Circulaires 397

Charles Howard

1990-03-12

Semeurs d'espérance

INTRODUCTION
* La Conférence Générale
* Amérique Centrale
* Guatemala
* L'Année Champagnat
• Son charisme
• Marcellin vit aujourd'hui. Lettre des Animateurs maristes aux Petits Frères de Marie
• Autres groupes
• Fidélité

HOMMES D'ESPÉRANCE - HOMMES DE MISSION
* Source de notre espoir
* Quelques caractéristiques de l'espérance
• Sérénité
• Patience
• Audace
• Créativité
• Courage
• Le Mystère Pascal
• Espérance authentique
- Espérances-fuite
- Espérances non authentiquement spirituelles
- Espérances centrées sur mon moi
- Espérances tortueuses
- La vraie espérance chrétienne
* Conclusion
* Prière

397

V. J. M. J.

CIRCULAIRES DES SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX

DE

L'INSTITUT DES FRÈRES MARISTES DES ÉCOLES 

Vol. XXIX

 

SEMEURS D'ESPÉRANCE

Maison Généralice

Rome, le 12 mars, 1990

Introduction  

    Mes Chers Frères,

Cordial salut de Rome où nous jouissons d'un printemps précoce, et salut d'une Europe où un autre printemps inattendu nous a fait voir des phénomènes parmi les plus extraordinaires de l'histoire des nations. Nombre de ces nations n'avaient jamais eu une tradition de démocratie, et forcément, elles vont connaître maintenant de très sérieuses difficultés : politiques, sociales et économiques. Mais merci au Seigneur pour les merveilles qui ont lieu dans cette Europe de l'Est. Prions-le de bénir et de faire fructifier les grandes aspirations à la dignité et à la justice qui s'expriment si éloquemment ces temps-ci.

Ici à la maison généralice, nous venons d'accompagner à sa dernière demeure Frère Peter-Adrian que tant de vous ont connu. Il était passionnément attaché à la vie et à ses Frères et à son Institut. Dieu soit béni pour sa vie si riche en tant de façons et pour les Frères qui se sont occupés de lui si généreusement.

Les membres du Conseil Général viennent de consacrer quelques semaines aux sessions plénières. Ils s'étaient dispersés aux quatre vents après la Conférence Générale du Brésil. Ils sont revenus remis à neuf par cette pause, et rapportant beaucoup de bonnes nouvelles de vous-mêmes et de vos activités dans vos lointains pays.

Depuis que je me suis mis à cette circulaire, que de nouvelles dans le monde ! Ce fut d'abord la rencontre de Gorbatchev et du pape ici même à Rome, puis celle de Gorbatchev et Bush à Malte.

Déjà depuis 1987, Gorbatchev avait parlé des valeurs humaines universelles, et maintenant, dans son interview avec le pape, il a reconnu que le régime communiste s'était trompé en négligeant ces valeurs et en négligeant la dimension spirituelle de l'homme. A Ottawa, le ministre russe des Affaires Étrangères, Edouard Chevardnadze a même été plus loin, disant aux députés canadiens : «Aujourd'hui, notre pays est vraiment malade.» Oui, nous sommes témoins d'un extraordinaire effondrement du régime communiste dans l'Europe de l'Est. Quelques-uns d'entre nous ont connu les tristes jours de Yalta où tant de pays étaient trahis, et maintenant nous avons le privilège de vivre ce tournant spectaculaire de l'histoire où ces constructions d'hier sont en train de se démolir.

Il reste une masse d'incertitudes, et bien des points nous échappent, même les raisons secrètes qui ont fait agir les principaux acteurs. Il est possible que Gorbatchev ait commencé avec seulement l'idée de rénover le communisme ou de tenter de le rendre plus efficace, mais ces derniers mois ont manifesté autre chose, et sous divers angles : en particulier un retournement anti-communiste d'origine populaire. Le plus extraordinaire est que, jusqu'à ce jour, cela se soit réalisé dans la plupart des pays libérés, sans effusion de sang.

Nous sommes bien certains que l'Esprit-Saint est à l'œuvre au cœur de l'histoire. Continuons à rendre grâce pour ces changements extraordinaires et prions pour que ce mouvement continue et que les efforts gigantesques en argent, énergie, recherche, jusqu'ici consacrés à la Guerre Froide, puissent être appliqués maintenant à résoudre les problèmes les plus urgents de tant d'être humains qui luttent simplement pour leur survie.

Prions aussi pour que les dirigeants de ces pays et ceux de l'Ouest s'ouvrent aux motions de l'Esprit-Saint, aient assez de sagesse, de jugement et d'énergie spirituelle pour relever les défis à venir, et que finalement puissent prévaloir dans notre monde la justice et la vérité.

Qu'il est affligeant hélas de lire et d'entendre certaines observations qui tendraient à tout ramener à un niveau de luttes économiques, à vouloir tirer la conclusion que le capitalisme a triomphé du communisme. C'est là un jugement qui méconnaît totalement la part énorme de l'élément spirituel dans l'origine de ces révolutions et qui minimise par exemple toute la contribution qu'ont apportée les dissidents, hommes et femmes lorsqu'ils prenaient les plus grands risques pour proclamer incessamment que l'homme a besoin de liberté, de justice et de dignité. La liberté qu'ils réclamaient pouvait bien en fait impliquer un aspect économique, mais imaginer qu'ils sacrifiaient leur vie pour le salut du capitalisme est tout simplement monstrueux.

Bien entendu, nous sommes très largement conscients de ce qui fait l'injustice foncière du communisme : sa tyrannie, ses génocides parfois et tant d'atrocités et de crimes contre l'humanité qui naguère ont pu être au moins partiellement camouflés. C'est seulement maintenant, par exemple, que l'on découvre l'existence d'une grande famine en Ukraine qui a fait périr des millions de personnes. Quelque chose avait transpiré : mais à peine. Le communisme stalinien savait camoufler.

Mais aujourd'hui avec toutes les nouvelles lumières, avec toutes les révélations de misère qui nous arrivent chaque jour de l'Est, nous pourrions être tentés de tomber dans l'excès contraire et de voir le reste du monde sous un jour trop flatteur. Or il reste dans le monde non communiste une énorme injustice, et des centaines de millions d'hommes presque sans droits politiques et qui ont toutes les peines simplement pour survivre.

Dans l'immédiat le grand danger est que les préoccupations du monde occidental et d'autres pays riches soient tellement tournées vers les événements de l'Est européen et le désir de lui apporter son aide (sans oublier bien sûr tout le profit qu'on peut tirer de nouveaux marchés) qu'ils fassent oublier tant de pays du sud dans une situation désespérée. Aussi faut-il se rappeler ce que le pape Jean-Paul Il a dit dans son encyclique récente : Sollicitudo rei socialis :

Aujourd'hui, étant donné la dimension mondiale qu'a prise la question sociale, cet amour préférentiel, de même que les décisions qu'il nous inspire, ne peut pas ne pas embrasser les multitudes immenses des affamés, des mendiants, des sans-abris, des personnes sans assistance médicale et, par-dessus tout, sans espérance d'un avenir meilleur : on ne peut pas ne pas prendre acte de l'existence de ces réalités. Les ignorer reviendrait à s'identifier au «riche bon vivant» qui feignait de ne pas connaître Lazare le mendiant qui gisait près de son portail (cf. Lc. 16, 19-31) (42).

Aussi bien que tous les autres chrétiens, les Frères Maristes ont à se demander : Ne suis-je pas «l'homme riche», de quelque façon ? Ce n'est pas facile de répondre. Dans certaines communautés il y a une attention aux pauvres merveilleusement concrète et de très réels efforts pour partager avec eux. Mais chacun doit s'interroger soi-même sérieusement là-dessus. Il faudra peut-être trouver l'honnêteté et le courage de dire : oui, au moins à certains moments et dans certains lieux je suis l'homme riche. Aussi, face aux bonnes nouvelles de l'Est, nous efforcerons-nous d'éviter la satisfaction trop facile et chercherons-nous les occasions pour entrer dans ce courant de l'Esprit qui est là à notre portée.

LA CONFÉRENCE GÉNÉRALE

Le numéro spécial de FMS-Message vous a atteint avant cette circulaire et j'espère qu'il vous donne une idée de ce qui a transpiré de ces assises tenues à Veranópolis (Brésil).

Je suis vraiment très heureux de la Conférence elle-même et des visites faites par groupes de Provinciaux aux diverses Provinces latino-américaines qui l'ont précédée.

La Conférence était une expérience très signifiante pour nous tous, et je suis profondément reconnaissant aux nombreux Frères qui nous ont accompagnés de leurs prières. Nombre d'entre vous m'ont envoyé des messages, disant qu'ils priaient pour le succès de la Conférence, et je voudrais les assurer que leurs prières ont été très appréciées. Pendant ce stage nous sentions vraiment cette assistance fraternelle.

Mais j'aurai une autre occasion de vous parler des sujets traités à la Conférence.

AMÉRIQUE CENTRALE

Comme je l'ai dit ci-dessus, nous vivons en des temps où les réformes démocratiques se succèdent en véritables avalanches dans l'Europe de l'Est, et jamais les futurologues n'auraient prévu une pareille rapidité, une pareille intensité. À la surprise générale, on a pu voir un Gorbatchev profitant de maintes occasions pour souligner que chaque pays socialiste était individuellement responsable de la forme que prenait son socialisme.

L'avenir est encore obscur et il n'est pas possible de prédire ce qui arrivera avant que cette circulaire ne soit entre vos mains. Il y a sûrement encore des jours difficiles à vivre, spécialement là où refont surface un sentiment national provisoirement étouffé ou des tensions entre ethnies, jamais oubliées pendant des siècles. Cependant certains changements créés par cette révolution politique et sociale semblent bien irréversibles.

Pendant ce temps, d'autres affrontements tragiques continuent encore à causer leur lot de massacres. Après la Conférence Générale j'ai visité notre Province d'Amérique Centrale et j'ai aussi passé quelques jours au Salvador et au Guatemala. Pendant que j'étais au Salvador, il y a eu ce qu'on a appelé deux petites attaques de guérilleros à la capitale et puis le bombardement d'un quartier général des syndicats avec dix morts et plus de trente blessés. La grande offensive de la guérilla a commencé quelque dix jours plus tard. Vous connaissez le reste, y compris le massacre de six jésuites, leur cuisinière et sa fille. Évidemment cette femme et sa fille et les 60.000 morts du Salvador pendant cette dernière décade sont aussi importants que les six jésuites. Mais ce massacre des jésuites a contribué à mettre plus en lumière les forces sataniques qui sont en action.

Les étiquettes habituelles ont été mises sur ces prêtres : communistes, marxistes, socialistes, agitateurs. Or ceux qui les connaissaient bien savent qu'ils voulaient simplement un monde meilleur et plus juste.

C'est hélas, une des difficultés de ces situations d'approcher de la vérité. Dans bien des cas les journaux et la télé sont manipulés et on ne peut pas compter sur eux pour une présentation objective. Ce fut le cas spécialement dans le massacre des jésuites. Voici quelques mots du Père Michael Campbell-Johnston, provincial des jésuites de Grande-Bretagne. Il a travaillé des années en Amérique latine et a ensuite été chargé du Secrétariat Général pour l'Administration jésuite ici à Rome. Notre Conseil général antérieur l'avait invité à nous parler il y a huit ou neuf ans, et la plupart d'entre nous avaient pu l'entendre. Il nous avait annoncé les changements profonds même avec peut-être des aspects douloureux qui surviendraient si l'on arrivait à un avenir pacifié, et bien plus encore à un avenir chrétien. Après avoir fini son temps au Secrétariat Social, il a travaillé trois ans au Salvador avant de devenir Provincial en Grande-Bretagne. Voici donc ce qu'il dit de la récente tragédie :

«L'assassinat des six jésuites et de deux femmes qu'ils employaient est choquant, mais à peine surprenant. Après tout, ils ne font que rejoindre les 70.000 autres Salvadoriens : vieillards, femmes, enfants qui ont été tués dans ces dix ans de guerre.» C'est ce qu'a dit clairement le Père «Chena» Tojeira, provincial jésuite actuel au Salvador, dans une déclaration publique, après l'événement : «Nos jésuites travaillaient en faveur d'une paix bâtie sur les droits des pauvres. Dans la mort, ils ont partagé le sort de tous les pauvres Salvadoriens assassinés parce qu'ils cherchaient la libération par des moyens pacifiques. La raison de leur assassinat —cela ne fait aucun doute— c'est leur engagement pour la paix et la justice. La déclaration de notre archevêque disant que la haine qui a tué Mgr. Romero est la même que celle qui vient de tuer nos confrères, est pour nous une certitude indiscutable.»

Si l'on veut rester vrai face à l'évangile, on ne peut pas reculer devant certains choix, que l'on soit jésuite au Salvador ou simple chrétien affronté à l'injustice n'importe où. Les jésuites au Salvador ont sûrement l'intention de continuer à travailler pour les pauvres et avec eux. Je suis bien sûr qu'ils auront le courage de faire leurs les paroles de Mgr. Romero quelques mois avant son assassinat : «Je suis heureux, Frères et Sœurs, que notre Église soit persécutée précisément pour son choix préférentiel en faveur des pauvres et parce qu'elle tâche de s'incarner parmi eux. Et je veux dire à tous, gouvernants, riches, puissants : si vous ne devenez pas des pauvres, si vous n'êtes pas attentifs à la pauvreté de nos concitoyens comme s'ils étaient de votre famille, vous ne pourrez pas sauver la société

GUATEMALA

Du Salvador, je suis passé au Guatemala. Là, j'ai eu deux émotions : l'une de grande joie, en me trouvant parmi des Frères, en voyant un peu leur travail, en rencontrant de bons groupes de jeunes Frères et de postulants, et en recevant l'encouragement de leur esprit de joie et de leur enthousiasme communicatif. Mais, en même temps, quelle tristesse de voir que ce pays avait aussi connu le règne de la terreur avec des dizaines de milliers d'Indiens tués et en beaucoup de cas torturés.

Les Frères m'ont mené à une rencontre avec des Indiens et là j'ai rencontré le seul prêtre qui avait pu rester au diocèse de Quiché dans les débuts des années 1960. La persécution contre l'Église  – prêtres, sœurs, catéchistes – avait été féroce. Laissez-moi vous évoquer l'histoire de la mort héroïque de cinq catéchistes en 1982.

Les gens du village furent informés que leurs cinq catéchistes étaient subversifs – «communistes» et qu'ils devaient faire contre eux l'action qui s'imposait, sinon l'armée allait venir et punir le village. Les gens savaient très bien ce que cela voulait dire : ils devaient eux-mêmes tuer les soi-disant «subversifs».

Ils refusèrent, car ils appréciaient leurs catéchistes non seulement pour leur enseignement religieux, mais aussi parce que ceux-ci avaient organisé des coopératives (ce qui les classait «communistes»). Mais les catéchistes dirent aux villageois : «Non ; tuez-nous, sinon le village sera détruit et beaucoup d'entre vous seront tués.» Les gens allèrent prier à l'église du village et finalement acceptèrent cette décision de leurs catéchistes. Et ceux-ci furent tués avec des machettes. Peut-être un jour les gens de cette région auront-ils la joie de voir ces martyrs canonisés.

L'ANNÉE CHAMPAGNAT

Je suis sûr que, à ce moment de l'année Champagnat, nous avons tous bien mieux pris conscience de l'importance qu'elle a eue pour nous tous, de la grâce qu'elle a été dans notre vie personnelle et dans la vie de tout l'Institut. Dans ma dernière circulaire j'ai tâché de mettre l'accent sur le sens de cette année qui constituait une occasion exceptionnelle de rendre grâces pour tout ce que nous avions reçu personnellement et collectivement comme part d'héritage de Marcellin Champagnat.

Cette action de grâces devait en retour susciter une détermination renouvelée d'être encore plus fidèles et à lui-même et à son esprit et à sa spiritualité. C'est la fidélité au Christ et à son Évangile et la fidélité au charisme de Marcellin qui soutiennent notre désir de nous engager pour Dieu et pour les jeunes. Sans doute, il y a des circonstances où la route n'est pas facile à suivre, mais pourtant nous pouvons y entrer avec confiance, malgré les difficultés à rencontrer.

Cette étape en effet peut être le moyen par lequel Dieu nous mènera à plus de générosité et de créativité.

Au cours de cette marche, nous voulons avec l'aide de Dieu, accroître nos efforts pour faire mieux connaissance avec Marcellin et pour célébrer de mieux en mieux notre bonheur d'être ses fils et de participer à son charisme, cette «grâce toujours actuelle pour le monde» (C. 164).

Nous avons sûrement été très aidés dans cette entreprise par les recherches, écrits, conférences de divers Frères qui se sont consacrés à mieux faire connaître Champagnat et à le faire aimer de tous. Mais même ceux qui n'ont pas eu l'occasion de faire une recherche spécifique sur le Fondateur peuvent s'entraider de façon très pratique en partageant ce que nous avons tous reçu, même inconsciemment, de son esprit.

Il y a des Provinces qui ont déjà organisé des réunions systématiques de communautés et de régions pour approfondir leur manière de comprendre Champagnat. Et ceci s'est fait grâce à la simple réflexion que des Frères ou des groupes de Frères ont apportée sur leur vie, ce qu'ils ont reçu de l'Institut et des premières générations maristes et ce qui leur semble le plus mariste dans leur vie. Ils approfondissent ainsi leur compréhension du Fondateur et leur appréciation de ce que les premiers Frères nous ont légué. Évidemment, il ne faut pas non plus sous-estimer tout ce que nous avons reçu et de l'esprit du Fondateur, et de la tradition mariste et de la spiritualité des Premiers Frères, simplement par des Frères qui sont actuellement dans nos communautés.

Il y a deux ans, le Conseil Général a décidé de publier pour le bicentenaire une nouvelle édition de la Vie du Fondateur par Frère Jean-Baptiste et d'en donner une copie à chaque Frère. Cette nouvelle édition, mise à jour grâce à des notes explicatives, est un document de base pour nous tous, pour nous aider à renouer et maintenir le contact avec nos racines et avec l'homme qui est à l'origine de tout ce que les Frères maristes ont été, sont et seront. Je suis heureux de profiter de cette occasion pour remercier Frère Roland Bourassa et tous ses collaborateurs du don merveilleux qu'ils ont fait à l'Institut.

L'édition française de cette Vie est déjà parue. Des traductions en espagnol, anglais et portugais paraîtront dans le courant de 1990. Quand nous les recevrons, il faudra bien nous souvenir de les lire avec les yeux de la foi et un cœur compréhensif. Par exemple n'oublions pas que l'auteur écrit dans le style hagiographique du 19ième siècle et que, en présentant Marcellin Champagnat, il est, comme tous les auteurs de son époque, influencé consciemment ou inconsciemment d'abord par sa propre personnalité et aussi par sa réaction aux événements qui se passent dans son monde. Certains ont trouvé profitable de lire la biographie de Marcellin en dialogue avec lui ; ainsi nous lui demandons de nous l'expliquer et de nous faire voir ce qu'il nous importe vraiment de comprendre et de faire nôtre.

L'introduction de cette nouvelle édition nous rappelle aussi qu'en 1857, Frère François disait aux Frères que ce livre allait faire revivre le Père Champagnat au milieu d'eux. Ce disant, il répétait en quelque sorte ce qu'il avait dit le jour même de la mort de Marcellin en 1840 : Maintenant, qu'il n'est plus physiquement parmi nous «c'est à nous de le faire revivre en nous-mêmes».

Un autre «événement du bicentenaire» englobe bien à la fois la réalité du don qui nous est fait et l'interpellation qu'il provoque et cela par une stimulante beauté. C'est la céramique que l'on vient de placer au sommet du grand escalier de la maison généralice. L'œuvre est du Frère José Santamarta de la Province de Castille (Espagne). Elle comprend deux grands panneaux qui représentent d'un côté le Père Champagnat et de l'autre le Frère François. Ce dernier montre le Fondateur et la Règle : Champagnat est le modèle qui a vécu l'idéal de la Règle.

Le sculpteur a aussi exprimé par le mode graphique le dynamisme de la vie de Marcellin : les forces qui l'ont inspiré, le zèle qu'il a mis à rejoindre les jeunes, l'enthousiasme avec lequel il a surmonté les obstacles qui s'opposaient à lui. Nous le voyons affronter les difficultés qu'il rencontre pour suivre sa vocation, pour faire sauter les rochers de l'Hermitage, pour répondre aux besoins des gens de son époque par une éducation centrée sur Dieu, et pour créer parmi les Frères un sentiment de communion, de réconciliation et d'esprit de famille capables de leur faire traverser ensemble les tempêtes qui les attendent.

SON CHARISME

Au fur et à mesure que nous prenons mieux conscience de ce que Marcellin a été et est pour nous et pour l'Église nous arrivons tout doucement à saisir un autre besoin : celui d'intensifier notre compréhension de son charisme. Oui, pour la plupart nous avons besoin de comprendre ce que cela implique pour nous aujourd'hui.

Son charisme est un don pour toute l'Église, et c'est un don très réel pour chacun de nous ici et maintenant. Mais, s'il doit être efficace pour l'Église, il le sera par notre volonté de continuer à en faire un élément dynamique de notre vie et de notre action. C'est ainsi d'ailleurs que nous contribuons à le développer aujourd'hui et le maintenons pour les générations maristes de l'avenir.

Peu importe d'ailleurs les modes très divers dans lesquels ce charisme s'incarne. Aussi longtemps qu'il continuera à vivre dans des Frères maristes vivants il y aura une continuité de vie enracinée dans le Fondateur. Cela ne se fait pas cependant par un processus biologique automatique. Il dépend de nous qui formons aujourd'hui la communauté religieuse de Champagnat d'entrer librement et consciemment jour après jour dans le mouvement dynamique de son charisme.

Ce charisme a été une grâce pour Marcellin, un don spécial de l'Esprit, le fruit de son discernement à lui qui cherchait ce que Dieu lui demandait. C'est par ce moyen que peu à peu lui sont venues les intuitions qui clarifiaient et unifiaient ce qui était pour lui le plus important : un sens de plus en plus clair de la direction à donner à sa vie, direction qui finissait par s'identifier avec son idéal d'une vie d'union au Christ. De là découlait une spiritualité et un esprit qui sont bien à lui, ainsi que son orientation vers un apostolat centré sur l'éducation chrétienne des jeunes spécialement les plus nécessiteux.

Pour nous tous, ce don est aussi réel qu'il l'était pour Marcellin. C'est quelque chose de vivant et de dynamique, quelque chose qui doit être vécu, développé, exprimé, partagé de sorte que l'Église puisse continuer de l'expérimenter comme un don qui se maintient à travers des générations.

En soi c'est déjà une fameuse interpellation, mais elle devient plus stimulante encore si des laïcs partagent ce charisme : cela nous force à prendre ce don et cette responsabilité encore plus au sérieux. Ce faisant nous sommes des instruments privilégiés pour aider d'autres personnes à mieux comprendre ce don de l'Esprit-Saint dans leur vie. Ainsi évitons-nous toute forme de paternalisme, et suivons-nous le merveilleux exemple de Champagnat, quand il expliquait ce charisme et le faisait partager aux premiers Frères avec une simplicité et un enthousiasme contagieux. Et notre action auprès des laïcs nous fera découvrir qu'à leur tour ceux-ci vont enrichir notre manière de comprendre Marcellin, son esprit et sa spiritualité, par la fraîcheur et l'originalité de la vision qu'ils en auront et de la réponse qu'ils y donneront.

Comme je l'ai déjà dit d'autres fois, partout où je vais, je suis toujours frappé par l'enthousiasme des jeunes pour le Père Champagnat. C'est particulièrement vrai avec des groupes comme REMAR, mais ailleurs aussi et ce n'est pas seulement superficiel. C'est très évident que le caractère de cet homme de Dieu, homme d'action et de profonde compassion exerce une attraction sur les jeunes.

Il y a quelques mois, j'ai reçu un document intitulé : «Marcellin vit aujourd'hui.» Je voudrais vous raconter un peu l'histoire de ce texte. En juillet 1986, un groupe de jeunes d'Espagne et de Portugal avaient une rencontre à Sigüenza, Espagne. Ils participaient tous avec nos Frères à l'animation pastorale des écoles, à des mouvements apostoliques, à des groupes paroissiaux etc. … C'était la première d'une série de sessions annuelles que l'on envisageait et auxquelles depuis, ont participé jusqu'à 350 jeunes. Lors de la session de l'Année Champagnat, ils ont décidé comme conclusion d'écrire deux lettres ou messages, une aux Animateurs maristes de leur pays et l'autre à tous les Frères.

J'allais vous donner des extraits de cette dernière, mais de plus en plus je trouve le texte intégral tellement riche que je préfère vous le donner tel quel. C'est un plaisir pour moi de transmettre à tous les Frères ce splendide cadeau des jeunes.

MARCELLIN VIT AUJOURD'HUI

Lettre des Animateurs maristes

aux Petits Frères de Marie.

À vous, Frères :

qui donnez le meilleur de vous-mêmes, votre vie, au service de Dieu dans la vocation mariste ;

qui nous avez montré une vie de simplicité et de travail, par votre présence comme éducateurs ;

-qui avez instillé en nous l'amour que nous avons maintenant pour notre Bonne Mère ;

-qui vivez avec nous et dont nous apprécions la proximité et la chaleur fraternelles ;

-qui, comme nous, sentez que MARCELLIN vit aujourd'hui.

Nous, Animateurs maristes, qui travaillons dans diverses écoles ou autres organisations, nous remercions Dieu de vous avoir appelés à la vie mariste, et nous vous remercions, Frères, d'avoir répondu à cet appel.

Aujourd'hui nous vous envoyons cette lettre parce que nous voulons ainsi venir plus près de vous, vous dire ce que maintes fois nous aurions aimé vous dire de vive voix et qui vient du fond de notre cœur : nous voulons parler des signes que Dieu nous a faits au long de notre cheminement avec vous et qui portent la marque de la spiritualité de Marcellin.

Maintenant, après l'expérience formidable que nous avons eue à Burgos et après avoir vécu de plus près le charisme de Marcellin nous vous connaissons mieux et notre amour pour l'œuvre mariste a encore progressé.

Nous voulons donc annoncer cette richesse à tous les jeunes et nous nous offrons pour construire —avec vous Petits Frères de

Marie – un monde plus juste où nous amenons enfants et jeunes, spécialement les plus défavorisés, à Jésus par Marie.

Pour nous tous, cette lettre est un pas en avant sérieux et un engagement ferme à continuer ce voyage. C'est un défi que nous n'essayerons pas de relever si nous ne savions pas que nous pouvons compter sur le support de tous ceux qui sont Petits Frères de Marie.

Comme dit notre chanson : «Nous ne pouvons renoncer à ce que d'autres nous ont transmis ; Marcellin vit aujourd'hui par nos bras ; nous devons continuer ce qu'ils ont commencé » (le chant auquel il est fait référence, traduit ici littéralement de l'espagnol, est un chant du groupe espagnol Kairoi et est devenu extrêmement populaire).

Aussi nous vous offrons nos bras pour prendre votre relais, pleins d'enthousiasme, bien que conscients de ce que signifie cet engagement : malgré sa beauté, cette tâche sera dure et ardue.

Par notre prière, notre réflexion et l'étude du message transmis par Marcellin, père, éducateur et apôtre, nous avons tâché de devenir plus conscients qu'il est vivant aujourd'hui, et de méditer sur ce qu'il dit à nous les jeunes.

Maintenant nous voulons vous partager nos réflexions, vous demander de nous aider à être fidèles aux appels qu'il nous dévoile et nous engager à une vie unifiée qui commence par la conversion du cœur.

Nous, les jeunes, nous avons besoin de boire à cette fontaine, nous avons besoin de bien voir ces empreintes tangibles dans le monde d'aujourd'hui dans votre vie ; nous avons besoin de votre aide pour les suivre avec fidélité et authenticité. Qui mieux que vous, Frères, peut nous montrer la route, vous qui avez reçu cet appel inestimable d'être au milieu des jeunes, cet appel que Dieu vous a fait pour le monde et pour l'Église.

Nous, Animateurs maristes, nous sommes une réalité neuve et joyeuse au sein de votre famille religieuse ; nous sentons très fort le charisme de Marcellin et nous sommes séduits par sa spiritualité, ce mode de présence créative spécial et très caractéristique qui se développe dans l'Église et qui l'enrichit. À vos côtés, nous voulons vivre comme a vécu Marcellin ; nous voulons travailler infatigablement, simplement, silencieusement en ayant soin tout le temps de donner des réponses adéquates. Nous voulons être témoins du Christ comme Marie, où que nous soyons, parmi d'autres jeunes de notre âge, dans la tâche que nous exerçons, parmi les jeunes avec qui nous partageons notre temps et nos rêves…

Par ailleurs nous avons besoin de beaucoup de temps pour atteindre ces objectifs. Nous savons que vous vous êtes vous même proposé un idéal élevé, mais nous savons aussi que le succès est assuré si, tout en faisant un généreux effort, nous remettons tout aux mains de Marie, puisque «c'est son œuvre» comme disait Marcellin.

Le temps est venu pour nous de prêcher d'exemple et de répondre à l'appel que Dieu nous fait entendre, oui l'appel à une vocation bien spécifique : être Animateurs maristes dans l'Église, être sel et lumière par notre présence et notre action… vivre notre foi en communauté avec des choix et des engagements personnels, avec aussi une option en faveur des jeunes, leur proposant un style de vie évangélique qui souvent va à l'encontre de ce que propose la société. L'heure est venue pour nous de travailler avec vous au coude à coude, de bien graver l'avers et le revers de l'obole que nous voulons offrir à l'Église de notre temps :

– D'un côté, vous, Petits Frères de Marie, avec les grandes richesses que vous avez et l'assurance que vous donnent tant d'années de dévouement et de générosité ;

– de l'autre, nous Animateurs maristes, avec décision et enthousiasme construisant vraiment un pont vers les jeunes, mettant en place de nouvelles formes de présence mariste et offrant en même temps nos mains pour soutenir votre travail.

La présence d'animateurs maristes dans les communautés maristes peut devenir une richesse et une interpellation qui ont besoin de votre accueil, de votre compréhension et votre soutien effectif.

Nous ne voulons pas que notre option se limite à faire des choses ni à programmer des activités seulement pour être avec des jeunes ; nous ne voulons pas qu'elle se limite à une étude, une réflexion sur la vie de Marcellin ou à un contact avec quelques communautés maristes.

Nous voulons que notre option soit un nouveau style de vie : Marcellin vivant parmi les jeunes d'aujourd'hui, un style jeune de présence créative à la suite de Marcellin ; nous croyons qu'il y a là une vocation.

Notre vie sera donc une invitation pour tous les jeunes à découvrir leur propre appel dans le monde et dans l'Église.

Marcellin est né il y a 200 ans ; aujourd'hui, sur le sol même de son œuvre, de nouvelles pousses germent pour enrichir son charisme : le Mouvement Champagnat, les Animateurs maristes, la Famille mariste…

Cette vitalité dont nous sommes un aspect nous amène à conclure que le Père Champagnat est vraiment un saint, c'est-à-dire un homme complètement ouvert à l'action de Dieu et que son œuvre, s'irradiant depuis l'Hermitage est un don de l'Esprit à l'Église.

Notre lettre, fruit de notre vie et de notre réflexion est notre requête et notre proposition à l'Institut des Petits Frères de Marie et à chacun de ses Frères.

– Nous demandons que vous soyez notre point de référence vivant et que vous incarniez pour nous, avec harmonie et générosité, le style de vie et de service du Père Champagnat que nous voulons suivre auprès de vous.

– Nous vous offrons ce que nous avons de mieux, nous-mêmes, selon votre exemple ; nous voulons être fidèles à ce que Dieu nous demande en ce moment, et nous ouvrir à un nouveau style de vie qui soit un signe vivant de l'Évangile de Jésus. Nous avons fait l'expérience personnelle que SUIVRE LE CHRIST COMME MARIE est un don que l'Esprit a fait à l'Église et, si simple soit-il, il est important et nécessaire, parce que Dieu compte sur nous pour faire partie de son plan de salut.

Dans ce contexte, la fidélité au charisme du Père Champagnat ne signifie pas seulement fidélité à notre vocation personnelle, mais aussi fidélité à toute l'Église, de manière à incarner ce que l'Esprit veut voir se développer parmi son peuple grâce à nous et à notre mission d'être comme Marie.

Le don, le charisme, la mission, Marcellin… tout cela dure à travers l'histoire. Votre idéal est si élevé qu'il ne passera jamais, nous en sommes sûrs, et donc nous sommes sûrs qu'il est possible et nécessaire d'être un Petit Frère de Marie dans l'Église d'aujourd'hui.

Mais les jeunes changent. Nos centres d'intérêt changent si aisément, notre vision de la vie est en continuelle évolution ; la société et les médias nous bombardent incessamment d'idées qui peuvent miner peu à peu notre foi en tout ce qui dépasse la matière, et c'est pourquoi, dans une telle situation, les jeunes d'aujourd'hui ont besoin de votre spiritualité, autant que les jeunes qui vivaient jadis avec Champagnat.

-Nous avons besoin de cette simplicité qui manque tant au monde d'aujourd'hui, de votre amour du travail bien fait, de la présence douce et aimable de Marie, et de l'esprit de famille qu'on remet en question parce qu'il est tellement plus facile de vivre sa vie sans prendre aucune responsabilité.

-Dans cette société où nous avons à vivre, nous avons besoin que vous incarniez les valeurs de Marcellin et que vous soyez pour nous de vivants modèles du bon citoyen et du bon chrétien.

Et ceci, Petits Frères de Marie, demande :

-de connaître la réalité concrète où nous vivons, nous les jeunes, ce qui suppose des réponses adéquates à nos problèmes spécifiques.

-d'ouvrir les frontières de la mission mariste. Il nous semble que celle-ci a peu à peu cessé de répondre à la partie la plus défavorisée de la société, c'est-à-dire à l'objectif que visait le Père Champagnat.

-de créer une vie de famille ouverte et fraternelle qui puisse faire sentir aux jeunes que nous sommes notre rattachement à la communauté des premiers chrétiens : «Voyez ces Frères, comme ils s'aiment».

– d'incarner un style de vie simple et marial, adapté au monde des jeunes dans lequel vous travaillez, ce monde qui compte sur la présence intime de notre Bonne Mère pour pouvoir, lui aussi, chanter le Magnificat avec elle et avec vous.

– de vivre une vie consacrée dans laquelle votre joie et votre bonheur laissent transparaître vos trésors intérieurs et dans laquelle les plus défavorisés soient vraiment les préférés de votre cœur.

 – de prier avec Marcelin pour les jeunes que vous devez aimer profondément si vous voulez les éduquer.

Nous pourrions prolonger cette liste, comme Marcellin prolongeait ses courses apostoliques à travers les montagnes autour de La Valla. Et nous savons à quoi ressemblent ses empreintes : ce sont celles d'un témoin du Christ d'une vivante image de Marie, des empreintes que vous, Frères, et nous, animateurs, voulons suivre avec générosité.

Groupe de jeunes enracinés dans la spiritualité mariste et travaillant à vos côtés, nous faisons notre option pour l'animation, comme une forme de service dans l'Eglise. Nos voulons être un stimulai et un soutien pour votre œuvre d'éducation.

Ayant participé à l'expérience enrichissante de MAR.CHA.89 à Burgos les 26-29 juillet, nous partageons vos sentiments et nous vous exprimons notre salut reconnaissant.

En attendant notre rencontre journalière devant notre Divine Mère et notre prochaine occasion de convivialité, nous vous laissons avec confiance dans les cœurs de Jésus, Marie et Marcellin.

Les Animateurs maristes des provinces d'Espagne Burgos, juillet 1989 : Année Champagnat.

 

Cette lettre, je n'en doute pas, va vous émouvoir et vous y trouverez ample sujet de réflexion et de prière.

AUTRES GROUPES

Puisque nous parlons des groupes qui veulent être associés plus étroitement à nous, je voudrais en mentionner un autre, assez différent, mais que manifeste à sa façon cette attraction qu'exerce le charisme de notre Fondateur.

Certains d'entre vous savent que récemment nous avons eu de demandes d'un certain nombre de jeunes filles qui voudraient devenir religieuses selon la spiritualité de Marcellin Champagnat. Dans le passé nous les encouragions à joindre d'autres groupes religieux, spécialement les Sœurs Maristes et les SMSM. Mais maintenant, nous avons mieux pris conscience de deux difficultés : souvent, il n'y a ni Sœurs Maristes, ni SMSM dans les pays en question, et ces filles soulignent bien que c'est la spiritualité de Marcellin Champagnat qu'elles veulent suivre.

La question a été abordée par un groupe de Provinciaux et de membres du Conseil Général pendant la Conférence Générale et, dans no : sessions plénières, nous avons essayé de faire un pas de plus. Prie : donc pour ces jeunes recherchantes, afin qu'elles puissent bientôt arriver à mieux comprendre la volonté de Dieu sur elles. Je voudrais aussi vous demander de la discrétion : tant que nous en sommes aux premiers pas avec ces jeunes filles, n'en faisons pas un thème public de discussion pour ne pas créer de fausses impressions. Le rôle des Frères Maristes dans ce processus est d'aider ces éventuelles candidates à une meilleure compréhension de Marcellin, de son esprit et de sa spiritualité, et aussi de les aider à discerner à quoi le Seigneur peut les appeler.

FIDÉLITÉ

En tout cas, il faut voir dans les aspirations de ces groupes un appel à la fidélité : fidélité à notre charisme et fidélité aux dons et aux grâces que nous avons reçues. Cette sorte de fidélité n'est pas d'abord une question d'étude et de réflexion intellectuelle, c'est une question de conversion. Nous sommes appelés à une conversion que suppose une ouverture de plus en plus grande à l'action de l'Esprit-Saint. Et cela pourrait revêtir plusieurs formes : prendre plus au sérieux notre vie de prière, être plus soigneusement à l'écoute des autres, vivre avec un sens plus aigu de confiance en Dieu, accepter de nous ouvrir à des idées nouvelles, imiter de plus en plus certains aspects de la vie du Père Champagnat.

La fidélité s'éprouve particulièrement dans le feu de l'adversité. Un des privilèges d'un Supérieur Général c'est l'occasion qui lui est donnée d'entendre et de voir de merveilleux exemples de fidélité parmi des Frères aux prises avec des conditions difficiles. J'ai déjà parlé des témoignages de fidélité de nos Frères de Chine. Voilà des hommes qui ont continué à vivre leur vocation mariste malgré les privations, les souffrances, le danger, la prison. Comme je l'ai dit dans le dernier «FMS Message», ce fut un grand bonheur pour moi et une formidable leçon d'être avec eux, de parler avec eux et de sentir quelque chose de leur esprit et leur soif de connaître tout ce qui concernait l'Institut. Une lettre récente nous parle de leur travail continuel : enseignement dans des séminaires, catéchèse dans les villages, etc. … et pensons que tous, moins un, sont septuagénaires.

Il y a des époques où certains Frères ressentent lourdement le poids de l'adversité, et peuvent trouver difficile de rester fidèles à leur vocation, plus peut-être que les autres ne s'en rendent compte. Oui, c'est bien vrai que le parcours intérieur de chacun de nous est souvent un mystère qui est seulement entre l'intéressé et Dieu. Mais quand nous commençons à nous apitoyer sur nous-mêmes à cause des difficultés quotidiennes ordinaires, l'expérience de nos Frères de Chine peut être pour nous une source salutaire de réflexion.

Notre histoire aussi contient d'autres exemples merveilleux de créativité et de zèle en face des obstacles et j'espère qu'ils nous amèneront à rendre grâces à Dieu pour tant de courage et de fidélité. Ils nous poussent à une plus grande ouverture à l'Esprit-Saint et à une plus grande conformité à l'esprit de Champagnat : son amour des jeunes, son amour des pauvres, son esprit d'humilité, de simplicité et de modestie, son esprit de famille et son grand amour pour Jésus et Marie.

La céramique dont j'ai parlé plus haut a bien saisi l'essentiel de cet esprit. Avec un grand pouvoir d'expression et de façon très émouvante, elle représente Marcellin les mains ouvertes prêt à donner l'hospitalité. Son cœur (une demi-sphère qui se change en croix) brûle du feu intérieur d'un zèle qui le consume. Il est entouré d'un groupe d'enfants et de jeunes, c'est-à-dire de ceux qui ont donné tout son sens à sa vie, grâce à l'urgence qu'il a ressentie de ce qu'il leur devait : les éduquer, leur faire connaître et aimer Jésus-Christ.

Nous voyons aussi, près de lui, les deux personnages qui l'ont incité à aller de l'avant : la Bonne Mère et Jésus crucifié dont il parlait sans cesse à ses Frères. Pour lui, Jésus et Marie, l'amour de Jésus et de Marie, étaient au cœur de son engagement et de sa fidélité ; et ils restent pour toutes les générations maristes une source de motivations qui nous est propre : Tout à Jésus par Marie, tout à Marie pour Jésus.

L'année Champagnat a certainement accru notre espérance et notre désir de sa canonisation. Vous savez que ce qui actuellement retarde l'achèvement du procès, c'est d'avoir un autre miracle. La guérison du Frère Weber, en Uruguay a dû être abandonnée comme miracle possible, la documentation médicale s'avérant insuffisante pour justifier que seul un miracle peut expliquer cette question. Peut-être quand ce sera le temps de Dieu, aurons-nous un autre miracle, mais ce qui est le plus important et plus urgent qu'un autre miracle, c'est notre fidélité à Champagnat dans notre vie et notre travail.

Le don à faire à nos confrères et à d'autres personnes c'est d'aider nos Frères à vivre leur fidélité et d'attirer les laïcs à bien découvrir Champagnat ; c'est ainsi que nous continuons à promouvoir le renouveau auquel l'Église nous invite toujours : ce renouveau qu'on peut appeler «refondation».

Nos Constitutions nous parlent du Supérieur Général comme du successeur du Fondateur et c'est très vrai. Mais, dans un sens vrai aussi, nous sommes tous successeurs du Fondateur : nous sommes tous porteurs de son charisme pour l'Église d'aujourd'hui. Ce n'est pas de la rhétorique pieuse : c'est du réel. Rappelez- vous l'histoire que je vous ai citée dans ma dernière circulaire à propos des «petits Champagnat» de Budapest. Si je trouve cette histoire très suggestive c'est parce qu'elle contient beaucoup de vérité.

Le Concile Vatican II a demandé à toutes les communautés de renouveler leur esprit et de mener à bien les adaptations nécessaires qui puissent mettre leur vie en accord avec les signes des temps. Ceux-ci doivent faire discerner les nouveaux moyens, peut-être radicalement nouveaux dans lesquels le charisme du Fondateur peut et doit être incarné aujourd'hui dans un style de vie et un ministère capables de répondre fidèlement aux appels de l'Esprit qui parle par des événements actuels.

C'est cela que Marcellin a fait quand il a fondé l'Institut ; c'est ce que nous sommes appelés à faire maintenant, parce que nous sommes responsables tous ensemble de la refondation de nos communautés, de nos Provinces, de notre Institut.

Dans cette lettre je voudrais saisir l'occasion pour vous encourager sur deux aspects de la fidélité : être hommes d'espérance et hommes de mission tout à fait selon le moule de Champagnat. Ces deux aspects sont particulièrement importants pour aujourd'hui. Nous sommes appelés à être apôtres, à être hommes de mission et en même temps, signes d'espérance. C'est ce qui est bien mis en relief par la lettre des participants à la Conférence Générale :

«En dépit de nos faiblesses et de notre manque de moyens matériels et spirituels, nous sentons le besoin urgent d'évolution, de restructuration et d'innovations courageuses, si nous voulons rester fidèles à notre charisme aujourd'hui et à l'avenir. Nous ne pourrons y arriver que si nous entrons dans un processus de conversion, avec une espérance audacieuse et vivante.

Mes Frères, nous avons senti très fort la présence paternelle de notre Fondateur pendant la Conférence. En voyant comment il avait consacré toute sa vie si radicalement à sa mission, nous recevions, pour notre propre engagement apostolique une énergie nouvelle qui stimulait notre enthousiasme et notre espérance.

Nous voudrions être à votre égard de bons messagers de la grâce que nous avons reçue. Nous ne voulons pas étouffer l'Esprit qui nous a été donné. Nous vous invitons donc à faire du charisme de Marcellin Champagnat une réalité bien actuelle et à conserver bien vivant le dynamisme de votre vocation (C. 171). Puisse Marie, notre Bonne Mère, être avec nous et nous aider à cette réalisation !»

 

Semeurs d’espérance 

HOMMES D'ESPÉRANCE — HOMMES DE MISSION

Dans sa très belle lettre sur l'Évangélisation, Paul VI faisait référence au manque de ferveur, qui «se manifeste en fatigue, désenchantement, compromission, manque d'intérêt et surtout manque de joie et d'espérance» (EN 80). Cette sorte d'ennui peut se glisser peu à peu dans le cœur de tous les ouvriers du Royaume, laïcs, prêtres, religieux, hiérarchie, atteindre toutes les fonctions, tous les ministères. Nous avons tous rencontré des religieux, peut-être des confrères et peut-être notre propre cœur, gagnés par la fatigue, le découragement, le manque de foi, la peur de l'avenir.

Ce sentiment peut se manifester en une foule d'aspects : tension, tristesse, dépression, irritation : et ces états d'âme à leur tour peuvent prendre des aspects variés. Ce peut-être la tendance à se construire, même dans la conformité à l'observance religieuse, un style de vie confortable, commode, avec très peu d'attention au monde des souffrants, des pauvres, des opprimés. Il semble bien que la plupart des Provinces ont quelques Frères qui semblent avoir perdu leur enthousiasme, leur sens de la mission et se sont installés dans une certaine médiocrité de vie.

Parfois ce manque de ferveur apparaît sous forme de fatigue. Des religieux ont une vie engourdie par les nombreuses «petites morts» qui nous ont assaillis ce dernier quart de siècle : des Frères, des amis ont quitté l'Institut, le nombre de vocations a chuté terriblement, la Province s'est retirée de certaines écoles, peut-être, celles où nous avions travaillé bien des années avec succès ; tant de tristesse endurée en silence, sans le réconfort que pourrait donner une saine affliction et une saine acceptation ! Beaucoup aussi prennent conscience qu'ils n'ont plus l'énergie physique et émotionnelle qu'ils ont eue jadis.

Et puis il y en a d'autres qui ont peur de l'avenir. En fait, nous sommes la plupart, sinon tous, un peu effrayés. Un peu comme les apôtres après la nuit du Jeudi-Saint et la journée du Vendredi-Saint ; et pour les mêmes raisons. Y avait-il encore un sens à quelque chose quand on avait vu la marée montante de l'enthousiasme populaire les années précédentes avec cette apogée du dimanche des Rameaux ? Et puis, plus rien.

Non, plus rien, plus de sens à rien … jusqu'à ce que vienne le mystérieux étranger avec ses paroles brûlantes qui redonne sens par cette question mordante : «Ne fallait-il pas que le Messie endure toutes ces souffrances pour entrer dans sa gloire ?» (Luc 24, 26).

Eh bien, comme les disciples nous avons besoin de voir : ce qui nous a causé le plus de peine, ce qui nous a portés peut-être à penser que Dieu nous abandonnait plus ou moins, tout cela faisait partie de son plan mystérieux et il continue autant qu'avant à être impliqué dans notre vie.

Tel est justement le sens de quelques-uns des articles les plus impressionnants de nos Constitutions. Ils peuvent paraître presque trop banals jusqu'au moment où il nous arrive de vivre la situation dont ils parlent :

«Notre vie de consacrés est un cheminement dans la foi ; l'espérance et l'amour.

Jésus a interpellé chacun de nous. Nous avons entendu la parole : «Sois sans crainte.» Nous avons dépassé nos peurs et nos hésitations pour nous engager à sa suite.

Guidés par le Père Champagnat, nous avançons ensemble, jour après jour, le cœur plein de gratitude, encouragés par le témoignage de fidélité des Frères qui nous ont précédés.

Nous pourrons en chemin, connaître le doute, la tiédeur, le dessèchement du cœur et même ses égarements à la recherche de fausses consolations. Nous en sortirons vainqueurs surtout par le recours à Marie et avec, l'aide de nos Frères.

Sûrs de la fidélité de Dieu, nous ne remettons pas en question son appel. Nous ressentons alors la joie de vivre en vérité le don total à Dieu et aux autres» (Const. 46).

Le texte dit : foi, espérance et amour, mais l'accent est sur espérance, voyage, avenir. Il parle de nous en tant qu'individus, mais aussi en tant que membres d'une communauté, d'une Province, d'une Congrégation.

Nous nous sommes effectivement mis en route sans peur ni hésitation à un certain moment de notre vie. Ce qui nous donnait force et confiance c'était d'en voir tant d'autres autour de nous qui s'embarquaient pour le même voyage et d'entendre qu'il y en avait encore des milliers d'autres à travers le monde et que, depuis 1817, il y avait des hommes qui avaient pris le même engagement.

Mais peut-être quelque part sur la trajectoire de notre foi, l'espérance et l'amour ont été durement secoués. C'est justement à ces moments qu'il faut se rappeler le mot de Jésus : «N'ayez pas peur.» Il le répète souvent à ses disciples, justement parce qu'ils ont très peur et qu'ils sont même terrifiés. Et c'est alors aussi qu'il faut se rappeler que le Père Champagnat est notre guide, non seulement dans les moments de croissance triomphante, mais dans ces jours et ces mois sombres qu'il a connus lui aussi, où il semblait que tout et tous se braquaient contre lui, excepté Jésus et Marie ; du moment qu'ils étaient là, il n'avait pas à se tracasser pour le reste. Il faut nous souvenir que les Frères qui ont vécu les jours sombres d'une expulsion, ceux qui ont connu les horreurs d'une guerre civile, ceux qui ont dû partir à l'une des deux guerres mondiales et qui ont passé des années dans les camps de prisonniers, nos Frères de Chine… oui tous ceux- là ont pu rester fidèles parce qu'ils étaient des hommes de l'espérance, et qu'ils savaient que, de quelque façon, le Christ devait souffrir cela en eux et par eux, et que cela faisait partie des «affaires du Père» pour eux.

Qu'est-ce qui empêche le feu de l'espérance de brûler ? Saint Paul le théologien de l'espérance chrétienne, donne cette réponse :

«Nous nous glorifions des tribulations, sachant bien que la tribulation produit la constance, la constance une vertu éprouvée, la vertu éprouvée l'espérance. Et l'espérance ne déçoit point parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous fut donné » (Rom. 5, 3-5).

C'est notre capacité de faire confiance en la parole de Dieu, en la promesse de Dieu qui nous permet d'affronter un présent incertain et un futur encore plus incertain, avec patience et même sérénité. La mystique anglaise, Julienne de Norwich qui, avec Newman est considérée comme le plus grand théologien anglais, fait à ce sujet d'intéressantes réflexions. Elle établit d'abord cette vérité de base : Notre foi n'est rien d'autre qu'une droite compréhension et une confiance assurée que, pour l'essentiel de notre être, nous sommes en Dieu et Dieu en nous, bien que nous ne le voyions pas. Elle va donc au fond du problème : la confiance peut être inconditionnelle. Or pour la plupart d'entre nous, cette capacité de confiance inconditionnelle en Dieu fait défaut, tout simplement parce que nous avons peur… entre autres choses, de Dieu. Et ici Julienne souligne un autre grand paradoxe :

«Si j'ai peur de Dieu, je ne serai pas capable de l'aimer librement. Le seul moyen de perdre la peur de Dieu c'est de reconnaître que j'ai peur de lui Si je ne l'aime pas librement, je ne serai pas capable d'admettre que j'ai peur de lui»

Ce passage fait puissamment écho à une parole de Champagnat. C'est lorsqu'il explique pourquoi il veut que des Frères fassent de la veille du Nouvel An un temps de réparation, et d'action de grâces… Il pose une question un peu passe-partout : Pourquoi y a-t-il si peu de communautés vraiment ferventes ? Et il énumère quatre lacunes habituelles : manque de vie intérieure profonde, ignorance de Notre-Seigneur et des biens infinis que nous possédons en lui, manque de reconnaissance, et il appuie sur le manque d'esprit filial :

On ne connaît pas Dieu, on s'en fait une idée toute erronée, on le regarde comme un maître dur et sévère, on se conduit à son égard comme un esclave, avec des sentiments qui resserrent le cœur, étouffent la piété et l'esprit d'amour (ALS 109).

Le seul moyen d'échapper à ce piège c'est une solide réflexion sur l'action de Dieu dans notre vie, pas seulement les jours de «vin et de roses», mais aussi les jours de tempête, d'éclairs, d'obscurité qui ensuite font place à un lumineux soleil. Refuser de regarder ce côté de la page c'est fermer les yeux à une vérité fondamentale qui galvaniserait notre espérance. Il n'a pas dit : «Vous ne serez pas troublés, vous ne serez pas torturés, vous ne serez pas inquiétés», il a dit : «Ce ne sera pas au-dessus de vos forces.» Julienne savait cela, par expérience, en un temps de grande peur pour l'Église d'Angleterre. Et elle pouvait répéter ce qui est devenu son mot fameux : «Mais tout ira bien, tout ira bien, de toute façon tout ira bien.» Ne sentez-vous pas là aussi l'écho du «quand le monde entier serait contre nous, nous ne devons rien craindre si la Mère de Dieu est avec nous» et aussi du «Nisi Dominus» ? Marcellin et Julienne se seraient entendus instinctivement.

Vivre dans la confiance n'est pas quelque chose que nous pouvons injecter dans notre vie par force de volonté : c'est un don… mais comme pour tous ses dons, Dieu a très envie de nous l'offrir et c'est pour cela qu'il veut que nous le demandions. Ce qui me poussera à demander ce don, ce sera «une bonne mémoire, un cœur et un esprit qui m'auront appris à me souvenir et à réfléchir sur les expériences de ma vie passée et à y trouver la certitude indiscutable d'une Providence de Dieu intime et personnelle» (Ste Catherine de Sienne). Cette aptitude à se souvenir et à réfléchir comme Marcellin le montrait à ses Frères fait appel à l'action de Dieu et de Marie non seulement dans ma vie personnelle mais aussi dans celle de ma communauté et de mon Institut.

Ceci est essentiel, à cause de la responsabilité que nous avons à l'égard du futur, non seulement en tant qu'individus, mais comme groupe. Nul d'entre nous ne vit pour soi seul, nul ne meurt pour soi seul, comme l'a dit St Paul. Si l'histoire doit nous apprendre quelque chose, alors il faut prendre à cœur de modeler l'histoire d'aujourd'hui pour créer l'Église de demain. Charles Péguy nous rappelait naguère : «L'on réfléchit beaucoup sur la foi et la charité, mais l'on ne pense pas que l'espérance est un devoir du chrétien.» Jacques Maritain en était convaincu et, dans les tristes jours de la France déchirée de 1943, il écrivait : «C'est un devoir historique, un devoir envers nos frères et envers les générations futures de conserver solide l'espérance et de ne pas vaciller à la simple vue des nuages qui se forment puis disparaissent à l'horizon.»

Une telle attitude ne naît pas d'un optimisme naïf mais d'un sentiment de confiance en la présence de Dieu dans le monde et dans la vie de chacun. C'était certainement cette attitude qui rendait Marcellin capable de continuer à bâtir et qui rassurait sa petite communauté face à l'opposition presque incessante d'un vicaire général, d'autres prêtres, des créanciers, de la bureaucratie gouvernementale, face aussi aux révolutions, à l'anticléricalisme, à l'impossibilité d'obtenir l'autorisation légale de l'Institut, aux conflits et mésententes avec plusieurs membres de la toute jeune Société de Marie. Sa ténacité en tout ceci annonce un homme qui sait se souvenir de ce que Dieu a déjà fait pour lui, de ce qu'il fera encore, et qui est conscient, suite à une expérience, que ce qui semble d'abord désastre peut vraiment cacher une bénédiction.

Cette attitude constitue une partie importante du sens à donner à ce néologisme des années 1816 : mariste. Être mariste c'est une attitude à devenir des hommes de foi, des hommes d'engagement décidé, des hommes qui portent sur eux l'indication claire de leur mission. Un des grands besoins de la Société contemporaine c'est d'avoir des hommes de ce genre, des hommes de l'espérance, des hommes capables de laisser tomber leurs peurs de l'avenir, des hommes qui veulent lutter contre la tendance à s'installer dans une existence plutôt égoïste, des hommes qui, mettant leur espérance dans la présence de l'Esprit au sein du monde continuent passionnément de se donner à plein pour prolonger la mission de Jésus-Christ.

Cette mission, mes Frères, c'est l'appel à célébrer et à partager cette espérance qui est nôtre, cette espérance qui transpire la Bonne Nouvelle que Jésus a vécue et prêchée. Nous sommes envoyés comme le furent les femmes, partant du lieu de la résurrection, porter la nouvelle de la victoire du Seigneur vers les apôtres blottis dans un coir de la ville : «Toutes émues et pleines de joie, les femmes coururent depuis la tombe porter la nouvelle aux disciples» (Mat. 28, 8). Ici, me : Frères, regardons un peu cette promptitude et cette joie des cœurs : tout émus d'aller partager le message d'une espérance neuve.

Jadis le sort du messager n'était pas toujours aussi heureux et nous imaginons bien les pas chancelants de l'homme qui devait courir annoncer une mauvaise nouvelle. Mais le message que nous apportons, nous est un message qui change le sens et du présent et de l'avenir. Nous vivons, et cette nouvelle vie qui nous habite nous la proclamons à tous les hommes et à toutes les femmes. L'urgence de notre mission ne vient pas d'une obligation : «Vous avez le devoir de répandre le mes sage», mais d'une puissance d'espérance que le message lui-même inspire et qui est irrépressible. Oui l'annonce du Royaume ne peut être tue, elle ne peut être différée : le Royaume est là, tout proche, il vient et déjà il en a, de fait, surpris beaucoup qui ne peuvent le voir, qui I craignent, qui lui résistent ; mais les petits, eux, se réjouissent de sa venue. C'est de cette réalité nouvelle de la victoire du Christ que germe l'enthousiasme pour notre mission marqué du sceau de notre espérance.

Permettez-moi de terminer cette section, avec un des extraits que j'aime le mieux dans la belle encyclique de Paul VI :

«Gardons donc la ferveur de l'esprit. Gardons la douce et réconfortante joie d’évangéliser, même lorsque c'est dans les larmes qu'il faut semer Que ce soit pour nous, – comme pour Jean-Baptiste, pour Pierre et Par pour les autres Apôtres, pour une multitude d'admirables évangélisateur tout au long de l'histoire de l'Église – un élan intérieur que personne rien ne saurait éteindre. Que ce soit la grande joie de nos vies donnée Et que le monde de notre temps qui cherche, tantôt dans l'angoisse, tant dans l'espérance, puisse recevoir la Bonne Nouvelle, non d'évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux mais de ministres de l'Évangile dont la vie rayonne de ferveur, qui ont, les premiers, reçu en eux la joie du Christ, et qui acceptent de jouer leur vie pour que le Royaume soit annoncé et l'Église implantée au cœur du monde» (Evangelii nuntiandi, 80).

SOURCE DE NOTRE ESPOIR

Un paragraphe-clef du passage que je viens de citer est celui-ci : …

«… recevoir la Bonne Nouvelle, non d'évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux, mais de ministres de l'Évangile dont la vie rayonne de ferveur, qui ont les premiers reçu en eux la joie du Christ, et qui acceptent de jouer leur vie pour que le Royaume soit annoncé et l'Église implantée au cœur du monde

Comme dit Saint Pierre :

« Béni soit le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus-Christ : dans sa grande miséricorde il nous a engendrés de nouveau par la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts… Vous en tressaillez de joie » (I P. 1, 3-6).

C'est ce que nous disons pendant la messe : «Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire.» Cette prière exprime notre foi : nous croyons que nous avons part à la vie du Christ ressuscité et que nous entrons dans son mystère pascal. Jésus continue à vivre dans le cœur des croyants. D'une certaine façon il est associé à tout être humain «car l'homme – tout homme sans aucune exception – a été racheté par le Christ, car le Christ est en quelque sorte uni à l'homme, à chaque homme sans aucune exception même si ce dernier n'en est pas conscient». «Le Christ, mort et ressuscité pour tous, offre à l'homme – à tout homme et à tous les hommes – «lumière et force pour lui permettre de répondre à sa très haute vocation» (Redemptor hominis, n° 14).

C'est la présence de l'Esprit dans notre vie, dans le monde qui nous entoure, dans les hommes qui améliorent ce monde. C'est cette présence qui nous remplit d'espérance. C'est cette présence dans sa vie qui rend chacun capable de jouer un rôle de bâtisseur du Royaume quelles que soient ses vues politiques.

Et à cause de sa vie en nous. Christ peut agir à travers nous ; il aime les autres à travers nous, selon des façons auxquelles nous ne penserions jamais, comme Saint Paul nous le rappelle :

«À celui dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir, à lui la gloire dans l'Église et le Christ Jésus pour tous les âges et tous les siècles. Amen» (E ph. 3,20).

Il est certain que les Apôtres et la Primitive Église ont mis longtemps pour digérer toutes les vérités que Jésus avait dites dans son «Testament Spirituel» du Jeudi-Saint, comme Saint Jean nous a conservé quelques-unes de ces affirmations si impressionnantes :

«Celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais et il en fera même de plus grandes» (14,12).

«Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet pour qu'il soit avec vous à jamais» (14,16).

«En vérité, en vérité je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom. Jusqu'à présent vous n'avez rien demandé en mon nom ; demandez et vous recevrez pour que votre joie soit complète» (16, 23-24).

«Je vous ai dit ces choses pour que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez à souffrir, mais gardez courage ! j'ai vaincu le monde» (16,33).

Croire et espérer en ces paroles semble être un grand risque : mon assurance, je la mets dans la fidélité au Christ, à sa promesse, dans la présence de l'Esprit au sein du monde et de ma vie. Mais le risque dynamise, car croire et espérer en ces paroles est une formidable source de courage. L'histoire est pleine d'exemples de gens capables d'affronter la mort pour vaincre le mal, de missionnaires par exemple qui sont partis à l'autre bout du monde porter la bonne nouvelle à des peuples nouveaux. Je pense souvent aux Frères européens qui sont partis en Chine. Beaucoup d'entre eux avaient 19, 20, 21 ans, et habituellement avec l'idée qu'ils ne reviendraient jamais. Par exemple ceux du premier groupe de 1891 avaient 35, 29, 20 et 19 ans.

C'est un courage enraciné dans l'espérance des promesses de Jésus qui a poussé les apôtres à partir prêcher la Bonne Nouvelle au monde entier plutôt que de rester à attendre le second avènement, alors que pourtant ils le jugeaient imminent. C'est ce même courage qui a poussé Marcellin et tant d'autres à établir de nouvelles familles religieuses dans l'Église pour reconstruire sur les ruines ou de la Réforme ou de la Révolution.

Est-ce que ce courage nous pousse à notre tour à faire du neuf, pour l'Église et pour la vie religieuse de l'avenir, en acceptant joyeusement notre rôle de co-créateurs du Royaume ? Ou bien préférons-nous rester assis inconsolables près des fleuves babyloniens du 20ième siècle, déplorant la destruction de nos Jérusalem personnelles et institutionnelles ?

Notre espérance s'enracine dans une foi qui proclame que le royaume divin de justice et de paix peut commencer ici-bas parce que c'est là tout le sens de la résurrection : au lieu d'enlever Jésus au monde, elle l'a mis au cœur du monde.

Passons maintenant à une réflexion sur quelques caractéristiques de l'espérance et voyons comment elles influencent notre sens de la mission.

QUELQUES CARACTÉRISTIQUES DE L'ESPÉRANCE

SÉRÉNITÉ

Une des principales caractéristiques de l'espérance est la sérénité. Si nous sommes convaincus de la présence du Christ et de sa victoire finale, alors, nous serons, malgré tous les ennuis que nous pouvons rencontrer, des hommes de grande sérénité. La sérénité chrétienne n'est pas toujours, ni nécessairement, démonstrative et enthousiaste, mais elle est comme nimbée d'une certaine aura de paix et de joie, qui est un signe certain de la présence de l'Esprit.

Telle est la sorte de sérénité que nous trouvons chez des gens qui – malgré les contraintes et les exigences qu'on exerce sur eux, malgré le fardeau de peine et d'inquiétudes qu'ils endurent et même le danger où ils vivent – rayonnent la vraie paix. Malgré la tempête qui secoue l'océan de leur vie, dans les profondeurs de leur âme où habite Dieu, c'est toujours le calme.

Quelqu'un a exprimé cela en disant :

« Ceux qui possèdent la joie chrétienne la transmettent en donnant aux autres une part à cette paix et à cette sérénité qui émanent d'eux. C'est la joie de quelqu'un qui connaît un secret. Le chrétien connaît un secret et il vit avec la présence de ce secret qui est celui dont parle Saint Paul-«Le secret c'est que le Christ est parmi vous, espérance de gloire» (Col. 1,27).

Hélas, cette joie n'est pas toujours évidente, et un incroyant acerbe du 19ième siècle ricanait en disant : «Si les chrétiens croient vraiment à la résurrection pourquoi ne le voit-on pas sur leur figure ?»

C'est cette paix et cette sérénité que bien des gens voient en Marcellin. Il n'y a pas de difficulté ou d'opposition qui semble capable de l'abattre dans ces profondeurs de l'être où il vit dans la paix avec le Dieu dont il sait que la volonté triomphera en son temps.

C'est le cas par exemple en 1830. Dans le tourbillon de la Révolution son inaltérable sérénité se manifeste de façon frappante. Alors que la plupart des supérieurs ferment séminaires et noviciats et renvoient dans leurs familles leurs jeunes candidats pour les mettre à l'abri, Marcellin maintient l'Hermitage ouvert, continue de recevoir des novices et ne prend qu'une seule précaution «extraordinaire» contre la montée de l'anticléricalisme : il introduit le chant du Salve Regina dans la prière du matin.

Quant à son attitude face à toute forme de convulsion politique ou autre, il l'a exprimée assez clairement en quelques phrases :

«C'est Dieu, dit-il, qui permet tous les événements et les fait tourner à sa gloire et au bien de ses élus ; si nous avons confiance en lui, il ne nous arrivera aucun mal. Personne au monde ne peut nous nuire, ni faire tomber un seul cheveu de notre tête, si Dieu ne le lui permet. Dieu a dit aux méchants : vous irez jusqu'ici, mais pas plus loin.

Il est donc certain que rien ne nous arrivera sans sa permission. En effet les hommes n'ont sur nous que le pouvoir qu'il leur donne, et tout le mal que leur malice peut nous faire, doit tourner à notre avantage

PATIENCE

Avec cette sérénité vient aussi la patience, cette capacité d'attendre, même en travaillant. Peut-être les siècles antérieurs et les civilisations préindustrielles étaient-ils et sont-ils encore plus capables d'attendre que bien des sociétés dans lesquelles nous sommes immergés, où il y a un continuel appel, qui semble aller de soi, à jouir de tout et tout de suite, donc de réaliser la satisfaction de tout désir, et, aussi, comme on commence à nous en prévenir, même si celui-ci est un désir de destruction mutuelle.

Je notais récemment une suggestion de Richard Darman, directeur du budget du Président Bush : «Cette génération, dit-il, est plus intéressée à consommer qu'à créer. Le besoin de construire, de créer pour l'avenir, de bâtir avec acharnement des passerelles entre les générations peut attendre ; on l'a remplacé par les philosophies du «Vous pouvez tout avoir» ou du «Voici l'argent : allez-y».

Au contraire, la patience non seulement implique la capacité de saisir dans son ensemble le rythme essentiel du plan de Dieu, la force de surmonter la tendance à l'agitation anxieuse dès lors qu'on ne voit pas des résultats immédiats, mais aussi le don de savoir quand agir.

Paul VI l'a très bien souligné : «Combien il est important pour les responsables de formation, pour ceux qui sont concernés d'une façon ou d'une autre par le problème de leurs semblables, de savoir quand agir, d'avoir cette «espérance active de ce qu'un autre peut devenir s'il trouve l'aide d'un frère bienveillant» (E. T. 39).

Vous savez, mes Frères, que la patience est un impératif dans l'œuvre délicate d'éduquer les enfants et les jeunes, au fur et à mesure qu'ils se trouvent dans ce monde d'aujourd'hui qui les assaille de toutes ses voix stridentes proclamant diverses séries de valeurs. Il faut être patient avec eux, comme Dieu l'est avec nous.

Une telle patience, aussi, est essentielle pour chacun dans sa propre croissance spirituelle. Un homme d'espérance sera patient non seulement avec les autres, mais avec lui-même. C'est une chose d'avoir l'humilité suffisante pour voir ses propres limites, ses faiblesses, sa fragilité ; mais, il faut aller plus loin, calmer la déception que nous éprouvons de nous-mêmes, nous initier à la gradualité de notre développement et donner au Seigneur le temps dont il sait avoir besoin pour notre conversion : oui, c'est bien là une tâche quotidienne et qui d'ordinaire ne se fait que peu à peu.

Il nous est dur à tous d'attendre, et il y a des temps de notre vie et de la vie de notre entourage où il semble que se gaspille tant de temps et d'énergie et de souffrance, où tant de gens essaient avec tant de zèle de faire tant d'efforts et où rien n'arrive. Il est important alors de se rappeler que le plan de Dieu triomphera, mais qu'il n'a jamais promis que ce triomphe aurait lieu pendant notre vie.

Voici un texte du cardinal Suenens :

«L'espérance se moque de nos impressionnantes statistiques, de nos tableaux de probabilités, de nos pronostics sur l'avenir ; elle va son chemin malgré nos prévisions : Vos pensées, dit le Seigneur, ne sont pas mes pensées ; mes voies ne sont pas vos voies » (Is. 55,8).

L'espérance est la fille d'un Dieu qui refuse d'être classé et qui sait renverser les obstacles en faisant d'eux ses serviteurs. Qui aurait pensé à la transformation de l'Église d'Amérique Latine ?, qui aurait prévu le mouvement charismatique et d'autres mouvements dans l'Église ?, qui aurait prophétisé le développement des communautés chrétiennes ? Nous ne sommes pas seuls dans les entreprises évangéliques.»

J'ajouterais : Qui aurait cru, il y a quelques mois, qu'ici à Rome, Mikhaïl Gorbatchev non seulement irait voir le Pape mais qu'il lui dirait : «Le respect pour l'identité d'un peuple en tant que nation, état, convictions spirituelles et culturelles, est une condition indispensable pour créer un environnement international stable. L'Europe et le monde en ont besoin maintenant pour franchir la ligne de partage des eaux que leur a léguée l'histoire et arriver à une période de paix. Des gens de confessions diverses : chrétiens, musulmans, juifs, bouddhistes et autres vivent en URSS. Ils ont tous le droit de satisfaire leurs besoins spirituels

AUDACE

Certains Frères sont surpris quand je parle d'audace, de hardiesse, d'initiatives hardies comme étant signes d'un vrai charisme.

Or voici ce qui est dit au N° 12 de «Mutuae relationes» :

«Le caractère charismatique de tout Institut exige, du fondateur comme de ses disciples, une vérification continuelle de fidélité au Seigneur, de docilité à son Esprit, d'attention intelligente aux circonstances et aux signes des temps, de volonté d'insertion dans l'Église de disposition de subordination à la hiérarchie, d'audace dans les initiatives, de constance dans le don, d'humilité pour supporter les contretemps

Si vraiment nous croyons en Dieu, si nous pensons à sa présence avec confiance, cela nous amène à jouir d'une sérénité qui nous donne liberté et courage pour être audacieux, pour oser.

Je ne parle .pas ici de l'audace d'un tribun aux yeux égarés, mais de celle d'un homme assez courageux pour prendre des risques quand l'Esprit le sollicite. Cette forme d'audace apparaît fréquemment avec évidence dans la vie du Fondateur et aussi dans les décisions de ses successeurs.

Je repense souvent au petit groupe qui s'est embarqué en 1871 pour les trois mois de voyage en direction de Sydney. Il devait bien y avoir des langues pour blâmer ces supérieurs qui envoyaient si loin des gens qui seraient bien mieux employés chez eux, et qui mêlaient des nationalités si diverses : un Français, deux Irlandais, un Écossais.

Mais ce genre d'audace a réussi en bien d'autres circonstances de l'histoire de l'Institut.

Un des grands dangers de notre temps depuis que nous sommes un groupe âgé, c'est de nous installer – pas seulement au point de vue physique, ce qui peut arriver et peut être un grand risque aussi – mais bien plus sérieusement dans le sens psychologique : j'ai terminé ma vie de travail, ne venez pas me déranger maintenant, etc. …

Vous imaginez Saint Pierre s'installant et ne voulant plus être dérangé, disant à Paul et à la communauté chrétienne qu'il a 60 ou 65 ans ou ce que vous voudrez, donc que sa mission est achevée et qu'il a bien mérité sa retraite !

Dans la Bible, Marie disparaît après la Pentecôte, mais nous pouvons être bien certains qu'elle a conservé un intérêt aigu pour l'Église par l'apostolat de la prière et de l'encouragement. Et il y a là toute une interpellation pour nos Frères âgés : quand viendra le temps où nous devrons réduire notre activité et quand nous nous sentirons appelés à ce qui peut être l'apostolat le plus important de toute notre vie (prière et souffrance) il faudra nous lancer dans cet apostolat d'un cœur joyeux et serein.

Des Frères qui avaient été comblés d'une merveilleuse santé ont su devenir des exemples extraordinaires d'adaptation en s'aventurant hors de la zone habituelle de leur savoir-faire, hors de l'apostolat qu'ils avaient exercé bien des années. Je pense par exemple à un bon nombre de Frères qui sont partis en Afrique quand l'âge ne leur permettait plus d'enseigner dans leur propre pays. Je suis sûr que beaucoup leur auraient conseillé de réfléchir, d'être prudents : il y avait leur âge, la barrière linguistique et culturelle, sans parler des dangers pour la santé, etc. … Et en fait, tout s'est très bien passé. Evidemment il n'y a pas besoin de quitter son pays pour faire quelque choix du même ordre, mais parfois un changement significatif peut survolter quelqu'un. Il peut nous donner, et pour la vie, une chiquenaude qui nous sort des routines, où nous avons glissé et où s'éteignait peu à peu toute passion de notre vie.

Un autre aspect important de cette audace, c'est notre volonté de proclamer publiquement l'Évangile ou en paroles ou par le témoignage. Il y a un an, le cardinal Suenens parlait de la hardiesse du discours comme d'une caractéristique biblique. Il sentait bien que le chrétien occidental d'aujourd'hui est très timide pour déclarer ce qu'il est. Il vit presque comme s'il pensait que le message doit être inoffensif. Il a les paroles, mais il ne sait pas les dire. Par ailleurs peut-être aussi a-t-il peur d'être ridicule.

Et le cardinal rappelait la réplique de Bernadette au préfet de police qui lui disait que jamais elle ne lui ferait croire à sa vision : «La dame ne m'a pas demandé de vous le faire croire, mais de vous le dire.»

Le même cardinal Suenens dit aussi dans son livre, Une nouvelle Pentecôte :

«Il est temps de changer notre vocabulaire, cesser d'appeler «prudence» ce qui est peur, et «sagesse» ce qui est hésitation à accomplir l'Évangile».

La fidélité de certains Frères à faire la catéchèse et à donner une éducation religieuse est vraiment hors ligne. Et pourtant Dieu sait si ce ministère peut être éprouvant parmi certains groupes d'étudiants et de jeunes. Certaines circonstances sont un vrai défi à notre créativité et j'ai une vraie compassion pour les Frères qui doivent exercer là un ministère réclamant un courage et une fidélité extraordinaires. Je ne vais pas vous dire que nous avons tous reçu le don et les moyens de proclamer l'Évangile de façon directe ; mais il y a d'autres appels si nous sommes attentifs pour les reconnaître. Les gens sont touchés si un Frère donne le témoignage de sa vie, même avec des mots embarrassés et hésitants : cela aussi peut être la Bonne Nouvelle.

Chez le Père Champagnat on voit cette passion, ce feu de l'Esprit qui s'empare des saints et presque littéralement les ravit hors d'eux-mêmes. Mais notre grande tentation à tous c'est de résister à ce mouvement d'abandon de nous-mêmes aux mains de Dieu, ce mouvement auquel les Apôtres ont au contraire bien su se livrer le jour de Pentecôte. Pas étonnant alors que la foule entendant les cris de louange et d'action de grâces qui venaient d'un groupe si peu communicatif d'hommes et de femmes, ait haussé les épaules et les ait taxés d'ébriété. Dans un sens bien réel, à vrai dire, ils étaient ivres… de la joie d'être possédés par la puissance irrésistible de Dieu, cette puissance qui seule donne tout son sens à la vie, même quand cette vie semble la plus insignifiante, voire la plus futile.        

Pour le groupe du Cénacle, tout s'est produit en un instant ; pour la plupart d'entre nous, au contraire, l'évolution est très graduelle, même s'il y a peut-être des moments très forts, qui sont comme des flashes de l'Esprit agissant en nous.

CRÉATIVITÉ

L'espérance chrétienne est aussi puissamment créative. Une fois que nous avons mis totalement notre confiance en Dieu, notre énergie en est intensifiée pour nous surpasser au service des autres. A ce moment aussi, nos propres besoins et la pression de la société deviennent moins dominants.

Par nature nous sommes portés à nous replier sur nous-mêmes, à être obnubilés par nos propres besoins, consciemment ou inconsciemment, à nous couper du monde environnant qui pourtant a besoin de ce que nous pouvons lui apporter. Mais en réfrénant cette tendance nous nous libérons et nous libérons notre puissance de créativité et de création.

Il y a une lecture du bréviaire au samedi-saint qui me frappe beaucoup. L'auteur imagine Jésus descendant à l'Hadès où il rencontre Adam. Il le prend par la main et lui dit :

«Sors, toi qui dors. Réveille-toi d'entre les morts et le Christ sera ta vie. Je ne t'ai pas créé pour que tu sois prisonnier des ténèbres. Debout, ô homme, œuvre de mes mains ! Debout et nous quitterons ce lieu parce que toi en moi et moi en toi, nous sommes ensemble une seule personne indivisible

Est-ce que je crois vraiment ceci ? Ce serait suffisant pour me réveiller à mon tour et libérer en moi quelque chose de la force créatrice de Dieu, que je laisse stagnante et inopérante.

Si nous croyons que l'Esprit nous appelle, nous conduit, nous invite à participer avec Lui à la création, si nous croyons en Jésus, comme à une présence dans notre vie, il faut être logiques et croire que nous sommes passés à une nouvelle vie, où s'exerce un nouveau pouvoir, un pouvoir libérateur, un pouvoir créateur.

Un autre aspect de l'espérance créative c'est l'éveil aux signes de la nouvelle vie, ces signes de l'Esprit à l'œuvre autour de nous, dans l'Église, dans la vie religieuse, et spécialement dans notre Institut. Bien des semences ont été plantées depuis Vatican Il ; certaines ont bien poussé et pris de solides racines ; d'autres sont encore inertes attendant patiemment des averses et un soleil éventuels. Mais il est évident pour qui que ce soit qui veut voir avec les yeux de la foi et de l'espérance, parmi et malgré tous les développements apparemment négatifs de ce dernier quart de siècle, qu'une masse de réalisations bonnes, positives, pleines de vie se sont déjà produites.

 Dans le cas de notre Institut, un des signes le plus clairs de ce renouveau c'est notre connaissance croissante du «vrai» Père Champagnat, sa vie, son caractère, sa personnalité, sa spiritualité et son charisme. Et cette connaissance a amené bien des jeunes à travers le monde à penser à la vocation mariste, et a redonné à bien des Frères un nouveau courage et un nouvel enthousiasme pour relever les défis d'aujourd'hui et de demain.

Un autre développement très significatif est celui du Mouvement Famille Mariste. Nous avons pu voir bien des jeunes décidés à chercher quelque forme d'affiliation avec les Frères et qui ressentaient envers eux un attachement spécial, même s'ils n'étaient pas capables de formuler leur désir à la manière dont ont su le faire les «Animateurs» longuement cités plus haut. On les trouve dans ces milliers qui ont été mis en contact avec une présentation de Champagnat : nos élèves, anciens élèves, leurs parents, ceux qui nous sont associés dans notre apostolat, tous ceux qui ont fait jadis partie de l'Institut et conservent des liens d'unité assez étroits avec nous et avec l'esprit de Champagnat sentimentalement et spirituellement. Pensez un peu à l'énergie apostolique qui peut être mise en valeur par une telle multitude, quand elle est libérée au nom du Christ ressuscité et de son Esprit, sous la protection et la conduite de Celle qui est la Bonne Mère de nous tous.

COURAGE

 L'espérance chrétienne sera une espérance courageuse, parce qu'elle est basée sur la fidélité de Dieu et qu'elle nous invite à suivre Jésus.

Ici encore nous avons en Marcellin Champagnat un exemple bien digne d'être contemplé. Voyez-le qui maintient sa décision de suivre sa vocation malgré les difficultés qu'il a pour ses études et son adaptation à la vie du séminaire. Plus tard il insiste sur l'idée d'une branche de Frères enseignants dans la Société de Marie, malgré l'indifférence des autres à cet égard. Ses efforts pour réformer la paroisse de La Valla face aux résistances un peu passives, un peu agressives du curé, seront héroïques. Pendant des années il devra lutter pour établir l'Institut, malgré le manque d'argent, de vocations, les difficultés d'approbation tant au plan civil qu'au plan ecclésiastique. Il ne se laissera pas intimider par les hommes d'Église, qu'ils s'appellent Bochard ou Courveille, ni par les hommes du gouvernement qui lui refusent l'autorisation légale.

Il sait résister aux suggestions qui lui sont faites maintes fois d'unir ses Frères à quelque autre congrégation autorisée. Et il reste serein non seulement face à des événements comme la Révolution de 1830, mais aussi et spécialement face à la mort qui se présente à lui alors qu'il reste tant à faire.

Tout cela est une leçon que ses successeurs ont bien apprise : ils ont conduit l'Institut à travers maintes crises après 1840 : l'expulsion des religieux français en 1903, la révolte des Boxers en Chine peu après, puis la persécution sous Mao, les horreurs de la Guerre Civile en Espagne, puis les deux guerres mondiales avec la mobilisation qu'elles impliquaient.

Il serait bon pour nous, en ce moment de notre histoire, d'écouter les paroles de notre Fondateur, lors d'une des crises les plus graves : sa maladie de 1825. Vous vous souvenez qu'en ce temps-là, Monsieur Courveille faisait des efforts insensés pour conquérir autorité et titre, et que la plupart des Frères, découragés, étaient sur le point de tout abandonner. Ce n'était guère le moment où il aurait pu rêver de l'expansion étonnante que réservait l'avenir. Mais ce qu'il savait – et c'était pour lui le seul point important – c'est que son Dieu était un Dieu fidèle qui n'abandonne jamais ceux qui s'abandonnent à sa Providence aimante.

Après la maladie qui, en 1825, le conduisit au bord de la tombe, ayant appris que les Frères s'étaient laissés aller au découragement dans cette triste circonstance, que plusieurs même avaient projeté de se retirer, et que tous regardaient la Congrégation comme anéantie, si l'on avait eu le malheur de le perdre, il fut extrêmement affligé de ce défaut de confiance en Dieu. Le jour même où il apprit la chose en détail, il réunit la communauté et lui adressa de paternels reproches : « Mes chers Frères, s'écria-t-il, quand aurons-nous des sentiments dignes de Dieu ? Ne nous a-t-il pas donné assez de preuves de sa bonté pour nous apprendre à compter sur sa Providence ? Nous a-t-il laissé manquer du nécessaire depuis qu'il nous a retirés du monde ? N'est-ce pas lui qui a fondé cet Institut, qui nous a fourni les moyens de construire cette maison, qui nous a multipliés et qui a béni nos écoles ? Quelqu'un de vous peut-il se présenter et dire que Dieu a manqué de le secourir depuis qu'il s'est donné à lui ?

Si personne ne peut se plaindre de sa bonté, pourquoi lui manquer de confiance dans l'épreuve, pourquoi douter de l'avenir de cette congrégation et la croire perdue, quand il lui plaira de retirer l'instrument dont il s'est servi jusqu'ici pour la conduire ? Cette communauté est son œuvre ; il n'a besoin de personne pour la soutenir, il la fera réussir sans les hommes et malgré les hommes. Ne l'oublions jamais : Dieu n'a besoin ni de nous ni de personne. Si nos sentiments et nos pensées sont toujours terrestres, nous finirons par nous détacher de cet institut et par perdre notre vocation ; mais d'autres prendront notre place ; Dieu les bénira, parce qu'ils seront plus fidèles, et par eux il continuera son œuvre» (Vie, 300-301).

Ce que l'avenir réserve aux Frères Maristes est caché dans l'Esprit de Dieu, comme c'était le cas du temps de Marcellin Champagnat. La leçon pour nous est claire : ce qui est important et qui devrait être le pouvoir motivant de nos attitudes et de nos actions dans les années qui viennent, ce n'est pas la peur, c'est cette certitude que nous avons la plus enracinée et à laquelle nous pouvons le plus nous attacher dans la foi et l'espérance : notre Dieu, le Dieu de Marcellin Champagnat est un Dieu fidèle et aimant.

Comme Marcellin, nous avons le privilège de comprendre le pouvoir irrésistible contenu dans les simples mots d'une fille juive sans renom et de les répéter à notre tour, convaincus qu'ils sont la clé du mystère de la Rédemption dans notre monde : «Qu'il me soit fait selon ta parole.»

Il y a quelques années, le Père Arrupe, alors Supérieur Général des Jésuites, disait : «Si nous voulons vivre cela au sérieux – parlant de la décision de leur Chapitre Général de travailler à la promotion de la justice – alors nous aurons des martyrs.» Je viens de faire allusion aux six jésuites massacrés au Salvador. Ces hommes savaient qu'ils étaient les premières cibles des escadrons de la mort et ils avaient reçu des menaces de mort. Ils ne sont pas restés à espérer simplement que rien ne se passerait. Il peut se faire que cela ait été une partie de leur espérance mais leur espérance plus profonde était que, tués ou non, leur mort ou leur vie seraient employées par Dieu pour bâtir une société plus juste, pour bâtir son royaume.

Le martyre est devenu une expérience commune de notre époque pour évêques, prêtres, religieux et tout particulièrement pour laïcs. A Veranópolis, un des Provinciaux me parlait d'une femme réfugiée qu'il avait rencontrée dans une résidence des Frères au Guatemala. Son mari était «disparu» (entendez : tué). Elle est dirigeante d'une communauté de base chrétienne. Elle vit en sachant bien que, elle aussi peut disparaître, étant donné qu'une quelconque activité qui se présente comme un mouvement en faveur des droits de l'homme tombe sous la menace. Mais elle continue, dans l'espérance.

Un autre Frère était récemment membre d'un groupe qui visitait une communauté de base chrétienne au sud des Philippines et il était reçu chaleureusement par le dirigeant de la communauté ; trois jours plus tard cet homme était abattu devant la chapelle du quartier par une milice privée (groupes armés associés aux militaires). Des centaines de catéchistes et de dirigeants civils ont été tués dans ce pays et en Amérique latine.

Un mot encore au sujet de l'espérance courageuse manifestée par le directeur laïc de la Commission des Droits de l'Homme. Il a déjà été arrêté et torturé. Il a reçu de nombreuses menaces de mort. Son prédécesseur, une femme, avait été torturée, écartelée. Pourquoi continue-t-il encore ? Parce qu'il est convaincu que le Seigneur le veut là à cette tâche de préparation d'un monde meilleur.

Maintenant, attention. Il ne faut pas penser au courage seulement en termes extraordinaires ou héroïques. Nos Constitutions parlent d'un courage qui consiste à être proche des jeunes dans la réalité de leur vie «allant avec hardiesse dans des milieux peut- être inexplorés où l'attente du Christ se révèle dans la pauvreté matérielle et spirituelle (C. 83), prenant des décisions courageuses peut-être inédites (C. 168), apprenant de Marie une obéissance lucide et courageuse (C. 38).

Pour la plupart d'entre nous, le courage ne sera pas une vertu théâtrale mais plutôt cette fidélité de chaque jour à vivre l'Évangile et à l'annoncer, —le courage par exemple d'un Frère qui va en classe jour après jour, sachant bien le rejet que lui manifestent les élèves indifférents, mal disposés, blessés par des situations familiales ou sociales et toujours plus ou moins en révolte— la fidélité aussi du Frère qui, malgré un échec apparent, transmet le message chrétien et continue à faire son noble travail, dans la patience, l'amour et le courage. Chaque jour, notre apostolat nous sollicite par des moyens grands ou petits à être les hommes d'une espérance courageuse.       

LE MYSTÈRE PASCAL

La base de notre spiritualité est la fidélité de Dieu, son amour pour nous. Notre espérance suppose aussi notre fidélité à Dieu, et la seule route qui y mène est la route de Jésus, cherchant la volonté du Père. Constamment il a dû faire des choix dans sa vie et son ministère de chaque jour. Ces choix étaient des décisions courageuses dictées par la volonté de rester absolument fidèle à son Père qu'il connaissait, qu'il aimait, qu'il servait.

Dans ce contexte il faut bien se souvenir que Dieu ne nous appelle pas à réussir. Il nous appelle à être fidèles. C'est dangereux d'être un homme braqué sur le succès ; si nous sommes prioritairement motivés par le désir du succès, il nous arrivera plus d'une fois de choisir des moyens qui ne sont pas ceux du royaume et qui même nous cachent le royaume. De toute évidence, Jésus était un fruit sec pour les dirigeants de sa société, tant civile que religieuse, puisqu'ils avaient rejeté la vision de Dieu donnée par Jésus, en faveur de la leur. Mais Jésus a maintenu sa position de parfaite fidélité au Père et à la mission que le Père lui avait donnée : dire et vivre la vérité ; et c'est cette fidélité qui l'a amené à questionner la structure du pouvoir à son époque, et à en accepter les conséquences : échec, rejet, croix.

Inévitablement la recherche incessante de la volonté du Père aboutit à la croix et donc au mystère pascal. Le moment même qui marque le dernier degré de la dégradation de Jésus et son échec, marque aussi la réalisation de son triomphe et de sa libération. La croix introduit Jésus dans une nouvelle vie et nous avec. La croix est inséparable de notre amour au Père et de sa mission, tout comme elle l'était pour Jésus : «Nous cherchons en tout l'accomplissement de la volonté du Père, nous unissant ainsi au mystère pascal de son Fils (C. 36).

La croix est une partie de notre vie ; aussi la portons-nous comme notre signe d'adhésion au Christ dans sa fidélité au Père, même si elle signifie souffrance, et aussi comme un signe de libération, la nouvelle vie étant acquise pour nous et pour tous comme une victoire du Christ.

Et, dans l'eucharistie nous nous joignons à Jésus, et, avec lui nous nous remettons au Père pour sa mission : «Ainsi, nous nous identifions peu à peu à Jésus qui s'offre continuellement au Père et, comme lui, nous livrons notre vie pour les autres» (C. 69).

Là où est Jésus sur la croix, là est aussi Marie, modèle de l'espérance courageuse. La présence en ce lieu est un signe de sa fidélité à l'engagement qu'elle a pris à l'Annonciation. Elle est type pour l'Église, pour une Église qui veut rester fidèle à l'intégrité de sa mission. C'est dans cet esprit qu'elle a accompagné les premières communautés chrétiennes et aujourd'hui elle continue d'accompagner toutes les communautés chrétiennes qui luttent dans l'espérance du Royaume à venir.

Paul VI a très bien exprimé cette idée dans Marialis cultus :

« Cette union de la Mère avec son Fils dans l'œuvre de la Rédemption atteint son sommet sur le Calvaire, où le Christ «s'offrit lui-même sans tache à Dieu» (He 9, 14) et où Marie se tint auprès de la croix (cf. Jn. 19, 25) «souffrant cruellement avec son Fils unique, associée d'un cœur maternel à son sacrifice, donnant à l'immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour» et l'offrant, elle aussi, au Père éternel. »

Lors de ma première visite à la merveilleuse basilique de Notre-Dame de Guadalupe, à Mexico, cette immense église était pleine de monde. On voyait que la plupart étaient des simples, des pauvres. Je me demandais quelle idée ils se faisaient de Marie : comme quelqu'un qui comprend leurs difficultés et leurs douleurs, quelqu'un qui a elle-même souffert l'humiliation, l'exil, et puis le martyre au pied de la croix ? Sachant que leur foi était si riche, leurs intuitions si fortes, je les imaginais comme ayant dans leur vie le sens de l'espérance parce qu'ils sont unis à Marie au pied de la croix ; peut-être ont-ils compris que leurs souffrances, comme celles de Jésus et de Marie, étaient rédemptrices avec ce sens précis : leurs sacrifices pour leurs enfants et leurs familles étaient liées à celles de Jésus et de Marie et elles pouvaient aider à faire pénétrer la Royaume dans la vie de ceux qui leur étaient chers.

Nous aussi nous nous joignons à Marie au pied de la croix unissant aux souffrances de Jésus notre peine et notre difficulté à comprendre, mais avec la confiance que le Père peut tirer du bien, peut tirer de la vie de cette souffrance, en faisant de nous des messagers d'espoir, de vie nouvelle, d'une vie nouvelle pour nous et pour d'autres.

ESPÉRANCE AUTHENTIQUE

Une caractéristique importante de l'espérance chrétienne c'est son authenticité. Il y a toute une gamme d'espérances qui peuvent se présenter à nous avec le label d'espérances chrétiennes et qui sont ou de fausses espérances ou des espérances limitées ou des espérances au rabais.

Je crois qu'il faut dire un mot de ces espérances parce qu'elles affectent probablement une part de notre vie à tous, même si nous employons d'autres mots pour les désigner. Nous avons besoin de purifier nos espérances par une vision plus christocentrique.

Espérances-fuite

Nous sommes tous portés vers cette sorte de tranquillisant qui détourne l'attention et l'énergie du vrai problème du jour présent et d'une certaine façon, réduit notre possibilité de résoudre ce problème. Des chrétiens ont souvent été critiqués parce que leur sens de l'espérance serait basé sur des attentes hors de ce monde qui les excuseraient de lutter contre les injustices actuelles. Karl Marx a fait la critique devenue classique de cette attitude dans sa célèbre définition de la religion comme «le soupir de la créature oppressée, l'opium du peuple».

C'est une espérance-fuite qui nous mène parfois à montrer une incroyable résistance à la réalité qui nous crève les yeux. Nous préférons nous accrocher à nos chères illusions : par exemple, il n'y a pas de raison de nous retirer de certaines écoles même si le personnel et les ressources financières son de toute évidence insuffisantes pour les maintenir ; ou bien : si nous pouvions trouver la formule adéquate restaurer quelques structures qui dirigeaient la vie religieuse du passé, les jeunes reviendraient en troupes dans nos maisons ; ou bien ; si le Provincial voulait me placer dans une autre école, ou le directeur me donner une autre classe, tous mes problèmes seraient résolus.

Espérances non authentiquement spirituelles

Certaines espérances sont apparemment spirituelles, mais peuvent ne pas être cohérentes avec l'espérance chrétienne. Je me demande parfois si la manière dont certains prient pour demander des vocations et parlent du manque de vocations ne révélerait pas une attitude dépourvue d'espérance chrétienne. Ce qu'ils veulent, en effet, c'est que Dieu soit d'accord avec leurs attentes et réalise leurs solutions pour le problème de la vocation en ce temps, en cette direction, en ce lieu.

Évidemment cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas prier pour les vocations, qu'il ne faut pas faire tout notre possible pour en avoir, grâce à des programmes bien pensés. Hélas, malgré leur importance ceux-ci n'existent pas encore en plusieurs Provinces.

Nous sommes humains, et, dès lors, me semble-t-il, nous sommes tous portés à «espérer» que, d'une façon ou d'une autre, les choses s'arrangeront dans notre vie spirituelle, que nous nous rapprocherons de Dieu, surmonterons nos mauvaises habitudes, deviendrons davantage des hommes de prière, tout cela par quelque «don de Dieu», sans avoir à faire le genre d'effort que nous savons bien être nécessaire, sans abandonner certaines attaches, sans nous ouvrir davantage à l'action de l'Esprit.

Espérances centrées sur mon moi

Il se peut aussi que nous ayons quelques espérances très égoïstes, d'un égoïsme peut-être très subtil, qui visent surtout à construire et à maintenir nos propres petits empires. Pour la plupart, ayant été enseignants, nous avons vu, par exemple, le genre d'«espérance» que les parents ont parfois pour leurs enfants, des «espérances» qui servent vraiment à combler l'ambition des parents plus que les besoins de l'enfant et qui, en fait abîment parfois la vie de ces enfants. Or il se peut que nous ne soyons pas exempts d'une telle attitude. C'est par exemple le cas de l'«espérance» de recevoir telle nomination, telle place, ou bien de pouvoir faire telles études et d'obtenir tels titres.

Au niveau collectif on peut avoir des maisons d'éducation dont les critères de succès ont très peu à voir avec l'Évangile et qui font une publicité très éloignée de l'idéal mariste d'humilité, simplicité et modestie.

Espérances tortueuses

Parfois nos espérances peuvent être tellement colorées par le retour sur soi que nous ne nous rendons même pas compte que leur but ne peut être atteint sans nuire à quelqu'un d'autre.

Les Actes des Apôtres nous racontent l'histoire déconcertante d'Ananie et de sa femme qui probablement voulaient vraiment soulager les besoins des pauvres, mais seulement grâce à une tromperie qui leur permettrait de jouir encore d'une situation confortable.

La nature humaine n'a pas changé, comme nous le montre ce fragment d'une lettre pastorale de la Conférence des Évêques d'Afrique du Sud en 1986 :

«Notre espérance chrétienne peut aussi libérer les groupes privilégiés de notre société de leurs espérances tortueuses, comme par exemple l'espérance de conserver de quelque façon leurs pouvoirs et leurs privilèges et en même temps satisfaire les justes demandes de leurs frères souffrants. Une telle espérance n'est pas droite puisqu'on ne voit pas comment elle pourrait se réaliser sans nuire à la justice (2, 11).

La vraie espérance chrétienne

En tout ceci le problème c'est que parfois nous avons tous besoin que nos espérances se laissent interpeller par la réalité d'une vision christocentrique. Oui, parfois nous avons tous besoin de buter contre une de ces réponses cassantes comme Jésus sait en donner aux trop ardents et trop ambitieux fils de Zébédée : «Vous ne savez pas ce que vous demandez» (Marc 10,38).

Et je peux encore reprendre la lettre pastorale des évêques d'Afrique du Sud :

«Notre espérance chrétienne peut nous donner la force de nous élever même au-dessus d'espérances qui sont tout à fait légitimes mais de moindre valeur. Il arrive que ces espérances ne soient pas comblées. Et alors si nous y sommes tellement attachés que nous en faisons la seule attente qui ait sens pour nous, il pourra bien se faire que nous expérimentions les ténèbres du désespoir. Mais si notre espérance passe au-delà, alors nous trouverons la force de faire face à une telle éventualité » (2, 12).

Dès que nous nous sommes ouverts à l'onction de l'Esprit sous l'impulsion de qui Jésus a été envoyé par le Père pour apporter la vie au monde, par sa mort et sa résurrection ; dès que nous avons intériorisé le Mystère Pascal, nous pouvons marcher au pas de Jésus et travailler à construire le Royaume de Dieu, comme le disent si bien nos Constitutions (C. 12).

CONCLUSION

L'article 46 de nos Constitutions, que j'ai cité plus haut en entier, nous offre de manière concise bien des idées que j'ai développées dans cette circulaire. Il peut donc servir comme foyer autour duquel tout se concentre en forme de conclusion. Ses mots-clefs sont «cheminement», «suite», «sortir vainqueurs», «vivre en vérité», et tous soulignent que l'espérance chrétienne est une réalité dynamique et vitalisante. C'est un élément essentiel dans une création en marche, qui vient de Dieu, s'enracine en Christ, s'appuie sur Dieu. Pas d'autre explication que celle que saint Pierre suggérait déjà aux premiers chrétiens il y a 20 siècles :

«Soyez toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous. Mais que ce soit avec douceur et respect, et en possession d'une bonne conscience» (1 Pi 3, 15).

Au contraire, la peur, le découragement, l'apathie sont des attitudes qui inhibent, qui paralysent, ou qui peuvent parfois nous amener à tourner notre confiance vers toutes les formes de «petites espérances» égoïstes : l'attente des prochaines vacances, du match du week-end, du film qu'on va voir, etc. … Il y en a qui vivent ainsi sautillant d'une petite attente à une autre petite attente, avec un engagement apostolique très mince.

L'espérance chrétienne devrait être un ferment dans la société. Mais bien trop souvent les chrétiens deviennent des lions très apprivoisés, avec un idéal dilué dans les impératifs sociaux et la culture qui les environnent, le ferment agissant en sens contraire.

Heureusement il y a autour de nous des exemples de chrétiens dont la foi a été assez forte pour les rendre capables de nager à contre-courant, de les maintenir dans l'espérance, de travailler à la réalisation de cette espérance, même quand, autour d'eux, on disait qu'ils perdaient bien leur temps et leur peine.

Mandela vient d'être libéré et quelle joie ce fut pour le peuple africain ! Un autre héros a grandement contribué à l'avenir de ce pays : c'est un blanc, Beyers Naude, pasteur sud-africain, bien connu de plusieurs Frères. En 1986, il recevait le prix Robert Kennedy des Droits de l'Homme. Mais en 1977 ; il avait été «banni», ce qui voulait dire qu'il ne pouvait ni prêcher, ni écrire, ni être cité dans la presse, ni quitter sa région natale, ni parler à plus d'une personne à la fois. Il choisit donc d'exercer le ministère d'«accompagnement pastoral» et il avoue que cette période est devenue une des plus fructueuses et des plus enrichissantes de sa vie.

C'est un homme qui a un sens profond de l'espérance et du pouvoir de l'espérance. Dans une interview donnée en 1988, alors que le bannissement avait été levé, on lui demanda si sa vision d'une Afrique du Sud plus libre, égalitaire et juste n'était pas simplement «un rêve impossible». Il répondit : «Rêve impossible» ? Pourquoi «impossible» ? Je ne vois pas pourquoi c'est impossible. Les gens ne voient pas pourquoi ce serait impossible. Donc c'est possible.

Et maintenant qu'il peut à nouveau prêcher, il dit : «Courage, Frères et Sœurs. Christ nous dit ce matin : «Je suis venu pour que vous ayez la vie, et la vie en abondance.» C'est une promesse pour cette vie. Une promesse pour toute la vie. Une promesse pour la vie éternelle. Amen.»

Nous pourrions tirer profit à nous demander si nous partageons le même enthousiasme pour l'avenir face à ce qui s'est passé dans l'Église et dans la vie religieuse ces vingt dernières années. Pour nous limiter à notre famille religieuse, nous sommes tombés de presque 10.000 Frères à un peu plus de 6.000. Qu'est-ce que cela signifie pour nous ? Pour certains l'avenir est sombre. Pour d'autres, cette traversée du désert est une épreuve mais une épreuve vivifiée par l'espérance, l'espérance que, à travers cette épreuve, Dieu tirera une nouvelle vie par des moyens que nous ne pouvons jamais voir, des moyens que nous ne pouvons jamais imaginer et parfois aussi des moyens que nous voyons très clairement —si nous avons des yeux pour voir— des moyens qui purifieront nos rêves et nos fausses espérances.

Assez curieux en tout cas, ce résultat de la diminution du nombre des religieux en quelques pays : il a mis plus fortement l'accent sur le rôle de la vie religieuse dan l'Eglise. Jusqu'ici c'était la dimension travail qui primait : service des religieux dans l'éducation, auprès des malades, etc. … par le moyen d'institutions. Le Pape Jean-Paul Il le disait à une assemblée de religieux : «Les gens vous apprécient pour ce que vous faites, mais votre vraie valeur réside en ce que vous êtes.»

Eh ! oui, dans le passé, notre action était vue comme notre plus importante contribution à l'Église, et maintenant c'est un autre aspect qui rend notre vie religieuse plus lumineuse : sa fonction prophétique, cette dimension de témoignage que suppose notre vie à la suite du Christ.

Évidemment cela a toujours fait partie de notre vie, mais maintenant l'accent est là-dessus plus intensément. La valeur de la vie religieuse ne réside vraiment plus seulement dans le travail que nous faisons dans des institutions dirigées par des religieux, mais dans le témoignage que nous rendons à Jésus-Christ. Il y a bien des moyens de donner cette sorte de témoignage. Le Pape Jean-Paul II en a mentionné quelques-uns dans un discours aux ouvriers de Bolivie en 1988 :

«Voici des signes d'espérance, premiers fruits d'un monde nouveau : la foi qui se vit et se manifeste dans l'engagement pour la justice ; la recherche de formes de société plus humaines et de mobiles économiques qui ne soient pas basés exclusivement sur le profit ou sur la consommation, mais sur le partage et la solidarité ; le rejet de toute forme de violence ; la décision de lutter contre la corruption sous ses divers aspects, tels que la tricherie et l'immoralité publique et privée.»

Je lisais récemment une notice sur une ex-religieuse qui, au Vietnam, a fondé des pouponnières et des orphelinats pour orphelins de guerre et autres enfants abandonnés. L'auteur parle d'elle comme' «d'une visionnaire passionnée et d'une réaliste têtue». Ce serait bien les mots adéquats pour Champagnat.

Un des posters créés par Goyo pour l'année du bicentenaire a bien saisi ce même aspect : le Père Champagnat apparaît les manches retroussées, le visage souriant. Il a confiance dans l'amour de Dieu pour lui et pour les autres et il est décidé à relever ce défi : aider à la construction de l'avenir des jeunes.

Bien des jeunes autour de lui, des gens plus instruits, mieux placés dans l'Église et dans l'État, lui disaient que c'était un rêve impossible. C'est par des paroles et des actes qu'il leur a répondu, dans le style de Beyers Naude… et nous sommes ici aujourd'hui une vivante preuve qu'il avait raison, que son espérance n'était pas fourvoyée. Devons-nous être tristes au sujet de notre réalité actuelle ? Non, si nous sommes des hommes d'espérance. Nous devons accepter joyeusement que, à ce tournant de l'histoire, et pour bien des raisons – quelques-unes encore mystérieuses – il y ait eu tant de départs et si peu d'entrées. Oui, nous pouvons être tristes de cela, mais nous ne devons pas être tristes que ce soit là l'interpellation que nous fait le Seigneur en ce temps-ci. C'est un privilège et une cause de joie que ce soit nous que Dieu choisisse et justifie de sa grâce puissante pour être ses messagers à ce moment de l'histoire.

Ce n'est pas le nombre de Frères qui est important, mais leur fidélité. On va dire, bien sûr : c'est joli cette théorie ! Non, non ce n'est pas de la théorie. Je peux citer des Provinces où le nombre de Frères est très diminué, mais où je suis sûr qu'il y aura une plus grande fidélité, une plus grande réponse à l'appel de l'évangile, à l'appel de l'Église et à l'appel de nos propres traditions. Et ceci se produit quand l'espérance se centre sur Dieu et la Fidélité de Dieu et non sur ce que nous aurions pu ou n'aurions pas pu réaliser. Réussir peut être un grand piège, et nous, comme hommes et comme Frères, pouvons être très orientés vers la réussite. Comme je l'ai dit plus haut, Dieu ne nous appelle pas à réussir mais à être fidèles et ce peut être une leçon très dure à apprendre. Aux yeux des badauds, le Calvaire n'était pas un succès. Ce n'est que plus tard qu'ils devaient voir que c'était une glorieuse victoire.

L'espérance est pascale, l'espérance est liée à la croix ; elle est liée à l'impuissance et à la faiblesse, et c'est là un des aspects les plus difficiles de l'espérance. Si nous regardons l'histoire de la chrétienté, nous voyons combien souvent elle a été fortement liée au pouvoir… et nous n'avons pas à regarder très loin aujourd'hui pour voir la lutte pour le pouvoir à l'intérieur de l'Église. Il faut donc toujours revenir nous recentrer sur Jésus en croix, très difficile leçon pour nous tous.

Dire combien c'est difficile, l'attitude globale de notre Église le manifeste assez : on a tendance à être inquiet, voire effrayé au sujet de l'avenir, très rétif à laisser tomber les modes anciens de penser et d'agir, et à les remplacer par des attitudes et des conduites neuves.

Le cardinal Tarancón, ancien archevêque de Madrid, fait quelques commentaires intelligents sur ces «peurs dans l'Église» :

«Vais-je surprendre quelqu'un, en disant que nous sommes plus «prudents» que «décidés», plus «réservés» qu'«ouverts», et aussi plus zélés à maintenir des traditions à tout prix qu'à «rénover» la tradition ? »

C'est là une attitude très humaine. Et nous sommes toujours humains. Et même notre foi, aussi sincère qu'elle soit, et notre confiance en Dieu aussi absolue qu'elle soit, sont conditionnées, même si nous n'en avons pas conscience, par nos limitations naturelles.

Quelques-uns des coups d'arrêt dans le progrès de l'Église à travers les siècles, et quelques-uns des essais qui justifient peut-être bien qu'on «mette maintenant les freins», sont tous des produits de la même réalité.

Mais cela n'effraie pas les vrais chrétiens. Nous savons que Jésus voulait que son Église soit constituée d'êtres humains, dirigée par des êtres humains, et nous en comprenons les conséquences parfaitement naturelles.

Cela ne nous effraie pas, mais doit nous obliger à penser, et par-dessus tout, nous devons faire nôtre la conviction que l'Esprit-Saint peut faire plus que les êtres humains et que ses plans se réalisent malgré les limitations des êtres humains qui sont supposés chargés de les réaliser.

Réveillés par cette conviction, nous pouvons prendre à cœur la suggestion du cardinal Suenens : «Il est temps de changer notre vocabulaire de cesser d'appeler prudence ce qui est peur, et sagesse ce qui est timidité, lorsqu'il s'agit d'accomplir l'Évangile.»

La plupart d'entre nous vont se rappeler l'assassinat de Mgr Óscar Romero, archevêque de San Salvador en 1980, et presque en même temps celui de 4 dames catholiques des USA, trois religieuses et une laïque). Je me souviens d'un évêque en visite à la maison généralice à peu près à cette époque et qui disait : «Bien sûr, Mgr Romero n'était pas très prudent !» Probablement que les jésuites tués au Salvador n'étaient pas prudents non plus, selon ses critères… et Jésus-Christ aurait eu aussi une mauvaise note à ce test de prudence.

Le mystère pascal n'est pas quelque chose qui est arrivé il y a longtemps, quelque chose dont on fait juste mémoire une fois l'an ou même que l'on reproduit chaque année ; c'est une partie de notre vie quotidienne.

Comme chrétiens et comme religieux nous sommes appelés à suivre le Christ, à modeler notre vie sur la sienne. Il reproduit en nous sa mort et sa résurrection de façon que chaque jour nous puissions vivre aussi ce mystère de mort et de résurrection. Il vit en nous et à travers nous, nous rassemblant en communion les uns avec les autres, et avec d'autres, pour bâtir le royaume.

Si nous vivons ce mystère et répondons fidèlement à sa présence, nos communautés reflèteront cette communion et cette mission ; nous serons ministres d'unité et d'amour, nous construisant et nous encourageant les uns les autres ; nous serons témoins de la tendresse et de l'amour de Dieu pour tous, témoins aussi de son désir que tous travaillent avec lui à créer un monde mieux accompli et plus juste.

Notre manière de vivre ce mystère, cette communion et cette mission sont la voie mariste, la voie Champagnat, la voie de son charisme. En son temps, nous marquerons la clôture de l'année Champagnat. Bien sûr, elle ne finit pas pour nous, elle sera un élan incessant dans notre effort pour parvenir à une plus grande compréhension de son charisme et à tout ce qu'il signifie dans notre vie. Elle continuera de nous rendre conscients de la responsabilité que nous avons pour le faire partager aujourd'hui. Elle nous aidera à l'entretenir chez d'autres de plus en plus nombreux, accroissant et multipliant sa présence créative parmi les jeunes.

De cette façon, nous pouvons vraiment être «semeurs d'espérance» – pour employer une expression de Jean-Paul II – des gens qui révèlent vraiment Jésus de Nazareth dans leur vie et dans leur mission. De cette façon aussi nous pouvons être des gens qui sont témoins d'espérance auprès des jeunes, des gens qui conduisent au Christ ceux qui perdent courage, des gens qui leur apportent un plus grand sens de leur dignité et de la solidarité humaine. De cette façon nous pouvons être des gens qui continuent avec eux à créer une société plus juste, des gens qui seront «semeurs de justice et d'espérance dans une société qui en a tant besoin».

Comme Frères Maristes :

Puisse Marie, la Mère de l'Espérance, nous mener sur ce chemin d'espérance vers la plénitude en Jésus ressuscité qui est «déjà le commencement de ce monde nouveau, ce monde qui s'annonce meilleur parce que le Christ est le Seigneur de l'histoire, et, dans la mesure où nous améliorons l'humanité, nous construisons le royaume qu'il est venu établir».

                                                               (Jean-Paul II)

Soyez sûrs de mes prières pour vous et pour votre mission. Puissiez-vous être pour d'autres, des hommes d'espérance et ainsi des hommes de sérieux engagement personnel.

Bien à vous dans les saints cœurs de Jésus, Marie, Joseph et Marcellin,

          Fr. Charles Howard, Supérieur général.

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        PRIÈRE    

Père,

Nous te remercions pour le don d'être Frères Maristes aujourd'hui dans un monde plein de nouveaux défis et de solutions nouvelles.

Tu sais combien trop souvent dans notre faiblesse nous avons été troublés par la disparition d'un vieux monde qui nous était familier et nous avons regretté la perte d'éléments qui nous rassuraient. Pardonne-nous nos peurs, notre manque de confiance en toi et incite-nous à une foi plus profonde et à une espérance plus solide.

Fais-nous le don de l'Espérance :

•qui est patiente et attend avec confiance le déploiement de tes mystérieux desseins.

•qui ose voir les potentialités de vie nouvelle dans les semences qui doivent mourir.

•qui sait que tu nous demandes fidélité plutôt que succès.

•qui comprend et supporte les jeunes, spécialement quand leur croissance humaine provoque des tensions et des douleurs.

•qui nous pousse à une plus profonde compassion, à un sacrifice généreux, à une plus ample vision, source d'une énergie et d'une vie qui jaillissent du Ressuscité, Seigneur de l'Histoire.

•qui est sereine et joyeuse, même au milieu des difficultés.

•qui nous fait attendre dans l'activité ce que les autres peuvent devenir avec l'aide de notre soutien fraternel.

•qui nous incite à rester avec Marie au pied de la croix.

Père, que nous soyons semeurs d'espérance. Ouvre nos yeux et nos cœurs pour voir la puissance de l'Esprit-Saint renouvelant la face de la terre et pour accueillir tes surprises dans les signes de la Nouvelle Création.

Nous te faisons cette prière au nom de Jésus. Amen.

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