaire publique, puis je suis entré dans une autre école qui orientait vers l'école normale. J-avais effectivement dit que je voulais devenir professeur. Quant aux Frères Maristes, ils avaient aussi une école dans ma paroisse, la seule école de la ville à ce moment-là. Et c'était même leur toute première école dans le pays. Mais moi je n'étais pas allé chez eux. Je n-avais été que dans des écoles d'Etat, qui étaient des écoles mixtes, et où l'on n'enseignait pas la religion.

Ce que j'avais reçu comme enseignement religieux, c-étaient des leçons du dimanche matin auxquelles étaient conviés les élèves des écoles publiques : une heure environ, ou moins. J'avais donc peu de préparation aux sacrements. J’ai fait ma 1ière Communion à 14 ans et, pour ma première confession, je me suis débrouillé tout seul, sentant tout juste le besoin de me confesser.

Je suis devenu enfant de chœur, et je servais la messe sous la direction de Frère C. qui était chargé des enfants de chœur. Et je voyais aussi les Frères à l'église. Ils venaient les mercredis et les vendredis soirs pour le chapelet et la bénédiction. Je les voyais arriver, 14 ou 15, et ils m-impressionnaient, mais je n'avais aucune idée du sens du mot mariste. Je croyais que cela voulait dire : de Maritzburg (ville du pays).

Je savais qu’ils étaient enseignants, religieux enseignants, mais quant à leur vie, ce qu'ils faisaient, pourquoi ils vivaient en communauté, j'avais seulement l’idée qu’ils avaient des vœux et ne se mariaient pas.

Il y avait eu une Sœur du couvent, qui préparait les enfants de l'école publique à la confirmation et qui m’avait dit : «Ne veux-tu pas devenir prêtre». J'avais dit : «Non, merci». Et on en était resté là.

En 1924, un 7 septembre – j'étais allé aux complies à l’église. Un des prêtres, le Père B. avait fait un sermon. Je m'en souviens comme si c'était aujourd'hui. C'était sur Notre-Dame. Il avait rappelé : Demain c’est la naissance de Marie. Marie est vraiment notre mère. Vous faites un cadeau à votre mère le jour de son anniversaire. Pourquoi pas à Notre-Dame ? Promettez-lui que vous ferez quelque chose en son honneur demain. Peut-être de venir à la messe et de communier, ou de bien dire le chapelet.

Après la bénédiction, j’allai vers l'autel de Marie, à gauche. À genoux, je regardais la statue et je disais à peu près : «Ô Mère, je ne sais pas que faire pour ta fête. Je ne sais pas quoi t'offrir. Mais prends-moi comme cadeau de fête».

C’était donc le 7 septembre. Et deux semaines plus tard, je faisais mes devoirs un peu à l'avance, ce jour, car le soir je devais aller aux courses de chiens, où je travaillais pour me faire un peu d'argent. J’avais 18 ans. Le P. B. vient à la maison. Ma mère va à la cuisine faire une tasse de thé, et alors, je pose la plume, et dis au prêtre : «Je pense que je voudrais être Frère Mariste». Il répond : «C’est formidable. J’en parlerai au Frère Provincial». Il revient le dimanche.

Il avait demandé pour moi un rendez-vous avec le F. Provincial.

Je vais donc voir le F. Provincial sans en parler à mes parents. Je lui explique mon idée. Il me donne un livre de prières et les principes de «Perfection chrétienne», et il ajoute : «Il faut en parler à vos parents, et demander à votre père s’il veut venir me voir».

Je commence par en parler à ma mère. Sa réaction est positive : «Si tu deviens Frère Mariste, ce serait la plus belle chose de ta vie. Moi je suis d’accord, mais il faut voir ton père ».

Mon père bricolait une radio. Je lui dis mon projet. Il me répond : «Je ne pense pas que tu puisses te faire Frère. Les Frères se lèvent de bonne heure, et toi on ne peut pas te tirer du lit». Je lui réponds : «Ils se lèvent tôt, mais ils doivent se coucher tôt. Dans ce cas, moi aussi je pourrai». Il dit encore : «Les Frères ne vivent pas dans le monde. Et toi tu aimes trop le monde. Cette semaine tu as été dehors tous les soirs. Deux fois c’était pour travailler, mais, les autres fois ?». Je dis : «C’est vrai, mais si je rentre chez les Frères, je quitterai le monde. Je peux le quitter si je veux». Il me dit encore : «Les Frères ne gagnent pas de salaire. Toi tu aimes l'argent. Tu te plains de ne pas gagner assez aux courses de chiens, tu dis qu'on devrait te payer plus». — «C’est peut-être vrai, mais je veux essayer». —«Eh bien, dans ce cas, je ne m'y oppose pas. Autre chose ?» — «Oui, le Frère Provincial veut te voir demain». — «D’accord, j’irai et je lui dirai mon opinion».'

Je dois ajouter que j’étais le plus jeune. J’avais 3 sœurs déjà mariées. J’allais donc, en quittant la maison, laisser mes parents tout seuls.

Mon père alla voir le F. Provincial le 3 octobre. Il revint en me disant : «Tu pars le 9 janvier pour l'Italie. On va préparer ton passeport et tes habits. Mais c'est toi qui paie le bateau avec l'argent que tu as en banque. Une fois au noviciat, si tu vois que tu t’es trompé, reviens sans crainte. Il y aura toujours une place pour toi à la maison. Mais ta mère et moi, nous espérons que tu puisses tenir ». …Je devais faire mes vœux deux ans après le 8 septembre.

Je passe sur ma vie et mon apostolat. … Arrive l’épreuve de la perte de la vue, en 1957. Le docteur me fait appeler et me dit gentiment que l'opération n'a pas réussi. Il me serre la main et me dit : «J'espère que dans le monde des aveugles, vous emploierez bien votre cécité». L’infirmière pensait que je n’aurais pas d'appétit, mais je lui dis : «Apportez-moi mon souper et apprenez-moi à me servir de ma fourchette et de mon couteau. Il faut que je pense à l’avenir». Elle était étonnée que je puisse accepter mon épreuve avec ce courage. Mais c'était simplement une grâce de Ste Thérèse de l'Enfant Jésus. J'en suis tout à fait sûr.

Je demandai ensuite à Ste Thérèse de m'obtenir un signe qui me montre que c’était la volonté de Dieu. On me conseilla d’aller une semaine dans une maison de cure. Il y en avait 10 dans la ville. Une seule avait des places libres. Et l’aumônier était Mgr Vernon Johnson, converti de l'anglicanisme et très dévot à Ste Thérèse. Il me dit : «Frère, vous n’avez pas eu de chance avec votre opération, et pourtant Ste Thérèse était près de vous. Eh bien, Ste Thérèse veut que vous fassiez quelque chose maintenant en tant qu'aveugle»… Et j’ai fondé la Guilde de Ste Thérèse pour les aveugles. (Bulletin de l’Institut vol. 29, p. 61).

Quant à ma vie spirituelle je dirais ceci. Au Second Noviciat, 7 ans avant ma cécité, je l'ai basée sur l'Epiphanie, la visite des mages, apportant l’or, l'encens et la myrrhe. Pour moi ces présents symbolisaient charité, prière et mortification. Je ne savais pas alors que la myrrhe que j’offrirais à l'Enfant Jésus serait ma cécité. Cela n’a pas été d’ailleurs une bien grande croix, car j’avais appris à porter la croix.

J'ai pris pour devise : « Ils trouvèrent l'enfant avec Marie sa mère». C'était là que j’espérais le trouver toujours aussi. Au Second Noviciat nous avions fait la consécration totale à Marie selon Grignion de Montfort : ça été une des plus grandes grâces que j’ai reçues au Second Noviciat. Nous l'avions faite un 21 novembre. Je l'ai renouvelée chaque 21 du mois.

Auparavant j'avais pratiqué la dévotion connue sous le nom de Garde d’Honneur du Cœur Immaculé de Marie, qui consistait à choisir une heure chaque jour pour la consacrer à Marie dans le recueillement et la forme de prière ou d’esprit de prière que la situation permet. Jusqu'à ma cécité, je n'y étais pas très fidèle. Mais après, je suis vraiment entré dans l’esprit de cette pratique, j’ai modifié et intensifié ma manière de la vivre et c'est rare que je l’oublie.

J’ai même appris à étendre l’esprit de cette dévotion à chaque heure du jour, depuis le réveil à 5 heures. Au début de chaque heure je consacre le travail, les efforts et les aspirations de cette heure à Dieu sous la protection maternelle de Marie que j’invoque sous l'un ou l’autre de ses nombreux titres.

Et à chaque heure, j’associe aussi un de mes saints patrons et je lui demande de prier pour moi pendant l’heure. La Garde d'Honneur est ainsi devenue pour moi une sorte de style de vie.

Quand j'étais enseignant je récitais un chapelet chaque jour. Maintenant j’ai plus de temps, je dis le rosaire entier. J'en récite une partie en me promenant et ce n’est pas difficile de réciter tout le rosaire avec recueillement quand on marche tranquillement. C'est toujours ma «prière chérie».

La dévotion à Marie est très importante pour moi et elle m’est très chère. C’est à Marie que je dois ma vocation. La prière de la Garde d’Honneur que je récite est la suivante :

O Jésus, par ta sainte mère

daigne accomplir sur nous ta volonté sainte pour que nous soyons de dignes gardes de son Cœur Immaculé.

Et j'y ajoute :

O Mère, je t'offre pour Jésus

tout ce que je ferai pendant cette heure».

7) – VIE MARIALE RAJEUNIE.

Enfin les derniers exemples évoqueront une vie mariale rajeunie, dans la mouvance de Vatican II. A partir d'une formation traditionnelle, certains ont pu évoluer, suivre l'esprit du Concile et progresser.

    7.1. «La première médiation dont le Seigneur s’est servi pour semer en moi l’amour de sa Mère est aussi simple et naturelle que grande et insondable, à savoir : la personnalité de ma propre mère. Une mère très chrétienne mais qui, à ce qu’il me semble, ne prononce pas plus souvent que d'autres le nom de Marie : c'est surtout par son être qu’elle est révélatrice. Elle était la seule femme de la famille. Le père et les trois fils étaient des esprits «scientifiques» : bien armés pour une connaissance approfondie des phénomènes et des concepts mais maladroits en société, manquant d'entregent (oui, c’est bien ainsi que je suis). Elle était tout le contraire : la technique ne lui disait rien mais elle savait tout dire aux gens sans complication ni complexe. Les moments, heureusement très rares, où, en son absence, nous nous retrouvions, tous les quatre et tout penauds, étaient des moments d’épreuve ; nous étions capables de subvenir à nos besoins matériels, habitués, pendant les années de guerre, à nous contenter de peu, formés à nous entraider, à «rendre service» ; et pourtant, il nous manquait quelque chose d'indispensable à notre épanouissement… je ne saurais dire exactement quoi, cela résiste à l’analyse : une présence, un lien, une âme. L'«âme» de la famille n'était pas pourvue de diplômes universitaires, elle n'en était pas moins appréciée, estimée, aimée. Elle ne remplissait pas une fonction en vue dans la cité ; elle ne représentait pas, comme le père, une autorité ; elle était néanmoins très respectée, écoutée, et toujours dans une ambiance de simplicité. Je n’imaginais pas qu’il puisse y avoir une discordance entre sa voix, si proche, et l'autorité légitime, qui, c’est vrai, était au-dessus.

Eh bien, insensiblement, une transposition s’est opérée, en moi, au plan surnaturel : notre Mère à tous, Marie, est, depuis toujours, pour moi, le milieu divin indispensable à mon épanouissement spirituel. Ce milieu est une personne, très proche. J'apprécie l'honneur et je mesure les exigences de l'appel que le Seigneur, malgré ma maladresse et mes lâchetés, m’adresse, m’invitant à vivre en mariste, c’est à dire : «actualiser», par ma manière d'être, la présence de Marie dans notre inonde, aujourd’hui. Mais je souffre de ne pas savoir, de ne pas pouvoir, dans ce monde qui perd la foi, enseigner aux autres ce qu’est pour moi la Vierge Marie, ou de le pouvoir si peu !…

Je sais bien qu’elle n’est pas membre de la Hiérarchie, qu’elle n’est pas Maîtresse d’une doctrine originale, car sa voie est surtout celle du silence et du service discret. Théoriquement, je pourrais me passer d'elle ; en fait, cette seule hypothèse me rend triste et malheureux. Son rôle dans ma vie spirituelle me fait penser à celui du catalyseur d’une réaction chimique : il n’apparaît pas dans l'équation, mais, sans lui, ça ne fonctionne pas. Je ne comprends pas, je m'incline. En Marie, je constate que le divin ne se met pas en équation, qu'il ne peut s’enfermer dans nos catégories ; avec elle j'entre dans le Mystère. C’est auprès d'elle que je suis le mieux placé pour écouter la Parole : «Je te rends grâce, ô Père de ce que tu as caché ces choses aux grands et aux savants et que tu les as révélées aux petits et aux humbles».

Je n'ai aucun mépris pour la théologie. Je suis intellectuel et désireux d’harmoniser, en moi, foi et culture. Seulement, je pense que cette harmonisation, pour l'essentiel, n'est pas mon œuvre ; je me dispose davantage à la recevoir qu’à la conquérir. Et c’est pourquoi, en dehors des célébrations sacramentelles, la prière la plus enrichissante pour moi est la prière des pauvres, des simples, du peuple, la prière préférée de la Vierge : le Rosaire. Il n'est routinier et monotone que si le cœur n’y est pas – mais cela, on peut le dire de beaucoup d'autres choses – autrement, rien n'est plus vivant !

Lorsque j'ai exprimé le désir d’entrer au juvénat, à l’âge de 12 ans, mon père a préféré que je fasse des études normales jusqu’à la «majorité» de 21 ans. J’ai présenté cette situation à la Sainte Vierge et j’ai vu qu'il n’y avait rien de dramatique ; il me parut vite ridicule de ruminer l'angoissante et lancinante question «comment donc pourrai-je tenir ?» alors que tous les soirs je «Lui» confiais mon cœur. Amateur de lecture et d'étude, j’étais, habituellement, le dernier couché de la famille et je terminais ma veillée, dans le silence de la nuit, debout ou à genoux devant une image de la Vierge, récitant un nombre indéterminé mais important d'Ave Maria – je n’introduisais pas la comptabilité dans ce domaine – avec une grande ferveur. Je lui disais mon désir absolu de fidélité et je la priais pour toutes les personnes en difficulté, notamment pour les chrétiens persécutés d'Europe orientale et pour leurs persécuteurs. Et à 21 ans je fus très heureux de pouvoir continuer au Postulat, mais sous une autre forme !…

C'est pour moi comme une preuve expérimentale de la valeur de la prière mariale. Comme fruit de cette prière, le Seigneur a bien voulu mettre à ma disposition des ressources très supérieures à celles d’une volonté humaine, susceptible de se cabrer. Je n'ai rien d’un foudre de guerre et je suis plutôt porté, par tempérament, au pessimisme ; or, sur ce point de ma vocation mariste, j’ai toujours eu un moral de vainqueur. Je ne m’en glorifie nullement car la Vierge m'a saisi, c'est évident, bien avant que je ne vienne à elle.

Je crois que ce qui m'a pacifié le plus, durant cette attente de neuf ans, c'est le caractère inconditionnel de ma volonté de fidélité : j’y tenais plus qu’à l'aboutissement de mes études, plus qu'à ma réputation, plus qu’à la vie, j’y tenais tranquillement, comme à un don de Dieu que nul ne saurait m’enlever. Et cette attitude conforme à mon caractère entier («tout ou rien») venait aussi et surtout d’une inspiration mariale : la Vierge est, pour moi, l'Idéal du «oui» sans réserve à Dieu, un oui qui s’est développé, jour après jour, principalement de l’Annonciation au Calvaire. Les martyrs des premiers siècles ont donné leur vie au Christ, d'un seul coup, dans le sang ; les religieux ont pris la relève, donnant leur vie de manière moins éclatante, plus soutenue, étalée dans le temps : Marie leur montre la voie.

Depuis plus de vingt ans que je suis Frère, j’ajoute toujours, aux prières partagées avec la communauté, de quoi constituer un Rosaire quotidien personnel. Le temps en est pris, d'habitude, sur mon sommeil. Grâce à Dieu, cela ne m’a jamais causé aucun ennui de santé. (Je ne fais pas cela par «point d'honneur» : il y a des jours, très rares, d'extrême fatigue où j’en suis incapable ; la Sainte Vierge le sait bien). Je présente à Marie tout ce qui me tient à cœur et que j'ai oublié de lui soumettre pendant la journée : je suis de naturel très distrait mais, durant mon Rosaire, mon degré de distraction est divisé par dix. Avec, pour toile de fond, le Mystère de chaque dizaine, viennent à ma pensée, pendant cette prière, les problèmes de vie de mes proches et, surtout, de la famille mariste. J’espère que cela ne fait pas de mal à tous ces braves gens, mais moi, en tous cas, je m'en trouve fort bien. J’ai passé des années très pénibles, de contrariétés et de surmenage, la paix intérieure m'a été conservée : je l'attribue au Rosaire.

Que vous dire de plus ? — Je vais volontiers en pèlerinage à Lourdes, en moyenne une fois par an. Moi qui, mal à l’aise en société, n'apprécie pas les bains de foule, je me trouve, au milieu des pèlerins, comme en famille, comme en communauté. Il m'est agréable d’entrer en communion avec ce peuple immense, venu de tous les points du monde encore «libre», rassemblé par sa Mère dans un authentique mouvement de foi, de confiance d’amour et de louange ».

    7.2. «Tout jeune j’ai été formé à la dévotion à Marie par ma mère et ma grand'mère. Toutes deux portaient le nom de Marie, et avaient une grande dévotion envers elle, particulièrement sous la forme du scapulaire vert.

Ma grand'mère souffrait du diabète, et en conséquence avait perdu l’usage d’un oeil. Pendant une nouvelle crise où elle eut 14 convulsions, elle perdit l’usage de l’autre oeil. Elle dut séjourner à l'hôpital pendant plusieurs jours dans un état critique. Les docteurs nous avertirent qu'elle s'en tirerait, mais qu'elle ne pourrait plus recouvrer la vue.

Alors, à la demande de ma grand-mère, tous les membres de la famille se mirent à porter le scapulaire vert, et à prier la Ste Vierge. Plusieurs semaines après cette communication, on nous appela d'urgence à l’hôpital. Là on nous informa que grand-mère avait recouvré une certaine vision dans l’œil endommagé récemment. Le docteur ne pouvait pas se l’expliquer. En quelques jours la vision fut parfaite, et le resta jusqu'à la mort de grand'mère.

Depuis ce moment, nous sommes toujours restés très reconnaissants envers la Ste Vierge.

Je puis dire en toute honnêteté que mes 14 années comme Frère Mariste ont été des années de croissance dans la connaissance du rôle de Marie dans ma vie.

Il y a, dans la vie de Marie, deux événements que j’ai essayé d'imiter dans ma vie à moi.

a) L'Annonciation : Marie remplie de Foi a eu le courage de dire oui à la volonté de Dieu, même sans comprendre complètement les conséquences d'une telle acceptation. Pendant la dernière retraite à E. je vous ai parlé de ma nomination comme préfet de discipline, et de la possibilité que j'aurais d’assumer la charge de directeur. C’est la fonction que je désire le moins. Mais en réfléchissant sur l'exemple de Marie, j’ai fait savoir au Fr. Provincial que je ne demandais rien, et que j'étais prêt à servir dans n'importe quel emploi qu'il voudrait me confier pour le bien du peuple de Dieu, et celui de ma Province. Une fois de plus il semble que le Seigneur ait choisi le plus faible pour être son instrument.

b) Visitation : Marie, s'oubliant elle-même part pour servir les autres. Elle oublie ses propres besoins, et même sa joie pour aller rendre service à Elisabeth. Le message évangélique d’amour pour les autres, surtout pour ceux qui en ont le plus besoin, l’avait enflammée avant même la proclamation par Jésus.

Les besoins de la jeunesse d'aujourd'hui demandent une réponse semblable à celle de Marie. Nous les membres de sa famille devons aller en hâte vers les besoins des autres. Comme Marie, nous devons nous hâter pour leur porter secours, en portant Jésus en nous. L'Eucharistie est notre force dans ce service. Remplis du Seigneur, et dans l'oubli de nous-Mêmes nous embrassons ceux auxquels Jésus nous envoie pour les servir.

Toute la théologie, la sociologie ou la philosophie du renouveau ne peuvent ajouter un degré de beauté au commandement du Seigneur : servir comme la Vierge l’a fait, dans l’amour.

Peut-être les influences les plus marquantes dans ma vie proviennent de femmes : ma mère, ma grand-mère, la Ste Vierge, Mère Thérèse de Calcina.

M'appuyant sur l'Eucharistie, et une grande confiance en la protection de la Ste Vierge, par le rosaire, j'ai eu le courage de faire face à de très sérieuses difficultés, soit dans l'apostolat, soit dans ma vie religieuse ».

    7.3. «En 1953, mars, tous les juvénistes de T. ont été envoyés chez eux dans des circonstances particulières. Au mois de mai j’étais encore chez moi ; et, une fois, à l’église, pendant qu’on faisait la dévotion j'ai senti que, quels que fussent les événements, Marie serait toujours là, dans ma vie. Ce fut un sentiment un peu vague et douloureux à la fois. J'ai dû essuyer des larmes sans que personne ne s'en aperçût.

Au Noviciat, mon rapport avec Marie n'a pas été tellement théologal ; mais il a été sincère ; pendant le juvénat, également, à peu près. Mon rapport avec Elle avait deux pôles : les difficultés, – les chagrins – et la Communion, où je demandais à Marie d’être Elle-même à recevoir Dieu, à L’aimer, à L’adorer…

La veille de la 1ière profession j’ai eu des doutes assez grands ; «il peut se faire que ce ne soit pas mon chemin…» me disais-je. Cependant j'ai dit deux ou trois chapelets et puis, trac : un saut dans le noir, confiant à Marie ma vie.

Je me suis toujours imaginé une profession avec beaucoup de joie, d’entrain ; la mienne n'a pas été ainsi. Aujourd’hui, je suis content qu’elle n'ait pas été joyeuse parce que je puis offrir à Marie ce petit don, bien à moi.

Pendant un certain séjour à G., peu après la profession, un soir, par curiosité et par vénération, je me suis approché d'un Frère âgé, à la barbe longue, qui avait été en Chine. Lui m'a dit : «Lorsque vous aurez l'envie de vous pendre, pendez-vous au cou de la Vierge Marie». C'est une pensée qui m’est restée et que maintenant je traduis ainsi : si on a une dévotion-rapport envers Marie quoique discutable intérieurement ou extérieurement, et si on y est fidèle, Marie se charge d’améliorer et d’approfondir ce rapport, jusqu'à ce qu'il devienne vital, divino-humain.

Je m'explique. (L'évolution en moi, non la phrase du Frère, non plus ce que j’ai compris alors).

Lorsque, ayant soif d’un équilibre dans ma vie chrétienne (la mienne et celle des élèves) je cherchais des réponses, des expériences, des aides, j’ai trouvé le Mouvement des Focolarini. Par la suite j'y ai été invité. Et quand, à mon tour, je me suis présenté — mariste — on était tous des religieux — le religieux qui «présidait» est resté tout content : «quel beau présent la Madone nous envoie». Ça m'a presque-presque offensé, mais il me l’a dit avec un tel amour que je me suis dit : «voilà mon programme».

Alors, la vie d'unité avec les Religieux du Mouvement (officiellement, dans l'Eglise il se nomme : œuvre de Marie) avec Chiara, me rend Marie très présente. Entre les Religieux on échange les expériences de la Parole de Dieu – non les sentiments. Et c’est un vrai rapport : on essaye de voir les autres (et se voir – pas tellement) avec les yeux de Dieu. Voir Jésus dans le Frère, quel qu’il soit. Voir le travail de Dieu, Jésus à vivre en lui … Marie me semble alors un abîme !

Ce rapport d'unité que nous cherchons à avoir les uns envers les autres est un rapport profondément humain – nous prend tout l’humain. Le négatif on le donne aussi, mais par amour, car j’ai appris que lorsque Dieu voit le négatif, celui-ci n'est plus négatif. On met le négatif dans le Cœur de Dieu et on vit la Parole dans le moment présent.

Vivant la Parole, surtout le Commandement nouveau, Jésus est parmi nous — au milieu de nous comme Il a promis — on a donc un rapport. Mon rapport avec Marie est de ce type. Marie, disait notre Fondateur, a toujours Jésus avec Elle : ou dans ses bras ou dans son cœur.

Le départ pour le Ciel de quelques personnes que j’ai connues, soit personnellement soit par des écrits ; la connaissance de Chiara (les écrits, la vie, les video-tapes) qui nous assure de, avec la grâce de Dieu, faire toute sa part pour avoir les conditions pour avoir Jésus au milieu avec chacun – corroborée par les Pères de l’Eglise qui disent qu'« il est possible d'avoir Jésus au milieu, même à distance», sont pour moi, des expériences qui me rendent Marie très proche de moi et en même temps énormément grandiose.

«A qui M'aime, je me manifesterai». Elle, plus que quiconque, pratique l’Evangile.

Ces 4 derniers mois de mai j'ai essayé de faire quelque chose qui plairait davantage à Marie : examen de conscience dans l’après-midi sur la mise en pratique de la Parole, ou une ou autre chose – dizaine, litanies, souvenez-vous, quelques Ave Maria… et Elle a répondu généreusement.

Les litanies m’aident à lui ressembler ( !), les mots de l'Ave Maria sont pour moi des mots vraiment beaux, qui m'interpellent dans le sens de me hausser à ces hauteurs. Il me semble de comprendre ce que le Père Champagnat disait de l'Office : «c'est le St Esprit qui nous fournit les mots…». Dans un rapport vital, je n'oserais, par moi-même, Lui dire de si belles choses : la Parole de Dieu m'aide à découvrir Marie intellectuellement et vitalement.

Vivant la Parole je sens à la fois tout mon néant et qui plus est, le négatif ; mais aussi la liberté vis-à-vis de moi-même et des circonstances ; «quelle liberté, celle de Marie», «toute revêtue de la Parole de Dieu» comme dit, il me semble, R. Laurentin.

La Parole, assez contraire parfois à ma manière d'agir et à ma manière de penser, est révolutionnaire et me (nous, le groupe) sollicite sur de nouveaux chemins. Elle me fait sentir fils de Marie, qui, la première, a commencé cette aventure.

Fils aussi de sa douleur : tout perdre pour n'avoir, en ce moment présent, que la Volonté de Dieu ; tout perdre, même les bonnes œuvres, pour Dieu. L'année passée, surtout, avec des juvénistes, très peu juvénistes, ça a été une gymnastique très fréquente, exactement pendant le mois de mai.

Bien des fois je nettoie la maison parce que c'est la maison de Marie. Et lorsque je fais cette heure de 60 mn. de prière, je commence ou je finis par le chapelet parce que je le trouve merveilleux.

Les vertus de simplicité, d'effacement, de modestie, je les aime bien parce que, par elles je serai Marie ; autrefois je les voyais comme quelque chose qui freinait l'épanouissement ; aujourd'hui, tout le contraire. C'est bien vrai que celui qui perd sa vie, la trouve.

Je remercie Marie, beaucoup. Et je demande à Jésus de le faire à ma place. Je lui demande la grâce de, en étant le Fondateur vivant, suivre Sa voie, jusqu'au bout, afin que le contenu de Marie passe en moi pour être vrai fils de Dieu ».

    7.4. «En ce qui regarde ma dévotion mariale, je ne crois pas être bien différent d'autres personnes qui ont eu le privilège d'une éducation familiale foncièrement chrétienne. Mon père répétait à ses enfants avant de mourir : «Si vous avez reçu une bonne éducation vous le devez à votre mère : c'est elle qui a façonné votre âme pendant que je m'absentais de la famille pour de longs termes de dur labeur».

Il avait raison, car ma mère était «scrupuleusement» fidèle à toutes les pratiques mariales suggérées par le prêtre tout le long de l'année et ne manquait jamais d'inculquer à ses enfants cette même dévotion mariale. Toute cette série de prières quotidiennes et de pratiques hebdomadaires et mensuelles ont donc marqué ma jeunesse selon la tradition conformiste des années 1930-40.

Pendant mes années de formation chez les Frères, j'ai fort heureusement trouvé la même atmosphère mariale mais imprégnée d'une touche mariste et même d'une initiative personnelle croissante en passant du Juvénat au Noviciat et Scolasticat.

Cette formation reçue et acceptée s'est traduite dans toutes mes activités de jeune professeur d'une façon assez dynamique.

Envoyé en mission, rien ne m'était plus intéressant que de m'efforcer d'implanter «cette» dévotion à Marie chez mes élèves africains, c'est-à-dire continuer sur le sol africain ce que j'avais fait dans mon pays.

Après 10 ans de vie missionnaire, quelques années d'études m'ont fait remettre en question beaucoup de ces pratiques mariales. C'est alors que face à tous les changements sociologiques, ecclésiaux et communautaires, j'ai tout envisagé sous l'angle de la foi dans le Christ Sauveur et dans Marie collaboratrice.

C'est comme cela que je vois maintenant la présence de Marie dans notre Institut, à savoir : une collaboratrice du Christ qui travaille dans et par les Frères. C'est pourquoi, l'insistance de mettre le Christ dans ma vie mariste, je la vois aussi en admettant Marie qui collabore intimement avec le Christ dans ma vie mariste. De même, toutes mes réponses aux appels du Christ ne sont qu'en termes de la présence de Marie collaboratrice.

Dans cette nouvelle dimension, je refuse certaines pratiques qui voient en Marie une personne mise à part, c'est-à-dire une dévotion où Marie n'entre pas en relation de collaboration avec le Christ dans l’œuvre du salut à laquelle notre Institut est appelé à travailler.

Ma dévotion mariale s'est transformée dans une expérience vivante et personnelle parallèlement à une nouvelle compréhension de la foi, de la vie de prière, de vie de service, du célibat consacré et de l'Eucharistie : centre de ma journée. Je vois ainsi la présence de Marie collaboratrice dans l'Institut (Un Père Jésuite : mon conseiller spirituel, m'a beaucoup aidé dans cette transformation) ».

    7.5. «J'ai la ferme conviction, depuis longtemps que le Seigneur m'a donné la grâce d'une vocation mariale.

 «Orphelin de mère, j'ai été élevé par une tante très attachée à la Vierge et très maternelle envers moi et mes frères. Je me rappelle l'avoir entendue plusieurs fois disant à ses amies qui me faisaient des compliments : " Il est tout de Notre-Dame " » ;

A la présence chaude de l'amour de Marie je dois la grâce de la pureté et d'un grand esprit de foi, aussi bien que l'évolution à peu près normale de mon affectivité.

J'ai été élève des Frères Maristes. Ces religieux éducateurs, se nommaient Maristes à cause de leur amour à Marie : explication qui n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Mais je crois que déjà avant cette découverte se trouvait en mon âme le germe de ma vocation mariste.

Le jour de la première communion d'une de mes sœurs, pendant tout le temps de la cérémonie, j'avais les yeux fixés sur une belle image de la Vierge de la Médaille Miraculeuse et je lui répétais sans cesse : «Bonne Mère, recevez-moi dans la Congrégation Mariale comme votre enfant».

Ma première communion, faite le jour de l'Immaculée, m'avait ouvert totalement – je crois – à l'idéal de la vie religieuse dans une ligne mariale. Même avant de connaître les Frères, je n'envisageais pas du tout la prêtrise.

Chez les Frères, dans leur école ma grande surprise et ma grande joie ont été sans aucun doute le catéchisme marial et le chapelet quotidien. Un samedi le Frère nous a parlé de la Présentation de Marie au temple ; il a eu la bonne inspiration de rapprocher la vocation mariste de la consécration virginale de Marie (prompte, complète et irrévocable). Sur le champ je me décide : «Dieu veut que je sois Petit Frère de Marie». A partir de ce moment mes, prières, mes communions, portaient cette intention : «Mon Dieu, faites-moi la grâce de devenir Frère Mariste, ne fût-ce que pour un jour». Je puis vous dire que jamais le Seigneur n'a permis que je doute de ma vocation. J'ai eu au noviciat la tentation de me faire contemplatif, mais ce petit nuage n'a pas duré.

Reprenons mon itinéraire marial. Elève de Frères, dont la vie de communauté, de dévouement aux élèves dans la ligne du catéchisme et du service à Marie m'enchantait toujours plus, j'aimais lire des livres sur Notre Dame. Après la lecture du livre «Traité de la vraie dévotion à la Ste Vierge de G. de Montfort, et une sérieuse préparation, j'ai prononcé cette consécration. Les fêtes de la Vierge toujours m'ont attiré fortement. A l'exemple du P. Champagnat, je me suis arrangé pour prendre une décision importante, assumer un poste, une fonction, un jour dédié à Marie. Je suis entré au noviciat le jour anniversaire de ma consécration totale à Jésus par Marie.,

Avant d'entrer chez les Frères, ma dernière année de collège, je fus élu «instructeur ou maître de novices» de la Congrégation Mariale ; je devais faire deux instructions par semaine aux candidats (des gars de 15-16 ans). Le livre de Roschini : «Qui est Notre Dame ?» faisait mes délices ; les gars m'écoutaient avec plaisir, ce qui augmentait ma faim de Marie. La préparation au Postulat fut la meilleure possible. Mon option pour suivre le Christ, chez les Frères Maristes devenait chaque jour plus passionnante. Ma première prière à mon entrée au Postulat fut : «Me voici, Seigneur je viens faire votre volonté avec Marie et comme Marie». Le chapitre sur la dévotion à Marie a nourri ma vie spirituelle dans ce temps-là.

L'année du Noviciat a été un moment fort de découverte vécue de la présence de Marie dans ma vie personnelle. Je découvre un jour l'idée-force de ma spiritualité : «Vie d'union intime avec Marie». Encouragé par le F. Maître je me lance dans cette piste avec ferveur, avec joie … et j'ai goûté des grâces exceptionnelles de «présence de Marie». J'ai confié à Marie ma formation spirituelle et ma vie entière de Mariste.

Pendant mes trois années de scolasticat j'approfondis ma vie spirituelle mariale. Toutes mes études religieuses personnelles étaient dédiées à la mariologie. La proclamation du dogme de l'Assomption de Marie fut pour moi un événement «transcendant». Les équipes mariales, groupes de prière que nous avions mises sur pied au scolasticat, m'aidèrent à découvrir le monde de la théologie mariale.

Mon premier poste a été dans un juvénat. J'aurais certainement beaucoup de choses à rappeler, à creuser, à lire à la lumière de Dieu dans cet apostolat qui me ravissait. Les petits juvénistes aimaient beaucoup mes catéchismes sur la Ste Vierge. Malgré les tendances maximalistes qui nous animaient, je crois que nous avons fait un excellent travail dans la Province, sensibilisant les Frères et les élèves pour le premier Congrès Marial (1954).

Je reçus des nouvelles grâces quand mû par un appel du Seigneur et avec l'approbation de mon confesseur, j'émis un 4ième vœu privé, celui «d'aimer Marie et de la faire aimer». Je voyais, comme contenu de ce vœu, «l'observance intégrale de la Règle pour prouver mon amour à Marie», et l'apostolat marial. Petit à petit, au cours des années, je me suis rendu compte que l'amour à la Vierge, aussi bien que la charité théologale, dont il est une manifestation et une exigence, ne peut pas se borner à l'observance d'une règle ni se confondre avec elle.

Lors de l'émission de mon vœu de stabilité, il m'a semblé que «les deux vœux» s'équivalaient. J'ai reformulé mon engagement du 4ième vœu comme il suit :

Mon vœu de stabilité mariste veut dire l'engagement suprême avec Jésus et Marie et se traduira par mes efforts d'assimiler et de vivre, au jour le jour, l'esprit de Marie ; par mon dévouement à créer partout la vraie communauté mariste et par mon souci d'aider les jeunes dans la recherche de leur vocation dans le but de coopérer avec Marie dans sa mission d'amener de nouveaux Frères à sa famille.

J'ai toujours eu Marie très présente dans l'action pastorale auprès de jeunes, comme professeur, catéchiste…, dans les cours de mariologie, conférences, écrits sur la Ste Vierge.

Il y a eu deux moments difficiles dans ma vie où la présence de Marie s'est fait sentir après un temps plus ou moins long de souffrances. D'autre part, je constate qu'ils ont contribué à un vrai progrès dans ma vie de prière et à une croissance dans ma charité communautaire.

Les «constantes» dans cette expérience mariale.

Toutes les fois que ma dévotion mariale s'est refroidie par ma tiédeur, les fautes et les péchés se sont multipliés. Mais même dans cette situation je n'ai, à aucun moment, perdu l'habitude de recourir à Marie, de la mettre en avant dans ma vie comme quelqu'un de très vivant. Cela a développé chez moi un grand esprit de prière. J'ai vécu des années où Marie occupait le centre de ma prière. Je vivais à la lettre la pensée du P. Champagnat «Marie ne nous reçoit que pour nous donner à Jésus».

J'ai découvert, peu à peu, la personne du Christ, comme tête du Corps Mystique et j'ai appris que c'est bien le Christ qui prolonge en moi et par moi son amour envers Marie.

J'ai pris conscience de l'action du Saint-Esprit en nous, j'essaye d'approfondir et de vivre la vie d'union avec Dieu et avec Marie sous la mouvance de cet Esprit d'amour et de communion.

A présent je me rends compte que Marie est en train de me faire découvrir le Père et le mystère de sa volonté.

Malgré mon caractère actif, ma préoccupation pour l'efficience apostolique, ma tendance un peu trop intellectuelle, j'éprouve un attrait très fort vers la vie contemplative, la prière de louange, d'adoration, de simplicité. C'est la Vierge qui m'entraîne dans son sillage. J'aime à l'exemple de Marie passionnément nos vertus caractéristiques : simplicité, modestie, vie cachée ; je ne saurais me faire à un autre «esprit».

Je m'aperçois maintenant que ma sensibilité communautaire s'est beaucoup améliorée. C'est logique : aimer Marie c'est aimer l'Eglise ; et pour moi l'Eglise se trouve premièrement dans ma communauté.

Je n'ai jamais dissocié Marie et l'éducation chrétienne de la jeunesse. Les deux se trouvent à la racine de mon option pour la vie mariste. Faire aimer Marie, la mère du Seigneur et de l'Eglise, la seconder dans sa mission maternelle d'éduquer les membres les plus jeunes du Corps Mystique de son Fils : voilà la synthèse vitale de ma tâche mariste que je veux vivre à fond.

Je vois en jetant un coup d’œil sur ma vie mariale, que successivement les divers aspects du mystère de Marie ont occupé le centre lumineux de ma conscience : l'Immaculée, la maman aimante, la Médiatrice de la Grâce et maintenant ce qui attire mon attention c'est sa pauvreté spirituelle de servante. Pour moi ce texte de nos constitutions est d'une importance capitale : «Marie est le modèle des vrais pauvres. Le vrai pauvre est prêt à laisser rompre toutes ses attaches selon la volonté purifiante du Seigneur».

    7.6. – Le mot qui décrirait le mieux la place de la dévotion à Marie dans ma vie en ce moment est " réajustement ".

Pendant assez longtemps j'ai vécu avec un certain modèle qui changeait et évoluait, mais qui ne s'éloignait jamais des normes que je m'étais fixées. A partir de 65 ans je ne fus pas à l'aise dans quelques domaines de la dévotion mariale ; j'ai laissé tomber quelques pratiques, j'en ai gardé d'autres. Dans l'ensemble je n'étais pas très sûr du cheminement que je faisais et des raisons qui motivaient mes actions. Vers les 70 ans j'ai commencé à faire des découvertes qui furent très signifiantes pour moi et qui m'ont soutenu depuis lors. Ce procédé de réajustement et de consolidation continue encore maintenant et j'ai l'impression que ce cheminement se renforcera par la suite.

Quand je jette un regard sur ma jeunesse et mes toutes premières années de vie religieuse, je suis frappé par le fait que Marie a parfois occupé une place qui a été prise depuis par la Trinité. A cette époque de ma vie la personne de Jésus était bien, à vrai dire, plus importante que celle de Marie dans mon esprit ; je m'inspirais plus de la vie du Christ que de celle de Marie ; cependant aux moments de doute, d'anxiété ou lorsque j'étais dans le besoin c'était souvent à elle que je m'adressais. Je savais que Dieu était la source de toute bonté et de tous bienfaits ; malgré cela je me représentais Marie comme étant elle-même capable de m'aider et je lui demandais qu'elle me donne l'assistance dont j'avais besoin. Je suis resté fidèle aux pratiques de piété en son honneur que je mettais plus ou moins à égalité avec les actes de dévotion au Christ mis à part la Messe, la Communion et le Saint Sacrement. Dans mes catéchismes je lui donnais une place spéciale, en dessous du Christ, mais au-dessus de tout le reste.

Les doutes qui me vinrent entre 1965 et 1970 se référaient aux exercices de piété en son honneur. Le rosaire m'amena beaucoup de difficultés. Je ne voyais pas très clairement sa signification, spécialement lorsqu'on le récitait avec rapidité d'une façon mécanique en communauté ou à l'école. C'était un étrange mélange : bouleversé par ce que je ne pouvais pas contrôler et sentant cependant que je devais continuer à l'accomplir. Bien que je ne fusse pas contre certaines pratiques comme les trois " Ave " quotidiens, le 1ier samedi du mois, les fêtes en son honneur et les mois qui lui sont consacrés, ces pratiques commencèrent à prendre moins d'importance dans ma vie spirituelle. Dans le domaine du dogme j'étais vaguement insatisfait sur certains points. J'avais l'impression que quelques-uns avaient pris une place très importante tandis que d'autres auraient nécessité un peu plus d'attention. L'un de ces points était la présentation de sa médiation de toutes les grâces et un autre la façon dont on parlait de sa virginité. Dans le domaine de la mariologie pris dans son ensemble j'étais moins sûr de moi qu'auparavant, et je trouvais le discours sur ce sujet plus difficile à soutenir.

Le changement fut complet grâce au Chapelet. Je commençai à jouir de " la récitation " posée et improvisée de " Je vous salue Marie " contemplant la personne et la vie de Jésus et de Marie. A ce stade ce fut la première moitié de cette prière que je trouvai enrichissante. De cette manière et avec l'aide de bons ouvrages je tirai beaucoup de bienfait de ce regard sur Marie dans la prière et de sa relation avec chacune des personnes de la Trinité. Son rôle dans l'Eglise primitive commença à mieux se clarifier, ce qui m'amena à une nouvelle compréhension de son rôle dans l'Église d'aujourd'hui. Ce procédé alla en s'approfondissant en même temps qu'une relation plus grande d'abord avec Jésus, puis avec le Père et finalement avec l'Esprit Saint.

Je ne sais pas exactement quand le changement a commencé, mais lorsque je suis dans le besoin c'est maintenant une habitude pour moi de me tourner vers Jésus que je perçois plus que par le passé comme celui qui rachète et me sauve. Cela me réconforte plus à la pensée qu'il intercède pour moi devant le Père et me donne son Esprit pour me guider, me soutenir et me fortifier.

L'année dernière, la seconde partie du " Je vous salue Marie " est devenue particulièrement signifiante pour moi. J'allais à une chapelle dédiée à Marie pour réciter le rosaire, en attendant l'heure des visites à l'hôpital où ma mère était sérieusement malade. Il faisait sombre. Alors que je traversais une rue, une voiture se dirigea sur moi, freina avec grand bruit et s'arrêta à quelques centimètres de moi. Je me demande encore comment le conducteur a fait pour s'arrêter sur une aussi courte distance. Lorsque je suis arrivé à la chapelle, les mots " priez pour nous maintenant et à l'heure de notre mort " prirent un nouveau sens. Alors je priai avec ferveur pour ma mère. Marie priait pour moi mais elle le faisait beaucoup mieux étant si près de Dieu. Elle a une meilleure perception de sa volonté, aussi demande-t-elle ce dont nous avons besoin pour la venue de son royaume en nous. Une chose me frappait : les prières de l'Eglise où Marie est mentionnée sont adressées au Père, par Jésus, Notre-Seigneur. Elle demande que par son intercession nous puissions obtenir certains bienfaits. Cette prière d'intercession – semblable à la nôtre mais tellement supérieure – est ce qui me frappe maintenant. C'est pour cette raison que je trouve beaux le verset, le répons et l'oraison qui suivent le Salve Regina, mais, pour le moment au moins, il me semble que le Salve Regina manque de puissance.

Sur le plan intellectuel je suis satisfait de ce que j'ai découvert. Cela m'encourage à continuer ma recherche. Je sens cependant que cette vision n'est pas suffisamment passée dans ma vie quotidienne».



EN FORME DE CONCLUSION

                                             REFLEXION SUR LES VALEURS 

1) – NE SE DEMONTRENT PAS ; SE MONTRENT

Malgré bien du laisser-aller, des tâtonnements, des abandons. les Frères Maristes vivent une période d'Avent, en refusant finalement de se conformer dans leur ensemble à une certaine mentalité actuelle. Cette non-conformité peut prendre des routes assez variables, mais en tout cas elles débouchent dans leur ensemble sur une volonté de retour marial.

En d'autres termes, il me semble que l'Institut est mûr pour une réaction, et il faut sans doute profiter de ce moment providentiel pour ouvrir les vannes et laisser passer une réponse de nous tous à quelque chose qui soit un authentique courant de l'Esprit.

Par ailleurs, il ne faut pas nuire au bon résultat possible par des erreurs graves de méthode, ou en provoquant une dialectique inutile qui pourrait faire mourir dans sa fleur toute une moisson.

C'est à cette fin que je vous propose une réflexion sur la psychologie des valeurs qui pourrait permettre d'interpréter ce qui s'est passé et de suggérer une orientation pour ce qui va venir.

Nous pourrions partir d'un principe de base qui est fondamental dans toute l'axiologie (science des valeurs) et auquel le Christ reste fidèle dans sa conduite : les valeurs ne se démontrent pas ; elles se montrent ».

Il serait facile d'apporter beaucoup de textes évangéliques à l'appui de cette thèse. Jésus ne perd son temps ni à démontrer les nouvelles valeurs qu'il enseigne ni même à démontrer qui il est lui-même[1].

– Celui qui a des oreilles, qu'il entende (Mt 11. 15).

– Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux (Mt 7. 6).

– Si cette maison est digne, que votre paix vienne sur elle ; si elle n'est pas digne, que votre paix revienne à vous. Si l'on ne vous accueille pas … secouez la poussière de vos pieds… (Mt 10. 13-14).

L'attitude de miséricorde et de recherche pastorale que Jésus adopte dans les plus beaux passages de l'Évangile se situe toujours par rapport au péché, jamais par rapport au refus de la foi.

Au niveau de la foi il est catégorique : celui qui n'est pas pour moi est contre moi ».

En tout cela, le Seigneur nous montre que pour les valeurs du Royaume comme pour la psychologie des valeurs, ce sont les mêmes lois qui jouent : les valeurs ne se démontrent pas ; elles se montrent.

St Thomas expliquera plus tard que ce n'est pas la volonté qui pousse, uniquement par elle-même, l'intelligence à croire, c'est le cœur. Celui-ci, qui aime déjà les valeurs impliquées dans la foi, agit sur la volonté, qui ; à son tour pousse l'intelligence à croire ce que le cœur aime,. Selon le mot de Saint-Exupéry : «On ne voit bien qu'avec le cœur».

2) – LA CRISE DES VALEURS

Appliquons maintenant ces idées à la crise des valeurs qui a suivi la mutation de ces vingt dernières années. Il n'y a pas que Marie qui a été touchée, mais toutes les valeurs en général, et pour nous, chrétiens, nos valeurs traditionnelles : le magistère, la tradition, l'obéissance, la prière, la pauvreté, la mortification, etc… Et ne disons pas que c'est le Concile qui a produit cette crise. On pourrait apporter une série de données historiques, correspondant à l'époque de Pie XII, pour montrer qu'il y avait déjà en profondeur toute la préparation du séisme. Simplement les effets plus apparents ne s'étaient pas encore manifestés dans la mesure que nous connaissons.

L'intuition générale d'un Concile, à but fondamentalement pastoral, devait venir de Jean XXIII, homme qui, par nature, se trouvait très à l'aise dans le catholicisme de son époque, avait une formation et des goûts traditionnels : Exercices de St Ignace, chapelet, bréviaire (souvent récité en entier au début du jour) etc. … sont restés ses habitudes fidèles et aimées, jusqu'à la mort.

Mais il voulait, par une formulation, réconcilier l'humanité avec les valeurs en crise.

Ce qu'il faut regretter, c'est que les chrétiens, après coup, n'aient pas eu la foi et l'unité suffisantes pour comprendre ses intentions. Les uns se sont mis à regretter amèrement qu'il y ait eu un Concile et qu'il y ait eu un Jean XXIII, et sont restés accrochés au christianisme d'avant le Concile ; hommes excellents d'ailleurs, mais qui privaient l'Eglise d'une garantie d'authenticité et de sérieux qu'ils auraient été pour elle en optant carrément pour le Renouveau.

D'autres. au contraire, tâchaient de trouver dans le Concile ce qu'ils voulaient, ayant pour cela recours à des mécanismes de pression où les médias jouaient le rôle le plus important. Quand on n'y réussissait pas, on faisait appel à d'autres arguments, invoquant l'esprit du Concile et sa logique interne, ou bien proposant une re-lecture du Concile ou bien considérant le Concile comme dépassé et se référant à l'après-Concile.

Evidemment tout cela a produit un phénomène d'insécurité collective à l'égard des valeurs : souffrance chez les traditionalistes, impatience et révolte chez les progressistes, perplexité chez beaucoup d'âmes de bonne volonté, surtout chez les jeunes.

3) – CAUSES DE LA CRISE

Les valeurs mariales, nous l'avons déjà vu, ont été particulièrement touchées. Et c'est pourquoi il faut nous poser la question : quand surviennent des crises de valeurs, quelles en sont les causes les plus générales ? La valeur en effet, de par sa nature, attire profondément le cœur de l'homme. Elle l'envahit pour devenir son idéal, et l'idéal une fois adopté fonde l'engagement. Comme disait Papini : Il y a des jeunes qui sont morts beaucoup plus à cause des valeurs qui leur brûlaient le cœur qu'à cause des balles qui leur ont percé la poitrine.

Tel groupe humain, hier, était profondément épris de telle valeur, voulait la réaliser comme son idéal, l'exprimer comme sa culture. Or voilà que soudain il s'en dégoûte et ne s'y intéresse plus. Il faut quand même en chercher les causes. Voici celles de ces causes qui sont, me semble-t-il, intervenues à l'égard des valeurs mariales :

1) Saturation axiologique.

2) Imposition axiologique.

3) Hypertrophie axiologique.

4) Apparition soudaine et passionnante de nouvelles valeurs à l'horizon axiologique.

5) Reformulation axiologique.

Je ne prétends pas avoir énoncé toutes les lois qui ont régi le déclin que nous avons vécu ; mais j'ai indiqué celles qui me semblent les plus éclairantes pour le moment. Les résultats produits peuvent d'ailleurs varier : indifférence, cécité, réaction d'opposition.

Ce sont là des formes différentes de crises, mais il faut surtout se rappeler qu'une crise n'est jamais bien mauvaise si elle ne touche pas le fond de la relation : valeur-cœur.

Si cette relation demeure vivante, elle peut faire jaillir un nouvel amour, malheureux et en recherche dans sa contradiction. Il y a du dynamisme souterrain, un nouveau printemps en marche, et il suffit d'un bon jardinier qui sache bêcher, arroser et attendre avec un peu de patience la saison des fruits.

Les vraies valeurs ne peuvent pas périr. Quand on les met injustement au rancart, elles refont surface tôt ou tard malgré les sociétés, les propagandes, les persécutions. Et je parle là des valeurs de l'ordre naturel. Combien cela est-il plus vrai pour les valeurs évangéliques qui sont toujours sous le dynamisme du Seigneur ressuscité et de son Esprit, sans cesse à l'œuvre dans l'Eglise pour la guider et l'aimer.

C'est pour cela que le défaitisme sera toujours une forme d'infidélité. « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » dit Jésus à Pierre (Mt 14. 30). « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire » (Le 24. 25), dit-il aux disciples d'Emmaüs. A notre tour nous sommes trop souvent prêts à garder l'espérance, à certaines conditions, en particulier de stabilité. Mais St Paul nous dit : Voir ce que j'espère n'est plus espérer… Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c'est l'attendre avec persévérance » (Rm. 8, 24-25).

Cependant, pour ne pas en rester aux énoncés trop généraux, je vais tâcher de faire quelques recommandations qui puissent être assez largement partagées par l'Institut. Je reprends donc les cinq points que j'ai énoncés.

a) Il y a saturation axiologique quand on ne respecte pas le rythme de l'assimilation et de la réceptivité, et ces rythmes peuvent changer beaucoup d'une période à une autre.

b) Il y a imposition axiologique quand des valeurs non découvertes et non perçues par les personnes ont été adoptées dans un mode d'expression qui était tout, la valeur elle-même n'étant pas intériorisée. Il y avait alors divorce entre une pratique et le cœur : « Ce peuple m'honore des lèvres » comme dit l'Écriture, ou comme dit le proverbe musulman : « Eloignez les tentes et rapprochez les cœurs ».

On comprend ce qui se passe dans cet état de divorce entre le cœur et la pratique. Celui qui pratique sans conviction devient forcément un mauvais communicateur de la valeur ; je dirais même qu'il vaccine contre cette valeur. Hier les pratiques étaient des expressions axiologiques pleines de contenu, et la transmission se faisait dans l'amour. Viennent ensuite des éducateurs qui n'ont plus cet amour. Dès lors la pratique est transmise comme une imposition qui est seulement une concession à une tradition dont on ne voit pas le sens.

Les hommes ne sont pas toujours capables de découvrir intellectuellement les choses, mais l'intuition va plus vite et plus loin que l'intelligence, et les jeunes, surtout quand ils ont pu juger sur une période assez longue, devinent facilement que l'on ne croit plus à ce qu'on leur transmet et ils se détournent.

c) L'hypertrophie axiologique est l'opposé du cas antérieur. Aucune valeur, excepté Dieu, n'est absolue. Et même Dieu, qui est absolu, accepte de se relativiser dans un acte d'amour et de salut qui constituera l'homme. En conséquence, toute valeur qui tâche de s'« absolutiser » devient idolâtrie par rapport à Dieu, aliénation par rapport aux hommes, et perturbation par rapport à l'harmonie axiologique.

On peut produire cette hypertrophie par des moyens artificiels, parmi lesquels il faut compter certains emballements démesurés pour des phénomènes provisoires. Ces emballements peuvent bien se maintenir chez des tempéraments exaltés, mais vont se redimensionner avec le temps chez les gens plus pondérés.

Ce qui est vrai des individus est vrai aussi des foules. Avec cette différence cependant que les foules ont des réactions plus désordonnées et passent difficilement de l'exagération à l'équilibre. Elles passent d'abord à une réaction d'antithèse ou d'antagonisme. et ce n'est que lorsque l'hypertrophie est dégonflée qu'une réconciliation est possible avec la valeur en jeu. C'est justement ce sur quoi nous devons compter, mais il y a des erreurs axiologiques qui exigent un long temps de réaction avant que l'on ait retrouvé l'équilibre.

On peut se poser la question si certains dévots de Marie n'ont pas rendu mauvais service à la mariologie et à une recherche équilibrée du rôle de la Vierge dans la conscience collective de l'Eglise d'aujourd'hui. Pour eux-mêmes il n'y avait sans doute pas d'inconvénient dans une relative exagération, mais pour les autres ce pouvait être différent.

Quelques-uns de ceux qui ont envoyé des témoignages constatent qu'il y a eu en eux cette hypertrophie, mais qu'ils sont cependant en attente d'une renaissance mariale. Il ne faut pas oublier en tout cas que toute valeur hypo- ou hypertrophiée, pour n'avoir pas suivi le rythme selon lequel elle se laissait découvrir, se venge tôt ou tard de par une loi interne.

d) – Nouvelles valeurs à l'horizon.

Par ailleurs de nouvelles valeurs surgissent à l'horizon. Il y a en effet plusieurs sortes de consciences dans l'homme : morale, notiologique », sensorielle, axiologique. La conscience axiologique est toujours bien plus limitée que la conscience «notiologique ». Cette dernière en effet n'apprivoise pas les énergies à proprement parler, tandis que les valeurs gagnent le cœur, et poussent à un engagement et du temps et de l'argent et de la vie. Dans la mesure où la sensibilité est gagnée par certaines valeurs, une partie plus grande de la conscience axiologique est accaparée et souvent avec la conséquence que les autres valeurs sont un peu délaissées.

Or il arrive qu'une valeur très nouvelle soit découverte par la conscience collective qui l'« absolutise » et en fait une mystique. C'est alors que d'autres valeurs, jusqu'ici très vivantes et très aimées, à cause de cette irruption nouvelle sont mises en veilleuse.

Il suffit de penser à l'irruption des valeurs sociales pour bien des consacrés. Ils ne les ont pas reçues comme venant d'une parole de Dieu saisie dans la prière, mais dans une analyse socio-économique. Oui, il y a des consacrés chez lesquels on sent, au cours d'un dialogue sérieux, que Dieu ne leur dit plus rien, mais qu'au contraire ils sont passionnés pour la libération de l'homme opprimé. Cette sensibilisation à la libération de l'homme est une grande valeur et un pressant appel. Mais je constate simplement que parfois elle s'est produite en éliminant provisoirement ou définitivement l'importance de Dieu. Bien des radicalisations de notre temps ont suivi cette évolution.

Pour relativiser ce phénomène actuel, pensez, si vous voulez, au bouleversement axiologique de la Renaissance : la culture médiévale de l'Eglise perdait son crédit ; on accédait aux temps modernes. Le renversement des valeurs atteint des seuils critiques justement dans les moments historiques qui manquent d'un équilibre critique.

En prenant un peu de recul, on se rend compte cependant que quantité de valeurs découvertes avec passion par l'homme et l'Eglise d'aujourd'hui ont produit des résultats qui ont été une vraie bénédiction. Cela invite à s'ouvrir aux réactions saines d'un juste pluralisme et d'un respect des rythmes, à croire finalement à la bonne foi des gens, à promouvoir

 une politique de réconciliation, de patience, de prudence, enfin à rendre aux valeurs un témoignage intelligent et communicatif pour aider à aller de l'avant malgré les cahots de l'histoire.

e) – Reformulation dans l'expression.

La dernière loi axiologique que je voudrais citer, c'est la reformulation dans l'expression d'une valeur. Chaque époque a son langage et sa culture. Dans les périodes normales, l'évolution de ce langage et de cette culture est tellement lente qu'en général elle permet la coexistence d'expressions axiologiques différentes : il y a enrichissement plutôt qu'opposition.

Mais nous sommes en période d'évolution -accélérée et même de révolution culturelle. En dehors de toute appréciation sur les valeurs de notre temps, il faut dire qu'il y a eu des phénomènes qui se sont imposés à l'Eglise et aux congrégations, simplement du fait que celles-ci ne peuvent pas s'absenter de l'histoire à volonté. On n'est pas libre de disparaître pendant une période ennuyeuse pour réapparaître quand tout va mieux, comme un thème musical du premier mouvement d'une symphonie qui va reparaître dans l'allegro final. Non, l'Eglise, comme la barque de Pierre, est faite pour aller à la pêche des hommes, et dans les moments tranquilles et dans les moments où la tempête s'abat sur le lac.

Il arrive qu'une reformulation culturelle qui s'est imposée remette en question le mode d'expression d'une valeur, mais non la valeur elle-même. Il y a d'autres cas où valeur et expression de la valeur sont indissolublement liées dans l'esprit de certains. Si ces derniers ne se retrouvent pas dans un langage et certaines formes d'expression, ils se sentent condamnés ou à divorcer avec la valeur ou à vivre avec elle dans un mariage malheureux. Les exemples ne manqueraient pas, mais il faut se limiter.

La gratitude, l'amitié, la fidélité, la foi, la mortification, la pauvreté, le sens social, la liberté, le beau sont des valeurs qui ont recouvert historiquement une multiplicité d'expressions culturelles et ont permis à des gens de cultures psychologiques et d'âges bien divers d'entrer en communion profonde avec elles. Dans une personne humaine par exemple, le mystère de l'amour s'approfondit mais change d'expression. Un homme aime, et quand il est enfant, et quand il est adolescent, et quand il est adulte, mais quand l'expérience de la vie lui a donné avec sa vieillesse la plénitude de vérité et de fidélité, l'amour peut atteindre chez lui son point d'évolution le plus achevé.

4) – SORTIR DE LA CRISE

A la fin de cette analyse axiologique, disons que la crise mariale revêt plusieurs aspects selon les lieux et les personnes et qu'elle doit être étudiée avec discernement cas par cas. Il y a toute une politique nouvelle à faire redémarrer, et il faut s'y mettre car les temps sont mûrs. Voici quelques conseils :

a) – Un temps pour Marie.

Prendre les moyens, surtout le temps. Si les valeurs ne se démontrent pas mais se montrent, il va donc falloir montrer sans crainte les valeurs mariales. Et plus les moyens seront simples, plus ils seront proches du mystère de Marie, plus le succès sera acquis auprès des cœurs.

Il semble qu'il n'y a pas de moyens plus directs que la prière, l'étude et la contemplation. Les sources, les maîtres et les moyens pourront être divers, mais il faudra surtout pouvoir trouver du temps – du temps pour Marie. Un temps donné de tout cœur, psychologiquement valable, donc assez long pour que le processus d'intériorisation que réclame une valeur ait une chance de réussir. Beaucoup de semences de la parabole ne donnent rien, parce qu'elles sont enlevées avant d'avoir le temps nécessaire pour une vraie croissance.

b) – Prendre les moyens concrets.

Ne l'oublions pas, les valeurs ont besoin de s'appuyer sur des éléments concrets. Rarement on révèle ou on relève une valeur sans la médiation d'une onde porteuse de cette valeur. Nos aînés nous ont donné une leçon en faisant un emploi magistral et multiple des moyens susceptibles de transmettre la valeur mariale. Il faut trouver l'onde porteuse pour aujourd'hui.

Il y en a qui veulent seulement discuter un point de vue : les moyens d'hier sont-ils encore valables ? A mon avis il faut plutôt commencer par l'autre bout : Quels sont les nouveaux moyens de transmettre les valeurs mariales et avec quelle force et quelle constance voulons-nous les mettre en œuvre pour obtenir non un recul mais un progrès – un progrès authentique – de la présence mariale dans notre vie ?

Toutes les valeurs doivent finalement s'incarner soit dans des personnes, soit dans des objets. Et l'on a les mystiques et les chefs-d'œuvre de telle ou telle valeur. La 9ième symphonie, par exemple, restera le chef-d'œuvre d'expression musicale de la joie et de l'amitié ; Gandhi et Martin Luther King des incarnations exceptionnelles de deux valeurs assez nouvelles : la non-violence et l'intégration des races.

Il faut aussi que certains Frères acceptent de redevenir les maîtres et les rééducateurs de leurs Frères dans une redécouverte mariale. Peut-être, tout en continuant leur travail ordinaire, ils devront se consacrer à cette tâche nouvelle, avec tout leur cœur et tout leur dynamisme, pour hâter si possible la venue d'un nouveau temps.

Veuille Notre-Dame des Temps Nouveaux bénir ces lignes écrites avec amour et vénération, aider ses fils à laisser leurs oppositions parfois puériles, de telle sorte qu'elle soit non seulement la joie des uns et des autres (cause de notre joie : disent les litanies) mais leur lieu de rencontre.

Ne pourrait-on pas rêver d'un chapelet renouvelé comme premier lieu de rencontre et de renouveau marial ? On a fait tant d'affirmations simplistes sur cette prière, et chez les partisans et chez les opposants. Paul VI a pris une position claire dans « Marialis Cultus ». Il reste à voir comment réanimer cette prière dans un accord réciproque, pour qu'elle soit une aide véritable de la piété.

Suivrait peut-être dans un deuxième temps la prière partagée sur Marie, au cours de liturgies pour la foule et aussi de liturgies pour petites communautés.

Et le troisième temps devrait suivre très vite ces deux premières formes et en être la couronnement : je veux parler de semaines de prière et particulièrement de semaines mariales dont l'habitude pourrait se prendre et se communiquer hors de l'Institut.

Educateurs chargés par le Père Champagnat de « faire aimer et honorer Marie » : ce programme n'est-il pas aussi réalisable que jamais ?
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ANNEXES

Annexe 1 :

Note sur « la maternité intégrale de Marie »

Une femme n'est vraiment et pleinement mère que lorsqu'elle donne naissance à son fils avec tout son cœur et toute sa volonté : les actes physiologiques et les processus biologiques ne seront que les conséquences normales de cette volonté et de cet amour. Par analogie avec l'amour de Dieu, on peut dire qu'elle aime ce qui n'existe pas pour le faire exister.

En prenant le cas d'une maternité d'aspect négatif, je me ferai peut-être mieux comprendre. Supposons un fils né de telle femme et qui a commencé avec sa mère au cours de plusieurs années à établir des relations filiales normales ; un jour il découvre, au hasard par exemple d'une réflexion spontanée de sa mère, que celle-ci ne voulait plus avoir d'enfant et qu'il a été le pur fruit biologique d'une union conjugale normale entre elle et son père, où le fils possible non seulement n'était pas désiré mais était refusé. La mère n'avait pas envisagé l'avortement, mais c'était à contre-cœur qu'elle avait senti grandir en elle son enfant, et elle ne l'avait accepté que comme une conséquence d'actes dont elle prenait cependant la responsabilité.

Si donc un fils se rend compte de cela, sa mère ne sera plus sa mère. Tout le réseau des sentiments d'affection qui le liaient viscéralement à celle qui lui a donné la vie seront ébranlés jusqu'à la racine, avec toutes les conséquences psychologiques que cela suppose.

Sans aller bien loin, pensons aux cas pourtant exemplaires de tant d'adoptions. Un couple, fécond ou non, adopte un fils avec tout le cœur et toute la volonté souhaitables. Ils font tout pour que l'enfant se sente intégralement leur fils. Eh bien ! quand ce fils arrive à un certain âge et qu'il découvre que sa mère n'est pas celle qui l'a engendré, il éprouve en général une grande crise en dépit de tout l'amour dont il se sent aimé, et qui souvent essaye même d'être d'autant plus grand que la nature n'y est pour rien.

La maternité est une réalité tellement délicate qu'elle exige d'être intégrale. Manque-t-elle de quelque élément ? alors la relation entre la mère et le fils en est gravement affectée ainsi que la psychologie de l'une et de l'autre.

Regardons maintenant le cas de Marie. Il y a en elle la dimension naturelle de la maternité, et l'acte biologique, par lequel elle engendre le Verbe incarné, à été précédé et accompagné en elle par tout le cortège d'attitudes et de sentiments qui caractérisent la fonction maternelle.

Je cite Jean Guitton :

« Elle a goûté dans sa chair l'envahissement de Dieu. C'est le temps de la grossesse, temps où Marie connaît l'élargissement psychique des femmes qui attendent un enfant et qui sont galvanisées. Ces femmes ont une sensation de plénitude ; elles sentent leur vie s'étendre, s'approfondir ; c'est tout le cosmos qui leur semble surgir dans leurs entrailles.

La Vierge a connu l'expérience de la mère. Son vécu, à partir du moment où elle attend Jésus, n'est plus celui d'une jeune fille : le système hormonal est bouleversé, les entrailles s'organisent. Elles lui offrent un langage nouveau qu'elle ne soupçonnait pas. Les cellules de son corps donnent un concert qui accompagne la vie naissante d'un être nouveau, aimant, pensant, percevant et qui par sa pensée et son amour peut contenir l'univers et faire progresser l'histoire.

Chaque joie de la mère est un bain psychique dans lequel l'embryon grandit, comme dans un océan d'amour.

Et il faut bien qu'une mère recueille cette jouissance viscérale (accompagnée parfois de peine, de dégoût, de lassitude) pour que son fils trouve un jour tout l'équilibre. Oui, il convient que la mère soit heureuse, pour que son fils soit voué au même bonheur dans un autre domaine, même s'il connaît d'inexprimables détresses.

Il y a dans la grossesse de Marie une dimension nouvelle. Ce corps de la mère de Jésus a été transformé par l'énergie de Dieu, par cette ombre qui l'a couvert. Déjà ce corps qui conçut et porta Jésus possède une puissance de résurrection ; elle apparaîtra pleinement à l'Assomption. Et Marie éprouve si bien le mystère ineffable de la maternité que les mots par lesquels elle exprime son bonheur sont des mots où les expressions de la joie sont portées à leur densité ultime, où Marie fait craquer le langage de la joie : Marie exulte, Marie exalte, Marie est comblée ; Elle ne peut pas trouver de mots pour chanter une joie qui passe toutes les joies. C'est, à son maximum, la joie de l'attente de l'homme ». (Cahiers Marials, N°. 100, p. 274-75).

La maternité intégrale a donc été en Marie une réalité bien plus grandiose que chez une autre femme, car elle s'est produite psychologiquement sous le signe de la foi, et corporellement sous l'action de l'Esprit. Pour être intégrale, cette maternité impliquait une foi, un amour et un abandon proprement incroyables, sous peine de devenir absurde et incompréhensible.

L'être, en effet, avec lequel elle entrait en relation de maternité était le Verbe, fait homme, grâce à la nature humaine reçue d'elle. Mais pour entrer en relation avec Dieu, il n'y a pas d'autre chemin que la foi et l'amour-charité. Il fallait donc que Marie reçoive des vertus théologales infuses et beaucoup d'autres grâces pour être adéquatement mère de Dieu. C'est dire que sa connaissance de Jésus, son amour maternel pour Jésus étaient animés d'une foi et d'une charité que. l'Esprit-Saint avait directement déposés dans son âme. Autrement, elle n'aurait pu établir aucun lien vrai et profond avec le fruit de ses entrailles. Et cela entraînait pour la Mère de Dieu, comme l'heureuse nécessité d'être la pleine de grâces, l'immaculée, la croyante par excellence, car Dieu voulait une mère digne » de son Fils.

Le fait de la maternité virginale, c'est-à-dire l'absence du concours de l'homme pour un enfantement « miraculeux et mystérieux » sous l'action de l'Esprit-Saint, accroît l'intégrité de cette maternité par laquelle Marie est consacrée puis se consacre à la personne du Verbe incarné : « Toute relative à Jésus », comme dit Bérulle.

Connaissant dans la foi et s'ouvrant dans l'amour à l'action de l'Esprit en elle, Marie conçoit le Christ de façon intégrale, c'est-à-dire dans son esprit, par cette action théologale de foi et d'amour, et dans son corps, par la génération humaine.

On voit aussi la « nécessité » qu'il y avait pour la demeure choisie du Verbe de Dieu incarné, pour la porteuse maternelle du Sauveur à tous les hommes, d'être le premier fruit, et le plus parfait de la Rédemption. Et le prototype de l'Eglise.

C'est surtout dans cette lumière qu'il faut retrouver le rôle des « privilèges de Marie », qui sont des grâces en fonction de sa vocation et de sa maternité intégrale. 

Annexe 2 :

Un exemple pour éclairer la corédemption

Certains, sous prétexte de présenter la pureté et l'unicité de la médiation du Christ comme rédempteur et prêtre, en font en réalité une médiation isolée et solitaire, alors que le Seigneur a voulu que cette action rédemptrice du Christ soit prolongée dans l'Eglise et dans les chrétiens.

Pour le cas particulier de Marie, on pourrait évoquer son rôle par l'exemple de quelques femmes qui non seulement se sont associées de cœur et de volonté à la vocation d'un fils, mais y ont participé de façon héroïque. Voici un cas assez saisissant qui concerne un des prêtres qui ont participé à nos retraites de renouveau.

Etant séminariste, il avait, au cours d'une expérience de chimie, eu plusieurs doigts arrachés si bien que son ordination allait devenir impossible. Sa mère eut donc l'idée d'offrir ses propres doigts pour que fût faite une greffe chirurgicale et que son fils pût présenter les conditions indispensables à l'ordination, et effectivement Pie XII, à qui le cas fut soumis, accorda la dispense pour l'ordination, bien qu'on fût loin, à cette époque du libéralisme d'interprétation canonique qu'on a pu connaître depuis.

Cet exemple peut aider à comprendre comment le cœur et la volonté de Marie sont entrés dans le mystère et la vocation de son Fils au fur et à mesure qu'elle recevait de nouvelles lumières, et comment elle a pu devenir la première et la plus éminente parmi ceux qui «achèvent en leur chair ce qui manque aux détresses du Christ, en faveur de son corps qui est l'Eglise » (Col. 1. 24). 

Annexe 3 :

Texte de J. P. Sartre sur la paternité.

(ce texte est donné pour expliquer comment l'idée de paternité peut être dénaturée à cause d'une expérience concrète).

«Il n'y a pas de bon père, c'est la règle ; qu'on n'en tienne pas grief aux hommes mais un lien de paternité qui est pourri. Faire des enfants, rien de mieux ; en avoir ; quelle iniquité ! Eût-il vécu, mon père se fût couché sur moi de tout son long et m'eût écrasé. Par chance, il est mort en bas âge ; au milieu des Enées qui portent sur le dos leurs Anchises, je passe d'une rive à l'autre, seul et détestant ces géniteurs invisibles à cheval sur leurs fils pour toute la vie ; j'ai laissé derrière moi un jeune mort qui n'eut pas le temps d'être mon père et qui pourrait être, aujourd'hui, mon fils. Fut-ce un mal ou un bien ? Je ne sais ; mais je souscris volontiers au verdict d'un éminent psychanalyste : je n'ai pas de Sur-moi.

Ce n'est pas tout de mourir : il faut mourir à temps. Plus tard, je me fusse senti coupable ; un orphelin conscient se donne tort : offusqués par sa vue, ses parents se sont retirés dans leurs appartements du ciel. Moi, j'étais ravi : ma triste condition imposait le respect, fondait mon importance ; je comptais mon deuil au nombre de mes vertus. Mon père avait eu la galanterie de mourir à ses torts : ma grand-mère répétait qu'il s'était dérobé à ses devoirs ; mon grand-père, justement fier de la longévité Schweitzer, n'admettait pas qu'on disparût à trente ans ; à la lumière de ce décès suspect, il en vint à douter que son gendre eût jamais existé et, pour finir, il l'oublia. Je n'eus même pas à l'oublier : en filant à l'anglaise, Jean-Baptiste m'avait refusé le plaisir de faire sa connaissance. Aujourd'hui encore, je m'étonne du peu que je sais sur lui. Il a aimé, pourtant il a voulu vivre, il s'est vu mourir ; cela suffit pour faire tout en homme. Mais de cet homme-là, personne, dans ma famille, n'a su me rendre curieux. Pendant plusieurs années, j'ai pu voir, au-dessus de mon lit, le portrait d'un petit officier aux yeux candides, au crâne rond et dégarni, avec de fortes moustaches : quand ma mère s'est remariée, le portrait a disparu. Plus tard, j'ai hérité de livres qui lui avaient appartenu : un ouvrage de Le Dantec sur l'avenir de la science, un autre de Weber, intitulé : Vers le positivisme par l'idéalisme absolu. Il avait de mauvaises lectures comme tous ses contemporains. Dans les marges, j'ai découvert des griffonnages indéchiffrables, signes morts d'une petite illumination qui fut vivante et dansante aux environs de ma naissance. J'ai vendu les livres : ce défunt me concernait si peu. Je le connais par oui-dire, comme le Masque de Fer ou le Chevalier d'Eon et ce que je sais de lui ne se rapporte jamais à moi : s'il m'a aimé, s'il m'a pris dans ses bras, s'il a tourné vers son fils ses yeux clairs aujourd'hui mangés, personne n'en a gardé mémoire : ce sont des peines d'amour perdues. Ce père n'est pas même une ombre, pas même un regard : nous avons pesé quelque temps, lui et moi, sur la même terre, voilà tout. Plutôt que le fils d'un mort, on m'a fait entendre que j'étais l'enfant du miracle. De là vient, sans aucun doute, mon incroyable légèreté. Je ne suis pas un chef, ni n'aspire à le devenir. Commander, obéir, c'est tout un. Le plus autoritaire commande au nom d'un autre, d'un parasite sacré – son père -, transmet les abstraites violences qu'il subit. De ma vie je n'ai donné d'ordre sans rire, sans faire rire ; c'est que je ne suis pas rongé par le chancre du pouvoir : on ne m'a pas appris l'obéissance ». 

Annexe 4 :

Etude sociologique des motivations mariales. (voir page 440)

Pendant ces 8 dernières années, accompagné d'une équipe de Frères, j'ai fait, à travers l'Institut, une enquête anonyme, très détaillée puisqu'il s'agit de 1581 questions, et correspondant sensiblement à tout le domaine de la vie religieuse mariste.

Cette enquête n'avait pas une intention directement sociologique, mais une intention fondamentalement pastorale. Il n'en est pas moins vrai que le travail a été fait avec le plus grand sérieux, les plus grandes garanties du côté de la réflexion, de la prière, de l'authenticité et de l'anonymat, le plus grand contrôle aussi de l'état psychologique dans lequel se trouvaient les sujets interrogés, et enfin une technique de travail très rigoureuse. Il serait même vraiment difficile de mieux faire une enquête de cette ampleur. Qu'on pense aux voyages qu'elle a exigés, aux dizaines de collaborateurs employés dans les diverses phases du travail, et aux sommes énormes qu'on y a consacrées et que seul un bien spirituel pouvait justifier : celui du renouveau à promouvoir par tous les moyens. Ce ne serait pas une étude purement spéculative qui pourrait autoriser des démarches semblables.

Or, il se dégage de cette étude, des données sociologiques qui me semblent nettes, car il ne s'agit pas, en général, de simples opinions, mais de réponses sur la réalité, et la réalité personnelle. Mais laissons ces considérations sur sa valeur sociologique et fixons-nous sur le cas qui nous intéresse :

il s'agit en effet de creuser un aspect de la recherche d'ensemble : la relation entre les motivations mariales et la vocation mariste.

A – POINTS CONCRETS ETUDIES

Voici donc les points concrets qui ont été étudiés :

La relation entre l'existence des motivations mariales et la vocation aux 5 étapes principales de la vie :

1°.) Entrée dans l'Institut.

2°.) Première profession.

3°.) Profession perpétuelle.

4°.) La période dominante de la vie qui a conditionné la persévérance (période très variable qui, chez les uns, peut être de 2 ou 3 ans, chez d'autres de 50 ou 60 ans).

5°.) La période actuelle.

Ces 5 périodes sont mises en relation avec chacun des 6 points suivants :

1°.) Crois-tu avoir la vocation religieuse ? A quoi on pouvait répondre :

– oui ( = je suis sûr de l'avoir)

– Je crois l'avoir.

– J'en doute sérieusement.

– Non (= je ne l'ai pas).

2°.) As-tu été heureux dans la vocation mariste tout au long de ta vie ? Avec les réponses :

– oui

– assez

– un peu oui, un peu non.

– non.

3°.) Si tu devais recommencer ta vie, choisirais-tu de devenir mariste, d'après l'expérience que tu as ? Avec les réponses :

– oui

– je ne sais pas (= j'ai des doutes)

– non.

4°.) Quel a été en moyenne, ton degré d'estime à ta vocation tout le long de ta vie ?

5°.) Quel a été le plus haut degré d'estime à ta vocation que tu as atteint à quelque moment de ta vie ?

6°.) Quel est le degré actuel d'estime que tu as pour ta vocation ?

Pour les 3 dernières questions, on pouvait nuancer de la façon suivante de 1 à 10 :

5 – amour profond

4 – grande estime

3 – affection moyenne, mais stable

2 – affection moyenne, mais instable

1 – affection vraiment faible.

– 1 – Je la supporte.

– 2 – Aucune affection.

– 3 – Je suis sérieusement tenté de l'abandonner.

– 4 – Je suis sur le point de l'abandonner.

– 5 – Je reste parce que je ne sais pas où aller.

B – METHODE EMPLOYEE POUR CETTE ETUDE

Parmi les 5.000 Frères soumis à l'enquête, compte tenu du but que l'on visait, on a retenu des échantillons techniquement choisis pour être représentatifs tant par le nombre que par les critères du choix.

Je ne voudrais cependant pas exagérer en donnant comme définitif ce résultat, fait sur échantillon, au lieu d'être fait sur la totalité. Mais nous avions à faire face à un problème de temps. Le travail a donc dû être fait manuellement sur les printing-out » (grandes feuilles) des ordinateurs, car, dans les programmes compliqués qui avaient été prévus, on n'avait pas envisagé cette recherche de nature mariale.

Les réponses retenues ont été divisées en deux groupes : un groupe de Frères qui n'ont jamais eu dans leur vie des motivations mariales pour entrer dans la vocation mariste, et un groupe de Frères qui ont eu ces motivations au moins dans l'une des 5 étapes de leur vie.

On a pu voir dans le texte même de la circulaire les résultats de l'analyse. (suivent des tableaux explicatifs).

 


[1]Quand il entre en discussion, c'est pour faire une condamnation publique des pharisiens (par ex. Mt 23). S'il voulait les convaincre c'était bien là le pire moyen.

 


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