Circulaires 387

Basilio Rueda

1978-03-19

Synthèse du dernier Chapitre Général

Avant-propos: pourquoi cette circulaire ?
I. Ouvrir les yeux
a) Inaugurer le noviciat universel
b) Lever les équivoques
c) Passer aux actes
II. Nouveaux critères
a) L'utopie
b) Le discernement et l'orthopraxie

CHAPITRE I: De quoi s'agit-il ?
Section I: Voir et juger la situation
I. Voir notre microcosme mariste
a) Le quantitatif dans l'Institut
b) Le qualitatif dans l'Institut
c) Le social, le communautaire et le charismatique dans l'Institut
d) Le gouvernement dans l'Institut
e) Le domaine des valeurs dans l'Institut
f) Le domaine des relations dans l'Institut
g) Face aux autres religions, au progrès, à la culture, à la profession
II. Juger notre microcosme mariste
Section II: Agir dans notre microcosme mariste
I. Action accomplie
a) Vatican II
b) Deux appels aux religieux
c) Les Frères Maristes dans le courant du renouveau
d) Tendances post-capitulaires
e) Conférences générales
f) Chapitre général de 1976
II. Action à accomplir
A. Continuer et purifier ce qui est commencé
a) Prendre conscience du pluralisme
b) Evangéliser la communauté
c) Entrer profondément dans le charisme de l'Institut
d) Nous laisser convertir à une nouvelle régularité
e) Re-consacrer la vie religieuse
f) Relancer la pastorale des vocations
g) Un modèle de follow-up marial
h) Premiers pas dans d'autres voies
B. Combler les lacunes
a) Sens plus aigu de la fidélité à la vocation
b) Reformulation de la formation
c) Ouverture d'un dialogue ecclésial
d) Unification de notre vie
e) Une orientation vers les pauvres
C. Une volonté intégrale d'évangélisation
incluant
a) Liberté du zèle
b) Liberté pastorale communautaire
D. Y a-t-il conflit de générations? Polarisation?
E. Expérimenter nos textes

CHAPITRE II: Contenu du projet: construire la communauté Mariste
I. Les appuis
a) Une communauté faisant une prière d'apôtres
b) Mais ayant de vrais temps de respiration communautaire
c) Communauté de témoins
d) Projet soumis au quotidien
II. Vers le projet
A. Evangile, constitutions et normes
B. La communauté face à la province
a) Un jardin de nuances
b) Comment préciser la nuance?
c) Valeurs à accepter... à adopter
d) Faire une prévision organique modeste
e) Accompagnement correctif
f) Le lieu et le temps

CHAPITRE III: Le réel communautaire
I. Le réel quotidien
a) Mes confrères sont ma grâce communautaire
b) Employer les moyens évangéliques et maristes
c) Guider l'effort collectif par des principes sages
d) Le but profond: faire la communauté
e) Par la croix communautaire
f) Correction personnalisante
g) A base de discernement
II. Les crises
a) Cas de crises passagères
b) Cas du religieux inassimilable
b. 1 Schéma monastique
b. 2 Schéma de la vie religieuse ordinaire

 

CHAPITRE IV: La méthode de construction du projet préliminaire

I. Premier temps

a) Questions concernant le passé-présent

b) Questions concernant l'avenir

II. Deuxième temps

a) Réflexion individuelle et prière personnelle sur les demandes

b) Rédaction écrite des réponses

III. Troisième temps: mise en commun sur le passé.

a) Question 1 et 3

b) Question 2

IV. Mise en commun sur les questions concernant l'avenir

a) Question 7: Valeurs à respecter

b) Valeurs à adopter

                         V. Cinquième temps: mise en commun sur les objectifs   

a) Chacun rédige l'itinéraire vers l'objectif

b) Mise en commun sans discussion           

                         VI. Sixième temps: tracer l'itinéraire accepté en commun

 

   CHAPITRE V: Les enseignements de l'expérience

a) Communautés par cooptation

b) Grandes et petites communautés

c) Cas exceptionnels et cas ordinaires

d) La communauté, comme but?

e) Communauté ouverte

f) Communauté et valeurs évangéliques

g) Communauté et structures

 

CHAPITRE VI: De l'ancienne communauté à la nouvelle

I. Maintenir l'unité dans ce passage

II. Les piliers de la communauté d'autrefois

a) Un projet: la règle; une vertu: la régularité           

b) Une âme: l'esprit de famille           

c) Une motivation: le fidélité à la volonté de Dieu

d) Un homme-clef: le supérieur

e) Une grande importance donnée aux structures

f) Accentuation donnée à la dimension domestique          

g) Abnégation

h) Entrevue avec le Supérieur          

III. Découvrir une nouvelle ferveur

IV. Nouveaux piliers pour la nouvelle communauté

a) Un projet à créer

b) Maturité et affection            

c) Etre ensemble et pas seulement travailler ensemble

d) Participation envers ceux que le Christ m'a donnés

e) Education à la mise en commun des biens matériels et spirituels

f) Education à la mise en commun des tâches pastorales

g) Education à la coresponsabilité

h) Dans le pluralisme

V. Nécessité d'un sens accru de l'adaptation courageuse

CHAPITRE VII: Projet de vie communautaire et communauté provinciale et générale

i. Avantages et dangers possibles d'un projet communautaire 

II. Le projet d'une cellule vivante

III. Dans l'ouverture, l'harmonie et l'unité

IV. Une province attentive à ses communautés

 

Annexe I: Principes de Bonhoeffer

A. Pourquoi cette annexe

B. Six grandes intuitions évangéliques sur la communauté

I. La communauté est avant tout un don

II. La communauté: réalité tendue vers Jésus-Christ

En Lui. Par Lui. Pour Lui

III. La communauté chrétienne: non perfection mais cohérence.

IV. La communauté chrétienne: non but, mais moyen

V. Vie communautaire: grâce d'exception sur terre

VI. Précarité de la communauté chrétienne face à d'autres.

C. Spiritualité de la communauté chrétienne          

I. Vivre trois grandes vérités de la révélation

II. Une certaine modération personnelle à l'égard des frères.

III. La dévotion à la croix et à la paix du Christ

IV. Attitudes de reconnaissance, louange, écoute  et disponibilité

V. Ouverture à la purification

D. Attitude pastorale des supérieurs à l'égard de la communauté

a) Sacramentalité

b) Milieu de salut

c) Lieu de service et mission

E. Structures et communauté chrétienne

 

ANNEXE II: Choix de textes sur la vie communautaire

I. Bible

II. Rapport PAC

Notes    

Statistiques générales de l'Institut au 1.1.1977

Liste des Frères défunts depuis le 29.8.1976

Election de Frères Provinciaux.

387

V.J.M.J.

                                                              Rome 19 mars 1978

 Projet communautaire

AVANT-PROPOS

POURQUOI CETTE CIRCULAIRE ?

Cette circulaire, comme presque toutes celles que j'ai écrites, cherche à répondre à un besoin du moment. J'avais d'abord eu l'intention de faire une synthèse du dernier Chapitre Général, ou de revenir sur le document : Pauvreté et Justice. Je suis aussi en train de recueillir des témoignages en vue d'une circulaire sur la fidélité. Mais finalement, après consultation du Conseil Général, il a été décidé que le plus urgent était de parler du projet communautaire.

1. OUVRIR LES YEUX

Beaucoup seront surpris de voir aborder un thème qui leur est encore étranger. A vrai dire le mot a circulé dans les milieux religieux ces dernières années, mais plus d'un pensait : «Encore un de ces mots qu'il faut connaître pour être dans le vent. Attendons que cela leur passe ! ». Pour d'autres, au contraire, c'est déjà un mot galvaudé. De toute façon, puisque le Chapitre avait pris position là-dessus, il fallait ouvrir les yeux de tous sur cette nouveauté à bien apprécier.

«Abats les murs de ta maisons» : ce slogan renferme une âme de vérité. Il y a des murs à abattre pour ouvrir les yeux sur l'histoire que nous sommes en train de vivre, et ne plus rester avec des oeillères qui nous confinent dans des problèmes domestiques, où l'on ne put respirer le grand air du Royaume de Dieu.

Il faut d'abord ouvrir les yeux sur la réalité que nous sommes, nous. Notre communauté n'est pas une communauté nouveau-née, c'est la communauté mariste, avec cette charpente que lui a donnée son charisme initial, et la progression de ce charisme au cours d'un siècle et demi, et cette intervention et cette rééducation auxquelles l'ont soumise les deux derniers Chapitres Généraux. C'est dans cette communauté-là que nous devons affronter le monde de cette fin du 20ièmesiècle.

a) Inaugurer le noviciat universel.

Il ne s'agit plus seulement de conversion individuelle. Ce qui nous est proposé maintenant c'est que les communautés elles-mêmes soient saisies par Jésus et décidées à se convertir. Il s'agit d'inaugurer un noviciat universel, d'inventer avec la foi et le cœur une nouvelle vie communautaire, pour laquelle personne n'a vraiment été formé, et dans laquelle nous sommes encore tout à fait novices.

b) Lever les équivoques.

Il y a des circonstances qui donnent un sens plus aigu de ce noviciat à faire, par exemple le danger continuel de représailles pour telle communauté surveillée tant par «l'ordre» que par la rébellion. Mais dans la routine quotidienne, le «projet communautaire» court surtout le risque de tiédeur et d'équivoque. Il est donc très important de ne pas livrer à eux-mêmes des Frères qui n'en ont aucune idée, et de ne pas les livrer non plus à ceux qui voudraient s'en faire une idée commode ou fantaisiste ou de pure technique.

Je voudrais donc dans cette circulaire non seulement aider à comprendre du point de vue intellectuel et technique ce qu'est un projet communautaire, mais surtout aider à construire, dans la docilité à l'Esprit-Saint, un bon projet communautaire, un projet bien inséré dans l'aujourd'hui de Dieu et dans l'aujourd'hui de l'histoire du salut, car c'est au carrefour du monde et de l'Eglise qu'il faut désormais nous trouver.

Je voudrais aussi faire comprendre que le projet d'une communauté religieuse c'est celui d'une cellule vivante d'un grand corps : la congrégation, et que cette congrégation est une Eglise plus petite, mais pleinement en communion avec la grande et entretenant avec elle des relations de vie et des réactions d'harmonie.

Ainsi, et seulement ainsi, le projet de vie communautaire devient non seulement la programmation de vie commune d'un groupe d'hommes, mais le grand moyen pour unifier entre eux les religieux de chaque communauté et la congrégation tout entière, en les poussant à des applications concrètes de leur identité et de leur incarnation.

Ma préoccupation est que le projet éduque peu à peu religieux et communautés dans ce sens, c'est-à-dire initie en premier lieu à lire les signes des temps, non pas dans les livres ou les rêves, mais dans l'aujourd'hui de Dieu, dans l'aujourd'hui de I'Eglise, dans l'aujourd'hui de la congrégation.

c) Passer aux actes.

Or, depuis le Chapitre de 1967, notre embrayage documents-vie est toujours en train de patiner. Nous n'avons rien trouvé – au moins dans beaucoup d'endroits – qui soit l'équivalent des moyens d'autrefois, par exemple de la lecture spirituelle communautaire pour assurer chez tous une connaissance des directives du Centre. Les enquêtes me montrent, il est vrai, que, contrairement à certaines affirmations rapides, un grand nombre de Frères lisent et même méditent les circulaires, mais dans un cas comme celui-ci, lecture et méditation ne suffisent plus ; il faut toute une mise à exécution : mentalité d'attente à créer, groupes d'animateurs à établir pour répondre à cette attente. Et c'est urgent, car c'est la réponse au programme capitulaire que, depuis déjà un an et demi, nous avons décidé de donner.

2. NOUVEAUX CRITÈRES

a) L'Utopie.

«La conversion personnelle est possible ; la conversion d'une communauté ne l'est pas,» vont dire certains. Disons plus justement que c'est une utopie. Or, comme vous le savez, le mot utopie n'a plus le caractère péjoratif de jadis. Presque toutes les suggestions de l'utopia de Thomas More sont devenues aujourd'hui des réalités, et l'utopie peut se définir désormais : «une valeur et un idéal impossibles vers lesquels il faut toujours tendre et qui forcent la réalité à devenir de plus en plus dynamique ».

En prenant «utopie» dans ce sens-là, on n'est jamais frustré : on sait que la réalisation complète sera impossible ; mais on sait aussi que, sans cette stimulation, on restera inerte et on aura des communautés moribondes.

Dans la période qui a précédé, beaucoup de gens avaient considéré que la fidélité consistait à ne pas changer, et la politique de changement leur paraissait destructrice. C'est le problème des intégristes : mettre l'idéal dans le retour à un passé donné. Mais si l'Esprit-Saint a pu faire de bonnes choses au 16ième siècle, il a su aussi en faire d'excellentes à d'autres périodes. Les moines du 6ième siècle par exemple ont su devenir missionnaires pour convertir les Barbares de l'Europe. Et puis, pourquoi l'idéal serait-il passé et non à venir ?

b) Discernement et orthopraxie.

Beaucoup de Frères cependant n'étaient pas préparés à une mystique du changement. Ce fut pour eux une période douloureuse. Et pour tous d'ailleurs, une période de brouillard. Mais elle devait aussi amener une intéressante découverte. Les critères anciens apparaissaient insuffisants. Il fallait en trouver de nouveaux. Ce furent surtout le discernement et l'orthopraxie.

Le premier n'aurait pas surpris le Père Champagnat, car il avait dû l'utiliser autant que l'obéissance pour découvrir la volonté du Seigneur. Au point même que le Père Colin jugerait sévèrement telle de ses attitudes qui lui paraissait relever d'un sens trop relatif de l'obéissance.

Un autre élément allait être l'orthopraxie : au lieu de l'orthodoxie immuable il y aurait désormais une recherche de conduite juste qui paraîtrait aussi importante que l'énonciation juste.

C'est à travers la méthode de discernement qu'on a pu décider de ne pas pousser plus loin notre orthodoxie capitulaire, car vraiment la bonne doctrine ne manquait pas depuis 1967, mais ce qui nous manquait c'était l'orthopraxie. Dans notre congrégation comme dans l'Eglise, on se rendait compte d'une marge considérable entre les documents et la vie. On s'est donc dit : « Rédigeons un minimum de textes, mais trouvons les moyens de faire connaître ceux qui existent, et surtout de les faire appliquer ».

Frère BASILIO RUEDA

   Supérieur Général.

CHAPITRE I

DE QUOI S'AGIT-IL ?

 

SECTION I : Voir et juger la situation.

Le projet doit nous aider à agir. Mais auparavant il faut voir et juger où nous en sommes.

1. VOIR NOTRE MICROCOSME MARISTE

a) Le quantitatif dans l'Institut.

Il faut d'abord regarder la réalité en face. Nous ne sommes plus ce que nous étions. Nous avons perdu 2.454 profès perpétuels de 1958 à 1967, et 3.802, de 1967 à 1976. Les morts de ces deux périodes font respectivement un total de 707 et 785. Mais le grand vide est causé par la faiblesse des entrées dans la deuxième période : 2.051, au lieu de 4.512 dans la première. Nous n'avons plus osé recruter dans toute une série de Provinces. «S'il y a peu d'appelés, c'est parce qu'il n'y a plus guère d'appelants», dit justement Mgr. Etchegaray.

b) Le qualitatif dans l'Institut.

Mais, plus grave encore peut-être, est la perte d'une certaine qualité spirituelle. Qu'est devenue la vie de prière dans la vie religieuse ? D'abord comme vérité intérieure et ensuite comme «exercices de piété» introduisant vraiment à un dialogue avec Dieu. Un quaker du siècle passé, récemment édité en français : (Kerry : Expérience de Dieu. Editions Feu Nouveau) nous rappelle très utilement que «certains ne savent pas se diriger dans leur vie spirituelle et, à force d'activité, de préoccupations, d'hyperémotivité, mènent une vie qui n'est pas saine tant du point de vue spirituel que du point de vue humain». Notre vie consacrée joue-t-elle le rôle de ferment dans le monde, ou au contraire s'est-elle laissé mondaniser ? La densité évangélique que comportait la consécration ne s'est-elle pas évaporée ? Qu'en est-il du mystère de la croix dans notre vie ? Alors qu'il retrouve une place centrale, par exemple, dans la théologie du protestant Moltmann, n'est-il pas relégué à une place bien secondaire dans la vie pratique de beaucoup de religieux catholiques ?

e) Le social, le communautaire et le charismatique dans l'Institut.

Notre sens de la vie sociale devient-il plus large ou plus restreint ? Est-il mûr, évangélique, capable d'approfondissement communautaire et ecclésial ? Est-ce que nous faisons des choix parmi les Frères appelés à vivre avec nous ? Notre degré d'intégration sociale va-t-il dans le sens du charisme, dans le sens de la cohésion interne ?

d) Le gouvernement dans l'Institut.

Les critères pour choisir les Supérieurs ont-ils été améliorés ? Qu'est-ce qui est changé dans le service de l'autorité ? Avons-nous essayé d'«évangéliser» notre usage des biens, notre manière de les administrer ? Notre conception de la loi, des institutions, des structures, est-elle devenue plus vraie ou seulement plus bavarde ?

Ces quelques questions peuvent nous aider à nous situer face à ce quelque chose qui a changé chez nous et qui nous conditionne.

e) Le domaine des valeurs dans l'Institut.

Et autour de nous, il y a eu également toute une valse des valeurs. Des valeurs se sont perdues, ou sont seulement subi une éclipse pour reparaître de nouveau, manifestant ainsi qu'elle avaient une force interne d'attraction (Voir le Chapitre des Valeurs dans «Un nouvel espace pour Marie», p. 660).

Telle valeur reste-t-elle au niveau intellectuel ou affectif, ou au contraire devient-elle opérationnelle ? Dans tel pays où nos élèves se recrutent dans deux ethnies en guerre, la valeur communion prend un relief étonnant, car la mise en oeuvre de cette communion peut avoir des conséquences de vie ou de mort. Par ailleurs, l'intensité vécue de cette valeur en consolide d'autres, en particulier celle d'une prière profondément vraie, personnelle et participée, pour trouver lumière et force voulues.

De façon générale qu'est-ce qui a été perdu, retrouvé, dans les idées et dans les dogmes ? Quelle est la synthèse idéologique, sociale et vitale qu'a opérée notre temps ?

f) Le domaine des relations dans l'Institut.

Où en est la qualité de nos relations avec le monde d'aujourd'hui ? Nous avons été tellement adolescents par rapport aux Instituts séculiers, dans ce domaine, pendant une certaine période. Eux avaient été habitués à travailler en étant ferment au sein de la sécularisation. Nous étions, nous, un peu excusables de nos hésitations et de nos erreurs, à cause de notre manque de formation, mais maintenant avons-nous encore une excuse ?

Par exemple, quelle est notre relation face à l'argent ? face à un salaire, soit dans la micro-société de nos contacts, soit dans la macro-société qui nous atteint par les mass-media ?

g) Nos relations face aux autres religions, au progrès, à la culture, à la profession.

Quelles sont nos relations face à l’œcuménisme, face aux autres credo ? On peut fort bien par exemple apprécier de plus en plus les valeurs de l'Islam et devenir en même temps de plus en plus disciple du Christ. On peut au contraire, établir tels contacts superficiels qui font évaporer le sens chrétien.

Quelles sont nos relations face au progrès ? à la culture ? à la profession ? Il y a des stimulations (salaires, grèves, syndicats…) qui rendent la société plus dynamiques, plus tendue vers un idéal ; ou qui la rendent seulement plus polémique.

D'ailleurs, la vraie question est : Quel esprit t'a conduit ? nous a conduits ? continue de nous conduire ? Qu'est-ce qui pouvait se faire raisonnablement dans le temps que nous avons eu, face au programme que nous assignait l'Eglise et la congrégation ? Gaudium et Spes, par exemple, proposait de changer non pas seulement des personnes, mais des groupes sociaux, d'améliorer des structures, de rendre plus valables des institutions. Avons-nous passé le temps à dire que c'était impossible ?

2. JUGER NOTRE MICROCOSME MARISTE

Après avoir vu il faut juger, et surtout juger nos réactions personnelles. Suis-je une force de progression ou de régression ? Suis-je de ceux qui se lamentent sans cesse sur ce qui s'est passé ?

J'ai connu un vieux colon, héroïquement demeuré dans le pays où on lui avait à peu près tout fait perdre, et qui disait avec beaucoup de calme : Pourquoi se lamenter de ce qui est ?». Moi religieux, ai-je cette sagesse ? Quand on se lamente, on parle de dégringolade, de dégénérescence, de régression. Et Dieu sait que c'est souvent vrai : Mais la question que je dois me poser est autre : est-ce que

je conserve ma fidélité à Jésus, et est-ce que je trouve la forme nouvelle de ma réponse de consacré face à un monde en travail d'enfantement ?

Si je ne regarde que la partie bien organisée du monde d'avant, j'ai l'impression que l'on recule ou que l'on piétine. Mais les reculs, comme ceux de la vague, sont des points de départ d'une avance nouvelle. Ou je suis optimiste ou je ne suis pas chrétien. J'ai une situation à assumer, non à subir.

SECTION II : Agir dans notre microcosme mariste

l. ACTION DÉJÀ ACCOMPLIE :

a) Vatican II.

L'Eglise a déjà fait quelque chose qu'il faut maintenant rappeler pour voir dans quelle ligne notre action doit se situer.

Le Concile Vatican II a été une réponse pastorale donnée aux temps nouveaux. Ce n'était pas une réponse unique. Elle avait été un peu préparée par d'autres essais. Pie XII avait pensé à un Concile. Le père Lombardi, qui avait reçu de lui quelques directives dans ce sens, a en tout cas lancé un mouvement dont l'idée directrice était voisine de celle qui animerait Jean XXIII : «Le monde subit un échec total. Cet échec est une nuit obscure qui s'ouvre à Jésus. Cela demanderait une Eglise capable d'annoncer cette bonne nouvelle. Mais l'Eglise n'a pas l'attrait voulu pour laisser passer à travers elle le message de Jésus au monde d'aujourd'hui. Il faut une rénovation de cette Eglise».

D'autres efforts, venus, eux, de la base, étaient nés auparavant ou allaient germer en même temps : Cardijn et la JOC, Boulard et les enquêtes sociologiques, l'épiscopat brésilien et sa pastorale d'ensemble, etc. …

La pastorale d'ensemble, avait d'abord été une découverte sociologique. Le monde était traversé par une crise de déchristianisation. A cette crise de société, il n'était plus possible de répondre par des efforts individuels. La disproportion des forces était énorme, et donc, ou bien on donnerait une réponse pastorale d'ensemble de re-christianisation, ou bien on assisterait, sans rien y pouvoir, à un courant de plus en plus dévastateur.

Cette découverte sociologique amenait donc, comme chez Lombardi, une déduction pastorale : changer le visage de l'Eglise. Et timidement les épiscopats commençaient à travailler en se groupant : c'étaient les premiers pas vers la collégialité. A Rome, la congrégation des religieux lançait un appel aux Supérieurs Généraux pour que, eux aussi, commencement à travailler ensemble.

Mais un tournant important va être pris par Vatican II et j'aimerais en souligner quatre aspects : la sacramentalité, la réorientation, la collégialité et le renouveau global.

De même que Jésus est le sacrement du Père, de même l'Eglise est le sacrement du Christ, face au monde, à condition toutefois que l'Eglise retrouve son vrai visage.

Cette sacramentalité implique une réorientation, et pour la première fois peut-être, au moins dans l'histoire des conciles des temps modernes, on passe de la préoccupation d'orthodoxie à la préoccupation d'orthopraxie.

La collégialité ne touche à vrai dire que quatre points des caractéristiques des schémas proposés, mais sa place existe désormais, et elle va croître en importance.

Quant à l'appel au renouveau, il s'adresse d'abord à tous, mais les religieux vont y être invités tout spécialement.

b) Deux appels aux religieux.

Disons que cet appel ne sera pas partout entendu avec enthousiasme. Beaucoup de Supérieurs d'alors étaient plutôt de la ligne conservatrice, et quant aux religieux laïcs, ce n'est qu'à la 4' Session qu'ils allaient trouver une place dans l'histoire du Concile (1).

N'importe. A la fin du Concile, tous les religieux sont sollicités par deux appels : celui qui s'adresse aux chrétiens, et celui qui s'adresse spécifiquement à eux par le «motu proprio : Ecclesiae Sanctae» qui demande à toutes les congrégations de réunir un Chapitre Général spécial.

c) Les Frères Maristes, dans le courant du Renouveau.

Nous voici donc lancés par les événements dans un courant difficile à contrôler, mais cherchant à donner notre réponse par le Chapitre de 1967-1968. En quoi consistera ce Chapitre Spécial ? Personne n'en a l'expérience, et chaque congrégation comprend ce qu'elle peut selon ce qu'elle vit. Les unes pensent à des réformes dans les structures. Celles de tendance conservatrice, pensent à la conversion personnelle de leurs membres sans mettre en question la conversion de l'Institution. Un troisième groupe envisage un changement des concepts et de la mentalité même de la congrégation.

Cette période est très polémique. On s'accuse facilement de manquer de fidélité à la congrégation ou, au contraire, à l'Eglise. Les tendances d'avant-garde et d'arrière-garde ont un peu existé à notre Chapitre de 1967-68, mais on ne peut pas dire qu'elles aient été très importantes. La plus grande difficulté était plutôt alors de faire le Chapitre Spécial. On avait la convocation de l'Eglise et un règlement : c'est tout. On partait donc en se confiant à l'Esprit-Saint qui ferait bien les miracles nécessaires.

Les miracles ont eu lieu en effet : d'une part une assez bonne entente ; et d'autre part des documents, dont quelques-uns à vrai dire sont faibles, mais l'ensemble bon, voire excellent.

d) Les tendances post-capitulaires.

Il y a dans notre monde technique un mot anglais très courant que le réaliste Champagnat aurait aimé : c'est le follow-up qui évoque service après vente, suite à donner, mise en application. Et le follow-up du Chapitre de 1967-68 a été faible. Les Frères d'un certain âge allaient en effet recevoir les documents, sans les critiquer, mais sans bien les comprendre. Sans doute, pensaient-ils, il y avait là de bonnes idées, mais où cela menait-il ? Comme cette doctrine arrivait sur un état de crise, on avait surtout l'impression de débandade, de nivellement par le bas. «Où était la grande vertu de régularité qui avait formé des générations héroïques ?» pensaient ces hommes qui allaient continuer à vivre très régulièrement, comme ils avaient vécu, sans trop approfondir ce qui leur était donné. Ils acceptaient ce qui ne pouvait s'éviter, comme les réformes administratives (nomination d'un Provincial selon des principes nouveaux par ex.), mais ils ne se laissaient guère imprégner par les principes mêmes de la rénovation.

A l'opposé de ce groupe il y avait ceux qui se lançaient très vite dans un effort de rénovation, mais eux aussi, sans souci des documents du Chapitre. Ils avaient leurs théologiens, pensaient libération ou sécularisation, faisaient leurs micro-expériences, mais le Chapitre leur semblait déjà dépassé.

Enfin disons qu'il y a eu aussi un groupe qui a vraiment voulu connaître et appliquer les documents du Chapitre.

Quoi qu'il en soit, après 9 ans, il restait bien clair qu'il ne fallait pas faire de nouveaux documents, mais vivre les précédents, et donc proroger la période d'expérience de 9 autres années.

e) Les Conférences générales.

Pour juger un peu l'évolution dans le courant des 9 premières années, il y a une assez bonne référence : les 2 Conférences de Provinciaux.

La première se caractérise par une grande sensibilité au changement. On est prêt à renoncer l'ordre du jour prévu et à prendre comme base d'étude ma «méditation à haute voix» ; prêt même à convoquer tout de suite un nouveau Chapitre.

Si je refuse l'une et l'autre proposition, ce n'est pas que je doute du bien-fondé des suggestions que j'ai faites, mais parce que la réponse aux puissantes lumières du Renouveau doit être donnée dans un processus de vie qui exige que l'on prenne du temps et que l'on respecte son rythme. Il ne convient ni d'agir dans la spontanéité, ni de renoncer à six années d'expérience supplémentaire.

La seconde réunion des Provinciaux, celle de 1974, est toute différente. L'accent y est mis sur la continuité, le calme. On a expérimenté une vraie soif de prière ; on est sensible au discernement des esprits plus qu'à la dynamique des groupes, sensible aussi au charisme du Fondateur. C'est le moment où l'on commence à entrevoir la nouvelle vocation de la maison de N.D. de l'Hermitage et à vouloir relancer l'idée de spiritualité mariste et un grand mouvement d'identification (2).

f) Le Chapitre de 1976.

Lorsque arrive le Chapitre Général de 1976, on est prêt à entrer en communion très profonde avec le Chapitre précédent, et à assumer globale ment tout ce qu'il a fait. Même s'il y a eu des faux pas, on estime que la voie ouverte est bonne.

Sur un point seulement, on est d'avis de combler une lacune par le document : « Pauvreté et Justice». Ce sera le seul document du 17' Chapitre Général car «Frères Maristes aujourd'hui», qui est comme une synthèse de tout le Chapitre, est un message plus qu'un document. Quand à PAC, c'est un appel à l'unification de notre vie.

Disons encore que le Chapitre a établi des priorités : la question sociale, la pastorale des vocations et la prière.

Mais ce qui a été le plus souligné, c'est la volonté de mise en pratique des documents existants, et l'évaluation de cette mise en pratique. C'est même une des raisons qui ont motivé la modification du système de gouvernement au niveau du Conseil Général.

2. ACTION A ACCOMPLIR.

A) Continuer et purifier ce qui est commencé.

Une action immense reste à accomplir :

a) Prendre conscience du pluralisme.

Sans doute, notre passé ne s'est pas construit dans le rêve. Les anciennes Règles comportaient un projet communautaire fait par les uns et exécuté par tous. Il est vrai aussi que le Père Champagnat avait beaucoup médité, beaucoup consulté, beaucoup expérimenté avant de publier les premières Règles imprimées de 1837 (3). Vrai encore que «sur son lit de mort, il dit au Frère François, qu'il lui donnait tous ses pouvoirs pour terminer et pour fixer irrévocablement, avant le Chapitre Général, les Règles communes, les Règles du gouvernement, celles qui concernent la direction des écoles et la méthode d'enseignement. Ce fut l’œuvre du Chapitre qui eut lieu en 1852, douze ans après sa mort» (Vie 1931, p. 228-29). Vrai encore que cette Règle devint le projet obligatoire pour les cinq continents, au fur et à mesure que la congrégation devenait mondiale.

Il serait trop facile de critiquer toutes les conséquences drôles ou agaçantes, pour notre temps, de cette uniformisation. Rappelons seulement que le Chapitre de 1967-68 a accepté le pluralisme au lieu de l'uniformité précédente. Ainsi, ou bien les Capitulants ont été plus ou moins lâches et inconscients, ou bien ils ont agi sous l'influence de l'Esprit-Saint en acceptant le pluralisme. Le pluralisme peut en effet être une richesse, mais le « faire ce qu'on veut» n'est que la forme la plus dégradée du pluralisme. Autrefois la Règle entrait dans tous les détails. Aujourd'hui elle n'entre presque dans aucun détail. Certains en déduisent : « on a enfin compris que nous étions devenus adultes», ce qui est une très insuffisante simplification que je voudrais bien nuancer. Il y a parmi les hommes, des adolescents montés en graine, et qui seront encore adolescents à 40, 50, ou 60 ans. Il y a aussi des hommes qui acquièrent une maturité humaine sans acquérir une maturité chrétienne. Or, un vrai renouveau ne pourra pas surgir de la seule maturité humaine, ni même de n'importe quelle maturité spi rituelle, mais de cette plénitude spirituelle qui vit dans le cœur des saints. Voilà ce qui a manqué à tant d'efforts de renouveau dans les congrégations : la présence de vrais saints.

b) Evangéliser la communauté.

Et qu'y a-t-il à faire ? Tout d'abord, ouvrir la communauté à l'amour du Père, dans le Christ, en ne vivant pas seulement à base de vertus morales, mais profondément de la parole de Dieu et de la vie de Jésus, sous le souffle de l'Esprit. En d'autres termes, redonner à la vie religieuse et à chacun de ses éléments essentiels la densité évangélique qu'elle a eue dans le Fondateur et dans les origines avant même qu'elle cristallise dans une tradition.

c) Entrer profondément dans le Charisme de la congrégation.

Cependant nous ne pouvons pas tout faire, ni faire n'importe quoi. Le Père Champagnat a reçu un don d'être et d'agir, non seulement pour lui-même, mais pour que chaque génération le reprenne à son compte, dans le temps et le lieu, comme je l'ai précisé ci-dessus, dans la note sur identité et identification.

d) Nous laisser convertir à une nouvelle régularité.

Une nouvelle régularité est nécessaire, qui ne sera pas moins exigeante, mais plus dynamique que celle d'autrefois. Rappelons-nous ce que dit S. Paul aux Galates (5.3) qui ne veulent pas comprendre la loi de liberté : «J'atteste à tout homme qui se fait circoncire qu'il est tenu de pratiquer la loi intégralement». En transposant : «Si vous ne voulez pas aller de l'avant en entrant sérieusement dans ce que sera le projet communautaire, alors reprenez la stricte observance de la Règle d'autrefois».

Si regrettable qu'il soit, le mouvement intégriste a au moins un remarquable courage dans son retour à l'ascèse et à la discipline d'autrefois. Ce n'est pas la lamentable tiédeur qui ne s'engage à rien qu'on va pouvoir lui opposer, mais bien une ferveur toute nouvelle ; non pas des gens disant : «Dieu n'en demande pas tant», mais des gens sachant que Dieu demande tout, à chaque époque nouvelle.

Avec des gens de cette trempe, oui, on pourra viser à une métamorphose des communautés. Elle ne se réalisera pas en un jour. Nous y entrons en pionniers, avec audace et patience.

e) Re-consacrer la vie religieuse.

Nous avons à nous re-situer face au monde, ce monde dans lequel notre consécration s'est diluée, par le manque de préparation de nos premiers contacts.

f) Relancer la pastorale des vocations.

Ayant repris sens et vitalité, nous pourrons de nouveau avoir confiance et non seulement désirer des vocations, mais les rechercher. Certaines Provinces nous donnent à cet égard un exemple de dynamisme et de courage remarquables par une pastorale des vocations tout à fait insérée dans la vie.

g) Un modèle de «follow-up» marial.

«Un nouvel espace pour Marie» commence réellement aussi à être découvert au Brésil. Un Institut marial est réellement en train d'y naître où les Frères Maristes ont posé les premières pierres avec diverses autres congrégations. Le Conseil Général n'a pas cru perdre son temps en envoyant 3 Conseillers généraux étudier cela sur place pendant 3 mois, pour ensuite élargir cette découverte à d'autres Provinces.

h) Premiers pas dans d'autres voies.

Une nouvelle conception de l'obéissance à base de discernement commence aussi un peu à créer un nouveau style de relations entre Supérieurs et Frères, entre Frères et Frères, entre Frères et Sœurs, etc. …

Naissent également de nouvelles formes de prière tant au niveau personnel que communautaire ou ecclésial.

Tout cela existe, sans doute, dans des proportions encore faibles, mais c'est une direction dans laquelle il faut continuer en la rectifiant si c'est nécessaire. (Qu'il me suffise, pour tous ces points, de vous renvoyer à mes circulaires sur la prière et sur l'obéissance).

B) Combler les lacunes.

Mais il y a des points encore très déficients, où çà et là seulement on a vraiment commencé réagir.

a) Sens plus aigu de la fidélité à la vocation.

Il faut acquérir une volonté plus ferme de surmonter les crises au lieu de les laisser s'aggraver. Cela suppose une nouvelle prise de conscience de la valeur des vœux perpétuels. Quand il y a crise, la dispense des vœux est vraiment la dernière solution à envisager. Il faut avoir fait d'abord – je m'adresse surtout aux Provinciaux et aux directeurs – tout ce qu'on pouvait faire et, si possible, à temps.

b) Une re-formulation de la formation.

Un nouveau style de formation doit être pensé, non pas dans l'abstrait ou sans référence au contenu de nos documents, mais à partir de l'action. Si l'on se met à chercher des vocations, il faut les placer dans des conditions vraies d'épanouissement, à partir d'expériences sérieuses. En effet, en dehors de quelques structures bien concrètes, un vaste espace reste ouvert à l'initiative, éclairé seulement par quelques principes de nos documents et où les routes à tracer peuvent être très diverses.

c) L'ouverture d'un dialogue ecclésial.

Quelle préoccupation avons-nous de la pastorale d'ensemble ? Honnêtement on put dire deux choses : une partie des évêques ne comprennent guère la vie religieuse, spécialement quand ils sont chargés de la pastorale d'ensemble. Et nous, religieux, il nous arrive aussi parfois de ne guère comprendre ni l'Eglise hiérarchique ni la pastorale d'ensemble. Il y a donc une conversion à opérer des deux côtés : les évêques, s'ils veulent voir les religieux entrer dans la pastorale d'ensemble, doivent respecter leur identité ; les religieux doivent comprendre qu'ils ne seront fidèles à leur mission qu'en s'insérant dans cette pastorale.

Disons en tout cas que le travail est probablement beaucoup plus facile aujourd'hui que du temps du Père Champagnat, où sévissait un très fort cléricalisme des prêtres à peine compensé par l'anticléricalisme de quelques Frères, alors qu'aujourd'hui le prêtre et aussi l'évêque sont généralement d'un abord et d'une simplicité encourageants. Or vous savez assez l'insistance du Père Champagnat et de nos anciennes Règles sur la collaboration avec le clergé.

d) L'unification de notre vie.

Il nous reste encore à découvrir une spiritualité qui soit neuve et qui soit nôtre, c'est-à-dire apostolique et active. J'en parlerai vers la fin de cette circulaire en évoquant le texte de PAC qui est consacré à cette question.

e) Une orientation vraie vers les pauvres

Enfin il faudra bien trouver un moyen sérieux d'aller aux pauvres, car s'il y a des pays où c'est facile, le problème reste entier pour beaucoup d'autres. Et on n'aura jamais fini de réfléchir sur les nouvelles formes de la pauvreté.

C) Une volonté intégrale d'évangélisation.

Continuer ce qui est déjà commencé, combler les lacunes les plus importantes, voilà donc ce qui nous est demandé et qui sera la matière de notre conversion à l'Evangile, car il s'agit bien de nous réveiller à une volonté intégrale d'évangélisation.

Le monde nous glisse des mains – pas à nous, bien sûr, qu'est-ce que cela peut faire ! —mais à l'Église. Le monde se déchristianise, c'est-à-dire n'a plus de référence au Christ, l'ignore, ne le prie plus, ne vit plus sa vie.

Il est possible que l'avenir de l'Église soit dans une diaspora de petites communautés de foi noyées dans un monde sécularisé et athée, et qu'il faille passer par ce désert ou cet hiver. Mais n'est-ce pas une trop facile consolation que nous ont inventée les théologiens ou les sociologues, face à des phénomènes comme les difficultés de la catéchèse par exemple, qui sont réels mais qui n'expliquent pas tout.

Cela devrait plutôt nous sensibiliser à la double dimension de l'évangélisation : ne pas lire l'Evangile de façon éthérée en faisant abstraction de sa dimension sociale ; mais ne pas le réduire à un manifeste de justice sociale et d'appel à la révolution, alors qu'une glaciation spirituelle engourdit déjà toute une partie de la planète où la foi s'éteint.

Notre congrégation, ne l'oublions pas, a été fondée pour évangéliser, catéchiser un monde qui s'était déjà partiellement sécularisé dans un vague déisme ou dans l'athéisme, sous les assauts successifs de l'Encyclopédie et des philosophes, puis des lois révolutionnaires, même si la région de Marlhes – La Valla avait été relativement épargnée.

Il y a eu un effondrement des valeurs religieuses et des hommes religieux, qui a précédé la Révolution et lui a permis de cueillir des fruits déjà mûrs. Sans doute une résistance viendrait ensuite, mais bien tard, et on devait voir, a posteriori, ce qu'on aurait pu éviter.

Aujourd'hui, à l'échelle mondiale, il ne faudrait pas répéter les erreurs faites alors à l'échelle de la France et de l'Europe. Or, où en est par ex. l'engagement catéchétique ? Les 50.000 religieux enseignants (Jésuites, Salésiens, Maristes, etc. …) sont-ils en première ligne de la pédagogie nouvelle pour crier le message du Christ ? Il y a des individuels qui ouvrent des routes, mais où est la masse ?

L'école catholique se trouve affrontée à un questionnement sérieux au point qu'on a pu dire récemment dans un symposium : «Si l'école catholique est détruite, ce ne sera ni Illich, ni Freire, ni aucun des «descolarisateurs» qui lui aura donné le coup de grâce, mais ses propres responsables qui n'auront pas su maintenir son identité assez fortement et qui auront laissé s'évaporer son contenu».

En particulier n'avons-nous pas largement perdu la liberté du zèle et la liberté pastorale communautaire ?

a) La liberté du zèle.

Un apôtre devrait être un autre St. Paul décidé à annoncer Jésus-Christ de toutes les façons possibles. En réalité, beaucoup de Frères sont coincés dans des structures contraignantes, et l'école catholique, instrument formidable d'action pastorale en théorie, risque, en réalité, de limiter terriblement la liberté que les Conseils évangéliques avaient données à un Frère. On se laisse tuer par le professionnalisme, par le syndicat, par la politique, par l'obsession sociale, par la vie confortable. Alors valait-il la peine de prendre des moyens aussi radicaux que la virginité, la pauvreté ou l'obéissance d'un côté, pour que d'un autre côté, on s'asservisse à un syndicat, à un contrat professionnel, à une option politique, à une obsession sociale. Si légitimes que paraissent tous ces choix, il y a fort à faire pour reconquérir sur eux une liberté qu'ils étouffent et qui devrait se traduire par une grande mobilité et une grande disponibilité à partir d'un discernement sans cesse à la recherche de la volonté de Dieu.

b) La liberté pastorale communautaire.

Par ailleurs on s'est parfois donné un travail si serré et si définitif, ou tant d'occupations de goût personnel, qu'ils excluent toute disponibilité ultérieure. Le Supérieur arrive trop tard. Tout est pris, ou la marge de manœuvre est si réduite qu'on se demande à quoi peut bien servir encore le vœu (l'obéissance. Il y a sans doute bien des «ministères» aujourd'hui dans l'Eglise qui attendent des candidats, mais encore faut-il savoir agir dans la ligne de nos documents et en liaison avec les Supérieurs. 

D) Y a-t-il conflit de générations ? Polarisation ?

Certaines Provinces se plaignent d'un conflit de générations. Cependant je crois pouvoir dire qu'il n'est pas grave dans notre congrégation, et qu'il ne me semble pas devoir être un gros obstacle pour le projet communautaire. Dans certaines congrégations, ce conflit a atteint un point de «polarisation», c'est-à-dire de vraie sécession d'une communauté ou d'une Province qui demande et obtient de vivre indépendamment du reste de la congrégation pour pratiquer la stricte observance, ou en tout cas, une forme de fidélité au Fondateur différente de celle qui est envisagée par le Chapitre Général.

Vraiment je ne crois pas qu'il y ait chez nous un conflit de générations qui atteigne un seuil critique. Les enquêtes montrent qu'il s'agit plutôt d'un pseudo-conflit et que les tensions, qui sont réelles ça et là, obéissent plutôt à d'autres facteurs concomitants. Il y a plutôt conflit entre religieux un peu sclérosés et rivés sur leurs positions — de quelque âge qu'ils soient — et d'autres, qui sont avant-gardistes surtout dans le manque de respect et d'un minimum de compréhension. Relativisons ce qui est relativisable et que notre idéal ne soit pas l'uniformité mais l'amour. Nos documents sont une bonne source. Si nous nous y abreuvons tous et avons le souci d'être des hommes de prière et d'amour communautaire nous n'avons pas à craindre de sérieuses déviations.

E) Expérimenter nos textes.

Mais c'est bien là le problème : en 1985, après 18 ans, aurons-nous vraiment expérimenté nos documents ? Un certain nombre de religieux, oui. Mais l'ensemble ?

La Règle d'autrefois avait de bons principes, et d'autres moins bons ; mais ce qui faisait sa force, c'est qu'elle était vécue, étudiée, mémorisée au noviciat ; assimilée intellectuellement, aimée cordialement et vraiment mise en pratique par la vertu de régularité. Des religieux se sont sanctifiés à base de régularité.

Or actuellement, nous avons des documents qui sont plus beaux, plus profonds, et même réellement plus exigeants. Le malheur c'est que nous les connaissons très peu. Quant à les pratiquer ?…

Nous n'avons résolu aucun des problèmes qui étaient résolus au temps des anciennes Règles :

– comment les faire entrer dans la mémoire ?

– comment en donner la compréhension intellectuelle ?

– comment les faire entrer dans une nouvelle mentalité ?

– comment les faire aimer au point d'engager sa vie sur eux ?

– comment organiser/ les communautés pour qu'elles en vivent ?

Ce sera là l'objet d'un important discernement qui nous fera découvrir ce qui nous manque.

Nous avons vraiment à inventer ce noviciat universel dont je parlais au début et où il faudra mettre aussi bien le Supérieur Général que le plus jeune Frère. La prière participée et le projet de vie communautaire devraient être les deux grands éléments de ce noviciat. Chacun, à son niveau, écoutera les appels que le Seigneur lui fait à lui, et cette fidélité dans la réponse personnelle le préparera à une réponse communautaire.

CHAPITRE II 

CONSTRUIRE

LA NOUVELLE COMMUNAUTE MARISTE

 Face à ce que nous sommes – surtout dans les Provinces qui ont le plus souffert de la crise – et face au travail à accomplir, il faut quelque chose qui nous redonne vie et enthousiasme.

Quelques-uns se souviendront du film : «le Pont de la Rivière Kwai», dont un refrain a été chanté dans le monde entier. Le symbolisme de ce film d'après-guerre était résumé par cette phrase du colonel qui va faire construire le pont pour souder ses hommes entre eux : « S'il n'y avait pas d'ouvrage j'en inventerais pour eux ».

Dans une Province, j'ai pu voir à quel point, des temps de détente ensemble, et une maison à construire ensemble avaient pu façonner une communauté. Et j'ai compris le génie du Père Champagnat construisant à la fois sa maison et sa communauté de l'Hermitage en 1824. , Oui, c'est le but du projet communautaire : faire quelque chose en communauté pour faire la communauté. Non seulement rassembler tous les rouages de la montre, mais les engrener par une charité mutuelle qui ne sera pas facilité, mais mort à mon égoïsme, communion d'amour et résurrection pascale, donc qui saura accepter d'avance la croix communautaire qui ne manquera pas d'être présente.

1. LES POINTS D'APPUI.

Une construction a besoin de fondations solides. Une communauté superficielle risque de construire sur le sable. je voudrais donc indiquer les piliers, les points d'appui qui me semblent indispensables au projet communautaire.

a) Une communauté faisant une prière d'apôtres.

Et d'abord, elle doit faire une prière d'apôtres. Nous ne sommes pas des contemplatifs, au moins pas des contemplatifs purs. Pour un contemplatif, si l'on peut dire pur, l'apostolat des oeuvres, surtout des oeuvres extérieures à son environnement communautaire, est bien secondaire et même parfois est refusé. Il ne le fait donc qu'au compte-gouttes et comme par surcroît, ou en tout cas en donnant une nette priorité à la vie conventuelle ou monacale (4).

Une communauté mariste qui fait son projet de vie communautaire doit donc éviter les simplifications. La vie communautaire n'est pas uniquement ce qu'on vit au-dedans, et la vie apostolique ce qui n'est pas vécu au-dedans. Au contraire, il est de la nature même de notre vie religieuse de placer au même niveau d'importance l'engagement dans une action apostolique voulue par l'obéissance, la présence aux autres Frères dans le mystère d'amour de la vie communautaire et l'espace de prière tant en groupe que dans l'intimité avec le Seigneur.

Nous sommes des apôtres communautaires accomplissant un engagement apostolique à partir d'une communauté qui nous envoie. Avec cette communauté, nous devons donc dialoguer, discerner, déterminer les choix à faire et c'est d'elle que nous recevrons la mission, comme le dit très bien «Frères Maristes aujourd'hui » (n° 19).

b) Mais ayant de vrais temps de respiration communautaire.

Dans une famille humaine souvent le métier prime, et il faut bien, pour vivre, accepter des contraintes et des horaires parfois inhumains. Je n'envisagerai pas le cas-limite d'une communauté qui, pour vivre un témoignage de pauvreté, aurait dû provisoirement accepter une situation semblable. Je dirai seulement que, pour une communauté mariste, le primat ce n'est pas l'argent à faire rentrer, mais une mission à accomplir ensemble et pour laquelle nous avons besoin de vrais temps de rencontre, donc d'horaires satisfaisants à cet égard.

c) Communauté de témoins.

Cette communauté d'apôtres et d'hommes de prière doit en effet se présenter au monde comme une communauté consacrée, une communauté de témoins du Royaume, vivant comme tels au milieu de la cité séculière et en communion avec elle. Cette communauté doit être un signe, un geste prophétiques, un fait pour ainsi dire sacramentel qui indique clairement qu'on peut dès ici-bas, opter radicalement pour le Royaume. Sans doute il y a des cas où il faut camoufler ce témoignage, et, tout jeune, Dieu sait si j'ai connu, dans les écoles clandestines des Frères, la vie des Catacombes, mais aujourd'hui, sans persécution nous avons laissé réduire terriblement notre témoignage. Puissions-nous savoir réagir.

d) Un projet soumis au quotidien.

Cette identité par ailleurs n'est pas donnée une fois pour toutes. Il y a constamment à raccorder l'instrument si l'on veut qu'il reste fidèle. Les communautés qui courent le plus grand risque d'être infidèles sont celles où l'on a peur de s'affronter, de se dire simplement les choses. En vivant parallèles, on ne progresse pas, car c'est la rencontre en profondeur qui fait progresser.

En synthèse redisons donc que notre projet s'appuiera sur quatre piliers qu'il aura dû faire découvrir : une prière d'apôtres, une communauté priante, un apostolat communautaire, une présence au monde de personnes consacrées.

D'ailleurs il ne faut pas se faire illusion. Même si on a établi le projet de vie communautaire sur ces quatre piliers par un bon équilibre entre prière, vie commune, action apostolique et présence au monde et même si l'on a eu bien soin de choisir un genre de prière, de vie commune, d'apostolat, et de présence au monde bien conformes à notre charisme, la vie se chargera de désorganiser, de dés-harmoniser ce qui avait été sagement ajusté. On ne fait pas un projet de vie communautaire une fois pour toutes, mais on tâche de vivre en maintenant une harmonie historique difficile et toujours ré-ajustable.

2. VERS LE PROJET.

A) Evangile, Constitutions et Normes.

La communauté, fondée sur ces 4 piliers, devra donc progresser vers son projet, par étapes successives, et d'abord avant de penser options, il faudra penser fidélité à l'Evangile et au charisme.

Il peut en effet y avoir des Religieux à qui les Normes de la congrégation voilent l'Evangile : ils se dispensent d'un contact direct et vivant avec la parole de Dieu. Il se peut aussi que d'autres ne veuillent tenir compte que du seul évangile. Et pourtant les charismes des Fondateurs, prolongés par la congrégation elle-même, ont quelque chose de bien réel. Allez m'expliquer que S. Ignace, qui se convertit à l'hôpital ne tourne pas le moins du monde ses religieux du côté d'un service hospitalier, ou que S. Jean de Dieu, dont la jeunesse est un roman d'aventures se sente un jour chargé de fonder des hôpitaux. C'est vraiment l'Esprit-Saint qui, au sein de l'Eglise, taille les facettes d'un diamant merveilleux d'unité qui devra jeter des feux de toute part.

Quant aux Normes, il est bien évident que, si un groupe humain vivait les Constitutions d'une façon dynamique, il n'y aurait pas besoin d'éléments normatifs : il tendrait. au maximalisme de la plénitude évangélique et non au minimalisme canonique. Les éléments normatifs ne sont là que pour assurer un minimum de mise en pratique des Constitutions.

Si les Constitutions sont bien faites elles englobent l'essentiel, le dynamique et le réel, et elles permettent de coordonner dans une unité communautaire quelques-unes des formes dont ce maximalisme peut être vécu.

De toute façon les Normes ne doivent surtout pas clore la communauté sur elle-même. Toute vraie société chrétienne doit être un mystère d'ouverture, de service et de conversion. Quand la communauté est ouverte à la Province, l'étroitesse monastique est rompue. Quand une Province est ouverte à l'Institut, l'étroitesse provinciale est rompue. Quand l'Institut est ouvert à l'Eglise, l'étroitesse de la congrégation est rompue. Et l'Eglise d'ailleurs n'est pas une réalité pour elle-même, mais pour le monde, où elle est sacrement de salut par son ouverture au Christ, son Sauveur, et par le Christ au Père.

B) La communauté face à la Province.

a) Un jardin de nuances.

Nous partons donc d'un idéal : vivre l'Evangile et les Constitutions. Ne le perdons pas de vue, mais descendons maintenant au concret de notre communauté. Quel est le profil que nous voulons lui donner, compte tenu des grâces spéciales que nous découvrons dans ses membres ? Il y aura en effet un air de famille entre les diverses communautés, mais avec un je ne sais quoi de différent pour chacune, car le projet communautaire doit être conçu comme un moyen d'accueillir les grâces communautaires.

Telle communauté va mettre l'accent sur la pauvreté et l'ouverture aux pauvres. Telle autre, par ex. dans une Province divisée et pleine d'agressivité, peut se sentir appelée à reconstituer une unité mise en péril, en consacrant une partie de son temps à inviter d'autres communautés pour le repas, la détente, la prière, à écrire à des Frères un peu délaissés, à s'occuper de diverses façons des Frères à la retraite, etc. …

Telle autre communauté se sentira appelée à devenir un foyer de prière capable ensuite d'étendre à d'autres : Frères ou laïcs, son irradiation spirituelle. Je pense à telle communauté qui a fait ce choix, et s'est constitué une petite chapelle bien adaptée, bien placée pour permettre l'accès du public. Les élèves d'un collège mariste de la ville ne vont guère à la grande chapelle de leur collège, mais ils viennent là, à deux ou trois kilomètres de distance, prier dans cette petite chapelle intime qui les attire, où ils savent pouvoir échanger sur la parole de Dieu, ou simplement adorer le Saint-Sacrement, soutenus par l'ambiance de piété qui y règne.

Il est bien clair que ces accentuations diverses ne sont pas opposées mais complémentaires.

b) Comment préciser la nuance ?

Il faut donc se mettre d'accord sur la facette à tailler avec le plus de soin dans notre communauté : amour, service, dialogue, communication de biens spirituels, etc. … ? En d'autres termes il faut déterminer les priorités, ou même simplement la priorité.

Comment le faire ? Eh bien, avec le maximum de sens du concret. Je suppose par exemple qu'on a pensé devoir mettre l'accent sur : bien accueillir. Que veut dire : bien accueillir ? Pour certains, ce sera recevoir avec chaleur, sans jamais paraître dérangé, même si, à cause de l'accueil, certaines fois, il faut passer une nuit blanche. D'autres, plus réalistes, tiendront un compte des hôtes reçus et qui ont quitté la maison en se disant : J'ai vraiment été bien reçu ; je me suis senti au milieu de Frères ; et même j'avais l'impression que ma visite leur faisait plaisir.

c) Valeurs à accepter, valeurs à adopter.

c.1 Acceptation d'une valeur.

Mais ce but ne peut être recherché qu'à partir de l'idée qu'on se fait des valeurs. Je vais donc maintenant aborder avec quelques nuances cette question des valeurs, car elle va largement déterminer les projets communautaires.

Il est vrai que nos valeurs suprêmes sont Dieu, et plus particulièrement Jésus, ensuite Marie, ensuite l'éducation avec le Fondateur. Mais cela ne nuit pas à l'existence d'autres vraies valeurs, que nous pouvons aimer passionnément si elles sont conciliables avec les valeurs typiques qui ont motivé notre engagement. Des religieux, heureusement peu nombreux à mon avis, ont une vie polarisée par des amusements, des minuties ou même n'ont rien qui les attire ou les dynamisme. Leur vie n'a pas vraiment trouvé un sens. Elle cache un vide axiologique. «La vie, affirme durement A. Malraux, est comme un marché où l'on achète des valeurs, non avec de l'argent, mais avec des actes. La plupart des hommes n'achètent rien».

Si dans une communauté, il y avait trop de membres qui n'aient pas de sens axiologique, je ne sais ce qu'on pourrait faire. Vivre fidèles à des vœux, avec des idées équilibrées, mais froides – des notions en somme – cela ne prépare guère un choix de priorités pour un projet communautaire. Comment répondra-t-on dans ce cas à la question : «Quelle est la priorité qui va mobiliser notre communauté ?». Peut-être par un sourire. Prenons une valeur comme l’œcuménisme. Elle ne va pas nécessairement galvaniser toutes les communautés. Il y en a qui ne sentent pas la valeur de cette recherche de l'unité. Ils prient pour les non-catholiques quand il y a une circonstance qui les y pousse, mais de toute façon ils n'ont jamais réfléchi à la question en vérité. Ils pensent que tous les protestants n'ont qu'à se convertir au catholicisme, et que finalement il y a bien un peu de mauvaise volonté de leur part à ne pas le faire, etc. …

Au contraire, j'ai pu visiter à Olinda (Brésil) une communauté oecuménique entre moines de Taizé, Bénédictins, et Frères Maristes. Dans ce cas le projet communautaire était assez évident : vivre ensemble une recherche d'unité dans la prière et l'accueil. Beaucoup de jeunes venaient là, chercher une lumière à leurs problèmes. Arrive l'heure de la prière, et l'on m'invite à la prière. Dans une communauté mariste, on invite plus facilement à déjeuner, ou à jouer aux cartes. C'est bien. Mai ; sommes-nous une communauté de croyants ? de gens qui vivent de la parole de Dieu ?

Cette invitation à la prière, je ne l'ai pas ressentie comme un abus de pouvoir sur moi, mais bien plutôt comme une preuve que l'on avait approfondi une valeur, que l'on osait offrir ce que l'on avait découvert de meilleur, à savoir : la prière entre Frères séparés.

Et pourtant une communauté oecuménique est quelque chose de difficile à construire. Fondamentalement chacun vit son identité, car il ne faut pas qu'il y ait appauvrissement de la richesse confessionnelle de chacun ; chacun a sa vision théologique et chrétienne ; chacun aime son Eglise. Et pour bien vivre ensemble ces différences, il faut le faire avec beaucoup d'attention, ne pas expliciter inutilement les différences, afin de ne pas créer d'incompatibilités. Cela oblige à un admirable travail intérieur et extérieur de mise en sourdine et de mise en valeur, qui pousse à un constant appel à l'Esprit pour rechercher la vérité de Dieu dans un amour total du Christ et un amour total de ses frères avec, comme but, de rendre visible l'Unité dans la diversité.

Ce sont des exemples de ce genre qui peuvent nous faire descendre des nuages, car, pour certains, descendre des nuages ne s'applique qu'à l'art de sauvegarder les deniers ou de ne pas compromettre sa foi catholique avec «les dangereuses subtilités de l'hérésie». Eh bien, j'ose dire – ce qui, il y a 10 ou 20 ans, aurait paru de la provocation – : la difficulté œcuménique a ouvert un nouvel avenir au Christianisme et à la vie communautaire. La base sine qua non, d'une fraternité chrétienne n'est pas nécessairement l'homogénéité doctrinale, mais l'amour qui, malgré les différences, rendra possible l'unité.

L'Esprit a mis en nos cœurs, sa charité, qui peut être bien vivante, malgré l'impossibilité provisoire d'accord sur les explications doctrinales.

La parole de Dieu unit, et hélas ! la théologie divise. Il faut bien qu'il y ait une recherche théologique, mais combien il faudrait que tous les théologiens se redisent le mot de Karl Barth : «Quand je vous parle de Dieu, n'oubliez pas que c'est un homme qui vous en parle ».

La merveille des communautés oecuméniques, c'est d'avoir pu obliger à une saine relativisation des présupposés théologiques. L'écoute ensemble de la parole de Dieu amène à penser : «Commence à accorder ta théologie à la parole de Dieu et non à ta subjectivité. Laisse la Parole corriger ton système et non l'inverse ».

J'ai insisté un peu longuement sur ce modèle oecuménique, parce que notre excuse est trop souvent l'éloignement axiologique que nous avons les uns par rapport aux autres, et qui est pourtant bien plus relatif que dans une communauté oecuménique. Commençons à nous dire simplement, naturellement, les valeurs auxquelles nous tenons, avec seulement le tact suffisant pour ne pas blesser nos Frères. Le discernement dira si l'une ou l'autre sont incompatibles avec l'option mariste. A la limite, il y a des cas – prenons le Père Eymard ou le Père Rougier, par ex. – où une valeur est tellement ressentie qu'elle est indiscutablement à maintenir par celui qui la ressent, mais à condition qu'il prenne une autre orientation que l'orientation mariste, dont elle serait trop différente. Si la séparation se fait sans causer ni allergie ni rejet, c'est sans doute une réussite de la charité chrétienne.

c.2 Adoption d'une valeur.

Il y aura donc des valeurs à savoir accepter chez les autres sans du tout s'engager à les adopter, et d'autres que nous adopterons dans notre projet communautaire. Supposons que nous fondions une communauté en Tanzanie (je choisis ce pays puisque nous n'y sommes pas) et qu'une des valeurs que se propose la communauté soit de devenir à fond citoyens de ce pays.

Vraiment, le désir de collaborer au travail social du chrétien Nyerere me rendrait facile l'adoption de cette valeur, et je ne la contredirais pas si le projet communautaire estimait devoir me la proposer. Si par contre, je faisais partie d'un pays ou d'une ethnie violemment ennemie d'un autre pays ou d'une autre ethnie où je dois vivre, je n'accepterais pas aussi facilement cette même valeur comme base de notre projet communautaire, car ce qu'on me proposerait d'emblée serait un héroïsme, au niveau duquel je ne me sentirais pas arrivé et il me semblerait peu indiqué de prendre le départ là-dessus.

d) Faire une prévision organique modeste.

Une fois énoncées les valeurs et choisies les priorités entre ces valeurs, il faut faire une prévision organique très modeste et très réaliste. La tentation des cœurs généreux est de vouloir réaliser des choses considérables, et alors on court le risque d'être déçu, car si les résolutions d'un individu sont déjà difficiles à tenir, qu'en sera-t-il de celles d'une communauté ?

Il faut donc une prévision à la mesure du groupe qui consistera simplement à se distribuer les tâches qu'on se sera données, car il faut que quelqu'un soit la mémoire du groupe, sous peine de créer très vite des mécontentements.

Il faut donc commencer par quelque chose qui sera encore très loin de l'idéal entrevu. Cet idéal est au sommet d'un grand escalier. Il faut commencer par la première marche, mais en sachant qu'on ne s'en tiendra pas là.

Dans tous les mouvements apostoliques, il y a le militant qui dépasse les exigences du mouvement, qui va un peu trop loin, un peu trop vite, parce qu'il croit que son mouvement seul pourra sauver le monde.

Bien souvent, hélas ! en faisant un excès de zèle, il irrite inutilement les non sympathisants, et il s'essouffle lui-même.

Dans le mouvement Cursillos de Cristiandad on propose donc au militant de choisir son niveau d'engagement qu'il devra évaluer périodiquement avec ses compagnons, acquérant ainsi endurance, persévérance et fidélité, c'est-à-dire se maintenant actif et combatif.

En outre, l'expérience a montré que si l'on veut qu'il y ait progressivité et non régressivité, il faut bien tenir compte du point de départ et du rythme de croissance. Ceux qui au départ visent trop haut par générosité, constatent vite à chaque évaluation qu'ils n'ont pas fait ce qu'ils avaient prévu, se culpabilisent, se découragent et abandonnent. Au contraire, lorsqu'une générosité plus sage a abouti à un engagement prudemment équilibré entre volonté de dépassement et réalisme, chaque évaluation permet de voir qu'on a plutôt été au-delà de ce qu'on avait promis et, psychologiquement, on a la sensation d'une marche en avant régulière.

e) Accompagnement correctif.

De même en communauté. On choisira quelque chose de modeste mais sur quoi on fera une évaluation régulière en communauté d'abord, puis avec le Conseil Provincial, au gré d'occasions psychosociologiques et spirituelles qui facilitent une progression en esprit et en vérité.

Plus le groupe est débutant, plus il faut l'aider à faire des choses proportionnées à ses possibilités réelles, avec l'indication des moyens, des recours, des responsables, des dates, etc. …

Pourquoi ces références à l'autorité supérieur. Parce qu'il y aurait des communautés où, par inconscience ou aveuglement, on envisagerait tout, sauf ce qui serait pour eux le plus important : une plaie au flanc que personne n'oserait ou ne voudrait soigner. Il est bon alors que quelqu'un — le Provincial par exemple – puisse dire : «Vous lavez l'extérieur de la coupe et du plat, mais… réglez donc d'abord telle chose qui vous empêchera de progresser ».

Par ailleurs un organisme comme le Conseil Provincial, s'il prend vraiment son rôle au sérieux, peut assurer un accompagnement «progressif» c'est-à-dire pas seulement un enregistrement historique, mais une correction de parcours.

f) Le lieu et le temps.

Notre formation nous a sensibilisés aux besoins de temps forts de prière pour redonner souffle à une vie quotidienne de prière qui serait pourtant censée couler de source. Aucun religieux sérieux ne conteste ce besoin et ne trouve superficiels les temps de retraite ou de récollection. La même réalité existe pour la vie communautaire. Elle semble aller de soi, sans besoin d'efforts pour se construire, la communauté étant le lieu ou le Mariste vit continuellement. Mais en fait elle a aussi besoin de temps forts pour ne pas s'enliser et trouver souffle et dépassement.

Je vous dis donc : n'ayez pas peur de perdre du temps et de l'argent. Pour faire un bon projet communautaire, quittez votre ambiance habituelle, avec ses coups de téléphone, ses visites imprévues, etc. … et trouvez une maison un peu loin, où vous ne soyez pas dérangés, où vous puissiez avoir un temps très fort de vie fraternelle pour faire connaissance en profondeur — même si vous êtes censés vous connaître depuis 10 ans — pour que tout le monde s'intègre profondément au groupe, et exerce la charité dans toutes ses dimensions, y compris des dimensions jamais peut-être exercées jusque-là.

Nous avons fait cette expérience en Conseil Général, à 300 km de Rome, pendant 8 jours, et ce «temps perdu» a provoqué un réel approfondissement de notre vie fraternelle, nous faisant passer de l'état de personnages à l'état le personnes, par le partage du jeu, de la promenade, de l'amitié, de la mise en commun, de la prière, etc. …

Donc, si vous le pouvez, ne craignez pas de prendre une semaine entière : je vous invite très fort à créer entre vous ces journées de vacances, de joie, de travail, de prière et de réflexion. Si vous ne pouviez consacrer qu'un jour, qu'il soit au moins bien entier et que la nuit précédente ait été reposante.

CHAPITRE III

LE REEL COMMUNAUTAIRE

1. LE RÉEL QUOTIDIEN

a) Mes confrères sont ma grâce communautaire.

Avant de présenter une méthode pour le projet dans le chapitre suivant, je vais encore insister un peu plus sur certains aspects du réel communautaire, considéré comme une grâce à saisir.

Certains en effet peuvent se dire toute leur vie : je penserais bien à la sainteté, si j'avais le courage de St François Régis ou du Père Champagnat, mais je suis trop sensuel. Il me suffit de répondre : Alors pensez par exemple à Charles de Foucauld avant sa conversion et vous saurez que tout est possible.

La même tentation existe au niveau communautaire, et elle bloque tout effort : «Nous commencerions bien, mais il y a Untel qui va tout mettre par terre». A moins qu'il s'agisse d'un cas (éventuellement possible) de Frère absolument inapte à la vie communautaire, il faut se dire que la communauté commencera avec les éléments qu'elle a ; pas avec d'autres.

Nous n'avons rien fait, que je sache, pour être nés à tel lieu, à telle date. Il se trouve que des circonstances providentielles nous ont amenés à nous trouver cette année, dans telle communauté, avec tels confrères. Ce sont eux que m'envoie le Seigneur. C'est avec eux que je ferai tout ce qui est possible. Le Père Champagnat a reçu du matériau humain tout venant et il en a tiré des merveilles. Ma communauté de cette année sera peut-être toute différente de telle autre où j'ai vécu avant. Le Seigneur me fera trouver dans mes confrères de cette année des éléments dynamiques ou susceptibles de le devenir, ayant des dons réels – peut-être provisoirement cachés – pour construire la communauté mariste. Mettons-nous-y.

Nous savons fort bien qu'il y a des gens merveilleux, des catalyseurs de bon esprit : ils ont reçu la sagesse ; autour d'eux, c'est la joie. Ils font disparaître les cachotteries, ils collaborent, dialoguent. Ils sont un don du ciel. D'autres, au contraire !…

Croyez-vous que c'est par hasard qu'il en est ainsi, et que le Seigneur ne veut pas aider les uns par les autres ? Lisez les Avis, Leçons, Sentences, et vous trouverez amplement la question posée à nos premiers Frères.

En somme le premier pas d'un projet communautaire c'est l'acceptation loyale du réel, et cela signifie deux choses : nous accepter nous-mêmes tels que nous sommes et accepter les autres tels qu'ils sont, et une fois entrés dans cette zone du réel, voir loyalement ce qui est réellement possible et y viser avec courage.

Il faudra bien alors découvrir qu'il y a communautés et communautés, Provinces et Provinces et que l'on prend le départ à des niveaux et avec des possibilités de réalisation très variés.

Mais ce qui compte plus que le niveau, c'est la loyauté, le renoncement aux schémas de justification et l'aptitude au dépassement et à la croissance communautaires. A long terme, mieux vaut une communauté qui commence assez bas, mais marche avec persévérance vers le dépassement que celle qui est à un meilleur niveau, mais qui, satisfaite de sa «justice», refuse l'effort vers le dépassement.

b) Employer les moyens évangéliques et maristes.

Le deuxième pas du projet c'est d'employer les éléments évangéliques et maristes pour dynamiser ce réel qu'on a accepté comme point de départ. Si l'on se contente d'accepter le réel, inutile de parler de dépassement car bien souvent les groupes humains se nivellent par le bas. Il faut donc mettre en jeu les forces qui sont déjà en nous comme un don d'En-Haut :

* Notre vie en Jésus-Christ qui de sa nature tend à croître. Une communauté religieuse est d'abord et avant tout une communauté chrétienne.

** La force de l'Esprit. Selon S. Athanase «le Verbe s'est fait chair afin que nous puissions recevoir l'Esprit», et S. Séraphin de Sarov résume bien la tradition orientale en disant : «La vraie fin de la vie chrétienne est l'acquisition de l'Esprit-Saint». En un temps où très puissamment l'Esprit-Saint est à l’œuvre dans le monde, pourrait-il être absent de nos communautés ?

*** Notre vocation communautaire.

Un Frère mariste a reçu comme une grâce privilégiée de Dieu un besoin co-naturel de communauté, et, hors d'une communauté, il n'est pas à l'aise. Les enquêtes sur la vie communautaire faites dans tout l'Institut, ont démontré de manière incontestable combien presque tous les Frères attendaient de la communauté, non pas tellement d'ailleurs en la critiquant mais en exprimant le souhait qu'elle leur apporte de plus en plus.

**** Notre capacité de changement.

Or, malgré tous nos préjugés, l'être humain a une incroyable capacité de changement, lorsqu'on sait le conduire vers le «saut qualitatif».

Les guerres (par ex. celle du Biafra), les persécutions, les expulsions, les premiers essais en pays socialistes, ont bien montré que lorsque des Frères sont préparés et guidés, ils sont capables de se re-situer avec un nouveau dynamisme pour accomplir des tâches nouvelles.

C'est pour cela que le changement de certains Frères trop installés et qui, dans leur cocon, ont perdu tout dynamisme, peut être vraiment une grâce en les mettant dans une condition nouvelle pour un dépassement, si l'on a su agir avec humanité et sens pastoral pour ne pas les aigrir. Or ce qui est valable pour un individu l'est aussi pour un groupe : des changements de structures faits intelligemment et de façon assez durable peuvent ouvrir à un nouveau dynamisme.

Un président de Rotary-Club me disait : « Jamais je n'aurais accepté cette présidence si je n'avais pas pensé qu'elle me permettrait de réveiller quelques hommes. Il y a un géant en nous qui sommeille ; il faut que quelqu'un le réveille ».

En nous c'est Jésus-Christ qui sommeille. Son Esprit nous est donné, mais nous le laissons inopérant. Un musulman, comme Sadate, peut se laisser mener par sa prière jusqu'à faire un geste vraiment prophétique de courage, de sincérité, de vérité. Et nous, notre prière ne nous ferait pas sortir de nous-mêmes, ni de nos routines. Le vrai critère de notre vie spirituelle c'est notre capacité de changement. Le vrai danger qui nous guette c'est d'organiser platement un réel seulement humain.

c) Guider l'effort collectif par des principes sages.

Il n'y a pas de contradiction entre réel et dépassement. Le vrai spirituel, le vrai sage s'adapte, colle au réel, engrène sur un nouveau rouage quand il le faut.

d) Le but profond : faire la communauté.

Ne l'oublions pas, le but profond du projet communautaire c'est d'abord de faire la communauté. Le laboureur de la fable a demandé à ses enfants de retourner le sol pour y trouver un soi-disant trésor. Pour eux, ils pensent à des pièces d'or. Mais non, le trésor c'est le travail lui-même dont il leur fait ainsi découvrir la valeur. Le projet fera aboutir à une communion de personnes qui croîtront dans l'amour de Jésus et dans une vraie vie évangélique. A la limite, si le projet rendait impossible la vie communautaire authentique, il faudrait laisser tomber le projet et réaliser l'unité.

C'est l'amour qui crée l'unité et met en action vraie et efficace tous ces charismes que Paul évoque dans 1 Cor. 13. Sinon on a des talents multiples qui tournent à vide, qui sont inopérants, qui ne construisent pas le «corps». La communauté n'est pas un point de vente de matière grise. Elle est un point à partir duquel la matière grise et la matière cœur élaborent jour après jour une action concrète. C'est la participation à cette action qui donne à chacun, quels que soient ses moyens et ses orientations, le droit de se dire : je suis peut-être différent des autres, mais je suis vraiment de cette communauté, je suis pour quelque chose dans son profil. Si on en donne une définition, je suis pour quelque chose dans cette définition.

e) Mais par la croix communautaire.

Seulement ce que nous oublions dans le devis de notre construction communautaire, c'est le prix de la croix, de la croix communautaire. Nous voulons économiser là-dessus et, comme elle doit être à la clef de voûte, si elle n'y est pas tout s'écroule.

Une construction, un ajustage, cela ne se fait pas sans douleur. Il faut se laisser tailler. Le tas de planches qui séchaient dans le dépôt du charpentier, vont devoir passer sous la scie et le rabot. Pour fonctionner ensemble, il faudra des recherches, des essais, des frottements, des usures. Si l'on veut en rester à des complicités paresseuses, on ne fera rien. Pour trouver la vérité communautaire, il faudra souffrir quelque chose.

Dans les conditions que je dois créer en moi-même, il y a tout particulièrement le refus d'affirmer mon moi aux dépens des autres pour ne chercher que la seule volonté du Père. Concevoir la communion d'unité et de projet comme devant se faire autour de moi, serait ou bien susciter la bagarre avec d'autres personnalités qui ont aussi envie de s'imposer, ou bien annihiler les autres.

Il faut donc être dynamique, mais laisser de côté tout ce qui est trop personnel, trop égocentrique, pour chercher des éléments d'unité capables de cristalliser dans un projet.

J'ai dit que cela demanderait certaines rectifications de situations. Qu'est-ce à dire ? Eh bien, le courage de mettre en ordre ce qui, en moi, bloquerait la construction commune. Le courage aussi peut-être de dire à quelqu'un : «Il faudra changer telle ou telle chose, sinon ça ne marchera jamais».

f) En vue d'une correction personnalisante.

C'est dire qu'il faut chercher un des axes de la nouvelle communauté du côté de l'amitié, d'une amitié très franche et très cordiale, mais très fondée sur la prière. Si mon frère sait que je l'aime, et si je sais qu'il m'aime, il y a des choses désagréables que nous pourrons nous dire sans grand problème. Sinon, il faudrait en revenir aux anciens procédés de la correction fraternelle : on est à genoux, on n'a pas le droit de répondre, etc. … Et ces procédés étaient effectivement un cadre nécessaire pour éviter les réactions interpersonnelles. C'est facile d'en rire parce que nous ne pratiquons plus rien de tout cela : nous avons renoncé et aux procédés et à la correction, mais le résultat est encore pire : la communauté des lignes parallèles qui ne se rencontrent pas.

Le cardinal Pironio explique très bien : «Au fond je respecte mon frère, parce que je le crois respectable. Je ne prétends pas le soumettre à ma mesure à moi, parce que, dans son caractère, ses goûts, son style particulier, sa manière d'être, son histoire personnelle, c'est le Christ que je respecte».

C'est cela qui va tout changer, car auparavant, dans la correction on partait de l'idée d'uniformisation : il fallait éviter la singularité, il fallait passer par le même moule, sous peine d'être tout simplement infidèle.

Le nouveau principe est tout autre. C'est une question de discernement à la lumière des choses essentielles : cela est-il bien ou mal ? conforme à l'identité mariste ou non conforme ? susceptible d'être communiqué ou non ? Que faut-il faire pour que l'horizon s'ouvre et que chaque personne trouve vraiment se place originale, au sein d'une congrégation riche de sa diversité ?

Si donc ce sont là les nouvelles questions que chacun doit se poser à l'égard de ses Frères, on comprend que l'homme de bonne volonté n'a plus à s'alarmer de devoir corriger ou de devoir être corrigé, car l'aspect négatif de la correction sera — au moins en théorie — toujours fait dans une ligne de discernement qui vise à l'aspect constructif d'un progrès personnel et communautaire.

Chaque Frère a droit qu'on respecte sa personnalité, mais il doit accepter de ne la construire qu'en communion avec les autres et selon les grandes lignes d'une vocation communautaire précise. Un Frère mariste est une personnalité-pour-la-communion. Il n'y a pas vrai conflit entre personnalité et communauté, à condition que l'une et l'autre soient fidèles à leur vocation. Il peut y avoir une certaine dialectique, mais pas incompatibilité ni impossibilité. C'est pourquoi le projet devra bien exprimer la vocation de la communauté et mettre en communication des personnes qui, non seulement vivront ensemble, mais (au moins dans le cas d'équipes de travail) oeuvreront ensemble.

g) Grâce au discernement communautaire.

Chacun des membres doit se rendre capable d'un discernement saint et dynamique. S'il est sain, il ne sera ni imprudent ni destructeur de vie. S'il est dynamique il saura pousser au dépassement, harmoniser les éléments qui ont quelque difficulté à cohabiter, mais qui, à l'usage, sont capables de faire bon ménage. En même temps aussi, ce dynamisme doit forcer dans leurs retranchements les égoïstes et les installés qui sont tels, non par suite d'une crise passagère, mais par volonté de ne plus avancer.

Je pourrais synthétiser en deux idées cette philopraxis (5).

* Ces grands principes mèneront à la sagesse communautaire ; avec elle, cheminement et projets se font, sans même être nommés et sans technique ; sans elle on n'a que techniques creuses, verbiage et agitation.

** Cela permet de voir en profondeur ce qu'est le projet communautaire : une programmation dont le premier fruit est l'amour mutuel ; un discernement de la volonté du Seigneur pour s'engager à l'accomplir communautairement ; un moyen concret de mettre en action nos documents, donc de rénovation capitulaire et de fidélité à Vatican II ; une mise en commun de richesses personnelles et charismatiques qui se respectent et se renforcent pour donner à la communauté le profil caractéristique qui lui convient.

2. LES CRISES

a) Les crises passagères.

On a peut-être un peu trop pensé naguère à des communautés de parfaits. A partir d'un certain seuil, on se détournait plutôt qu'on aidait. Non par manque total de charité. Simplement on ne pensait pas qu'un confrère ou même un supérieur pût intervenir dans un organisme spirituel trop détérioré.

Il faut résolument changer d'optique. Si je veux qu'on puisse me dire tout ce qui me sera nécessaire et que je puisse dire à mon frère tout ce qui lui sera nécessaire, il faut que je sois sans préjugés, capable d'écouter, capable d'aimer et de ne pas juger, capable surtout de distinguer les crises passagères, même scandaleuses, et les cas de tiédeur invétérée.

Pour ne pas rester dans l'abstrait, je vais prendre deux cas bien réels. Le premier remonte à la période où mon travail au «Monde Meilleur» m'amenait à traiter beaucoup de problèmes de vie conjugale. Bien des fois l'amour conjugal passe par une «nuit obscure» et par un processus de dégradation où l'un des conjoints est attiré par un autre amour. Il se produit un distanciation, un refroidissement, un désintérêt croissants. Le conjoint victime le sent, et les enfants aussi, très vite. A l'inverse, celui qui aime ailleurs, sent grandir en lui cet amour étranger qui devient parfois un véritable hypnotisme.

Je reçois donc un jour une femme, qui m'explique le cas de son ménage. Son mari, grand politicien, s'est épris d'une fille dont il va avoir un enfant. Et cette femme est décidée à tout. Elle me montre un revolver qu'elle sort de son sac, et me dit : « Ou je me tuerai, ou je le tuerai».

Nous réfléchissons à son cas, à la lumière de l'Evangile, et aussi de la psychologie. Elle a ses torts en effet, en ce sens que son mari était un passionné de la politique et elle détestait la politique qui lui aliénait son mari. Autrement dit, elle a totalement refusé la vocation de son mari, n'a pas su apprécier les dons de parole qu'il avait, le féliciter pour ses meilleurs discours. Lui ne trouvait à la maison qu'une femme boudeuse dont il s'est dégoûté… Là-dessus arrive dans sa vie une femme jeune, admiratrice. Et l'hypnotisme fonctionne. Voilà pour la psychologie. Et maintenant l'Evangile. Que propose-t-il ? Le pardon. Comment ce pardon devait-il être donné dans ce cas ? L'Esprit-Saint pouvait conduire cette femme croyante dans les voies les plus hautes. Ce jour-là cette femme promit de réfléchir. Elle reviendrait plus tard. Elle est effectivement revenue. Elle avait parlé à l'amante ! «Je sais ce qu'il en est. Vous n'êtes pas coupable mais victime. De toute façon mon mari n'envisage pas de vous épouser. Vous avez donc deux solutions. Ou vous voulez garder votre enfant, et dans ce cas je ferai tout pour vous aider comme si c'était le mien. Ou vous pensez que cet enfant vous empêchera de vous marier. Et dans ce cas, je peux le prendre et je l'élèverai comme s'il était le mien».

Le mari reçut un choc en constatant à quel point son épouse lui pardonnait. Et je puis dire que toutes les fois depuis où je suis passé par la ville où ils habitent, ils sont venus me voir à l'aéroport : l'Evangile du Christ avait sauvé leur foyer.

Eh bien, il peut y avoir des cas semblables en communauté où il faut savoir voir et écouter, non pas pour condamner mais pour aider.

Je puis parler d'un cas où la situation d'un Frère était aussi détériorée que celle du politicien ci-dessus. Epuisé par un travail où il se tuait pour faire face aux nécessités de la bonne marche de l’œuvre, il avait peu à peu glissé à une totale capitulation face à l'amour d'une femme.

Je suis passé par là. Il m'a expliqué sa situation. Nous avons causé longuement et j'ai vu que, malgré cette situation terriblement dégradée, cet homme conservait des points de sa vie psychologique et chrétienne tout à fait positifs : il était d'une famille très chrétienne, aimait sa congrégation, ses Frères. Mais, tout en accomplissant un travail pédagogique remarquable, il était devenu sur un point, complètement aboulique. L'expression du psaume me revenait : «Adhesit in terra venter poster : notre ventre est collé à la terre».

Je lui expliquai : « Nous avons tous une réserve d'énergie psychosomatique, et c'est sur ce potentiel humain que la grâce peut opérer pour diriger notre vocation. Or chez vous, cette réserve est épuisée. Vous l'avez épuisée pour assurer votre travail professionnel. Vous vous êtes fait une idée très haute de votre responsabilité, mais à base de surmenage, et vous avez été livré à vos instincts parce que l'occasion s'est présentée».

C'était un homme de bonne volonté. Il était prêt à tout pour retrouver la bonne voie. Je suis donc passé au-dessus du Provincial pour imposer un changement. Et d'abord cet homme avait, comme souvent dans le cas de dépression nerveuse – un immense besoin de sommeil. Sans aucun somnifère, il pouvait dormir des journées entières, ne se levant que pour les repas. Je lui ai demandé d'aller chez sa mère et de passer chez elle autant de temps qu'il serait nécessaire, dormant, se promenant et reprenant peu à peu le goût de prier avec cette femme très chrétienne. Il avait abandonné presque toute prière, sauf cependant le chapelet.

J'étais bien d'accord pour qu'il reprenne une vie de prière à partir du chapelet. Mais je lui conseillai aussi d'aller dans la forêt, de contempler la nature et, à partir de là, de retrouver la prière de louange. Puis, peu à peu la messe et la communion. Puis la prière des psaumes. Puis un temps d'oraison.

Et quelques mois plus tard, il constatait que ses problèmes sexuels avaient disparu ; le calme était revenu, l'amour de la prière, la forme intellectuelle et physique. Il me demandait de pouvoir suivre un cours de recyclage, et il a maintenant retrouvé dans sa Province un poste de responsabilité important.

Quand on dialogue, on peut voir les valeurs fui subsistent, même chez un être apparemment démoli. Cette forme d'ouverture est difficile à comprendre pour les religieux très structurés dans leur mentalité et qui, peut-être aussi d'ailleurs, n'ont jamais erré hors du droit chemin. Mais qui nous dit que les enfants prodigues ne peuvent exister que dans les familles naturelles et pas dans les familles religieuses ? Et au Jugement Dernier serons-nous jugés sur le «droit chemin» ou sur l'amour ? Si jamais je ne me suis ouvert à un dialogue interpersonnel, comment puis-je me faire une idée autre que livresque des problèmes humains de mes Frères ? Et alors je mets la même étiquette vague et fausse sur des comportements très différents, mais qui paraissent identiques. Entre l'être et le devoir être, il y a de la marge. A moi de pratiquer un discernement sain et dynamique.

b) Cas du religieux inassimilable en communauté.

Mais il y a aussi le cas du religieux qui n'est pas victime d'un désarroi passager, comme dans le cas précédent, mais dont le comportement est proprement destructeur de la vie communautaire.

Il ne conçoit que son point de vue, il refuse de faire équipe. Il est installé dans une vie qui devient cancer pour la communauté.

Dans ce cas, il y a deux schémas possibles :

b.1 Le schéma monastique.

Un tel religieux a fini par n'être plus supportable dans un monastère. Dès lors il doit chercher un autre monastère qui veuille bien l'accepter. Il n'a aucun droit d'être reçu. Même s'il a 60 ans, il doit donc «prendre son bâton de pèlerin» et aller demander à tels et tels monastères s'ils veulent le recevoir. Si un monastère accepte, on lui propose un temps d'épreuve et puis on verra ensuite si l'acceptation peut être définitive. Les moines gyrovagues ont toujours existé.

b.2 Le schéma de la vie religieuse ordinaire.

Dans le cas de la vie religieuse ordinaire, le religieux inassimilable a un droit strict d'être placé dans une communauté. Avec la possibilité de changer de communauté et même de Province, dans une congrégation un peu nombreuse, cela ne pose pas de trop gros problèmes. Il faut avoir des communautés assez disponibles et aider le Frère à se comprendre lui-même, à comprendre que, s'il se rend indésirable à plusieurs endroits, il doit y avoir de sa faute.

Finalement il y a des cas où l'exclaustration ad nutum (c'est-à-dire pratiquement pour un temps indéfini) sera l'unique solution, car la congrégation doit pouvoir offrir à ses membres, dans les limites humaines bien sûr, ce que ses membres sont en droit de lui demander, c'est-à-dire d'être un lieu de rencontre avec Dieu, un lieu de communion et d'apostolat, un lieu pour vivre les conseils évangéliques.

En entrant dans la congrégation, le futur religieux s'engage à donner sa quote-part, mais acquiert en même temps un droit à recevoir les moyens de réaliser communautairement un minimum grâce à un cadre qui le maintient dans un certain dynamisme.


 

CHAPITRE IV

LA METHODE DE CONSTRUCTION

DU PROJET PRELIMINAIRE

 

Une préparation spirituelle préalable est bien nécessaire à la préparation du projet. Elle pourra consister en une confession sur le seul thème de la charité, qui introduira à un climat de prière, capable de créer les conditions d'ouverture spirituelle et de détachement personnel. On peut même penser à une journée entière consacrée à la réconciliation. On se purifie par l'écoute de la parole de Dieu, puis avant d'aller se confesser on pense à faire des efforts sérieux pour se demander pardon, causer longuement avec des Frères qu'on évitait plutôt…

J'ai connu le cas d'une communauté formée de bons religieux, mais profondément divisée pour des questions liturgiques, et qui est arrivée à un remarquable rapprochement à partir d'une méthode qu'elle avait acceptée. Dans une feuille distribuée à tous, je disais les côtés positifs de la communauté et aussi son fractionnement très apparent même aux yeux des élèves scandalisés. Les Frères étaient invités à répondre oralement à un certain nombre de questions, mais sans discussion. Chacun parlait à son tour. Les autres écoutaient. Cela s'est avéré une excellente catharsis, les deux blocs ayant compris un peu leurs torts réciproques et ayant décidé ensuite de rechercher la compréhension mutuelle.

I. PREMIER TEMPS DE LA METHODE

On est donc maintenant à pied d’œuvre, muni des références bibliques et maristes qui peuvent être utiles (voir Annexe 2). Comme autres références, je recommande tout particulièrement «La Vie Communautaire» de Dietrich Bonhoeffer, livre sur lequel je reviendrai à la fin de cette circulaire. Le supérieur distribue alors des feuilles de questions dans le sens de ce qui va suivre. On emploiera des feuilles de format uniforme et une seule par question.

a) 1ière série de questions :

(par rapport au passé en tant qu'il contient le présent).

Question 1. Quelles impressions personnelles et subjectives gardes-tu de la vie communautaire vécue par la communauté l'année passée ? (impressions spontanées et impressions qui se font jour au cours de la discussion).

Explication : La réponse à donner ne sera pas objective, mais subjective. Ce qu'on veut savoir ici, ce n'est pas comment la vie communautaire a été vécue, mais comment elle a été ressentie. Il faut laisser chacun exprimer ce qu'il a ressenti, même si ce n'est pas juste. La discussion ne viendra qu'après.

Cette demande concerne le passé. Ceux qui doivent y répondre sont donc uniquement ceux qui étaient là l'année précédente.

Question 2. Quels besoins personnels et aspirations personnelles expérimentes-tu en toi-même ?

Explication : Il s'agit de besoins ou aspirations relatifs à la communauté et dont les confrères pourraient tenir compte s'ils les connaissaient.

Ici il est possible que certains commencent à être inquiets, car s'il y a quelques besoins frivoles qui trouvent là l'occasion de s'exprimer il pourrait bien aussi venir sur le tapis des choses très sérieuses : communion et engagement avec les grandes options de l'humanité, lutte pour la libération, pour la justice sociale, pour l'intégration raciale, pour la paix ; problèmes de la communauté éducative, «famille mariste», etc. …

Cela signifie de la part du supérieur et de la communauté une grande disponibilité. Si le mot : projet communautaire veut dire : règlement ou horaire à modifier un peu, bien sûr que ce sera assez vite réglé, et que l'année suivante on n'en parlera plus. Mais, si, par hasard, il voulait dire : ouverture à l'Esprit !…

Question 3. Y a-t-il dans la communauté quelque point saillant, quelque lacune ou déficience vraiment sérieuse qui doive être particulièrement étudiée et solutionnée par la communauté ou les responsables au moment du projet communautaire ?

Explication : Cette 3ième  question permet de voir s'il y a quelque chose à régler tout de suite.

b) 2ième série de questions par rapport à l'avenir.

Question 4. Y a-t-il quelque point de l'Evangile ou des Constitutions que tu ne sois pas disposé à accepter comme base implicite et réaliste du projet communautaire ? (l'explication est donnée plus loin : 4ième temps ; b).

Question 5. En dehors des Constitutions et de l'Evangile y a-t-il chez toi des réactions de refus envers les Normes d'application, les Règles du Gouvernement ou de façon plus générale les décisions de l'autorité générale ou provinciale en vue de l'unité ?

Explication : Il peut se faire par ex. que le Conseil Provincial ait décidé de faire appel à tel Frère de la Communauté pour un service extérieur tous les week-ends. Si, dans ce cas-là quelqu'un n'est pas d'accord et pose ce refus comme préalable à l'élaboration du projet communautaire il faudra voir si c'est lui qui a raison face à l'Evangile, face aux besoins réels, face aux limites du personnel, etc. … Ce sont là des situations à clarifier afin de ne pas entendre dire ensuite : « Mais je supposais que…». C'est donc une question à poser.

Question 6. Quels aspects principaux de l'ensemble d'une vie communautaire intégrale voudrais-tu proposer spécialement comme résultats à viser en commun cette année ? (Exemples : communauté de foi, d'évangélisation, d'amour, etc. …).

Plutôt qu'à ces buts très élevés peut-être voudras-tu penser d'abord à des objectifs plus proches : amitié, prière, compréhension mutuelle, participation ?

Question 7. Quelles valeurs personnelles désires-tu que tes Frères respectent en toi ? Quelles valeurs voudrais-tu que ta communauté adopte comme valeurs de groupe ?

Question 8. Quelle est la priorité (entre les divers objectifs ci-dessus nommés ou non) que tu proposerais, toi, comme  digne du plus grand soin et du plus grand effort collectifs de la communauté dans son projet ?

Question 9. Si on est d'accord sur cette priorité, crois-tu bon de ne pas en envisager une seconde ? Si on juge bon d'en ajouter une seconde, laquelle proposes-tu ?

II. DEUXIÈME TEMPS DE LA MÉTHODE

a) Réflexion individuelle et prière personnelle sur les demandes.

Que faire devant cette feuille de questions ? Il faut d'abord tenir compte du temps imparti au projet. Si l'on y consacre une semaine, le premier jour sera consacré à la connaissance mutuelle, puis à la distribution des question ; le second jour à une réflexion tranquille et aux réponses à donner aux questions.

Mais si l'on ne trouve qu'un jour, qu'il y ait au moins une heure ou une heure et demie d'oraison avant tout autre chose, où chacun, seul, réfléchisse à ce qu'il est réellement pour la communauté, analyse son moi personnel et réponde par écrit à chacune des questions.

b) Rédaction écrite des réponses.

Chaque réponse, rendue sur une feuille de format identique, sera lue par son auteur devant la communauté. On notera à mesure sur un tableau l'essentiel de ces comptes-rendus.

III. 3ièmeTEMPS

Mise en commun sur les questions concernant le passé.

A partir de ce qu'on a recueilli, on va pouvoir maintenant comprendre la situation de la communauté, telle qu'elle est vue par les différents membres.

a) Questions 1 et 3.

On commence donc par les questions 1 et 3 et on écrit le résultat au tableau. Il ne suffit pas de faire une synthèse vague, il faut aussi noter les fréquences, car il ne s'agit pas de donner la même valeur à ce qui est dit une fois et à ce qui est dit 15 fois. On écoute comment a résonné la vie communautaire, avec ses aspects positifs et ses aspects négatifs, l'année précédente, dans la communauté. Chacun découvre les attentes comblées ou non et aussi quelles ont été les conséquences du comportement de chacun sur la subjectivité des autres.

Je ne vais pas vous dire que ce sera toujours agréable, ni pour le supérieur ni pour les autres. J'espère seulement que nous serons en communauté chrétienne, et non dans une jungle où certains croiraient avoir découvert un nouveau moyen d'exercer de sournoises vengeances. e reste donc dans l'hypothèse où tout cela a été fait très simplement et très franchement, chacun trouvant dans son sens de l'humour et dans son humilité la force d'avaler quelques couleuvres. Si hélas, on devait sentir que les choses ont été dites sans charité ni souci de vérité, les couleuvres passeraient bien plus difficilement.

b) Question 2.

On continue par la question 2 qui demande un traitement assez différent. Il faut que chacun dise sérieusement ses besoins personnels. Quelqu'un rassemble les réponses, les polycopie en autant d'exemplaires qu'il y a de Frères, et de temps en temps, on les redistribuera, par ex. pendant une méditation pour que chacun se rappelle quels sont les besoins qui ont été exprimés.

Toutes ces demandes obéissent à une vision rétrospective et tendent à une thérapie. Si chacun est simple, il aidera les autres à ouvrir les yeux, et c'est dans cette mesure que la communauté se rééduquera. Chacun doit en effet prendre peu à peu conscience que la communauté n'est pas l'assiette garnie où il mange ce qui lui plaît, mais qu'il y a aussi des choses qui lui sont demandées. Peut-être même pourrait-on étudier un certain plan destiné à rendre plus heureuse la vie des autres, la vie de l'ensemble. Et ce serait un moyen de faire crouler des exigences d'individualisme ou des aspirations trop personnelles qui ne cadrent plus avec la réalité communautaire, même si, dans nos rêves d'adolescents, elles nous semblaient essentielles à la vie.

4ième TEMPS :

Mise en commun sur les questions concernant l'avenir.

a) Question 7 : Valeurs à respecter :

Situons d'abord bien clairement la question 7.

On a demandé à chaque Frère de dire à quel les valeurs il tenait et qu'il voulait voir respecter par les autres. Nous l'avons déjà vu : il ne s'agit pas là de valeurs à adopter par la communauté, mais seulement à respecter. Ce ne sera donc pas là la matière du projet communautaire, mais cependant c'est une partie du travail, et je voudrais en expliquer le rôle.

Dans la liste des valeurs c'est bien de répondre : l'amour des autres, la prière, etc. … ; mais qu'on n'ait pas peur non plus de dire des choses plus humaines : le foot-bail, la clef de la voiture, la clef du laboratoire de photos, le transistor, un chien…

La même chose en effet peut être bonne ou mauvaise suivant sa motivation. Prenons le cas d'une collection de timbres : peut-être qu'elle me fait vivre avec plus de dynamisme, m'occupe, améliore mon caractère. Peut-être qu'elle me cultive, et m'aide dans mes relations avec mes élèves, etc. … Ou au contraire : peut-être qu'elle remplace ma communauté, dont je m'éloigne…

Il n'y a pas besoin de déshumaniser la vie religieuse pour la rendre valable. Si un jour le Seigneur veut que tel Frère se détache de telle chose à quoi il tient trop, laissons donc le Seigneur choisir son «heure», et n'allons pas imposer cela vingt ans trop tôt, s'il s'agit d'une chose en soi indifférente.

Nous ne sommes ici qu'au niveau des valeurs à respecter, mais, pour ce simple respect, qu'il y a besoin de sens chrétien et de sens tout court ! On se plaint facilement des vieux qui ne savent pas s'ouvrir aux valeurs nouvelles. Et parfois c'est vrai. Mais que dire de jeunes qui, dans un des lieux les plus marials de la congrégation ne sont pas capables de comprendre un peu l'amour des Frères anciens pour le chapelet. Il ne s'agit pourtant pas là d'une valeur si fantaisiste et si passagère qu'on doive la jeter comme un yoyo lorsque a passé la mode du yoyo. Je pourrais comprendre que tel Frère réagisse contre telle manière imparfaite de réciter le chapelet. Mais de là à s'en moquer purement et simplement, il y a de la marge. Et si la moquerie ouverte est remplacée par le sourire condescendant, qu'on affecte de réprimer avec quelque peine, ce n'est pas mieux ; cela révèle une incapacité de vivre, fût-ce un instant, les valeurs de l'autre.

Pour rester dans la même ligne, je dirais que le Frère qui ne fait plus la classe ne doit pas à son tour critiquer facilement les Frères qui ne font pas réciter le chapelet à leurs élèves. C'est sans doute étrange de constater que tel ex-Frère réussit cela fort bien et qu'un Frère, même très pieux, refuse d'envisager cette éventualité. Mais dans ce cas je dirais au Frère qui ne fait plus la classe : «Laissez ceux qui sont dans le bain juger ce qu'ils peuvent faire ou ne pas faire, à moins qu'ils ne vous demandent votre avis. Priez pour eux, si vous voulez, pour qu'ils soient amenés à comprendre d'une autre manière telle ou telle valeur ; mais ne cherchez pas à la leur imposer».

Ce sont des choses comme cela que l'on peut dire facilement en cours de préparation du projet communautaire. Ne trouvez-vous pas que cette préparation donne une bonne occasion de respect communautaire ?

J'écarterais cependant du projet communautaire les discussions de nature politique. La politique, plutôt qu'une valeur est un amalgame où se mêlent le bon et le moins bon, l'opportun et l'inopportun. Très généralement les Frères n'ont pas été préparés jusqu'ici à une discussion saine et objective. D'ailleurs, sauf exception, la politique n'est pas la vocation des religieux qui doivent être des frères universels pour les élèves et leurs parents, ceux-ci ayant pu faire des options très diverses. Enfin un Frère Mariste à l'exemple de son Fondateur qui, à une époque où le clergé était très politisé (à droite) a su remarquablement se maintenir hors parti, préoccupé seulement d'apostolat et de charité (6).

N'allons pas faire passer de simples opinions discutables avant la charité du Christ. Et à plus forte raison des questions encore plus inconsistantes.

b) Questions 4 et 5 : Valeurs à adopter.

La question 4 a peut-être scandalisé l'un ou l'autre qui se sont dits : «Comment peut-on ne pas être d'accord avec l'Evangile ?». Et pourtant il faut quand même bien voir s'il n'y a pas désaccord carrément avec l'Evangile. Tel Frère, par exemple, me disait un jour : «Je n'admets pas que qui que ce soit me fasse des remarques sur ma conduite». Je lui ai simplement dit : «Alors que faites-vous de ce texte que vous connaissez bien : «Si ton frère vient à pécher, va le trouver et fais-lui tes reproches seul à seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. S'il ne t'écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. S'il refuse de les écouter, dis-le à l'Eglise, et s'il refuse d'écouter même l'Eglise, qu'il soit pour toi comme le païen et le collecteur d'impôts » (Matth. 18.16) ?

La parole de Dieu est un glaive à deux tranchants et on a bien peur de cette arme.

La question 5 est d'un autre niveau. Le projet concret de la communauté peut amener celle-ci à être dispensée de quelque point des Normes. Mais justement, plutôt que d'entrer en conflit avec l'autorité provinciale ou générale, que l'on dise bien clairement pourquoi on demande telle dispense, et l'autorité examinera la question avec bienveillance. Ce sera l'occasion de voir si les valeurs que j'ai choisies sont acceptables. Certains peuvent aimer beaucoup l'ambiance mariste, mais ne pas aimer un des aspects de la consécration. De tout leur cœur ils entreraient dans une congrégation mariste ayant admis l'introduction de gens mariés, mais la vie virginale leur pèse trop. D'autres refusent la médiation du supérieur pour chercher la volonté du Père. D'autres acceptent fort bien la consécration, mais refusent les limitations d'une congrégation laïque.

Or, on peut avoir des théologies distinctes, à condition qu'elles viennent du même Seigneur et du même évangile, mais il faut voir, en les explicitant, si elles peuvent cohabiter.

5ième TEMPS :

Mise en commun sur les objectifs.

a) Chacun rédige son «itinéraire vers l'objectif».

On voit donc maintenant quelles valeurs sont proposées et quels objectifs sont à poursuivre. En somme, au sein d'un pluralisme acceptable quelle sera la nuance vers laquelle va s'orienter la communauté. Mais le plus important reste à faire : rendre les objectifs réalisables.

Chacun retourne donc chez lui avec le choix ou la liste de choix qui ont été faits et cherche à établir un itinéraire d'accès au résultat à obtenir.

Il rédige une feuille au sujet de l'objectif prioritaire et une autre pour les autres objectifs éventuellement à retenir aussi. On peut se servir des questions : comment, qui, quand, pour trouver des idées ; mais il ne s'agit pas de faire une planification poussée : que ce soit précis et efficace, mais surtout souple, car il ne faut pas enfermer la communauté dans un corset.

En mettant quelque chose par écrit, on permet de s'exprimer à ceux qui ne s'expriment jamais. Chacun en effet doit se sentir responsable de la communauté, comme s'il était le créateur du projet, et chercher avec ardeur des moyens réalistes à proposer.

b) Mise en commun sans discussion.

On vient ensuite mettre en commun, feuille par feuille, ce qui a été noté, et on le regroupe au tableau, chacun expliquant ce qu'il a trouvé, sans qu'il y ait discussion, car on n'est pas arrivé à l'étape de la discussion ni de l'adoption. Même celui qui est chargé de la ferme (il y a des fermes qui font vivre des collèges) peut dire son mot sur la pastorale du collège, sur l'accueil, sur l'horaire. Chacun s'exprime sur tout ce qu'il juge bon.

6ièmeTEMPS :

Tracer l'itinéraire accepté en commun.

Quand tout a été mis en commun, on voit l'orientation des propositions et on commence alors à dialoguer et à tracer l'itinéraire d'ensemble qui se dégage des suggestions des uns et des autres. On vote s'il le faut. Si l'on aboutissait à un ensemble trop dispersif il faudrait bien penser à l'unification.

CONCLUSION

Quand tout a été au point, un rédacteur tape le texte et l'envoie au Conseil Provincial.


 CHAPITRE V

LES ENSEIGNEMENTS DE L'EXPERIENCE

Nous sommes à dix années de distance du Chapitre de 1967-68. Les communautés religieuses ont pu expérimenter bien des styles de vie communautaire visant au renouveau et au dépassement. Moi-même j'ai écrit sur le sujet une circulaire en 1970, et sur un sujet connexe : l'obéissance, en 1975.

Nous connaissons maintenant la voix du réel, cette voix qui ne pouvait nous atteindre qu'à posteriori, et elle nous dit à quel point l'Evangile et le Père Champagnat avaient raison là où nous voulions les ignorer.

a) Communautés par cooptation.

Sous prétexte d'une vie communautaire plus authentique, et avec les meilleures intentions du monde, nous avons fait parfois marche arrière par rapport à l'Evangile et à un sens de maturité sociale.

Le phénomène de polarisation (voir plus haut) qui a été çà et là l'aboutissement de cette tendance a montré le danger qu'elle recelait et qui essentiellement était un refus du dépassement. Je reviendrai plus loin (principes de Bonhoeffer) sur ce sujet, mais je voudrais en approfondir ici un aspect par quelques réflexions.

La charité de Jésus-Christ ouvre la voie à deux réalités différentes et complémentaires :

* La loi universelle de l'amour.

Je suis appelé par le Seigneur à aimer absolument tout le monde, y compris mes ennemis et ceux qui sont en train de me faire du mal. Il y a donc là un mouvement qui me porte vers chaque homme, même si ma nature limitée se charge de bien réduire, en pratique, cette universalité.

** Vie communautaire.

Mais si je suis appelé à aimer tous les hommes, je ne suis pas appelé à vivre en communauté avec tous. Et vouloir tendre à cela — à moins d'une grâce toute spéciale — serait un non-sens.

Il y a donc un équilibre à trouver entre la charité universelle et la communauté charitable. Dans quel cas l'amour suffit-il, et dans quel cas dois-je partager non seulement l'amour, mais ma vie communautaire avec quelqu'un, sous peine de n'être plus fidèle à l'Evangile ? Cela relève de la prudence, don de l'Esprit-Saint.

Dans la plupart des cas, les communautés par cooptation ont failli dans la recherche de l'idéal communautaire. Même sans atteindre le point de polarisation, elles ont pris la voie de la facilité. A titre provisoire, on pourrait accepter cette solution pour éviter les tensions trop dures, et en s'avouant que l'on est ni assez mûr, ni assez généreux ou qu'il y a un risque psychologique ou spirituel que l'on ne trouve pas hic et nunc comment éviter. Mais que l'on n'aille pas présenter la cooptation comme une voie évangélique ou comme le dernier cri de la vie communautaire.

b Grandes ou petites communautés.

Je n'ai pas l'intention de prendre position sur le problème des petites communautés. Je veux simplement donner des exemples concrets pour dire que les grandes communautés, à condition d'être bien organisées en vue de la dynamique nouvelle, ne posent pas nécessairement plus de problèmes que les petites pour le projet de vie communautaire.

Je pense à telle grande communauté où le responsable a orienté une grande partie de ses Frères à ajouter personnellement une heure d'oraison en silence chaque jour et où, fréquemment on va passer en communauté une journée entière dans une abbaye, en total silence. De telles communautés peuvent aller très loin dans leur projet communautaire.

Et cette autre communauté, nombreuse aussi et composée de Frères pour la plupart âgés, qui est arrivée à une ouverture incroyable mais réelle à l'égard des jeunes recherchants. Ceux-ci peuvent venir aussi nombreux qu'ils veulent pour le repas du soir, pour coucher, pour passer un week-end. Ils sont reçus toujours avec bienveillance, sans avoir à téléphoner au préalable. Après le repas, les Frères ne les laissent pas tomber mais se prêtent à ce qu'ils désirent : jouer aux cartes, aller à la télévision, dialoguer. On est en pleine utopie, mais en utopie réalisée. Imaginez un peu que j'aie annoncé cela comme possible, il y a quelques années : on m'aurait sans doute pris pour un rêveur. Le fait est que cela existe au moins dans un endroit. Et que c'est la communauté qui l'a décidé, ou s'y est laissé conduire par l'Esprit-Saint. Vous comprenez bien qu'il y a là une nouvelle forme de générosité non moins mortifiante, non moins évangélique que celle d'autrefois. Et dans cette communauté, la générosité communautaire unit profondément les générations.

Le siècle passé a vécu avec une idée sans doute trop afflictive de l'ascèse qu'il est bien difficile de justifier par l'Evangile. L. Cognet qui est un bon historien de la spiritualité, fait remarquer combien S. François d'Assise voyait les choses différemment : «S. François d'Assise dit-il que l'on peut considérer comme un assez beau modèle d'ascète chrétien, était absolument réfractaire à l'idée d'une souffrance volontairement imposée. Dès les débuts de son Ordre, il s'était opposé à l'usage de la discipline et des instruments de pénitence, car il considérait surtout l'ascèse sous son aspect restrictif, et de cet aspect restrictif résultait évidemment un aspect afflictif inévitable. Il était seulement hostile à l'aspect afflictif pris en lui-même ». (L'Ascèse chrétienne p. 15).

Acceptez d'être dérangés tous les jours et vous n'aurez pas de peine à comprendre S. François d'Assise. Et vous serez sur la voie d'un très sérieux ascétisme.

c) Cas exceptionnels et cas ordinaires.

Normalement la vie communautaire demande de vivre réellement ensemble au moins dans une certaine mesure, avec une certaine dynamique du partage et de l'union des volontés. Le groupe charismatique appelé à vivre en commun a une identité, c'est-à-dire quelque chose de différent d'une communauté purement ecclésiale à l'intérieur du phénomène chrétien.

Mais il peut y avoir des cas d'exception où la vie communautaire est un mystère caché, qui, avec un minimum visible des éléments ci-dessus, exerce une action puissante. Bien entendu, si les éléments visibles ont été réduits au minimum, ce n'est ni le manque d'amour, de volonté de partage, etc. …mais des raisons extérieures à la charité chrétienne qui ont imposé ce camouflage à travers lequel passe la grâce.

J'ai trouvé, par exemple dans un pays où la vie en diaspora devient inévitable, des Frères très motivés dans leur vie chrétienne, leur vie consacrée, leur vie mariste et leur engagement apostolique. Et je leur ai dit : «Puisque vous devez vivre la plus grande partie de l'année séparés les uns des autres et que vous avez choisi de rester dans ce pays, il faut que vous viviez le reste du temps en communautés d'Eglise. Trouvez des prêtres, des sœurs, des laïcs, et formez avec eux des communautés de foi. Je ne vais pas vous dire que la mixité par exemple de ces communautés ne posera plus aucun problème. Prenez les précautions normales et allez de l'avant».

Evidemment, dans un cas, comme celui-là le profil de la communauté ne sera pas celui d'une communauté mariste : il faut être totalement créatif. Mais quand je fais un projet communautaire mariste, la donnée de base, c'est que la communauté est mariste, et qu'elle n'a le droit d'être communauté et de faire un projet qu'en tant qu'elle part de cette donnée et l'accepte. Et chaque membre ne peut faire partie de cette communauté qu'en tant qu'il accepte cette donnée et veut faire des efforts pour entrer dans le jeu, quitte d'ailleurs à en critiquer les aspects qui, hic et nunc, s'écarteraient d'une ligne évangélique.

d) La communauté comme but ?

L'expérience m'a montré que la communauté est un moyen de l'amour et aussi un résultat de l'amour. L'amour n'est pas un but, mais une attitude dont le but est la personne aimée. Le prochain ne se sent guère aimé, s'il est pour moi seulement un moyen de gagner des mérites.

Il en va de la vie communautaire comme de la prière ou de la pauvreté. Elles ne sont pas des en-soi, et quand on les cherche pour elles-mêmes, pour la satisfaction qu'on trouve en elles, elles tendent à remplacer Dieu. Elles portent à des radicalismes dont on s'aperçoit assez vite qu'ils ne sont pas évangéliques. Elles déçoivent comme déçoit tout ce qui est limité et qui veut devenir un absolu.

e) La communauté ouverte.

La communauté doit aussi prendre garde de se fermer sur elle-même, car alors ses membres peuvent vivre, de façon très paisible, une croissance de l'égoïsme ou bien descendre vers l'infantilisme n'ayant plus de contact vrai avec l'extérieur.

Toute communauté doit sans cesse être bien irriguée par ses propres sources évangéliques et charismatiques, bien reliée aux richesses anciennes et nouvelles de l'Eglise, voir aux richesses et charismes d'autres congrégations, ou d'autres organismes.

Il faut seulement, pour ce dernier point être attentif à quelques principes. 

*  *  *

 Nous ne pouvons pas adhérer à des groupes de la même façon que peut le faire un chrétien non lié à une communauté (d'ailleurs la politique des Focolarini à l'égard des religieux est très judicieuse à cet égard).

Nous sommes envoyés à ces groupes, par notre communauté ou avec le consensus de notre communauté, et donc nous devons y être reçus comme membres d'une communauté qui a déjà une identité.

*  *  * 

Ce contact doit permettre l'enrichissement de notre propre communauté, la rendre plus dynamique, sans la crisper inutilement. Attention aux comparaisons irritantes : là-bas c'est bien, ici beaucoup moins bien. Ne parlons pas trop et voyons comment transmettre le meilleur de ce que nous avons reçu.

f) La communauté et les valeurs évangéliques.

Je redis encore que nos communautés n'acquerront pas la maturité chrétienne sans l'écoute personnelle et communautaire de la parole de Dieu : «ce n'est pas de pain seul que vivra l'homme mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu». (Math. 4.4).

«Si vous aimez ceux qui vous aiment quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? » (Math. 5.46).

Je ne dis pas qu'il faut bâtir une communauté sans sagesse humaine, sans psychologie, mais s'il n'y a que cela, sera-t-elle chrétienne ? Autrefois on avait toujours l'impression que l'épithète religieux voulait dire beaucoup plus que chrétien. Je serais plus modeste et me contenterais de souhaiter que toutes nos communautés soient vraiment chrétiennes. Sans la sainte force de l'amour de Jésus (demeurez en mon amour) et sans un regard constamment fixé sur les valeurs évangéliques, une communauté devient vite d'une triste platitude, sans même arriver à dépasser vraiment ses difficultés interpersonnelles.

g) Communauté et structures.

Notre temps doit aussi se re-situer un peu intelligemment à l'égard des structures, et entre deux excès. Il y a eu des groupes sociaux sans esprit critique, d'une obéissance trop servile et qui ont maintenu trop longtemps des structures devenues inutiles, et qui ne s'appuyaient que sur une tradition humaine. Mais il y a eu aussi des groupes qui sont passés à l'autre extrême et qui avaient le goût de démolir. Or le Seigneur n'a pas rejeté les structures. Il a seulement demandé qu'elles soient au service de l'homme et non l'inverse.

Aujourd'hui l'expérience demande que les communautés se donnent des structures qui facilitent et assurent le partage, la communion, l'ouverture, etc. … et sans lesquelles on ne fera pas grand chose de durable et de coordonné.

Je reviendrai plus loin sur plusieurs des éléments indiqués dans ce chapitre. J'ai voulu les souligner ici, à cause de leur importance et pour que nous ne répétions pas les erreurs si souvent faites ces dernières années, de communautés sans projet, sans référence évangélique, des communautés devenues, comme tant de familles, simplement auberge et dortoir.
  

CHAPITRE VI

DE L'ANCIENNE COMMUNAUTE

A LA NOUVELLE 

Il faut maintenant essayer de remonter, des exemples concrets vers quelques principes, pour bien re-situer les axes de la nouvelle communauté par rapport à l'ancienne.

I. MAINTENIR L'UNITÉ DANS CE PASSAGE

Et d'abord, comment conserver l'unité au cours de ce passage ? Nous avons fait une dizaine d'années de tâtonnements. Et au bout de ce temps, nous sommes encore assez loin de voir clair. Il y a eu des idées, des modes, des réactions et aussi bien des efforts réels. L'avantage que nous avons par rapport à dix ans en arrière, c'est que le vécu nous permet mieux de juger ce qui était sain et ce qui ne l'était pas. On a pu redécouvrir expérimentalement ce qui était évangélique, et comment le Père Champagnat avait été évangélique. Mais évidemment il n'est pas nécessaire, sous prétexte de retour aux sources de refaire tout ce qu'a fait le Père Champagnat, là où les documents du Concile et ceux des Chapitres nous proposent maintenant une autre orientation. Il s'agit de faire ce qu'il ferait.

Nous allons essayer de mettre en parallèle les piliers de la communauté d'autrefois et ceux de la communauté nouvelle.

II. LES PILIERS DE LA COMMUNAUTÉ D'AUTREFOIS

a) Un Projet : la Règle. Une Vertu : la Régularité.

Le «Culte de la Règle» n'a pas été propre aux Frères Maristes, et le livre qui portait ce titre et qui a traumatisé plus d'un Frère dans les années 40-50, faisait des «petites observances» la pierre de touche de la sainteté non seulement pour le novice sans travail apostolique, mais aussi pour le missionnaire, de passage au couvent.

Un tel accent mis sur les détails (ne pas croiser les jambes) était un peu déconcertant, car on ne voyait pas bien la liaison entre cela et l'Evangile, mais, pour des siècles peu axés sur le mouvement, il représentait une sagesse monastique qui avait semblé indispensable. Elle n'était pas sans valeur, car elle avait assuré à la vie des congrégations une stabilité qui, depuis, a bien fait défaut. Cette attention aux détails entraînait au recueillement, au silence, à la présence de Dieu, valeurs indispensables qu'il faut pouvoir retrouver par un autre chemin. Il est par exemple un peu curieux qu'une communauté comme «l'Arche» de Lanza del Vasto, qui fait vivre ensemble des chrétiens et des non chrétiens — Lanza del Vasto est disciple de Gandhi — pratique la prière de l'heure, par un temps d'arrêt annoncé au moyen d'une sonnerie, et que nous, nous sommes tout surpris si quelque Frère a conservé personnellement cet usage qui n'est plus «de règle». Tellement nous sommes fidèles à ne pas faire ce qui n'est pas obligatoire !

b) Une âme : l'esprit de famille.

Par ailleurs des réalités existaient, à peine énoncées dans des documents. Lors d'une retraite, un groupe de Frères assez âgés avait cherché, à partir du document : Vie Communautaire, ce qui correspondait autrefois à l'idéal aujourd'hui proposé et la réponse avait été. «Nous croyons ne pas avoir vécu la vie communautaire telle qu'elle est exposée dans ce document, mais cependant nous avons découvert que nous l'avons vécue sous un autre visage et un autre nom. Cela s'appelait l'esprit de famille ».

Cette constatation n'est-elle pas admirable ! En effet c'était bien la communauté locale qui était unie par un élément qui ne la fermait pas, ne la «localisait» pas, mais l'ouvrait à une communion plus vaste, car l'esprit de famille comportait largement le souci de la Province et de l'Institut.

Après le Concile on a pu voir naître dans le monde des religieux, des affinités très fortes entre religieux de divers ordres, cherchant à vivre le programme conciliaire de rénovation, et cela a pu créer un nouveau pôle d'unité qui reléguait l'esprit de famille, mariste ou autre, à une place provisoirement seconde ; mais depuis, je crois que cette sensibilité a repris ses droits, et c'est heureux.

c) Une motivation : la fidélité à la volonté de Dieu.

Il y avait aussi une profonde motivation. L'obéissance au détail était la manière pratique d'accomplir la volonté de Dieu. On ne voulait rien laisser au choix individuel pour être sûr que l'amour-propre, l'égoïsme, les aises n'entraient pas dans la motivation des actions. On ne faisait pas, comme certains saints, le vœu du plus difficile, mais l'idéal sous-jacent était quand même de maintenir constamment la volonté sous le joug. Cet idéal pouvait être à base de confiance en Dieu, mais il portait aussi à cultiver le volontarisme.

d) Un homme-clef : le supérieur.

Quant au rôle important de la communauté ancienne, c'était incontestablement celui du supérieur.

Son élection venait d'en-haut. Peut-être avait-on fait quelques consultations, mais le critère sur lequel s'étaient basés ceux qui avaient donné un avis, était essentiellement que cet homme pouvait assurer la régularité. Bien entendu, rien n'empêchait qu'il eût beaucoup d'autres qualités mais la qualité qu'il fallait assurer d'abord, c'est qu'il serait gardien de la régularité.

Son mode de gouvernement était pyramidal. Il décidait de tout, et s'il tenait compte de son Conseil, c'est qu'il avait déjà été alerté par quelque bonne lecture sur l'évolution de son rôle.

Dans un certain secteur de l'Institut, nous avions fait, une certaine année, une enquête sur le sens de l'autorité parmi les Supérieurs. On prenait des séries de cas à résoudre et 13 réponses possibles étaient suggérées parmi lesquelles il fallait choisir. Le résultat donnait un indice très élevé de passion pour le pouvoir.

d) Grande importance donnée aux structures.

Ce genre de Supérieur assurait aussi le maintien des structures, car l'aspect extérieur de la vie était important. Cela ne veut pas dire que l'on considérait l'intérieur comme négligeable, mais cet intérieur était peu repérable, et c'est pourquoi on se basait sur des reflets qui semblaient (et parfois étaient) révélateurs.

L'opinion de F. Léonida qui estimait pouvoir juger une communauté d'après l'intégrale présence des Frères aux prières du matin et aux autres prières, n'est pas unique. On la trouverait plus ou moins chez tous les Supérieurs qui l'ont précédé, et je me garderais bien de dire qu'elle est sans valeur, mais aujourd'hui de toute façon, dans le pluralisme des tâches et la diversité des situations elle fonctionne imparfaitement.

f) Accentuation donnée à la dimension domestique.

L'idéal qui était donné naguère à la communauté était de créer une communion entre des hommes qui seraient dans le même lieu, pour faire la même chose, en même. temps. De plus l'idéal c'était aussi la séparation d'avec le monde. Tout cela constituait une force, mais, après Gaudium et Spes, il n'y a pas lieu de garder pour cet idéal une inutile nostalgie.

Comme le dit Chiara Lubich : «Voici le grand attrait des temps modernes : se fondre dans la foule pour qu'elle s'imprègne de Dieu, comme s'imbibe le pain trempé dans le vin (Méditations p. 11)». Il n'est plus possible de se replier sur la «privatisation» de la communauté.

g) Abnégation.

La communauté d'autrefois avait reçu une formation qui soulignait très fort l'abnégation, valeur qui, heureusement, renaît aujourd'hui par ex. dans les groupes de prière, car sa perte était fort dommageable. Dans l'intervalle, on s'est trouvé une bonne justification en faisant remarquer qu'abnégation et mortification étaient autant des valeurs stoïciennes que chrétiennes, et il est vrai que le Stoïcisme s'est développé en même temps que le Christianisme et qu'il est utile de ne pas confondre les deux, même s'ils se sont rendu service. Mais l'abnégation est une authentique valeur chrétienne, car c'est toute l'attitude de Jésus-Christ et son commandement. Et c'est même, dans la Vulgate, en S. Matthieu et en S. Luc : littéralement le mot «abneget» (Math. 16.24 ; Luc 9.23), qui est employé.

Faute de cette vertu, de cette force, on a eu ces dernières années dans l'Eglise, des gens qui s'affairaient à leurs projets, leurs conceptions et qui abandonnaient tout lorsqu'on ne les suivait plus, alors que le disciple doit renoncer à tout pour suivre quelqu'un.

L'abnégation, sous sa forme mortification, envisagée non comme acte de stoïcisme, mais d'amour de Jésus, a donné des résultats qui ne se comprennent que dans la foi, mais qui sont bien réels. Vous le savez, Frère Jean-Baptiste a osé dire que le Père Champagnat a eu «toute sa vie un attrait prononcé pour la pénitence et la mortification» (Vie 1931, p. 51).

Oui, cela nous effraie, mais cela n'effrayait pas ces «rudes chrétiens» qu'ont été quelques-uns de nos premiers Frères. Ils avaient peu d'idées, peu de culture, ils auraient été incapables d'écouter plus de dix minutes quelques-uns de nos «théologiens» de ces dix dernières années, mais ils avaient plus que ceux-ci un squelette et des muscles. Ils résistaient à l'épreuve d'une vie totalement monotone, sans distraction, sans recyclage, sans études.

h) Entrevue avec le Supérieur.

Enfin il y avait un point très surveillé par les Supérieurs Majeurs : l'entrevue avec le supérieur local. Il est vrai que c'était bien souvent quelque chose de très extérieur et même une vraie corvée tant pour le supérieur que pour l'inférieur. Mais parfois aussi elle donnait à certains supérieurs l'occasion d'être vraiment pères et pasteurs et à certains Frères pleins d'esprit de foi celle d'ouvrir leur cœur, de grandir spirituellement dans la vie intérieure et dans la vocation et de dépasser plus d'un obstacle communautaire qu'on a tâché plus tard de résoudre par la dynamique des groupes ou d'autres moyens.

Combien de Frères actuellement vivants et qui ont vécu sincèrement cette expérience doivent reconnaître qu'elle leur a aidé à dépasser des crises et à rester fidèles !

III. DÉCOUVRIR UNE NOUVELLE FERVEUR

Donc laissons bien les caricatures faciles et les critiques naïves qu'on a faites à l'idéal de la communauté ancienne. Elle a pu être déformée par la faiblesse ou la superficialité des hommes, mais avant les grimaces des déformateurs (le diable est toujours le singe de Dieu) il y avait eu les intuitions des Fondateurs avec leur sagesse séculaire — pensons à Benoît, l'organisateur de la vie monacale.

Il serait d'ailleurs très facile de caricaturer tant d'essais misérables de la «vie religieuse» d'aujourd'hui et Dieu sait que les traditionalistes ont la partie belle s'ils ont reçu en don le sens de l'observation et quelque brio littéraire. Devant les échecs et les ridicules des bâtisseurs sur sable, ils peuvent trouver toutes les justifications pour se voiler la face et ne pas regarder qu'à côté aussi il y a de vraies réalisations, peu nombreuses, peu éclairantes, mais qui sont une aurore. Et la petite aurore, une fois devenue jour, sera, elle aussi, convaincante.

Donc il n'est pas question de mépriser l'idéal ancien, mais de voir qu'il n'est plus praticable à moins de s'enfermer entre quatre murs et hors de l'histoire. Il s'agit d'atteindre en intensité nouvelle ce qu'a été le temps de la première ferveur.

C'est bien à cela que nous sommes conviés. Un certain style n'inspire plus. L'Eglise nous a mis sur le chemin d'un autre style à découvrir. Il faut faire tous nos efforts en vue de cette découverte. Certains éléments de l'ancien style pourront nous servir, mais il faut surtout trouver un nouvel art d'être religieux.

IV. NOUVEAUX PILIERS DE LA COMMUNAUTÉ

a) Un projet à créer.

Pour bien comprendre les nouveaux piliers de la communauté, redisons que le projet n'est pas créé mais à créer. Le premier résultat du projet doit être de faire croître l'être communautaire et le deuxième, de discerner ensemble ce que Dieu désire plus particulièrement de la communauté hic et nunc.

b) Maturité et affection.

En d'autres termes, la régularité qui ne signifiera plus pour moi ne pas croiser les jambes, va consister à participer à la réunion communautaire, à ne pas bouder, à ne pas dire qu'on perd son temps, à essayer de remplir ma fiche, après avoir bien réfléchi à ce que je devais écrire. C'est là le nouvel effort, la nouvelle forme de fidélité, la nouvelle contribution au bien de la communauté.

La nouvelle communauté va davantage faire appel à la maturité et à l'affection, ou en tout cas sous des formes moins guindées. Auparavant, on ne franchissait pas la frontière de l'intimité. Le mot du Christ : « Je vous appelle amis parce que tout ce que j'ai entendu auprès de mon Père, je vous l'ai fait connaître» (Jean 15.15) aurait bien dû nous ouvrir d'autres horizons, mais on ne faisait pas la liaison. Il y avait le monde mystique de l'affection entre Christ et Chrétiens qui était régi par l'Evangile, et puis un monde de l'affection entre Chrétiens et Chrétiens, voire religieux et religieux qui reposait bien sûr sur l'Evangile, mais aussi sur des principes d'une prudence séculaire pensée ou repensée par des chrétiens et, à cause de cela, considérée presque comme une donnée évangélique.

Au nom de ces principes, on pouvait vivre des années en communauté, et bien connaître par expérience la manière d'être et de réagir d'un confrère, mais ne rien connaître de sa famille, de son enfance, de son histoire, de ses idéals, de ses projets, de ses difficultés, de ses goûts. Il aurait fallu que quelque Matthieu ou Luc fassent là-dessus leur enquête : sinon la biographie des confrères commençait à leur vie publique !

c) Etre ensemble et pas seulement travailler ensemble.

Désormais ce ne seront plus seulement des structures qui vont unifier une communauté ; celle-ci ne sera plus seulement un travailler-ensemble, mais un être-ensemble qui demandera de se connaître, de se comprendre, de s'estimer.

Je ne sais pas si je me suis encore assez excusé de parler comme si la communauté ancienne avait ignoré le sentiment et l'affection ; soyez sûrs en tout cas que je sais bien qu'ils étaient aussi réels autrefois qu'aujourd'hui. Je prépare pour une autre année une circulaire sur la fidélité, et j'ai déjà recueilli de merveilleux témoignages. Mais si je n'en avais pas fait la demande, qui aurait jamais su que tel Frère qui acceptait tous les changements sans la moindre acrimonie, n'avait jamais quitté une communauté sans pleurer ? Il ne pensait pas que cette information était communicable. Or, chez celui qui a vraiment le Christ dans son cœur, à mesure que grandit l'esprit filial à l'égard du Père, grandit aussi l'esprit fraternel. La mise en commun des sentiments très intimes est donc normale et n'a rien à voir avec un système de compensations affectives plus ou moins troubles. C'est quelque chose qui peut être très viril. Pourquoi vouloir que virilité soit le contraire d'émotivité ?

Mais cependant n'allons pas demander, du jour au lendemain, à un Frère peu expansif de nature, d'être capable d'une grande facilité de communication. Il trouvera d'abord d'autres moyens pour collaborer au progrès commun.

d) Participation à la vie de ceux que le Christ m'a donnés.

La participation à la vie de mes Frères peut donc prétendre devenir aussi profonde que possible. A condition de respecter l'espace légitime de la personne, elle peut entrer dans des zones assez intimes.

Une fois que chacun a compris qu'on ne venait pas l'ennuyer dans ce qui lui semble constituer l'originalité de sa personne, il peut se laisser plus facilement désinstaller de son égoïsme, de son individualisme, de sa tendance à refermer son éventail de sociabilité, de son manque de don de soi, car là il ne peut pas parler d'atteintes à sa personnalité ; il s'agit de guérison de sa personnalité.

Il y a une rencontre un peu plus rare qui consiste à laisser entrer mon Frère dans ma vie, en toute fraternité et affection pour échanger sur mon état de membre de la communauté, sur mon travail, dans son aspect de mission communautaire. Evidemment ma mission relève d'une certaine doctrine, et il ne faut pas que celle-ci perde sa consistance lorsqu'on arrive au concret. Le concret doit trouver sa raison d'être, son potentiel de motivation, dans la doctrine. C'est pourquoi le responsable sera l'élément dernier du discernement et la voix la plus qualifiée et la plus définitive, mais la profondeur d'amitié que je viens d'évoquer aura préparé toute la matière du discernement à faire par le responsable.

e) Une éducation à la mise en commun des biens matériels et des biens spirituels.

Dans les débuts de la congrégation, il y avait une mise en commun qui était même celle du linge. Une fois lavé, celui-ci était mis à la lingerie où chacun allait puiser, tâchant de trouver les choses qui lui allaient le moins mal. Avec une soutane pour recouvrir le tout, cela ne posait pas ces problèmes de dignité personnelle, qui seraient insolubles au moins dans la civilisation occidentale d'aujourd'hui.

La mise en commun peut se reposer aujourd'hui à des niveaux aussi pénibles pour certains tempéraments : magnétophone, voiture, etc. … je ne vais pas vous dire jusqu'à quel point tel objet doit ou ne doit pas être mis en commun, mais il y a là matière à examen.

Sartre a dit une chose très juste : «Dans le monde, les hommes se mettent en relation au moyen des choses, et ils se chosifient mutuellement». Leurs relations sont en effet au niveau de la production et cela amène leurs affrontements, les uns réagissant par le salaire et l'exigence de productivité, les autres par les syndicats, les grèves, etc. …

Les choses, l'emploi, dans le cas d'une vraie mise en commun, doivent au contraire être des véhicules d'amour. Je prends le cas d'un changement d'emploi devenu indispensable à cause d'imprudences ou de maladresses qui rendent intenable à tel Frère le maintien dans telle école. L'amour vrai amènera le Supérieur à prendre la décision du changement. Mais il faut trouver quelqu'un qui accepte de faire le remplacement sans trop poser de questions, car la réputation du Frère remplacé risquerait d'en souffrir. Voilà l'occasion d'un acte d'amour : je ne demande pas d'explication, il suffit de me dire que je dois faire cela comme un service d'Eglise.

Il y a donc une manière particulièrement chrétienne de mettre en commun les choses de la terre ; mais plus encore les biens spirituels. Pour ce point, je renvoie à l'appendice sur Bonhoeffer.

f) Une éducation à la mise en commun de tâches pastorales.

Jusqu'ici les tâches pastorales dépendaient d'un responsable de communauté qui était le centre de référence de la mission que je recevais. C'était lui que je devais rendre compte. Tout cela est revoir sans laisser pour autant tomber le rôle du responsable, qui doit continuer pleinement et sans équivoque, à faire ce qu'il a à faire. Pour former la nouvelle communauté il ne faut pas enlever la responsabilité au responsable, mais le rendre coordinateur d'une co-responsabilité différentielle e complémentaire.

Il faut donc savoir partager les tâches et le charges pastorales, savoir s'aider dans un mutuel discernement pastoral. La tâche pastorale d'ensemble doit être portée par le cœur et le discernement de tous. Ainsi arrive-t-on à se revigorer réciproquement, à vivre avec dynamisme l'idéal apostolique et à retrouver courage dans les échecs.

Je reprends l'exemple des militants du mouvement Cursillos de Cristiandad. Ces gens-là, quelquefois nouveaux convertis, qui, il y a peu, étaient des indifférents, apparemment allergiques à la vie spirituelle, voilà que désormais chaque semaine ils devront mettre en commun le récit d'un succès apostolique et celui d'un échec apostolique. Ils vont s'entraider à l'apostolat, selon un impitoyable rythme hebdomadaire.

On propose donc une éducation à la créativité pastorale à des gens qui ne savent rien de rien. On aurait pu croire amplement suffisant de les voir s'occuper un peu de leur propre vie spirituelle. Non, celle-ci ne sera pas dissociée de la vie apostolique.

Ils n'ont aucune idée de ce qu'il faut faire pour affronter les difficultés ou régler une situation. Le petit groupe de 5 ou 6, en se réunissant une fois par semaine, établira un dialogue fraternel ; on se communiquera le souci de faire avancer le Royaume du Christ, l'expérience de journées vécues ensemble, et ainsi apparaîtront des efforts apostoliques concrets faits dans la Cité séculière pour essayer d'y être signe. On racontera échecs et succès, on réfléchira ensemble et on essayera de discerner pourquoi il y a eu échec ou succès et comment il faut faire pour se former.

Partager la nourriture quotidienne et pas le travail apostolique est bien peu logique. Dans une communauté mariste, il y a une série de tâches pastorales. Est-il normal que chacun vive la sienne sans aucune référence aux autres ?

g) Une éducation à la co-responsabilité.

On va donc essayer de vivre une co-responsabilité, mais il ne suffit pas de dire que la communauté est co-responsable, il faut lui faire prendre les moyens de le devenir.

Est-elle capable de pratiquer un discernement ? Veut-on y consacrer les heures nécessaires ? Sinon que va-t-on proposer à cette communauté qui n'a pas démarré ? Comme je l'ai déjà dit dans une précédente circulaire, c'est une bien plus grande utopie de vouloir la médiation de la communauté que de vouloir celle du Supérieur, mais il faut arriver à l'une et à l'autre : nous ne sommes pas au bout de nos peines. Quand on sera arrivé à un vrai résultat de médiation avec le Supérieur, alors, que l'on se propose de passer peu à peu à cette médiation de la communauté au moyen d'échanges sur-la parole de Dieu et qu'alors le supérieur puisse se dire : « Il faut qu'elle croisse et que je diminue ».

Il y en a qui vont surtout retenir de tout cela qu'il ne faut pas trop se presser, espérant bien qu'ainsi ces idées dérangeantes se seront évaporées, et qu'on reprendra le « sicut erat ». Je ne veux pas pousser à une hâte indiscrète mais je signale l'action qui a été menée dans un certain diocèse où l'évêque a obligé ses prêtres à aller un peu plus vite qu'ils n'auraient voulu.

Il leur a fait comprendre qu'il n'y avait plus l'Eglise-qui-produit et l'Eglise-qui-consomme, et que les communautés, dans leur ensemble devaient exercer leur don prophétique baptismal, et ne plus tout laisser à faire à une fraction cléricale dirigeante, que les fidèles assureraient donc conjointement de vraies responsabilités différentielles et complémentaires, le prêtre étant chargé de coordonner ces prises de responsabilités.

Et il leur a dit : « Je vous donne en an pour réaliser cette révolution passant de la conception du prêtre factotum à celle du prêtre coordinateur d'un ensemble de responsables vrais. Si au bout d'un an, ce n'est pas fait, je vous avertis ; si rien ne change après cet avertissement, je vous mets dans une autre paroisse ».

Pour des prêtres habitués à 30 ans de ministère, il était dur de s'y mettre. Alors, dans ce cas, l'évêque enlevait le prêtre et disait aux paroissiens : « Voilà ; je vous laisse avec vos catéchistes. Organisez-vous ; prenez vos responsabilités, et quand cela commencera à marcher, d'ici 2 ou 3 ans, je vous remettrai un prêtre. Mais le prêtre ne peut plus être considéré comme un simple distributeur de sacrements ».

Je ne veux pas pour autant vous engager à foncer sans réflexion dans ce terrain dangereux des redressements de situations. Il ne faut pas jeter le bébé avec le bain. Il y a des vérités que presque aucun de nous n'est capable de recevoir en pleine figure. Soyons donc prudents. C'est peu à peu qu'il faut mettre en pratique le nouveau principe de la co-responsabilité : chacun répond de tous ; chacun répond à tous. Mais il ne faut pas, pour autant, le renvoyer aux calendes. Voyons ce qui peut se faire dans l'immédiat, et ensuite une vraie affection éclairée par l'action de l'Esprit fera le reste.

Il y a parfois des chemins prophétiques qui sont selon le cœur de Dieu, mais où la communauté n'a pas du tout envie de s'engager, et où la consultation purement démocratique ne donnerait aucune lumière. Il y a alors le rôle de ceux qui se sentent appelés à s'engager et le rôle du supérieur qui peut prendre parti, aider, encourager, en dépit des critiques.

Je suis fils d'une Province où l'on a fait cela en 1957. Quand nous avons constitué un groupe spontané pour instaurer le mouvement apostolique des «cursillos de cristiandad», le Provincial d'alors nous a bien dit : «Vous avez mon accord. Mais ne vous faites pas illusion : vous serez fort critiqués. Faites tout ce que vous avez à faire. Ne répondez aux critiques que par un surcroît de dévouement aux autres».

Et effectivement, que de nuits blanches nous avons passées à nous occuper de Frères âgés qui nous critiquaient d'abord et, à la fin, nous aimaient beaucoup. Nous choisissions de manger froid afin de porte un repas à tel malade et de parler avec lui. Et après, il fallait trouver le temps de suivre les cours de l'Université avec un horaire complet d'enseignement. Mais le Frère Provincial nous avait proposé cette «longue marche» pour aller vers de nouveaux horizons.

Parfois la «longue marche» est à travers un désert, à travers un temps de patience qui ne sera pas paresse, mais souffrance et mort. Telle Province a connu récemment une période où il n'y avait qu'à prier et attendre. Toute visite tant soit peu «canonique» de Supérieurs n'aurait donné que des résultats négatifs. Il y avait pourtant là des Frères très bons, qui, un jour, allaient pouvoir sentir que le vent (de l'Esprit) était en train de tourner et que les glaces allaient fondre à nouveau. Dans le rythme des saison, il n'y a pas trop à attendre ; dans le monde de l'Esprit, on ne sait pas d'avance combien de temps durera la mauvaise saison. Il faut donc parfois savoir attendre, mais aussi savoir distinguer dans le groupe et en chacun ce qui peut se faire au moment que l'on est en train de vivre.

Mettons les choses au pire : supposons des Frères très réticents, très loin de former une communauté : ils ne sont qu'un agrégat, craignant d'être assujettis, taillés, insérés dans la construction. Ils sont méfiants et ne veulent mettre des choses par écrit que s'ils sont sûrs que personne n'abusera de ce qu'ils ont suggéré. Eh bien prenons-les comme ils sont. Acceptons qu'ils exigent l'intervention d'un modérateur qui ne soit même pas de la Province. Ne commençons pas par faire les comparaisons déplaisantes : «Oh mais dans tel groupe laïc, on trouverait scandaleux qu'une communauté religieuse ait si peu d'ouverture». L'important sera le progrès qu'ils feront, si bas qu'ait été le point de départ.

h) Dans le pluralisme.

Cette circulaire peut donner l'impression de pousser dangereusement à une diversification bien proche de la désagrégation. Il n'en sera rien si le pluralisme ne détruit pas l'unité et si l'unité ne bloque pas le pluralisme. Or cela suppose trois éléments de formation :

* Eduquer les Frères à distinguer l'essentiel de l'accidentel.

Auparavant cela se faisait en théorie et d'une façon minimale. On lisait l'Evangile, et Jésus dans l'Evangile soulignait assez l'importance de distinguer essentiel et accidentel. Mais, dans la pratique, cet appel était neutralisé par une hyper valorisation de l'accidentel, qui devenait intouchable.

Au Mexique, où nous étions en costume civil, donc de couleur, la règle avait maintenu la couleur noire pour les chaussettes. Cela ne se discutait pas.

En lisant que «le sabbat est fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat» (Math. 12.8), je ne pouvais moins faire que d'arriver à quelques réflexions. Le sabbat avait pourtant été voulu par Yahweh lui-même et il avait un vrai contenu : protéger l'homme contre un travail qui serait déshumanisant et destructeur du sens religieux. Mais, dans l'Eglise et dans l'Institut, n'y avait-il pas des disciples du Seigneur qui fabriquaient des lois comme jadis les autorités juives, et ces lois ne risquaient-elles pas comme autrefois de niveler ou même de bouleverser le sens de l'obligation : entre loi de Dieu, inspiration de l'Esprit et structure purement humaine, où était la priorité ? Ne fallait-il pas éduquer à cette distinction, non seulement pour maintenir l'homme libre et axé sur l'essentiel, mais aussi pour vivre l'unité dans le pluralisme ?

** Eduquer au silence et au dialogue.

Il y a un temps pour s'exprimer et un temps pour conserver dans son cœur une vérité importante mais importune. Il y a des choses que la communauté veut entendre exprimer, car elles la construiront et la feront grandir, étant le partage du meilleur de nous-mêmes — d'une partie de notre intimité sainement discernée —, et il y a des choses à taire ou au maximum à dire en sourdine, car on «ne pourrait pas les porter».

J'ai déjà parlé plus haut de la difficile leçon d'équilibre que nous donnent à cet égard les communautés oecuméniques, en sachant ne pas expliciter tout le contenu de la foi, sans cependant rien perdre de l'identité de chacun. On exprime ce que l'on peut pour bâtir l'unité et l'on se tait sur ce qui créerait des incompatibilités avec des Frères de sensibilité différente au point de vue religieux, théologique, ecclésial.

Mais faut-il que cette sagesse, exercée dans le domaine sacré de la foi, d'une foi sérieuse et profonde, soit stupidement empêchée d'agir dans des communautés où, sans prudence et sans respect, on affiche des goûts, des options politiques, des analyses historiques, des tendances idéologiques, des préférences sportives, un nationalisme — et la litanie serait longue — qui divisent et vexent et même peuvent devenir des idoles auxquelles on sacrifie l'amour, les confrères, l'unité.

On plaidera l'inconscience des coupables. Mais un disciple du Christ est appelé à surveiller ses «paroles oiseuses».

Parmi les schémas de justification, à la mode ces dernières années il y a eu l'opposition communion-mission. On a dit : Vivre dans une unité qui trahit la mission, c'est vivre dans une fausse unité ; si donc pour vivre ma mission il faut que souffrent l'unité et la charité, tant pis, car je me dois d'être fidèle au Christ et à une communauté qui est fruit de la foi, non l'inverse.

Le raisonnement est subtil et s'il n'est pas totalement faux, il faut bien le relativiser, car l'homme n'est pas infaillible dans cette découverte de sa mission. L'histoire de l'Eglise nous a montré combien de fois l'unité à été brisée par de soi-disant missions.

Si cette théorie était juste, il faudrait renoncer aux efforts œcuméniques parce que le oui et le non sur un même point ne peuvent pas être vrais en même temps. Un des deux ou les deux sont dans l'erreur au moins partiellement. Si donc ma mission devient prioritaire, si je la dogmatise et la préfère à l'unité, il n'y a plus qu'à reprendre les positions de jadis, justifier les intransigeances, les divisions historiques et abandonner la reconstruction de l'Eglise.

A la limite, une telle théorie fonderait la polarisation. Si je l'ai un peu développée, c'est que les communautés qui se divisent, le font parfois pour des questions secondaires ou même banales ; mais d'autres le font aussi pour des raisons plus profondes : des idéologies, des options politiques, une vision de l'Eglise, un sens de l'Evangile, et même parfois une cosmovision.

*** Eduquer à la largeur des critères et en même temps à l'exigence d'identité.

Dans certaines Provinces, on ne conçoit ni ne comprend certaines manières d'agir. Les cheveux longs, par exemple, ou la barbe, causent un malaise. Et pourtant, malgré ces détails, on peut être un excellent mariste.

Sans doute le phénomène de rejet ou d'irritation s'explique historiquement, car certaines «expressions culturelles» se sont présentées d'abord comme des contre-valeurs ou des valeurs ambiguës, mais il ne faut pas continuer à lier cheveux longs et contestation par exemple, si cette liaison n'existe plus ou même, si dans telle Province, elle n'a jamais existé.

Il y a donc lieu d'ouvrir assez l'horizon pour laisser à chacun l'espace dont il a besoin pour sa personnalisation et sa liberté spirituelle mais qu'en même temps on soit exigeant dans le terrain de l'identité. Que les options de chacun ne soient pas seulement recevables dans un sens évangélique large, mais aussi au niveau proprement mariste, en

étant conformes au charisme de la fondation et aux orientations capitulaires, dans un effort de renouveau, de discernement et de fidélité.

V. NECESSITÉ D'UN SENS ACCRU DE L'ADAPTATION COURAGEUSE ET PRUDENTE

Nous sommes dans un monde en vertigineuse transformation. La solution de nombreux problèmes n'est pas dans les livres. Si par exemple les responsables d'un secteur qui vient de passer du capitalisme au socialisme nous posent des questions à nous, Conseil Général, nous pouvons peut-être trouver quelques réponses dans des rencontres avec d'autres congrégations ayant les mêmes problèmes, mais il faudra surtout une rencontre directe avec les intéressés et une rencontre dans la prière pour faire un discernement. Et notre prière sera bien souvent : «Aide-nous, Seigneur à accepter de ne plus vivre dans la certitude».

Dans ce cas, le changement n'est plus une mode, mais une nécessité à sens pastoral et expressif. Pastoral, car il s'agit d'être sacrement de salut et de faire passer le message, et c'est tout le processus de l'acculturation qui n'a d'autre sens que de transmettre ce message. Expressif, car il nous est demandé de laisser «briller notre lumière… afin que les hommes glorifient le Père» (Math. 5.16).

Il ne faut pas oublier que la nature de notre vie religieuse avec la relative distance qu'elle prend à l'égard de l'Eglise locale et des autres chrétiens non religieux, ne se justifie que si, par là, elle exerce mieux son rôle prophétique. Nos Constitutions nous disent bien clairement : «Ce rayonnement de témoins choisis au sein du peuple chrétien rend à son tour plus visible le témoignage de ce peuple lui-même qui entraîne les autres hommes à la recherche du salut».

Changer pour exprimer plus visiblement ce rôle est une des bonnes motivations du changement.

Il faut cesser de faire des changements par besoin de bouger, des changements désastreux parce qu'irresponsables. Nous sommes au début d'un immense effort à fournir. Le Seigneur nous délivre des principes et des pratiques de la facilité !
                                                    ——————————————–

CHAPITRE VII

PROJET DE VIE COMMUNAUTAIRE

ET COMMUNAUTE PROVINCIALE ET GENERALE

 

I. AVANTAGES ET DANGERS POSSIBLES D'UN PROJET DE VIE COMMUNAUTAIRE

Alors que cette circulaire était pratiquement achevée j'ai reçu la visite d'un religieux très engagé dans le renouveau de la vie religieuse, en un pays historiquement et actuellement très riche en vocations. Il m'a demandé si j'avais prévu un chapitre faisant la liaison entre l'unité locale et l'unité aux niveaux provincial et général ainsi que la disponibilité de chaque religieux à ces deux niveaux.

Sur ma réponse négative, il m'a dit : «C'est dommage, car alors j'ai bien peur que cette circulaire fasse plus de mal que de bien. Çà et là en effet on va vers l'émiettement et l'aliénation de l'unité et de l'identité, faute de penser à la dimension provinciale et générale».

Sur le coup j'ai trouvé plutôt outrée cette remarque, mais après réflexion, j'ai dû convenir que mon interlocuteur avait raison. Déjà en effet à l'époque où le Père Tillard a commencé de parler projet de vie religieuse, bien des religieux, pleins d'idéal, mais aussi d'inexpérience, se sont mis à faire un projet personnel, conforme à leur subjectivité. C'était une caricature des intentions du Père Tillard, et c'était un danger pour la vocation, qui n'a pas manqué de s'avérer réel.

Cependant, le religieux qui fait avec sérieux son projet de renouveau, peut faire un bon apport à la vie religieuse historiquement parlant et spirituellement parlant. En effet, le renouveau n'est pas donné une fois pour toutes. Il y a une tradition de fidélité vivante au charisme qui va du déjà-fait au devoir-être-fait.

Il faudra toujours maintenir une âme dans la construction organique d'un corps, menacé, par l'usure du temps, de perdre sa partie spirituelle. Une intuition géniale a suscité telles mesures et explique en profondeur le pourquoi de telles structures. Mais attention ; le corps peut continuer à fonctionner comme un automate sans signification et ne produisant plus rien de vivant.

Le meilleur renouveau peut se dégrader, et c'est contre cette possibilité que vient se dresser la notion de projet. Non seulement on va décider d'exécuter quelque chose, mais on va redémarrer au niveau de l'élaboration et de l'inspiration. Ceci est très important, à condition cependant que l'on se souvienne bien qu'avant nous, l'Esprit-Saint a déjà fait un projet pour nous, que la semence a été mise en terre, et qu'elle s'apprête à éclore. Dans cette vision, le projet consiste en une fidélité progressive en marche. Sinon il édifie je ne sais quelle contrefaçon qui dénature ce qu'avait suscité l'Esprit.

II. LE PROJET D'UNE CELLULE VIVANTE

La communauté qui fait son projet doit se savoir cellule vivante d'un corps, et d'un corps voué à être sacrement de salut par et dans le Christ. D'où l'on peut déduire les cinq impératifs suivants :

– maintenir la communauté ouverte

– assurer sa spécificité

– harmoniser cette spécificité avec celle de l'Institut

– renforcer l'unité dans des communions plus vastes que la communion intercommunautaire

– rendre la communauté apte à un service d'Eglise.

Un amour tangible, à partir de tâches très variées et un esprit prophétique : tels sont les deux aspects très importants de ce service (cette diaconie pourrait-on dire) de la communauté religieuse. On a beaucoup insisté ces derniers temps sur cette idée que la vie religieuse compte plus par ce qu'elle est que par ce qu'elle fait, mais il faut dire aussi : plus importante que ce qu'on fait est la manière dont on le fait : «Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien» (1 Cor. 13.3).

III. DANS L'OUVERTURE, L'HARMONIE ET L'UNITÉ

Il y a une ouverture, une harmonie et une unité qui doivent s'exercer d'abord de la part de la communauté dans son projet à l'égard de toute sa famille religieuse, car, après le Christ et l'Esprit, c'est cette famille qui lui a donné naissance, consolidation, esprit, souffle.

Elle doit donc se sentir liée, non seulement avec ceux qui ont «un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père», mais aussi avec ceux qui partagent une même spiritualité, un même être spécifique d'Eglise, une même mission.

Avec eux, la communauté, a un devoir de partage spirituel : se maintenir vivante de la vie de la congrégation et tâcher de l'enrichir par ses contacts avec les autres communautés.

Elle a aussi un devoir dans l'élaboration des plans. Non seulement elle doit être agissante et dynamique, attentive et discernante quant à son projet à elle-même, mais aussi quant au projet de la Province et de tout l'Institut.

Enfin, elle a un devoir d'exécution au niveau provincial et général, en se prêtant à la bonne marche de ces niveaux, avec une saine prudence et un sain équilibre selon ses possibilités, ses ressources humaines, économiques, culturelles, spirituelles, non seulement pour grandir elle-même, mais aussi pour faire grandir les autres.

Sans cette ouverture, on a le pénible résultat, déjà connu jadis, d'une étroitesse et d'un cloisonnement géographiques, qui, heureusement, sont en train d'être bien dépassés. Il faut constamment réagir contre cette peur de n'être pas les plus gagnants, aussi fréquente qu'éloignée de l'Evangile. Allons-nous faire ensemble l'eucharistie, en gardant chacun nos provisions, comme les Corinthiens ?

De toute façon, entre nos projets, un fil d'unité ne manquera pas, si nous sommes solidement attentifs à nous maintenir dans la ligne conciliaire et capitulaire de renouveau. Si notre projet communautaire prend là sa source, si nous avons fait de ce programme une méditation intégrale et existentielle, si nous le laissons façonner notre mentalité, il éclairera pour nous les signes des temps, orientera notre cœur et notre vie vers une nouvelle régularité.

Le programme conciliaire et capitulaire reste volontairement générique, justement parce qu'il faut que la communauté l'incarne hic et nunc dans l'espace qui lui est laissé.

IV. UNE PROVINCE ATTENTIVE À SES COMMUNAUTÉS

Mais on pourrait se targuer de fidélité au Concile et aux Chapitres d'une façon aussi servile que théorique qui consisterait à se gargariser de mots : richesse de nos documents, sens prophétique des capitulants, etc. … et en se contentant d'une répétition à l'échelon local de quelque plan provincial forcément trop vague pour une communauté. C'est pour cela qu'il faut bien mettre en application une autre loi : la loi de complémentarité.

A partir du sommet : l'Eglise, il faut commencer à concevoir une pastorale d'ensemble qui ne soit pas de la centralisation, par suite d'une délégation de pouvoirs à une élite pensante.

Il y a des travaux qui doivent être confiés à une élite, c'est vrai ; mais il y en a d'autres où doivent collaborer le plus grand nombre possible des membres de l'Eglise, et d'autres encore qui seront des actions spontanées très authentiques venues de l'Esprit et devant être accueillies et insérées dans le plan pastoral, chacune selon sa nature. J'ai déjà parlé plus haut de la vie religieuse dans la pastorale d'ensemble, et spécialement dans celle de l'Eglise locale.

A son tour, la congrégation a eu son élite pensante qui a construit un programme capitulaire. Mais au-dessous, il faut l'espace où le plus grand nombre intervient, et aussi où l'action spontanée intervient. Il ne s'agit ni d'anarchie, ni non plus d'évasion vers des idéaux vaporeux qui n'engageraient personne. Si un espace est laissé, c'est pour que chaque Province puisse mieux adapter le renouveau, mais un renouveau réel, évangélique, conciliaire et capitulaire ; pas un autre. Par ailleurs, la Province aura réfléchi à ses objectifs, ses moyens, ses plans, pour pouvoir les coordonner avec les projets communautaires.

Que l'organisme de planification provinciale, les réunions par commissions, etc. …, les services demandés aux uns et aux autres, ne soient pas à un rythme tel qu'ils mènent au surmenage, à l'éparpillement, et que tout cela rende le plan provincial purement nominal.

Quand on a bien appliqué la loi de complémentarité, et qu'on a bien analysé le réel et les moyens dont on dispose, tout devient possible et progressif, à condition de bien accepter les niveaux d'action et de collaboration selon la taille et la maturité de chaque communauté. Si on veut les fruits, il faut bien soigner l'arbre.

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Annexe I

PRINCIPES DE BONHOEFFER

A. Pourquoi cette annexe

Plusieurs fois j'ai renvoyé à cette annexe pour alléger la partie principale du texte, mais surtout pour bien laisser à Bonhoeffer, ce géant de la foi, la paternité de ses grandes intuitions, fruits d'une expérience chrétienne qu'il a su vivre jusqu'à la mort.

Après avoir écrit, il y a 8 ans une circulaire sur la vie communautaire, j'ai pu observer des attentes, des espoirs qui se manifestaient çà et là ; mais, dans ce livre, j'ai trouvé une pure émanation de l'Evangile, une aide exceptionnelle pour redresser des démarches en dehors du bon chemin et pour justifier ainsi notre effort de vie communautaire.

Cette annexe est surtout écrite pour les communautés qui voudraient vraiment donner souffle et dynamisme à leur projet, et lui éviter de devenir trop technique ou trop «mariste» et pas assez animé de la force et de la pureté évangéliques. Elle est écrite aussi pour les communautés, qui, en faisant leur projet, n'arrivent pas à trouver unité et fidélité, mais sont aux prises avec les oppositions et les divisions. Enfin elle pourra servir à toute communauté qui ne voudra pas seulement faire un projet, mais un projet rayonnant la foi et l'Evangile.

On pourrait peut-être lire cette annexe comme lecture spirituelle ou pour introduire à une prière personnelle ou à une prière partagée qui précéderait cette confession dont j'ai dit plus haut qu'elle était toute indiquée avant de se mettre à faire le projet communautaire.

Quand on parle de prière, S. Jean de la Croix est le saint qui nous domine de toute l'envergure de son radicalisme impitoyable, et qui nous dit : Si tu veux le sommet, voilà le chemin (7).

Eh bien dans le domaine de la vie communautaire Bonhoeffer présente un radicalisme aussi intransigeant dans son petit livre : «De la vie communautaire», malheureusement épuisé, semble-t-il, en certaines langues.

Puisque nous nous trouvons présentement amenés à faire un nouvel effort du côté de la vie communautaire, par suite d'une demande du Chapitre Général, il me semble très utile et très sain d'éviter les déviations possibles en éclairant bien la route dès le départ, grâce aux grands principes que nous donne ce livre.

B. Six grandes intuitions évangéliques sur la communauté

I. LA COMMUNAUTÉ EST AVANT TOUT UN DON

Cela veut dire deux choses :

a) Elle ne vient pas de moi, ce n'est pas moi qui l'ai produite ni qui la produirai (8).

b) Je ne choisis pas mes frères : c'est Dieu qui me les donne. On pourrait appliquer à cet appel de vivre avec d'autres hommes, le mot de Jésus : «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis» (Jean 15.16).

Si cela est vrai, il est bien difficile de présenter comme un idéal de renouveau la communauté par cooptation.

Bonhoeffer est même très réticent à accepter l'idée d'élites chrétiennes se mettant à part pour former des communautés spéciales ; il ne les accepte que comme une réponse à une grâce toute particulière et à une mission qui émanerait de la parole de Dieu et obéirait à un charisme de l'Esprit.

C'est d'ailleurs pour cela qu'il n'a pas besoin de parler d'ouverture de la communauté parce que, pour lui, à la limite, il n'y a qu'une seule communauté : la communauté en Jésus-Christ, ouverte comme sacrement de salut pour les hommes.

Mais Bonhoeffer est encore plus réticent, même opposé sans nuances à la cooptation à l'intérieur des communautés qui ne reposent pas sur un idéal humain mais sur Dieu. Il les avertit de ne pas céder à cette «subtile tentation».

II. LA COMMUNAUTÉ : REALITE TENDUE VERS JESUS-CHRIST

La communauté est un fruit de la relation à Jésus-Christ : en lui, par lui, et pour lui. Les paroles du Chapitre 16 de S. Jean prennent ici toute leur force : «Je suis le cep, vous êtes les sarments … Demeurez en moi … Sans moi, vous ne pouvez rien faire, etc. …».

En Lui. Cela veut dire que tel homme est mon frère avec toute la force, la profondeur et la richesse que le mot implique. Il est pour moi frère et ami uniquement parce que Jésus-Christ l'a racheté et m'a racheté, et que ce salut nous a mis en contact étant tous deux fruits de sa rédemption.

Ce qui est vrai, de l'amitié chrétienne l'est aussi de la communauté. Elle se bâtit sur une pierre de fondation qui est Jésus, et avec ces autres pierres que sont les hommes, tirés de leur détresse, justifiés par lui et insérés dans la construction : au fond, des hommes devenus chrétiens.

Par lui. Jésus n'est pas seulement la source mais aussi le moteur et l'espérance de toute communauté chrétienne possible. Ce par doit être gravé dans le cœur et la volonté de toute communauté qui veut grandir. Elle ne grandira que par lui, en se greffant sur lui, en s'abandonnant à son action salutaire. Bonhoeffer refuse tout espoir d'une croissance communautaire grâce à la psychologie, à des efforts qui n'émaneraient pas d'un discernement fidèle aux motions de l'Esprit pour la communauté, mais qui trouveraient leur source dans une préférence humaine et des idées personnelles. Il s'agirait alors d'une idolâtrie, d'une construction sur le sable, renversée par la première bourrasque et balayée par la première inondation.

«En lui toute grâce,

en lui toute paix,

en lui l'espérance,

en lui le salut».

Pour lui : Nous avons été rachetés et nous sommes devenus un peuple, non seulement par lui, mais pour lui. Et lui est venu, non pour lui-même, mais comme serviteur afin de mourir pour le salut des hommes et la gloire du Père. Toute communauté chrétienne doit donc vivre tendue dans un don collectif à Jésus, dont elle devient le corps pour qu'il fasse ce qu'il veut, là où il veut.

Voilà pourquoi j'ai tant insisté pour que, dans le projet de vie communautaire, Jésus soit à la base et au centre : «Suivez la voie de l'amour, à l'exemple du Christ qui vous a aimés et s'est livré pour nous» (Eph. 5.2).

Ce pour doit s'exercer dans le concret des situations, par une attention journalière à ne pas laisser entrer dans le contenu du projet des inventions humaines (même si elles ont pour elles un consensus immédiat et total) au lieu de l'humble soumission à la volonté du Père et à la mission de Jésus.

La grande loi d'une communauté chrétienne qui fait un projet et qui l'accomplit jour après jour, c'est la loi du discernement.

III. LA COMMUNAUTÉ CHRÉTIENNE : NON PERFECTION MAIS COHÉRENCE

La communauté chrétienne n'est pas la réalisation d'une perfection, elle est une cohérence chrétienne avec le fondement du salut.

Là dessus le message de Bonhoeffer est d'une radicalité extrême. Il qualifie de rêve ou de piège ces attentes de communautés parfaites, cette intolérance à l'égard des faibles, cette fuite du prochain désagréable, cette création d'un idéal d'aristocratie spirituelle. Il stigmatise ceux qui se sentent frustrés dans la communauté où ils vivent, qui cherchent ailleurs, qui jugent leurs frères, qui imposent aux autres leur point de vue, font des prosélytes pour se créer une communauté qui réponde à la conception qu'ils ont.

Peut-être Bonhoeffer va-t-il trop loin, car il y a bien, dans tous les Fondateurs de quelque envergure, quelque chose de ce qu'il critique mais il est vrai aussi qu'ils n'ont pas démarré avec du préfabriqué. Ils sont partis de l'amour, de la perception d'un appel qui les lançait vers un inconnu sans forme. C'est petit à petit, dans la docilité personnelle et collective, que se cristallisait une forme communautaire. Ils n'imposaient pas leur rêve à d'autres, ne les instrumentalisaient pas, mais cherchaient avec eux.

IV. LA COMMUNAUTÉ CHRÉTIENNE : NON BUT, MAIS FRUIT ET MOYEN

On ne cherche pas l'amour pour l'amour, mais l'amour pour le prochain et le prochain dans le Christ et pour lui. On ne cherche pas la communauté pour la communauté, mais pour les membres de la communauté.

Dans le premier cas on aboutirait à une dépersonnalisation, et, sinon à une idolâtrie, du moins à une sérieuse déviation. Dans le deuxième il s'agit d'une mise en garde saine et foncièrement chrétienne ; tout projet communautaire et toute communauté devra bien en tenir compte pour ne pas aboutir à des abstractions dépourvues de sens.

Dans la prière, il y a le danger de chercher la grâce pour elle-même, c'est-à-dire les consolations de Dieu au lieu du Dieu des consolations. On en est alors à une forme d'érotisme supérieur. Il en va de même pour la communauté : si on cultive des formes de narcissisme ou d'égocentrisme en commun, on sera vite déçu.

Que se passe-t-il en effet ? On démarre dans l'illusion et le rêve ; mais les efforts collectifs s'avèrent difficiles à coordonner car chacun veut l'unité à sa façon. Finalement on est frustré, parce que non seulement cette communauté ne sera jamais possible, mais parce qu'on demande au créé (la communauté) ce que le Créateur seul peut donner : «Tu nous as faits pour toi Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu'il ne repose en toi» (Augustin).

V. VIE COMMUNAUTAIRE : GRÂCE D'EXCEPTION SUR TERRE

Bonhoeffer évoquant la grâce de la vie communautaire emploie des mots très forts pour en rendre conscients les heureux bénéficiaires au sein du monde et de l'histoire.

Le chrétien doit être dans une condition normale, et soumis à la loi des hommes. Le Christ l'a choisi, mais ne l'a pas retiré du monde. Sa place n'est donc pas la paix d'un cloître, mais le champ où le bon grain est mêlé à l'ivraie, ou même le champ de l'ennemi. Il est ferment dans la masse, témoin, sel, lumière.

Pour l'ensemble des chrétiens disséminés dans cette diaspora, la rencontre avec d'autres chrétiens est vraiment la visite du Christ trouvé dans le frère. Quelle belle image nous en donne la rencontre de Marie et d'Elisabeth !

Bonhoeffer insiste beaucoup sur la sacramentalité mutuelle à reconnaître et à réaliser dans chaque rencontre de deux chrétiens : la présence du Christ dans le prochain.

C'est pour cela que la communauté chrétienne devient une grâce ineffable dont beaucoup, estime Bonhoeffer, restent inconscients, gaspillant, défigurant cette grâce ou bien oubliant qu'ils l'ont reçue comme une anticipation de ce qui sera vécu par l'ensemble des chrétiens seulement à la fin des temps.

Dans l'histoire, le chrétien, venu d'une dispersion vouée à la perdition, reçoit un premier don d'unité et se dirige vers le salut par le sang de Jésus versé sur la croix. L'unité recevra sa plénitude lors de la Seconde Venue du Seigneur.

Si donc dans la période, entre la mort de jésus et son second avènement, des chrétiens peuvent vivre avec d'autres chrétiens dans une communauté déjà visible sur la terre ce n'est que par une anticipation miséricordieuse du Royaume à venir (9).

Ils vivront une alternance de joie (aspect réussi de l'expérience communautaire) et de croix (effort d'amour et de dépassement dans les difficultés de renoncer à eux-mêmes et d'aimer les confrères difficiles), et ce sera là la marche historique de la communauté.

VI. LA PRÉCARITÉ DE LA COMMUNAUTÉ CHRÉTIENNE FACE A D'AUTRES COMMUNAUTES

Un point particulièrement intéressant chez Bonhoeffer c'est d'avoir situé la communauté chrétienne en comparaison des communautés naturelles de diverses sortes.

Il arrive que l'on mette en question la «sacramentalité» et la capacité de témoignage évangélique de certaines de nos communautés chargées d'imperfections, de difficultés, de crises sociologiques, etc. … Et on leur compare la joie, la spontanéité, la simplicité d'expression, le goût du service, etc. … de tel couple, même non chrétien (simplement uni par un amour naturel, sans schéma préalable de foi, de morale, d'engagement pour la vie) ou de telle communauté d'amitié, ou de telle réussite psychologique et sociologique de cooptation.

Je pense au cas bien concret d'un Frère aux prises avec cette opposition jusqu'à en rejeter sa vocation. Il y avait eu un événement douloureux dans sa famille et il s'y était rendu pour apporter sa part de soulagement. Amis, anciens élèves venaient chaque jour prendre des nouvelles, certains faisant même un long parcours. Le reste de sa famille, aussi, se serraient les coudes pour aider les membres éprouvés à passer le moment difficile, et pour s'entre aider économiquement. Et du côté de la communauté mariste, même pas un coup de téléphone.

Et le Frère se faisait le raisonnement suivant : «Si le christianisme est l'amour et les oeuvres de l'amour, il y a beaucoup plus de christianisme en dehors de ma communauté même si celle-ci s'appelle consacrée, évangélique, religieuse. Qu'est-ce que je fais là-dedans ? J'y cherche ce qui n'y existe pas ?».

Le cas sans doute, même s'il est un peu insolite, existerait d'autres fois à un degré moindre et on pourrait y donner bien des réponses qui n'iraient pas au fond. On pourrait dire que ces moments exceptionnels de dévouement sont provisoires, que comparer une famille excellente ou des amitiés très qualifiées avec une communauté médiocre ou mauvaise c'est vouloir comparer un virtuose du violon et un mauvais pianiste pour en déduire des conséquences relatives à ces deux instruments, etc. …

La vraie réponse c'est Bonhoeffer qui la donne. Il y a des communautés fondées sur la nature, où les forces naturelles de l'amour, de la sympathie, de l'affinité, les intérêts de groupe, etc. … jouent un rôle de dynamisation, de motivation et de conviction et poussent presque spontanément leurs membres à certains efforts admirables. Ces communautés bénéficient très vite de ces efforts qui d'ailleurs impressionnent profondément les témoins, et c'est très bien (10). Mais il ne faut pas dire trop vite que ces affinités sont un témoignage du pouvoir sauveur, rédempteur et sanctificateur de Jésus-Christ agissant dans un monde de péché et d'égoïsme.

Le Seigneur l'avait signalé très fortement : «Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel mérite avez-vous ? Les publicains et les pécheurs n'en font-ils pas autant ?».

Bonhoeffer oppose les fruits de la chair aux fruits de l'Esprit. Les fruits naturels de la spontanéité sont très apparents, au moins dans certaines limites et se produisent facilement chez des personnes où la formation a été correctement réussie. Par contre, aimer seulement à partir de Jésus et rien que pour Jésus, avec l'amour même que Dieu a mis dans nos cœurs est tout autre chose. Sans doute «de sa plénitude nous avons tous reçu et grâce sur grâce» (Jean 1.16), mais entre la totale ouverture qui s'est laissée envahir par le torrent du Christ et le tout petit germe dans l'âme presque totalement fermée, il y a tous les degrés. Les effets sont lents et difficiles parce qu'ils doivent passer par la mort. Il n'est donc pas rare que dans les communautés où les hommes ne se sont pas choisis, mais ont été appelés par la Providence de Dieu, ils doivent construire péniblement leur amour en s'ajustant les uns aux autres, en mourant à eux-mêmes, en dépassent leurs propres différences.

Mais cette communauté qui est souvent bien plus imparfaite que la communauté naturelle réussie, confesse, dans son imperfection même, la puissance unifiante de Jésus, aux cœurs attentifs à la lumière.

Je prends un exemple bien concret. Dans le monde africain, une communauté qui fait vivre ensemble des Frères d'ethnies différentes, historiquement rivales, et malgré les difficultés et les déficiences qu'il faudra vaincre pour être unis dans la foi et l'amour, cette communauté-là confesse plus Jésus-Christ qu'une communauté formée par des membres d'une seule ethnie et qui a un style de vie plus paisible, plus pieux, plus régulier. La première pose question en effet et aide à comprendre le mystère de l'Eglise : rassemblement des hommes en Jésus-Christ.

 * * *

Voilà donc me semble-t-il les grandes intuitions de Bonhoeffer jaillissant toutes fraîches de la parole de Dieu. Non, sa vision communautaire et ses lois communautaires ne sont pas des préceptes d'homme, mais du pur évangile envisageant l'amour radical du prochain appliqué à l'ensemble d'une communauté.

De ces intuitions il me reste à dégager ce que j'appellerais les lois de croissance et de spiritualité de la communauté chrétienne et le rôle qu'y jouent les structures.

C. La spiritualité de la communauté chrétienne

Une communauté chrétienne a besoin de chercher, à partir de ces six grandes intuitions quelle sera la spiritualité qui l'aidera, elle, à vivre le mystère de l'union communautaire.

En voici les éléments :

1° Vivre trois grandes vérités de la Révélation :

– Le Christ est dans mon frère.

– Le Christ est entre moi et mon frère.

– Le Christ est au milieu de la communauté.

Ces trois grandes vérités doivent nous devenir co-naturelles et former comme un plan de contemplation permanente dans nos contacts avec nos Frères, étant la partie de la foi chrétienne la plus adaptée à la vie de communauté.

Je penserai donc que Jésus est présent dans mon frère chaque fois que je le rencontrerai. J'entendrai quelque chose de lui dans ses paroles, ses arguments, etc. … d'une manière ou d'une autre. Je saurai que le chemin qui va le plus profond entre mon frère et moi c'est celui qui passe à travers

Jésus, et que quand nous nous réunissons pour être ensemble au nom du Seigneur il est au milieu de nous.

C'est là un aspect que les Focolarini ont développé très remarquablement ces dernières années. 

2° – Une certaine modération personnelle à l'égard des frères.

Dans la manière d'aborder mon frère, et dans ce que j'apporte à ma communauté, je dois faire preuve d'une certaine modération, car si je mets trop de moi-même je risque de me substituer à Jésus-Christ. Il vaut mieux laisser bien nettement le premier rôle à la parole de Dieu et à l'action de Dieu dans mes frères.

Cela me conduira à ne pas trop forcer mes frères à vouloir devenir chrétiens selon ma manière de l'être moi-même, et à créer des espaces de personnalisation et de christification personnelle et charismatique qui leur conviennent.

3° – La dévotion à la croix et à la paix du Christ en communauté.

Une communauté naturelle peut fonctionner très correctement quand les relations sociologiques entre ses membres sont positives. Mais que viennent des injustices, des trahisons et alors il n'y a que la contemplation de la croix comme loi fondamentale de la vie individuelle et sociale du chrétien qui peut faire accepter et oublier, maintenir l'amour malgré tout et garder au sang du Christ sa puissance pacificatrice.

En d'autres temps il faut savoir vivre en communauté le rythme pascal d'incarnation, mort, résurrection et participation communautaire à la plénitude du Christ.

4° – Attitudes envers Dieu et les frères.

* Envers Dieu, il faut avoir une attitude de reconnaissance, de louange et d'écoute.

Si en effet on est convaincu d'être l'objet d'une grâce spéciale, qui n'est pas donnée à tous, ces attitudes sont très naturelles et forment à la docilité envers Dieu.

* * Envers chacun de mes frères je dois être accueillant et disponible. C'est par là concrètement que je m'ouvre à eux comme à Dieu. Le service le plus délicat à rendre, mais sans doute l'un des plus grands, c'est le service libre de la parole de Dieu (11).

*** Envers la communauté, essentiellement je dois me sentir responsable de sa marche en avant. Chacun des membres a ses grâces, ses dons qui lui indiquent quelles attentions pastorales on peut attendre de lui.

5° – Ouverture à la purification.

Par ailleurs la communauté chrétienne, en bien des cas, ne se constituera pas par le seul appel de Jésus-Christ et le seul salut qu'elle trouve en lui. Même dans le cas d'une communauté, dès le départ très pure et très évangélique, il y aura la confrontation continuelle avec le monde et sa triple concupiscence qui exigera une lutte continuelle aussi pour ne pas perdre l'élan initial, et courir le risque de mériter le reproche fait aux Galates : «commencer par l'Esprit et finir par la chair» (Gal. 3.3).

Les tentations ne manquent pas aux communautés les plus spirituelles :

– celle de se conformer au siècle ;

– celle du «rêve pieux» où quelqu'un veut imposer son projet personnel ;

– celle de l'amour humain placé comme moteur à la place de la charité chrétienne.

Ce dernier danger est à surveiller de très près, car en refoulant la charité derrière les accords naturels il peut tendre à fermer la communauté sur l'idéal un peu bourgeois d'être bien entre soi ou même à la diviser en groupuscules suivant des affinités purement humaines (12).

– celle du «catharisme».

C'est ici une tentation encore plus subtile, car elle semble mener dans la voie du salut, et c'est cette aspiration de vouloir au départ, se grouper entre purs et d'être intolérant à l'égard des frères pleins de défauts, donc d'avoir une idée préconçue du projet, bientôt suivie de la déception (13).

Il faut donc qu'intervienne la grâce salutaire de Dieu qui nous sauve et nous purifie, continuant l’œuvre qu'il avait commencée en nous rassemblant. Il nous arrache à nos rêves pieux, à notre attente démesurée et naïve fondée sur une fausse image de l'Eglise. Il nous rappelle que ce qui nous unit, ce n'est pas l'efficacité de nos projets déjà réalisés, ni un élitisme «cathare», qui mettrait tout l'idéal dans un tri bien fait ; mais c'est Jésus-Christ qui nous rassemble, nous sauve, nous voue à être ensemble et surveille constamment avec amour sa construction.

Là encore Bonhoeffer évoque puissamment l'effondrement du rêve pieux : « C'est une grâce de Dieu que ce genre de rêves doivent sans cesse être brisés. Pour que Dieu puisse nous faire connaître la communauté chrétienne authentique, il faut même que nous soyons déçus par les autres, déçus par nous-mêmes. Dans sa grâce, Dieu ne nous permet pas de vivre, ne serait-ce que quelques semaines, dans l'Eglise de nos rêves». (De la vie communautaire p. 22).

D. Attitude pastorale des supérieurs à l'égard de la communauté.

De cette vision émane une attitude de prudence de la part des Supérieurs à l'égard du problème des changements de postes. Ces changements devraient se référer à trois critères :

a) Sacramentalité ;

b) Milieu de salut ;

c) Lieu de service et mission.

– Sacramentalité.

Tant qu'un membre est sacrement du Christ pour sa communauté, on peut l'y laisser, malgré les difficultés éventuelles qu'il cause.

– Milieu de salut.

Tant que la communauté est pour lui un milieu de salut, on peut l'y laisser. Quand la communauté détruit le salut du Christ en lui, il faut lui en trouver une autre.

– Lieu de service.

Quand la communauté offre à ce membre des possibilités de servir le Christ et de progresser dans sa vraie vocation personnelle on peut le laisser.

E. Structures et communauté chrétienne.

Voici enfin 3 caractéristiques pour le choix des structures de la communauté :

a) Qu'elles expriment le pouvoir du Christ bâtisseur et unificateur de la communauté.

b) Qu'elles nourrissent et fassent grandir et les membres et la communauté.

c) Qu'elles deviennent pour la communauté occasions de communion et de service (14).

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Annexe II

CHOIX DE TEXTES SUR LA VIE COMMUNAUTAIRE

I. BIBLE

a) Communauté réelle de mort et de vie avec le Christ :

– Si un seul est mort pour tous, tous aussi sont morts. Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux». (2 Cor. 5 14-15).

– Dieu qui est riche en miséricorde, poussé par le grand amour dont il nous a aimés alors même que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec Christ ; car c'est par grâce que vous avez été sauvés. Il nous a ressuscités avec lui. (Eph. 2 4-6).

– Si donc quelqu'un est en Christ, c'est une création nouvelle ; l'être ancien a disparu, un être nouveau est là. (2 Cor 5 17).

b) Communion de tous en Christ :

– Nous ne formons qu'un seul corps en Christ. (Rom. 12 5).

– Maintenant en Christ Jésus, vous avez été rapprochés par le sang du Christ. (Eph. 2 13).

– Il a voulu, rétablissant la paix, ne faire en lui de ces deux peuples qu'un seul homme nouveau. (Eph. 2 15).

– C'est en lui que tout édifice se lie et monte, pour former un temple saint dans le Seigneur. (Eph, 2 21).

– Soyez bons les uns pour les autres, vous pardonnant mutuellement tout comme Dieu vous a pardonnés en Christ. (Eph. 4 32).

 – La paix de Dieu gardera vos cœurs et vos pensées en Christ Jésus. (Phil. 4 7).

c) Croissance en Christ :

Ce pourquoi je prie c'est afin que votre charité abonde toujours de plus en plus en connaissance et totale intelligence. Par là vous pourrez discerner le meilleur, de manière à être purs et irréprochables pour le Jour du Christ, remplis du fruit de justice que nous obtient Jésus-Christ, à la gloire et à la louange de Dieu. (Phil.1 9-11).

– C'est en lui que tout édifice se lie et monte, pour former un temple saint dans le Seigneur ; c'est en lui que vous aussi, vous entrez dans la construction pour former une demeure de Dieu dans l'Esprit. (Eph. 2 21-22).

– Il a distribué ses dons, pour le perfectionnement des saints, pour l'accomplissement du ministère, pour la construction du corps du Christ, jusqu'à ce que, tous ensemble, nous parvenions à l'unité de la foi et de la parfaite connaissance du fils de Dieu, à l'état d'homme fait, à la taille même qui convient à la plénitude du Christ. (Eph 4 12-13).

– Nous croîtrons de toute manière vers celui qui est la tête, Christ, dont le corps tout entier, grâce aux ligaments qui le desservent, tire cohésion et unité et, par l'activité régulière assignée à chacun de ses organes, opère sa propre croissance pour s'édifier dans la charité. (Eph. 4 15-16).

d) Discipline et mise en garde contre les divisions :

– Ne désertons pas nos assemblées, comme quelques-uns ont coutume de le faire ; au contraire, encourageons-nous mutuellement. (Hébr. 10 25).

– Alors qu'il y a parmi vous jalousie et discorde, n'êtes-vous pas charnels et votre conduite n'est-elle pas tout humaine ? Lorsque vous dites, l'un : «Moi je suis à Paul», et l'autre : «Moi, à Apollos», n'est-ce pas là bien humain ? (1 Cor. 3 3-4).

e) Oubli de soi :

– Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui d'autrui… Faites comme moi, qui m'efforce de plaire à tous en tout et ne cherche pas mon intérêt personnel, mais celui du plus grand nombre, pour qu'ils soient sauvés. (1 Cor. 10 24 et 33).

f) Ménagement des faibles :

– Nous devons, nous les forts, supporter les infirmités des faibles et ne pas chercher notre propre agrément. Que chacun de nous recherche l'agrément du prochain en vue du bien pour l'édification. Car Christ n'a pas recherché son propre agrément ; mais comme il est écrit : «Les outrages de ceux qui t'outrageaient sont tombés sur toi»… Accueillez-vous donc les uns les autres, tout comme Christ vous a accueillis en vue de la gloire de Dieu. (Rom. 15 1-3, 7).

g) Affection et intérêts réciproques.

– Sommes-nous affligés ? C'est pour votre consolation et salut. Sommes-nous consolés ? C'est pour votre consolation, qui vous donne de supporter avec constance les mêmes souffrances que nous endurons nous aussi. Et notre espoir à votre égard est ferme : nous savons que, partageant nos souffrances, vous partagerez aussi notre consolation. (2 Cor 1 6-7).

h) Souffrir pour le Corps mystique :

– Je me réjouis à cette heure des souffrances que j'endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves de Christ, en faveur de son corps, qui est l'Eglise. (Col. 1 24).

i) Persévérance finale de tous les membres de la communauté :

– Vous n'êtes plus des étrangers ni des hôtes de passage ; vous êtes les concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu. (Eph. 2 19).

II. RAPPORT CAPITULAIRE P.A.C.

– Subissant l'influence du milieu ambiant, nous Frères Maristes, nous risquons de perdre le sens de notre consécration religieuse, notre vie avec Jésus-Christ, unique source, pour nous, d'un apostolat réel et de sens ecclésial, d'une fraternité profonde, d'une prière, rencontre de Dieu. (p. 92-93).

–  Le Chapitre demande à chaque Frère, et spécialement à chaque Supérieur, d'accompagner d'une manière adaptée, les Frères de sa communauté. «Accompagner», c'est-à-dire accueillir son Frère, l'écouter, lui être disponible, se réjouir et compatir avec lui». (p. 106-107).

– Etre mariste nous demande… de partager notre spiritualité avec d'autres membres du peuple de Dieu, en vue de construire tous ensemble la communauté chrétienne. (p. 94).

– La communauté mariste exprime la spiritualité et le charisme du Fondateur qui comprend : la primauté de l'amour de Dieu, l'élan apostolique orienté principalement vers la jeunesse, la dévotion mariale, l'esprit de famille, la simplicité évangélique et l'amour du travail. (p. 97).

– A la communauté de promouvoir les formes et les moyens de l'animation spirituelle et apostolique (p. 101) la présence mariale et celle du P. Champagnat (p. 100) l'ouverture de la prière communautaire à la prière plus large du milieu. (p. 100-101).

– Prendre tous les moyens pour réussir des communautés chaque jour plus évangéliques et plus évangélisatrices, et animées d'un esprit marial apostolique. (p. 104).

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NOTES

( A la fin de chaque note est indiquée la page correspondante du texte).

(1) Le vigoureux appel au renouveau que le Concile adresse aux religieux va, pour ainsi dire, être senti progressivement tant de la part des Pères du Concile que des Supérieurs Généraux.

Les Pères du Concile vont se livrer à un travail très sérieux clans la rédaction de Lumen Gentium, pour situer la vie religieuse à sa juste place dans l'Église, et ce ne sera que plus tard, dans Perfectae Caritatis, qu'ils en situeront les diverses catégories : les instituts séculiers, la vie religieuse apostolique, la vie religieuse laïque trouvant leur place adéquate et étant appelés à une présence au Concile.

Quant aux Supérieurs Généraux, leur dynamisme pré-conciliaire va passer d'abord par une phase défensive, d'ailleurs très compréhensible. D'une part il y a l'envergure même du Concile qui effraie parce qu'il atteint l'Eglise entière. D'autre part, ils ne s'attendaient pas à la forme que prend l'appel au Renouveau. Comprenant bien qu'il ne s'agit plus d'un simple retour à l'âge d'or de la stricte observance, ils ne sont pas éclairés par des courants franchement perturbateurs qui trouvent appui chez certains théologiens et même peut-être chez certains Pères du Concile qui ne comprennent pas la vie religieuse (p. 19). 

(2) L'identification va devenir une réalité bien différente de l'identité, dans le langage courant et dans les réactions du religieux moyen.

L'identité se concrétise dans un effort d'autodéfinition notionnel et littéraire qui, à l'occasion, oscille d'un pôle à l'autre, ou même expérimente des séries de crises. Des religieux, mal dans leur peau, en viennent à éliminer tel ou tel élément de leur identité qui les gêne, ou, à l'inverse, font du néo-triomphalisme à partir de Vatican Il.

L'identification, elle, consiste, en un mouvement vital et charismatique. Ici, la préoccupation est de devenir ce que l'on est appelé à être. Ce qu'a voulu te Fondateur, on veut y tendre de toutes ses forces et de toute sa joie. Il n'est pas question d'être autre chose que ce que l'on doit être, mais on veut l'être avec toute la gratitude, toute la conviction d'un appel du Seigneur qui n'a pas cessé de vibrer (p. 23). 

(3) Dans un autre milieu culturel et une autre mentalité que la nôtre, la Règle de 1837 représente, au total, une expérience originale de vie religieuse communautaire vouée à l'apostolat de l'éducation. Prenant sa source dans l'inspiration du Fondateur, c'est un nouvel élan de vie qui jaillit, choisit sa nourriture dans les éléments à sa portée, et construit peu à peu sa forme particulière.

Le noyau essentiel est constitué par le règlement qui préside à l'activité quotidienne, mis au point au fil de l'expérience. Les développements ont été ajoutés à mesure que s'enrichissait l'expérience de l'Institut et que des problèmes spécifiques postulaient une réglementation adaptée. Ce n'est pas une vue théorique qui cherche des applications, mais la vie pratique qui se donne les moyens efficaces de son expansion. On peut voir, dans le texte, comment les avis du Père Supérieur, suscités par les péripéties de la vie des Frères, entrent dans le tissu de la règle, après que leur opportunité à été démontrée par l'expérience.

Au total, nous sommes devant un groupe d'hommes animé d'un idéal religieux et apostolique particulier, qui invente les formes et les règles de sa vie et de son action, en contact étroit avec la situation réelle et l'expérience. Le Père Champagnat n'a pas commencé par écrire une règle, comme d'autres fondateurs ; il a recueilli avec ses Frères, les fruits d'une expérience religieuse et éducative originale (p. 24). 

(4) Qu'on me comprenne bien quand je me réfère à une forme « pure ». Je veux souligner simplement qu'il y a eu choix radical d'un élément de la vie religieuse, les autres étant ou mis de côté ou dans une place secondaire.

Mais par-delà les formes « pures », la vie monacale, dans la pratique, admet des conceptions assez diverses et bien des moines refuseraient, et non sans raison, que, même là où sont observés le silence absolu et la plus stricte discipline, la contemplation exclue l'apostolat (p. 38). 

(5) C'est-à-dire sagesse toute orientée vers le réel (p. 63). 

(6) Le document qui est sans doute le plus fort à cet égard, est la lettre de M. Bande, député de la Loire, qui, en 1835, demande au ministre de l'Instruction Publique, d'accorder l'autorisation légale aux Frères Maristes. A cause d'une confusion avec les Pères Maristes, on leur attribue « une tendance opposée à l'Université », ce qui n'a pas de sens chez des instituteurs primaires. M. Bande rectifie donc cette erreur et ajoute :

« Religieusement renfermés dans leur spécialité, ceux-ci se sont tenus avant comme après 1830, en dehors de tous les partis politiques, et la simple lecture de la liste des membres du Conseil Général de la Loire vous convaincra, j'ose l'espérer, qu'ils auraient refusé leur assentiment à tout établissement fondé dans des vues dont le gouvernement eût à se méfier (au début de la lettre, il a précisé qui le Conseil avait donné à l'unanimité un vote favorable aux Frères Maristes) (5.11-1835) (p. 81). 

(7) Nuit obscure et Montée du Carmel (p. 127).

 (8) Ce qui est décisif ici, ce qui fonde vraiment notre communauté, ce n'est pas ce que nous pouvons être en nous-mêmes, avec toute notre vie intérieure et toute notre piété, mais ce que nous sommes par la puissance du Christ. Notre communauté chrétienne est constituée uniquement par l'acte rédempteur dont nous sommes l'objet et cela n'est pas seulement vrai au début, en sorte qu'il pourrait s'y ajouter encore par la suite un nouvel élément, mais cela demeure vrai pour tout le temps qu'elle dure et pour toute l'éternité. Jésus-Christ seul crée la communauté qui s'établit entre moi et un autre croyant. (De la y. c. p. 20) (p. 128).

 (9) Il faut donc que celui à qui il est encore donné de connaître cette grâce extraordinaire en loue Dieu et de tout son cœur le remercie à genoux et confesse : c'est une grâce, rien qu'une grâce » (De la v. c. p. 14) (p. 134).

 (10) Bonhoeffer va sans doute trop loin dans son opposition, mais il a raison de souligner la dimension explicitement et extraordinairement évangélique du témoignage de la communauté chrétienne. Ce qui est peut-être moins bon, c'est le jugement très dur à l'égard des communautés naturelles, car il faut se rappeler que le bien procède non seulement du Dieu Sauveur, mais aussi du Dieu créateur qui a fait la nature. Il est vrai que la deuxième création dépasse incomparablement la première et que « le plus petit dans te Royaume, est plus grand que Jean-Baptiste». (p. 136). 

(11) La parole de Dieu, dans la bouche de mon frère :

Telle est la volonté de Dieu : nous sommes tenus de chercher et de trouver sa parole dans le témoignage du frère qu'il veut près de nous, en écoutant une parole humaine. Le chrétien a donc absolument besoin des autres chrétiens ; ce sont eux qui peuvent vraiment et toujours à nouveaux lui ôter ses incertitudes et ses découragements. En voulant s'aider lui-même il ne fait que s'égarer davantage. Il lui faut la présence du frère dont Dieu se sert poux lui porter et lui annoncer sa parole de salut. (De la v. c. 17).

(Mais alors quelle mission redoutable que d'annoncer librement la parole de Dieu à mon frère) : « Les trois premières tâches du service chrétien sont : écouter, aider et porter. Quand elles sont fidèlement remplies, il devient possible d'accomplir alors la plus importante : la parole de Dieu. Il s'agit ici de la parole libre dite d'homme à homme et qui n'est pas liée à une fonction ou à un temps déterminé. … Il n'est pas chrétien de refuser délibérément d'exercer à l'égard d'un frère cette forme décisive de service. Voici la base dont il faut partir. Je m'adresse à mon frère en le sachant pécheur, abandonné et perdu dans toute sa dignité d'homme, à moins qu'il ne reçoive secours. Cette connaissance de la vraie situation du prochain donne à notre parole la liberté et la franchise nécessaires… Notre parole est à la fois douce et dure parce que nous connaissons la bonté et la sévérité de Dieu… Celui dont la susceptibilité ou l'amour-propre empêche d'accepter qu'un frère lui dise franchement ce qu'il pense, ne trouve plus lui-même l'humilité nécessaire pour dire la vérité aux autres, car il a peur d'être contredit et d'avoir ainsi un nouveau sujet de se sentir froissé. Dans nos rapports avec le prochain, la susceptibilité prend nécessairement la forme de la flatterie laquelle a tôt fait de donner la main à la trahison et au mensonge. La vérité et l'amour sont au contraire le climat de l'humilité ».

Dieu a mis sa parole dans notre bouche. Il veut qu'elle soit dite par nous. Si nous retenons sa parole. le sang de notre frère retombera sur nous. Si au contraire, nous osons la proclamer, Dieu daignera se servir de nous, pour sauver notre frère : « Celui qui ramène un pécheur… » (Jac. 5.20. De la v. c. p. 93 à 109) (p. 140). 

(12) Le propre de l'amour d'ordre psychique est de chercher son but en soi-même et de devenir une idole qui exige l'adoration et la soumission totale. Il est incapable de vouer ses soins et son intérêt à autre chose qu'à lui-même. L'amour qui a sa source en Jésus-Christ au contraire le sert lui seul et il sait qu'il n'y a pas de voie d'accès directe vers le prochain. Il y a un amour du prochain d'ordre purement « psychique » capable des sacrifices les plus inouïs, il l'emporte souvent de beaucoup par l'ardeur de son dévouement et les succès tangibles qu'il remporte, sur l'authentique charité chrétienne. C'est de cet amour que l'Apôtre dit… Quand je livrerais mon corps pour être brûlé – c'est-à-dire si je joignais le comble de l'amour au comble du sacrifice – si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien (1 Cor. 13.3).

C'est que l'amour d'ordre psychique aime l'homme pour lui-même, tandis que l'amour d'ordre spirituel t'aime à cause du Christ… C'est précisément à l'intérieur d'une communauté d'ordre purement spirituel qu'il faut redouter le plus une irruption désordonnée et subtile de l'élément psychique… Il est très facile de susciter une ivresse communautaire parmi des gens appelés à vivre quelques jours ensemble. Mais c'est une entreprise extrêmement dangereuse pour la vie journalière que nous sommes appelés à vivre, dans une fraternité saine et lucide.

Certes il n'y a aucun chrétien auquel Dieu n'accorde au moins une fois dans sa vie la grâce de ressentir le bonheur que donne une vraie communauté chrétienne. Mais une telle expérience reste un événement exceptionnel accordé gratuitement, à côté du pain quotidien de la vie chrétienne communautaire. Nous n'avons pas le droit de réclamer de telles expériences et nous ne vivons pas avec d'autres chrétiens pour cela ». (De la v. c. p. 26 à 35). (p. 142). 

(13) Toute tendance séparatiste qui ne serait pas objectivement justifiée par des circonstances locales, une tâche commune à remplir ou des raisons d'ordre semblable, constitue un très grave danger pour la vie d'une communauté de toute efficacité spirituelle, en la poussant vers le sectarisme. Exclure de la vie d'une paroisse tel chrétien faible et sans apparence, sous le prétexte qu'on ne peut rien en faire, peut précisément signifier repousser le Christ lui-même, qui frappe à notre porte sous l'aspect de ce frère misérable. De la y. e. p. 33) (p. 142). 

(14) Le Père Loe insiste avec raison sur l'importance de cette partie du livre de Bonhoeffer qui est très concrète. Il y est question du jour de la communauté, avec des structures qui sont pour la communauté, et qui lui sont indispensables (p. 144).

« Le matin n'appartient pas à l'individu, mais à l'Eglise de Dieu trinitaire, à la communauté familiale et fraternelle des chrétiens… La vie en commun sous l'autorité de la Parole commence par le culte matinal en commun… La journée du chrétien ne doit pas être d'emblée gênée et encombrée par les tâches multiples qui l'attendent… Il est frappant de remarquer combien souvent la Bible nous rappelle que les hommes de Dieu se levaient de bonne heure pour le chercher et exécuter ses ordres.

(Et après avoir précisé que le recueillement du matin n'est pas le même pour une famille et pour un group de théologiens, il ajoute) :

«Il n'en reste pas moins que toute forme de recueillement matinal communautaire comporte la lecture de la Bible, le chant de l'Eglise et la prière de la communauté.

(Faisant allusion aux courts versets choisis d'où tout protestant pieux tire son mot d'ordre journalier, il ajoute) :

Ces courts mots d'ordre ne peuvent pas et ne doivent pas remplacer complètement la lecture biblique… C'est dans sa totalité que l'Ecriture est la parole de la révélation de Dieu… C'est pourquoi le recueillement commun doit comporter, outre la prière empruntée aux psaumes, une assez longue lecture de l'Ancien et du Nouveau Testament… Dans une famille chrétienne, la communauté devrait pouvoir entendre lire soir et matin un chapitre de l'Ancien Testament et au moins un demi-chapitre du Nouveau… Qu'on ne dise pas que le recueillement communautaire n'est pas fait pour nous apprendre à connaître l'Ecriture, que c'est là un but trop profane qu'il faut poursuivre indépendamment. Ce raisonnement témoigne d'une méconnaissance complète de la nature du recueillement. La parole de Dieu doit être entendue de chacun selon sa situation et son degré de compréhension : pour un enfant le recueillement familial est l'occasion d'entendre et d'apprendre pour la première fois l'histoire biblique ; pour d'adulte, celle de la réapprendre encore mieux… ».

Voir encore ce qu'il dit du travail, du chant, etc. …


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 STATISTIQUES GENERALES DE L'INSTITUT

AU 1-1-1977

Provinces       Juv.     Post.    Nov.    Temp.  Peu.    Stab.   TOTAL             Élèves Dec.    Maisons

 

Admin. G.    –           –           –           –           –           –           13        13        –           –           –          5

Afrique Sud            –           2          –           1          31        24        56        3.393               2          10

Allemagne              12        –           1          2          61        46        109      2.426               1          6

Amérique C.           205      10        11        38        86        66        190      12.015             5          20

Beaucamps            –           2          –           –           64        37        101      5.626               1         10

Belgique-H.            –           –           –           4          109      83        196      7.369               5          22

Bética                       99        8          2          29        151      51        231      14.835             –        18

Brésil N.                   29        5          4          15        55        48        118      26.810             –         19

Castille                    208      8          2          34        121      40        195      7.846               1         14

Cataluña                 158      7          10        46        168      50        264      12.886             1         21

Caxias                     36        8          1          6          34        16        56        4.313               –          10

Chili                          86        8          3          24        74        39        137      7.304              1        12

Chine                       36        3          2          7          29        27        63        14.683             3        12

Colombie                 12        4          –           4          44        70        118      12.928             4        17

Cordoba                  37        4          –           17        76        41        134      6.414               1         11

Desbiens                 24        4          2          8          47        37        92        1.300               –          12

Esopus (1975)        –           8          9          18        110      86        214      11.752             1         25

G.Bretagne-Nig. 142          –           9          23        87        42        152      5.400               2          25

Iberville-Rhod.        –           1          1          13        179      104      296      1.212               3          32

Italie                         83        7          –           8          66        63        137      3.214             2          10

Leon                         193      15        12        31        139      44        214      8.083            3          23

Levante                   101      15        6          14        47        65        126      9.138              5          15

Lévis-Mal.                115      3          3          3          78        52        133      1.157             4          18

Lujàn                        82        6          5          21 1     80        51        152      8.184            1          12

Madrid                      199      6          1          48        62        36        146      7.745             2          15

Melbourne              –           2          3          27        126      45        198      12.302             –           30

Mexique C.80        31        7          39        98        38        175      18.761             –           25

Mexique Occ.         145      12        10        29        127      59        215      20.245             4          29

Norte                        107      –           1          13        139      46        198      8.837             2          15

L'Hermitage            –           –           –           4          118      59        181      7.679              8          27

N. Zélande              –           12        11        37        130      76        243      11.067            2          36

Pérou (1975)          85        6          6          25        33        42        100      12.032             1          14

Porto Alegre            14        1          2          9          88        42        139      25.147            3          19

Portugal                   101      1          1          9          40        32        81        1.047             1          13

Poughkeepsie        75        2          –           17        104      77        198      9.228               4          18

Rio de Janeiro        48        –           1          13        40        60        113      17.966             3          18

St-Genis-Laval       –           –           –           6          158      68        232      5.290               3          38

Sta Catarina           82        7          3          27        51        18        96        7.153               –           14

Sta Maria                 67        8          4          18        87        18        123      9.687             2          15

Sào Paulo               43        –           6          3          50        54        107      25.335            –           22

Sud-Est                   5          –           –           1          47        28        76        2.493               2          6

Sydney                    –           40        8          72        239      103      414      19.567            4          40

Varennes                20        4          –           6          48        39        93        5.723              3          12

Zalre-Rwanda        –           10        7          49        52        21        122      –                       –           13

Vice-Provinces.

Equateur     –           –           –           –           18        33        13        64        10.293             –           9

Irlande                     29        –           3          8          40        14        62        3.624             –           10

Liban-Syrie-           5          1          2          16        18        36        5.191               1          4

Madagascar            70        3          3          12        24        10        46        4.357               1          7

Philippines             15        12        9          43        29        14        86        14.124             –           11

Sri-Lanka                8          4          –           20        23        14        57        6.653              1          10

Suisse                     1          –           –           –           17        15        32        655                  –           4

Uruguay                  47        2          2          8          28        21        57        3.601               3          8

Venezuela              130      8          3          5          28        18        51        4.697               –           9

TOTAUX              3.029    304       175       934       4.011    2.280    7.225    468.787   96         870


 

 

LISTE DES FRERES DEFUNTS

DEPUIS LE 29-8-1976

Nom et âges des Défunts                              Lieu de décès                              Date du décès.

Henri Desmet

(Marie Théodore)                              P 54    Pittem (Belgique)                                29- 8-1976

Wolfgang Wenninger

(Kunibert)                                          S 69    Durazno (Uruguay)                            1- 9-1976

Baptiste Tremollière

(Réole)                                               P 96    St-Paul-3-Châteaux (France)          9- 9-1976

Lucien Hubert

(Jean Sylvio)                                     P 58    Iberville (Canada)                               14- 9-1976

Thomas Tighe                                  

(Aidan)                                               P 56    Glasgow (Scotland)                           14- 9-1976

Roch Martineau

(Roch Edouard)                                S 65    Château-Bicher (Canada)                22- 9-1976

Pierre Marie Vernin

(Louis J.)                                            S 93    L'Hermitage (France)                         24- 9-1976

Emilio Rebollo

(Jaime Emilio)                                   P 65    Segorbe (Espagne)                            27- 9-1976

JulesBernardRakntomanpiandraT 28            Antsirabé (Madagascar)                    29- 9-1976

Edward Quinlan

(Raphael Mary)                                 P 80    Sydney (Australie)                             7-10-1976

Albert Hamel

(Albert)                                               S 80    Lawrence (U.S.A.)                              11-10-1976 –

Reynolds Boyle

(Eustace)                                           P 70    Largs (G. Bretagne)                            13-10-1976

Joannès J. Bouchut

(André Zacharie)                              S 64    L'Hermitage (France)                         15-10-1976

Faustino Leon

(Norberto)                                          S 77    Sta. Rosa de C. (Colombie)16-10-1976

Secundino Pérez Sanz

(José  Pedro)                                     S 69    Logroño (Espagne)                            18-10.1976

Severin Janin

(Severin)                                            S 63    Rio de Janeiro (Brésil)                       23-10 1976

Roque Azcârate

(Carlos Florentino)                           S 83    Logroño (Espagne)                            31-10-1976

 Henri Pierre Beaulé

(Régis Arsène)                                 S 70    Iberville (Canada)                               4-11-1976

Cecilio Roldân

(Teodorico)                                        S 82    Alicante (Espagne)                            7-11.1976 ;

José Clos Pagés

(Mario)                                                S 95    Avellanas (Espagne)                         9-11.1976

Freidrich W. Schultz

(Emile Frederic)                                S 82    Fürth (Allemagne)                              9-11-1976

William Greener

(Philip Léo)                                        S 72    Auckland (Nlle.-Zélande)                 11.11.1976

Henry Macauley

(Ezechiel)                                          S 61    Johannesburg (Afrique Sud)           14-11-1976

Albert D'Haeze

(Ediste)                                               P 60    Bruxelles (Belgique)             3-12-1976

Raul Maher

(Ralph Emilius)                                S 61 Kowloon (Hong Kong)             12-12-1976

Alan Butler

(Sigismond Ivor)                               P 50    Hamilton (Australie)                           13-12-1976

Jean Momege

(Régis Antoine)                                S 76    Beyrouth (Liban)                                14-12-1976

Jaime Luis Colomer

(Luis Agustin)                                   S 75    Barcelona (Espagne)                        14-12-1976

Henri Moulin

(Adolphe Etienne)                           S 89    Blancotte (France)                             15-12-1976

Philémon Kyndt

(Georges Emile)                               P 82    Kessel-Lo (Belgique)                         16-12-1976

Arthur Boucher

(Petrus Emile)                                   S 95    Québec (Canada)                              19-12-1976

Louis Antoine Brignon

(Marie Aimé)                                      S 88 L'Hermitage (France)                            26-12-1976

Angel Fernàndez Alvarez

(Arturo)                                               S 66    La Coruña (Espagne)                        26-12-1976

Nestor Delvaux

(Paulo Bazilio)                                  S 66    Belo Horizonte (Brésil)                      29-12-1976

Acacio Delgado

(Auspicio)                                          P 60    Ramos Mejia (Argentine)                  3- 1-1977

Albert Bibeau

(Sylvio Joseph)                                 P 68    Iberville (Canada)                               7. 1-1977

Pierre E. Raynard

(Marie Kostka)                                   S 66    St. Genis-Laval (France)                   15- 1-1977

Ludger Gagnon

(Florentius)                                        P 86    Iberville (Canada)                               20- 1-1977

Ephyse Lavit

(Giacomo Luigi)                                P 80 Vila Velha (Brésil)                                 24- 1-1977

Maurice Roullier

(Alexandre)                                       P 72    St. Paul-3-Châteaux (France)          24- 1-1977

Adrien Danset

(Louis Damien)                                 S 86 Beaucamps (France)                            25- 1-1977

Albert C. Allix

(Jean Clovis)                                     S 67    St. Paul-3-Châteaux (France)          31- 1-1977

Domenico Zimei

(Martino)                                            S 82    Velletri (Italie)                          5. 2-1977

John T. Ketterer

(Thomas Becket)                              P 57 Melbourne (Australie)              6- 2-1977

Luis Marin Bermejo

(Luis Gonzaga)                                 S 81    Avellanas (Espagne)                         9- 2-1977       

Pierre G. Tauleigne

(Gregorius)                                        S 94    Querétaro (Mexique)             18- 2-1977

Apolinar Llano

(Jorge L.)                                            S 82    Cali (Colombie)                                   25- 2-1977

(Roméo Boulanger

(Roméo)                                             P 74 Alma (Canada)                          13- 3-1977

Josef Metzger

(Antoine T.)                                       S 85    Mindelheim (Allemagne)                  21- 3-1977

Emile Aragou

(Adjuteur)                                           S 92    St. Paul-3-Châteaux (France)          20- 3-1977

 

Vicent Colella                                   P 30    Chicago (U.S.A.)                                5- 4-1977

(Joseg E. Kissler

(Joseph L.)                                        S 70    Furth (Allemagne)                              10- 4-1977

Louis Bastyns

(Marie Ludovic)                                 P 67 Arlon (Belgique)                                    18- 4-1977

Antoine Laroche

(Bernardinus)                                   S 91    St. Genis-Laval (France)                   20- 4-1977

Maximin Hartmann

(Attale)                                                P 53    St. Genis-Laval (France)                   25- 4-1977

Joseph Julià

(Sulpicio)                                           S 81    Buenos Aires (Argentine)                 26- 4-1977

Alphonse Maillet

(Flavius J.)                                         S 83    Blancotte (France)                             2- 5-1977

Clemente Asurmendi

(Salustiano)                                      S 89 Logroño (Espagne)                               12- 5-1977

Augustin Léon Rosière

(Léon D.)                                            S 59    Arlon (Belgique)                                 13- 5-1977

Ozias Léveillé

(Ozias Joseph)                                 S 74    Iberville (Canada)                               24- 5.1977

Santiago Andueza Muguerza

(Alejandro J.)                                     P 84    Logroño (Espagne)                            26- 5-1977

Gabriel Ibarra Olando

(Segundo)                                         P 63    Palencia (Espagne)                           5- 6-1977

Arsène Laflamme

(Joseph Hubert)                               P 73 Québec (Canada)                                  9- 6.1977

Enrique Rodriguez Gutiérrez

(Maximo)                                            S 54 Valencia (Espagne)                              13- 6-1977

Santidriàn Paniego

(Emeterio L)                          S 81    Santiago de Chile (Chili)                  14- 6-1977

Felix Lapez Robles

(Félix Cantalicio)                              S 71    Popayân (Colombie)             17- 6-1977

Guillermo Larragueta

(Angel Urbano)                                 S 64    Logroño (Espagne)                            19- 6-1977

Henri Aujoulat

(Eligius)                                             S 82    Recife (Brésil)                                     23- 6-1977

Alfred Zwisler

(André Marcel)                                  P 84    St. Genis-Laval (France)                   26- 6-1977

Orner A. Duprez

(Louis Orner)                                     S 79    Tyngsboro (U.S.A.)                             27- 6.1977

Otto Herlfrich

(Meinrad)                                           S 86 Furth (Allemagne)                                 2- 7-1977

Théophile Laflamme

(Léon Séraphin)                               S 72    Cap-Rouge (Canada)                        3- 7.1977

Martin Blanzaco I.

(Isidoro Maria)                                   S 82    Logroño (Espagne)                            8- 7-1977

John William Noonan

(Noel Stephanus)                            S 66    Bulleen (Australie)                             18- 7-1977

Guillaume Maraite

(Marie Guillaume)                            P 68 Mouscron (Belgique)                            19- 7-1977

Charles Marchand

(Charles Léon)                                 S 89    Neuville (France)                               2- 8-1977

James Quinn

(Cormac Adrian)                               S 76    Suva (Fiji)                                            4- 8-1977

Luis Enrique Idrobo

(Crisôgono Luis)                              S 63    Bogotà (Colombie)                             12- 8-1977

Jean Gérard Nadeau

(Marie Séraphin)                              S 68 Château-Richer (Canada)                   16- 8-1977

Giovanni Battista Rodini

(Floriano)                                           S 71    Mondovi (Italie)                                   17- 8-1977

Engelbert Bernaert

(André Laurent)                                S 89 Wervik (Belgique)                                  17- 8-1977

Santiago Gutiérrez Reynoso

(Rosendo)                                         S 88 Querétaro (Mexique)                             19- 8-1977

Ubaldo Liquete Diez

(Luis Felipe)                                      P 77    San Isidoro (Pérou)                            28- 8-1977

Jean Louis Amestoy

(Marie Euxode)                                 P 50 Bayonne (France)                                 28- 8-1977

Denis Eric Wighton

(Eric)                                      S 69    Adelaide (Australie)                           3- 9-1977

Louis Couriol

(Colmer)                                             S 101  Blancotte (France)                             8- 9.1977 J

Juan Carlos Ventura Ventura

(Samuel)                                            S 73 Leon (Espagne)                                     9- 9-1977 J

Jules Ernest Montavon

(Jean Bruno)                                     S 69    Fribourg (Suisse)                               12- 9-1977

Ovide Biron

(Ovide Marie)                                    P 80    Iberville (Canada)                               18- 9-1977

Gustavo Salles Vidart

(Luis Timoteo)                                   S 82 Morelia (Mexique)                                  27- 9-1977

Aurelio Diaz Rosales

(Anatolio)                                           S 79    Querétaro (Mexique)             29- 9.1977

Georges Lavoie

(Paul Georges)                                 S 79    Château-Richer (Canada)                2-10-1977

Jacques Dextraze

(François Albert)                               S 59    Iberville (Canada)                               15-10-1977

Ovila St. Hilaire

(Marie Ovila)                                      P 64    Château-Richer (Canada)                26-10-1977

Robert Sautre

(Jules François)                               P 75    St. Genis-Laval (France)                   26-10-1977

Leichhardt Powell

(Ernest Denis)                                  P 37    Auckland (Nlle.-Zélande)                 29-10-1977

Auguste Pomerleau

(Jean Sylvain)                                  S 68 Que Que (Rhodésie)                            30-10-1977

D'Hallewin

(jean Bernardin)                               P 53    Ottignies (Belgique)                           1-11-1977

Félix Cruzel

(Paul Martin)                                     P 62    Bains-sur-Oust (France)                   6-11-1977

Jean Lucien Pion

(Marie Béatrix)                                  S 54    St. Etienne (France)              7-11-1977

Affonso Fritzen

(Prudencio José)                              P 65    Porto Alegre (Brésil)              8-11.1977

José Maria Pereira Cravo

(José Claudio)                                  S 66    Quinta Campainas (Portugal)          13-11-1977

(Clemente Alonso Paisàn

(C. Miguel)                                         S 61    Peñafiel (Espagne)                            19-11-1977

Jaime Brugué Romans

(Juan Santiago)                               P 76 Tuy (Espagne)                           20-11-1977

Luis  Gallart Civis

(Luis Roberto)                                   P 46    Roma (Italie)                                        22-11-1977

Olivier Martin

(Culthman)                                        S 62 Hunters Hill (Australie)                         28-11-1977

Cano Morer Aso

(Arcàngelo Pio)                                P 67 Barcelona (Espagne)                            4-12-1977

Manuel José Arango

(Simon Pedro)                                  S 74 Palmira (Colombie)                               10-12-1977

Geoffrey Bartlett

(Maurus Mary)                                  S 82 Sydney (Australie)                                 11-12-1977

Canisio Iturmendi

(Pio Guillermo)                                 S 66    Rio de Janeiro (Brésil)                       23.12-1977

Odile Hindrick

(Valentin)                                           P 86    Zele (Belgique)                                   25-12-1977

Friedrich Durmann

(Athanase Victor)                             S 81    Furth (Allemagne)                              26-12-1977

Ignacio Vàzquez Castille

(Marceline Luis)                               S 91    México (Mexique)                               28-12-1977

Paul Schwaller

(Pierre Raymond)                             P 62    St. Pourçain (France)                        9- 1-1978

Charles Quinn

(Ralph)                                               S 71    Dumfries (G. Bretagne)                     17- 1-1978

Joannès Girard

(Marie Candide)                               S 83    L'Hermitage (France)                         18- 1-1978

Marcellin Joseph Bonnet

(Abile)                                               S 93    St. Paul-3-Châteaux (France)          23. 1-1978

José Ruiz Mate

(José Urbano)                                   P 72    Logroño (Espagne)                            24- 1-1978

Elisée Fernand Cazala

(Yves Bernard)                                 S 67    Sâo Paulo (Brésil)                              28- 1-1978

Louis Joseph Cremilleux

(Jean Casimir)                                  S 58    L'Hermitage (France)                         28- 1-1978

Eduardo Escola

(Olegario José)                                 S 79    Barcelona (Espagne)                        31- 1-1978

Robert Cordouart

(Diodorus)                                         S 92    Beaucamps (France)                         1- 2-1978

Joseph Alexandre Oriol

(François Emile)                               P 57    St. Etienne (France)              13. 2-1978


 

 

ELECTIONS DE FRERES PROVINCIAUX

(Depuis la parution de la Circulaire 1-9-1975)

Province         Provincial       Date d'éléction           Mandat

Madrid                         Pérez Garcia Ignacio             25- 6-1975                  1iertriennat

Pérou                           Tico Marqués José                29- 8-1975                  2ndtriennat

Iberville                        Lemoyne Marcel                    10- 5-1976                  1iertriennat

Sydney                        Geaney Kieran                       17-11-1976                 1iertriennat

Levante                       Bâscones Francisco               9.12-1976                    2ndtriennat

Rio de Janeiro           Falquetto Claudino                    9-12-1976                   1iertriennat

Belgique-Hollande         Blondeel Edouard                 15-12-1970                 2ndtriennat

Castille                        Sânchez Fernando               15-12-1970                 1iertriennat

Leôn                            Ampudia José Luis                15-12-1976                 1iertriennat

Portugal                      MartinsDuqueDiamantino         22-12-1976    1iertriennat

Santa Maria                Weschenfelder Pedro           22-12-1976                 2ndtriennat

Sri-Lanka                    Peiris Gerard                           20- 1-1977                  1iertriennat

St-Genis-Laval           Szombath Florian                  1- 2-1977                     1iertriennat

Irlande                         Hegarty Peter                       7- 2.1977                     1iertriennat

Esopus                        McDonnel John                     11- 2-1977                  1iertriennat

Chine                          Tung Lawrence                      15- 3-1977                  2ndtriennat

Vénézuéla                  Revilla Isaac                           5- 4.1977                     1iertriennat

Lujàn                           Magdaleno Eugenio              26- 4-1977                  2ndtriennat

Melbourne                  Smith Walter                           30. 5-1977                   1iertriennat

Allemagne                  Peter Helmut                           14- 6-1977                  1iertriennat

Norte                            Puente Javier                         28- 6-1977                  2ndtriennat

Suisse                         Villanueva Joaquin               28- 6-1977                  2ndtriennat

Cordoba                      Casal Jesiis                            12- 7-1977                  1iertriennat

Afrique du Sud          Pieterse Jude                         4- 8-1977                     2ndtriennat

Nouvelle-Zélande     Ryan Gregory                         4- 8-1977                     1iertriennat

Chili                             Cebriàn Juan                         8- 9.1977                     1iertriennat

Mexique Occidental     Limon Rigoberto                    27- 9-1977                  1iertriennat

Sào Paulo                   Bortolini Dario                        10-10-1977                 2ndtriennat

Porto Alegre               Susin Silvino                          17-10-1977                 1iertriennat

Uruguay                      Del Pozo Ignacio                   17-10-1977                 2ndtriennat

Amérique Centrale       Lopez José Antonio              24.10-1977                 2ndtriennat

Zaïre-Rwanda            Mathay René                      24-10-1977                 2ndtriennat

Bética              Mecerreyes Eloy                            22.11-1977                 2ndtriennat

Mexique Central        Torre Lôpez Salvador            22.11-1977                 1iertriennat

Santa Catarina          Spada Avelino                        22.11-1977                 2ndtriennat

Philippines                 Tajo Pius                                 6-12-1977                   1iertriennat

Cataluña                     Ricart José E.                         20-12-1977                 2ndtriennat

Caxias                         Passin Paulo                          3- 1-1978                     1iertriennat

Sud-Est                       Rousset Pierre                       10- 1-1978                  1iertriennat

Beaucamps                Jean Harlé                              31- 8-1978                  2ndtriennat

Madagascar                Rakotoarivony Denis            24- 8-1977                  1iertriennat

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APPENDICE N° 1

Maison Généralice,

Octobre 1978.

                Mon bien cher Frère,

Sans attendre que je fasse un appel généralisé, de nombreux Frères m'ont offert leur collaboration, pour la circulaire sur la Fidélité que je prépare, en m'envoyant leur témoignage personnel. N'ayant pas toujours une idée adéquate de la chose, plusieurs Frères m'ont envoyé un premier témoignage s'offrant à le compléter par la suite. D'autres m'ont demandé de les orienter dans leur rédaction afin de répondre plus directement aux besoins de la circulaire. Enfin un certain nombre de Frères, après l'envoi d'un premier témoignage, ont acquiescé pour une nouvelle collaboration me demandant de les guider pour faire mieux. Leur demande est très juste car ne connaissant pas avec exactitude la forme de la circulaire ni les aspects qu'elle traitera, ils trouvent difficile de produire un texte sans orientation préalable et c'est pour ces raisons qu'ils demandent cette orientation.

Voici donc les orientations qui me semblent les plus opportunes :

1. Rédiger son témoignage en toute spontanéité selon son propre goût, cela permettra à chacun de rester lui-même sans se défigurer par un conditionnement littéraire.

2. Ne pas se préoccuper du style, laisser tout simplement parler les faits et le cœur. Ne pas s'inhiber, au point de ne pas oser envoyer son témoignage, parce qu'on n'est pas lettré.

3. Un vrai témoignage vocationnel ne peut pas se limiter à la narration épisodique externe des grandes dates qui jalonnent une vie et encore moins à la présentation de la vocation réduite à l'histoire de la naissance à l'entrée et la formation première, cela pourrait servir à une circulaire sur le recrutement ou sur la formation mais non pour une circulaire sur la fidélité.

Puisque la vocation est avant tout un mystère, un appel, une grâce, une histoire d'amour entre des êtres qui se donnent l'un à l'autre pour toute la vie en tout ce qu'ils sont et ce qu'ils font (Dieu et les Frères, la Congrégation et ses fils etc. …), Il est très convenable de savoir découvrir cette dimension intérieure (psychologique et spirituelle) de l'histoire personnelle tissée avec les événements extérieurs de telle sorte que chaque dimension éclaire l'autre.

4. Il n'est pas nécessaire de faire une narration année par année et communauté par communauté de tous les événements normaux de la vie d'un mariste, mais plutôt faire une anthologie, même d'une manière anecdotique, des points les plus saillants de sa propre vocation, points qui ne sont pas toujours la prise d'habit, la profession perpétuelle etc. …

4. Quand nous disons fidélité, nous parlons d'une double fidélité, celle d'un Dieu d'amour qui nous a choisis et qui envers et contre tout nous tient par la main, et celle de l'appelé qui s'efforce à persévérer et à rester fidèle à des degrés divers, à travers les vicissitudes, les tentations, les opportunités d'autres options humainement intéressantes, les joies, les peines, les injustices, les erreurs etc. … etc. … On peut deviner la richesse et la variété qui en découlera, allant de vies toutes pures et vécues dans une grande sérénité et paix intérieures, avec de petites altérations, à d'autres qui seront restées fidèles par un cœur qui n'a pas cessé d'aimer et de croire malgré les défaillances, l'envie de tout quitter, les chutes même importantes etc. … et aussi allant de vies entièrement uniformes et monotones passées dans des postes sans relief apparent jusqu'à celles qui ont traversé des circonstances hasardeuses (guerre, persécution etc. …).

6. Enfin que tout soit fait dans un esprit de gratitude comme un chant de louange anonyme mais public au Seigneur, de partage fraternel avec les confrères de la même congrégation et de partage ecclésial pour d'autres, jeunes surtout qui peut-être trouveront dans ces témoignages un profond appel à suivre le Seigneur et une sagesse beaucoup plus réaliste pour la façon de s'y prendre dans leur propre vie, dans le déroulement de leur propre vocation devant des fidélités vocationnelles qui ne sont pas de purs projets schématisés sur le papier ou programmés dans des constitutions ou dans des traités sur la vie religieuse, mais des modèles puisés dans la palpitation même de la vie.

7. Il reste un point qui présente un grand intérêt : c'est que le Frère qui est parvenu à l'âge mûr et surtout celui qui est arrivé au 3ième Age (l'âge d'or) nous laisse entrevoir ce que l'amour, la vocation, la fidélité, les contradictions, les joies, les peines… ont laissé comme résultat actuel psychologique et spirituel du vécu.

Emploi des données

Votre contribution sera employée directement pour la circulaire de deux manières :

1. D'une manière implicite en dégageant tout l'enseignement concret et réaliste qui se dégage du vécu dévoilé dans ses différentes dimensions au-delà des théories simplistes, des affirmations faciles et des schématisations artificielles qu'on risque de faire dans n'importe quel thème sur lequel on écrit quand on part uniquement des idées et des livres.

2. Sous forme de témoignage direct qui sera pris, cela va de soi, non d'une manière intégrale, mais en choisissant des parties les plus significatives, comme cela a été fait pour la circulaire mariale. La présentation de ces extraits sera faite avec le même tact et la même discrétion que pour la circulaire mariale.

Donc si la confiance que vous avez en moi et en un ou deux Frères que je choisirai soigneusement, si vous m'y autorisez, pour m'aider dans l'étude et la sélection des extraits à choisir dans les témoignages, si cette confiance vous porte à ne pas prendre beaucoup de soin pour éviter les dates, les lieux et quelques noms dans votre narration, soyez sans crainte, nous aurons soin de les écarter lors de l'emploi des témoignages. Très peu de témoignages seront d'ailleurs employés d'une manière intégrale.

Daigne le Saint Esprit vous éclairer, mon bien cher Frère, sur la convenance ou non d'écrire votre témoignage, vous guider dans sa rédaction et que la Sainte Vierge, la Virgo fidelis et la cause de notre joie bénisse votre travail pour qu'il soit un vrai Magnificat au Bon Dieu pour votre vocation et que le travail qui en résultera puisse édifier l'Eglise, produire des fruits vocationnels abondants et témoigner de l'énorme quantité de fidélité cachée dans l'Institut et l'Eglise. Car, malheureusement, on n'en parle que pour commenter le pourcentage des départs ou pour relever les anti-témoignages de quelques vies consacrées.

Sur feuille jointe vous trouverez quelques thèmes dans lesquels chacun peut trouver ce qui convient le mieux pour sa vocation.

D'avance je vous remercie.

En union de prière, fraternellement vôtre en J.M.J. Bx. Ch.,

Fr. BASILIO RUEDA

Supérieur Général.

**********
 

 

SCHEMA « VOCATIONNEL »

POUR UNE EVENTUELLE COLLABORATION

Il est évident qu'il n'est pas nécessaire de l'utiliser dans son ensemble.

 Chacun utilisera ce qui est le plus représentatif et le plus adapté à

sa propre vocation… les aspects pouvant servir le mieux à la rédaction.

 

Les sources

– Contexte familial, social et scolaire dans lequel a été vécue l'enfance et éventuellement la jeunesse.

– Psychologie propre, manière d'être, réactions, vie, coutumes, activités.

– Surtout les personnes les plus influentes de la famille : père, mère…

L'appel

– Manière particulière dont il s'est présenté.

– Présentation du médiateur, s'il y en a eu (et s'il vaut la peine d'en parler en raison de l'impact qu'il a eu sur vous dans l'appel).

– Facteurs qui ont jalonné la période de gestation de la vocation : faits, idées, etc. …

– Appel intérieur, concret ou progressif.

– Motivations ou intérêts non réellement « vocationnels » qui vous font paraître ridicule l'origine physique de la vocation. Dans ce cas il me semble très important de dire quand, comment et pourquoi plus tard va se découvrir la vraie vocation, comprise comme la volonté d'être mariste en esprit et en vérité, disciple du Christ etc. …

Moyens de formation

– Les formateurs, côté positif et négatif des personnes, du système etc. … subjectivement cela s'entend.

– Difficultés intérieures, valeurs extérieures qui ont joué incidemment un rôle jusqu'à ce jour, joies etc. …

– Place qu'occupe la découverte de l'Institut, de la piété, du religieux, de Jésus, de Marie, des Maristes etc. …

A l'épreuve du réel : les premiers pas

– Synthétiser les premiers contacts et leurs déroulements ultérieurs dans la vie communautaire, avec les supérieurs : l'impact positif ou négatif de notre manière de vivre, les rencontres avec le monde, l'apostolat, réalisations et défections sur le plan de la perfection. Etudes supérieures, si vous en avez fait à cette époque, le milieu universitaire, les idées, les personnes, les attraits, les impacts etc. …

Dans la vie active

Comment vous sentez et vivez les choses, vie communautaire, Institut, Supérieurs, profession, apostolat, obéissance, consécration etc. avec 20, 30, 40 années d'expérience, une fois perdu le sens de la nouveauté et ayant connu la vie religieuse non comme un projet mais dans la réalité de la vie.

Les responsabilités et charges éventuelles.

– Comment ce milieu, ce travail, ce groupe social que constitue cette congrégation et forme de vie continue à être perçu comme un lieu de perfection chrétienne, adapté pour suivre le Christ, d'appui fraternel pour l'idéal, comme une incarnation concrète mariste des intuitions du Père Champagnat, d'union à Dieu et à son service, comme un service valable pour le monde.

– Doutes et joies, chocs, sollicitations, le fait de tomber amoureux, fidélité, opportunité d'option, de maturité et même d'héroïsme qui ont pu se présenter.

– Courbe ascendante ou descendante de l'idéal et de la qualité de la vie religieuse menée comme une réponse à l'appel du Seigneur et à sa propre vocation.

– Répercussion des théories et des phénomènes ecclésiaux post-Vatican II.

De la maturité à la plénitude

– Le fait de céder progressivement le pas à la relève qui monte.

– Ce qu'on a vécu au cours de la seconde carrière, le phénomène de la retraite ou semi-retraite, de la fatigue ou des infirmités etc. …

– La manière typique de vivre et de sentir la vocation religieuse, l'Institut, l'Eglise etc. … sa propre vocation à cette époque de la vie.

– La manière spéciale dont on perçoit la chasteté en soi-même, la vie communautaire, les changements, la prière etc. … Impressions causées par les changements, les sorties, les nouvelles formes de vie religieuse, les recherches, les efforts qui ont suivi Vatican II, dans l'Eglise et dans la congrégation à partir de 1965.

– Ce qu'a signifié la rencontre avec les nouvelles générations, avec leur manière de penser et d'agir, les mutations de la jeunesse et des méthodes académiques et pédagogiques.

– Si vous avez travaillé dans d'autres secteurs maristes : comme supérieur dans l'administration, comme travailleur manuel ou technique, comme secrétaire, dans la pastorale etc. … qu'a signifié ce cheminement et comment percevez-vous votre vocation au soir de la vie.

Aspects spéciaux

– Une vocation est à la fois une conviction morale et l'expérience spirituelle d'un appel explicite ou implicite, une réponse et l'option pour un genre de vie : c'est s'embarquer dans une aventure et renoncer à d'autres opportunités pour le Christ etc. …

– Ce que vous pensez du fait d'avoir été appelé.

– Quelle saveur vous laisse le fait d'avoir répondu, et que feriez-vous si vous aviez à recommencer ?

– Quel degré de plénitude et de satisfaction spirituelle cela vous a-t-il apporté ?

– Comment la vocation a-t-elle été vécue ? comme un don de soi, comme un moyen de se réaliser, comme une promotion etc. … ?

– Quel sentiment domine le fait d'avoir une vocation et la manière de la vivre ?

Une vocation consacrée

– En embrassant les Conseils évangéliques, la pauvreté du Christ, l'obéissance du Christ, la manière d'aimer du Christ.

– Comment vous avez vécu le renoncement que cela implique, dans la ligne des options personnelles de la pauvreté dépendante et réelle et du renoncement aux opportunités rémunérées.

– Tout homme normal porte en lui des forces très vives et très agissantes d'amour sexuel et du sexe tout court. Tout cela l'attire normalement vers le mariage et lui met normalement au cœur un grand besoin d'amour. Au fur et à mesure qu'il avance vers la maturité, il découvre la beauté et le désir de la paternité.

– La vie d'un religieux porte en elle-même en premier lieu ce sexe en relation avec lui-même. D'autre part, elle se trouve jalonnée de rencontres interpersonnelles, avec de nombreuses personnes dans des ambiances multiples dans lesquelles la méconnaissance de la psychologie féminine joue un rôle très important. La vocation d'un homme à la virginité pour le Royaume se développe à l'intérieur d'une naturelle destination au mariage.

– Comment s'est vécue la propre vocation dans cette dimension ?

– Le sexe a-t-il été vécu comme un tabou ou comme une valeur ?

– Quelles étaient les incidences et quel chemin a été parcouru. Comment l'avez-vous vécu dans les étapes si différenciées de la vie, étapes qui montent de la jeunesse passent par la maturité et déclinent, qui réagissent peut-être en arrivant au troisième âge et à la vieillesse.

– Quelle observation peut-on faire, dans cette dimension, sur le milieu fermé et prudemment réglé de la stricte observance qui existait jadis par rapport au monde ouvert à la mixité aux spectacles, à la vie sociale, aux moyens de communication audio-visuels etc. …

– Quelles sont les expériences de votre vie religieuse d'obéissance ? Quelles sont vos réactions devant le courant de liberté, la culture de la personnalité, les nouvelles formes d'obéissance qui ont cours aujourd'hui ?

– Dans quelle mesure ces nouvelles formes ont-elles développé : la maturité ou au contraire ont-elles suscité des difficultés pour la vocation ? Ont-elles été un moyen d'être plus responsable ? Etc. …

Prière et vie intérieure

– Comme une soif et une relation inter-personnelle avec le Seigneur. Comme une vie de foi et à partir de la foi.

– Comme une vie d'espérance et de désir, une tendance vers des valeurs supérieures, comme une vie d'amour et d'amitié, comme une vie d'efforts pour comprendre et embrasser la croix de Jésus-Christ « Celui qui ne prend pas sa croix chaque jour et ne me suit pas, ne peut être mon disciple ». Comme un combat personnel pour faire mourir en nous l'homme de péché et pour faire naître et grandir le Christ en nous.

– Apprentissage et développement, vicissitudes, expérience de cette vie avec le Père en Christ par l'Esprit. A l'image ou non de Marie et du Père Champagnat.

– Qu'est-ce que Dieu a été pour moi ? Jésus… etc. …

Apostolat

– Don de soi à une activité, promotion, service.

– Tout mariste, en principe, est un apôtre, un apôtre de la jeunesse et surtout de la jeunesse marginale.

– Décrire quels ont été les grands idéaux apostoliques, les moments forts, les déceptions, la vibration avec l'Eglise, les limitations, les coupures et chocs provoqués par des changements inattendus, même erronés ou injustes où l'obéissance nous fait quitter un apostolat où nous étions en train de réussir très bien etc. … etc. …

Histoire d'amour

– Enfin toute vocation est une histoire d'amour, protégée et accompagnée par la grâce du Seigneur et par l'assistance fraternelle des confrères, des supérieurs et des prêtres. Et d'autre part c'est un amour vécu dans le risque et toujours menacé.

– Quels ont été les occasions et les facteurs qui ont fait courir un risque à votre vocation ou du moins qui ont été la cause de périodes de tiédeur, de manque de dynamisme et peut-être d'infidélité ?

– Quelles ont été les interventions providentielles ou fraternelles ou structurelles qui vous ont sauvé dans le premier cas ou qui vous ont raffermi dans le second.

– En cas de solide vocation, quelles ont été les lignes de force, les secrets personnels qui ont permis de faire naître et grandir cette belle vie religieuse qui constitue un vrai trésor pour l'Institut ?

– Quelles sont les incidences, en marge de la fidélité ou non, qui vous ont fait passer par des moments amers qui ont exigé des détachements difficiles, vous ont soumis à des épreuves particulières, des injustices ou des incompréhensions.

Attention

Le fait de fusionner d'une manière descriptive les grands traits de l'ensemble du vécu, les grandes constantes de sa vocation avec les anecdotes et les faits les plus saillants, c'est la manière idéale d'abréger et d'expliciter en même temps sa pensée, c'est aussi rendre le témoignage très vivant.

Enfin dites-moi

Si, à ma demande, vous seriez disposé à expliciter l'un ou l'autre passage de votre témoignage, s'il n'est pas anonyme.

******** 

APPENDICE N° 2

ce 1ierseptembre 1983.

Circulaire aux Frères Directeurs.

Chers Frères Directeurs.

Voici déjà quelques années que j'ai envoyé une circulaire à tous les supérieurs de communautés maristes, pour demander la collaboration de leurs Frères : il s'agissait, pour qui voudrait le faire de son plein gré, de dire la place que tenait la Vierge Marie dans sa vie.

Plus tard, de la même façon, j'ai demandé semblable collaboration en vue d'un travail sur la prière dans notre vie.

Dans ces deux cas, grâce à Dieu, à la diligence des Frères Directeurs et à la bonne volonté de Frères de plus en plus nombreux, nous sommes arrivés à un chiffre non négligeable de quelque 400 témoignages. Cela a constitué, et pour la circulaire sur Marie, et pour les retraites sur l'oraison, un excellent matériau que sont en train d'apprécier au plus haut point les Provinces qui s'en servent.

Je vous fais maintenant une nouvelle invitation, et d'avance je vous remercie du service que vous allez me rendre. Il s'agit de présenter les feuilles ci-jointes à votre communauté quand tout le monde y sera et à un moment psychologiquement bien choisi. Le but à atteindre c'est de motiver les Frères en vue d'un effort où leur collaboration sera sûrement bénéfique pour l'Institut.

Les feuilles expliquant tout le reste du projet, je n'ai donc pas besoin d'en dire plus.

Le soin que vous allez apporter à faire passer cette communication au bon moment et avec efficacité, en conscientisant les Frères et en plaçant les feuilles bien à la portée des intéressés, pourra en inciter plus d'un à rédiger un témoignage qui rendra service à d'autres.

Le charisme de Marcellin Champagnat n'existe pas seulement dans la source première : il reste vivant et bien présent dans la vie et le cœur de tant de bons Frères d'aujourd'hui. Nous rapprocher d'eux pour recueillir leurs confidences est un bon moyen de revitaliser notre spiritualité mariste.

Grand merci, Chers Frères Directeurs.

Que le Seigneur vous bénisse, vous, votre communauté et votre travail apostolique et professionnel.

Bien à vous en Jésus, Marie, Joseph et Champagnat

F. BASILIO RUEDA Supérieur général.

********** 

A propos de la circulaire sur «Les témoignages de fidélité».

Bien Chers Frères,

Il y a au moins 5 ans que je travaille à préparer la circulaire sur la fidélité à la vocation, Je n'ai pas pour autant la prétention qu'elle doive être lue ni intégralement par chaque Frère, ni non plus dès qu'elle vous arrivera.

Vu son volume, ce sera une circulaire à lire par ceux qui le voudront et à des moments bien choisis. Elle s'adressera aux Frères actuels, à ceux de l'avenir et elle sera particulièrement utile pour les maisons de formation.

Je ne désire pas qu'elle soit le résultat de réflexions abstraites ou de théories personnelles, mais bien le fruit des enseignements et expériences de la vie, de la persévérance et de la fidélité de milliers de Frères dans notre Institut. C'est à partir des données du réel que nous dégagerons les enseignements et la doctrine sur la question.

Pendant 5 ans, j'ai invité personnellement un à un les Frères les plus âgés à m'envoyer un témoignage de leur vie. Il y en a au moins 500 qui ont déjà répondu, leur contribution, de longueur variable, étant toujours excellente.

Jusqu'ici j'avais évité de faire des invitations d'ensemble. Quand il s'agit de persévérance et de fidélité, il me semble en effet que ceux qui peuvent apporter une parole autorisée sont ceux qui, avec foi et ferveur ont « porté le poids du jour et de la chaleur », tout au long d'une vie, dans le service du Seigneur et qui se trouvent aujourd'hui au soir de l'existence : ceux donc – toutes proportions gardées – qui peuvent dire comme Saint Paul : « J'ai achevé ma course, j'ai combattu le bon combat, j'ai conservé la foi » (2 Tim. 4. 7).

Cependant je pense que ce ne serait pas juste du tout de me limiter strictement au témoignage des Frères anciens : ce serait un point de vue unilatéral. Il sera donc excellent et enrichissant d'écouter la voix des autres tranches d'âges : par exemple de ceux qui sont en pleine lutte, en pleine activité pas simple à affronter : de ceux aussi qui en sont à l'étape juvénile et très dynamique de leur vie apostolique : et même de ceux qui sont encore en formation : s'ils ont accueilli avec enthousiasme l'appel du Seigneur et s'ils sont disposés à le suivre, non pour l'attrait d'avantages matériels, mais pour faire de leur vie un don à Dieu et aux hommes, leurs frères, dans l'Institut mariste.

J'adresse donc la présente invitation à tous ceux qui veulent. Dans ce cas qu'ils m'envoient le récit de leur vocation (au maximum 5 pages de format commercial) pour, au plus tard, fin octobre. Je désire en effet, que la partie principale du travail soit terminée fin novembre, afin de faire les dernières corrections avant mon voyage au Brésil, c'est-à-dire le 12 décembre.

Si d'autres communications arrivent à une date postérieure je les recevrai avec plaisir, mais évidemment elles ne trouveront pas de place dans la circulaire, ce qui ne les empêchera pas de servir dans des conférences, retraites, etc. …

Vous comprendrez facilement aussi que pendant les mois de septembre, octobre et novembre, l'étude des documents qui arriveront, ainsi que la rédaction de la circulaire me prendront beaucoup de temps. Je ne pourrai donc pas faire une réponse personnelle à ceux qui m'enverront leur témoignage signé. Ce que je ferai, ce sera une petite lettre collective de remerciement pour que les intéressés sachent au moins que leur missive m'est arrivée.

Si donc tel ou tel ne recevait pas cette réponse au bout d'un mois et demi, cela signifierait que ce courrier s'est perdu. Dans ce cas, envoyez un double si vous en avez fait un.

Finalement, je vous joins copie des feuilles envoyées il y a 5 ans, et qui ont suscité les réponses des Frères anciens auxquels elles étaient adressées. Elle vous permettront de mieux comprendre la nature et le but de la circulaire, et elles pourront vous aider à bien orienter votre témoignage.

Donc quand vous aurez pris connaissance de tout cela, tous les membres de la communauté qui n'ont pas jusqu'ici envoyé leur témoignage voudront bien se demander si le Seigneur ne les invite pas à cette participation discrète et éventuellement anonyme que je viens de vous demander afin de m'aider dans cet effort que je tente pour le bien de la congrégation, à la fin de mon généralat.

Mais agissez en toute liberté et simplicité. D'avance, merci pour l'attention que vous apporterez à cette lettre.

Que chaque Frère sache bien que je le porte au fond de mon cœur et dans ma prière : pour beaucoup aussi, dans un souvenir personnel où j'évoque des moments très agréables, des entrevues réconfortantes, à l'occasion de visites ou de retraites.

Que la très douce Vierge Marie, notre Première Supérieure, vous bénisse et vous accompagne de sa protection maternelle dans votre travail et vos efforts vers la sainteté.

Très affectueusement dans le Christ Jésus.

Fr. BASILIO RUEDA Supérieur général.

********** 

APPENDICE N° 3 

Mon bien cher Frère,

Me voilà arrivé à la fin du travail sur la fidélité. La circulaire est en voie de publication. Dans quelques semaines ou quelques mois vous l'aurez en main.

Le but premier pour lequel j'ai demandé votre collaboration est donc atteint, et je veux, par la présente, vous remercier de tout cœur, car vous ne pouvez pas imaginer quels trésors constitue cet ensemble de témoignages, quelles leçons de vie et d'expérience se trouvent maintenant en dépôt dans ces milliers de pages.

Ces témoignages ont chacun leur valeur : quelques-uns sont d'une qualité exceptionnelle, souvent d'ailleurs très différents de nature : et d'autres sont bons : d'autres peut-être plus modestes. Mais finalement ils sont complémentaires les uns des autres.

D'autres utilisations que celle de la circulaire peuvent suivre et c'est en vue de l'une d'elles que je vous consulte. Vous êtes maîtres absolus de votre écrit : donc répondez en toute liberté : et je me tiendrai soigneusement à vos indications.

Par contre je compte bien sur votre réponse et pour vous la faciliter je vous joins un petit questionnaire. Vous pouvez répondre en remplissant simplement ce questionnaire. Vous pouvez aussi y ajouter une lettre pour mettre plus de nuances. Si vous faites les deux choses ce sera évidemment la meilleure solution.

La circulaire vous montrera que les témoignages ont été mis à profit avec une telle prudence que pratiquement leurs auteurs sont méconnaissables. En particulier l'emploi d'extraits au lieu du texte complet préserve beaucoup mieux l'anonymat. Si ça et là nous y avons mal réussi excusez-nous : nous ne sommes pas infaillibles, mais la bonne volonté y était.

En général, j'ai cherché à ce que les témoignages ne soient lus que par un nombre très réduit d'autres Frères. La commission a été composée de 7 membres au total, mais, comme ils ont travaillé à des moments assez divers, chaque document n'a été examiné que par un seul (quelques fois deux). Je m'en suis même réservé à moi seul quelques-uns, dont le contenu était particulièrement délicat.

Tous les collaborateurs étaient engagés à la plus grande discrétion quant au nom et au repérage des données. D'ailleurs, comme il y a plusieurs centaines de témoignages, cela dépersonnalise pas mal la communication : le lecteur est noyé dans ces milliers de pages.

Donc voici les utilisations ultérieures que je prévois. Leur liste vous permettra de vous prononcer en connaissance de cause et en toute liberté.

1. Je conserverais votre témoignage pour moi-même, pour mon inspiration, sans autre intention directe que celle d'un trésor caché, d'un souvenir.

2. Toutes ces pages resteraient aux archives, en un dépôt classé qui permettrait éventuellement de remonter de la circulaire à ses sources d'inspiration pour la commenter plus tard d'une manière plus explicite, si l'on veut, par exemple, éclairer une citation qui reste obscure hors de son contexte.

3. On pourrait employer ce matériel d'une manière ponctuelle et monographique pour tirer des conclusions, des lignes d'action en vue de l'avenir : par exemple, en matière de recrutement, voir ce qu'il y a à f aire ou à éviter. Même chose pour les maisons de formation, pour la prière, pour les crises à surmonter etc. …

4. Il pourrait y avoir aussi l'emploi occasionnel d'un témoignage particulier au service d'un Frère sans lui révéler l'auteur du témoignage, mais en lui disant : Vous avez là un cas semblable à celui que vous vivez. Lisez-le, il pourra vous apporter lumière et force.

5. A partir des témoignages on peut aussi imaginer facilement la rédaction de nouvelles biographies d'une très grande beauté (même lorsqu'elles ont comporté des périodes de faiblesse, voire de déchéance) qui feraient un bien énorme. Ce serait soit des biographies, polycopiées à l'usage d'un cercle restreint ou des éditions imprimées envoyées à tout l'Institut. Leur aspect nouveau résiderait dans une réduction de l'anecdotique lorsqu'il est sans intérêt pour s'attacher davantage au parcours intérieur que l'on connaîtrait mieux grâce à l'auteur. Bien entendu là aussi il ne serait pas difficile si c'est nécessaire, de modifier les détails pour éviter un éventuel repérage.

6) Mais une autre sorte de biographie serait la publication post mortem qui pourrait être faite avec moins de précaution d'anonymat si l'auteur l'a accepté. Une telle biographie serait envisagée lorsqu'une vie paraîtrait valoir la peine d'être écrite. Celui qui s'en chargerait pourrait demander aux archives si ce témoignage peut être divulgué. Il est facile de voir qu'il y aurait là un élément parfois extraordinairement édifiant et parfaitement impossible à atteindre par un autre moyen.

Vous m'excuserez, Mes Bien Chers Frères si, faute de réponse de votre part, je vous écris une seconde fois. Ce ne serait ni entêtement, ni pression pour vous faire répondre. Simplement je le ferais pour m'assurer contre des fantaisies du courrier à notre époque.

Donc, si cela a lieu, sentez-vous bien libres de votre décision sans aucun besoin de la justifier. Votre choix sera respecté fidèlement dans les limites que vous indiquerez.

Vous remerciant une fois de plus de tout cœur pour votre collaboration et votre amour de l'Institut, et plus encore pour votre vie, votre persévérance et votre fidélité : je fais aussi monter mon merci vers le Bon Dieu et vers la douce Vierge Marie qui a tout fait chez nous, et je reste votre tout dévoué dans le Christ Jésus,

F. BASILIO RUEDA 

P.S. – Je ferai célébrer des messes de remerciement et de réparation pour les grandeurs et les faiblesses de votre vocation. Nous avons tous besoin de ces deux attitudes devant le Seigneur. De cette façon je vous témoignerai ma gratitude de manière plus concrète.

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UTILISATIONS A FAIRE DE MES ECRITS

SUR LA FIDELITE DANS LE CONTEXTE

DE LA LETTRE RECUE

1 – Principes

a) J'exclus toute utilisation et je vous demande de tout détruire O  Si OUI, faire une + de me le retourner

b) J'accepte que vous le conserviez comme souvenir spirituel de moi, pour votre source d'inspiration, mais pour aucune autre utilisation. O

c) J'accepte qu'il soit utilisé, selon les directives que j'explique au N° 2. O

2 – Utilisations (si OUI, faire une +)

a) Comme dépôt de référence pour la circulaire et pour d'éventuelles conférences qui la commenteraient. Et rien d'autre. O

b) Comme utilisation monographique ou ponctuelle (voir exemples dans la lettre)

c) Pour l'usage occasionnel à l'égard d'un Frère qui en aurait besoin (cas par exemple de détresse) O

d) Pour des biographies anonymes O

e) Pour une biographie post mortem. O

 

N.B. – Excepté en 2ième, toutes les autres utilisations comporteraient tout le soin nécessaire pour éviter un repérage personnel.

Date : …………………..           

Votre nom complet ……………

Province ………………..

 

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