Circulaires 407

La spiritualité de Marcellin et une identité contemporaine pour ses Petits Frères de Marie Seán Sammon

2003-06-06

Une Révolution du cœur

Enfants d’une nouvelle saison
Introduction
Première partie
L’importance des contextes
Deuxième partie
Un mot sur l’identité
Troisième partie
La spiritualité de Marcellin et une identité
contemporaine pour ses Petits Frères de Marie
Références
Remerciements

407

Une Révolution du cœur

 La spiritualité de Marcellin et une identité contemporaine pour ses Petits Frères de Marie. 

Frère Seán D. Sammon, FMS

Supérieur général

 

Institut des Frères Maristes

Volume XXXI, n° 1

6 juin 2003

407

 

Titre original en anglais :

A Révolution of the Heart.

Marcellin's spirituality

and a contemporary identity

for his Little Brothers of Mary.

 

Traduction :

Joseph Bélanger fms, Louis Richard fms et Gilles Beauregard fms.

 

Éditeur :

Institut des Frères Maristes

Maison générale

Roma, ITALIA

 

Production et Administration :

Frères Maristes

Piazzale Marcellino Champagnat, 2

00144 Roma, ITALIA

Tél. (39)06 545171

Téléc. (39) 06 54517217

[email protected]

www.champagnat.org

 

Mise en page et photolithographie :

TIPOCROM S.R.L.

Via G.G. Arrivabene, 24 00159

Roma, ITALIA

 

Impression :

C.S.C. GRAFICA, S.R.L.

Via G.G. Arrivabene, 24

00159 Roma, ITALIA

 

Photographie :

Lluís Serra fms

 

Couverture : Transmettre la lumière. Rencontre du Conseil Général élargi à Cochabamba, le 31 mai 2003.

 

TABLE

DES MATIÈRES

Enfants d'une nouvelle saison…………………………………….. 5

 

Introduction………………………………………………………………. 7

Première partie

L'importance des contextes……………………………………… 17

 

Deuxième partie

Un mot sur l'identité…………………………………………………. 33

 

Troisième partie

La spiritualité de Marcellin et une identité  contemporaine

               pour ses Petits Frères de Marie ………………….. 45

 

Références…………………………………………………………….. 82

 

Remerciements………………………………………………………. 83


 ———————————

 

ENFANTS D'UNE NOUVELLE SAISON

III

 

 

Après le loisir de l'été,

des cieux gris et des temps de tempêtes

restreignent et définissent notre voyage.

Nous marchons plus profondément que le silence

et d'un pas plus haut que le vide.

Les feuilles sont emportées,

un soleil pâle dore les roseaux :

C'est l'automne à demi passé, la fin du temps!

Où est la roue en flammes,

La navette spatiale promise depuis longtemps,

espérée en attendant patiemment ?

S'il y a un message

il gît dans cette vieille terre,

à ces carrefours

où le portail s'ouvre et se ferme :

Le choix entre l'autonomie instantanée –

arrachant les racines d'un sol commun –

et le vide noir, inconnu

où l'on entend le mystère de la vie

qui bouge, fait écho à travers les traces communes

et l'argile commune.

Par où aller ?

Plus loin, où le chemin s'efface,

où les pensées de voyage ou de recherche

ne correspondent plus ni au plan ni au sens.

Plus loin dans les nuages ?

Hâtez le pas maintenant,

l'air manque et il fait froid

et la force qui nous entraîne

ne nous lâchera pas.

                                                                  Catherine de Vinck[1]


 

 

INTRODUCTION

 

Le 6 juin 2003

Fête de Saint Marcellin Champagnat

 

 Chers Frères,

Cette circulaire est une de celles que j'ai l'intention de vous envoyer au cours des prochaines années. Intitulée : Une Révolution du cœur, elle traite de la place centrale que la spiritualité de Marcellin doit tenir dans toute identité contemporaine pour ses Petits Frères de Marie.

Pourquoi choisir ce sujet comme thème de cette circulaire ? Pour deux raisons. D'abord, la tâche urgente de former une identité claire et déterminante pour notre Institut s'impose à nous depuis la fin de Vatican II et elle doit être accomplie.

Deuxièmement, au début de ce nouveau millénaire, non seulement nous semblons désireux de relever le défi de ré-imaginer l'identité de notre Institut, mais nous sommes aussi bien outillés pour parachever ce travail. Il nous faut l'achever, parce que toute congrégation religieuse, digne de ce nom, a l'obligation d'offrir à ses membres une certaine façon de suivre le Seigneur, une approche unique au dépassement de soi.

Voilà pourquoi les récits sur Marcellin et ses premiers frères sont si importants. Ils nous encouragent tous les jours, vous et moi, à vivre autant que possible la pauvreté, l'obéissance et la chasteté, et ils nous aident à comprendre et à rendre grâce pour le fait que notre façon de vivre en Petits Frères de Marie mène non pas à un amoindrissement mais à une plus grande liberté. Quelle meilleure raison pour tenir ferme à nos traditions et pour faire connaître Marcellin et les autres saints parmi nous ? 

Mission : Au cœur de l'identité de notre église 

Mais encore, il y a une autre raison pour choisir l'identité comme thème de cette circulaire ; cela concerne d'une part notre Eglise et sa mission, et d'autre part notre rôle de religieux exerçant un ministère en dehors du service sacramentel. Nous assumons un rôle prophétique quand, en professant les conseils évangéliques, nous promettons de vivre notre engagement baptismal de façon radicale. Per-mettez-moi de m'en expliquer.

La Mission n'est pas seulement une des nombreuses activités de notre Église ; elle constitue son être même. Une partie de notre travail consiste à préserver cette identité d'être "à l'avant et au centre" dans la pensée de l'Église. Nous faisons cela en rappelant aux membres du Peuple de Dieu les interventions salvatrices de Dieu dans le passé, le besoin que nous avons tous de changer notre cœur profondément aujourd'hui, et la responsabilité de chacun pour construire la communauté humaine, maintenant et dans les jours à venir, en accord avec les promesses divines.

On a utilisé de temps en temps l'image, prise dans un tableau d'Eugène Burnand[2] de Pierre et Jean s'empressant d'aller au tombeau de Jésus le jour de Pâques, pour représenter cette relation entre nous, personnes consacrées, et l'Église en général. Nous connaissons bien l'histoire : Jean court devant Pierre et arrive à l'entrée du tombeau avant son compagnon.

Que la course rapide de Jean soit le résultat de son impatience face aux pas lents de Pierre, ou de son empressement à confirmer le rapport des femmes selon lequel Jésus était vraiment ressuscité, Jean, lorsqu'il arrive au tombeau, attend respectueusement son aîné avant d'y pénétrer. La vie religieuse joue un rôle semblable dans notre Église. Elle doit être à l'avant-garde de l'Église, mais elle doit aussi attendre, au besoin, que ce corps plus lourd la rejoigne.

En faisant nos vœux nous nous engageons ainsi à témoigner de la mission de Jésus de façon révolutionnaire. En paroles et en actes, comme si nous étions sa conscience bien formée, nous rappelons sans cesse à notre Église la nature de son identité. Idéalement, nous assumons la responsabilité d'aider l'Église à se rappeler ce qu'elle peut être, ce qu'elle désire ardemment être, et ce qu'elle doit être.

Mais, mes frères, soyons honnêtes : on ne peut pas donner ce qu'on ne possède pas. Nous ne pouvons rien recommander aux autres sans d'abord faire nôtres ces mêmes bonnes recommandations. Notre Église s'est efforcée depuis un demi-siècle de se dégager de l'apparat, qui a gêné son aptitude à proclamer la parole de Dieu d'une manière qui parle aux hommes et aux femmes d'aujourd'hui. Nous ne pouvons pas être moins courageux quand arrive le temps d'affronter les problèmes cruciaux qui assaillent les Petits Frères de Marie, à ce moment de leur histoire.

Mais qu'arrivera-t-il si nous échouons dans nos tentatives pour trouver des réponses franches et cohérentes à ces questions : "qui sommes-nous ?" et "que chérissons-nous, qu'avons-nous de plus cher ?", et si nous ratons alors l'occasion de développer une identité nouvelle et attirante pour notre Institut ? Nous courons le danger d'avancer sans but plutôt qu'avec détermination et passion. Par contre, une identité bien comprise, bien exprimée et bien acceptée, nous unirait en tant que groupe, galvaniserait nos énergies, et nous inviterait à renouveler notre engagement.  

Le défi est-il le même pour tous ? 

Le défi de traiter des problèmes de l'identité et de la spiritualité de Marcellin est-il aussi pressant partout dans notre Institut ? Pas vraiment. Nous avons aujourd'hui des provinces et des districts où des membres se sentent responsables de ce travail de renouvellement. Les démarches de restructuration y ont aussi contribué. Un aspect important, mais souvent négligé, de cet effort de tout l'Institut pour atteindre une plus grande vitalité et viabilité, a été sa spiritualité. Au cœur de ce travail de restructuration, souvent exigeant, on retrouve l'objet central de notre foi, le Mystère pascal. Un long et douloureux processus de mort au passé doit souvent se produire, avant que l'on puisse voir, avec les yeux de la foi, les premiers rayons éblouissants d'un matin de Pâques.

Mais des frères dans d'autres provinces et districts sont moins enthousiastes pour répondre aux appels du renouvellement. Ils ont peur du changement, le prenant souvent pour une perte et un bouleversement. Et, de fait, ces deux derniers en sont des conséquences normales. Mais il n'y a pas de transformation possible sans changement.

Enfin, je ne serais pas honnête si je ne partageais pas cette préoccupation que, dans quelques-unes de nos unités administratives, la nécessité de s'occuper des questions d'identité et de la spiritualité de Marcellin est urgente. Le refus de voir la réalité s'installe si facilement dans un groupe qui a peur de changer. Les résultats à long terme d'une culture de dénégation peuvent toutefois être fatals.

J'ai un grand optimisme pour la vie religieuse et son avenir et, en particulier, pour notre Institut, sa vie et sa mission. En même temps, je crois que les " fenêtres d'opportunité " que Dieu a ouvertes, en ces années récentes, à notre Institut et à plusieurs de ses provinces et districts, ne resteront pas ouvertes indéfiniment. De fait, sans action décisive et audacieuse de la part de tous ceux qui sont concernés, certaines de ces fenêtres sont déjà sur le point de se fermer. 

Le but de cette circulaire 

Notre identité en tant que groupe et la place centrale que la spiritualité de Marcellin doit tenir dans cette identité ont été directement ou indirectement des thèmes importants du 20ième Chapitre général. Ces sujets sont réapparus lors des sessions de travail du Conseil général, durant plusieurs retraites, et lors des ; visites de l'Administration générale aux provinces et districts. Ceci ne devrait pas nous étonner. En effet, la question de notre identité et la place de la spiritualité de Marcellin dans notre identité forment des éléments essentiels de notre vie de Petits Frères de Marie.

Le défi décrit dans cette circulaire dépasse de beaucoup celui que nous avons relevé il y a quelques années, lorsque nous avons entrepris le travail de renouveau grâce à des programmes pastoraux et autres. En nous mettant en route maintenant, nous nous éloignons des soucis d'organisation, si importants soient-ils, pour entreprendre des tâches qui sont fondamentales.

Si nous pouvons répondre à cette question qui va au cœur de notre identité : " sur qui ou sur quoi, vous et moi, reposons notre cœur ? tant d'autres choses liées au processus de renouvellement se mettront naturellement en place : une image de Marie adaptée au 21ième siècle, la volonté d'embrasser l'option préférentielle pour les pauvres vers qui nous sommes appelés, une vision claire de la nature et de la forme de notre apostolat et de notre vie communautaire, une identification facile des Jean-Baptiste Montagne de notre temps, et tant d'autres choses. 

Trois points à ne pas oublier 

Frères, au moment d'entreprendre cette aventure de ré-imaginer notre identité, n'oublions pas les trois points suivants. Premièrement, pour atteindre notre but, nos cœurs doivent être ouverts au changement, tout en chérissant le meilleur du passé. Le renouvellement authentique ne se débarrasse pas de ce qui a précédé, mais, plutôt, libère ce passé des reliquats de l'histoire.

Deuxièmement, n'oubliez pas que changement et transformation diffèrent de plusieurs façons. Le changement arrive à un certain moment dans le temps, la transformation, elle, s'étend dans le temps, nous donnant l'occasion de nous ajuster psychologiquement et spirituellement aux nouvelles circonstances. Par exemple, si j'ajoute un programme d'exercice physique à mon horaire quotidien, j'effectue un changement dans ma vie. Cependant, les effets transformants de ce programme ne sont pas rapidement visibles, alors que ma perte de poids et l'amélioration générale de ma santé sont pourtant évidentes pour moi et les autres.

Troisièmement, rappelons-nous que ce pèlerinage l'écoute, de renouvellement dans lequel notre Institut s'est en-acte simple gagé se fait par au moins trois générations différentes omis combien de frères. Chacune d'elles a une expérience unique de difficile, l'Église et du monde. Ne pas le reconnaître mènera à imprégner des malentendus regrettables et à une lecture erronée noue nouvelle des signes des temps, manière de vivre.

 Plus loin dans cette circulaire nous discuterons plus amplement des différences de générations qui existent aujourd'hui dans notre Institut. Pour le moment, toutefois, rappelons-nous que certains de nos frères ont eu une expérience directe de la vie religieuse préconciliaire, d'autres sont devenus adultes au moment de cette assemblée historique, et enfin les derniers le sont devenus seulement après. 

Une leçon de l'histoire 

L'histoire est éducatrice mais faut-il encore l'étudier attentivement. Dans l'histoire de la vie consacrée, après des périodes de changements et de transformations, on retrouve toujours présents ces trois éléments : prière, » communauté, apostolat. Ils peuvent être présents ' sous une forme nouvelle, mais d'une façon ou d'une autre, nous devons nous attendre à ce que toute forme de vie dite " religieuse " les comporte.

En puisant dans l'héritage de nos traditions, nous serons mieux équipés pour le travail stimulant de repenser notre vie communautaire, notre façon de prier Dieu, notre apostolat, spécialement si nous avons développé l'habitude de la prière, la capacité d'écouter, la volonté d'agir avec courage et détermination.

Mais surtout l'écoute, acte simple mais combien difficile, doit imprégner notre nouvelle manière de vivre. Oui, écouter doit être une des pierres de touche de notre travail commun. Pour développer cette capacité nous ferons bien de ne pas nous entourer seulement de ceux qui pensent comme nous, ou de lire seulement ces auteurs qui partagent nos opinions et notre vue du monde.

Oui, il serait plus commode de ne pas avoir à choisir parmi plusieurs points de vue. Cependant, si nous voulons renouveler la connaissance que nous avons de notre Institut et de sa mission, nous ne pouvons pas faire seulement ce qui est facile. Nous devons encore faire ce qui est juste. 

Un point de clarification 

Pour garder un style simple et clair, j'ai adressé cette lettre à mes frères de l'Institut. Je me rends bien compte, cependant, que beaucoup de nos partenaires laïques s'intéresseront aussi à son message, et je n'ai aucunement l'intention de les exclure. Frères, je vous prie de bien vouloir partager cette lettre avec les partenaires laïques de votre district, province, ou région, et de les accueillir dans vos groupes de discussion sur ces sujets. Quand vous arriverez aux questionnaires à la fin de chaque partie, vous constaterez qu'ils s'adressent à diverses personnes et qu'ils prêtent à différents arrangements. 

Un dernier mot à propos de cette circulaire 

Le texte est divisé en trois parties. A la fin de chacune se trouve une série de questions pour la réflexion. La circulaire veut nous aider à partager nos expériences et nos impressions, à réfléchir ensemble sur le sujet en discussion. Tous sont invités : vous, moi, nos frères en communauté et dans le ministère, nos partenaires laïques. Commençons notre travail en racontant une histoire qui nous aidera à établir le contexte dans lequel nous parlerons de la spiritualité de Marcellin et de notre identité de Petits Frères de Marie.

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PREMIÈRE PARTIE :

 

L'importance des contextes 

Voulant récompenser leur bonne conduite, une maîtresse de jardin d'enfants donna aux élèves de sa classe une heure pour dessiner ce qu'ils voulaient. Les élèves en furent ravis et prirent en main crayons et papier, et se mirent rapidement au travail.

Avec le temps, la maîtresse devint de plus en plus curieuse de juger les efforts de ses élèves. Elle commença donc à circuler dans la salle, jetant un coup d'œil ici et là aux divers chefs-d'œuvre en cours.

Toutefois, en regardant le travail d'une élève nommée Louise, la maîtresse devint perplexe. Quoique l'élève eût travaillé diligemment pendant toute la leçon, la maîtresse ne parvint pas à imaginer ce que l'élève dessinait. Alors, elle demanda à Louise ce que son dessin représentait. La fillette répondit : "Je dessine Dieu." Surprise, la maîtresse dit : "Euh! C'est un projet ambitieux. Tu te rends compte que personne ne connaît le visage de Dieu." Sans lever les yeux de son travail, Louise répliqua : "Eh bien, ils le connaîtront dans une minute! "

Voilà, bien sûr, la voix de la confiance et de la certitude. Si seulement nous avions aujourd'hui cette même assurance lorsque nous parlons de notre identité de Petits Frères de Marie et de notre spiritualité, comme héritiers du patrimoine de Marcellin Champagnat !

Avec le recul, vous et moi sommes capables de mieux apprécier que la véritable crise, à laquelle notre Institut doit faire face depuis Vatican II, n'est pas le manque apparent de vocations dans certaines parties du monde. Non, la crise fondamentale, pour tant de groupes durant ces quatre dernières décennies, a été une crise d'identité et de spiritualité.

C'est évident. Si les Pères du Concile se sont attaqués au défi urgent et nécessaire de définir la place légitime des laïcs, hommes et femmes dans l'Église, ils ont eu moins de succès dans leurs efforts pour redéfinir la nature et le but de la vie religieuse.

Le temps passant, ils sont de moins en moins nombreux ceux qui d'entre nous ont une mémoire vivante de cette assemblée historique, et du vent d'espoir qui souffla sur notre Eglise. Ceux d'entre nous qui s'en souviennent conviendront cependant que notre identité de Petits Frères de Marie semblait plus claire lorsque le Concile s'est ouvert, qu'elle ne le semble aujourd'hui.

Par exemple, il y a quarante ans, dans plusieurs pays où nous œuvrions, il y avait davantage de jeunes qui pouvaient tout de même reconnaître ceux d'entre nous qui étaient frères. Tout en ne connaissant pas les détails quotidiens de notre vie religieuse, ces jeunes nous voyaient néanmoins comme des hommes mis à part, et le plus souvent, ils jugeaient notre vie comme simple et pauvre, une vie de sacrifice évident. Ayant promis de vivre les conseils évangéliques d'une certaine manière, on pouvait dire qu'aux yeux de plusieurs, nous avions sacrifié ce à quoi la plupart des gens aspiraient : une épouse, de l'argent, et une certaine autonomie pour prendre des décisions.

Mais les temps ont changé. Des signes extérieurs (comme une manière commune de s'habiller, la récitation quotidienne du rosaire en classe avec nos élèves, ou même un apostolat commun à la province ou au district), qui dans le passé rendaient notre identité et notre mode de vie compréhensible et cohérent, n'existent plus dans beaucoup d'endroits. Malheureusement nous continuons à attendre l'apparition de nouveaux signes pour remplacer ceux qui ont disparu. Quel en est le résultat ? Dans quelques régions de notre Institut, le sens et la valeur de notre vie de frères sont devenus obscurs pour certains, et franchement déroutants pour d'autres.

En plus de l'incertitude relative à notre identité, il faut ajouter le fait que, depuis au moins quarante ans, nous avons travaillé fort pour convaincre les autres membres de l'Eglise, que la vie de frère n'était pas une manière supérieure de vivre l'Evangile. En même temps, nous n'avons pas réussi à faire ressortir ce qui rendait notre vie différente et unique.

Finalement, dans certaines parties du monde actuel, on a vu une augmentation de la consommation au détriment d'un mode de vie plus simple, presque austère, comme c'était le cas dans le passé. On a aussi vu une augmentation de l'individualisme, des agressions sexuelles d'enfants, même par certains de nos frères. Tout cela a suscité bien des interrogations dans l'esprit de plusieurs, les amenant à se questionner sur la santé et l'avenir de la vie consacrée en général, et sur notre vie de frère en particulier.

Depuis Vatican II, nous, les religieux, avons peiné pour reprendre pied. Depuis près de quarante ans maintenant, nous avons cherché une identité nouvelle et attirante pour remplacer celle que nous avons perdue lors du Concile.

Malheureusement, nous sommes loin d'avoir atteint notre but. Aujourd'hui, dans certaines parties du monde, l'inquiétude vis-à-vis de l'état religieux est telle, que Timothy Radcliffe, OP, ancien Maître général des frères prêcheurs, a comparé certains d'entre nous à des maréchaux-ferrants, vivant dans un monde de voitures, errant à la recherche de quelque chose d'utile à faire.

 

Y a-t-il lieu d'être découragés ?

 

Maintenant, cette situation doit-elle nous décourager ? Pas vraiment. L'historien de l'Église, John Padberg, SJ[3], indique que pendant les 450 dernières années, la vie religieuse dans le monde occidental est passée par trois périodes de bouleversements majeurs. La première a commencé avec la Réforme protestante. La deuxième est apparue avec la Révolution française. Et la plus récente a débuté avec les années postconciliaires.

Nous pouvons aussi trouver réconfort dans le fait que, malgré les schémas développés récemment pour illustrer l'évolution de la vie religieuse à partir du temps de Marie l'Egyptienne et d'Antoine au désert jusqu'à nos jours, l'histoire de la vie consacrée n'a jamais été quelque chose de systématique et de bien rangé. Bien que nous l'aurions aimé différente, l'évolution de la vie religieuse apparaît capricieuse, désordonnée et perturbatrice.

 

Avons-nous un avenir ?

 

Avant de poursuivre, arrêtons-nous un bref instant pour nous poser des questions troublantes. D'abord, est-ce que vous et moi croyons qu'une revitalisation de notre mode de vie est possible ? En vue ou en dépit de tous les changements des quarante dernières années, et des pertes qui les ont souvent accompagnés, est-ce que vous et moi, honnêtement, nous croyons que les Petits Frères de Marie ont un futur vital et viable ? Qu'est-ce qui rend notre réponse à cette question si importante ? L'énergie que nous sommes prêts à dépenser, et les risques que nous sommes prêts à encourir au cours des prochaines années dépendent en grande partie de notre réponse.

D'autres questions tout aussi troublantes : Sommes-nous attachés au rêve et au charisme de Marcellin Champagnat ? Comptons-nous canaliser une bonne partie de notre temps et de nos énergies pour réaliser ce rêve et répondre aux besoins de notre temps ? Si, en paroles et en actes, notre réponse et celle de la majorité de nos frères est "Non," il n'y a plus rien à espérer de l'avenir de notre Institut, qui probablement ne durera pas au-delà de la génération actuelle.

Dans son livre, Alice au pays des merveilles, l'auteur Lewis Carroll raconte l'histoire de la rencontre d'Alice avec un chat de Cheshire. Arrivant à un carrefour sur sa route, Alice demande au chat: "Quel chemin dois-je prendre ?" Il lui répond par une autre question : "Où voulez-vous aller ?" "Je ne sais pas," répond Alice. "Alors," réplique le chat, "le chemin que vous prendrez n'a aucune importance."

Le chemin que nous prendrons est aussi sans importance si nous négligeons de donner à notre Institut une identité spécifique et attirante, si nous ne nous consacrons pas sans réserves à la tâche de revitaliser notre mode de vie dans les années à venir.

Mais si nous le faisons, nous pouvons prendre courage car, dans les communautés qui ont eu une ou plusieurs renaissances au cours de leur histoire, la présence d'une vision inspirante pour guider leur groupe, de voix prophétiques parmi leurs membres, et d'un espoir évident chez leurs chefs, a donné aux participants le courage qu'il leur fallait pour relever généreusement ces trois défis :

 

•Entreprendre une profonde conversion du cœur ; renouveler leur vie de foi, ce qui les mène à une plus grande familiarité avec Jésus-Christ.

•Redécouvrir le charisme Fondateur de leur Institut, une fois dégagé des poids de l'histoire.

•Trouver une réponse transformatrice aux signes de leur temps.

 

Je ne peux pas m'empêcher de croire que, en nous attelant à ces trois tâches, nous découvrirons que la spiritualité de Marcellin Champagnat réside au cœur de toute identité renouvelée et décisive pour ses Petits Frères. Bien sûr, le chemin de Marcellin pour aller vers Dieu devrait aujourd'hui prendre une allure du 21ième siècle et non une du 19ième. Cependant, dans le cœur de Marcellin, on trouverait les mêmes attitudes et orientations que celles qui l'ont jadis guidé dans son cheminement spirituel.

Un mot de prudence avant de poursuivre. Se replier sur des modèles qui ont engendré un enthousiasme à une époque passée peut sembler attrayant durant une période d'incertitude. Mais adopter cette attitude ne conduira qu'à une perte de vitalité, et ultérieurement à l'abandon d'un avenir possible.

Nous vivons à une période où notre mode de vie est en train de se modeler une nouvelle image. Quand ce processus sera terminé, ce que nous savions auparavant n'aura plus d'importance. Par contre, ce que nous désirons ardemment pour revitaliser notre Institut et sa mission n'est pas encore bien en vue.

Des choix importants, quant à notre identité et à notre raison d'être se présentent à nous. Ces choix, une fois faits, mettront clairement en évidence les sacrifices requis pour faire partie d'un Institut renouvelé ayant une mission essentielle, et ils nous permettront d'investir nos énergies pour bien vivre notre identité et notre raison d'être.

 

Ce qui complique notre tâche

 

Cela dit, il faut admettre que notre travail de renouvellement est compliqué par certaines caractéristiques de l'époque contemporaine, et par la présence de générations différentes dans notre Institut. Ce moment de notre histoire, appelé par plusieurs la postmodernité, se distingue par un fort désir d'avoir de Dieu une image nouvelle et crédible. S'adressant à la session d'ouverture de notre 20ièmeChapitre général, Benito a appelé cette situation troublante : une crise de la foi[4].

Beaucoup d'entre nous se rendent compte que nous ne pouvons plus nous attendre à ce que les milieux où nous vivons soutiennent notre foi. Le temps est bien passé où nous pouvions compter vivre dans une culture chrétienne, ou être entourés de croyants. C'est triste à dire, mais même dans certaines de nos communautés maristes, ceux parmi nous qui veulent avoir une vie de foi fervente ne peuvent pas toujours compter sur certains membres de leur groupe pour les soutenir.

Ainsi, à l'aurore d'un nouveau millénaire, plusieurs d'entre nous aspirons, du plus profond de notre être, à un Dieu qui habitera au cœur de notre vie. Un Dieu avec qui nous pourrons entrer en relation plus facilement, qui apportera un sens profond à notre vie, et une réponse à nos plus grandes inquiétudes. Voilà le Dieu auquel nous aspirons pour renouveler notre spiritualité et bâtir notre vie de prière personnelle et communautaire.

Moins évident, mais non moins inquiétant, un nombre extraordinaire de changements ont été imposés aux populations de nombreux pays en voie de développement durant ces dernières années. Contrôlant peu ou pas du tout leur condition, ils ont dû affronter, en une ou deux générations, des changements que certains d'entre nous des pays développés ont affronté en cinq ou six générations. Des points de vue humanitaire et spirituel, le résultat s'est avéré tragique : de nombreuses cultures indigènes se sont désintégrées, et même certaines ont disparu.

Enfin, au moins trois générations différentes de frères sont présentes dans notre Institut aujourd'hui, et une certaine connaissance de chacune d'elles est importante pour mieux comprendre le thème de cette circulaire.

Les frères qui composent la plus âgée de ces trois générations se rappellent ce à quoi ressemblait notre mode de vie avant les changements sismiques qui l'ont bouleversé durant Vatican II et les années qui ont suivi. Ils se rappellent, par exemple, que c'était Pie XII qui, le premier, lança un appel pour le renouveau de la vie religieuse et qui, vers la fin des années cinquante, a appelé à une modification de coutumes périmées et secondaires dans la vie religieuse. Ces frères se souviennent encore de la messe en latin, ils peuvent reconnaître une barrette quand ils en voient une, et ils ont vécu une forme très stricte de vie religieuse pendant de nombreuses années.

Un second groupe de nos frères est devenu adulte quand le Pape Jean XXIII a ouvert les fenêtres de l'aggiornamento. Non seulement ce pape a-t-il voulu qu'un peu d'air frais circule dans l'Eglise, mais il a aussi convoqué le premier concile œcuménique depuis près de cent ans. Beaucoup de frères de cette génération se sont vite immergés dans ce que nous appelons aujourd'hui la modernité ; ils se sont efforcés d'abandonner certains privilèges, symboles et modes de vie qui nous séparaient du Peuple de Dieu. L'habit religieux est donc devenu moins commun. Des manières de vivre en communauté, établies depuis longtemps, ont commencé à changer. Tant de choses, familières depuis si longtemps, se sont mises à disparaître.

Ce groupe nous a obligés à affronter les questions que tous se posent sur le sens de la vie ; il a conduit notre Institut à travers une période d'abandon, de questionnement sur le sens et le but de notre mode de vie. Elus pour être témoins de la fin d'une période de l'histoire de l'Église, ces frères ont été bénis en devenant les accoucheurs d'une nouvelle époque.

Cependant, les questions de renouveau en l'an 2003 ne sont plus celles des années 1967-1968. Aujourd'hui une nouvelle génération regarde la vie religieuse et notre Institut, et franchement, ces jeunes proviennent de milieux bien différents de ceux de nos frères de plus de cinquante ans. Bien qu'il y ait des exceptions, la plupart des jeunes qui nous arrivent sont dépourvus d'une forte identité catholique. Par exemple, les symboles qui nous ont nourris et accompagnés dans notre foi – le poisson du vendredi, le jeûne de minuit avant de recevoir la Sainte Communion, la dévotion du premier vendredi de chaque mois, pour n'en nommer que quelques-uns – ne font pas partie de leur expérience.

Parmi les candidats à notre mode de vie aujourd'hui, il y a les rejetons de cette période qu'on vient d'appeler, il y a un moment, la modernité. Ils ont porté ses questions depuis leur enfance et, bien sûr, ils veulent maintenant des réponses, et ils cherchent des signes clairs qui manifesteront leur appartenance à une congrégation religieuse. Ils veulent appartenir à un groupe, mais en même temps ils se demandent ce qui les aidera à vivre, des années durant, ce mode de vie très exigeant, et cela, en demeurant une personne de leur temps et de leur âge.

Ainsi, quand vous parlez avec nos jeunes frères, vous découvrez vite que Vatican II ne fait pas partie de leur histoire. Les années 1980-1990 forment leur point de référence, et non pas les années soixante. Donc, quand les membres de cette génération se mettent à découvrir des aspects de ce qu'on appelle la pré-modernité, avec son insistance sur la tradition, ils ne se sentent pas intéressés par la restauration de ce passé. Pourquoi? Parce qu'ils n'ont pas une mémoire vivante du monde et de l'Église préconciliaires.

Tenant compte d'une expérience si diverse, les responsables actuels de l'Institut ne peuvent pas oublier le besoin que nous avons d'avoir une vision globale et intégrante de tous nos membres. Comment pourrons-nous tenir autrement le cap dans les eaux agitées de la postmodernité ?

 

Dieu présent au centre

 

Le second point central de cette circulaire, celui que j'appelle la spiritualité de Marcellin, est aussi important que le premier. Comme je l'ai dit ci-dessus, je crois que le renouvellement de l'identité de notre Institut et de sa mission passe par la découverte du chemin que Marcellin a pris pour aller à Dieu.

Ce thème a d'autant plus d'importance que le Chapitre a demandé à l'Administration générale d'élaborer un document sur notre spiritualité, sur le modèle de Mission éducative mariste[5]. Avec cette ressource en main, nous tous qui partageons le charisme et le rêve de notre Fondateur, frères et laïcs ensemble, nous devrions pouvoir réfléchir davantage sur sa spiritualité comme étant le fondement de la nôtre.

Depuis 1976, l'expression la Spiritualité apostolique mariste[6] a souvent servi de référence pour les discussions sur ce sujet. Pour plusieurs raisons, je préfère l'expression la spiritualité de Marcellin, car toute discussion à propos de notre spiritualité de Petits Frères de Marie doit prendre sa source dans celle de notre Fondateur. Le trésor qu'il a transmis à nos premiers frères et à chacun de nous à l'intérieur de l'Eglise est unique, et diffère de l'héritage de Jean-Claude Colin par exemple. L'influence de ce dernier est évidente sur la spiritualité des membres des autres branches de la Société de Marie, mais pas tellement sur la nôtre.

En second lieu, le Testament Spirituel du Fondateur identifie les trois éléments qui composent le noyau de sa spiritualité et de celle de ses Petits Frères : confiance en la présence de Dieu, dévotion à Marie et confiance en sa protection, et la pratique des deux petites vertus de simplicité et d'humilité.

Écrivant dans la langue propre à son temps, Marcellin a décrit la spiritualité qu'il recommandait à ses Petits Frères ; c'était un miroir de la sienne : "Persévérez fidèlement dans le saint exercice de la présence de Dieu; l'âme de la prière, de l'oraison, et de toutes les vertus. Que l'humilité et la simplicité soient toujours le caractère des Petits Frères de Marie. Qu'une dévotion tendre et filiale vous anime dans tous les temps et toutes les circonstances pour notre Bonne Mère. Faites-la aimer partout… Soyez fidèles à votre vocation, aimez-la et persévérez-y avec courage…"[7]

Plus loin dans cette circulaire nous examinerons plusieurs facteurs qui ont contribué à la maturité spirituelle de Marcellin : sa pratique de la présence de Dieu n'étant pas le moindre de ces facteurs. Ce Dieu dont Marcellin savourait la présence et qui le soutenait n'était aucunement un Dieu abstrait. C'était plutôt le Seigneur Jésus lui-même. Le mystère de l'Incarnation était au cœur de sa spiritualité. De toute évidence, l'intimité avec Jésus était le but du voyage de foi de Marcellin Champagnat.

Si le Christ était au centre de la spiritualité du Fondateur, Marie s'y trouvait aussi, bien que de manière différente. Marcellin avait une entière confiance en elle et en sa protection, et il disait souvent à ses frères : "Avec Marie, nous avons tout ; sans elle, nous n'avons rien." Le nom de Marie était important pour lui. La foi de Marcellin percevait que Jésus et Marie se trouvaient tous les deux au cœur du mystère de l'Incarnation. Nous pouvons donc conclure que la spiritualité de notre Fondateur était assurément mariale puisqu'elle s'inspirait du mystère de l'Incarnation.

De plus, la spiritualité de Marcellin était éminemment transparente. La simplicité marquait et caractérisait cet homme. Le Fondateur était direct, enthousiaste, confiant. Son humilité aussi était évidente : on ne l'a jamais décrit comme quelqu'un de prétentieux. Voilà donc des qualités qu'il conseillait à ses frères, et que tant de personnes de notre Eglise trouvent encore aujourd'hui si séduisantes. La spiritualité de Marcellin est l'expression d'un christianisme pratique, capable de transformer l'individu aussi bien que le monde dans lequel il vit.

Aussi, de temps en temps, on nous rappelle combien l'une ou l'autre caractéristique de la spiritualité de Marcellin fait partie de notre propre vie. Par exemple, entre mon premier et second mandat de Provincial, j'ai décidé de faire une retraite de trente jours dans un centre de spiritualité sur la côte atlantique des Etats-Unis.

Mon directeur de retraite était un vieux jésuite expérimenté du nom de Tom. Nous nous sommes vite mis au travail, et nous nous rencontrions régulièrement pendant la première semaine, alors que je prenais le rythme de la retraite.

Cependant, au commencement de la deuxième semaine, durant l'une de nos rencontres quotidiennes de trente minutes, Tom fit cette remarque surprenante: "C'est impossible," dit-il, "pour vous de faire les Exercices de Saint Ignace traditionnels ; Marie est trop présente dans votre spiritualité." M'interrogeant sérieusement pour savoir si cette affirmation était une critique voilée ou non, je lui ai demandé ce qu'il voulait dire. Il a répondu : "Oh, c'est évident : vous êtes mariste, pas jésuite." A partir de ce moment, nous avons élaboré un nouveau plan de retraite, et j'ai passé le temps qui restait à contempler le monde et la Parole de Dieu avec les yeux de Marie. A la fin du mois, je me suis rendu compte que cette retraite était devenue l'une des plus mémorables et des plus utiles de ma vie. Donc, je le répète, pour plusieurs raisons, je préfère employer l'expression la spiritualité de Marcellin dans cette circulaire.

 

Notre 20ième Chapitre général

 

Pour ancrer dans l'Écriture sainte le thème de notre 20ième Chapitre général, les membres de la Commission préparatoire ont choisi un passage du chapitre 30 du livre du Deutéronome. Yahvé met les Israélites devant ce choix : ou la vie et un avenir, ou la mort et la destruction. Dans certaines parties de notre Institut, nous affrontons aujourd'hui ce même défi : embrasser avec vigueur l'avenir, ou se cramponner timidement au passé.

Quel prix devrons-nous payer pour garantir vie et avenir à notre Institut et à sa mission? Rien de moins qu'une révolution! Je vous invite donc à me rejoindre dans cette révolution, une révolution du cœur. Je ne peux que vous promettre peu en retour : un dur labeur, un régime continu d'abnégation… mais aussi, la possibilité de participer à rien de moins qu'à la renaissance de notre Institut. Oui, la possibilité de participer à rien de moins qu'à la renaissance de cet Institut et de sa mission que nous aimons tant.

 

Note : Trouvez un endroit paisible où vous pourrez réfléchir à ces questions. Faites-le à un moment où vous n'êtes pas pressés par le temps. Prenez carnet et stylo, et notez les pensées, sentiments, inspirations que vous estimez valoir la peine de conserver. Plus tard, envisagez un partage avec d'autres qui ont fait pareille réflexion. Les notes prises vous seront utiles pour une telle discussion, ou encore plus tard, pour vous rafraîchir la mémoire.


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QUESTIONS POUR REFLECHIR

 

1. Dans le silence, quelles sont vos réflexions quant à l'avenir de notre Institut et de sa mission ? Etes-vous confiants il ait un avenir ? Vous souciez-vous du chemin que nous tirons ? Comment expliqueriez-vous votre réaction ?

 

2. Nommez quelques-uns des obstacles majeurs qui s'opposent au renouveau de notre vie et mission maristes votre région : province, district ou communauté ? Quelles démarches pouvez-vous faire pour réduire l'impact obstacles ?

 

3. Qu'est-ce qui, en vous, s'oppose à la revitalisation de votre vie et apostolat maristes, et comment pouvez-vous y remédier ?

 

4. D'autre part, quelles sont parmi vos qualités et vos actions ; celles qui contribuent à favoriser la vie et la mission tes dans votre région, province ou communauté ? Que vous faire pour consolider ces forces constructrices ?

 

5. Dites un mot de votre spiritualité. Comment décririez-vous votre relation à Jésus-Christ et à Marie si un ami (mandait quelles places tous les deux occupent dans votre vie ?


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DEUXIÈME PARTIE :

 

Un mot sur l'identité

 

Tous les soirs, au crépuscule, un rabbin se promenait jusqu'aux limites de la ville qu'il habitait. Cette habitude quotidienne lui donnait du temps pour réfléchir et aussi pour se tenir au courant du va-et-vient de ses voisins.

De riches propriétaires qui demeuraient à l'extrémité de la ville avaient la coutume d'engager des gardiens de nuit pour protéger leurs propriétés. Un soir, le rabbin croisa un de ces gardiens et lui demanda le nom de son patron. Le gardien lui donna un nom familier.

A la surprise du rabbin, le gardien s'informa aussi de son patron à lui. La question l'étonna. N'était-ce pas évident au gardien, au monde entier même, qu'il travaillait pour le Maître de l'Univers ? Devenant moins sûr, le rabbin hésita à répondre au gardien. Enfin, il lui avoua : "Je regrette de vous dire que je ne suis pas sûr de savoir pour qui je travaille. Vous voyez, je suis le rabbin de cette ville."

Après une longue promenade ensemble et en silence, le rabbin demanda au gardien : "Voulez-vous venir travailler pour moi ?"

"Je voudrais bien," répondit le gardien, "mais quelles seraient mes tâches ?"

Le rabbin lui répondit : "Oh ! il n'y aura qu'une seule chose à faire. Il faudra me rappeler pour qui je travaille, qui est mon patron, et pourquoi je suis ici. Rappelez-moi cela, c'est tout."

Quelle leçon tirer de cette anecdote ? En tant que Petits Frères de Marie, ayant fait près de quarante années d'efforts de renouvellement, vous et moi pourrions très bien conclure que nous sommes le rabbin de ce récit, toujours dans le besoin de nous faire rappeler pour qui nous travaillons. Mais pourtant notre véritable place est avec les gardiens. Précédemment, nous avons dit que nous sommes appelés à être la mémoire vivante de notre Église, pour lui rappeler constamment la nature de son identité. Voilà notre rôle prophétique.

 

Que voulons-nous dire

au juste par identité ?

 

Qu'entendons-nous par identité ? À un niveau personnel, l'identité est le sentiment de savoir qui vous êtes, et où vous allez dans la vie. Il en est de même pour l'identité d'un groupe et d'une organisation. Quand on questionne une institution à l'identité forte sur ses convictions, on a une réponse immédiate et ferme. Tout comme l'identité personnelle rend chacun unique, l'identité d'un Institut religieux aide ses membres à répondre à ces deux questions : "qui sommes-nous ?" et "qu'aimons-nous, que chérissons-nous ?"

Pour se forger une identité, un Institut doit d'abord considérer honnêtement les options possibles. Comme groupe, nous nous débattons pour faire cela depuis Vatican II. À la lumière de notre charisme, en réponse aux appels de l'Église et du monde, en tenant compte des changements et des nouveaux besoins, nous nous sommes demandés : quels modes de présence au monde nous rendraient plus dépendants de Dieu et plus capables d'œuvrer à la mission de Jésus ?

La seconde étape pour que notre Institut développe une identité propre présente des défis semblables à ceux que nous avons affrontés pour former notre propre identité personnelle ; nous faisons face aux crises inévitables à tout processus d'exploration. Au cours des quatre dernières décennies nous avons appris deux pénibles leçons en tant qu'Institut : 1) l'exploration mène aux crises, 2) le nombre de ces crises augmente au fur et à mesure que nous découvrons des manières différentes de vivre.

De nouveau, comme c'était le cas pour la formation de l'identité individuelle, la troisième et dernière étape île ce processus implique un engagement ferme. Pour que n'importe quelle période d'exploration, de changement et de transition soit fructueuse, il faut faire des choix. Après avoir évalué des options concurrentes, certaines apparaissant probablement fort séduisantes, nous devons décider ce que nous voulons, quels points de vue nous sont chers, comment nous prévoyons de vivre notre vie. Si vous et moi voulons forger une identité nouvelle pour notre Institut et sa mission, nous ne pourrons pas éviter les processus d'évaluation et de choix.

 

Quelle est la source

de nos problèmes d'identité ?

 

Vous demandez-vous quelle est la source de cette crise d’identité dans la vie consacrée actuelle ? Ne cherchez pas plus loin que Vatican II. Dans l'esprit de plusieurs, centimes décisions prises par cette assemblée historique, bien que nécessaires et attendues depuis longtemps, ont mis fin au cadre idéologique dans lequel depuis des siècles nous décidions tout de notre manière de vivre.

Du haut Moyen Âge jusqu'à Vatican II, la plupart des catholiques acceptaient sans conteste les trois divisions hiérarchiques de clergé, religieux et laïcs. Beaucoup d'entre nous, âgés de plus de cinquante ans, pouvons nous rappeler l'enseignement selon lequel la prêtrise était "la vocation la plus haute de toutes ".

La vie consacrée arrivait au second rang. La croyance populaire prétendait que seuls les membres engagés par des vœux dans les ordres religieux pouvaient atteindre à la perfection spirituelle. Le laïcat, malheureusement, se trouvait très loin au troisième rang. Beaucoup d'hommes et de femmes laïques, appelés ni au sacerdoce ni à la vie religieuse, se sentaient comme des citoyens de seconde classe dans leur propre Église.

Vatican II a bouleversé ce schéma à trois étages. " Cet état de vie [consacrée], compte tenu de la constitution divine et hiérarchique de l'Église, ne se situe pas entre la condition du clerc et celle du laïc ; Dieu appelle des fidèles du Christ de l'une et de l'autre condition pour jouir dans la vie de l'Église de ce don spécial et servir à la mission salutaire de l'Église, chacun à sa manière.[8]

Rétrospectivement, nous nous rendons compte que ceux qui ont pris part à Vatican II ont entrepris résolument la tâche nécessaire et urgente de redéfinir la place qui revenait de droit aux laïcs dans notre communauté ecclésiale. Ils ont moins bien réussi, cependant, dans leurs efforts pour redéfinir clairement la nature et le but de notre mode de vie. Perfectæ Caritatis, né avec difficulté et de manière complexe, n'a pas réussi à développer pour les religieux et religieuses le type de réflexion théologique que Lumen Gentium avait fait pour le laïcat.

Plus récemment, dans Vita Consecrata, le pape Jean Paul II a noté que chacun des états de vie fondamentaux dans l'Eglise exprime l'un ou l'autre aspect du mystère du Christ. Le laïcat, par exemple, a la responsabilité de proclamer le message évangélique dans la sphère temporelle.

La vie religieuse, par contre, doit refléter la façon même de vivre du Christ. Selon les paroles du Pape, elle a la responsabilité de faire éclater la sainteté du Peuple de Dieu. Elle proclame et, d'une certaine manière, anticipe un âge futur quand le Royaume de Dieu sera accompli. Elle exprime plus complètement le but de l'Église qui est la sanctification de l'humanité.

Comme nous venons de le dire, les Pères du Concile n'ont identifié que deux états de vie dans la structure de l'Église : le clergé et le laïcat. Vita Consecrata, même avec ses défauts, rappelle à tous que, selon l'expérience de l'Église, il y en a bien trois : laïque, clérical et religieux. Depuis ces paroles, la vie consacrée a commencé à retrouver sa place dans notre Église, et à se donner les moyens de se repenser pour le nouveau millénaire. Mais cela n'est pas la fin de notre histoire. Dans les prochaines pages nous résumerons brièvement notre long voyage de près de quarante ans, à la redécouverte de l'identité de notre mode de vie.

 

Défis particuliers aux religieux frères[9]

 

En tant que frères, nous avons affronté des défis supplémentaires et particuliers dans nos efforts pour nous façonner une identité postconciliaire. D'abord, dans les années turbulentes d'après Vatican II, nous avons souffert d'une plus grande perte de notre raison d'être que nos confrères prêtres. Pour maintenir leur stabilité et le sens de l'identité, plusieurs d'entre eux se sont fortement cramponnés à leur ministère sacramentel.

Ensuite, notre vocation a toujours beaucoup intrigué plusieurs de nos coreligionnaires catholiques. D'aucuns, par exemple, restent convaincus que nous sommes "en formation pour devenir prêtre," tandis que d'autres croient plutôt que nous avons échoué dans cette tentative.

Mais de nos jours, notre vocation de frère a commencé à dérouter même certains d'entre nous. Ces dernières années, par exemple, nous avons mis de côté nombre de signes extérieurs qui, dans le passé, aidaient les gens à distinguer un Institut religieux d'un autre. De plus, dans quelques provinces et districts, nous nous sommes éloignés de ce que plusieurs considéraient comme notre apostolat traditionnel, pour nous consacrer à des apostolats jugés plus adaptés aux besoins de notre temps.

En conséquence, nous sommes moins visibles dans les sociétés et les milieux culturels où nous nous trouvons et plus semblables aux membres des autres congrégations religieuses. Faut-il alors s'étonner que nous ayons tant pataugé, une fois confrontés à la tâche de ré-imaginer théoriquement et théologiquement notre rôle distinctif de frères à l'intérieur de la communauté ecclésiale ?

Puis, en tant que frères nous sommes bien placés pour contribuer aux discussions sur le ministère actuel de l'Eglise. Trop souvent pourtant, nos voix sont restées étrangement muettes. Quelle en est la cause ? Pour n'en mentionner qu'une, disons qu'il nous reste encore à trouver des moyens accessibles et efficaces pour partager notre expérience.

Notre Institut évangélise surtout par l'enseignement. La plupart des institutions dans lesquelles nous servons œuvrent plutôt indépendamment de l'église locale. L'Ordinaire du lieu doit certes donner sa permission, mais le plus souvent il donne cette autorisation et se contente de nous laisser organiser et diriger nos établissements selon nos traditions et coutumes maristes.

Accaparés par les préoccupations quotidiennes qui assaillent toute école ou institution, nous pouvons facilement nous tenir à l'écart des soucis de l'Église locale. Avec le temps, nous découvrons que les moyens mis à notre disposition, pour nous aider à partager notre expérience et nos points de vue sur le ministère, diminuent progressivement.

Enfin, tout comme les membres des autres Instituts de frères, nous sommes des groupes pragmatiques et réalistes. Avant Vatican II cette caractéristique nous a bien servis. Tant que nous avons su ce qu'on attendait de nous en termes de vœux, de vie communautaire et d'apostolat, nous avons été capables d'aller de l'avant dans notre tâche apostolique auprès des jeunes.

Ce vieux système de pensée s'est effondré soudainement durant les années soixante. Dans les années qui ont suivi, certains d'entre nous avons poursuivi notre travail, mais sans la compréhension claire que nous en avions avant Vatican II. Même aujourd'hui, quelques-uns parmi nous restons incertains sur les exigences exactes de nos vœux et de notre vie communautaire, et de la nature de notre spiritualité.

L'échec à reconnaître que notre système de valeurs tombait en morceaux a engendré une immense souffrance demeurée encore inexprimée. Nous devons réaliser que nous libérer de cette souffrance, que plusieurs de nous avons portée pendant presque quatre décennies, sera aussi douloureux qu'apaisant.

 

Un Chapitre général extraordinaire

 

En 1967-1968, selon les directives de Vatican II, un Chapitre général extraordinaire s'est tenu à notre Maison générale de Rome. La relecture des documents écrits par les participants nous donne une preuve suffisante qu'ils étaient prêts à remuer ciel et terre pour répondre au défi du Concile et renouveler notre Institut. De plus, à la lecture des pages qu'ils nous ont laissées, nous réalisons sans peine que certains membres de ce 16ième Chapitre général commençaient déjà à débattre la question de l'identité.

Les frères qui se sont réunis pour notre 17ième Chapitre général de 1976 ont, eux aussi, discuté l'idée d'identité. Us l'ont cependant fait dans un contexte très différent de celui du groupe qui s'était réuni neuf ans plus tôt. En effet, dans plusieurs provinces et districts, les frères avaient été étonnés par le nombre de ceux qui avaient demandé leur dispense de vœux après le Concile et notre Chapitre extraordinaire.

Quoi qu'il en soit, à la fin du 17ième Chapitre général, les membres ont envoyé ce message sur notre identité, l'intégrant à leur rapport final : "Notre crise d'identité mariste renvoie à une crise d'identité de la vie religieuse dans son ensemble. Et cette crise de la vie religieuse renvoie elle-même à la crise actuelle de la civilisation et des valeurs reconnues jusque-là comme telles. Dès lors, le manque d'unification entre vie de prière, vie apostolique et vie communautaire n'est pas d'abord un problème moral. C'est un phénomène comparable à celui d'un organisme vivant, fortement perturbé, à la recherche d'un nouvel équilibre.[10]"

 

Mise en contexte

des premiers efforts de renouveau

 

Nous avons mentionné précédemment que les premiers efforts pour renouveler notre mode de vie et notre mission maristes ne se sont pas produits dans un vide culturel et en dehors de l'histoire. Au contraire, vers la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, ces efforts se sont produits durant une période agitée dans plusieurs parties du monde. Les mouvements d'indépendance sur le continent africain, par exemple, ont nourri le nationalisme et un nouvel ordre politique.

Des mouvements qui réclamaient une plus grande liberté civile, politique et sexuelle ont aussi marqué les pays développés durant ces mêmes années. Quels en furent les résultats ? Une plus grande valorisation des droits de l'individu et une méfiance croissante à l'égard de presque toutes les formes d'autorité.

Dans les années qui ont suivi Vatican II, plusieurs d'entre nous ont donné la priorité à leur développement personnel. Ce faisant, nous sommes devenus plus familiers avec les principes du développement humain et de la psychologie. Pour la plupart d'entre nous, cette connaissance fut bénéfique pour nous personnellement, et pour la révision de nos programmes de formation initiale et permanente. Pour quelques-uns, cependant, cela a mené à trop se préoccuper de soi et à un déclin de l'élan de générosité qui avait toujours caractérisé notre mode de vie.

Finalement, dans certaines parties du monde, le processus de déconstruction – le démantèlement de structures et institutions traditionnelles – et les difficultés de l'Eglise postconciliaire ont convergé. L'un des résultats fut l'effilochement du tissu religieux avec la disparition de pratiques religieuses reconnues.

Récemment un bon nombre d'entre nous en sont venus à réaliser qu'en démolissant la "clôture monastique", des idéologies rivales – individualisme, matérialisme, société de consommation, nouvelles connaissances de la sexualité et des relations humaines, pour n'en nommer que quelques-unes – nous ont submergés et se sont attaquées aux valeurs porteuses de la vie religieuse. C'est au milieu de tous ces changements rapides que nous et les membres des autres Instituts avons commencé notre travail d'adaptation aux réalités et aux besoins de l'Eglise et du monde de cette fin du vingtième siècle.

 

Une nouvelle identité

pour les Petits Frères de Marie

 

Les Chapitres généraux depuis Vatican II ont tous été précis sur un point : nous devons absolument tenir compte de la prière, de l'apostolat et de la vie communautaire pour formuler la nouvelle identité de notre Institut. Notre dernier Chapitre général nous a aussi encouragés à entreprendre ce travail en collaboration avec les maristes laïques, désireux de clarifier leur identité, et vivement intéressés par la mission mariste et la spiritualité de Marcellin.

De plusieurs manières, notre 20ième Chapitre général nous a rappelé que pour un renouvellement authentique, nous devons commencer par réfléchir à notre spiritualité. Nous pouvons changer de travail, de lieux, de communautés, mais ce ne seront que des maquillages de façade si nous ne réussissons pas à changer aussi nos cœurs.

Dans mes deux prochaines circulaires, je compte aborder les sujets de la vie communautaire et de notre mission apostolique, et leur lien avec notre identité. Pour la suite de cette circulaire, cependant, j'ai l'intention de me concentrer sur la spiritualité de Marcellin, ce que plusieurs, moi inclus, considèrent comme le fondement sur lequel bâtir toute nouvelle identité mariste. Si vous et moi voulons entreprendre une révolution du cœur, c'est par là qu'il faut commencer.

 

Note : Trouvez un endroit paisible où vous pourrez réfléchir à ces questions. Faites-le à un moment où vous n'êtes pas pressés par le temps. Prenez carnet et stylo, et notez les pensées, sentiments, inspirations que vous estimez valoir la peine de conserver. Plus tard, envisagez un partage avec d'autres qui ont fait pareille réflexion. Les notes prises vous seront utiles pour une telle discussion, ou encore plus tard, pour vous rafraîchir la mémoire.

 

QUESTION POUR REFLECHIR

 

1 Imaginez qu'un étudiant ou un collègue vous pose ces deux questions : Qui sont les Petits Frères de Marie ? Qu'est-ce qu'ils aiment et chérissent ? Comment répondriez-vous ?

 

2 Est-ce que notre mode de vie mariste est surtout invisible dans votre pays, province, ou district ? Si oui, comment réagissez-vous à ceci ? Si la situation vous inquiète, quels moyens pouvez-vous prendre pour y remédier ?

 

3 J'ai suggéré dans cette circulaire que trois éléments sont essentiels à notre identité de Petits Frères de Marie : prière, apostolat et communauté. Etes-vous d'accord ? Si oui, pourquoi exactement ? Si non, quels éléments identifieriez-us comme essentiels pour forger une identité institutionnelle à notre Congrégation ?


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TROISIÈME PARTIE :

La spiritualité de Marcellin et une identité contemporaine

pour ses Petits Frères de Marie

Pendant au moins une période de l'histoire de l'Église, la croyance populaire était que la plupart d'entre nous étions destinés à la damnation. Pour que cette idée s'enracine et prospère, ceux qui la promulguaient ont dû fermer les yeux sur un sujet éminemment important, celui que saint Paul se plaisait à appeler le scandale du Mystère pascal. Néanmoins, la conviction que plusieurs d'entre nous passeraient l'éternité en enfer a influencé la croyance et la pratique religieuse de plus d'une génération de catholiques.

Les temps dans lesquels nous vivons contribuent à notre formation. Les chrétiens qui vivaient à l'époque décrite dans le paragraphe précédant ne pouvaient s'empêcher d'être marqués par la pensée et les coutumes de leur époque. Ce fait n'en est pas moins vrai pour Marcellin Champagnat. La période durant laquelle il est né et les circonstances dans lesquelles il a vécu ont eu une influence profonde sur son développement personnel et spirituel.

Au début du 19ièmesiècle, l'Église de France faisait face à une crise d'innovation, pas tellement différente de la nôtre. Le monde dans lequel elle se trouvait avait changé rapidement et de façon décisive, et la réponse de l'Eglise à ce bouleversement devait être créatrice et débrouillarde. Ce sont des gens comme notre Fondateur qui finalement entreprendront la tâche de lui donner son nouveau visage.

 

Facteurs et personnes

qui ont influencé Marcellin

 

Marcellin a grandi dans le district de Marlhes, une région de foi profonde. Ses habitants revendiquaient Saint Jean-François Régis comme leur patron, et ils se rendaient en pèlerinage à son tombeau. Ce saint en particulier a beaucoup impressionné notre Fondateur et a influencé sa formation spirituelle.

Sa mère Marie-Thérèse et sa tante Louise ont été les premières à éveiller le petit garçon à sa vie spirituelle. Leur exemple et leur direction en ont posé les fondements. Ces deux femmes lui ont transmis les pratiques de piété et l'héritage spirituel de la région des hauts plateaux, où Marcellin est né.

Le père de Marcellin a aussi beaucoup influencé sa formation. Jean-Baptiste Champagnat était penseur, révolutionnaire, agent du gouvernement, commerçant et fermier. Il a transmis à son fils les dons de diplomatie, de discernement, de compassion pour autrui ; il lui a aussi donné une tête pour les affaires, et des talents d'ouvrier.

La dévotion à Marie du Fondateur a été aussi influencée par la pratique religieuse et la théologie française de la fin du 18ième siècle et du début du 19ième Il a vécu dans la région mariale des évêques Pothin et Irénée, et dans un pays influencé par les écrits de mariologues comme Olier et Grignon de Montfort.

 

Une spiritualité de croissance

 

Dans le chapitre 23 des Avis, Leçons, Sentences[11], un des disciples du Fondateur a exposé les grandes lignes des cinq saisons de la vie religieuse, chacune ayant ses propres défis distinctifs. Elles sont appelées, respectivement, les âges de la Docilité, de l'Installation, du Pli définitif, de l'Infécondité et mécontentement, ou maximum d'aptitude et d'efforts, et de la Décadence ou la Sainteté.

Le développement spirituel personnel de Marcellin Champagnat, lui aussi, s'est déroulé par étapes avec un processus continu de conversion qui a marqué sa relation toujours approfondie avec Dieu. Bien qu'il ne soit pas né saint, notre Fondateur a passé sa vie à en devenir un.

Au début il a insisté sur la maîtrise de soi. Il l'a réalisée surtout au séminaire après un programme de prière et de pénitence bien réfléchi. Il a aussi suivi ce programme pendant ses vacances du séminaire et comme jeune prêtre à La Valla.

Le programme rigoureux de pratiques ascétiques du Fondateur comprenait le lever à quatre heures du malin, suivi d'une demi-heure de méditation. Il faisait précéder la messe quotidienne par quinze minutes d'oraison. Quoiqu’entièrement engagé dans le travail de la paroisse, il trouvait toujours au moins une heure chaque jour pour étudier la théologie. Il jeûnait le vendredi, et il visitait fidèlement les malades de la paroisse. Ces pratiques employées par notre Fondateur au début pour développer sa relation avec Dieu – la maîtrise de soi, la prière, la pénitence – demeurent utiles pour nous qui voulons développer notre vie spirituelle.

Au fur et à mesure que sa relation avec Dieu s'approfondissait, Marcellin en est venu à dépendre de la règle de la loi. Elle lui a donné une point de référence dans sa vie, elle l'a aidé à veiller sur sa conduite et à atteindre une certaine sérénité d'âme. Son sens commun et son bon jugement, considérant que sa pensée était davantage influencée par le rigorisme que le jansénisme, l'ont aidé à surmonter le légalisme et la rigidité qui caractérisaient une bonne partie de la théologie morale qu'on enseignait dans les séminaires au début du 19ième siècle.

Peu à peu, la pratique de la présence de Dieu a pris sa place au cœur de la vie spirituelle de Marcellin. Cependant, développer une relation plus profonde avec Jésus et Marie ne lui a pas été facile, car le jeune prêtre a franchi des passages bien ardus sur son chemin.

 

Le fondement : l'amour de Dieu

 

Finalement, le Fondateur en est arrivé à développer sa spiritualité sur cette base solide : l'amour de Dieu et du prochain. Il a aimé Dieu dans sa vraie nature humaine. D'un tempérament ouvert, il aimait les gens et se réjouissait en leur compagnie. Conscient que Dieu choisit de se révéler dans les personnes et les événements de la vie, le Fondateur en est arrivé à comprendre qu'une façon d'atteindre une relation aimante avec Dieu, c'était d'avoir des relations aimantes avec les autres.

 

Points d'appui

 

Plusieurs moments de crises dans la jeunesse de Marcellin semblent aussi avoir été ses points d'appui dans son processus de conversion personnelle : son renvoi du séminaire à la fin de la première année, la mort soudaine de son ami Denis Duplay, le 2 septembre 1807, et une conversation avec son directeur de séminaire, le Père Linossier, sur le besoin d'améliorer sa conduite.

En 1810, la mort de Marie-Thérèse, mère de Marcellin, a certainement apporté des changements à sa spiritualité. Sa mère avait contribué au choix de sa vocation et elle l'avait encouragé tout au long de sa formation au séminaire. Il avait écrit en 1809 : "O mon Seigneur et mon Dieu, je vous promets de ne plus vous offenser, de faire des actes de foi et d'espérance, de ne jamais retourner au cabaret sans nécessité, d'éviter les mauvaises compagnies, et de mener les autres à la pratique de la vertu." Un an plus tard, nous le trouvons fidèle à ses résolutions.

Au cours de sa formation à la prêtrise, Marcellin s'est ouvert à la grâce transformante de Dieu dans sa vie. Le Seigneur s'est servi de moyens très humains pour centrer la pensée, le cœur, l'esprit et les énergies du Fondateur sur ce seul but : aimer Jésus et, en retour, aider les autres à faire de même.

Frères, appelez cela du christianisme pratique, appelez-le comme vous voudrez, mais Marcellin Champagnat est arrivé à réaliser une spiritualité incarnée. Il savait d'expérience qu'une vie spirituelle authentique prend son origine dans le lieu et au milieu des circonstances où nous nous trouvons. En progressant en maturité, le Fondateur découvrait en celui qu'il rencontrait l'image du Sauveur ressuscité qu'il était parvenu à connaître et à aimer si bien.

 

Définition de la spiritualité

 

Tout cela est bien beau, direz-vous, mais comment vous et moi pouvons-nous vivre la spiritualité de notre Fondateur aujourd'hui ? Il était un homme bien de son temps, sa recherche de Dieu a été influencée par les circonstances de sa vie et les événements de son époque. Est-ce que les caractéristiques de notre temps, les traditions et coutumes de nos pays et cultures, et bien d'autres éléments n'auront aucune influence sur notre façon de vivre la spiritualité de Marcellin ?

Nous reviendrons bientôt à l'étude plus détaillée des trois caractéristiques fondamentales de la spiritualité du Fondateur qu'on retrouve dans son Testament spirituel, sa pratique de la présence de Dieu, sa confiance en Marie et en sa protection, et les deux petites vertus de simplicité et d'humilité. Mais je veux d'abord définir plusieurs termes afin d'établir un contexte contemporain utile pour approfondir la spiritualité de Marcellin.

Qu'est-ce que j'entends par le mot spiritualité ? Laissez-moi répondre à cette question en vous racontant l'histoire d'un jeune homme qui aspirait à une grande sainteté. Il travaillait dur pour l'atteindre, et après quelque temps il est allé trouver son rabbin.

•"Rabbin, " annonça-t-il, "je crois que j'ai atteint la sainteté."

•"D'où vous vient cette idée ?" demanda le rabbin.

Le jeune homme répondit : "Je pratique la vertu et la discipline depuis quelque temps maintenant, et je suis devenu tout à fait compétent en ces deux choses. Du matin au soir je ne prends ni nourriture ni eau. Pendant la journée je fais toutes sortes de travaux difficiles pour les autres et je ne m'attends jamais à ce qu'on m'en remercie. Si je suis tenté dans ma chair, je me roule dans la neige ou les buissons épineux, jusqu’à ce que les tentations s'en aillent, et puis le soir avant de me coucher, je pratique l'ancienne discipline monastique, en me flagellant sur mon dos nu. Je me suis discipliné pour devenir un saint. "

Le rabbin resta silencieux pendant quelque temps. Puis, il prit le jeune homme par le bras et le mena à une fenêtre de son bureau. Le rabbin lui montra dans le pré un vieux cheval que son propriétaire emmenait. "J'observe ce cheval depuis quelque temps," commença le rabbin, "et j'ai constaté qu'on ne lui donne ni à manger ni à boire du matin au soir. Toute la journée il doit travailler pour les gens sans jamais être remercié. Souvent je le vois se rouler dans la neige ou dans les buissons, comme aiment faire les chevaux, et je vois souvent son maître le fouetter. Alors, je vous demande : Est-ce un saint ou un cheval ?"

Quelle est la leçon de cette histoire ? La spiritualité a beaucoup plus à voir avec la gratitude pour le don inconditionnel de l'amour de Dieu qu'avec n'importe quelle pratique pieuse. Et cela va de soi. Après tout, la gratitude est à l'origine de toute vertu ; elle est le fondement de l'amour et de la charité. Marcellin l'avait compris; il nous invite aujourd'hui à faire de même.

Une des grâces de notre temps, bien que difficile à accepter par plusieurs d'entre nous, c'est une compréhension toujours plus grande que la spiritualité a plus à faire avec le feu insatiable qui brûle en nous, qu'avec l'ascension d'une quelconque échelle de vertus. Avec le temps, des pratiques pieuses dénuées de sentiment ne nous soutiendront pas, ni vous, ni moi[12].

Plusieurs d'entre nous prétendent avoir assez de passion pour plus d'une vie. Nous confessons aussi que cette force pressante, gisant au cœur de notre expérience humaine, alimente l'amour, la créativité, et l'espérance que nous offrons à la vie. Pourtant, nous hésitons souvent à admettre que la passion est aussi une part intime de notre spiritualité.

Notre hésitation est-elle due au fait que la passion, ayant plus d'un visage, nous fait peur ? Après tout, on la perçoit souvent comme une agitation ou un désir brûlant que nous appelons la faim. L'image de la passion nous laisse crispés, insatisfaits, et frustrés. Et dans toute cette agitation, qu'est-ce au juste que la spiritualité ? En fin de compte, elle est ce que nous faisons de notre passion.

 

L'amour de Dieu librement donné

 

Cette approche de la spiritualité n'est pas ce qu'on nous a enseigné, ni durant les premières années de notre formation, ni dans la plupart des programmes de renouveau auxquels nous avons participé. Au lieu de cela, on nous a souvent fait croire que pour être dignes de Dieu, nous devions monter péniblement une échelle de vertus. Mais toute relation avec Jésus ne vient-elle pas de son initiative à lui et non pas de la nôtre ? Thérèse d'Avila, par exemple, recommandait souvent, à ceux qui lui demandaient conseil pour leur vie spirituelle, d'entrer dans une chapelle lorsqu'ils manquaient de mots pour prier, et de s'asseoir devant le Saint Sacrement, afin que le Seigneur puisse les regarder avec amour.

Notre faim et notre soif de Jésus ne sont qu'un miroir de la faim et de la soif qu'il a pour nous. Contrairement à Thérèse et Marcellin, peu d'entre nous sont prêts à croire que Dieu les aime d'une façon aussi inconditionnelle. Oui, dirons-nous, "Dieu nous aime inconditionnellement…" mais le mot 'mais' semble toujours prêt à prendre la place qui revient de droit à ce signe de ponctuation qu'on appelle le point. Nous devons alors nous demander pourquoi nous essayons d'apprivoiser l'amour de Dieu en prétendant qu'une chose donnée aussi gratuitement doive être méritée. Dans cette vie, nous seuls faisons obstacle à l'amour inconditionnel de Dieu.

 

Éléments de la vie spirituelle

 

Peu à peu, les saints et les mystiques qui nous ont précédés en sont venus à comprendre et à accepter le grand amour que Jésus avait pour chacun d'eux. Tout croyant doit arriver à cette compréhension.

Qu'est-ce que cette tâche requiert ? D'abord, que nous acceptions que Jésus soit la réponse au sens de la vie humaine. Marcellin en est venu, à la longue, à comprendre cette exigence de la Bonne Nouvelle. C'est aussi la première idée que les membres de notre 20ième Chapitre général ont répétée en rédigeant les cinq appels qui composent le cœur du Message de notre Chapitre. Ma relation avec Jésus forme le centre de ma vie. Cela veut dire, concrètement, que je dois consacrer du temps pour nourrir cette relation, comme toute autre relation importante de ma vie, et je dois permettre à Jésus d'être lui-même.

Je l'ai dit ci-dessus, notre vie spirituelle se développe aussi par étapes, et nous devons apprendre à être patients avec nous-mêmes. Certains directeurs spirituels, par exemple, comparent la grâce de consolation, qu'on trouve dans notre relation avec Jésus, à une eau bouillonnante à la surface d'un puits, presque au point de déborder. Au commencement de cette relation, nous sommes jeunes et forts et nous pouvons facilement de nos propres forces tirer l'eau du puits. Nous disposons d'autant de grâces divines de consolation que nous voulons. Mais soyons honnêtes : c'est nous qui commandons, pas Jésus.

Avec le temps, le niveau de l'eau commence à baisser dans le puits. Mais nous demeurons toujours forts, et grâce à un effort humain, nous continuons à faire descendre le seau et à puiser autant de grâces de consolation que nous voulons. Mais c'est toujours nous qui contrôlons. Jésus continue d'être tenu à distance.

A la longue, cependant, ce puits, autrefois débordant d'eau, se tarit. Et n'étant plus ni jeunes ni forts, nous perdons l'indépendance de nos premières années. Nous nous demandons alors ce que nous pouvons faire maintenant pour gagner les grâces de Dieu. Réponse honnête : rien, sauf nous asseoir et attendre la pluie.

Quand nous arrivons à ce point dans notre vie spirituelle, où Marcellin a dû lui aussi arriver, nous sommes alors plus à même de laisser Jésus être un partenaire égal dans notre relation. Nous lui donnons la liberté de nous aimer comme il le veut. Comment savoir que nous allons dans ce sens ? Quand, comme Thérèse, nous n'aspirons plus qu'à être présents devant Dieu. Rien de plus, rien de moins.

Une religieux se remarque par une seconde caractéristique qui découle de la première : l'acceptation du fait que Dieu l'aime de façon unique et spéciale. Dès les origines, Dieu nous a rejoints en entrant en relation avec nous, et Jésus en est l'exemple le plus étonnant. Notre relation à Jésus et son mode de développement sont uniques ; ils ne peuvent pas être copiés.

 

Une spiritualité incarnée

 

Comme nous l'avons vu, Jésus se trouvait au cœur de la pratique de la foi de notre Fondateur. L'Eucharistie aussi était au centre de sa vie, et il désirait la célébrer régulièrement avec nos premiers frères.

Nous savons encore que trois éléments sont au cœur de la spiritualité que Marcellin nous a léguée, par la pratique et dans son Testament Spirituel : la confiance en la présence de Dieu, la dévotion à Marie et la confiance en sa protection, et la pratique des petites vertus de simplicité et d'humilité. La spiritualité du Fondateur était incarnée, mariale et transparente.

Jetons un coup d'œil à chacun de ces aspects, tour à tour. La nature incarnée de la spiritualité de Marcellin a pris sa source dans sa pratique de la présence de Dieu ; il s'est passionné pour le Seigneur et sa mission.

Pour Marcellin, Jésus était toujours à ses côtés. En conséquence, ses conversations avec le Seigneur se poursuivaient sans interruption ; sa confiance en lui et son abandon à la volonté de Dieu s'approfondissaient de jour en jour. Il citait souvent les paroles du Psaume 127, "Si le Seigneur ne bâtit pas la maison, les ouvriers travaillent en vain."

La spiritualité incarnée de Marcellin se manifeste dans des extraits de plusieurs de ses lettres. Dans une note au Frère Marie-Laurent, par exemple, du 8 avril 1839, le Fondateur a écrit : "Votre lettre, mon bien cher ami, excite singulièrement ma compassion. Depuis, je ne monte pas une fois au Saint Autel sans vous recommander à Celui en qui on n'espère pas en vain, qui peut nous faire surmonter les plus grands obstacles." (Lettre 249)

 

Les éléments qui façonnent aujourd'hui une spiritualité incarnée

 

La passion marquait la relation de Marcellin Champagnat avec le Seigneur Jésus. De nos jours, nous aspirons à une expérience semblable de Dieu, bien que nous comprenions qu'elle sera sûrement différente de quelque manière de celle de notre Fondateur.

J'ai mentionné ci-dessus que la passion est ambitieuse. Elle ne se satisfait pas de jouer un rôle important dans notre vie spirituelle, elle envahit aussi plusieurs autres aspects de notre vie. Par exemple, là où des émotions fortes comme la colère et la rage sont en jeu, la passion n'est pas loin. Ceci est encore vrai des situations de profonde tristesse ou de joie extatique. Enfin, la passion joue aussi un rôle prééminent dans notre vie sexuelle.

Cependant, lier sexualité et passion à la vie de prière n'aurait pas été une idée bien perçue à l'époque de Marcellin. On craignait les sentiments sexuels qu'il fallait contrôler fermement. Bien que plusieurs mystiques aient employé des images sexuelles dans leurs écrits, ces ouvrages étaient lus avec prudence, si tant est qu'ils étaient lus.

Aujourd'hui, cependant, nous nous rendons compte que la sexualité est beaucoup plus vaste que l'activité génitale sexuelle ; elle comprend en plus notre manière d'être homme ou femme, les attitudes et les caractéristiques définies culturellement comme masculines ou féminines, et que nous nous approprions peu à peu.

Plus important encore, la sexualité exprime notre besoin humain fondamental d'aller vers l'autre, physiquement et spirituellement, pour atteindre une plus grande union. Elle exprime le projet de Dieu qui veut que nous découvrions dans les relations avec les autres notre véritable nature humaine et spirituelle. Oui, la sexualité est intrinsèque à notre relation aux autres et à Dieu. Elle a beaucoup plus à voir avec le dépassement de soi qu'avec la satisfaction personnelle.

Cependant, nous nous rendons compte que la sexualité, tout comme la spiritualité, a plus d'un visage. Tout en nous donnant l'appétit de vivre, elle met du charme et du romantique dans nos relations, et elle peut générer un courage exceptionnel et une générosité héroïque. Mais cette même énergie peut tout aussi bien nous porter à une conduite autodestructive et déshumanisante. Dans les moments où nous perdons notre sens de l'équilibre, la sexualité contribue à notre déroute et à notre perte de contrôle.

Nous devons nous demander s'il y a des moyens à notre disposition pour nous aider à canaliser de manière créatrice nos envies et nos désirs, en nous éloignant d'une conduite trompeuse, pour nous mener à une plus grande union à Dieu et aux autres. De fait, il y en a plusieurs : un sens de la discipline, une capacité à s'évaluer soi-même honnêtement, une aptitude à supporter la solitude, et un sens de l'humour. Tous sont essentiels pour une vie féconde.

Depuis maintenant des siècles, les directeurs spirituels ont proposé ces moyens à qui s'intéresse sérieusement à sa croissance spirituelle. Proposition pleine de sens. Dans une grande mesure, les règles et les habitudes que nous nous donnons pour vivre déterminent le niveau selon lequel notre corps, notre esprit et notre âme se sentent en harmonie. Elles influencent aussi la qualité de notre relation à Dieu et à autrui.

Quant il s'agit de sexualité et de spiritualité nous faisons face au défi suivant: devenir amis de la passion qui est en nous et, en même temps, accepter le fait que nous sommes incomplets. Bien que plusieurs de nos cultures enseignent le contraire, nous ne pouvons pas " tout avoir ". Nous devons plutôt apprendre à vivre avec des tensions dans notre vie spirituelle et dans notre vie sexuelle. Augustin avait raison – dans cette vie, nous ne pouvons répondre pleinement à cette question fondamentale de la foi : sur qui ou sur quoi reposer notre cœur ? Notre cœur demeurera sans repos tant qu'il ne reposera pas totalement en Dieu.

 

Spiritualité et chasteté dans le célibat

 

Il y a un moment, j'ai indiqué que spiritualité et sexualité sont intimement liées. On pourrait presque dire que la sexualité est au cœur de toute vie qui se veut spirituelle. Donc, si la sexualité se trouve au centre de notre vie spirituelle, cette dernière doit pareillement être au cœur d'une authentique vie de chasteté dans le célibat.

Je le répète, cette conclusion est raisonnable. En effet, pour nous sentir à l'aise avec notre choix de la chasteté dans le célibat, nous devons examiner, d'abord et surtout, ce que signifie pour nous être un religieux avec une identité spirituelle. Vous et moi pouvons apprendre tout ce qu'il y a à savoir de la sexualité humaine, en devenir même de véritables experts, mais tant que nous ne considérerons pas notre nature spirituelle, nous demeurerons toujours mal à l'aise avec notre chasteté dans le célibat.

De nombreuses personnes, dans les sociétés et cultures où nous nous trouvons aujourd'hui, croient que nous sommes naïfs et insensés d'embrasser une vie de chasteté dans le célibat. Et elles ont raison ! Naïfs parce que ce choix est un défi face aux conventions sociales ; insensés parce qu'embrasser une vie de chasteté dans le célibat et bien la vivre mènent inévitablement à une révolution du cœur. Ce que le philosophe Bernard Lonergan, S J.[13] nous rappelle est analogue à "l'expérience humaine de tomber amoureux. C'est l'abandon de soi, total et permanent, sans conditions, sans nuances et sans réserves."

Et qui d'entre nous veut expérimenter une telle conversion, embrasser cette révolution du cœur ? Voilà où réside le défi de la chasteté dans le célibat : en choisissant de vivre notre sexualité de manière chaste et célibataire, nous nous engageons à vivre avec passion, à être à la fois profondément spirituels et sexuels.

A la longue, nous en venons à découvrir le feu – ce désir de Jésus – qui a toujours brûlé vivement en nous. En faisant cette découverte nous devenons plus à l'aise avec nous-mêmes et avec le Seigneur, mais cette fois selon ses conditions et avec une bien meilleure connaissance de ses voies. Quand savons-nous que nous sommes arrivés à ce point dans notre vie ? Quand l'expression qui nous décrirait le mieux serait celle-ci : "profondément spirituel et profondément humain." Assurément, cette expression convient parfaitement pour parler de Marcellin Champagnat.

 

La place de Marie

 

Un deuxième aspect de la spiritualité de Marcellin était sa dimension mariale. Le Fondateur était fortement attaché à la Mère de Jésus. Il nous a donné le nom de Marie, il la considérait comme la première Supérieure de l'Institut, et l'appelait notre Bonne Mère. Oui, il lui a donné une place centrale dans notre héritage spirituel.

La relation de Marcellin à Marie a mûri avec le temps. Sa confiance entière en elle et en sa protection s'est transformée en une union intime. Avec le temps, Marie est devenue sa confidente.

La dévotion du Fondateur à Marie s'exprimait extérieurement dans des sermons, des neuvaines et des lettres. Son message du 4 février 1831 aux Frères Antoine et Gonzague n'est qu'un exemple de cet aspect de sa vie spirituelle. Le Fondateur écrit : "Intéressez Marie en votre faveur, dites-lui qu'après que vous aurez fait votre possible, tant pis pour elle si ses affaires ne vont pas." (Lettre 20) Marcellin avait une totale confiance en l'intercession de Marie : une fois qu'on l'avait implorée de notre mieux, c'était à elle que revenait le sort de notre cause.

Le Fondateur encourageait nos premiers frères à suivre son exemple dans leur dévotion à Marie. Par exemple, il leur demandait d'exposer son image ou sa statue dans leur maison, et il voulait qu'ils portent sur eux quelque chose qui leur fasse penser à elle. Plus tard, il a recommandé la touchante pratique d'offrir à Marie les clés de la maison. "C'est elle qui a charge de nous," disait-il. "C'est notre patronne et protectrice."

Marcellin conseillait aussi aux premiers frères de prendre Marie pour Mère. Elle devait être un modèle à imiter, et une personne de qui s'approcher avec la confiance d'un enfant. À l'Annonciation, la réponse de Marie à Dieu a été confiante et directe. Le Fondateur voulait que nous ne soyons pas moins généreux dans notre "Oui." À la Règle de 1837 il a ajouté une prière spéciale : "Abandon à la Très Sainte Mère de Dieu."

Qu'apprenons-nous de la personnalité de notre Fondateur en réfléchissant à sa dévotion mariale ? Beaucoup. Marcellin était un homme qui, avec le temps, était devenu de plus en plus conscient de ses limites. Il s'était rendu compte que les talents nécessaires pour l'aventure qu'il vivait dépassaient ses compétences naturelles. Comment alors expliquer son succès ? Avec une conscience sincère, notre Fondateur a donné à Marie tout le mérite pour ce qui avait été accompli, parce qu'il avait toujours recherché son soutien et qu'il avait suivi son inspiration le plus fidèlement possible.

 

Marie des anawim, de Nazareth, du Nouveau Testament, d'aujourd'hui

 

Mais qu'en est-il pour nous aujourd'hui ? Quelle est la place de Marie dans la spiritualité de notre Institut, dans votre vie et la mienne, à l'aurore d'un nouveau millénaire ? D'abord, il est bon de reconnaître la riche diversité qui existe dans l'Institut quand il est question de Marie. Bien des pays se la représentent par des images adaptées ; ils ont leurs propres lieux de pèlerinage et jours de fête.

Cela dit, nous devons admettre cependant que notre compréhension et notre appréciation de cette extraordinaire femme de foi ne diffèrent pas tellement aujourd'hui de celles qu'avaient les croyants du 19ièmesiècle. Cette constatation peut aider à expliquer pourquoi la dévotion mariale a décliné depuis Vatican II, à la fois dans notre Eglise et dans notre Institut. Nous avons figé la mère de Jésus dans le temps, nous l'avons emprisonnée dans les images des artistes de la Renaissance, placée sur un piédestal, et mise hors dé notre portée.

Maintenant, à l'aurore du 21ièmesiècle, nous avons besoin comme Institut d'une nouvelle appréciation de Marie : une appréciation en accord avec les enseignements de Vatican II, et, en même temps, qui respecte les traditions riches et variées encore bien visibles parmi nous. Il est incontestable que cette femme de courage et de force, si importante pour Marcellin, a une place centrale dans notre spiritualité, comme elle l'avait dans la sienne.

 

Notre défi.

 

Le monde du 19ième siècle était très différent du nôtre. Par exemple, nous sommes beaucoup plus conscients de notre multiculturalisme et des différences qui existent parmi nous. Paradoxalement, nous nous sentons en même temps plus proches que jamais, et nous avons plus de chance de nous comprendre les uns les autres, que peut-être à n'importe quel autre temps de l'histoire. C'est pour ce monde et cette Église que nous devons inventer un nouveau langage pour parler de Marie. En quelques mots : ce qu'il nous faut aujourd'hui c'est une théologie mariale adaptée au 21ièmesiècle. Et, pour qu'elle ait une réelle influence, elle doit être solide, elle doit nous affermir spirituellement et nous provoquer moralement.

Le Concile Vatican II nous a appris que la sainteté et l'absence de péché ne sont pas contraires aux choses simples et aux événements quotidiens de notre vie terrestre. Au contraire, la grâce de Dieu nous plonge tous au cœur du monde.

La vie de Marie a été un authentique périple humain. Le nier pour faire sortir Marie des rangs de notre humanité est injuste pour elle et pour nous. Cette femme de foi n'a jamais été, et ne sera jamais, divine. Continuer d'attribuer à Marie des titres qui l'apparentent à Dieu apporte de la confusion au lieu de la clarté.

Marie était une femme juive de son temps qui observait le Sabbat et toutes ses pratiques connexes avec la ferveur spéciale des anawim, des pauvres de Yahvé, parmi lesquels on la trouvait. Sa vie était ordinaire et cachée. Nous avons ici une femme qui cherchait, s'inquiétait, riait et pleurait, ne comprenait pas tout, et qui devait, en route, découvrir son chemin d'étape en étape. La vie ne l'a pas épargnée. Marie a vécu plutôt le lot humain qui nous incombe à tous avec les larmes, la détresse, les ennuis, l'agonie et la mort, mais aussi, avec le courage et la grandeur.

Bien que des artistes nous la dépeignent, depuis des siècles, lisant le dernier livre de l'Ancien Testament, attendant avec espoir la visite de Gabriel, et la nouvelle qui assurerait sa place dans le premier livre du Nouveau Testament, Marie était, en toute probabilité, analphabète comme la grande majorité des hommes et femmes de son temps. Thérèse de Lisieux nous rappelle que nous aimons Marie, non parce que la mère de Dieu a reçu des privilèges exceptionnels, mais plutôt parce qu'elle a vécu et a souffert simplement, comme nous, la nuit obscure de la foi. Marie, fille de cette terre, a eu des passions et des joies humaines. Elle a partagé toutes les inquiétudes humaines que nous éprouvons aujourd'hui.[14]

Mais Marie a aussi attendu avec espoir la venue du Messie. Et parce qu'elle regardait toujours le monde avec les yeux de la foi, elle a pu, peu à peu, le reconnaître dans le Serviteur Souffrant que son Fils était. Humaine comme nous tous, elle a fait avec courage des choix difficiles, et elle est devenue avec le temps la sœur aînée dans la communauté naissante de l'Église. Tout en tenant fermement à l'image de notre Bonne Mère, si chère à Marcellin, nous sommes de plus en plus conscients aujourd'hui que Marie est notre sœur dans la foi, et une prophétesse dans la Communion des Saints.

Personnellement j'espère souvent, qu'en enlevant à Marie le fardeau d'être la femme idéale ou quelqu'un de plus grand que la vie, qu'en la descendant du piédestal où nous l'avons placée, elle pourra enfin être elle-même dans notre Eglise et notre Institut.

 

Les petites vertus

de simplicité et d'humilité

 

La pratique des vertus de simplicité et d'humilité forme le troisième élément essentiel de la spiritualité de notre Fondateur. La simplicité caractérisait Marcellin Champagnat. Il était direct, enthousiaste, confiant. Il encourageait ses frères à développer les mêmes traits.

Marcellin était un homme humble ; en grandissant il en est venu à se connaître et à s'accepter. Le Fondateur n'était pas prétentieux. De même, il nous a mis au défi, nous ses frères, d'être sincères et simples.

Les relations du Fondateur avec les enfants révèlent vite ces deux qualités. Il a exprimé son amour des enfants et des jeunes en des façons étonnamment directes. On le considérait excellent catéchiste, parlant facilement au cœur des jeunes pour rejoindre leurs préoccupations. Il se renseignait sur leur éducation et leur catéchisation ; souvent on l'entendait dire, "Je ne puis voir un enfant sans éprouver l'envie de lui faire le catéchisme, sans désirer lui faire connaître combien Jésus-Christ l'a aimé. " (V 549)

L'épisode que nous désignons aujourd'hui sous le nom de Souvenez-vous dans les neiges est un autre exemple de la simplicité et de l'humilité de notre Fondateur. Cet épisode met en lumière des aspects de la personnalité et de la spiritualité de Marcellin.

Pourquoi d'abord Marcellin a-t-il entrepris ce voyage? Son souci pour un frère malade. Le grand amour du Fondateur pour les premiers frères était une de ses qualités les plus mémorables. Le monde de Marcellin peut paraître petit par comparaison à celui de beaucoup de gens d'aujourd'hui. Mais il n'y avait rien de petit dans son cœur. Son amour se traduisait toujours en action. Un frère était-il malade que notre Fondateur se mettait en route sur-le-champ pour le visiter.

Cela dit, on peut se demander ce qui l'a poussé à entreprendre le voyage retour malgré la menace d'une tempête de neige. Certains estimeront imprudent ce voyage retour de Bourg-Argental par notre Fondateur.

Quelles que soient les raisons qui ont motivé l'heure de son retour, nous pouvons imaginer que son sens de la présence de Dieu et sa confiance en Marie et en sa protection l'ont poussé à entreprendre le voyage, là où d'autres auraient hésité. Son recours au Souvenez-vous en face du danger n'a pas été le dernier effort d'un homme mourant. Marcellin était conscient de la présence permanente et puissante de Dieu à ce moment de sa vie; Marie l'avait aussi déjà secouru assez souvent pour qu'il compte sur sa protection avec la confiance simple d'un petit enfant. Oui, sa foi en la présence salvatrice de Dieu l'accompagnait en tout temps, et il se fiait à Marie sans réserve. Le Souvenez-vous dans les neiges a été simplement une manifestation extérieure de l'approfondissement spirituel auquel Marcellin était parvenu.

 

Croissance spirituelle

 

Comment appliquer à notre vie actuelle ce que nous venons de discuter de la spiritualité de Marcellin ? Tout d'abord apprenons qu'il est exigeant de s'engager avec Jésus quand il fixe lui-même les conditions. Car il nous demande de l'imiter, et non pas de l'admirer ; et cela implique embrasser le Mystère pascal. Si nous désirons être transformés, nous devons d'abord apprendre à être à l'aise avec la souffrance et la mort.

Deuxièmement, comment se développe toute relation avec Jésus, et qu'est-ce qu'il faut pour la maintenir ? Pour commencer, les auteurs spirituels de tous les siècles ont fait de la prière personnelle un élément essentiel de toute relation avec le Seigneur. L'itinéraire spirituel de Marcellin a été influencé au départ par ses relations avec sa mère et sa tante Louise. Arrivé au séminaire, Marcellin développe sa vie spirituelle par la discipline et par des moments réguliers de prière, de pénitence, et par d'autres pratiques qu'il a introduites dans sa vie.

Pour que s'approfondisse le lien que nous avons, Vous et moi, avec le Seigneur, nos moments de prière personnelle doivent aussi s'amplifier de façon naturelle pour devenir réguliers et prolongés. Que veut dire, concrètement, l'expression "réguliers et prolongés ?" Idéalement, une heure par jour. Mais cet objectif est quelque chose vers lequel nous approchons, dans le temps, et à l'invitation de Dieu.

Vous et moi avons le plaisir d'être en compagnie de Jésus vingt-quatre heures par jour, sept jours par semaine. Si nous sommes sérieux dans notre relation avec lui, nous voudrons lui rendre la pareille en lui fournissant le plaisir de notre compagnie pendant au moins une heure par jour. Cette pratique préconisée depuis longtemps et l'intégrité morale qui l'accompagne caractérisent doublement les gens qui se préoccupent de leur vie spirituelle.

Nous pouvons regimber à l'idée de trouver une heure ininterrompue pour la prière personnelle au milieu d'une journée déjà bien remplie. Nous pouvons aussi évoquer l'article de nos Constitutions maristes qui prescrit trente minutes de prière personnelle par jour. Mais soyons honnêtes : est-ce que n'importe qui parmi nous pourrait convaincre quelqu'un, qu'il n'a qu'une demi-heure par jour à consacrer à ce qu'il déclare être la relation la plus importante de sa vie ?

Frères, l'activisme qui sévit dans la vie d'un bon nombre d'entre nous dans l'Institut frise la pathologie. Pour plusieurs parmi nous, c'est la plus grande menace à notre vie intérieure, et ici, je m'inclus parmi ceux qui doivent lutter contre cette menace[15].

Pourquoi cet activisme représente-t-il une telle menace ?[16] Parce que trois aspects de cette vie turbulente contribuent à engourdir l'esprit et le cœur d'une personne: croire que tout dépend d'elle, attribuer à l'efficacité une importance qu'elle ne mérite pas, et enfin, éviter le défi de la solitude en remplissant tous ses moments libres avec du travail, de l'amusement, ou d'autres activités. Pour ceux d'entre nous qui sommes littéralement submergés par l'activisme, la solitude est une épreuve terrible ; elle nous oblige à nous confronter à nous-mêmes. C'est triste à dire, bon nombre d'entre nous semblons vouloir prendre tous les moyens aujourd'hui pour éviter cette confrontation avec nous-mêmes.

 

Pour trouver un remède

 

Ceux qui ont participé au Synode sur la Vie Consacrée nous ont rappelé que, comme frères, nous sommes importants dans notre Église à cause de ce que nous sommes, et non pas à cause de ce que nous faisons. On aime citer Basilio, qui aurait dit que, en tant qu'Institut nous semblons exceller davantage au travail qu'à la prière. Ce constat est probablement encore exact.

Un provincial m'a dit récemment qu'il pensait que la plupart des frères de sa province se lèveraient une heure plus tôt qu'à l'ordinaire pour finir un travail pressant si on le leur demandait. Cependant, il ne pouvait pas s'imaginer qu'un nombre égal de frères se lèveraient soixante minutes plus tôt pour faire une heure de plus de prière, ou même pour participer à une activité sociale avec la communauté. Pourtant, la plupart d'entre nous apprenons cette dure leçon avec le temps : une vie de prière de plus en plus approfondie nous soutient sur le chemin de la vie, alors que davantage de travail ne nous apporte aucun réconfort.

Qu'est-ce qui nous empêche de prier ? Je crois que, en partie, nous évitons la prière parce que nous nous sentons si inadaptés quand arrive le moment de bien prier. Si votre prière ressemble tant soit peu à la mienne, assez souvent elle est remplie de distractions : les soucis du jour, les appels téléphoniques, le travail à faire, et à faire tout de suite. Oui, il y a des jours où tout, sauf Dieu, semble s'infiltrer dans mes prières.

Mais peut-être devrions-nous voir en ces distractions des rappels que nous n'avons rien à faire pour mériter l'amour de Dieu. Cet amour nous est donné gratuitement, sans conditions. Comme Marie, nous pouvons répondre 'oui' à l'amour ou le rejeter, mais il n'est pas question de tenter de le mériter. Cette dernière qualité d'un religieux est la plus difficile à accepter pour nous. Pourquoi ? En partie parce que nous nous sentons embarrassés par cette passion sans limites de Dieu pour nous. Ce qui à la fin nous donne le courage de répondre à Dieu, c'est que notre faim et soif de Lui dépassent de beaucoup notre égoïsme et notre péché.

Cela dit, je dois souligner combien ce sujet est important. Nous avons discuté depuis des années de notre besoin de prière personnelle, et nous avons parlé de nos échecs dans ce domaine depuis aussi longtemps. Pourtant, une étude informelle des raisons données par les frères, qui ont demandé leur dispense de vœux au cours des dix dernières années, démontre que le manque de vie spirituelle est l'une des deux raisons les plus souvent invoquées. Ne serait-ce que pour cette raison, nous ne pouvons plus continuer de fuir ce problème et d'esquiver la recherche d'une solution.

 

Le monde de Marcellin et le nôtre

 

Marcellin Champagnat est devenu un saint, non pas à cause de ses propres mérites, mais plutôt parce qu'il a accueilli la grâce de Dieu dans son cœur, où elle a pris racine et a fleuri. Cela est suggéré dans son Testament Spirituel : " Il y a des peines pour vivre en bon religieux, mais la grâce adoucit tout." (Cf. Const. p 172)

Comme pour Marcellin, ainsi que pour vous et moi, Jésus doit occuper la première place dans notre vie. Le caractère distinctif de notre mode de vie a toujours été notre profession publique de vivre pleinement et radicalement la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ comme le but de notre vie.

Depuis notre fondation en 1817, le monde mariste est devenu de plus en plus complexe. Aujourd'hui, par exemple, l'Institut se retrouve dans 77 pays, et on compte des frères d'un nombre de cultures encore plus grand. La langue, les coutumes et les traditions varient d'un pays à l'autre et, assez souvent, dans le même pays. Nous devons tenir compte de tous ces développements dans la discussion sur notre identité et sur la spiritualité de Marcellin.

Par exemple, ces dernières années, l'intérêt pour la spiritualité inspirée par l'écologie s'est développé dans certaines parties du monde. Dans le futur, on pourra étudier la contribution de l'écologie à la spiritualité, de la même manière que nous étudions présentement Marcellin sur son chemin vers Dieu. Lorsque nous le ferons, nous devrons cependant tenir compte que nos connaissances écologiques ont été influencées par notre culture. Ainsi, toute discussion fructueuse tiendra compte des connaissances écologiques dans les cultures traditionnelles, dans les traditions religieuses asiatiques, et dans les cultures contemporaines.

Cela dit, il faut admettre que, bien que nous soyons un Institut répandu dans le monde entier, nos paroles et actes ne réussissent pas à refléter cette réalité. Le plus souvent, nos discussions sur nos manières de vivre, ou même sur notre spiritualité, continuent à représenter une façon très occidentale de penser. Parfois aussi, notre comportement et notre langage révèlent la croyance inexprimée et, à mon avis, erronée, que certaines cultures sont fondamentalement meilleures que d'autres.

Nous ne sommes pas seuls, cependant, à désirer nous transformer, en paroles et en actes, en un Institut universel. Le regretté théologien allemand Karl Rahner a suggéré, il y a déjà trente ans, que notre Eglise affrontait ce même défi à la fin du 20ième siècle: être de moins en moins une Église chrétienne occidentale et de plus en plus une Église universelle. Donc, si nous continuons à discuter des sujets de la spiritualité de Marcellin et de l'identité contemporaine de ses Petits Frères, ce souci d'universalité – pour nous-mêmes, notre Institut, et notre Église – doit être toujours présent à notre esprit.

 

Croissance

dans l'Esprit de Dieu

 

Nous avons vu que la relation de Marcellin avec le Seigneur s'est développée dans le temps. Dans sa jeunesse il se disciplinait en suivant un horaire quotidien et en adoptant des activités fixes afin de développer des "habitudes" de prière. Ainsi avec les années, il est arrivé à un point où sa relation avec Jésus était devenue une seconde nature.

Il a embrassé le Mystère pascal, développé sa prière personnelle et vécu avec une grande rectitude morale. Mais quelles autres pratiques recommandées par Jésus notre Fondateur a-t-il utilisées pour nourrir sa vie spirituelle ? Nous pensons surtout à trois: une passion pour la justice, un cœur reconnaissant, une participation à une communauté de foi. Un mot bref sur chacune.

On ne s'étonnera pas de retrouver le souci des pauvres au haut de la liste des attitudes et actions essentielles pour nourrir la vie spirituelle. Pour Jésus, il y avait deux commandements de base : aimer Dieu et aimer le prochain. Au chapitre 25 de Matthieu, Jésus affirme sans ambages que nous serons jugés sur notre façon de traiter les pauvres. Comme nous les traitons, ainsi nous traitons Dieu.

Nous nous trompons si nous pensons que nous pouvons entrer en relation avec Dieu sans nous occuper des membres les plus faibles de notre société, et sans examiner sévèrement comment notre propre façon de vivre contribue à leur malheur. Une spiritualité authentique ne peut pas se couper des pauvres et de leurs soucis, et de la nécessité de bâtir une société juste.

Il n'y a pas de vie spirituelle possible non plus si nous n'avons pas un cœur reconnaissant. Après tout, la sainteté est alimentée par la gratitude. Il va de soi, donc, que seuls les cœurs reconnaissants peuvent transformer spirituellement notre monde. Le récit de l'Enfant Prodigue illumine ce dernier point. Les deux fils sont "hors de la maison de leur père", l'un par infidélité et faiblesse, l'autre par amertume et colère.

Selon la coutume du temps, tout fils avait droit à son héritage, même du vivant de son père. Mais ce dernier, toute sa vie durant, était assuré de toucher les intérêts sur les avoirs transférés à ses fils. En prenant son héritage et en s'en allant dans un pays étranger, le cadet privait son père des intérêts qui lui étaient dus. Il a péché, non pas tellement par son mode de vie dissolue dans un pays étranger, que parce qu'il voulait symboliquement la mort de son père[17].

Mais son frère aîné n'était pas meilleur. Il a fait toutes les bonnes choses pour toutes les mauvaises raisons. Il n'y avait pas de fête dans son cœur. Jésus nous demande de n'imiter aucun des deux fils, mais il nous encourage plutôt à regarder le cœur reconnaissant du père et à faire nôtre sa compassion.

Enfin, la spiritualité a une dimension personnelle et communautaire. Dieu nous appelle non seulement en tant qu'individus, mais aussi en tant que groupe. Quelques-uns d'entre nous trouvent ce fait difficile à accepter. Nous voulons Dieu, mais nous ne voulons pas d'institutions comme l'Eglise. Son humanité pécheresse nous embarrasse. Notre quête de Dieu, cependant, doit avoir une dimension communautaire ; elle ne peut jamais être qu'une quête individuelle. Nous faisons bien, alors, de nous rappeler que nous appartenons à cette Eglise trop humaine et pécheresse, celle qui est si souvent la cible de nos critiques.

 

Quelques applications pratiques

 

Tout cela est bien beau, direz-vous encore une fois, mais comment cet entretien sur la spiritualité, la passion, Marcellin, et le travail de renouvellement, forme-t-il un tout? Permettez-moi d'offrir quelques points d'application pratiques. D'abord, j'ai mentionné ci-dessus que dans les congrégations qui ont subi une ou plusieurs renaissances au cours de leur histoire, on retrouve un trait constant : leurs membres avaient entrepris une véritable conversion du cœur en renouvelant leur vie de foi ; cela avait produit une plus grande focalisation sur Jésus-Christ. Ce point est vital : l'aspect le plus important de notre identité comme frères est notre identité spirituelle.

Ellen Gaynor, OP, qui a servi d'oncologiste au regretté Cardinal Bernardin de Chicago, Illinois, avant qu'il ne meure d'un cancer, a écrit de façon émouvante sur l'homme, et au sujet de l'influence qu'il a eu sur elle. Elle parle de sa foi et de l'immense courage qu'il a démontré dans les semaines qui ont précédé sa mort.

La vie et la mort du Cardinal nous rappellent que le témoignage personnel demeure un outil puissant pour promouvoir le message de Jésus-Christ[18]. Ce qui devient évident d'emblée, cependant, c'est que tout le monde savait que Joseph Bernardin était, avant tout et par-dessus tout, un prêtre. Notre identité première de religieux et de frères doit être aussi claire pour nous que pour tous ceux avec qui nous entrons en contact.

Rien n'est plus propice que la Parole de Dieu pour développer notre vie personnelle de prière, et parvenir ainsi à une plus grande intimité avec Dieu. Tout temps passé à prier avec l'Ancien et le Nouveau Testament porte ses fruits.

De tout temps, la prière communautaire dans la vie consacrée a été modelée par les réalités concrètes de la vie religieuse, tant dans sa forme que dans sa fréquence. Situation vraie pour la vie religieuse en général et aussi pour notre Institut. Très souvent le catalyseur pour cette adaptation de la prière communautaire a été une directive d'un Chapitre général, ou un développement dans l'Eglise en général, ou encore un manque de temps causé par l'apostolat.

C'est triste à dire, mais des préoccupations plus nobles ont eu moins d'influence ; il est rare qu'une communauté s'interroge sur sa vie de prière en se posant des questions du genre : comment voulons-nous louer Dieu en tant que groupe ? quelle est la meilleure manière de célébrer en communauté notre faim et soif de Jésus ?

Ce qui nous aide encore est de nous fixer un temps précis chaque jour pour la prière personnelle, et de considérer ce temps comme un rendez-vous sacré qu'on ne peut pas manquer. Je trouve, par exemple, que si je ne me fixe pas un temps de prière le matin, les chances sont élevées pour que ma prière personnelle de cette journée particulière soit écourtée. Le soir je ploie sous la fatigue, et les occupations du jour ne m'ont pas permis d'accorder un temps plus long à la prière personnelle. D'où l'importance d'un horaire approprié.

Un autre moment important de notre journée pour cultiver l'intimité avec Jésus-Christ est celui de la prière communautaire. Ici, cependant, le défi est souvent plus grand que pour la prière personnelle, à cause de nos différences de personnalité, d'âge, d'expériences et de formation. Il faut encore mentionner que les prières proposées à notre usage commun ont souvent une origine et une nature qui les rendent différemment compréhensibles aux membres de la communauté.

Il se peut que vous vous trouviez mal à l'aise à la lecture de ce dernier paragraphe. Après tout, sa conclusion logique poussée à l'extrême voudrait que, si on se sert des questions précédentes pour organiser la prière communautaire, on aboutisse à une incroyable multiplicité de formes, styles, etc. … Des images de confusion dignes de la Tour de Babel s'emparent de notre l'esprit!

Mais nous avons, cependant, nos Constitutions maristes et les riches traditions de notre Institut pour nous guider, bien que plusieurs d'entre nous puissent avoir besoin qu'on leur rafraîchisse la mémoire sur ces sujets avant de présenter leurs idées à la communauté. Pour nous aider dans notre réflexion sur la prière communautaire, nous puisons dans nos expériences apostoliques, communautaires et autres expériences de notre vie quotidienne, et nous examinons l'évolution de la prière communautaire dans la vie religieuse en général.

Prenons maintenant quelques minutes pour regarder l'évolution historique de notre prière communautaire, et pour la situer dans le contexte d'une brève histoire de la prière communautaire dans les congrégations religieuses, depuis le temps des Pères du Désert jusqu'à nos jours. Cela dit, nous nous sentirons sans doute plus à l'aise pour regarder de plus près notre manière de célébrer la présence aimante de Dieu parmi nous chaque jour.

 

Une brève histoire

de la prière communautaire

 

Pour peindre à gros traits, commençons notre étude de l'évolution de la prière communautaire dans les congrégations religieuses avec les communautés bénédictines du Moyen Âge. Leurs membres favorisaient l'Office divin qui, en ce temps-là, consistait à chanter les psaumes, et à les entrecouper de lectures tirées des Pères de l'Église.

Au 10ième et 11ième siècles, cependant, l'Eucharistie – élevée maintenant à la position suprême parmi toutes les prières de l'Église – avait usurpé la position privilégiée de l'Office divin et avait pris sa place au centre de la journée monastique.

Entrant en scène au haut Moyen Âge, les Cisterciens et les Béguines se sont montrés très révolutionnaires dans leur approche de la prière personnelle et communautaire et de la spiritualité. Ils ont souligné l'intention derrière la prière formelle. Leur "mysticisme affectif," comme on l'appelait, en est venu à inclure, avec le temps, un nombre d'expressions mystiques de la prière comme les transes, les lévitations et les stigmates.

Au 16ième siècle, Ignace de Loyola avait développé une nouvelle technique pour la méditation structurée qui se centrait sur la vie du Christ et les grandes vérités de la foi. Sa contribution apporta des changements dans la manière de prier de nombreuses congrégations religieuses. Plutôt que d'insister sur la récitation de l'Office divin ou la contemplation mystique, Ignace encourageait ses confrères jésuites à pratiquer les "exercices spirituels" pendant leur retraite annuelle. Ces exercices étaient fondés sur la méditation discursive, qui mettait en jeu les facultés de la mémoire, de l'intelligence et de la volonté.

Ces nouvelles méthodes sont devenues vite populaires parmi les membres de beaucoup de congrégations nouvelles. Plusieurs d'entre elles, fondées au 19ième siècle, ont adopté la pratique d'une retraite annuelle, et ont fait de la méditation la base de leur prière communautaire selon l'esprit de Saint Ignace. Des réflexions structurées sur des sujets choisis d'avance ont remplacé le mysticisme affectif si populaire autrefois. Pour ceux d'entre nous, formés avant le Concile de Vatican II, la manière structurée et ignacienne de méditer était très familière ; elle était même la méthode qu'on nous a enseignée de préférence à toutes les autres.

Avec l'arrivée du 19ième siècle, beaucoup de nouvelles communautés apostoliques ont mis l'Office divin de côté. Plusieurs prières de dévotion l'ont remplacé telles que les neuvaines, le chapelet, les prières du matin et du soir, et les litanies. Ces pratiques reflétaient ce qui se passait en même temps ailleurs dans la communauté catholique.

Mais pourquoi choisir des prières de dévotion au détriment de l'Office divin ? Bien qu'une explication complète compterait de multiples raisons, disons simplement qu'on ne se servait pas communément de l'Office, parce que la récitation de toutes ses heures entravait la pratique de l'apostolat. Dans la pensée de plusieurs, on ne pouvait pas s'adonner à l'enseignement ou aux soins des malades et, en même temps, s'arrêter toutes les trois ou quatre heures pour la prière communautaire.

Malheureusement, avec le temps, la prière mystique ou contemplative est tombée en désuétude et ceux qui aspiraient à la continuer étaient jugés prétentieux. On en est venu à considérer la contemplation comme une activité réservée à un petit groupe d'élites spirituelles. Cette idée erronée nous a appauvris en tant qu'Eglise. Si, comme religieux dans l'apostolat, nous devons être des contemplatifs en action, nous devons être attentifs aussi à la dimension contemplative de cette définition que nous nous sommes donnée, tout autant qu'à la dimension importante de l'action.

Le style et la forme de la prière communautaire qui existent dans notre Institut et dans d'autres Instituts ont évolué avec le temps, et à chaque étape au long du chemin, ils se sont librement inspirés de la pratique ecclésiale du jour. Aujourd'hui, comme nous réfléchissons à la spiritualité de Marcellin et que nous peinons pour développer une prière communautaire appropriée et vivifiante pour un Institut de notre taille et envergure, il importe d'avoir en mémoire ce développement de la prière communautaire dans la vie religieuse.

Plus important encore, nous devons mieux comprendre les origines de notre propre prière communautaire. Seulement alors pourrons-nous évaluer les nombreuses façons nouvelles et innovatrices de louer Dieu, surgies récemment dans notre communauté catholique, et pourrons-nous identifier celles qui sont les plus propices à renouveler la prière communautaire d'un Institut multiculturel.

 

Quelques réflexions

sur notre prière communautaire mariste

 

Notre Institut, comme tant d'autres, a sa propre histoire de la prière communautaire. Certains d'entre nous se rappelleront, par exemple, le temps où le Petit Office de la Vierge Marie, récité en latin bien sûr, servait de support à notre prière. Aujourd'hui nous aurions probablement bien du mal à en trouver un exemplaire !

Nous savons que le chant ou la récitation du Salve Regina au commencement et à la fin de chaque journée n'était pas la coutume dans notre Institut à son origine. Ce n'est qu'en 1830 que Marcellin a ajouté cette pratique. La "deuxième" Révolution française battait son plein et le Fondateur, dans sa grande dévotion à Marie, a ajouté le Salve pour demander à Marie de protéger sa petite communauté et ses membres pendant ce dur temps de conflit civil.

Le Frère Louis-Marie, notre troisième Supérieur général, est l'initiateur, paraît-il, des invocations que nous récitons tous les matins. Il s'inquiétait des conditions de voyage de nos frères qui partaient établir l'Institut en Afrique du Sud. Cette Province, avant sa restructuration, a célébré son 100ièmeanniversaire ; nous pouvons donc supposer sans risque de nous tromper que nos frères y sont arrivés sans mésaventure! Les invocations récitées avec tant de ferveur par leurs contemporains, afin d'assurer leur bon voyage, continuent encore aujourd'hui à faire partie de la prière du matin de tant de nos communautés.

 

Un dernier mot sur la prière

personnelle et communautaire

 

Marcellin savait que la spiritualité, vécue dans la prière personnelle et communautaire, est au cœur de nos vies de Petits Frères. Sans prière et sans spiritualité, nous dérivons bientôt loin des idéaux de notre mode de vie. La prière personnelle quotidienne doit être le puits auquel nous nous rafraîchissons régulièrement.

La prière communautaire était tout aussi importante pour Marcellin. Pour la ré-imaginer et la renouveler, cependant, il faut prendre des risques. D'abord, le risque de partager avec les autres membres de ma communauté quelque chose de ma relation avec Jésus. Si vous et moi désirons trouver de nouveaux moyens adaptés pour louer Dieu, nous devons être prêts à partager quelque chose de notre spiritualité personnelle, si difficile que ce partage puisse être pour certains d'entre nous.

Ensuite, nous devons nous rendre compte de ce que notre Eglise fait ailleurs en matière de prière communautaire. De nos jours, le Peuple de Dieu poursuit beaucoup d'initiatives nouvelles pour louer Dieu.

Finalement, nous devons respecter les différences culturelles. Même si nous appliquons nos présentes Constitutions, notre prière communautaire ne sera pas uniforme dans toutes les parties du monde, mais si elle s'inspire du rêve de Marcellin, elle sera animée du même esprit.

 

Quelques remarques pour conclure

 

Nous voici donc arrivés à la fin de cette circulaire. En concluant, n'oublions pas que, bien que notre Institut sorte d'une période qui a été, à la fois, bénie et laborieuse, il continue à faire face à des tâches formidables et à des défis compliqués. Le travail qui reste à faire exigera non moins que ce qu'il a fallu pour arriver jusqu'ici : des esprits ouverts, de la détermination à renoncer à des idées qui divisent, et beaucoup de sacrifices.

Comme je l'ai dit ci-dessus, cette circulaire ne parle que d'un aspect de notre identité de Petit Frères de Marie, bien que ce soit le plus important. Les membres de notre 20ième Chapitre général nous ont lancé le défi de "centrer passionnément nos vies et nos communautés star Jésus-Christ, comme Marie. Et, pour cela, mettre en œuvre des processus de croissance humaine et de conversion " (n° 18).

Leur Message est certes une gageure, mais il comporte sa mesure de joie. Et aujourd'hui la joie doit être très évidente dans notre vie et mission de Petits Frères de Marcellin. Comme l'un de mes frères me disait récemment : " Ne serait-il pas merveilleux pour vous et moi d'arriver à la fin de notre vie mariste, en nous disant qu'il n'y a eu aucun mérite de notre part, parce que nous avons tellement savouré cette belle vie mariste ? "

Alors, debout ! Au travail ! Le défi qui est devant nous est clair, et nous avons les ressources pour le relever. Mais ce défi n'a-t-il pas été le même depuis la fondation de notre Institut le 2 janvier 1817 ? Marcellin nous a invité à aimer Dieu et à travailler à le faire connaître et aimer, nous disant que cela devrait être notre vie de frère. En décrivant ainsi notre vocation, il nous rappelait qu'au cœur de notre identité de Petits Frères de Marie, aujourd'hui et maintenant, doit se trouver, par dessus tout, Jésus-Christ et sa Bonne Nouvelle.

Bénédictions et affection.

 

Seán Sammon, FMS

Supérieur général

 

 

Note : Trouvez un endroit paisible où vous pourrez réfléchir à ces questions. Faites-le à un moment où vous n'êtes pas pressés par le temps. Prenez carnet et stylo, et notez les pensées, sentiments, inspirations que vous estimez valoir la peine de conserver. Plus tard, envisagez un partage avec d'autres qui ont fait pareille réflexion. Les notes prises vous seront utiles pour une telle discussion, ou encore plus tard, pour vous rafraîchir la mémoire.


 

QUESTIONS POUR REFLECHIR

 

1 Quels aspects de la spiritualité de Marcellin vous attirent * et vous vont droit au cœur ? Les retrouvez-vous dans votre propre spiritualité aujourd'hui ? Si oui, de quelle manière ?

 

2 D'autre part, quels aspects de la spiritualité de Marcellin vous troublent ou ne réussissent pas à vous toucher au cœur ? Soyez précis, si possible, et essayez de noter quelques-unes des raisons pour lesquelles ces aspects vous semblent désagréables.

 

3 Quelles sont les plus grandes satisfactions que vous éprouvez et les plus grandes difficultés que vous affrontez dans votre vie de prière personnelle, et dans votre vie de prière communautaire ? Ce que vous avez lu de Marcellin et de sa spiritualité vous aide-t-il à surmonter de façon plus satisfaisante les difficultés que vous rencontrez ? Si oui, comment au juste ?

 

4 Les discussions sur la prière communautaire peuvent parfois mener à des incompréhensions et à des relations tendues, le résultat contraire de ce qu'une vie de prière ensemble devrait procurer à une communauté. Essayez de rêver pendant les prochaines minutes : A quoi ressemblerait dans l'idéal la vie de prière d'une communauté d'aujourd'hui, en tenant compte de l'âge, du tempérament, de la culture, et de la compréhension de la vie religieuse de ses membres ? Comment discuter de ce sujet plus librement dans votre communauté ? Quels résultats attendez-vous de cette discussion ?

 

5 Qui est Marie pour vous aujourd'hui ? Comment votre image de Marie a-t-elle changé, si tel est le cas, depuis le temps de votre formation ?

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Remerciements

Un mot de remerciement aux membres du Conseil, aux frères de l'Institut, et à certains amis et collègues qui ont lu les avant-projets de cette circulaire, et ont fait plusieurs suggestion utiles. Ma reconnaissance va à chacun d'eux, et tout spécialement à Luis Sobrado et aux membres de la communauté du Conseil qui ont manifesté leur patience à mon égard tout au long de sa rédaction. Merci aussi à Sœur Marie Kraus, SDN de Namur, et au frère Gérard Brereton, FMS, qui ont édité le texte anglais, et à ceux qui l'ont traduit en français (F. Joseph Bélanger, FMS, F. Louis Richard, FMS, et Gilles Beauregard, FMS), en portugais (Ricardo Tescarolo) et en espagnol (F. Carlos Martin Hinoja fms.

Ma reconnaissance va à tous et à chacun.


[1]Catherine de Vinck, p.33. A Time to gather: selected poems. Combermer, Ontario : Alléluia Press, 1967 and 1974.

[2]Eugène Burnand (1850-1921). Les disciples Pierre et Jean courant au sépulcre le matin de la Résurrection. Musée d'Orsay, Paris, acquis en 1898.

[3]John Padberg, SJ, in Laurie Felknor (Ed.). The Crisis in Religious Vocations: An Inside View. Mahwah, NJ, Paulist, 1989.

[4]Voir les Actes du 20ièmeChapitre général. Institut des Frères Maristes des Écoles, Rome, mai 2002.

[5]Document du 20ièmeChapitre général de l'Institut des Frères Maristes des Écoles. Choisissons la Vie, Rome, 13 octobre, 2001.

[6]Unification de notre vie P.A.C. no 1, p. 92 dans Textes du XVII° Chapitre général, Frères Maristes des Écoles, Rome, Italie, 1976.

[7]Cf. Testament spirituel de Joseph Benoît Marcellin Champagnat, dans Constitutions et Statuts des Frères Maristes des Écoles, Rome, 1986, p. 172.

[8]Concile œcuménique Vatican II, Lumen gentium, chap. VI, no 43, Éditions du Centurion, Paris, 1967.

[9]Bruce Lescher, in Michael Meister, FSC, Blessed Ambiguity: Brothers in the Church. Winona, MN: St. Mary's Press, 1993.

[10]  Unification de notre vie P.A.C. no 1, p. 92 dans Textes du XVII° Chapitre général, Frères Maristes des Écoles, Rome, Italie, 1976.

[11]  Avis, Leçons, Sentences. Librairie Catholique Emmanuel Vitte, Lyon-Paris, 1927, chap. XXIII.

[12] Ronald Rolheiser, OMI, The Holy Longing: The Search for Christian Spirituality. New York: Doubleday, 1999.

[13] Bernard Lonergan, Method in Theology. London: Herder and Herder, 1972.

[14] Elizabeth Johnson, CSJ, Truly our sister: A Theology of Mary in the Communion of Saints. New York: Continuum, 2003

[15] Ronald Rolheiser, OMI, Against an Infinité Horizon: the Finger of God in our Everyday Lives. New York, Crossroad, 2001.

[16]  Ibid.

[17]  Voir : Henri J.M. Nouwen. Le retour de l'enfant prodigue: revenir à la maison, Bellarmin, 1995.

[18]Joseph Cardinal Bernardin. The Gift of Peace. London: Darton, Longman and Todd, 1998.

 

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