Circulaires 402

Charles Howard

1993-07-10

SPIRITUALITE  MARISTE APOSTOLIQUE (supplément)

par FF. Charles Howard, Thénoz Huidobro et Ganzarain

402

V. J. M. J. 

CIRCULAIRES DES SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX

DE L'INSTITUT

DES FRÈRES MARISTES DES ÉCOLES 

Vol. XXX 

SPIRITUALITÉ MARISTE APOSTOLIQUE

(supplément)

 

 

Maison Généralice

Rome, le 10 juillet 1993 

Sommaire

 

NOTRE MISSION MARISTE

  Spiritualité apostolique mariste                       

CARACTÈRE SPÉCIFIQUE DE NOTRE MISSION.

Caractéristiques du Frère mariste apôtre                                                      

 L'EDUCATION CHRÉTIENNE

Le Père Champagnat: objectifs et méthodes                                                   

De l'Ecole des origines à la situation actuelle          

Changements significatifs depuis le Père Champagnat

La Pastorale de l'éducation dans l'Institut    

  

"SPECIALEMENT LES PLUS DÉLAISSÉS"

Interprétons les signes                                     

Jésus et les pauvres                            

Champagnat et les pauvres               

Dans les Constitutions                        

Conséquences pour nous en tant que religieux

Dans quelle direction cheminer?      

Les Frères parlent                                

Réponses à une enquête       

 

Sensibilité des Pères Conciliaires

Le ministre du Christ dans les pauvres

Reconnaissons le visage du Christ souffrant             

Choix des pauvres par le Père Champagnat           

L'enseignement de nos Supérieurs:

Frère Léonida :

Apostolat en faveur des enfants pauvres

Frère Basilio :

Nous rénover dans l'esprit du Fondateur  

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Réflexions sur notre mission mariste

 Les trois articles qui suivent nous invitent à une réflexion, dans la ligne de la Conférence générale de Veran6polis. Cette assemblée a eu un impact considérable, tant au niveau du gouvernement central qu'à celui des unités administratives. Les Frères Provinciaux et Supérieurs de Districts, avec le concours de leurs Conseils respectifs, se sont employés à faire passer les orientations de la Conférence dans la vie des œuvres et des communautés maristes, chacun selon ses moyens et en fonction de sa situation. Nous pensons que ces quelques réflexions sont de nature à les aider dans la poursuite de leur effort, avec le concours de tous ceux d'entre vous qui voudront bien en comprendre l'intérêt.

 Quelque primordiaux que soient les efforts faits "à la base", leur coordination autour d'objectifs généraux n'en est pas moins importante. Les messages autour desquels se sont articulées les différentes activités de la Conférence – nous pensons surtout aux exposés du Frère Supérieur général et de ses Conseillers – ont été divulgués dans certaines unités administratives mais non pas dans toutes. Nous croyons bon d'en reprendre quelques-unes, dans la fidélité et en tenant compte de la situation actuelle. Bref, dans la mouvance de la Conférence générale, un certain nombre de valeurs que nous sommes appelés à développer ont été mises en lumière; la plupart d'entre elles devraient, estimons-nous, être portées à l'attention de tous.

 C'est à ce besoin que nous entendons répondre, sans perdre de vue le thème central de la Conférence générale: la spiritualité apostolique mariste. Il a été l'axe de la préparation et il a nourri, par la suite, des séances de réflexion approfondie, menées par le Frère Supérieur général et ses Conseillers, réflexions étoffées également par des échos reçus au cours des visites des Provinces.

 L'objectif des auteurs de ces trois articles est donc de vous offrir, de la part du Conseil général, des écrits fidèles au message de la Conférence générale et à certains approfondissements qu'il a suscités.

 Nous vous en souhaitons bonne lecture, pour un essor toujours plus authentique de notre Mission de Petits Frères de Marie.

                       F. Yves Thénoz

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Spécificité de notre mission 

Quelques traits proposés comme caractéristiques de l'Apôtre Frère Mariste

 * L'Apôtre Frère Mariste, comme Marcellin Champagnat et à sa suite, est appelé, envoyé, "saisi" par l'amour de Jésus et de Marie.

 * Son unique but étant de "suivre Jésus comme Marie", il fait sienne leur mission.

 * Sa mission consiste à révéler l'amour de Jésus et de Marie, à inviter à l'amour pour Jésus et pour Marie.

 * Messager de l'amour, il va de préférence, comme Jésus, comme Marie, à ceux qui, de par leur situation, en ont le plus besoin et partage le noble sentiment de compassion qui anime Marcellin  Champagnat.

 * Sa mission le porte auprès des jeunes, eux qui, pour s'épanouir, ont essentiellement besoin d'un authentique amour.

 * L'amour en question étant un amour en acte, il organise sa vie de manière à pouvoir agir effectivement.

 * Les pauvres, les défavorisés, qui sont d'abord des mal aimés, ont ses préférences, notamment ceux qui se trouvent privés de contact avec l'Église en raison des conditions matérielles de leur existence.

 * Son apostolat, présence aux jeunes, surtout les plus délaissés, est essentiellement la communication d'une expérience spirituelle, présence à Dieu: ce qu'il partage, c'est ce qu'il vit "en consacré".

 * Son action est indissociable de la prière, et inversement.

 * Ce qui caractérise sa manière d'être – Nazareth: amour du travail, esprit de famille, simplicité – conditionne sa manière d'agir, d'être apôtre.

 * Exigeant mais patient, il sait attendre avec confiance, pour lui-même et pour les jeunes à qui il est envoyé, "l'Heure" du Seigneur Jésus.

 * Son apostolat est fait de discrétion, de présence, d'insistance, d'intercession, comme celui de Marie à Nazareth et à Cana.

 * Guidé par Marie dans sa mission, il recourt fréquemment à elle.

 * Il se sent particulièrement appelé à aimer Marie et à la faire aimer.

 * Il adopte et propose Marie comme chemin pour aller à Jésus.

 * Il agit en tant que membre d'une communauté missionnaire.

 * Il a reçu une formation en vue de l'évangélisation des jeunes, spécialement par la catéchèse et l'enseignement catholique.

 * L'éducation qu'il donne vise à la formation intégrale de toute la personne humaine: "former de bons citoyens et de bons chrétiens". Elle dépasse le niveau purement scolaire, par l'animation de petits groupes, de mouvements, la proposition d'activités extrascolaires.

 * Il s'emploie à répondre à des besoins actuels de l'Église et du monde.

 * Il attache beaucoup d'importance à l'ouverture, ce qui le po élargir sans cesse le champ sur lequel porte son attention apostolique.

 * Ouvert à tous, il récuse tout système élitiste.

 * Il fait confiance aux personnes, donne à chacune toutes ses chances de réussir.

 * Prenant en compte la diversité des points de vue et des tendances, il fournit un effort soutenu de compréhension des ambiances et mentalités.

 * Attentif aux événements, il est conduit à des évolutions et à adaptations proportionnées.

 Frère Yves Thénoz

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 L'éducation chrétienne, aspect spécifique de notre mission. 

Index

 Introduction 

A Quelques intuitions fondamentales du Père Champagnat sur les objectifs et les méthodes de l'éducation chrétienne.

 B De l'Ecole de l'origine à la situation actuelle.

 C Quelques changements significatifs de l'époque du Père.

Champagnat à nos jours.

 D Un regard sur l'état de la pastorale de l'éducation dans l'Institut.

 – L'état d'âme des Frères.

– Les œuvres : la carte pastorale de l'Institut.

– Notre présence en milieu éducatif scolaire.

– Notre présence en milieu éducatif non scolaire.

– Notre présence auprès des plus délaissés.

– Discernement des priorités apostoliques. 

Introduction

 Un aspect spécifique de notre mission

La préoccupation pour l'''éducation chrétienne" des enfants et des jeunes est quelque chose de spécifique dans l'expérience de fondateur du Père Champagnat. C'est un élément-clé pour la compréhension de sa mission. Elle influe sur sa manière de sentir et elle transparaît aussi dans sa façon de travailler.

 Une exigence de fidélité

Héritiers de son charisme et affrontés aux défis de l'avenir, la fidélité nous demande d'approfondir ce que signifie cette expérience originelle et d'essayer de la projeter dans notre temps. Il nous faut approfondir ce qui constitue le noyau de cette expérience pour le rendre présent aujourd'hui dans notre manière d'être et d'agir.

 Le contenu du travail

Les pages qui suivent ont servi de base, à leur heure, à une réflexion du Conseil Général. Elles suivent, dans leur schéma, la ligne adoptée à Veranópolis et recouvrent quelques aspects du thème que nous devrons tous continuer à approfondir et à partager. Bien que nous sachions que beaucoup de Provinces ont déjà travaillé le thème, nous les offrons ici, à la veille du Chapitre, dans le cas où ils pourraient servir, en quelque chose, à aider notre travail personnel et nos échanges communautaires. 

A. QUELQUES INTUITIONS FONDAMENTALES DU PÈRE CHAMPAGNAT SUR LES OBJECTIFS ET LES MÉTHODES DE L'ÉDUCATION CHRÉTIENNE.

 Le point de départ: La vision de l'enfant et du jeune dans la foi.

Le Père Champagnat est un homme de foi, et pour lui l'image idéale de l'enfant chrétien n'est autre que celle de l'enfant qui, croyant en Dieu, adapte sa vie à toutes les valeurs de l'Evangile. Quand nous voyons le Père Champagnat souffrir de l'abandon dans lequel vivent les enfants et les jeunes de la campagne dans la France du XIXe siècle, nous ne pouvons oublier que ses références et ses paramètres de bonheur et de richesse sont ceux d'un homme de foi, et d'un homme de son temps et de son contexte historique.

 L'expérience douloureuse de l'ignorance religieuse et de l'abandon matériel de beaucoup d'enfants et de jeunes.

Le Père Champagnat al' expérience douloureuse de l'ignorance religieuse quasi absolue des enfants et des jeunes dans la période qui suit la révolution française et de l'abandon matériel où se trouvent plongés beaucoup d'entre eux. Homme de grand sens pratique, il n'invente pas un système éducatif, mais il adopte et adapte sans ambages les techniques pédagogiques mises à jour par Saint Jean-Baptiste de la Salle et qui sont déjà, à cette époque, une référence. A partir de sa propre expérience, il s'est fait une idée personnelle de ce que devront être l'instruction et l'éducation et il essaie de la mettre en pratique.

 Dans l'école, il trouve le moyen idéal pour son travail éducatif. Le catéchisme, une préférence.

Dans l'école, le Père Champagnat trouve le moyen idéal pour ce travail éducatif qu'il sent urgent et indispensable. Pour cela, il ouvre des écoles, prépare des maîtres, qu'il veut religieux avec des vœux, et par voie de fait, il met en marche une pédagogie qui réponde à ses inquiétudes. La catéchèse devra occuper une préférence clairement marquée. La préoccupation de notre Fondateur pour la formation religieuse et catéchétique des Frères et l'insistance sur la responsabilité que suppose le soin de cette formation, montrent sa pensée sur cette question.

 Eduquer, c'est modeler le cœur pour la vie en accord avec l'Evangile.

Cependant, le Père Champagnat est convaincu que la catéchèse, surtout sous quelques-unes des formes où elle était pratiquée à cette époque, n'est pas suffisante pour une éducation chrétienne adéquate. C'est un homme "vivant", il sait que l'éducation suppose certainement la connaissance des vérités chrétiennes, mais surtout elle exige de modeler le cœur en accord avec les valeurs de l'Evangile. Et cela s'obtient seulement en faisant l'expérience de ces valeurs dans les situations concrètes de la vie même.

 Education intégrale. La pédagogie de la présence.

De là, la grande importance qu'il donne à la présence de l'éducateur au milieu des enfants et des jeunes, dans quelques situations qui se présentent dans la vie ordinaire. Dans le fond et sans utiliser la terminologie actuelle, le Père Champagnat a l'intuition de la nécessité de l'éducation intégrale pour qu'on puisse parler d'une bonne éducation chrétienne. Nous pourrions dire que, de quelque façon, il est conscient du problème que nous énonçons aujourd'hui en termes de foi-culture-vie. Pour bien éduquer les enfants, il faut les aimer. Que les jeunes sachent et aient l'expérience que Dieu les aime. 

"Pour bien éduquer les enfants, il faut les aimer".

Que les enfants et les jeunes sachent et aient l'expérience que Dieu les aime.

Voici, exprimée synthétiquement, une autre des grandes intuitions du Père Champagnat au sujet de la relation entre pédagogie et méthodologie. C'est une conséquence logique de sa conception de l'éducation comme "mission", comme tâche apostolique qui naît de l'engagement de prolonger l'action salvatrice d'un Dieu qui est avant tout miséricorde. Mais c'est aussi une conséquence du contenu même de la tâche éducative, dont l'un des objectifs fondamentaux est pour le Père Champagnat de faire en sorte que les enfants et les jeunes sachent et aient l'expérience que Dieu les aime. Quel meilleur moyen de faire l'expérience de l'amour de Dieu que de la voir incarnée dans ses maîtres? Quel meilleur moyen de s'accepter soi-même et d'accepter les valeurs que les éducateurs leur proposent que de se sentir acceptés et aimés? 

La pédagogie de la simplicité: dans les relations et dans les méthodes pédagogiques.

Ses origines ont marqué le Père Champagnat. C'est un homme du peuple, réaliste, doué d'une intelligence éminemment pratique. Le Père Champagnat est aussi un homme de foi qui, parce ce qu'il se soumet confiant au jugement de Dieu, ne se préoccupe guère des regards des hommes. Il n'a pas de problème d"'image". La pédagogie que le Père Champagnat promeut portera logiquement la marque de la simplicité, qui veut aller directement à l'essentiel, en donnant des fruits d'équilibre et de fécondité. La personne du maître, les méthodes, les relations avec les enfants et les parents, les relations entre éducateurs, et aussi les objectifs même de l'éducation devront rester marqués par cette simplicité dans les écoles des Frères. 

L'amour du travail comme style éducatif.

Les destinataires premiers de l'œuvre du Père Champagnat et des premiers Frères furent les enfants des villages de la France postrévolutionnaire. Les origines, tant du Fondateur que des premiers Frères, leur sens pratique, et la réalité de la pauvreté, y compris la pauvreté du milieu où se réalisa au début leur tâche éducative, ont laissé une trace qui est devenue aussi une marque familière de la pédagogie mariste; il s'agit de l'amour du travail comme style éducatif. Amour du travail chez les éducateurs, habitude de travail chez les élèves, et sensibilité et estime pour toutes ces activités très proches du "travail manuel", dont la pédagogie la plus actuelle redécouvre la valeur éducative. 

Eviter la lecture des origines avec des clés d'interprétation propres à notre temps.

Dans la lecture que nous faisons de la pensée et de l'action éducative du Père Champagnat, après deux cents ans, nous courons un risque évident: utiliser les clés d'interprétation propres à notre temps. Il nous faut donc prêter une grande attention au contexte de cette époque, pour nous assurer que nous comprenons les faits de façon correcte. Les divers travaux de recherches sur nos origines, et spécialement l'œuvre du Frère Pierre Zind sur ce thème, peuvent nous aider à mieux comprendre le contexte dans lequel est né notre Institut. 

B. DE L'ÉCOLE DES ORIGINES À LA SITUATION ACTUELLE.

 Pour ce qui touche à l'éducation chrétienne, la trajectoire de la Congrégation commence par un type d'école rurale dont les objectifs, les programmes et les destinataires restent Bien définis par le lieu et l'époque.

 Le temps qui passe et les situations qui changent.

Avec le temps, cette trajectoire subit des modulations diverses, qui reflètent en général les évolutions sociologiques des différents pays d'implantation et les différentes exigences ecclésiales dans ces mêmes pays. Cela donne, cependant, une certaine homogénéité pour la plus grande partie d'entre elles.

 Révision de l'école

Dans les dernières décades, notre tâche d'éducateurs chrétiens a subi les mêmes modifications que celles qui ont affecté l'éducation en général. 

Une révision généralisée de l'éducation.

On a repensé l'école, comme moyen d'éducation et comme moyen d'éducation chrétienne spécialement, et cela dans diverses perspectives philosophiques, pédagogiques, sociales et pastorales. La révision a touché aussi bien les objectifs derniers de la tâche éducative que les objectifs immédiats, ses méthodes et ses destinataires. 

L'école mariste face à cette révision.

Et bien entendu, on a révisé l'école mariste. Successivement, on a mis à l'étude sa structure juridico-administrative, la présence de laïcs et le nouveau rôle des Frères dans le gouverneront et l'animation des œuvres, le contenu de l'éducation qu'elle offre, le travail d'évangélisation qu'elle assure, les destinataires actuels de ses services et les défis que représentent des groupes de jeunes qui exigent des attentions éducatives totalement nouvelles. 

C. QUELQUES CHANGEMENTS SIGNIFICATIFS DEPUIS LES TEMPS DU PÈRE CHAMPAGNAT JUSQU'À NOS JOURS.

 Les situations actuelles dans les différents pays où se trouve présente la Congrégation sont très diverses. Ce que nous disons ici fait référence aux changements qui nous paraissent les plus généralisés et qui reflètent des tendances de fond aux répercussions importantes dans la majorité de ces pays. 

Le changement dans le concept même de l'éducation.

La révolution de l'éducation a été une de celles qui ont eu le plus d'impact dans les deux siècles derniers. L'enseignement s'est généralisé et est devenu obligatoire jusqu'à des âges de plus en plus avancés dans beaucoup de pays et il a diversifié ses contenus.

 C'est le concept même de l'éducation, nous pourrions dire, qui a changé et, dans la majorité des pays, ce thème de l'éducation apparaît justement comme un des plus remplis de défis face à son futur développement. 

Un nouveau concept de culture.

D'autre part, le concept de culture a changé profondément, et il est bon de faire une réflexion calme sur ce changement, parce que sa relation avec la question éducative est très grande. Nous savons que parler de culture n'est pas facile. Nous vivons précisément une époque où la conscience de la diversité culturelle entre les divers pays et aussi à l'intérieur de ces mêmes pays s'est accentuée. Jamais comme en ce moment de l'histoire, le respect de la diversité culturelle n'a autant été revendiqué.

Simultanément, nous sommes conscients de l'unité de destin de l'homme sur toute la planète et de ses radicales différences culturelles dans tous les pays. 

Diversité des cultures.

Selon la perspective dans laquelle nous nous plaçons, nous pouvons parler de culture humaniste ou de culture technique, de culture de modèle religieux ou de culture laïque, de culture dominante ou de culture populaire, de culture occidentale, de cultures orientales, de cultures africaines, etc. Les nuances et les précisions seraient multiples et toutes avec des répercussions dans les méthodes éducatives. Nous allons souligner surtout les changements qui ont affecté la dite culture occidentale dans son sens large, étant donné que notre Institut est né dans ce contexte et parce que les variations en sont particulièrement ressenties.

Cependant, il est clair que le changement affecte toutes les cultures, étant donné l'interrelation actuelle entre les nations. 

Assimilation différente des changements. Quelques "vieux problèmes" persistent.

Les changements n'ont pas été également assimilés par tous ceux qui, à juste titre, entendent intervenir dans l'éducation. Tous les organismes, les groupes de responsables, les personnes qui, par droit, interviennent dans le processus éducatif, n'ont pas assimilé de la même manière les changements auxquels nous allons nous référer. Nous pouvons dire que quelques problèmes qui se sont posés, pour l'éducation, depuis la veille de la Révolution française, n'ont pas encore reçu de solution satisfaisante, ni théorique, ni pratique.

Que l'on pense, par exemple, aux problèmes théologiques et pastoraux de l'incarnation de la foi dans les diverses cultures, y compris celles de modèle laïque ou postchrétien et les problèmes religieux de type fondamentaliste, ou les problèmes d'organisation qui découlent des conceptions différentes du pouvoir étatique face au phénomène religieux et à sa matérialisation dans la société. 

La confrontation entre anthropologie dominante et valeurs chrétiennes. Répercussions sur l'éducation chrétienne.

L'anthropologie, qui est aujourd'hui à la base de la culture dominante dans beaucoup de pays, est une anthropologie très éloignée de ce qu'on pourrait appeler une anthropologie de valeurs religieuses et concrètement chrétiennes. Malgré le phénomène du réveil religieux, nous vivons largement le phénomène d'une culture sécularisée et post religieuse dans laquelle les valeurs de la foi en Dieu et en la transcendance ont à peine leur place. De plus, un "consumérisme" féroce, aux horizons fermés, hédoniste et non solidaire, exerce une énorme influence, surtout dans les "médias" et s'installe dans la vie et les aspirations des citoyens. Il est facile d'imaginer les répercussions de cette situation face à la maturation de la foi et la formation à des valeurs issues de l'Evangile. 

L'Evangile, objectif dernier de l'éducation chrétienne.

Le défi "d'incarner" le message évangélique dans la culture. Pour l'Eglise, ce problème de l'incarnation du message et des valeurs angéliques dans les diverses cultures continue d'être un des grands défis pour l'évangélisation. Et cela, aussi bien dans les pays de vieille chrétienté, aujourd'hui fortement sécularisés, que dans ceux de présence chrétienne plus récente avec des références religieuses d'un grand contenu religieux, Afrique, Asie, Amérique Latine, le Pacifique, etc. 

Les destinataires de l'action éducative et l'adaptation des contenus.

Les contenus de la culture ont été toujours en accord avec les destinataires à qui ils s'adressaient. Lorsque l'éducation est devenue un droit de tout le peuple, au lieu d'être un privilège propre d'une élite, les contenus et les méthodes éducatifs sont objet de discussion. De nos jours, nous pouvons voir les résultats de ces conflits d'intérêts dans les politiques éducatives des gouvernements et dans les programmes scolaires. 

Les changements dans les institutions éducatives.

Les considérations idéologiques sur les droits des citoyens, et les considérations pratiques sur les répercussions de l'éducation sur le développement des peuples, ont fait de l'éducation, dans la majorité des pays, un des principaux problèmes de la société et, évidemment aussi, un "problème d'Etat". Une bonne partie des aspects d'organisation du système éducatif d'un pays restent affectés, bien que de façon diverse selon les conceptions de gouvernement, par les décisions des pouvoirs publics. Les conditions juridico-administratives de l'ouverture et du fonctionnement des centres, leurs programmes, les formules de financement, la participation à la gestion de titulaires, de professeurs, de parents, d'élèves et d'autres organisations sociales, sont certainement conditionnés par ce fait. 

Un nouveau type de relation au sein des Centres.

A l'intérieur des institutions éducatives elles-mêmes, les relations entre les responsables de leur gestion ont subi aussi des changements profonds. On recherche une meilleure participation de tous les membres de la communauté éducative dans tout ce qui concerne le processus éducatif: projets, programmes, organisation, etc. Apparaît alors la nécessité du travail en équipe. Il faut donc chercher de nouvelles formules, une nouvelle atmosphère de travail, et tout cela dans un contexte de visions culturelles pluralistes, ce qui certainement suppose un défi à la capacité d'adaptation des personnes habituées à des systèmes moins participatifs 

D. UN REGARD SUR LA SITUATION DE LA PASTORALE DE L'ÉDUCATION DANS L'INSTITUT. 

Nous présentons, dans les pages qui suivent, quelques appréciations fondées certainement sur l'observation de la réalité, mais qui ne sont pas le fruit d'une observation scientifique de données ou d'une discussion détaillée de toutes les affirmations. Les situations réelles, les plus immédiates à chaque lecteur ou groupe de lecteurs, et, peut-être, les études déjà réalisées dans leurs Provinces leur permettront d'y réfléchir et d'y apporter les retouches pertinentes. 

L'état d'âme des Frères. 

Le sens de la mission. Quelques ambigüités entre « tâche » et « mission ».

Il apparaît que chez les Frères, comme en général dans toute l'Eglise, on a davantage compris le sens de la mission qui est, au fond, la participation à la mission de Jésus prolongée dans l’Eglise. L'avancée paraît parfois lente, mais elle est réelle, et les fruits de cette meilleure compréhension de la mission commencent à apparaître dans la vie et dans l'activité des personnes. Nous croyons cependant qu’il y a encore, à l’occasion, une certaine ambiguïté dans la compréhension de la différence entre "la mission" et "la tâche" dans laquelle la mission se concrétise à un moment donné. 

La spécificité de notre mission. 

On peut percevoir aussi, en général, la recherche d'une plus grande clarté sur ce qui constitue la "spécificité" de la mission du Frère Mariste et de ses répercussions concrètes sur le choix des tâches apostoliques et leurs destinataires. Cette recherche de spécificité a pour effet, en même temps, d'augmenter le sens profond d'appartenance à l'Eglise et, concrètement, à l'Eglise locale dans laquelle travaillent conjointement d'autres agents de la pastorale avec des charismes divers. Elle ne paraît pas mettre en difficulté, en général, une identification vocationnelle avérée. 

Exemples admirables de zèle.

On pourrait donner le témoignage d'exemples admirables de zèle chez les Frères de l'Institut. Zèle qui reflète bien au grand jour leur amour de Jésus Christ et leur amour des jeunes et qui s'exprime de tant de façons: la disponibilité et la générosité, l'abnégation face à la dureté des circonstances, la constance, la créativité, l'imagination et, surtout, la joie et l'espérance dans les difficultés. 

Situations où le zèle s'étiole.

En même temps, les Frères eux-mêmes le confessent, il y a le cas des Frères et des Provinces chez qui le zèle languit et s'affaiblit. Professionnalisme? Routine de fonctionnaires de l'éducation ou de la pastorale? Fatigue face à la dureté de l'effort et au peu de valorisation sociale de la profession d'enseignants? Perte de sens religieux qui révèle une foi faible et pas suffisamment "mise en action"? Traduction d'un manque de "spiritualité apostolique" qui doit trouver dans la tâche journalière son expression et, en même temps, sa source? Cela vaut la peine de souligner, qu'assez souvent, on rencontre cette "tiédeur apostolique" parmi ceux qui se consacrent de manière généreuse et totale aux tâches qui leur ont été confiées.

 Foi dans l'importance et la nécessité de l'Education chrétienne. Quelques divergences sur les formes.

Nous croyons qu'il existe chez les Frères la foi en l'importance et la nécessité de l'Education chrétienne de nos jours, en même temps que nous percevons, dans pas mal de cas, le doute et l'insécurité, et par là même des divergences de vues et parfois "des confrontations ouvertes" pour savoir comment rendre efficace cette éducation dans les circonstances diverses où les Provinces se trouvent. Ce doute et cette insécurité sont le fruit de la complexité de la problématique qu'il faut affronter. Les situations quant au nombre des Frères, leur âge, leur capacité à faire front à de nouveaux défis, tout cela pèse. Dans quelques occasions, c'est aussi la conséquence de la peur inconsciente des changements qui se devinent comme nécessaires et du manque de foi et de vigueur apostolique. 

LES ŒUVRES: LA CARTE PASTORALE DE L'INSTITUT. 

Il manque une carte pastorale de l'Institut. Bon travail dans quelques Provinces.

Il n'existe pas, dans l'Institut, ce que l'on pourrait appeler une "carte apostolique mariste", bien détaillée, et dans laquelle apparaîtraient tous les "accidents" et les caractéristiques des œuvres dans lesquelles les Frères se dévouent. Quelques Provinces, qui ont consacré une période assez longue à un processus de discernement  disposent de bons schémas sur ce sujet. Nous espérons disposer, pour le Chapitre Général, de quelques données plus élaborées à partir des informations reçues enfin des Provinces. Nous abordons maintenant le thème et nous le faisons dans trois perspectives concrètes: les œuvres scolaires, les œuvres extrascolaires, et les destinataires des deux types d'œuvres. 

NOTRE PRÉSENCE DANS LE CADRE ÉDUCATIF SCOLAIRE. 

La présence des Frères dans l'école.

Un grand pourcentage des Frères de l'Institut travaillent aujourd'hui dans des œuvres apostoliques qui appartiennent à ce cadre. Il s'agit, en général, d'œuvres scolaires insérées dans le système éducatif officiel des divers pays. Elles offrent, selon les cas, à côté des services strictement scolaires et académiques, une diversité d'œuvres éducatives parascolaires, qui vont des activités sportives et culturelles à celles, plus spécifiques, d'ordre religieux ou pastoral. La majorité de ces scolaires se concentrent dans les enseignements primaire et secondaire, avec une présence plus réduite dans les secteurs de l'enseignement universitaire et des enseignements technico professionnels et agricoles. 

Le type d'écoles : propriété et gestion.

La situation juridique des œuvres scolaires dans lesquelles travaillent les Frères, et leur organisation et leur gestion, sont très différentes de l'une à l'autre. Les unes sont propriétés de l'Institut, sous des formules juridiques diverses et leur gestion socio-administrative et pédagogique est l'attribution directe des Frères ou des personnes par eux déléguées. D'autres sont la propriété de l'Eglise ou de l'Etat, ou bien de Fondations ou Associations sans but lucratif ou un autre type de corporations qui ont confié la gestion de leurs œuvres scolaires à la Congrégation. 

La présence des laïcs dans nos œuvres scolaires.

Traditionnellement, les laïcs ont été présents dans nos œuvres scolaires, avec quelques variantes suivant les pays, comme professeurs ou comme membres des secteurs administratifs ou de services. On constate en ce moment, un accroissement certain des personnes engagées dans les œuvres et en même temps, un changement quant au type du travail confié. Chaque fois, il y a plus de laïcs présents dans des postes de gestion et de direction, et chaque fois aussi, ils sont incorporés avec de plus grandes responsabilités dans le travail d'annihilation et de planification pastorale des centres scolaires. Al' origine de cette situation, il y a des causes qui coïncident dans la majorité des régions de l'Institut: diminution du nombre des Frères et leur vieillissement, ouverture d'œuvres dans des zones autrefois non fournies en Frères, et aussi la conscience plus claire du rôle des laïcs dans le travail d'évangélisation de l'Eglise. 

Les destinataires de notre éducation scolaire.

Les élèves qui fréquentent nos centres, destinataires de nos services éducatifs, appartiennent à un vaste éventail de population composé de couches sociales les plus variées. Bien que nous ne disposions pas de données élaborées avec des indicateurs homogènes, il nous par81"t qu'un pourcentage assez haut correspond aux classes moyennes et immédiatement au-dessus. Dans les pays où les centres reçoivent des aides financières, de l'Etat ou d'autres organismes publics, nos centres accueillent des enfants et des jeunes de toutes les classes sociales. Il apparaît cependant assez clairement que notre présence au milieu d'enfants et de jeunes très pauvres ou marginalisés socialement, est relativement réduite. Il faut souligner cependant la conscience croissante que les Frères ont de la nécessité d'augmenter cette présence et son impact dans les priorités provinciales. Dans quelques Provinces, les progrès accomplis sont significatifs, tant dans les mentalités que dans les réalisations, dans d'autres, on reste encore dans le domaine de la prise de conscience sans la traduire en œuvres concrètes. 

Les tâches accomplies par les Frères dans les écoles.

Les tâches que les Frères remplissent dans les œuvres éducatives de type scolaire, nous appartenant ou non, pourraient se grouper. en: postes de direction, de gestion-administration, d'enseignement dans les différentes matières académiques, de formation religieuse ou catéchétique, et d'autres types de tâches éducatives réalisées à partir d'activités culturelles et récréatives qui complètent le travail de nos centres; sports, clubs de musique et de théâtre, écoles de parents, clubs d'action sociale, catéchèse et mouvements apostoliques divers. 

Le pourcentage des Frères présents dans les écoles.

Le pourcentage des Frères dédiés à chacune de ces types de tâches varie d'une Province à l'autre. On constate, en certains endroits, une forte tendance à la diminution du nombre des Frères qui, sous une forme ou une autre, gardent un contact éducatif direct avec les élèves. Cette tendance est parfois plus accentuée dans le domaine de la formation religieuse, soit dans la catéchèse, l'enseignement religieux dans les classes ou dans les mouvements apostoliques de l'un ou l'autre type. Par contre, il y a des Provinces où l'on a fait un grand effort pour consacrer un plus grand nombre de Frères à ce type de tâches. 

Le jugement porté sur notre travail.

Le jugement que ceux qui fréquentent nos centres et ceux qui ont des relations avec eux pour divers motifs portent sur eux est en général très positif. On souligne communément leur efficacité académique, leur ambiance de travail et la simplicité des relations entre les membres de la communauté éducative.

L'appréciation n'est pas si positive, pour quelques-uns, dans une perspective plus exigeante et en relation, par exemple, avec des questions comme la créativité et l'audace dans l'innovation, à la fois dans les domaines académiques et pédagogiques. 

Le jugement de l'Eglise.

Les évêques, prêtres et organismes diocésains paroissiaux, et les fidèles en général, portent aussi une jugement positif sur les œuvres auxquelles ils ont à faire. Parmi les critiques qu'on entend le plus souvent se trouvent celles du manque de formation de leaders chrétiens, de la faible tonalité ecclésiale de quelques centres et de leur chiche intégration dans la pastorale diocésaine ou paroissiale. D'autres se réfèrent à une faible présence dans les milieux les plus dépourvus ou au type d'éducation avec peu d'éveil de la conscience qui se donne dans les centres. 

Les œuvres et la vie des Frères.

Un jugement de grand intérêt est celui que les Frères même portent sur l'incidence que les œuvres, telles qu'elles sont dans l'état actuel des choses aujourd'hui, ont sur leur vie personnelle de religieux consacrés. On souligne les difficultés de quelques structures qui pèsent par leur complexité et qui, à l'occasion, isolent avec excès de la réalité sociale. On sent le défi de découvrir et de mieux cultiver une spiritualité apostolique qui s'enracine mieux dans l'activité ordinaire et qui rencontre la route adéquate pour témoigner des valeurs évangéliques qu'on professe publiquement. 

Une question sur le nombre d'œuvres et le nombre des Frères.

Dans beaucoup de Provinces, on manifeste du souci pour la disproportion qui existe entre le nombre et le type des œuvres dont on est responsable et le nombre et l'âge des Frères de la Province. La situation s'aggrave quand les modèles de gestion utilisés, requièrent la présence d'un Frère dans presque tous les postes relevant de l'administration et de la direction du centre et, en conséquence, le travail éducatif direct avec les jeunes se réduit. La sélection des priorités devient indispensable dans ces cas-là. 

Appels pour une révision du type de présence pastorale dans l'école.

Le mode de présence pastorale des Frères dans les œuvres scolaires est appelé à une révision. Dans l'enquête préalable à la Conférence Générale de Veranopólis, les Provinces ont été d'accord pour reconnaître la nécessité de "recentrer les tâches des Frères", "de discerner nos lieux de présence dans les œuvres que nous possédons", en même temps qu'elles signalent "la nécessité de nous rendre présents dans quelques milieux où nous étions peu présents". Ce besoin de révision découle, d'après les Provinces, de son analyse de la situation et répond aux appels des signes des temps. Les données dont devrait tenir compte cette révision: la diminution du nombre de Frères et la nécessité de profiter le mieux possible de leurs capacités, surtout de leurs capacités apostoliques, le nouveau rôle assigné aux laïcs, l'animation du travail des équipes au service du projet éducatif du centre. 

Le souci de rendre pastoralement efficace nos projets éducatifs.

Dans bon nombre de nos œuvres, existe le souci croissant de rendre nos projets éducatifs plus adaptés aux exigences d'une authentique éducation chrétienne et aux besoins des jeunes d'aujourd'hui mais il est certain aussi que, pas mal de nos écoles et collèges, offrent à leurs élèves des projets d'éducation chrétienne bien peu denses et significatifs. Les programmes et les moyens, les personnes, les équipements, les finances, les postes mis au service de ce secteur de l'éducation ne restent pas toujours à hauteur des efforts qui sont faits dans d'autres secteurs de la formation; et cela, malgré l'importance théorique qu’on lui attribue. Parfois, le succès scolaire ou académique, et l'estime globale que l'extérieur manifeste pour le centre, masquent le problème d'un programme de formation chrétienne peu profond. 

Les difficultés pour la catéchèse et les mouvements apostoliques.

La catéchèse et les mouvements apostoliques sont un champ de choix de notre action éducative, selon nos Constitutions. Dans beaucoup de pays, existent des difficultés croissantes pour réaliser ce travail. Quelques-unes naissent des lois mêmes de l'Etat, d'autres de la complexité de la législation scolaire, d'autres de l'attitude des parents et des élèves eux-mêmes, et bien sûr, des éducateurs, Frères, prêtres ou laïcs. 

0ffres pastorales denses de quelques Provinces et atonie apostolique de quelques autres.

Il y a des Provinces qui ont affronté cette situation avec décision et créativité: la recherche de nouveaux types d'animation dans les contenus et les méthodes. Dans d'autres, la réponse est plus lente; il serait difficile d'identifier les offres éducatives propres à un centre d'éducation chrétienne. Ces situations d'atonie apostolique, à part les conséquences pour la formation des élèves, génèrent facilement chez les Frères une question sur le sens de leur tâche propre et, à l'occasion, sur leur propre vocation. Les répercussions vocationnelles, chez les jeunes recrues possibles, quand on voit ce manque de vigueur apostolique dans nos œuvres, sont évidentes. 

L'insertion ecclésiale de nos œuvres maristes.

Pour une partie de nos Frères, la compréhension de nos œuvres comme œuvres d'Eglise, au service de l'évangélisation des enfants et des jeunes dans le champ spécifique de l'éducation, paraît, en certains cas, faible. Malgré tout, il y a un souci croissant dans les Provinces, de rendre réelles la communion ecclésiale et la collaboration pastorale que nous demandent nos Constitutions. L'approfondissement de notre vision de l'Eglise comme communion, et de notre charisme de Frères Maristes dans le sein du peuple de Dieu.  

NOTRE PRÉSENCE DANS LE CADRE ÉDUCATIF NON-SCOLAIRE. 

Présence des Frères dans des œuvres éducatives non-scolaires. Types d'œuvres

Le nombre des œuvres non typiquement scolaires, ni apparentées, et celui des Frères impliqués, sont réduits. Il s'agit, en général, d'œuvres dédiées à des actions de type catéchétique ou de pastorale de l'enfance, de projets d'éducation non formelle auprès d'enfants et de jeunes marginalisés, orphelins, enfants de la rue, drogués, etc. Ce sont des œuvres ordinairement moins structurées que les œuvres scolaires et leur situation juridique est très diversifiée. Il y a des œuvres qui appartiennent à l'Institut, et il y a des œuvres de type paroissial, diocésain, d'autres appartiennent à des organismes civils ou gouvernementaux de type assistance ou promotion du développement. Tant dans les problèmes de financement que dans ceux de planification et de gestion des projets proprement éducatifs de ces œuvres, on voit, assez fréquemment, une étroite collaboration avec un grand nombre d'organismes éducatifs. 

Le Jugement extérieur sur ce type d'œuvres.

Le jugement extérieur porté sur ce type d’œuvres varie logiquement selon le point de vue où l'on se place. Ceux qui, croyants ou non, sont sensibles aux "points chauds" de la société de nos jours, portent un jugement généralement positif sur ce type d'activités de "frontière". Du point de vue de l'Eglise, également, ceux qui sentent la force et la nécessité d'une présence qui "prophétise", apprécient grandement ce type d'actions éducatives. Les raisons les plus communes pour ce jugement positif sont celles qui expriment la relation entre les destinataires, les objectifs et les moyens. Pour ce qui est des destinataires, parce qu'il se trouve qu'ils sont les plus oubliés par les solutions "formelles" ou "institutionnelles". Pour ce qui touche aux objectifs, parce que, soit qu'on traite d'éducation religieuse au sens strict ou de catéchèse, ou que l'on traite d'éducation au sens plus large, en général, ces projets éducatifs portent une plus grande attention aux nécessités réelles que ne le font les enseignements du système formel. Et de la même manière, nous pouvons dire que, dans ces activités, le souci des méthodes est plus aigu et, de par la liberté qui y est donnée, les méthodes sont, souvent, plus créatives et plus efficaces. 

Difficultés de quelques Frères à accepter ces œuvres.

Dans les Provinces, ce type d'œuvres, non reliées à l'école, avec une tâche éducative chrétienne réelle, mais non strictement structurées, rencontrent, parmi les Frères, un accueil divers. Quelques-uns ont des difficultés à les accepter comme l'expression normale de notre mission actuelle d'éducateurs chrétiens, malgré la clarté de nos Constitutions à ce sujet. Entre les difficultés énoncées par ces Frères, nous pouvons citer les suivantes: notre tradition scolaire, certaines expériences malheureuses , personnelles ou communautaires, vécues au moment de la rénovation postconciliaire, la situation des Provinces qui, à grand peine, parviennent à maintenir dignement les œuvres traditionnelles par manque de personnel, et le manque de préparation d'une partie des Frères pour affronter ces nouvelles tâches et des vies communautaires moins structurées que dans le cas de l'école. Pour finir, pour quelques-uns, il existe aussi un doute concernant l'efficacité pastorale de ces œuvres en comparaison avec les autres solutions déjà existantes. 

Estimation de ces œuvres comme réponse nécessaire aux temps actuels.

D'autres Frères, cependant, sentent ces présences comme une réponse non seulement possible, mais nécessaire si nous voulons être fidèles à notre charisme. Tant par le contenu des tâches que par les destinataires à qui elles s'adressent, ils les trouvent cohérentes avec l'origine de notre Congrégation, et se demandent si nous n'avons pas été ou ne sommes pas déjà en retard pour répondre aux appels des temps et de l'Esprit. Ces Frères pensent que le moyen adéquat pour résoudre les problèmes qui, objectivement, apparaissent dans ces cas, serait un processus de discernement sur les priorités apostoliques provinciales. Les Provinces, dans leur réflexion préparatoire de la Conférence Générale de Veranópolis, et les Provinciaux pendant le déroulement de celle-ci, ont jugé nécessaire de développer notre présence dans ces œuvres, par fidélité à notre charisme et comme réponse aux appels urgents de la réalité. 

NOTRE PRÉSENCE PARMI LES PLUS DÉLAISSÉS 

Il manque une carte détaillée.

Nous ne disposons pas d'une "carte" de l'Institut qui nous indiquerait avec un certain détail l'origine sociale des destinataires de nos efforts apostoliques en œuvres scolaires ou non. Cependant, seule une étude de ce type nous permettrait de voir quel type de réponse nous donnons à la préférence pour "les plus délaissés", comme nous le demandent nos Constitutions. 

La discussion sur qui sont les "pauvres".

Il existe une difficulté, pour quelques-uns, pour se mettre d'accord sur le contenu des mots "pauvres" et "les plus délaissés". Il Y a eu, sur ce thème, en quelques endroits, des discussions interminables et sans grands résultats. Nous les laissons de côté, et toujours avec un critère d'approximation de la réalité qui n'a pas de prétentions scientifiques d'exactitude, nous partageons avec vous notre appréciation de l'Institut sur ce sujet. 

Nous ne sommes pas de préférence avec les plus délaissés.

Il nous semble que nous ne pouvons pas dire avec vérité que les œuvres de l'Institut et la distribution de son personnel expriment en ce moment, avec vigueur, la préférence que les Constitutions lui demandent pour les "plus délaissés". 

Une exigence et non un choix. Une conséquence de notre foi.

L'option pour les pauvres, dans notre mission d'éducateurs chrétiens, n'est pas un choix, mais une exigence. Exigence de l'Evangile, de l'Eglise et exigence spécifique de notre vocation de Frères Maristes. Ce n'est pas une option qui naît d'une sensibilité sociale plus ou moins prononcée, liée à une réalité psychologique personnelle ou à une prise de conscience de la pauvreté et de l'injustice qui se voient dans notre monde. L'option pour les pauvres est pour nous-elle devrait l’être- une conséquence de notre foi. Une conséquence de notre acceptation du mystère de l'amour de Dieu et de ses propres préférences, manifestées clairement dans son incarnation. 

Option pour les pauvres et tâche éducative.

Nous signalons à la suite quelques-unes des conséquences qui devraient se produire pour les Provinces si nous prenions au sérieux cette préférence pour les plus délaissés. 

Plus grande présence.

Consacrer un plus grand nombre d'œuvres et un plus grand nombre de Frères au travail de l'éducation des enfants et des jeunes démunis. 

Formation théorico-pratique à la doctrine sociale.

Offrir à nos élèves une formation sociale appropriée, aussi bien théorique. qu'expérimentale, engagée dans la réalité. Efforts systématiques pour susciter une conscience claire des situations de pauvreté et d'injustice et de non solidarité, pour créer des attitudes critiques et responsables, et des engagements avec des actions concrètes dans les milieux sociaux les plus proches. 

Attention spéciale aux « ratés scolaires »

Programmes éducatifs spéciaux, dans nos centres, consacrés aux élèves qui ont le plus de difficultés de divers types: académique, affectif, économique, religieux, etc. 

Modèles de relations fraternelles et de participation.

Proposer des modèles de relation et de participation, dans le fonctionnement ordinaire de nos œuvres, qui traduisent avec fidélité les valeurs évangéliques que nous proclamons. Expériences d’organisation qui nous engagent dans la direction d'une société plus juste et solidaire. 

Actions sociales des Communautés éducatives.

Promotion d'activités parascolaires de type social, dans lesquelles s'impliquent, lorsque c'est possible, professeurs, parents, élèves et autres agents sociaux ou d'Eglise. Leur contenu serait déterminé par la réalité sociale même la plus proche. Dans sa dynamique interne, on prendrait en compte les critères de l'auto développement. 

Fonder la dynamique sociale sur la dynamique de la foi.

Aider à fonder toute cette dynamique sur la foi à la paternité unique du Seigneur et sur la fraternité évangélique qui intègrent les schémas psychosociaux de la sensibilité sociale, et qui les transcendent sans perdre de leur vigueur. Tout cela, en étant conscients de la difficulté que rencontrent beaucoup de personnes qui travaillent dans ce champ, coude à coude, d'arriver à cette dynamique de foi. 

Discernement des priorités apostoliques. 

Un mandat des Constitutions : discerner et évaluer périodiquement

Il existe un mandat des Constitutions pour "discerner et évaluer périodiquement" nos engagements apostoliques pour les adapter aux appels de l'Eglise et aux besoins de la société. (C. 85) La réalité changeante du monde que l'Eglise veut servir rend nécessaire cette révision continue, qui est un appel à la fidélité, et non une critique ou un simple jugement de valeur sur le travail que nous accomplissons. 

Une exigence de la situation des Provinces.

D'autre part, la situation même des Provinces les force à une planification de leurs activités pastorales, avec l'évaluation préalable qui en découle. Le vieillissement et la diminution du nombre des Frères, les nouvelles sensibilités face à ce qui serait les tâches éducatives préférentielles, les appels des Eglises locales, sont autant de raisons qui nous poussent à lancer des processus de discernement de priorités de plusieurs styles. 

Ce qui se fait dans l'Institut.

Elles sont nombreuses les Provinces qui, ces dernières années, ont réalisé des processus de discernement. Les schémas utilisés ont été divers tant du point de vue des objectifs que des méthodes appliquées. Les résultats sont jugés hautement positifs dans la majorité des cas et on souligne surtout la participation d'une grande partie des Frères à la réflexion sur la problématique de la Province. Le Conseil Général considère les processus de discernement comme quelque chose de très valable au service de l'animation et du gouvernement provinciaux et il a poussé tous les Frères à s'engager dans cette pratique lors des visites dans les Provinces. Nous signalons à la suite quelques aspects auxquels tout processus de discernement devrait être attentif et qu'il devrait respecter. 

La mission illumine le discernement.

Un processus de discernement devrait s'accomplir selon un modèle doctrinal qui lui serve de référence. En ce qui nous concerne, dans ce modèle, nous devrions bien souligner notre vocation de consacrés pour la mission, notre spécificité d'éducateurs chrétiens avec une préférence marquée pour les enfants et les jeunes les plus délaissés, et notre caractère marial. 

Analyse de la réalité.

Discerner suppose une interprétation des signes des temps, à partir de la foi. Il faudra ensuite, dans le processus de discernement, que la réalité soit connue le plus objectivement possible, par les méthodes qui lui sont propres. Et cela, tant en ce qui se rapporte à a réalité interne de la Province, qu'à la réalité dans laquelle se déroule la vie de consacrés et d'envoyés des Frères: la réalité socio-politique, la réalité culturelle, la réalité ecclésiale, etc. Le: recours à l'aide d'experts, dans cette phase comme dans d'autres, est hautement conseillée. 

Attention aux appels du Seigneur.

Discerner est, aussi et surtout, chercher la volonté du Seigneur dans l’aujourd’hui et le ici de nos vies et de nos œuvres. Cela implique ensuite que, dans l'analyse de la situation, il y ait une attention particulière et les dynamiques appropriées pour "entendre" les appels que Dieu nous lance par la réalité analysée. 

Promouvoir la participation.

Nos Constitutions disent des Provinces qu'elles sont "plus que des unités administratives, des communautés de vie, d'oraison et d'apostolat". (c. 128) fi est très important qu'au moment de déterminer leurs priorités, tous les Frères puissent faire. l'expérience de leur coresponsabilité en apportant leur réflexion et leur jugement sur les travaux qui ont été menés à bonne fin. De cette participation à l'élaboration des projets provinciaux naîtra, non seulement la connaissance des projets, mais ce qui est plus important, une adhésion plus cordiale. Cet aspect affectif de l'adhésion mobilisera plus efficacement toutes les énergies provinciales autour des projets qui seront vécus comme projets communs. 

Ouverts aux surprises de l'Esprit.

Un processus de discernement n'est pas une affaire purement technique. Et bien qu'à aucun moment il ne faille pas perdre de vue la valeur propre du procédé, l'ouverture reconnaissante à l'action imprévisible de l'Esprit est très importante. Nous devrons faire attention, par conséquent, aux attitudes qui nous permettent d'accueillir ce qui va bien au-delà de nos prévisions et déborde nos projets. 

                          Frère Pedro Huidobro

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 « Spécialement les plus délaissés. » 

0. Introduction.

 La réflexion sur "les délaissés : destinataires préférés de notre action APOSTOLIQUE" a occupé à Veranópolis l'un des moments importants de la Conférence. L'expérience préalable vécue par presque tous les participants, pendant quelques jours, dans des pays d'Amérique Latine, a contribué à créer un climat favorable pour faire cette r6ftexion en profondeur et en paix, avec un désir notable d'aller plus avant dans le dialogue, le partage et la mise en œuvre, dès le retour aux Provinces respectives.

 Mais le thème s'est situé, et je crois qu'il doit continuer à être situé, dans le contexte d'une réflexion plus vaste: La Mission du Frère Mariste dans le futur. La spiritualité apostolique, la spécificité de notre vocation-mission, l'éducation chrétienne des enfants et des jeunes, forment avec le thème des destinataires une unité que nous avons voulu souligner à tout moment.

 Tout ce qui est présenté ici n'a pas été donné aux Provinciaux à Veranópolis. Aussitôt après la Conférence l'idée a surgi de faire cette publication avec les éléments de base donnés à Veranópolis auxquels s'ajouteraient, si nous le jugions convenable, quelques réflexions supplémentaires. Voilà précisément ce que j'ai fait. Et aujourd'hui, je l'offre à tous, avec la conscience que ce qui a le plus de prix ne se trouve pas dans ces pages, mais dans la vie et le témoignage de beaucoup de Frères. 

1. Interpréter les signes. 

" L'Esprit habite l'Eglise…la guide vers toute vérité…la rajeunit, la renouvelle constamment et la conduit à l'union consommée avec son Epoux. "(cf.

Lumen Gentium, 4) 

" Pour accomplir cette mission, (continuer, sous la direction de l'Esprit, l'œuvre même du Christ) c'est le devoir permanent de l'Eglise de scruter à fond les signes du temps et de les interpréter à la lumière de l'Evangile, de telle sorte que, s'accommodant à chaque génération, l'Eglise puisse répondre aux questions éternelles de l'humanité sur le sens de la vie présente et future et de la relation mutuelle entre les deux. Il est nécessaire pour elle de connaître et de comprendre le monde dans lequel nous vivons, ses espérances, ses aspirations et la tournure dramatique qui le caractérise fréquemment." (Gaudium et Spes, 4) 

"Grâce à l'Esprit, le chrétien lira le monde et l'histoire avec des yeux neufs. Il découvrira en elle une dimension insoupçonnée. L'horizon se dilatera sans mesure. Dans la banalité de l'existence, il percevra, comme les premiers éclats de l'aurore, la montée de la gloire de Jésus. Pour le chrétien illuminé par l'Esprit, "les ténèbres passent, la lumière vraie brille déjà." 0 :Jn. 2,8) Tout prend un sens; tout devient "signe" de la présence du Seigneur qui vient." (D. Mollat) 

Dans Gaudium et Spes, les signes des temps sont les faits, les événements et les relations ou attitudes qui caractérisent une époque. Ces signes projettent la lumière sur deux niveaux. Pour qui est attentif, ils révèleront les causes et les effets des événements, ainsi que les espérances et les préoccupations des hommes; cette personne pourra ainsi mieux comprendre les courants dynamiques de son temps, c'est-à-dire, de l'histoire qui vit. Pour le croyant, la "révélation" est plus profonde. Convaincu que la puissance de l'Esprit est à l'œuvre, sans cesse, dans le monde, le croyant s'efforce de découvrir sa présence par ces signes et les courants qu'ils mettent en évidence. En d'autres mots, il s'agit de pénétrer (percer, dit un auteur actuel) la réalité, à la lumière de l'Evangile, pour découvrir en elle un message de contenu humain ou théologal. 

Une autre fonction importante des signes des temps est de provoquer la prise de conscience de valeurs qui, ayant existé antérieurement, sont perçues à un moment donné avec une plus grande acuité. Dans ce sens, elles réveillent la conscience et réclament une réponse claire et neuve. Elles sont un appel à la conversion. 

Il semble indéniable que l'un des signes qui, dans Vatican II , fut perçu comme un appel fort de l'Esprit pour" accomplir le dessein de Dieu" et " ne pas décevoir les exigences urgentes et profondes de notre temps" a été le monde marqué par la pauvreté, la faim, la dénutrition, l'infirmité, l'ignorance, la marginalisation, l'inégalité socio-économique, l'injustice, le manque des conditions essentielles de la vie. A partir de là, Dieu parlait et demandait des réponses. Et il y eut, dans ce Concile, des évêques sensibles à cet appel. (voir page 586) 

Il est certain que toujours, dans l'Eglise, tout au long de son histoire, il y a eu des chrétiens sensibles à la pauvreté des hommes, mais c'est à partir de Vatican II qu'a surgi dans l'Eglise une sensibilité neuve face à ce problème ancien de la pauvreté. Et avec elle, des déclarations, des décisions et des actions en conséquence. 

Cette sensibilité nouvelle est motivée aujourd'hui par l'ampleur du phénomène de la pauvreté, par la perception du pauvre, non seulement comme individu, mais comme groupe ( si nombreux qu'il est majoritaire dans l'humanité ), par la constatation qu'une telle pauvreté est devenue systématique et structurelle et a généré de nouvelles pauvretés, par la preuve que c'est le résultat de l'oppression du petit nombre ( qui s'enrichissent) sur le grand nombre (qui s'appauvrissent) et par la conviction qu'il n'y a aucune espérance à cause des politiques qui dirigent les opérations des Etats et des sociétés. 

Mais le défi de la pauvreté n'est pas lancé à l'Eglise seulement par la conjoncture, mais par Dieu lui-même. C'est le contenu théologal du message que ce signe nous offre. Et cela, dans un double sens. D'une part, la pauvreté dans le monde nous révèle une situation de péché, une situation non voulue par Dieu. "Là, se rencontrent des inégalités sociales, politiques, économiques et culturelles injustes; il y a un rejet du don de la paix du Seigneur, plus encore, un rejet du Seigneur lui-même." (Medellin, Paz n. 14) Elle nous révèle un Dieu qui devant cette situation prend parti: "il prend en pitié le pauvre et l'indigent et sauve la vie des pauvres. "( Sal 72 ), "il renverse de leur trône les puissants et il exalte les humbles", "il remplit de biens les affamés" et "renvoie les riches les mains vides." ( cf. Lc l, 51-52) 

Le pauvre se convertit ainsi en une médiation nécessaire pour la révélation du Dieu de Jésus. "Pour Dieu, c'est un honneur que nous entrions dans ses sentiments les plus intimes, que nous fassions ce qu'il a fait et que nous réalisions ce qu'il a ordonné. Plutôt, ses sentiments les plus intimes ont été de se préoccuper des pauvres pour les aimer, les consoler, les secourir et les recommander. C'est en eux qu'Il met toute son affection… "Il n'y a aucune différence entre aimer Dieu et aimer les pauvres…" St Vincent de Paul. D'autre part, la foi nous révèle le pauvre comme sacrement du Christ (vicaire du Christ, disait Pierre de Blois au XIIe siècle), mystérieusement identifié à Lui. Dans sa visite en Colombie en 1968, le pape Paul VI commença son discours aux paysans par les paroles suivantes: " je suis venu ici pour vénérer le Christ en vous…" A aucune autre catégorie de personnes, il n'avait parlé ainsi. Ses paroles aux paysans étaient un écho authentique de l'enseignement de Jésus et de l'Eglise: le Christ est vivant plus particulièrement dans les plus pauvres de nos Frères. Ils sont son visage. ( voir page ) 

"Si nous nous rappelons (…) comment, dans le visage de chaque homme, surtout s'il est devenu transparent à cause de ses larmes et de ses douleurs, nous pouvons et devons reconnaître le visage du Christ (cf. Mt 25,40), le Fils de l'Homme, et si, dans le visage du Christ, nous pouvons et devons reconnaître le visage du Père céleste (Jn 14,9), notre humanisme se fait christianisme, notre christianisme se fait théocentrique; tellement que nous pouvons affirmer aussi: pour connaître Dieu, il est nécessaire de connaître l'homme."( Paul VI, à la clôture de Vatican II, 7.12.65 ) 

Dans le sein de l'Eglise, les religieux, par la radicalité de leurs options évangéliques, se sont sentis profondément interpelés et ont entrepris une authentique voie de conversion personnelle et institutionnelle. De fait, le témoignage des religieuses et des religieux qui ont lutté vaillamment pour aider les humbles et défendre les droits humains, ont été un écho efficace de l'Evangile et de la voix de l'Eglise." (Religieux et promotion humaine, 3) 

Il s'ensuit "qu'il n'est pas rare qu'on les rencontre à l'avant-garde de la mission, affrontant les plus grands risques pour leur santé et pour leur propre vie." (Evangelii nuntiandi, 69) La Conférence de Puebla en vient à affirmer que "l'ouverture pastorale des œuvres et l'option préférentielle pour les pauvres est la tendance la plus notable de la vie religieuse latino-américaine." (Puebla, 733) 

Par fidélité.

 Notre option préférentielle pour les pauvres est une claire option de foi qui plonge ses racines dans l'Evangile et la pratique de Jésus. Elle n'obéit pas en premier lieu à des raisons de type sociologiques ou politiques, bien qu'elle fasse usage des données qu'offre la sociologie et ait aussi une dimension politique. Elle s'insère plutôt dans l'atmosphère d'une dynamique de fidélité.

Elle est exprimée avec concision et clarté par nos Constitutions: 

"Par fidélité au Christ et au fondateur, nous aimons les pauvres…" (C.34)

 Parce qu'elle est une fidélité dynamique, notre fidélité est aussi créatrice.

Rester fidèles ne veut pas dire que nous devons nous limiter à répéter le passé dans le présent. Voilà la fidélité que Jésus a dénoncée. (Mt 7) La fidélité est, plutôt, une recherche continue, créatrice, un engagement en devenir: il s'agit de trouver comment vivre aujourd'hui l'engagement amorcé dans le passé et dont le but se trouve dans le futur. Cela exige de voir la vie comme un processus historique. On ne nie pas (ni on ne renie pas) le passé, mais on vit le présent de manière que s'il faut privilégier une époque, c'est le futur et non pas le passé.

La fidélité n'est ni immobilisme ni légalisme, mais bien audace créatrice, conquête, continuité dans la discontinuité. Elle peut demander aussi des ruptures avec le passé, quand la réponse pour aujourd'hui demande davantage de communion avec l'esprit des origines et la situation actuelle.

 Pour cela, il faudra "vision de foi, écoute de la Parole, attention continue et interprétation sûre des signes des temps, et attention aux appels de l'Eglise et aux besoins de la jeunesse" (cf. C. 43; 168) Et, à partir de là, il sera possible" d'adapter les structures et de prendre des décisions courageuses, parfois inédites. " (cf. C. 168) 

2.1 Jésus et les pauvres.

 On peut trouver une littérature abondante et de bonne qualité, dans quelque langue que ce soit, sur l'attitude de Jésus envers les pauvres: depuis les textes qui émanent de la hiérarchie jusqu'aux études bibliques et théologiques.

Pour cette raison, malgré l'importance capitale de ce sujet, nous omettons une réflexion plus étendue et nous nous contentons de rappeler quelques idées, certainement connues de tous.

 L'Incarnation du Verbe constitue une option radicale pour la pauvreté de l'être. Le cantique christologique s'adresse à Jésus qui, en cohérence avec cette option radicale, "étant de condition divine… ne fit pas usage de ses privilèges…fut l'un parmi nous…mais encore, prit la condition de l'esclave …et se soumit à la mort… de la croix!" Jésus se fait pauvre: il accepte consciemment la marginalisation qu'occasionne sa nouvelle condition, parce que c'est ainsi que le demande sa mission qui est, à la fois, fidélité au Père et à ses Frères.

 La pauvreté de Jésus, à la différence de celle de Jean-Baptiste, n'est pas ascétique, mais prophétique. En optant pour la pauvreté, Jésus opte pour les pauvres et en se faisant l'un d'eux, solidaire de leur sort, il révèle le Père et son amour gratuit pour l'homme. 

L'annonce du Royaume de Dieu constitue le message central de Jésus.

Et le Royaume qu'il annonce contrarie les attentes habituelles du judaïsme et l'organisation sociale du moment: selon le discours programme inaugural de Jésus dans la synagogue de Nazareth, l'annonce de la bonne nouvelle s'adresse, en premier lieu, aux frères et sœurs qui souffrent; Jésus proclame qu'il vient réaliser les espérances des pauvres et qu'eux seront toujours pour lui les privilégiés de sa mission.

 Les signes que Jésus offre aux disciples de Jean sont ses meilleures lettres de créance. Entre autres signes, le plus spécifique et décisif, celui qui donne le trait caractéristique de sa mission parce qu'il l'identifie au message annoncé par le prophète, est celui-ci: "la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres".

 Le sens de la mission de Jésus devient, dès lors, incompréhensible sans cette référence relative aux pauvres. Pour cette mission, il reçut l'Esprit et il fut oint, et pour elle, il fut envoyé.

 Dans sa réalité historique concrète, Jésus, pour concevoir ainsi sa mission, la réalise d'une manière qui, inévitablement, le prive de sa sécurité, de sa dignité et de sa propre vie ce qui est le véritable et suprême appauvrissement.

 Il suffit simplement d'ajouter: "Etant disciples du Christ, comment pourrions- nous mener une vie différente de la sienne?" (cf. Evangelica wstificatio) "par amour, nous cheminons sur les pas de Jésus pour apprendre de lui comment vivre pleinement notre vœu de pauvreté…" ( C. 28) 

2.2 Champagnat et les pauvres.

 Etant un homme "captivé" par la personne de Jésus, le Père Champagnat vivait de l'air de l'Esprit, faisant en sorte que les attitudes et les sentiments du Christ deviennent la règle et le moteur de sa vie et de son action. Tout cela, avec une simplicité profonde, sans avoir besoin de beaucoup d'élaboration intellectuelle, arrivant à la connaissance amoureuse de Jésus grâce à une oraison fervente et à une générosité magnanime. Son cœur (c'est-à-dire sa personne même) fut miséricordieux comme celui du Christ et fut capable "d'avoir compassion" (cf. Mt 15,33) et d'être "sensible aux besoins (des gens) de son temps." (cf. C 2)

 Comme pour Jésus, les pauvres furent ses préférés. Il les aima et les secourut, non seulement par les œuvres de miséricorde spirituelle, mais dans leurs besoins matériels, toutes les fois que ses maigres ressources le lui ont permis. Ce désir de les secourir motivait son amour de la pauvreté et son austérité de vie.

 "Il répétait souvent: Nous serions grandement coupables si nous faisions des dépenses inutiles et si nous recherchions le superflu, alors que tant de pauvres manquent de pain et de vêtements. Qui est insensible aux misères et privations des membres souffrants de Jésus Christ et n'épargne pas ce qu'il peut, prenant soin des choses comme il se doit, pour les aider, n'est pas charitable. Les saints, qui brûlaient d'amour de Dieu, aimaient les pauvres comme des frères. Pour cela, ils se privaient et se détachaient du nécessaire pour les secourir." (Vie p.527)

 A ce point de notre réflexion, il est impossible de ne pas rapporter ce que narrait le Frère Jean-Baptiste:

 Un jour, on vint l'appeler pour assister un malade. Il alla immédiatement lui rendre visite et il rencontra le malheureux, couvert d'ulcères, couché sur la paille et portant seulement des haillons pour couvrir sa nudité et ses plaies. Mû d'une profonde compassion devant tant de souffrance et de détresse, il adressa d'abord au malade quelques paroles de consolation. Puis, il se dépêcha d'appeler le Frère Econome et lui ordonna d'envoyer immédiatement un matelas, des draps et des couvertures au malade.

 -Mais, Père, lui signala le Frère, il n'y a pas un seul matelas dans toute la maison! Je suis sûr qu'il n'en reste pas un seul. Je me souviens que j'ai donné le dernier il y a quelques jours.

– Eh bien, allez prendre celui de mon lit et portez-le tout de suite à ce pauvre malade. Se dépouiller de ce qui lui appartenait pour secourir les pauvres ou pour le donner aux Frères lui arrivait fréquemment." ( Vie, p.522)

 Les vieillards qu'il recueillait à l'Hermitage, les aumônes et les aides qu'il apportait et le service délicat et diligent qu'il offrait aux pauvres seront toujours une preuve de cet amour jamais démenti. " L'esprit de foi qui animait le pieux fondateur lui faisait voir dans les pauvres l'image de Jésus Christ, fait homme pour nous et lui inspirait un profond respect pour eux. Et s'il ne pouvait pas toujours s'occuper d'eux, au moins, il leur prodiguait les consolations, les encouragements et les marques d'intérêt dont il était capable." ( Vie, p. 528 )

 En fondant son œuvre, (œuvre de Marie, selon son intime conviction), il est poussé fondamentalement par deux choses. L'une, cet amour des pauvres.

Son biographe l'exprime avec clarté:

 Voyant qu'il ne pouvait pas fournir aux pauvres tous les secours corporels qu'il aurait voulu, parce que sa situation et ses ressources ne le lui permettaient pas, il s'est rattrapé amplement en formant des maîtres pour offrir aux enfants pauvres l'instruction primaire et l'éducation chrétienne. C'est pour eux précisément qu'il a fondé l'Institut et il veut que les Frères se considèrent particulièrement chargés de leur instruction." (Vie, p 529)

 L'autre motivation, son zèle apostolique, ce désir ardent de faire participer tout le monde, particulièrement les enfants et les jeunes qu'il aimait tant, à son expérience de l'amour de Jésus et de Marie qui constituait son trésor. A ce sujet, il convient de rappeler toujours que l'événement qui confirma à Marcellin l'urgence de la fondation des "Frères" est d'avoir été témoin de la mort d'un enfant qui n'avait aucune notion que ce soit de l'existence de Dieu. Savoir que d'autres enfants pourraient vivre et mourir en ignorant l'amour que Dieu a pour eux enflammait son cœur passionné d'apôtre.

 En conjuguant ces deux facteurs, surtout ces deux-là, Marcellin définit l'orientation de son œuvre en faveur des plus nécessiteux, en accord avec les situations sociales concrètes de son époque et de son environnement.. De là, sa volonté de servir les municipalités aux recettes les plus limitées. (voir Annexe 3, n.1). De fait, au début, il destine les frères aux villages les plus pauvres, et c'est pour çà, qu'il les forme aussi aux travaux manuels qu'ils devront exercer pendant les mois d'été où ils ne livrent pas à l'enseignement.

Les premiers destinataires de la mission seront donc les humbles, le petit peuple, les gens simples, parmi lesquels sont inclus, logiquement, pas mal de vrais pauvres. Cette orientation est signalée par le Fondateur lui-même, quand, en rédigeant les promesses des premiers petits frères, il y introduit la promesse d'enseigner gratuitement les pauvres. (Voir page, n.4)

 Les orphelins (les pauvres orphelins, comme il disait) entrent dans ses vues. Malgré les difficultés que suppose le fonctionnement de l'orphelinat à l'Hermitage, Marcellin n'élimine jamais de ses plans le travail éducatif en faveur des orphelins. Les réalisations concrètes de l'Hospice de la Charité de Saint-Chamond et de l'orphelinat de Denuziere de Lyon (tous deux de 1838) et de l'Hospice de la paroisse de Saint-Nizier de Lyon (1840) en sont la preuve. Son intention reste explicitement indiquée dans un article qu'il ajouta (de sa propre main) aux Statuts rédigés en 1825 et qui disent textuellement:

"L'objet de la Congrégation est aussi de diriger des maisons de la providence ou des refuges en faveur des jeunes qui, ayant abandonné le mauvais chemin, sont exposés à se pervertir…"

 Une nécessité qui trouve écho dans son cœur compatissant est le sort des enfants sourds-muets. Eux aussi entrent dans son projet. Afin de le préparer à la méthode d'enseignement des sourds-muets, il envoie le F. Marie-Jubin à l'institut des sourds-muets de Paris (mars 1838). Lui-même s'y intéresse tellement, qu'il l'accompagne aux cours, quand il le peut. (Lettre au F. Antoine, 24 mars 1838) Le projet ne sera pas mené à bonne fin cette fois-ci, mais quand, en 1840, la ville de Saint -Etienne, une nouvelle fois, demande des Frères dans ce but, le Fondateur est intéressé et envoie deux Frères se former.

 Une des situations qui a servi d'argument pour justifier la présence de Frères en milieu urbain, en contact avec des élèves non seulement non-pauvres, mais appartenant à des familles aisées, est le fait que c'est Marcellin lui-même qui a permis la présence éducative des Frères dans des lieux différents de ceux des origines. Son désir de "sauver des âmes" l'y poussa. Mais cette situation même lui donne l'occasion de réaffirmer son intention première et de rappeler aux Frères le but premier de la fondation de l'Institut. (Voir page , n.3) Il apparaît clair que la question ne doit pas se poser en termes de localisation géographique, mais d'identifier qui sont aujourd'hui les "pauvres" à qui le Père Champagnat désire nous envoyer de préférence comme l'expriment nos Constitutions. (33) Servir les pauvres sera toujours pour les Frères Maristes une question de fidélité à l'Evangile de Jésus et au désir de Champagnat sur son Institut. Le défi est d'être créatif dans notre réponse. 

3. Bref coup d'œil historique aux Constitutions. 

Depuis la première fondation, depuis les premières écoles fondées par Champagnat jusqu'à nos jours, il y a eu un long cheminement ce qui suppose des changements. Beaucoup de changements ont été imposés par les circonstances.

 Changements dans les structures éducatives…dans les contenus éducatifs… dans les moyens au service de l'éducation… Changements aussi pour ce qui est des destinataires.

 Le Père Champagnat lui-même, comme nous le savons (cf. page, n. 3) accepta de donner des réponses face à des situations nouvelles et par la localisation des écoles et le type des élèves, il apporta des· changements au projet initial. Malgré cela, il ne voulut jamais que les Frères oublient l'intention originelle.

 Les Règles et Constitutions ont voulu être l'expression fidèle de la pensée du Fondateur sur la vie et la mission de l'Institut. Pour tenir compte des destinataires de notre action pastorale, la formulation a subi des retouches jusqu'à arriver à la rédaction que nous avons aujourd'hui.

Des Constitutions de 1854 à 1959, la rédaction reste plus ou moins invariable dans ces termes:

 "Son but secondaire (celui de l'Institut) est de procurer le salut des âmes par le moyen de l'instruction et de l'éducation chrétienne des enfants, principalement ceux de la campagne." (art. 2)

 Un indult de la Sacrée Congrégation des Religieux de 1959 a approuvé les modifications menées à bonne fin au Chapitre de 1958. L'article 2 apparaît alors en ces termes:

 "Son but spécial est de procurer le salut des âmes par l'instruction et l'éducation chrétiennes de la jeunesse. Les élèves moins fortunés seront l'objet de leur prédilection". Les Constitutions "ad experimentum" émanées du Chapitre spécial de rénovation parleront – toujours dans l'article 2 – de "dévouement total aux diverses formes de l'éducation chrétienne de la jeunesse, en particulier au service des moins favorisés" .

 Et, nous arrivons ainsi à la dernière rédaction correspondant·· aux Constitutions de 1986 : "…il fonda notre Institut pour l'éducation chrétienne des jeunes, particulièrement les plus délaissés". (C. 2 ; 80)

 Tous ces changements ne paraissent pas affecter l'intention première du Père Champagnat, mais, bien au contraire, sont comme le souvenir de cette option et le rappel constant à la maintenir. 

4. Pauvreté évangélique et option pour les pauvres.

 Le vœu de pauvreté que font les religieux est l'une des expressions 'de réponse agréable à Dieu qui nous invite à la suite radicale de Jésus, chaste, pauvre et obéissant. Pendant longtemps, nous avons compris ce vœu dans sa dimension plutôt ascétique et individuelle. On mettait l'accent sur la pauvreté personnelle et la dépendance. Vatican II nous ouvrit à de nouvelles dimensions, comme: la pauvreté comprise comme participation à la pauvreté du Christ, l'effort pour donner un témoignage collectif de pauvreté et le partage de leurs biens mêmes avec les nécessiteux. (cf.  Perfectae caritatis, 13)

 Postérieurement, Paul VI, dans "Evangelica testificatio" situe "la clameur des pauvres" au début même de sa réflexion sur le conseil évangélique de pauvreté. Cette clameur, dit le Pape, si nous l'éprouvons en intime union avec le Christ, rendra plus urgente et plus profonde notre pauvreté (cf. 22), parce que c'est un appel insistant à une conversion de la mentalité et des comportements, en particulier pour ceux qui suivent "de plus près" le Christ dans sa condition terrestre d'anéantissement. (17) Heureusement, Paul VI nous ouvre à une nouvelle compréhension et à un nouvel approfondissement de la pauvreté consacrée. Plus récemment, l'Instruction "Orientations sur la formation dans les Instituts religieux" reconnaît que "l'option préférentielle et évangélique" pour les pauvres est un élément constitutif de la pauvreté religieuse, comme réponse à l'un des signes des temps. (14)

 Dans nos Constitutions aussi, on trouve cette même perspective. Les articles 33 et 34, inclus dans le chapitre de la Consécration, et plus concrètement le paragraphe sur le conseil évangélique de pauvreté, nous rappellent que la fidélité à notre consécration religieuse passe par le vécu de ce conseil évangélique, en communion avec le Christ pauvre et avec les pauvres, avec de sérieuses exigences pour notre être de religieux et notre action apostolique. 

4.1 Quelques conséquences pour notre être de religieux.

 Ou, dit d'une autre façon: choisir les pauvres, en vivant aussi la condition de pauvre. Comme Jésus. Comme points à considérer, nous offrons, de façon non systématique et plutôt intuitive, les suivants:

 La pauvreté évangélique à laquelle nous sommes appelés et que nous avons professée, nous place parmi le groupe de ceux qui ne sont rien, en communion avec le Christ qui s'est anéanti. Etre cohérents avec cette pauvreté exige de renoncer (et de l’énoncer) à toute espèce de richesse (biens matériels, culturels et même spirituels) qui se transformerait en pouvoir ou domination et qui ne se prêterait pas à la communion et au service.

 La vie religieuse dans l'Eglise, si elle n'appartient pas à sa structure hiérarchique, participe à sa vie et à sa mission à partir de la pauvreté de celui qui ne peut invoquer aucune autorité et aucun privilège, sinon celui de suivre le Christ et le Christ crucifié. Et s'il en est ainsi pour toute vie religieuse, cela l'est certainement plus encore pour la vie religieuse laïcale.

 Dans la relation avec le monde, ce qui doit marquer notre présence ne sera pas l'obtention d'un prestige social ou de zones de pouvoir, mais bien le service désintéressé.

 Le Père Champagnat exprime cette pauvreté de l'être en termes d'humilité.

 Pour que les Frères saisissent parfaitement son idée, il leur donna le nom de Petits Frères de Marie, pour que le nom même leur rappelle ce qu'ils devaient être. Cette expression, Petit Frère, qui en gêne quelques-uns, qui est une énigme pour ceux qui ne connaissent pas la Congrégation, qui, à d'autres, apparaît comme superflue et inutile, il ne l'a pas donnée aux Frères sans motif.

Dans la pensée du pieux Fondateur, cette expression doit leur rappeler que l'esprit de leur vocation est l'humilité… L'expression Petit Frère est d'une certaine manière, la sceau et l'étampe de l'Institut. En plus d'avoir fait connaître aux Frères, y compris par leur nom, l'esprit qui doit les animer, il s'est efforcé, continuellement, de les former à l'humilité et à la simplicité. (Vie, p. 410)

 Pour nous autres Maristes, cette pauvreté qui est humilité, s'exprime dans des attitudes de simplicité et de fraternité. "Notre vie simple et offerte révèle le visage de l'Eglise pauvre et servante, et le témoignage de la joie promise à ceux qui ont un cœur de pauvre." (C. 35) " Avec les élèves, nous nous comportons comme des Frères…" (C. 88), et "nous leur donnons des marques d'une attention imprégnée d'humilité, de simplicité et de désintéressement." (C. 83)

 Evidemment, l'important est de faire que les écrits s'incarnent dans nos vies. Dans le contexte du monde et de l'Eglise, les gestes et les attitudes qui évangélisent sont urgents. Parfois, nous les avons appelés les signes clairs du Royaume de Dieu. Sans protagonisme et sans vanité qui fausseraient le geste et l'empêcheraient d'évangéliser, ce qui est cependant son sens dernier. Puis, le signe a valeur de moyen, non de fin en lui-même. Les Constitutions demandent que "notre témoignage soit crédible." (C. 35)

 Aujourd'hui, les gestes qui sont les plus nécessaires doivent. être collectifs. Et comme, de plus, il y a des images historiques peu ou pas du  tout positives, il peut bien arriver que pour que le geste atteigne son but d'évangélisation, il faille des changements structurels importants et profonds. Je dirais que cela n'est possible que si notre vie, non seulement la vie de chaque religieux, mais celle du groupe en tant que communauté envoyée… se présente devant le monde comme une explication véritablement prophétique; des valeurs du Royaume. 

Les questions que cela nous pose sont multiples comme:

 Pourrons-nous témoigner d'une confiance absolue en la providence du Père Céleste (cf. Mt 6,25; PC 13), si nous avons une préoccupation excessive pour le lendemain et le souci indu de sécurités humaines?

Pourrons-nous annoncer la seule richesse qui est le Christ si nous vivons de plus en plus dans la commodité et le confort, par défaut de critères et de discernement pour l'acquisition et l'usage des biens? Notre vie ne devrait- elle pas être plus sobre?

Pourrons-nous remettre la société en question à partir de l'Evangile, sans remettre en question nos propres situations de privilégiés, sans capacité d'autocritique, ou, pire encore, sans nous soumettre au verdict du discernement?

Ne devrions-nous pas être capables de renoncement? Ne devrions-nous pas être capables d'une évaluation sincère de nos solidarités, de ceux qui sont l'objet de nos préférences?

 Pourrons-nous être "solidaires des pauvres et des causes justes" (C 34) sans gestes réels de solidarité? Cette solidarité sera-t-elle possible sans rencontrer d'opposition, de critiques et jusqu'à la persécution? Dans des situations d'injustice, devant l'évident manque de défense des pauvres, oserions-nous nous faire la voix de ceux qui sont sans voix?

 Il parait évident qu'un plus grand contact et une plus grande connaissance des pauvres est urgent. Quand nous constatons en nous (en parlant en termes généraux), une créativité faible pour répondre, à partir des spécificités du charisme même, aux besoins qui existent, nous pensons que, par une expérience de proximité avec les pauvres, il nous serait plus facile de trouver des réponses appropriées.

 Chaque fois avec plus de clarté, les religieux dans l'Eglise comprennent que leur consécration-mission leur demande une nouvelle façon d'être présents et d'entrer en relation avec la société, qui consiste, en fait, à vivre pour les pauvres et les opprimés. Ils sont – doivent être – nos compagnons naturels, notre milieu social. Pour cela, on a parlé; d'un "changement de milieu social". Marcello Azevedo l'exprime avec clarté: "Il s'agit d'assumer, dans la lecture et interprétation de la réalité, un nouvel angle de vue ou point de départ.

Changer de milieu social pourrait signifier pour l'Eglise, et pour les religieux en elle, un effort sérieux pour regarder le monde, la société, l'Eglise même et toute l'humanité, en partant des pauvres, de leurs urgences et besoins, de leurs valeurs, de leurs appels, de leur contribution possible et appréciée à leur propre promotion et à la construction désirée d'un société juste. " Et il ajoute qu'il ne s'agit pas seulement d'intensifier l'aide généreuse, ni de s'insérer dans leur milieu, mais que "c'est, avant tout, de situer les pauvres activement à la racine même de la critériologie de nos analyses, évaluation et interprétation de la réalité, au centre de notre discernement et de l'élaboration de décisions, au foyer d'irradiation de notre être et de notre agir apostolique comme religieux. "

 L'expression la plus radicale de ce changement de milieu social est le déplacement total, c'est-à-dire: penser et juger comme les pauvres, avec eux et en partageant leur situation. Ce serait l'insertion.

 Je crois qu'en tout cela, les Frères (fondamentalement comme groupe, comme collectivité), nous devons avancer beaucoup. Le type de personnes avec qui nous avons habituellement des relations n'aide pas à ce que notre vision du monde soit dans l'optique des pauvres. Bien plus, l'institutionnalisation de notre tâche pastorale en œuvres éducatives pourrait nous pousser à une critériologie dans laquelle prévaudraient l'efficacité, les structures, l'ordre, le conservatisme et l'extension, et non pas tant la liberté évangélique exprimée en termes de recherche, d'audace et de transitoire. Tout cela, que nous le voulions ou non, nous éloigne de l'option effective pour le pauvre et affaiblit notre vigueur de consacrés.

 Un point sur lequel cela vaudrait la peine de réfléchir plus longuement et plus profondément est celui relatif à la spiritualité et à la formation. Vivre dans cette radicalité exige un type de spiritualité pour lequel, peut- être, nous ne sommes pas assez préparés. Et la formation, qui doit préparer à une vie cohérente avec une mission, doit considérer cela comme quelque chose de primordial. Mais ce travail, nous ne pouvons pas le faire ici. 

4.2 Quelques conséquences se rapportant à notre action et à nos options pastorales.

 Dans l'état actuel de l'Institut, tout paraît indiquer que le travail d'éducation dans les écoles continuera à être le champ d'activité le plus fréquent des Frères. Il est important d'en tenir compte, quoiqu'il faille nuancer l'affirmation, si l’on considère le nombre effectif des Frères dans les œuvres éducatives, ainsi que le type de présence ou la fonction exacte des Frères dans ces mêmes œuvres.

En termes d'œuvres ou de lieux d'action pastorale, il paraît hors de doute que c'est dans les écoles, collèges et universités que se concentre notre tâche apostolique.

 Les situations, cependant, sont très diverses, et l'un des facteurs de cette diversité est la participation (ou non) de l'Etat dans les charges de renseignement, depuis les pays où l'éducation est subventionnée (totalement ou partiellement), jusqu'aux pays où il n'existe aucune aide financière de l'Etat.

 Dans le premier cas, c'est-à-dire quand il y a subvention de l'Etat, la présence dans nos écoles ou collèges d'élèves pauvres ou, au moins de classe moyenne ou au dessous, est plus facile. (Etant donné cette possibilité, il faudrait encore prouver que cela se passe réellement ainsi). Dans le cas où il n'y a pas subvention, cela devient plus difficile de consacrer, de manière préférentielle, notre action pastorale éducative aux plus défavorisés. Et chaque jour davantage, vu l'augmentation du coût de l'enseignement.

 Il apparaît comme donnée objective, que les" délaissés", les pauvres, ne sont pas, de nos jours, les destinataires principaux de notre pastorale. Et parce qu'ils ne le sont pas, il paraît insoutenable d'affirmer que ce sont les préférés.

Il est important de prendre en compte les facteurs historiques et les situations sociales qui nous plongent dans cette réalité. Il est important, ensuite, d'accepter cette donnée avec toute sa complexité, sans conclure d'une façon simpliste et immédiate, que c'est de l'infidélité au charisme. Mais c'est également important de nous situer devant un fait indéniable, et de penser que cela constitue, en soi, un des meilleurs défis à notre fidélité à l'Evangile et au charisme légué par Marcellin Champagnat.

 Nonobstant cette réalité, nous voyons des avancées dans les Provinces et des engagements concrets. C'est juste aussi de reconnaître que la sensibilité générale vis-à-vis de cet aspect de notre mission a progressé dans l'Institut, de ce fait, pas mal de Provinces se sont mis au discernement et au choix de priorités apostoliques. 

Le désir de fidélité créative dont nous parlons maintenant nous amène à nous poser plusieurs questions:

 * Devons-nous, oui ou non, intensifier notre présence et notre action pastorale dans ces milieux les plus abandonnés de la société dans laquelle nous vivons, de façon à ce qu'elles soient véritablement préférentielles, quantitativement et qualitativement?

 * Si notre pastorale éducative scolaire dans des sociétés déterminées est condamnée à l'élitisme au préjudice de l'attention aux jeunes marginaux, devons-nous maintenir prioritairement ce type d'œuvres? ou bien, devons-nous chercher des formes alternatives d'éducation chrétienne qui permettent de prêter attention à ces jeunes?

 * Comment choisir l'option des pauvres dans des œuvres éducatives où la clientèle n'est pas pauvre? En d'autres mots, comment évangéliser tout le monde, à partir des pauvres?

 * Si, par fidélité, nous orientons notre action pastorale de préférence vers les "plus délaissés", voyons-nous clairement le pourquoi de notre présence? C'est-à-dire, considérons-nous que les enfants et les jeunes comme sujets et l'éducation chrétienne comme moyen doivent continuer à être les éléments définisseurs de notre présence et de notre action? Voyons-nous clairement que le type d'éducation doit s'adapter aux besoins? 

5. Vers où cheminer ?

 Avant tout, il faut un appel à la coresponsabilité. Etant donné que l'option doit être faite pour tous, bien que dans des formes diverses, tout Frère doit répondre. Aux Supérieurs d'animer la vie, de discerner et de décider les projets communs, de discerner avec les Frères les appels personnels les concernant, promouvoir – si nécessaires- des changements structurels qui aident à croître dans la fidélité. Aux autres Frères, une attitude de base : la disponibilité. Et une bonne dose de créativité.

 Personne ne doit essayer de justifier son inertie par le manque de dynamisme des autres. Il faut marcher. Et marcher avec joie, parce que l'initiative vient de Dieu. 

Vers où? Dans quelle direction? Pour obtenir quoi?

1. Jusqu'à rendre effective la préférence que demandent l'Evangile, le Fondateur et l'Eglise. Et cela veut dire concrètement que les pauvres soient de fait les destinataires majoritaires de nos soins pastoraux. Cela veut dire qu'on fasse en sorte qu'entre les élèves pauvres et les non-pauvres, la balance penche en faveur des premiers et cela suppose aussi que la majeure partie de nos ressources (spécialement en Frères) soient au service des pauvres. Le Chapitre Général de 1932 pouvait affirmer que l'Institut conservait à l'égard des pauvres l'esprit du Père Champagnat "parce que, aujourd'hui encore, la classe pauvre est celle qui absorbe l'activité de la majorité des Frères employés dans l'enseignement." (Voir page, n. 1)

 Vers la créativité et la vigilance pour que les œuvres ou actions pastorales que nous leur consacrons ne passent pas, au fil des jours, au service des autres. Ou bien, dans le cas où cela se réaliserait, à cause de phénomènes sociaux que nous ne sommes pas en mesure de contrôler, que nous soyons capables de "mobilité pastorale". 

Vers une programmation pastorale éducative qui essaie de répondre à leurs besoins.

2. Jusqu'à universaliser notre option pour les pauvres. C'est-à-dire, la rendre effective partout où nous sommes et toujours. Notre option-amour pour les pauvres doit être évidente et opérante, même si notre présence pastorale n'est pas au milieu d'eux. Personne entre nous peut se sentir dispensé d'aimer les pauvres et d'offrir son témoignage de solidarité avec eux. Toutes nos œuvres éducatives pastorales doivent être engagées à leur service. 

Cela impliquera, dans le cas d'œuvres éducatives destinées à de non-pauvres:

* Bien expliquer, avec clarté et sans crainte, notre position à ce sujet. Un premier exemple de cela sera l'élaboration d'un projet éducatif où l'orientation de l'éducation que nous donnons sera manifeste; "présenter la culture comme un moyen de communion entre les hommes, et le savoir comme un devoir de service". (C. 87) Des situations ou des événements concrets pourront demander, en leur temps, une explication plus directe.

 * Offrir une évangélisation authentique, où entre la présentation du Dieu de Jésus Christ qui a fait sienne la cause des pauvres et a voulu sauver toute l'humanité par l'anéantissement de son Fils.

 * Eviter le double message entre la doctrine que nous proposons et les moyens que nous utilisons, encourageons ou tolérons. Pour donner un exemple, nous pensons à la contradiction que représente l'éducation à la solidarité que nous voulons donner, d'un côté, et l'appui, ou la tolérance, ou le silence devant des actions ou des projets qui ne sont pas solidaires et qui sont entrepris souvent: dépenses superflues pour rechercher ou maintenir le "prestige", dépenses démesurées pour organiser des danses ou des excursions, etc.

 * Nous appliquer à réveiller les consciences aux problèmes qui affectent la société. Former à la doctrine sociale de l'Eglise. Promouvoir et – mieux encore – accompagner des actions qui mettent les jeunes en contact avec des situations de pauvreté et d'injustice. (cf. C. 87.2)

 * Consacrer une attention spéciale aux élèves qui ont des problèmes, même si nous sommes disponibles à tous. (cf. C. 87) C'est là un point très important sur lequel, parfois, nous argumentons pour justifier notre travail avec les gens aisés: "ils sont riches, mais il leur manque l'amour d'une famille…", "riches matériellement, mais pauvres spirituellement…", etc. En général, ce ne sont pas ceux qui ont véritablement besoin d'attention spéciale, qui nous coûtent le plus de tracas pour les renvoyer de nos collèges. J'estime qu'il y a là une bonne preuve pour mesurer notre zèle apostolique.

 * Dans le cas limite où 1'on constaterait que l'on veut se servir de nous (pour mettre l'œuvre éducative au .service d'une idéologie et d'un système injuste et cela peut arriver plus souvent que nous le pensons, bien que ce ne soit pas dit), et où on nous rendrait le travail d'évangélisation difficile (il est aussi sensibilisation et prise de conscience des problèmes sociaux), il faut être capables du geste prophétique de "secouer la poussière de nos sandales" (cf. Lc 10, II; se rappeler l'attitude de Jésus à Nazareth dans Mc 6). 

6. Les Frères parlent. 

6.1 A Veranópolis. 

Les Frères Provinciaux à V Veranópolis ont eu en main presque tous les documents qui se trouvent dans les annexes, plus quelques autres textes. Le travail s'est organisé selon la méthode des trois temps, propre à la révision de vie: voir, juger, agir ils firent part de leurs réflexions, opinions et conclusions, oralement ou par écrit, à différentes occasions. Les textes qui suivent sont des échantillons de leur riche contribution.

 * La réflexion d'aujourd'hui et toutes celles des autres jours suscitent en moi un double sentiment que je veux partager avec vous:

 1 Recommencer nos œuvres et distribuer les Frères comme hier.

2 L'attention prophétique aux nouveaux besoins et aux nouveaux nécessiteux.

 Je m'explique:

 1. Quelques-uns de nous, comme Provinciaux, ont été à la tête de Provinces qui ont pas mal d'années d'existence et des œuvres bien implantées. Ce ne sont pas les carences économiques qui peuvent faire chanceler la solidité éducative et pastorale de ces œuvres, sinon la carence en Frères et en nouvelles vocations.

 Et maintenant nous faisons face à ce dilemme de l'attention aux pauvres et aux nouveaux besoins des jeunes et des enfants. Je comprends que, d'une manière ou d'une autre, dans des délais plus ou moins proches, on nous invite, dans notre être même et notre esprit de congrégation, à un certain recommencement historique de nos œuvres et distribution des Frères. Un "recommencement historique" des cœurs, des vies, des œuvres, des destinataires. Je pense que cette "reconduction" ou "refondation" ne se fera pas seulement par des décisions de Conseils ou de Chapitres, bien que, sans doute, quelques-unes devront être prises à ce sujet. Nous l'atteindrons surtout en rapprochant davantage le cœur et la vie de nos Frères de Jésus Christ lui-même et de ce Christ caché dans les pauvres. Nous visitons le Saint Sacrement, mais le visitons-nous dans les pauvres?

 2. A ce sujet, je crois qu'il s'agit, en même temps, de courage, d'humilité, de disponibilité et de confiance en Dieu. Et cela, aussi bien personnellement que communautairement.

 Ces attitudes sont – peut-être – celles qui peuvent échouer ou nous manquer en quelques occasions, à nous qui portons la responsabilité globale d'œuvres et de personnes. Certainement, un bon discernement pourrait éclairer le panorama possible d'élections futures.

 Je crois qu'il nous manque de la souplesse pour donner des réponses nouvelles ou pour faire un changement significatif dans les questions de notre ressort.

 Les Frères, me semble-t-il, dans beaucoup d'occasions ont la certitude que ce qu'ils font "est bien". Les Frères sont travailleurs, honnêtes, pieux. Que peut-on demander de plus? Il n'est pas acceptable que l'on se sente coupable des maux sociaux. Il manque peut-être le sentiment de compassion, comme fruit de l'amour; de ressentir le mal des autres comme le sien propre. Nous abusons du mot "Frère", car personne, s'il est véritablement Frère, ne peut laisser l'autre Frère dans l'indigence et rester la conscience en paix.

 Les pauvres réellement nous évangélisent parce qu'ils nous découvrent les limites de notre charité et la vérité de l'égoïsme que nous cultivons si subtilement.

 Je sens l'appel à de nouvelles présences maristes avec plus de contact direct avec les jeunes et leur milieu; des présences nouvelles aux paysans, aux indigènes, aux jeunes marginalisés de la ville.

 En regardant l'histoire de l'Institut, on a un peu l'impression que nous en sommes restés à l'expression "éduquer chrétiennement les enfants et les jeunes" comme appartenant au charisme, en laissant au second plan la référence "aux plus délaissés".

 Cependant, dans le projet originel et dans les Constitutions (art. 2, entre autres), s'occuper spécialement des plus délaissés n'est pas facultatif. C'est le même niveau d'obligation, et partant, de fidélité au charisme de l'éducation chrétienne des enfants et des jeunes.

 Nous ne pouvons pas rester la conscience en paix ou dire que nous sommes pour l'ouverture d'une ou deux œuvres pour les pauvres, mais que nous devons rester sous une tension permanente pour que l'esprit du Fondateur soit maintenu. Cela suppose une orientation provinciale qui vise à ce qu'il y ait plus d'œuvres pour les pauvres que pour ceux qui peuvent payer.

 J'ai pris conscience du rôle qui me revient, comme Provincial, dans cette tâche de sensibiliser les Frères. Ne pas décevoir ni éteindre l'Esprit dans les jeunes Frères qui naissent à la vie mariste très sensibilisés par les pauvres et qui désirent vivre selon un style de vie plus simple et plus proche des pauvres.

 Je crois que l'option pour les pauvres ne signifie pas se débarrasser de tous les collèges payants, mais en revanche, développer, chez les élèves qui les fréquentent, la conscience critique, la sensibilité sociale et le souci de la justice. Ainsi, comme le Père Champagnat qui demandait qu'on intensifiât la formation religieuse dans les écoles urbaines, je crois qu'aujourd'hui il nous demanderait d'intensifier, en plus, la formation pour la justice.

 * "Les pauvres nous évangélisent". Chaque fois que j'ai des contacts avec des personnes pauvres, des milieux pauvres, je remarque que mon cœur devient plus sensible au Seigneur, à l'humain, au bien,…à tout. Chaque fois que je m'éloigne d'eux -même pour raison d'obéissance- mon cœur s'endurcit. Et alors, de nouveau, je commence à sentir la nécessité de retourner me mettre en contact, de vivre avec les pauvres; nécessité qui est un appel persistant, surtout dans l'oraison.

 Dans cette alternance, au cours de laquelle le Seigneur m'accorde la grâce d'être en contact pour un temps et puis "m'enlève le caramel de la bouche", je vois que vivre avec les pauvres me devient aussi nécessaire que faire oraison, mener une action pastorale, lire, manger…

 * A un étranger, ou à une commission -pas nécessairement formée de Frères Maristes- que nous chargerions d'une étude sur le thème qui fait le sujet de notre réflexion, je ne crois pas qu'il y aurait autant de bénévoles que pour la commission dont parle le Frère Léonida. En comparant notre réalité avec l'accumulation des textes qu'on nous a remis aujourd'hui, je pense qu'une telle commission décrirait notre but plus ou moins ainsi: "Frères Maristes: Institut consacré à l'éducation de l'enfance et de la jeunesse; il ne refuse pas (ou il admet aussi) les enfants les plus délaissés". 

6.2 Réponses à une enquête.

 En 1987, nous avons envoyé à 148 Frères un questionnaire leur demandant de nous faire savoir ce qu'aura signifié pour eux le contact avec les pauvres. Tous ces Frères avaient passé un temps suffisant avec eux pour pouvoir être capables de donner une réponse qui vînt plus de l'expérience que de la spéculation.

Deux questions constituaient le foyer de notre enquête: * qu'avez-vous appris des pauvres? * quels changements se sont opérés dans votre vie personnelle à la suite de votre travail avec les pauvres. Voici quelques-unes des réponses:

 * Le meilleur présent reçu des pauvres: ils m'ont enseigné ce que signifie dépendre totalement de la bonté de Dieu.

 * J'ai appris à être plus simple et plus près des personnes. Ils m'ont aidé à être plus Frère. A approfondir ma foi. A mieux discerner entre le principal et le secondaire. J'ai appris aussi à être plus ouvert devant le futur. A être moins dur dans mes jugements envers les autres. A être plus patient. Ils m'ont enseigné à avoir une vision plus claire de la réalité.

 * J'ai la certitude que nous pouvons vivre auprès des pauvres cette dynamique qui nous transformera en transformant: être des évangélisateurs évangélisés. Tout cela, je le découvre dans ma vie comme un don de Dieu, non comme le fruit de mon effort. Ainsi, je suis arrivé à être plus objectif.

 * Ma vie d'oraison a changé: elle est devenue plus intense, et à la fois, plus tranquille (bien que cela puisse paraître paradoxal). Dans certains cas, avec certains handicapés, un cri ou une exclamation, ou simplement un geste, me rapproche de Dieu et de l'amour de Jésus et de Marie, dans la simplicité et l'humilité.

 * J'ai appris à vivre sans cette soif de réalisations personnelles et de conquête de succès. D'un point de vue théorique, c'est facile, mais si on réussit à le vivre et à le sentir, quelque chose change à l'intérieur.

 * Je crois qu'avant, j'étais un théoricien. Maintenant, au contact de la réalité, je me suis rendu plus conscient des véritables nécessités et des difficultés qu'il y a à les solutionner. Je me suis convaincu aussi que sans l'aide de Dieu, quelqu'un est incapable d'aimer et de faire quoi que ce soit de positif pour les autres.

 * Ils m'ont enseigné à respecter l'homme, à valoriser la personne, non pour les titres qu'elle possède, ni par sa position sociale, son influence ou son argent, mais par ce qu'elle est: un être créé à l'image et à la ressemblance de Dieu; mon frère; le préféré de Jésus dans lequel il se fait spécialement présent aujourd'hui.

 * Pour moi, ce fut un nouveau noviciat; ce n'est pas une figure de rhétorique, mais un véritable noviciat, pour lequel je n'avais pas été préparé. Ils m'ont enseigné à aimer les hommes, les pauvres et Dieu, et aussi à m'aimer moi-même, dans cette perspective.

 * L'extrême pauvreté peut déshumaniser et convertir la vie en une lutte pour subsister qui, à certains moments, peut être irrationnelle. Plusieurs fois, j'ai vécu des cas concrets qui m'ont irrité ou peiné profondément. Eux, en se rendant compte, ont rectifié autant qu'ils ont pu leur attitude, et m'ont donné comme explication: pardonne ce qui est arrivé, la lèpre nous a fait un cœur dur et, parfois, nous nous laissons mener par lui; nous ferons un effort pour que cela ne se reproduise pas.

 * Leur générosité m'a beaucoup appris: "le pauvre est le seul à pouvoir donner de sa pauvreté", et ils me l'ont donnée et ils me l'ont partagée. Mais j'ai appris aussi la force que génèrent dans leur vie la haine, la rancoeur, l'orgueil, les préjugés, etc., quand tout cela n'est pas orienté et illuminé par la lumière de l'Evangile.

 * J'ai appris qu’être ami du pauvre n'est pas facile; on doit surveiller beaucoup les gestes et les paroles. Ils ont tant de fois été trompés…En un instant, on peut détruire ce qu'avec beaucoup d'effort on a mis longtemps à construire.

 * J'ai appris que pour travailler à cet apostolat, il est nécessaire d'être constant, car c'est un travaillent, très lent, et qu'on a besoin d'années pour que la personne que l'on visite avec régularité devienne votre ami.

 * J'ai compris l'abîme qui sépare l'Eglise et le monde des pauvres. Ce n'est pas que je sois de tendance gauchiste, mais que je dise que si, par aventure, il se produisait quelque cataclysme ou désastre et que l'Eglise dût en souffrir les conséquences, il me semble que je le considèrerais comme l'accomplissement d'une certaine justice.

 * Il me semble que je suis arrivé à comprendre très clairement que nos religieux sont associés surtout avec la classe moyenne et que les valeurs que nous lui communiquons sont ceux typiques de cette classe. Constater cela a été une source de malaise et de chagrin. 

* J'ai compris:

+ que, à cause de notre vie, nous connaissons très peu la condition pénible dans laquelle vivent pas mal de gens;

+ que, comme nous avons tout, nous nous plaignons facilement, tandis que les nécessiteux se contentent de peu;

+ que nous vivons (je parle de ce que je connais) bien installés, et que l'injustice sociale ne nous émeut pas;

+ que nous vivons dans une sécurité matérielle telle que nous ne nous soucions de rien, alors que le pauvre vit dans l'angoisse du lendemain;

+ que notre forme de vie est, dans pas mal de cas, une insulte aux pauvres et aux déshérités.

 * Je voudrais exprimer seulement mon plus grand désir: J'attends avec anxiété le jour où, dans l'Institut, l'option pour les pauvres ne sera pas seulement un thème de conférences ou de commissions, une question de week-end ou d'un travail pour un jour de la semaine, ni encore une" charité" mal comprise, mais une réalité pour l'Institut. Qu'en réponse à l'Evangile et à l'aujourd'hui de l'Eglise, du monde et des nécessités forcées de nos frères, la majorité de nos œuvres soient pour les pauvres et avec les pauvres et que la majorité de nous soyons avec eux, travaillions avec eux, pour eux et par eux, pour le Règne de Dieu qui est la vie dans sa plénitude. 

7. Pour terminer…

 Il paraît incontestable que nous devions continuer à nous diriger vers une approche et un service des plus délaissés. Mais je suis convaincu que nous ne serons capables de le faire que par la foi qui se traduit en œuvres, et par la confiance en Dieu et Marie.

 Les difficultés sont là qui nous attendent. Parce que c'est un mouvement significatif vers les pauvres, il aura une répercussion sur notre manière de vivre et sur les œuvres dont nous nous occupons, et nous savons tous qu'il y a mil et un arguments pour rester comme nous sommes: "nous ne pouvons pas, du jour au lendemain, tout changer…", "nous ne sommes pas préparés"…, "en ce moment, précisément, c'est le pire moment pour faire ce changement:

nous sommes moins nombreux… et plus vieux…", "où allons-nous trouver des ressources…", "les conditions suffisantes ne sont pas encore réunies pour transférer les œuvres à d'autres personnes ou institutions…", "nous avons contracté un engagement avec les professeurs, les parents, les élèves…", et un grand etc. Quelques-uns de ces arguments sont entièrement valables. Mais pour qu'ils puissent arriver à déterminer nos options, ils devront être soumis au crible du discernement. Ce n'est pas toujours le bien que nous faisons qui est celui que le Seigneur veut que nous fassions; ni toujours la manière ou les moyens que nous employons pour faire le bien qui sont ceux voulus par Dieu.

Pour le discerner, Il nous offre l'aide efficace de son Esprit.

Les difficultés sont là, elles nous attendent. Nous écouterons les voix des anciens élèves, des parents de nos élèves, parfois des évêques… Essayons de discerner si ces voix sont en accord avec celle de Dieu.

 Les difficultés… Champagnat fut fidèle à la mission à laquelle il se sentait appelé et il ne se laissa pas vaincre par les difficultés. Lui aussi entendit des commentaires et des opinions: "Vous, un pauvre curé de campagne; vouloir fonder une Congrégation? Sans argent et sans talent, il va s'embarquer dans une pareille entreprise contre l'avis de ses supérieurs! Il ne voit pas que l'orgueil l'aveugle? S'il ne veut pas tenir compte de lui-même, qu'il ait compassion, au moins, de ces pauvres jeunes qu'il va laisser dans une situation inextricable…". Mais une voix intérieure, et la lumière et la force qui lui venaient de l'oraison et de la consultation, le gardaient fidèle à son projet. "La fondation de l'Institut est une preuve toujours actuelle que la foi permet toutes les audaces". (C. 33)

 On a parlé de "refonder" l'Institut. A mon avis, cela signifie actualiser le charisme de Marcellin Champagnat (cf. C. 171), moyennant une attention continue aux signes de Dieu, de l'Eglise et du monde, pour adapter les structures et prendre les décisions qui permettront de croître en vitalité. Mais, "l'expérience enseigne que la vitalité d'une famille religieuse garde d'étroites relations avec sa manière de vivre la pauvreté évangélique" (C.167), et cela, à la suite de Jésus, est inséparable de l'amour et de la solidarité au service des pauvres.

 Refonder, c'est renaître. "Comment quelqu'un peut-il naître quand il est déjà vieux?" (Jn 3,4). "Pour les hommes, c'est impossible, mais pour Dieu, tout est possible" (Mat 19,26). Marie, qui a vécu l'expérience que rien n'est impossible à Dieu" (Lc 1,37), Elle qui inspira et soutint le Père Champagnat dans les moments de grande difficulté, sera à nos côtés et nous aidera à maintenir vivace le dynamisme de notre charisme.

               f. Marcelino Ganzarain

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Sensibilité des Pères Conciliaires.

 Le texte qui suit fut prononcé par Mons. Lercaro, alors cardinal de Bologne, dans la salle conciliaire, le 7 décembre 1962. Son influence a été grande, sinon dans les textes conciliaires proprement dits, mais dans l'esprit des autres évêques et dans la pratique postconciliaire.

 Je veux dire que le mystère du Christ dans l'Eglise est toujours, mais surtout aujourd'hui, de nos jours, le mystère du Christ dans les pauvres, puisque l'Eglise, comme l'a dit le Saint Père Jean XXIII, est l'Eglise de tous, mais spécialement "l'Eglise des pauvres."

 En lisant le résumé de tous les thèmes qu'on nous a remis hier, je suis resté un peu confus et désagréablement surpris d'y rencontrer cette lacune. Nous ne remplirons pas dûment notre tâche, nous ne tiendrons pas compte, avec un esprit ouvert, du dessein de Dieu et de l'espérance des hommes, si nous ne mettons pas comme centre et comme âme de notre travail doctrinal et législatif de ce Concile le mystère du Christ dans les pauvres et l'évangélisation des pauvres. C'est, en effet, un devoir évident, concret, actuel, urgent de notre époque:

 – une époque dans laquelle, en la comparant avec les autres, les pauvres semblent être moins évangélisés, et dans laquelle leurs masses apparaissent comme éloignées et étrangères au mystère du Christ dans l'Eglise;

 – une époque dans laquelle l'esprit des hommes s'inquiète et scrute parmi les questions angoissantes, quasi dramatiques, le mystère de la pauvreté et la condition des pauvres, de chaque individu et aussi des peuples qui vivent dans la misère, parce qu'il devient conscient, une fois de plus, de ses propres droits;

 – une époque où la pauvreté de la majorité (les deux tiers de l'humanité) est une injure, si l'on se rappelle les immenses richesses d'une minorité; époque où la pauvreté inspire une horreur chaque fois plus grande aux masses et dans laquelle l'homme charnel sent une soif incoercible de richesse…Nous ne satisferions pas aux exigences les plus urgentes et les plus profondes de notre temps (y compris notre grand désir de favoriser l'unité de tous les Chrétiens) mais nous les frustrerions, si nous traitions uniquement le thème de l'évangélisation des pauvres comme l'un quelconque des thèmes du Concile.

Si, à la vérité, comme on l'a dit tant de fois, l'Eglise est le thème de ce Concile, on peut affirmer en conformité avec la vérité éternelle de l'Evangile et, en même temps, en accord parfait avec la conjoncture présente: le thème du Concile est l'Eglise en tant que, essentiellement, " l'Eglise des pauvres."

 Pendant la troisième session du Concile, plusieurs évêques ont rédigé deux motions et les ont proposées à plusieurs pères conciliaires qui les ont signées. L'une d'elles traitait de la simplicité évangélique et l'autre de l'évangélisation des pauvres et des ouvriers. Une fois signées, elles furent envoyées au Pape. A quelques jours de là, il donna sa tiare aux pauvres.

 Vers la fin du Concile, un groupe d'évêques décida de rédiger un texte d'engagement clair: " Eglise des pauvres et Eglise pauvre." Plus d'une centaine d'évêques adhérèrent au texte qui, d'autre part, n'est pas un document conciliaire. Il révèle, néanmoins, un esprit. On y note les textes du Nouveau Testament qui donnent un support évangélique aux engagements.

 Nous autres, évêques réunis pour le Concile Vatican II, ayant perçu clairement les déficiences de notre vie de pauvreté selon l'Evangile, animés les uns par les autres vers cette décision pour laquelle nous voulons tous éviter la singularité ou la présomption, unis à nos Frères dans l'épiscopat, comptant surtout sur la force et la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ et sur les prières des fidèles et des prêtres de nos diocèses respectifs, nous plaçant en pensée et en prière devant la Trinité, devant l'Eglise du Christ, devant les prêtres et les fidèles de nos diocèses, humblement et avec conscience de notre faiblesse, mais aussi avec toute la détermination et la force que le Seigneur nous donne par sa grâce, nous nous engageons à ce qui suit:

 1. Nous essaierons de vivre selon la façon ordinaire de nos diocésains en ce qui concerne l'habitation, la nourriture, les transports et choses semblables.  (Mt. 5,3; 6,33; 8,20)

 2. Nous renonçons pour toujours aux apparences et à la réalité de la richesse spécialement dans les vêtements (étoffes riches, couleurs voyantes), aux insignes en matières précieuses. (ces signes doivent être effectivement évangéliques) (Mc 6,9; Mt 10,9; Act. 3,6)

 3. Nous ne posséderons ni biens meubles ni immeubles, ni comptes en banque à notre nom. Et s'il est nécessaire de posséder, nous mettrons tout au nom du diocèse ou des œuvres charitables ou sociales. (Mt 6,19; Lc 12,33)

 4. Nous confierons, partout où c'est possible, la gestion financière et matérielle de notre diocèse à un comité de séculiers compétents et conscients de leur rôle évangélique, pour être plus pasteurs et apôtres qu'administrateurs. (Mt 10,8; Act. 6,1-7)

 5. Nous refusons d'être désignés, par parole ou par écrit, par des titres ou des noms qui évoquent la grandeur ou le pouvoir (éminence, excellence, monseigneur). Nous préférons que l'on nous désigne par le nom évangélique de "Père".

 6. Nous éviterons, dans notre conduite et nos relations sociales, tout ce qui peut donner l'impression que nous concédons des privilèges, des priorités, ou quelque forme de préférence aux riches et aux puissants (par exemple dans des banquets offerts ou acceptés, par des différences de classes dans les services religieux) (Lc 13,12-14; 1 Cor 9, 14-19)

 7. Nous éviterons d'encourager ou d'inciter la vanité des autres en vue de quelque récompense ou en sollicitant des présents ou de toute autre manière.

Nous inviterons nos fidèles à considérer leurs dons comme une participation normale au culte, à l'apostolat et à l'action sociale. (Mt 6,2-4; Lc 15,9-13;

2 Cor 12,14)

 8. Nous consacrerons au travail apostolique et pastoral, auprès des personnes et des groupes de travailleurs, des économiquement faibles ou sous-développés tout le temps, la réflexion, le cœur et les moyens nécessaires, sans que cela porte préjudice à d'autres personnes ou groupes de notre diocèse.

Nous soutiendrons tous les séculiers, les religieux, les diacres ou les prêtres que le Seigneur appelle à évangéliser les pauvres et les ouvriers, en partageant la vie ouvrière et le travail. (Le 4,18; Mc 6,4;et 11,45; Act. 18,4 et 20,33; 1 Cor 4,12 et 9,1)

 9. Conscients des exigences de la justice et de la charité et de leurs relations mutuelles, nous essaierons de transformer les " œuvres de bienfaisance" en " œuvres sociales", basées sur la justice et la charité, œuvres qui tiennent compte de tous et de toutes leurs exigences, en humble service aux organismes publics compétents. (Mt 25,31; Lc 13,12-14; et 33,34)

 10. Nous ferons tout notre possible pour que les responsables de nos gouvernements et des services publics décident et appliquent les lois, structures et institutions sociales nécessaires pour la justice, l'égalité et le développement harmonieux de tout l'homme et de tous les hommes, de sorte que, par ces moyens, nous arrivions à un ordre social différent, nouveau, digne des fils des hommes et des fils de Dieu.(Act. 2,44; 4,32-35; 5,4 2 Cor 8 et 9)

 11. Vu que la collégialité des évêques rencontre sa réalisation la plus évangélique en prenant en charge, entre tous, les masses humaines en état de misère physique, religieuse et morale, – les deux tiers de l'humanité –

 – nous nous engageons:

– à participer, selon nos moyens, aux dépenses urgentes des épiscopats des nations pauvres;

– à favoriser, selon le plan des organisations internationales, mais plus comme témoins de l'Evangile, comme le Pape l'a fait à l'O.N.U, la mise en marche de structures économiques et culturelles qui ne continuent pas à fabriquer des nations prolétaires dans un monde toujours plus riche, mais qui permettent aux masses pauvres de sortir de leur misère.

 12. Nous nous engageons à vivre ensemble notre vie dans la charité pastorale, en union avec nos frères dans le Christ, prêtres, religieux et séculiers, de façon à ce que notre ministère soit en vérité un service. Et pour cela:

– nous ferons à leur côté notre "révision de vie", – nous susciterons entre eux la collaboration pour être, mieux que chefs selon le monde, animateurs selon l'Esprit;

– nous rechercherons comment être plus proches d'eux et plus accueillants;

– nous nous montrerons ouverts à tous quelle que soit leur religion.

(Mc 8,34; Act. 6,1-7; 1 Tim 3,8-10)

 13. Un fois de retour dans nos diocèses respectifs, nous ferons connaître à nos diocésains notre résolution, les priant de nous aider de leur compréhension, de leur appui et de leurs prières.

Que Dieu nous aide à être fidèles.

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Reconnaître le visage du Christ souffrant.

 L'Eglise latino-américaine, par le biais de ses évêques réunis à Puebla (1979), reconnaît le visage du Christ souffrant dans le visage de ses pauvres, de ses marginaux. C'est un merveilleux acte de foi qui aura une grande répercussion dans l'engagement ultérieur de beaucoup de fidèles, spécialement de religieux.

 La situation d'extrême pauvreté généralisée produit dans la vie réelle des visages très concrets dans lesquels nous devrions reconnaître les traits souffrants du Christ, le Seigneur qui nous questionne et interpelle:

 – visages d'enfants, marqués par la pauvreté avant de naître et dont les possibilités de se réaliser sont entravées par des déficiences mentales et corporelles irréparables; enfants vagabonds et souvent exploités de nos cités, fruits de la pauvreté et de la désorganisation morale familiale.

 – visages de jeunes, désorientés parce qu'ils ne trouvent pas leur place dans la société; frustrés, surtout dans les zones rurales et urbaines marginales, par manque de possibilités de formation et d'emplois;

 – visages d'indigènes et souvent d'afro-américains qui, vivant marginalisés et dans des situations inhumaines, peuvent être considérés comme les plus pauvres parmi les pauvres;

 – visages de paysans qui, comme groupe social, vivent oubliés dans presque tout notre continent, parfois privés de terres, en situation de dépendance nationale et étrangère, soumis à des systèmes de commercialisation qui les exploitent;

 – visages d'ouvriers fréquemment mal rétribués et avec des difficultés pour organiser et défendre leurs droits;

 – visages de sous-employés et de sans-emploi congédiés par les dures exigences de crises économiques et, de nombreuses fois, par des schémas de développement qui soumettent les travailleurs et leurs familles à de froids calculs économiques;

 – visages de marginaux et de citadins entassés, avec le double désavantage du manque de biens matériels, face à l'étalage de la richesse des autres secteurs sociaux;

 – visages d'anciens, chaque jour plus nombreux, fréquemment marginaux de la société de progrès qui n'a que faire de ceux qui ne produisent pas.

       (Document de Puebla, 31-39 )

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Option du P. Champagnat pour les pauvres 

1- Intention première de la fondation. 

Lettre du Père Champagnat à Mgr de Pins.

 Vous savez, Monseigneur, que l'unique but que je me suis proposé en formant les Petits Frères de Marie a été de procurer aux communes rurales le bienfait de l'éducation que le défaut de ressources suffisantes met dans l'impossibilité de se procurer par le moyen des excellents Frères des Ecoles Chrétiennes. Or, pour obtenir ce résultat, il m'a été nécessaire, tout en conservant le même enseignement, d'adopter un système d'économie qui obviait aux obstacles qui empêchent les communes rurales de se procurer la bonne éducation que donnent les Frères de l'Ecole Chrétienne. (Champagnat, 3 févr. 1838, Lettres 171,39-49) 

Lettre du Père Champagnat à la reine.

 Je me hâtai donc de mettre à exécution le projet que j'avais de former une association de Frères instituteurs pour les communes rurales dont la pénurie d'un très grand nombre ne permet pas d'avoir des Frères des Ecoles Chrétiennes. Je donnai aux membres de cette nouvelle association le nom de Marie, persuadé que ce seul nom amènerait un bon nombre de sujets. Un prompt succès, malgré le déficit des ressources temporelles, en justifiant mes conjonctures, a dépassé mes espérances. (Champagnat, mai 1835,59,25-33) 

Lettre du P. Champagnat à Mgr de la Tour d'Auvergne, évêque d'Arras.

 Monseigneur, Notre œuvre est tout entière dans l'intérêt des pauvres enfants des campagnes et des petites villes. Avec le moins de frais possible, nous nous efforçons de leur procurer l'instruction chrétienne et religieuse que les Frères des Ecoles Chrétiennes procurent, avec tant de succès, aux enfants pauvres des grandes villes. (Champagnat, 11 février 1840, Lettres, 319,27-32) 

Lettre du P. Champagnat à Mr Salvandy

 Le but de cette association étant de faciliter aux communes rurales le moyen de procurer, à peu de frais, à leurs enfants les avantages de l'instruction, il (l'abbé Champagnat) a réduit au minimum le traitement de chaque Frère instituteur. (Champagnat, juin 1837, Lettres 113, 4-8) 

Lettre du P. Champagnat à M. Salvandy

 Les sacrifices que nous avons cru pouvoir nous imposer pour procurer plus commodément le bienfait de l'instruction à la classe nombreuse et si intéressante des campagnes, nous permettent de vivre, mais avec économie.

(Champagnat, 14 février 1838, Lettres, 173, 12-15) 

De la " Vie du P. Champagnat." 

La Providence qui destinait Marcellin Champagnat à fonder un Institut, dont le caractère spécial devait être l'humilité et la simplicité, et le but, l'instruction chrétienne des enfants des campagnes, le fit naître dans une condition humble, dans une région pauvre, au milieu d'une population profondément religieuse, mais grossière et ignorante; afin qu'il connût, par expérience, les besoins qu'il devait soulager, les mœurs et le caractère de ceux à qui il devait donner plus tard des instituteurs. (Fr. Jean-Baptiste, Vie, 1856, 1, p.2) 

De la "Vie du P. Champagnat"

 Notre pieux fondateur regardait la pauvreté comme une chose nécessaire au but de l'Institut. " Mes amis, nous rappelait-il souvent, souvenons-nous du but que nous nous sommes proposé en fondant cette Congrégation, qui est de répandre le bienfait de l'instruction dans les paroisses pauvres, et conséquemment de n'exiger qu'un traitement modique.

 Or, si nous nous écartons de l'esprit de pauvreté (…) notre traitement ne suffira pas; nous serons obligés d'en élever le chiffre, et la plupart des communes, ne pouvant pas nous l'assurer faute de ressources, nous deviendrons inutiles." (Fr. Jean-Baptiste, Vie, 1856, II, p.148) 

De la " Vie du P. Champagnat"

 Ne pouvant procurer aux indigents tous les secours corporels qu'il aurait voulus parce que son état et ses ressources ne le lui permettaient pas, il s'en dédommagea amplement en formant des maîtres pour donner aux enfants pauvres l'instruction primaire et l'éducation chrétienne. C'est surtout pour eux qu'il a fondé son Institut, et il veut que les Frères se regardent comme spécialement chargés de leur instruction.(Fr. Jean-Bapt., Vie, 1856, II, p. 349) 

En réponse à des besoins concrets. 

Lettre du P. Champagnat aux notables de la ville de Saint-Chamond.

Depuis longtemps, nous méditions les moyens d'être utiles aux enfants des hospices de charité. Dans cette disposition, nous saisissons en conséquence avec beaucoup d'empressement l'offre que vous nous faites de voler à leur secours. Si nous pouvons, sans nuire à nos règlements, contribuer à améliorer le sort des enfants dont vous nous parlez, nous le ferons avec bien du plaisir. (Champagnat, mai 1838, Lettres, 190,2-8) 

Lettre du P. Champagnat à Mgr Devie.

 J'ai de plus en plus de l'attrait pour cette œuvre (ferme modèle, en Bresse) qui, bien examinée, ne s'écarte pas de mon but, puisqu'elle concerne principalement l'éducation des pauvres. (Champagnat, 1833-07, Lettres, 28,4-6) 

Lettre du P. Champagnat au Frère Antoine.

 On vient nous demander de nouveau trois Frères pour une espèce de Providence à établir dans la ville de Lyon. Nous sommes bien ennuyés, nous ne savons pas où prendre des sujets. Priez pour nous, afin que nous ne fassions rien contre la volonté de Dieu. (Champagnat, 9 janvier 1835, Lettres, 53, 24-29) 

Lettre du P. Champagnat au P. Pradier.

 Nous avons accueilli avec plaisir la proposition que vous nous faites d'envoyer deux de nos Frères pour diriger un établissement de sourds-muets de votre ville. Elle entre parfaitement dans le plan de notre institution toute dévouée à l'éducation des enfants dans quelque position qu'ils se trouvent.

(Champagnat, 22 février 1840, Lettres, 323, 6-11) 

2 . Ouverture… Dans la fidélité à l'intuition première. 

De la " Vie du P. Champagnat "

 " Mes chers Frères, notre but en nous unissant et en fondant cette petite société, a été de donner l'instruction et l'éducation chrétiennes aux enfants des petites paroisses des campagnes; mais voilà que des populations importantes réclament de nous le même bienfait. Il est sans doute de notre devoir de ne pas leur refuser ce service, puisque la charité de Jésus-Christ, que nous devons prendre comme règle de la nôtre, s'étend à tous les hommes et que les enfants des villes lui ont coûté aussi tout son sang. Mais(…), nous ne devons jamais oublier que nous sommes établis principalement pour les paroisses des campagnes, et que les écoles de ces paroisses doivent avoir nos prédilections." (F. Jean-Baptiste, Vie, 1856, I, p. 106) 

De la " Vie du P. Champagnat "

 L'enseignement religieux dans les paroisses populeuses doit être plus fort, par la raison que les besoins spirituels y sont plus grands, et que l'instruction primaire y est plus développée. Dans les écoles de ces endroits, plus que partout ailleurs, le catéchisme et les pratiques religieuses doivent y tenir le premier rang; et il est du devoir des Frères de donner d'autant plus de soin à l'éducation chrétienne des enfants, que ces enfants sont plus négligés, et que leurs parents en prennent moins soin. (F. Jean-Baptiste, Vie, 1856, J, p. 107)

 Octobre, 1826.- Formule d'engagement pour cinq ans dans l'association des Petits Frères de Marie. D'après une feuille manuscrite (31O/213mm), d'écriture inconnue, AFM, casier 1, dossier 13. 

A la page 181 du premier volume de sa "Vie de Champagnat", le F.

Jean-Baptiste cite une promesse que les Frères auraient faite, "dès le principe", pratiquement dès 1818. En fait le texte de cette promesse apparaît comme un remaniement de la formule ci-dessous, améliorée quant au style et allégée de l'allusion aux princes légitimes, tandis que le nom de Petits 

Frères de Marie vient remplacer la longue périphrase désignant l'Institut.

Sous la forme sous laquelle la cite le Fr. Jean-Baptiste, cette promesse ne peut donc être antérieure à 1826: Ceci étant, on pourrait facilement admettre que le texte ci-dessous représente l'état premier de cette promesse, que le Fr. Jean – Baptiste dit avoir été faite aux origines et qu'il aurait retouchée librement, selon un usage qui lui est familier; la date 1826 n'indiquerait alors qu'une des années, entre autres, où fut utilisé ce texte.

 Cependant, étant donné que les premiers vœux des Frères furent faits en 1826, que certains de ces vœux furent alors faits pour cinq ans (reg. des vœux temporaires, pp 1-2; cf. doc. 67 (200), et que la formule ci-dessous contient, sinon le mot, au moins la réalité des trois vœux de religion, on peut très sérieusement se demander si l'on ne serait pas ici en présence de la formule des premiers vœux de cinq ans. Ne trouvant pas dans ce texte le mot vœu, le Fr. Jean-Baptiste aurait cru, de bonne foi, se trouver en présence de la promesse qu'il savait avoir été faite aux origines.. C'est en fonction de cette hypothèse que l'on place le présent texte en octobre 1826, date des premiers vœux de cinq ans.

 Nous soussignés, pour la plus grande gloire de Dieu et l'honneur de l'auguste Marie, Mère de notre Seigneur Jésus Christ, certifions et assurons que nous nous consacrons pour cinq ans à compter de ce jour mil huit cent vingt six, librement et très volontairement, à la pieuse association de ceux qui se consacrent, sous la protection de la bienheureuse Vierge Marie, à l'instruction chrétienne des enfants de la campagne. Nous entendons: premièrement, ne chercher que la gloire de Dieu, le bien de son Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, et l'honneur de l'auguste Mère de notre

 Seigneur J(ésus) C(hrist). Secondement, nous nous engageons à enseigner gratuitement aux indigents que présentera M. le curé de l'endroit 1 ° le catéchisme, 2° la prière, 3° la lecture, le respect aux ministres de Jésus Christ, l'obéissance aux parents et aux princes légitimes. Nous entendons, troisièmement, nous engager à obéir sans réplique à notre supérieur et à ceux qui, par son ordre, nous seraient préposés. Quatrièmement, nous promettons de garder la chasteté. Cinquièmement, nous mettons tout en communauté.

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Dans l’enseignement de nos Supérieurs 

1. Frère Léonida

 Statuts capitulaires sur l'Apostolat en faveur des Enfants pauvres.

 Ce que je viens de dire du zèle serait trop incomplet si je passais sous silence ce que nous devons, comme éducateurs, aux déshérités de la fortune que Notre-Seigneur a aimés d'un amour de prédilection.

 " Heureux les pauvres, dit-il, le Royaume des cieux leur appartient. " Il assure une récompense à ceux qui leur viennent en aide, ne serait-ce que par un verre d'eau.

 Avons-nous assez remarqué que, dans l'Evangile, Notre-Seigneur énumère l'instruction des pauvres parmi les marques prophétiques de sa mission divine? En effet, lorsque les disciples de Jean-Baptiste viennent demander au Divin Maître s'il est celui qui doit venir, il leur répond: ''Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. " (Mt, XI, 4-5)

 C'est ainsi que Jésus, loin de tenir les pauvres à l'écart, de les traiter avec dédain, leur prêche la Bonne Nouvelle.

A son tour, l'Eglise, par les papes, les évêques et les Ordres religieux, se penchera sur eux et leur distribuera, avec libéralité, comme aux riches, le pain de la vérité. 

Quelle a été sur ce point spécial l'attitude de notre Vénérable Fondateur?

 Il a ouvert toutes grandes sur le monde les portes de notre activité apostolique auprès de l'enfance et de la jeunesse dans tous les milieux sociaux, mais en marquant ses préférences pour les humbles.

 " A La Valla, les pauvres étaient reçus gratuitement, les autres ne payaient qu'une légère rétribution." (Vie, p. 102)

 Dans les premiers engagements contractés par les Frères, il est dit: " Nous nous engageons à instruire gratuitement tous les enfants que présentera M. le Curé." Si les autres élèves payaient, c'était dans l'intérêt même des pauvres. " S'il n’y avait pas d'enfants riches pour assurer le traitement des Frères, l'école ne pourrait pas se soutenir. " (Vie, p. 578-579)

 S'adresse-t-il au roi (28 janvier 1834), à la reine (mai 1835), au ministre de l'Instruction Publique (1er décembre 1837), pour obtenir l'autorisation légale de son Institut, il fait ressortir que" le but de l'Association des Frères de Marie est de procurer aux enfants des campagnes le bon enseignement que les Frères des Ecoles Chrétiennes procurent aux pauvres dans les villes. " Il dit ailleurs que ses Frères pourront diriger" des maisons de providence et de refuge pour les jeunes orphelins."

 S'il fonde des écoles dans des agglomérations importantes et dans les villes, il s'en explique en ces termes: « Notre but, en fondant cette société, a été de donner l'instruction et l'éducation chrétiennes aux enfants des petites paroisses des campagnes, mais voilà. que dès populations importantes réclament de nous le même bienfait. n est sans doute de notre devoir de ne pas refuser ce service, puisque la charité de Jésus Christ, règle de la nôtre, s'étend à tous les hommes, et que les enfants des villes lui ont coûté aussi tout son sang…Mais nous ne devons jamais oublier que nous sommes établis surtout pour les campagnes, et que les écoles de ces paroisses doivent avoir nos prédilections. » ( Vie, p. 120-121)

 En 1835, le Vénérable Fondateur accepte que nos Frères prennent la direction d'un hospice de jeunes orphelins, fondé par Melle. Denuzière, à Lyon et, en 1839, celle de l'hospice de la Charité pour les jeunes enfants à Saint-Chamond.

 Le F. Jean-Baptiste, aussi bien que le Vénéré F. François et le R.F.

Louis-Marie, avait l'esprit du Vénérable P. Champagnat. C'est ainsi qu'il disait un jour aux Frères réunis à Saint-Genis-Laval pour la retraite annuelle: "Voulez- vous savoir, mes Frères, si votre zèle est ce qu'il doit être? Examinez si vos préférences vont aux enfants qui ont le plus de qualités ou bien à ceux qui sont moins bien doués, ou qui sont les plus pauvres; c'est le soin que l'on a pour ces derniers qui montre si un Frère a l'esprit de son divin Maître.

 Tenez, il Y a ici un bon Frère Directeur que j'aime beaucoup, mais vous ne sauriez croire combien mon affection pour lui a augmenté depuis que j'ai appris le fait suivant: le Maire de sa localité a fait venir, au début de l'année passée, deux instituteurs laïcs, et il a fait savoir que les nouveaux venus, étant très capables et distingués, n'admettraient dans leurs classes que les enfants des familles les plus riches. Le bon Frère dont je parle, l'ayant su, n'a cessé depuis de répéter qu'il se croyait très honoré de ce que les enfants des familles pauvres lui étaient réservés et qu'on pouvait les lui amener sans crainte, il en aurait soin comme s'ils étaient nés princes, puisqu'ils sont les préférés de Jésus Christ. Cela a suffi pour lui conserver l'estime de tout le pays et augmenter la mienne à un point que je puis dire." (Notice sur le F. Jean-Baptiste)

 La pensée du Vénérable Fondateur et de ses premiers disciples sur la nature des écoles et des élèves à y admettre trouve sa consécration dans les Constitutions où nous lisons:

 "Le but secondaire des Petits Frères de Marie est de procurer le salut des âmes par l'instruction et l'éducation chrétiennes des enfants, principalement des campagnes." ( Art. 2 )… "L'Institut pourra diriger des pensionnats, des orphelinats et des œuvres de bienfaisance." ( Art. 194 )

 Sommes-nous restés fidèles à l'esprit du Vénérable P. Fondateur? Ce qui suit, tout en signalant le danger de s'en écarter qu'il peut y avoir en certains endroits, nous rassure à cet égard.

 Les nombreuses lettres de recommandation des évêques, appuyant, vers 1903, notre demande d'approbation définitive des Constitutions de l'Institut par le Saint-Siège reconnaissent que « les Petits Frères de· Marie donnent aux enfants du peuple l'enseignement primaire et l'éducation chrétienne… avec un zèle et un dévouement admirables. » (Cire., Vol X, p. 533 et suiv.)

 Sans doute, nous avions déjà, à cette époque, des écoles payantes, mais leur nombre s'est multiplié depuis. Le fait est facile à comprendre. Les lois persécutrices ayant obligé les Frères de France à émigrer en nombre et précipitamment, on fut souvent amené à ouvrir hâtivement des écoles dans des conditions financières tout à fait précaires. En effet, ceux qui nous appelaient se bornaient parfois à fournir un secours initial pour frais d'installation. Comment, dès lors, aurait-on pu, sans écoles payantes, soutenir les maisons de formation, prendre soin des malades et des vieillards, développer les écoles, etc.?

 C'est la multiplicité de ces écoles à rétribution parfois élevée, surtout dans les provinces de fondation récente qui, en 1932, a porté le XIIIe Chapitre général à examiner si l'Institut avait gardé suffisamment, à l'égard des pauvres, l'esprit du Vénérable Fondateur. La Commission chargée d'étudier ce point fit la déclaration suivante: " L'Institut a toujours observé fidèlement l'article 2 des Constitutions car, aujourd'hui encore, c'est bien la classe pauvre qui absorbe l'activité de la majorité des Frères employés dans l'enseignement, malgré le développement de nos grands établissements d'enseignement secondaire, hors d'Europe principalement.

 " La création d'une école gratuite à côté d'un collège florissant est une idée qui a sa valeur et qui mérite examen. Elle ne peut que produire bon effet sur le public, parfois trop porté à voir des entreprises financières dans les grands collèges tenus par des religieux. Il va sans dire que l'opportunité d'une telle école doit être laissée à la sagesse du Conseil Provincial.

 " La Commission a été heureuse de constater que l'Institut n'a pas oublié de faire bien large la part du pauvre dans tous nos grands établissements scolaires par l'acceptation d'un certain nombre d'enfants à des conditions de faveur, qui vont parfois jusqu'à la gratuité."

 Comme suite à ces considérations que j'ai abrégées, la Commission émit, à l'unanimité, le vœu de voir une école gratuite se fonder à côté de tout collège florissant.

 En 1946, le XIVe Chapitre Général se devait, à son tour, de voir si nous nous préoccupons, comme il convient, de l'apostolat auprès des enfants pauvres. Cet examen s'imposait, non seulement pour s'assurer si le vœu du précédent Chapitre s'était réalisé, mais aussi pour des raisons pressantes d'ordre social. En effet, à l'heure actuelle, le prolétariat ou la classe ouvrière s'éloigne du Christ et de son Eglise. Trop nombreux sont ceux qui, dans un milieu déplorable, ont renié la foi de leurs pères, par suite des doctrines subversives et antireligieuses qu'on ne cesse de leur inculquer.

 Aucun chrétien et, à plus forte raison, aucun religieux éducateur n'a le droit de se désintéresser de ce grave problème. Nous pouvons contribuer pour notre part à le résoudre favorablement en nous appliquant davantage à élever les enfants du peuple dans l'amour de Notre Seigneur et de son Eglise. Tel est le but des deux statuts capitulaires suivants:

 a) "Pour maintenir nos traditions de famille, les écoles gratuites auront toujours nos préférences. Nos pensionnats et collèges, d'accord avec le Frère Provincial et son Conseil, auront à cœur, sous des formes diverses, de faire très large la part des enfants pauvres. "

 b) "Quand un Conseil provincial présentera au Conseil Général un projet de fondation d'école payante, sa demande sera accompagnée d'un tableau succinct de ce qui a été réalisé, dans la Province, en faveur des enfants pauvres et, en général, de la classe ouvrière. "

 La Commission a exprimé l'espoir qu'au prochain Chapitre Général, on puisse constater des progrès sensibles sur cette importante question. Je suis persuadé qu'il en sera ainsi si nous avons, avant tout, le souci de la gloire de Dieu et du salut des âmes. Sans des vues de foi convaincues et solides, on est porté à donner la préférence à des fondations plus brillantes ou rémunératrices au détriment d'œuvres populaires d'une plus urgente nécessité.

 Ces mêmes vues de foi sont indispensables pour que, dans nos relations avec des élèves de condition sociale fort différente, nous ayons, conformément à la règle (Art. 123)," une prédilection particulière pour les pauvres, comme nous représentant d'une manière plus sensible, Jésus Christ anéanti et fait pauvre pour nous." .

 Tels étaient les sentiments de nos premiers Frères faisant la classe à La Valla et les hameaux des alentours, puisqu'à leur sujet, le F; Jean-Baptiste s'écrie: " Heureux le Petit Frère de Marie qui, pour imiter de si beaux exemples, ambitionnera d'être envoyé dans un établissement pauvre et estimera comme une faveur d'être chargé d'une classe composée d'enfants indigents: il aura véritablement l'esprit de son état; Dieu bénira ses travaux et le comblera de grâces et de consolations. Un tel Frère sera la gloire et le soutien de son Institut." ( Vie du P. Champagnat, p. 111)

 A ce propos, je suis heureux de dire que, dans ma visite à nos missions d'Afrique, quelques Frères, quoique pleinement soumis à la volonté des Supérieurs, m'ont affirmé avoir été déçus en se voyant confier des enfants européens, alors que leur désir le plus cher, en s'expatriant, avait été de se consacrer aux plus pauvres parmi les indigènes.

 Saint Vincent de Paul s'écriait de tout son grand cœur: "Oh, .que le pauvre est beau envisagé en Jésus Christ" Si cette beauté morale du pauvre ne nous porte pas à faire en sa faveur tout ce qui est de notre pouvoir, nous nous priverons de bien de grâces et nous courrons le danger de perdre l'esprit mariste d'humilité, dans une ambiance fort différente de celle de la Congrégation à ses débuts.

 On ne saurait nier qu'il y a actuellement tendance chez trop de Religieux à négliger l'observation du vœu de pauvreté et à méconnaître l'excellence et la nécessité de la mortification pour sauvegarder la vertu. Le contact avec les riches expose à adopter d'abord certaines de leurs exigences et attitudes, ensuite leurs pensées et leurs sentiments.

 Le péril d'embourgeoisement insensible et progressif n'est point illusoire et nous devons sérieusement nous mettre en garde contre ses pernicieux effets. Lorsque le préfet de Rome demanda à Saint Laurent de lui remettre ses richesses, celui-ci lui présenta une foule d'indigents et lui dit: "Voici les vrais trésors de l'Eglise." Je souhaite vivement que de tels trésors ne manquent jamais, dans nos écoles, afin qu'ils y attirent les bénédictions du Ciel. Plaise à Dieu que' si ,un jour des spoliateurs menacent un secteur quelconque de l'Institut, ils ne soient que les instruments providentiels d'une épreuve méritoire et non pas les émissaires chargés de nous ramener dans la voie de la pauvreté évangélique. 

2.. Frère Basilio:

 Rénovation dans l'esprit du Fondateur.

(Les appels du Bienheureux Père au Chapitre Général.)

 Je crois que s'il est aujourd’hui un sujet sur lequel le Fondateur appellerait sérieusement notre attention,· c’est cette question. Je voudrais rappeler, en passant que c’est un point sur lequel les derniers Supérieurs et Chapitres Généraux ont parlé explicitement. 

1) Raisons qu'aurait le Fondateur.

Ce rappel à l'attention, d'après moi, le Fondateur le ferait en s'appuyant sur trois faits:

 a) Il créa la Congrégation en pensant à l'éducation des enfants de la campagne. (Nous ferons l'extrapolation de cette affirmation en temps voulu.)

b) Nos collèges aussi bien que ceux de tant d'autres Congrégations ont été entraînés lentement, mais presque inexorablement, à prendre soin d'autres classes de la société qui ne sont pas précisément la classe pauvre. (On me fera gré de l'euphémisme destiné à éviter une affirmation qui pourrait être blessante ou contestable.) Honnêtement je crois que personne ne peut récuser ce fait, puisqu'il est statistiquement majoritaire, surtout pour le Tiers-Monde.

c) Le besoin du service éducatif et l'attention aux classes pauvres devient aujourd'hui non seulement un devoir chrétien fondamental, mais une urgente et dramatique nécessité pour l'Eglise et dont l'attention ou l'abandon peut avoir de graves conséquences pour l'Eglise. 

2) Critique de nos justifications.

Il faut s'en occuper, même au prix de sacrifices héroïques, si vraiment ceux-ci s'avèrent conduire au but pour lequel on les fait.

 Retournant à ce qui a été dit dans la 4e partie: "Un Institut peut se consacrer à d'autres tâches ou à des destinataires autres que ceux pour lesquels il est né, mais ce qu'il ne peut pas faire, sans cesser d'être lui-même, c'est de pas se dévouer pour ce et ceux pour lesquels il est né", commençons par préciser, en premier lieu, quel sens doit avoir pour nous le mot pauvre ou, ce qui revient au même, quels sont ceux qui ont droit en premier lieu à notre dévouement comme Maristes. Je me permets d'ajouter ici que dans le cas où il existerait une double "consécration", celle-ci devrait se faire de telle façon au moins que l'on ne croie pas remplir le but principal en se débarrassant des destinataires les plus immédiats par l'application de formules précaires, creuses, presque symboliques, comme pour tranquilliser la conscience de l'Institut. Je ne dis pas que cela arrive, mais que cela ne doit arriver ni dans notre Institut, ni dans aucun autre, à moins d'impossibilité physique ou matérielle. Notez que je ne dis pas : à moins de grandes difficultés, car les difficultés doivent être surmontées.

 D'une façon générale, on a conservé parmi nous l'opinion que nous avons été fondés pour les pauvres. L'expression, peut-être, n'est pas tout à fait exacte et elle n'exprime pas non plus suffisamment la pensée du Fondateur. Je la traduirais plutôt par les "marginaux", comme il sera dit plus loin. Lors même, en effet, que les deux mots se recouvrent en grande partie, les "marginaux" ne rejoignent pas exclusivement et exactement les pauvres au sens économique.

 a} L'esprit. Si on ne sent pas cela et si on ne brûle pas d'une flamme intérieure, tous les conseils et appels tomberont dans le vide. Il n'est pas question de mauvaise volonté ni de désobéissance, non, c'est plus nuancé. Disons que les difficultés et les risques sont si nombreux, si forts les conditionnements sociaux et les habitudes mentales, si manifeste le manque de disponibilité de certains Frères embourgeoisés que – sans en citer d'autres -ces facteurs sont suffisants, et plus que suffisants, pour condamner une Province à la stagnation et à l'inaction. C'est dire que ce sont là des situations où la simple bonne volonté est impuissante, et où rien ne se réalise si le souffle de l'Esprit ne brûle à l'intérieur.

 Le point de départ doit être le Supérieur. C'est lui qui doit se rendre capable de comprendre les angoisses, les désirs et même les impatiences de quelques-uns de ses Frères brûlés de ce feu, et ne pas retenir, a priori et sans des raisons sérieuses, l'impulsion de l'Esprit. Il ne s'agit pas, comme je l'ai dit déjà, que chaque Frère socialement inquiet entreprenne ce qu'il veut, ni que cette entreprise soit confiée à des hommes dont le sens social naît d'un déséquilibre, surtout s'il s'agit d'une initiative de démarrage. Un échec de ce genre pourrait déprécier et compromettre non seulement une expérience, mais tout un courant d'expériences.

 Compte tenu de tout cela, chaque Supérieur doit faire un examen sincère et voir s'il n'a qu'un simple "sens du devoir" envers les pauvres, qui n'arrive pas à le mettre en sympathie avec eux, encore moins en état d'inquiétude et en désir de réalisation, ni à l'attrister quand il constate qu'il ne peut rien faire pour eux. Celui qui découvre et reconnaît qu'il est ce que je viens de dire, doit comprendre qu'il lui manque quelque chose d'essentiel pour être chrétien et pour être religieux (à plus forte raison pour être Mariste!) et que cette déficience, en ce qu’elle a d'essentiel pour sa Province, exige de lui qu'il se préoccupe sérieusement de se sensibiliser lui-même et de sensibiliser aussi ses Frères sur ce sujet: Mais encore une fois, je vous en prie, pas de démagogie pour autant.

 Cependant, tel n'est pas notre idéal. Là où c'est possible, nous devons nous charger des moins favorisés, de ceux dont personne ne s'occupe et employer toute notre initiative à ouvrit de nouvelles voies. Si nous pouvions employer 100% de nos ressources en personnel, et de nos économies, nous ferions un grand bien à l'Eglise; Notre Fondateur, il est vrai, n'a pas exclu l'apostolat des classes plus favorisées, au contraire, il l'a explicitement accepté. Mais on sait où allaient ses préférences. Et comme il savait d'une part, que les riches auraient toujours les moyens de recevoir l'éducation, et que, d'autre part, l'Eglise a besoin d'être l'Eglise de tous, mais surtout des pauvres, la voie qu'il tracerait maintenant est assez claire.

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Avril 1993

               Chers Frères,

Il y a quelques années, lorsque j'étais Provincial, j'ai eu la responsabilité d'organiser la première Conférence des Supérieurs majeurs d'Australie. J'ai demandé à trois Provinciaux de différentes Congrégations de dire ce que leur rôle de Supérieurs majeurs avait été pour eux et pour leur croissance humaine et spirituelle en tant que personnes. Tous les trois étaient excellents. L'un d'eux, un Frère Mariste, termina sa riche et divertissante présentation en disant, avec un sourire, que le verdict des Frères serait probablement: «Hé bien, son mandat n'a peut-être pas été bon pour la Province, mais il a certainement été bon pour lui !»

De même, être Supérieur général a été une grande bénédiction pour moi. Et je puis vous assurer que ce ne sont pas les cérémonies spéciales, les rencontres avec d'importants dignitaires, les dons, les allocutions de bienvenue et ainsi de suite qui sont les points culminants de la vie d'un Supérieur général. Je dois dire que j'ai fait de réels efforts pour en jouir et mettre les gens à l'aise. Mais le réel plaisir et la vraie grâce, car c'était une grâce, ce fut de rencontrer un si grand nombre de Frères qui se dévouaient généreusement aux besoins des autres, dont la vie touchait celle de milliers de jeunes et de leurs familles, des hommes qui ne se considèrent pas comme particulièrement importants mais dont la vie est un témoignage de désintéressement, de sacrifice de soi-même pour que d'autres puissent avoir une plus grande plénitude de vie.

Merci de votre fidélité à l'Institut. Nous avons traversé et nous continuons à traverser des temps troublés, et pendant la même période, l'Église nous a demandé de renouveler notre Institut. Durant ces années, beaucoup nous ont quittés. Je n'ai pas l'intention de juger ni de critiquer ces hommes. Certains devaient partir. Mais je dois dire que ce sont seulement ceux qui restent dans l'Institut qui peuvent le renouveler. Nous savons tous qu'il y a eu des faux pas et des échecs, des limites et des faiblesses. Cela fait partie du mystère de notre vie. Cependant vous avez cherché à être fidèles à l'appel du Seigneur, à le servir et à servir son peuple. Chacun de nous, malgré ses échecs et ses péchés, s'est efforcé d'être fidèle à cet appel très clair du Seigneur : appel au renouvellement et à la conversion. C'est dans le mystère pascal, dans la fidélité en face de la souffrance et de l'échec, que nos efforts sont purifiés et que le Seigneur accomplit ce renouveau. Il ne peut être réalisé que par ceux qui sont préparés à affronter les orages du changement.

Rien ne me plairait tant que d'avoir l'occasion de remettre cette lettre dans les mains de chaque Frère et de dire : «MERCI BEAUCOUP AU NOM DE L'INSTITUT».

Frères anciens

A vous, Frères anciens, merci d'une manière très spéciale pour tout ce que vous êtes, et pour tout ce que vous avez été pour notre Institut. Je regrette de n'avoir pas eu assez de temps pour écouter les histoires de la vie de quelques-uns d'entre vous. Mais celles que je connais, celles dont j'ai entendu parler ou sur lesquelles j'ai été informé par la lecture, sont riches de trésors. Nous savons qu'il n'y a pas de surhomme, Frères, mais dans ces histoires il y a bien des exemples de grand héroïsme. De nos jours, nous avons tous été inspirés par l'extraordinaire exemple de fidélité de nos Frères en Chine, dont certains ont vécu pendant plus de trente ans n'ayant guère ou pas de contact avec des confrères en Chine ou hors de Chine et dans un climat de vraie persécution. Mais j'ai été témoin de bien d'autres exemples de fidélité en diverses circonstances. La difficulté, dans une lettre telle que celle-ci, c'est que bien des Frères à qui j'adresse ces remarques pensent que je parle de quelqu'un d'autre ! Quand je parle d'héroïsme tranquille, ils pensent que je ne parle pas d'eux J'écris au sujet de ces Frères et à ces Frères qui ont servi l'Institut durant quarante, cinquante, soixante et même soixante-dix ans. Vous êtes allés partout où on vous a demandé de servir, d'aider les autres. Beaucoup ont rempli des charges pour lesquelles ils n'étaient guère préparés. Et vous continuez à travailler selon vos possibilités et vos capacités, vous ne souffrez pas de complexes de retraite. Certains d'entre vous ont entrepris de nouveaux apostolats, certains, en guise de «retraite», sont partis en pays de «mission». Quelle joie d'entendre des hommes bien avancés en âge parler avec enthousiasme et passion de leur labeur apostolique, de leur contact avec les jeunes, de leur travail avec des groupes apostoliques etc.

Merci, chers Frères, de cette fidélité, de cette loyauté et de cet attachement à l'Institut, à vos Frères, à votre mission, à ces gens auxquels vous avez été envoyés.

En parlant avec des groupes de Frères anciens, je leur ai parfois demandé ce qu'ils considèrent comme des éléments clés de leur apostolat actuel. Les idées le plus souvent répétées sont : écouter avec sensibilité, présence, encouragement, prier pour les autres. En voyant ces mots, l'image qui me vient à l'esprit est celle de Marie avec les Apôtres après la Pentecôte – c'était sûrement son rôle avec les premiers disciples du Christ : être avec eux, prier avec eux et pour eux, les encourager, leur rappeler ce que Jésus avait dit, être le cœur de la communauté chrétienne… (C 48).

Et maintenant, un simple avis. Quand on vieillit, on a toujours la tentation de penser qu'en devenant moins actif, on devient moins important. Beaucoup d'entre vous vivent dans des cultures qui sont exagérément orientées vers les jeunes et où la vieillesse est souvent vue comme un handicap. Je crois que l'apostolat de nos dernières années est souvent le plus important de notre vie. A ceux qui n'ont pas une santé suffisante pour un apostolat actif : je vous remercie de tout ce que vous avez fait et je vous rappelle que la Province a encore besoin de vous. Votre apostolat actuel de prière et parfois de souffrance, est d'une grande importance.

Je ne souhaite pas donner l'impression que tous les Frères anciens sont prêts à être canonisés ! [I y en a qui sont égoïstes, capricieux et avec qui il est difficile de vivre. (Et on ne sait pas quelles peines, souffrances et angoisses ces Frères ont peut-être endurées durant leur vie) Mais, en tout cas, ils sont vraiment exceptionnels. Un si grand nombre d'entre vous ont mûri merveilleusement et vous avez une influence vitale sur votre communauté parce que vous avez été purifiés jusqu'au plus profond du cœur : vous êtes bienveillants, patients, ouverts, et profondément humains, des hommes qui encouragent grandement les autres, des hommes compatissants, des hommes qui vivent près de Dieu.

Continuez à prier pour vos Frères en communauté et tous ceux que vous rencontrez. Encouragez-les par vos paroles, vos actions, votre sourire. Soyez pour eux ce que Marcellin a dû être pour tous ceux auxquels il a été envoyé. Et encore : merci.

Jeunes Frères et jeunes gens en formation

Durant mes années de Supérieur général, cela a toujours été une joie de rencontrer des jeunes Frères et des jeunes gens en formation et de ressentir leur joie et leur enthousiasme d'être appelés à la vocation de Petits Frères de Marie. Comme disent nos Constitutions, vous êtes «une grâce de Dieu et une attention de Marie». (C 53)

Dans ma première communauté, nous étions huit Frères dont cinq profès temporaires. (Entre parenthèses, nous vivions dans une maison familiale à deux chambres à coucher et les deux plus jeunes, un autre Frère et moi, nous couchions au garage. La communauté n'avait pas de voiture. Je ne me rappelle même pas si nous possédions une bicyclette !) Le fait que vous soyez moins nombreux peut signifier qu'il y a davantage de difficultés pour vous, un genre de difficultés que la plupart d'entre nous n'avons jamais eu à affronter. Mais cela signifie aussi que votre rôle maintenant est plus important que jamais et j'aimerais prendre contact avec chacun d'entre vous pour vous dire combien vous êtes importants, non seulement pour les jeunes auxquels le Seigneur vous envoie, mais aussi pour l'Institut.

Il est évident que nos expériences de vie varient énormément. Nous sommes tous fils de notre temps, et les temps ont changé rapidement. Il y a par exemple une différence énorme entre la formation que nous, Frères âgés, avons reçue au noviciat et la vôtre. En tant que jeunes Frères, il ne vous faut guère de temps pour vous apercevoir des grandes différences qu'on trouve dans les expériences de vos confrères. Certains ont passé une grande partie des années de leur vie en un temps et en une culture très différents de votre propre expérience. Leurs histoires personnelles incluent souvent des expériences de pauvreté, guerre, rapides changements dans l'éducation, bigoterie religieuse…

Mais nous partageons aussi bien des choses : notre développement humain et spirituel, notre lutte comme enfants, novices, jeunes Frères, nos succès et nos échecs, nos joies et nos chagrins, et, à la base de tout, nos traditions chrétiennes et maristes.

Il est vrai qu'aucun groupe d'âge ne détient un monopole sur n'importe quel don. Nous sommes tous frappés parfois par quelque Frère dont les dons démentent l'âge : par un Frère ancien encore plein d'ardeur juvénile, par un Frère plus jeune doué d'une sagesse au-delà de ses années. Mais nous attendons de vous, comme jeunes Frères, un zèle pour la vie, une fraîcheur de vision, un esprit de joie, vitalité et enthousiasme, que nous voyons avec tant d'évidence dans la vie du jeune Champagnat.

Nous attendons de vous que vous soyez des signes d'espérance et d'amour de Dieu envers les jeunes, désespérément à la recherche de valeurs pour leur vie. Nous attendons de vous également une audace basée sur la providence, la puissance et la sagesse de Dieu. Que votre confiance soit comme celle de Marie et de Marcellin, une confiance qui inspire courage et créativité dans un monde constamment changeant.

Il y a des pays où les jeunes sont séparés de l'Église institutionnelle. Rejoignez-les et formez-les à une spiritualité pour les jeunes d'aujourd'hui. Vous êtes plus près de l'expérience et de la culture des jeunes d'aujourd'hui. Vous avez un sens plus sûr de ce qui s'agite dans leur cœur, des questions et des dilemmes qu'ils affrontent, de la vision qu'ils ont d'eux-mêmes, du monde et de l'avenir. Nous attendons de vous que vous soyez des intermédiaires entre ce monde des jeunes et nous : non seulement de son côté sombre avec leurs craintes et leurs désillusions, leur sens d'aliénation et d'impuissance, leur vide et leur manque d'espoir, mais aussi leurs grandes aspirations, leur espérance et leur courage, les valeurs et les idéaux qu'ils célèbrent.

Une autre zone où les jeunes Frères ont un rôle privilégié à jouer et celle de la promotion des vocations religieuses et sacerdotales. Vous êtes dans une position privilégiée pour savoir ce qu'il y a dans leur cœur, pour partager leurs confidences et pour cheminer avec eux tandis qu'ils s'ouvrent à la volonté de Dieu. Évidemment, il vous faut être très respectueux dans ce domaine mais aussi très courageux.

En outre, votre témoignage joyeux et dévoué peut aider les jeunes à reconnaître que notre vie Mariste est non seulement crédible mais aussi possible pour eux. Dans bien des pays que j'ai visités, j'ai constaté que les jeunes sont très fortement attirés par Marcellin: sa personnalité, son caractère, sa foi, sa vision, son sens de la compassion. Il est important pour vous de comprendre votre rôle dans l'aide aux jeunes pour qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes, soit comme laïcs, Frères, prêtres ou religieux. C'est un rôle vital pour l'avenir de l'Église et de l'Institut.

Maintenant, permettez-moi de dire un mot sur les temps de crise dans notre vie personnelle. Il est normal pour un jeune Frère de passer par quelque crise. Il est assez normal d'avoir des moments de dégoût et de sentiment de vide. Il peut y avoir des moments où nous souffrons d'une grave déception, ou bien nous sentons le poids de notre faiblesse, des occasions où il semble presque impossible d'avoir confiance en la grâce de notre vie. Si pénible qu'elle puisse être, cette expérience n'est pas forcément une mauvaise chose. Ces périodes peuvent être des occasions privilégiées de réflexion, de connaissance, grâce à la peine, de l'authenticité de notre réponse à l'appel du Christ à tout quitter pour le suivre. La souffrance que nous éprouvons pourrait bien être le témoignage de notre fidélité.

J'ai dit que, pour un jeune Frère, certaines crises sont normales, et c'est vrai aussi pour les jeunes mariés. Un temps de crise est pénible mais il n'est pas négatif : c'est une occasion de croissance, à la fois dans le sens d'un développement et dans le sens rédempteur. J'ai l'impression que chez des jeunes, aujourd'hui, il y a une tendance à céder trop facilement, à capituler devant la douleur et à chercher une issue qui, peut-être, procure du soulagement mais en même temps ferme la porte à de plus grandes possibilités. Ce n'est pas seulement une impression subjective ; les statistiques du divorce et des demandes de dispense de vœux religieux révèlent une tendance troublante à abandonner un engagement très vite après l'avoir pris.

Permettez-moi de souligner deux choses seulement. D'abord, ne cherchez pas de solutions faciles ou expéditives : bien que cela soit pénible, prenez votre temps. Ensuite, n'essayez pas de lutter tout seuls avec ce genre de situation ; partagez-là avec un directeur spirituel ou avec un Frère que vous connaissez et en qui vous avez confiance. Confiance est le mot clé : par-dessus tout confiance dans le Seigneur et en Marie ; ils nous sont toujours fidèles.

A ceux d'entre vous qui sont encore en formation : rappelez-vous que vous vous préparez à être apôtres de Jésus-Christ. Ceci implique qu'il soit au centre de votre vie et que vous preniez vos relations avec lui très aux sérieux : votre prière, votre lecture spirituelle, votre réflexion sur l'Évangile et sur les Constitutions. Ce sont là pour nous des sources de vie importantes. Leur être fidèle demande courage et discipline.

Vous vous préparez à être des apôtres maristes. Remerciez Dieu chaque jour du don de Marie et de Champagnat dans votre vie. Qu'ils fassent partie de votre vie d'une manière très naturelle. Parlez-leur, écoutez-les. Demandez à Marie de vous apprendre à écouter, à développer un cœur attentif. Et quel merveilleux modèle nous avons en Marcellin ! Puissiez-vous être remplis du même zèle, du même amour des jeunes, des pauvres, des plus abandonnés, des missions. Puissiez-vous être des jeunes Champagnat, ardents et prêts à commencer votre mission comme FRERES avec toutes les richesses que signifie ce beau mot.

Ne sous-estimez jamais l'importance d'arriver à une meilleure connaissance de vous-mêmes, à l'acceptation de vous-mêmes, en vous dépassant et en vous convertissant (C 96). Les plus grands problèmes pour notre mission ne viennent pas de nos gouvernements ou d'autres facteurs externes mais de nos propres faiblesses. Ces faiblesses ont souvent leur origine, au moins en partie, dans un manque de connaissance de soi et des autres éléments mentionnés ci-dessus.

Donc, chers jeunes, pour l'inspiration et l'encouragement que vous avez été pour moi par vos activités apostoliques, vos lettres votre disposition à servir dans d'autres pays, votre zèle et votre enthousiasme, merci beaucoup. Puissiez-vous continuer avec courage !

A ceux qui ne sont ni jeunes ni vieux

Et à vous, chers Frères, qui n'êtes ni jeunes ni vieux, à vous qui, quand vous étiez jeunes ou relativement jeunes, avez traversé ces années turbulentes durant lesquelles beaucoup de jeunes hommes et femmes ont quitté la vie religieuse, un merci très spécial pour votre fidélité.

Certains sont passés par une phase de vie de remise en question, d'épreuves et de tribulations, peut-être de découragement – une phase de vie qui est normale pour beaucoup, quelle que soit leur vocation dans la vie : parents, religieux, prêtres, maris, épouses. Malgré des difficultés, vous avez dit de nouveau : OUI, un Oui plus sage, plus coûteux et par conséquent plus généreux qu'aux jours de votre jeunesse. Merci.

Nous savons tous qu'à mi-chemin de la vie, il y a le danger de reprendre le don de nous-mêmes, peu à peu. Je crois que c'est cette «reprise» qui enlève la passion de notre vie, qui diminue notre zèle apostolique. C'est pourquoi je prie que vous continuiez à être des hommes de joie apostolique, des hommes enflammés pour le Royaume de Dieu. Continuez à être courageux et généreux dans votre donation, Frères. C'est la seule façon d'être contents de vos vies.

Vous occupez une grande partie des postes de responsabilité dans l'Institut aujourd'hui : tous les Provinciaux et Supérieurs de Districts, et tant de Supérieurs, maîtres des novices, formateurs (et Conseillers généraux !). Un coup d'œil aux statistiques de bien des Provinces explique pourquoi vous avez dû assumer des responsabilités pendant de longues périodes. L'Institut vous doit beaucoup et nous comptons encore sur vous pour une forte et vigoureuse animation.

Je n'ai pas besoin de m'étendre sur l'appel à la prière dans vos vies. La plupart, vous êtes des hommes d'action qui ont accompli de grandes choses pour les jeunes. Mais nous courons le risque de négliger de prendre du temps pour la réflexion et la prière. Tenez-y : c'est votre union à Dieu qui, en fin de compte, détermine la valeur de votre travail comme apôtre. Tranquillement, aimablement, lentement, efforcez-vous de devenir comme St Paul : «Je vis, non ce n'est plus moi, mais le Christ vit en moi».

Merci et bénédictions sur vous-mêmes et sur votre mission.

QUELQUES RÉFLEXIONS

Un de mes projets inachevés, en tant que Supérieur général, était d'avoir une nouvelle version du Document Marial (publié après le Chapitre général 1967-1968) en utilisant les données de nos nouvelles Constitutions ainsi que les encycliques Marialis Cultuset Redemptoris Mater. Aussi, quoique cette lettre soit avant tout une lettre de remerciement, je voudrais partager avec vous réflexions sur quelques attitudes mariales qui me particulièrement importantes, spécialement en ce temps où le Chapitre général approche. Ces réflexions seront simples et brèves et je vous les offre comme un très petit signe de remerciement. Ensuite je finirai par une prière à Marie, prière que je vous dédie à tous.

1. Petits Frères de Marie

Marie est un don précieux dans notre vie à tous et nous avons l'honneur d'être appelés «Petits Frères de Marie» : beau titre que nous a donné notre Fondateur et auquel j'espère que nous reviendrons de plus en plus. Chacun des trois mots clés de ce titre est précieux.

En nous donnant le nom de Marie, Marcellin a voulu que nous vivions de son esprit. Aussi les attitudes de Marie nous inspirent-elles et nous guident-elles dans notre suite de Jésus et nous acquérons ces attitudes en nous rapprochant d'elle, par notre «amour tendre et filial» pour elle. Jésus nous invite à partager son amour pour sa Mère, à faire l'expérience de «ses soins maternels». Plus nous la connaissons et plus nous l'aimons comme personne, plus aussi «ses attitudes de parfaite disciple du Christ inspirent et règlent notre manière d'être et d'agir» (C 4).

Cette spiritualité mariale est une partie fondamentale de notre charisme et nous est transmise en premier lieu par le Père Champagnat et nos premiers Frères, et elle a été enrichie par le développement dans l'Église de la connaissance de Marie et de son rôle.

Essentielle à la spiritualité de Marie est la conviction d'être aimée de Dieu. «Réjouis-toi, comblée de grâce… tu as trouvé grâce devant Dieu» (Luc 1.28-30). Ce sentiment d'être aimée de Dieu est puissamment proclamé par les paroles que Luc place sur ses lèvres dans le Magnificat. Nous prions ces mêmes paroles chaque jour, en proclamant la grandeur de Dieu et son amour pour Marie et pour nous-mêmes. Tout est grâce. Tout est don.

Nous avons tous nos phrases et nos textes favoris qui nous touchent profondément, qui résonnent dans nos cœurs. Pour moi, il y en a deux qui proviennent de l'office du matin : «Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi ?». Et l'autre : «Nous n'avons pour seule offrande que l'accueil de ton amour».

Quelle riche sagesse est contenue dans ces deux phrases ! et elles nous ramènent au cœur de la spiritualité de Marie : la connaissance, la compréhension, l'émerveillement d'être aimés de Dieu. «L'Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre» (Luc 1.35). C'est pourquoi elle eut une confiance totale en la puissance transformante et en la présence de l'Esprit Saint dans sa vie et dans le monde.

Nous aussi donc, nous devons nous efforcer de nous ouvrir à Dieu, à sa présence et à son pouvoir transformant dans notre vie et dans la vie de tout homme et femme. Permettez-moi, maintenant d'en préciser quelques implications.

1.1. Ouverture au monde
«Il y avait de la poussière sur ses pieds».

Une des raisons du Pape Jean XXIII pour convoquer le Concile était de permettre à l'Église d'être plus ouverte au monde. Ce n'était pas seulement nécessaire en termes de mission de l'Église envers le monde, mais aussi parce que l'Église avait besoin du monde ! Nous l'avons souvent oublié. L'Église est enracinée dans l'humanité, l'Église existe pour l'humanité. Mais il y a toujours le danger que l'Église retourne à sa forteresse, parle du haut de ses remparts et ainsi devienne insignifiante, sauf pour ceux qui sont proches des murs. L'Église a besoin du monde, de la famille humaine, tout comme le monde a besoin de l'Église.

La phrase – «il y avait de la poussière sur ses pieds» – m'a été donnée par un Frère et, pour moi, elle symbolise l'engagement de Marie dans son monde : Marie avec les villageois de Nazareth, Marie à Cana, attentive à ce qui se passait et ensuite parlant aux serviteurs, Marie la réfugiée, Marie se hâtant d'aller voir Elizabeth… Marie a certainement été une partie importante de la communauté locale dont elle était membre.

Nous aussi nous sommes appelés à entrer dans la vie de la communauté où nous vivons et travaillons, à prendre part à ses joies et à ses peines, à ses luttes et à ses célébrations. Tout comme Jésus et Marie étaient pleinement incarnés dans leur communauté locale, nous sommes appelés à faire de même. Nous sommes appelés à être frères pour tous. Nous ne sommes pas des moines dans un monastère. Une partie de notre héritage religieux primitif pour certains d'entre nous était : «Toutes les fois que j'ai été parmi les hommes, j'en suis revenu moins homme» (Thomas A Kempis, Imitation de J-C l.20.2). Mais ce n'est pas ce à quoi nous sommes appelés aujourd'hui.

Vous vous rappelez sans doute que j'en ai parlé dans la Circulaire sur la Spiritualité Mariste Apostolique sous le titre : «Insertion communautaire» et j'ai suggéré que nous devrions y faire plus attention à l'avenir. Je crois que c'est toujours très important mais surtout en ces temps de grands changements où nous pouvons avoir tendance à nous créer un petit monde tranquille et stable. C'est bien naturel que certains espèrent pouvoir maintenant «se reposer» dans une situation plus stable et moins changeante. Au contraire, il y a beaucoup de signes qui indiquent que nous sommes encore en plein dans une période de profonde évolution du monde à différents niveaux : médias, économie, chômage, rapports entre les nations, redécouverte de la dimension «féminine» de la vie, tendances diverses en spiritualité, etc.

Si maintenant nous revenons à l'Église, il y a de grands signes qui montrent que les prochaines décennies verront des changements profonds liés à des facteurs tels que : la prise de leur juste place par les laïcs, une décléricalisation graduelle et pénible liée aux efforts pour résoudre les problèmes du sacerdoce, une claire reconnaissance du rôle clé que les femmes doivent jouer dans l'Église, une plus grande impulsion, venant de la base, vers l'unité des chrétiens, de nouvelles dimensions de la spiritualité mettant l'accent sur la création, la nature et sur tout ce que Dieu nous dit par elles, la lutte continuelle pour la justice et la paix, et pour l'option préférentielle pour les pauvres, un plus grand sens de la solidarité – pour n'en citer que quelques-uns.

Nous ne pouvons pas rester en marge. Nous aussi nous sommes appelés à avoir de la «poussière sur nos pieds».

1.2. Femme de discernement
«Marie méditait toutes ces choses dans son cœur» (Luc 2.19).

Un élément clé dans toute spiritualité sérieuse doit être un esprit de discernement. Marie écoutait la parole de Dieu et la mettait en pratique, et nous pouvons apprendre d'elle la disponibilité à l'Esprit dans une attitude d'écoute et de discernement.

Quoique l'idée centrale du discernement soit toujours la même, on peut la définir de diverses façons. Une des meilleures manières que je puisse utiliser pour le décrire me vient d'un ami Jésuite qui disait : «discerner n'est rien d'autre que lire la présence de Dieu dans ma vie, reconnaître ses invitations à tout moment. Nous pouvons le comparer à la connaissance intuitive des conjoints dans le mariage, leur sensibilité aux sentiments, désirs et besoins l'un de l'autre qui ne peut être le fruit que de l'oubli de soi et de l'amour. C'est la même chose dans nos relations avec le Christ. Je ne serai capable de discerner la voix du Seigneur que lorsqu'il y aura amour et désintéressement dans mon cœur ; car sans cet amour et ce désintéressement, les voix que j'entendrai seront probablement celles de mes besoins et de mes désirs».

Le discernement est une aide puissante à l'intégration de nos vies en tant que religieux. C'est aussi un des plus sûrs chemins de conversion. Parlant aux Capitulants à la clôture du Chapitre général de 1985, j'ai dit: «Le développement d'un vrai esprit de discernement est un élément clé pour le renouveau de l'Institut. Le discernement des appels dei' Esprit Saint à nous comme individus, à nos communautés, à nos Provinces et à l'Institut comme un tout, requiert plus d'attention. Un des grands dangers à tous les niveaux de l'institut est que… nous ne prenions pas assez de temps pour la réflexion. Nous pouvons être tellement absorbés par nos tâches que nous courons le risque de devenir insensibles au Saint-Esprit…». Je crois que c'est encore vrai.

Je n'aurais guère de confiance en un Institut, une Église, un Synode ou une Province qui ne prend pas le discernement au sérieux. Nous avons fait vœu d'obéissance, vœu d'être attentifs aux appels du Seigneur, comme individus et comme groupe. Si nous nous donnons pleinement à Dieu par amour et par le désir de servir les autres, alors le discernement doit faire partie intégrante de notre vie.

Frères, je vous presse d'être fidèles à la révision de la journée. Demandez à Marie de vous accompagner dans cette prière. La révision et la méditation sont une combinaison puissante pour nous aider à être plus réfléchis dans nos vies, à être de vrais contemplatifs en action. Si nous y sommes fidèles, alors nous seront «enseignés par Dieu» (Jean 6.45) et le Saint-Esprit façonnera en nous le cœur et l'esprit du Christ.

Le discernement implique aussi une prise de conscience de ce qui se passe dans notre société et notre culture, et de la présence de l'Esprit dans les tendances de la société. Une attitude réfléchie nous aidera à reconnaître plus clairement les éléments positifs de notre culture et aussi les autres éléments qui ont besoin d'être évangélisés. Une lettre récente des évêques des États-Unis parlait d'une culture dans laquelle les «ismes» destructeurs -matérialisme, relativisme, hédonisme, individualisme, consumisme – exercent des influences séductrices puissantes. Évidemment, les cultures varient considérablement et de même les éléments destructeurs dans une culture particulière mais, pour la plupart d'entre nous, nous vivons dans des cultures où ces «ismes» sont actifs. Un grand défi pour nous tous est de reconnaître les effets corrosifs de ces éléments sur nous-mêmes comme individus et sur la vie religieuse en général.

C'est si facile d'être APPRIVOISÉS par la culture prédominante. Par apprivoisés, je veux dire que nos valeurs évangéliques sont affaiblies, diluées. Je me souviens d'avoir été écœuré en voyant un exemple de ce genre à la télévision, il y a quelques années. Le prédicateur se servait de l'Évangile pour justifier un intérêt égoïste et un patriotisme chauvin. Mais nous aussi nous pouvons en être victimes sous des formes plus subtiles. La Chrétienté sans la Croix peut être plutôt attirante.

1.3. Marie, Mère de l'Église.
Marie était une laïque !

Dans les catégories d'aujourd'hui, Marie serait classée comme laïque ! Elle n'était ni prêtre, ni religieuse, ni membre d'un Institut séculier… Elle a mis au monde, soigné, lavé son enfant ; elle a fait la cuisine, nettoyé, servi ; elle a appris à son enfant à marcher et à prier ; et c'était la Mère de Dieu.

Elle est aussi la Mère de l'Église, l'Église corps du Christ, et elle est «le Modèle de cet amour maternel qui devrait inspirer tous ceux qui coopèrent à la mission apostolique de l'Église pour la renaissance de l'humanité» (R M 92).

Nous nous réjouissons de vivre à une époque où l'Église revient à une compréhension plus claire d'elle-même comme communion de laïcs, religieux et prêtres. Nos générations sont appelées à construire un nouveau modèle d'Église. Nous sommes appelés à nous aider et à nous compléter les uns les autres, en appréciant et en soutenant mutuellement notre vocation dans une communion effective. Il faut des hommes de vision pour faire cela, spécialement quand on ne comprend pas bien notre propre vocation. Mais un des vrais signes de leadership dans l'Église aujourd'hui est la disposition à aider les laïcs à devenir des guides. Si nous rie le faisons pas, alors nous sommes négligents

Une des grandes joies de notre temps est le fait qu'il y a beaucoup de laïcs qui désirent partager notre spiritualité, qui désirent connaître davantage Champagnat, son esprit et sa spiritualité, des gens qui désirent partager notre charisme. Je crois que c'est un énorme potentiel pour l'avenir et que les années qui viennent sont très importantes pour cette croissance.

Mais c'est n'est pas un partage unilatéral. Nous avons besoin des laïcs, el le partage spirituel avec eux nous révélera de nouvelles profondeurs de notre vocation de Frères. Pour autant que cela concerne la mission de l'Église, il ne s'agit pas de leur donner davantage de responsabilités parce qu'il n'y a pas assez de prêtres ou de religieux. Si c'est là notre manière de voir les choses, nous ne serons jamais vraiment capables d'aider les laïcs à prendre la place qui leur revient dans l'Église. Nous devons nous efforcer de cultiver une mentalité de partenariat, de collaboration, de communion.

Nous avons déjà fait de grands progrès en cette direction et cela a été un plaisir de voir beaucoup d'entre vous apporter une contribution importante, dans des collèges, dans la formation et l'encouragement des catéchistes, dans les paroisses, la formation des parents, d'animateurs de groupes de jeunes, etc. Je sais qu'il yen a parmi vous qui ont eu des difficultés et aussi des déceptions. Soyez courageux et persévérants. Il est bon de rappeler aussi que, dans certains pays, ce sont les laïcs qui ont gardé l'Église en vie pendant des siècles.

1.4. Solidarité – Créativité dans l'amour.
Marie proclame la venue du «Messie des pauvres».

Il y eut un temps ou le mot «solidarité» n'était pas employé dans certain ! : milieux catholiques parce qu'il avait tendance à être monopolisé par la gauche

politique. Mais maintenant, il a été remis en valeur à la fois par les Papes Paul VI et Jean Paul II.

Un des puissants appels à la solidarité est le Magnificat de Marie. On a sou vent cherché à affaiblir la signification de ce beau chant et à en faire quelque chose d'éthéré. On a souvent fait la même chose avec Marie elle-même. Il est donc bon de rappeler les paroles de «Redemptoris Mater» :

Marie proclame en réalité la venue du «Messie des pauvres». En puisant dans le cœur de Marie, dans la profondeur de sa foi exprimée par les paroles du Magnificat. L'Église prend toujours mieux conscience de ceci : on ne peut séparer la vérité sur Dieu qui sauve, sur Dieu qui est source de tout don, de la manifestation de son amour préférentiel pour les pauvres et les humbles, amour qui, chanté dans le Magnificat, se trouve ensuite exprimé dans les paroles et les actions de Jésus.

Dieu nous a créés par amour et continuellement nous attire à l'amour et à la bonté par les inspirations de l'Esprit Saint. Nous sommes appelés à nous aimer nous-mêmes d'un amour non pas égoïste mais honnête, qui reconnaît nos limites et nos échecs mais se réjouit dans l'amour de Dieu et dans son appel à être ses fils et ses filles. Tous, hommes et femmes, partagent ce même amour. Nous sommes appelés à être frères et sœurs dans le Christ. Notre amour doit s'étendre à tous, quels que soient la race, le credo ou le pays.

Frères, c'est là une pierre de touche. Nous appartenons l'un à l'autre et nous serons jugés selon la manière dont nous mettons l'amour en pratique. Nous serons jugés sur l'amour, par notre solidarité envers les autres.

Paul VI et Jean Paul II ont parlé, tous deux, de l'impact sur leur vie de la pauvreté et des injustices dont ils ont été témoins. Après ses visites, les allocutions du pape actuel sont habituellement publiées et nous pouvons voir alors avec quelle énergie il parle en défense des pauvres et prêche la solidarité. Cependant, c'est dommage que nous n'ayons pas l'occasion de lire certaines paroles adressées au Pape durant ses visites. Cela nous aiderait à entrevoir comment ces visites stimulent le Pape lui-même. A titre d'exemple, ces paroles de bienvenue d'un couple au Pérou : «Saint Père, nous avons faim. Nous sommes affligés, nous manquons de travail, nous sommes malades. Nos cœurs sont écrasés par la souffrance quand nous voyons enfanter nos femmes tuberculeuses, nos enfants mourir, nos fils et nos filles grandir faibles et sans avenir. Mais, malgré tout, nous croyons au Dieu de vie».

Permettez-moi maintenant de faire quelques brefs commentaires pratiques :

-Évidemment, la solidarité à l'intérieur de l'Institut est importante et nous la pratiquons déjà sous des formes très variées. Nous avons étudié cette question à la Conférence des Provinciaux, à Veranópolis et je pense que cela a été pour nous une session très utile. Toutefois, je crois maintenant que nous sommes prêts à aller beaucoup plus loin sur cette route de solidarité. Il faut que notre solidarité dépasse largement notre propre Province et notre propre Institut. Il y a des Provinces où il faut beaucoup plus de solidarité avec l'Eglise locale et avec d'autres Instituts religieux. 11 y en a d'autres où nous devons développer plus pleinement notre solidarité avec le laïcat, parfois avec les Mouvements dans l'Eglise qui ont peu de ressources. Et, bien sûr, il nous faut aller au-delà de notre communauté catholique, pour reconnaître notre fraternité avec tous, hommes et femmes.

-Ceux «qui possèdent» ont davantage besoin de solidarité que ceux «qui ne possèdent pas». La vraie solidarité peut être une puissante mesure de conversion pour ceux qui sont prêts à aider les autres. C'est évident puisque c'est l'Esprit qui nous mène à cet engagement envers la justice et la solidarité humaine, qui inclut les pauvres et les opprimés (Synode de 1987). Comme dans tout autre appel de ce genre, il y aura de la résistance et nous en ferons nous-mêmes l'expérience : notre répugnance à être dérangés ou à changer notre style de vie, par exemple.

Autour de l'an 400, saint Jean Chrysostome, évêque de Constantinople, l'exprimait bien :

«Veux-tu honorer le corps du Christ ? Ne l'honore pas ici à l'église par des étoffes de soie tandis que dehors tu le négliges quand il souffre du froid et de la nudité… Quel avantage peut avoir le Christ si la table du sacrifice est pleine de vases d'or tandis qu'il meurt de faim en la personne du pauvre ? Rassasie d'abord l'affamé, et ensuite seulement orne l'autel avec ce qui reste.»

-La solidarité implique que «la modération et la simplicité devraient devenir le critère de notre vie quotidienne» (Jean Paul II). Je pense que cet appel est fondamentalement important pour nous et que nous sommes appelés à le vivre très sérieusement. Si nous ne pouvons pas en donner l'exemple, alors qui le pourra ? Cela nous rappelle une fois encore la grande richesse de l'article 34 de nos Constitutions où nous entendons le même appel.

– Il est très encourageant de voir dans nos écoles beaucoup de créativité dans la formation des jeunes à la solidarité : programmes dans l'école et hors de l'école. Toute école mariste devrait donner la priorité à cette formation.

1.5. Simplicité et amour dans les relations.
«Des signes vivants de la tendresse du Père».

Cette attitude mariale d'ouverture à Dieu et à la puissance transformante de sa grâce doit être à la base de toutes nos relations, de toutes nos attitudes envers les gens que nous servons et à qui nous sommes envoyés comme messagers d'espérance et d'amour. Nous respectons le mystère de ce qu'ils sont et de ce qu'ils peuvent devenir par le pouvoir transformant de l'Esprit. C'est une attitude de profond respect qui se manifeste dans nos paroles et nos actions, dans notre manière de parler, dans notre amour.

Etre aimée libère une personne et lui permet d'être vraiment elle-même et c'est ce que nous voyons en Marie. L'Annonciation et le Magnificat sont des moments où nous la voyons tout à fait transparente. Parce qu'elle est aimée, elle est libre de se connaître et de s'accepter. (C'est là le vrai sens de l'humilité). Et donc, elle peut vivre sa vie en simplicité : dans le sens d'être fidèle à son vrai moi.

En Marie, nous trouvons la cohérence de l'être et de l'action, l'humilité, la simplicité et la modestie que nous nous efforçons d'atteindre dans notre propre vie et qui «marquent d'authenticité et de bienveillance nos relations» (C 5). Des frères n'ont pas besoin de feindre avec leurs frères et sœurs. Ils n'ont pas besoin de porter un masque. Nous nous efforçons donc d'avoir des relations simples, honnêtes et ouvertes, et nous reconnaissons que toute rencontre avec une autre personne est un appel à l'amour ; toute rencontre est un appel à la mission.

Si nous devons être des instruments de grâce dans la vie de ceux auxquels nous sommes envoyés, alors rien n'est plus important que ces relations d'amour. L'étude, les talents intellectuels, l'éloquence… ces choses sont très secondaires. Dans le monde d'aujourd'hui fait de foyers brisés et de relations fragmentées, nous avons le devoir de rendre vivant le mot FRERE par notre amour, par notre simplicité, par notre présence créative. Et de Marie «nous apprenons comment aimer les gens et nous devenons, à notre tour, des signes vivants de la tendresse du Père» (C 21).

1.6. Maturité spirituelle et Croix.
«Au pied de la croix de Jésus, se tenait Marie, sa mère».

Pour chacun de nous, la maturité spirituelle est une recherche et un voyage, un pèlerinage de foi. On a peut-être pensé naïvement arriver à cette maturité avant la fin du noviciat ! Mais nous savons qu'il n'y a pas de raccourcis. En mourant, Jésus a détruit notre mort et en ressuscitant, il nous a rendu la vie, et ce mystère pascal de mort et de résurrection, d'acceptation de la mort pour croître, pour donner la vie à d'autres, pénètre toute notre vie.

La croix est centrale dans la formation chrétienne. Jésus nous invite à unir notre vie à la sienne, à être les sarments de la vigne, à aller par lui au Père et à continuer sa mission. C'est là une invitation à la conversion, au sacrifice, à la croix. «Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, se charge de sa croix et qu'il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi la trouvera» (Math. 16. 24-25).

Il n'est pas possible d'arriver à la maturité humaine sans embrasser la croix. Ce n'est pas vrai seulement pour les Chrétiens mais «pour tous les hommes de bonne volonté dans les cœurs desquels la grâce est active invisiblement» (GS 22).

Marcellin l'a peut-être dit avec d'autres mots, mais il a souligné que «nous puisons notre dynamisme dans les mystères de la Crèche, de la Croix et de l'Autel» (C 7). Et là, à la croix, nous trouvons Marie, souffrant avec Jésus, et s'unissant à son offrande. L'Annonciation avait vu le grand FIAT de Marie et toute sa vie a dû être une litanie de «fiat». Maintenant, au Calvaire, nous voyons un autre grand FIAT, qui vient d'un cœur déchiré par la douleur.

En certaines circonstances, il nous faut passer par l'expérience de Gethsémani. Mais généralement, c'est dans notre vie ordinaire que nous trouvons l'arène de notre confrontation avec la croix : c'est l'effort constant pour purifier notre cœur, la lutte contre l'égoïsme, le manque de confiance, l'apitoiement sur soi-même en ignorant les besoins des autres, les préjugés, et ainsi de suite. Mais pour chacun, c'est le prix de la croissance et c'est souvent le prix de la mission. Et il est bon d'avoir présent à l'esprit que la plupart d'entre nous pourraient nommer des douzaines de laïcs dont le voyage de la vie est beaucoup plus difficile que le nôtre.

Tandis que nous approchons du Chapitre général et que nous nous efforçons d'écouter l'Esprit, il est inévitable que nous nous trouvions devant de nouveaux défis. Y répondre exige que nous surmontions nos peurs et nos hésitations et que nous nous laissions saisir par l'Esprit, que nous «coopérions à son action libératrice» (C 166), que nous ouvrions nos cœurs au changement, à la conversion, au sacrifice.

Pour certains la croix peut signifier un appel à une plus grande simplicité de vie, pour d'autres, à un plus grand effort d'écoute des jeunes ; elle peut signifier des sacrifices pour la solidarité, ou une résistance plus vigoureuse à l'injustice, ou un engagement plus sérieux de discernement dans nos vies. Mais, quelle que soit la forme que prenne l'invitation à nous unir à Jésus, à sa mission et à son mystère pascal, puissions-nous être courageux et l'accepter, sachant que Marie sera avec nous, comme elle était avec Jésus, au pied de la croix.

2. Mes remerciements aux membres du Conseil Général

Mon mot final de remerciement est pour les membres du Conseil général. Si vous parlez avec les membres du Conseil général de n'importe quel Institut à Rome, la plupart parleront des mêmes problèmes initiaux : être déraciné de sa Province et de son pays, devoir converser et discuter dans une langue étrangère, faire communauté avec des hommes ou des femmes qui, tout en étant membres de la même congrégation, sont relativement des étrangers et de différentes cultures, se trouver dans un rôle très différent de leadership et ainsi de suite. S'adapter à tous n'est pas facile.

Il est vrai que les différences de cultures et de traditions peuvent être enrichissantes, mais cela demande du temps, des efforts, un grand respect et tact pour en profiter. Comprendre et respecter les différences dans un groupe de dix nationalités différentes est un vrai défi. Mais, comme je l'ai dit aux Conseillers il y a quelques semaines au cours d'une session de prière/ réflexion sur notre vie communautaire, il me semble que, malgré nos différences, nos limites et nos faiblesses, nous avons atteint un bon niveau de respect fraternel, d'acceptation, de réconciliation qui a été une grande grâce. Chacun a apporté ses dons particuliers à la tâche de construire notre communauté : sensibilité, savoir, petits services, ouverture, responsabilité.

Une grande partie du temps des Conseillers a été consacré à la visite des Provinces et communautés. Sauf une poignée de lettres critiques, elles ont été grandement appréciées. Soit dans les visites, soit dans le travail parfois ennuyeux à Rome, ils se sont donnés avec grande générosité, avec leurs divers talents et capacités. Je leur suis profondément reconnaissant de leur loyauté, de toute l'aide qu'ils m'ont donnée ainsi que de leur merveilleux dévouement à l'Institut et de leur amour pour lui. En entrant à la chapelle le matin, je les ai souvent rassemblés mentalement dans mes bras pour offrir à Dieu leur bonté et leur générosité avec des remerciements pour tout ce que cela signifie pour l'Institut.

Je remercie très spécialement Frère Benito pour son total oubli de soi dans son travail de Vicaire général. Il a été un don très précieux pour moi, pour notre communauté et pour l'institut.

3. Un mot pour finir

Une fois, je visitais un Frère le soir avant qu'il subisse une très sérieuse opération du cancer. Il ne savait pas s'il survivrait à l'opération. «Vous savez, disait-il, je n'ai pas trop de regrets de ce que j'ai fait durant ma vie. Mes regrets sont plutôt pour ce que je n'ai pas fait». Je pense que c'est probablement vrai pour la plupart d'entre nous : nous avons des regrets pour les choses que nous aurions pu faire, les paroles non dites, l'amour non exprimé, l'aide non offerte, les sourires non donnés. Et c'est vrai en ce qui me concerne. Aussi, permettez-moi de terminer par une histoire que certains peut-être connaissent déjà. La fin de la conversation dans l'histoire aide à exprimer ces sentiments de joie et de regrets que nous partageons tous, probablement. Puisse-t-elle être un lien entre nous et un encouragement pour nous tous.

Vers la fin du film «Monsieur Vincent», le saint, un vieillard, converse avec Anne d'Autriche, Reine de France. Tous deux sont assis confortablement devant un beau feu de cheminée.

La reine, avec une intuition toute féminine, semble lire sur le visage de monsieur Vincent une certaine tristesse. Elle essaie d'en deviner la cause en lui posant des questions relatives aux activités de sa vie.

«N'avez-vous pas assez travaillé avec les miséreux ? – Avec les filles perdues? – Avec les enfants abandonnés? – Avec les galériens?» A chacune de ces questions, le saint répond par un «Oui, majesté» à la fois ferme et modeste.

«Vos filles de la Charité ne rayonnent-elles pas partout la charité du Christ ?». «Les prêtres de la mission (Lazaristes) n'évangélisent-ils pas le Royaume de France et bien d'autres pays?» Et monsieur Vincent répond encore par l'affirmative.

La reine, à bout de questions, demande alors au saint : «Auriez-vous quelque regret?»

«Non, majesté, je ne regrette rien, et je remercie Dieu de m'avoir permis de travailler à son service pendant une longue vie, mais j'aurais voulu faire davantage!»

Fraternellement vôtre, avec tous mes remerciements,

                             Frère Charles Howard, Supérieur général.

 

 Prière

Marie, nous venons à vous comme à notre Mère pour vous dire combien nous sommes reconnaissants à Dieu de nous avoir appelés à être Petits Frères de Marie et de vous avoir, pour Modèle, vous, la première et parfaite disciple de Jésus-Christ.

Marie, nous voulons faire de votre Magnificat notre propre prière. C'est pourquoi nous vous demandons de nous aider à arriver à mieux comprendre l'amour de Dieu dans nos vies et à reconnaître que tout est don, que tout vient de l'amour. Apprenez-nous aussi à incarner cet amour, comme Jésus, en étant les Frères de tous, spécialement des jeunes et des délaissés.

Vous êtes notre Ressource Ordinaire et nous vous demandons de prier pour nous et avec nous afin que nous puissions continuer à croître.

Nous serons ainsi :

-des hommes rayonnants d'espérance, convaincus de la présence active de l'Esprit, appelant hommes et femmes à collaborer à la création d'un monde nouveau et meilleur ;

-des hommes au cœur qui écoute et discerne, cherchant constamment la volonté du Père ;

-des hommes d'audace qui n'ont pas perdu la passion de leur vie consacrée et prêts à annoncer Jésus et son Évangile, le cœur embrasé d'amour.

Aidez-nous à être frères de tous ceux que nous rencontrons sur le chemin de la vie, à être présents aux personnes, comme vous, d'un cœur attentif et compatissant.

Acceptez notre amour, chère Mère, et exaucez notre prière. A votre exemple et par votre intercession, que le Christ soit le centre de notre vie.

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