Circulaires 409

La vie apostolique mariste aujourd?hui Seán Sammon

2006-06-06

Faire connaître et aimer Jésus

Introduction
1ère partie
Fondements
2e partie
Identité et vie apostolique mariste
aujourd’hui
3e partie
Mission, vie apostolique et les pauvres
4e partie
Mission ad gentes
Conclusion
Appendice
Remerciements
Notes

409

Faire connaître et aimer Jésus 

La vie apostolique mariste aujourd'hui

Frère Seán D. Sammon, FMS

Supérieur général

Institut des Frères Maristes

Volume XXXI, no. 3  409

6 juin 2006

 Titre de l'original en anglais:

Making Jesus known and loved: Marist apostolic life today

Traduction :

Fr. Joannès Fontanay, fms

Editeur :

Institut des Frères Maristes Maison générale Rome, ITALIE

Production et Administration :

Frères Maristes

Piazzale Marcellino Champagnat, 2

00144 Roma, ITALIE

Tél. (39)06 545171

Téléc. (39)06 54517217

publica@fms.it

www.champagnat.org

Mise en page et photolithographie :

TIPOCROM S.R.L.

Via A. Meucci, 28

00012 Guidonia (Roma), ITALIE.

Impression:

C.S.C. GRAFICA, S.R.L.

Via A. Meucci, 28

00012 Guidonia (Roma), ITALIE.

Photographie :

Archives de la Maison générale

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TABLE DES MATIÈRES

Deutéronome 30………………………………………………………………………. P……. 5 

Introduction……………………………………………………………………………… P……. 7 

     1ièrepartie

Fondements…………………………………………………………………………….. P……. 23 

     2ièmepartie

Identité et vie apostolique mariste aujourd'hui………………………………. P……. 49 

     3ièmepartie

 Mission, vie apostolique et les pauvres………………………………………. P……. 63 

     4ièmepartie

Mission ad gentes…………………………………………………………………….. P……. 93 

Conclusion………………………………………………………………………………. P……. 111 

Appendice……………………………………………………………………………….. P……. 115 

Remerciements……………………………………………………………………….. P……. 125 

Notes……………………………………………………………………………………… P……. 125 

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Le Seigneur ton Dieu

Te circoncira le cœur

A toi et à ta descendance,

pour que tu aimes le Seigneur ton Dieu

de tout ton cœur, de tout ton être,

afin que tu vives !

 

Oui, ce commandement que je te donne aujourd'hui

n'est pas trop difficile pour toi,

il n'est pas hors d'atteinte.

Il n'est pas au ciel ; on dirait alors

« Qui va pour nous monter au ciel

nous le chercher et nous le faire entendre

pour que nous le mettions en pratique ? »

 

Il n'est pas plus au-delà des mers ; on dirait alors :

« Qui va, pour nous, passer outre-mer

nous le chercher et nous le faire entendre

pour que nous le mettions en pratique ? »

 

C'est la vie et la mort que j'ai mises devant vous

C'est la bénédiction et la malédiction.

Tu choisiras la vie pour que tu vives

Toi et tes descendants.

Deutéronome 30: 6. 11-15. 19

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INTRODUCTION 

Le 6 juin 2006

Fête de saint Marcellin

      Chers Frères,

Cette circulaire est la dernière des trois circulaires prévues sur notre identité comme Frères de Marcellin et sur l'identité des laïcs qui nous sont associés aujourd'hui. La première circulaire, Une révolution du cœur, a abordé le sujet à partir de la spiritualité du Fondateur, tandis que la seconde De merveilleux compagnons l'a envisagée à partir d'une vision de la vie communautaire. Cette troisième circulaire examine notre identité dans le contexte de la mission de l'Église et de nos activités apostoliques dans l'Institut.

Il est vrai que nous avons à disposition d'abondantes richesses maristes pour ce que nous appelons communément notre apostolat. Par exemple nos Constitutions et Statuts[1]ont non seulement un chapitre sur ce sujet mais aussi de nombreuses références supplémentaires sur ce point tout au long de leur texte.

La Mission éducative mariste[2], un ouvrage bien connu des éducateurs maristes, fut écrit et publié à la suite d'une enquête auprès de frères et laïcs, hommes et femmes, impliqués dans les activités de notre Institut de par le monde. Aussi surgit la question : Pourquoi une circulaire sur la mission et sur les activités qui en découlent ?

Pour trois raisons.

Tout d'abord, la mission est au cœur de notre manière de vivre. Notre identité comme Institut se construit autour d'elle ; en vue de la mission notre vie ensemble en communauté prend forme. Nous comprenons dès lors qu'il nous faut atteindre une vision rénovée de notre charisme et un accord plus total sur ce qui fait le cœur de notre activité apostolique si nous devons concevoir une nouvelle identité qui nous entraîne comme frères aujourd'hui et qui nous aide à mieux comprendre l'identité et le rôle important et progressif des laïcs maristes dans la vie et les œuvres de notre Institut.

Deuxièmement, dans l'Église en général et dans notre Institut en particulier, le zèle pour la mission ad gentes a peu à peu disparu depuis la fin du Concile Vatican II. Des documents écrits au cours de ce rassemblement historique ont mis en doute la croyance alors communément répandue que le salut ne pouvait se trouver qu'au sein de l'Église catholique. En conséquence, beaucoup, dont certains missionnaires chevronnés, ont commencé à douter du sens et du but de leurs efforts d'évangélisation.

Dans notre Institut aussi les effets de ce changement d'orientation sont devenus évidents avec le temps. Par exemple, en 1989 nous avions 553 frères enregistrés comme engagés dans la mission ad gentes, leur moyenne d'âge étant de 51 ans. Or en 2004, les 596 frères ayant le même engagement avaient une moyenne d'âge de 64 ans. Tandis qu'en cette 4e année du nouveau siècle il y avait réellement 43 frères de plus au service de la mission ad gentes que 15 ans plus tôt, l'âge moyen du groupe avait considérablement augmenté. Toutes choses étant égales, il y peu de raison de prévoir que cette tendance va changer dans un proche avenir. Qu'en se- ra-t-il du long terme ? Dans les prochaines années, le nombre de missionnaires en activité venus des pays occidentaux sera vraiment peu important.

Certains suggéreront que la situation de la mission ad gentes actuellement en fléchissement est due à un manque de zèle à la fois dans l'Eglise et dans notre Institut mariste. En fait la situation est bien plus complexe ; aucune explication simple ne peut pleinement en donner la raison. Aussi la mission ad gentes mérite notre réflexion pour au moins deux raisons : d'abord, pour mieux comprendre ce qui est arrivé dans ce domaine important de la vie de l'Eglise et de notre Institut pendant les quatre dernières décennies et ensuite, pour décider de l'action à entreprendre pour y répondre.

En troisième lieu, Marcellin aimait à dire « Aimer Jésus et le faire aimer, voilà ce que doit être la vie d'un frère. » Bien dit pour son époque, bien dit pour aujourd'hui. Mais à quoi doit ressembler cette description provocatrice pour notre temps, dans un Institut devenant de plus en plus multiculturel, qui est présent dans 76 pays du monde ?

Et quelle forme devrait-elle prendre, suivant notre appel à servir les jeunes et les enfants pauvres, étant donné l'âge moyen avancé dans certaines unités administratives, la nature changeante des institutions, les nouveaux besoins qui surgissent chez les jeunes dans diverses parties du monde et la progression en cours de la participation des laïcs maristes à travers tout l'Institut ? Ce ne sont que quelques-unes des questions que je voudrais examiner dans les pages qui suivent.

Tout en lisant ce texte, ayez bien présent à votre esprit à la fois Marcellin et Marie. Pourquoi Marcellin ? Parce qu'aujourd'hui plus que jamais il nous faut avoir sa vision et son esprit d'audace. Traité d'imprudent par certains parce qu'il s'endettait pour construire l'Hermitage, il fit la remarque suivante : « C'est ainsi que j'ai toujours agi; si j'avais attendu d'avoir l'argent avant de commencer, je n'aurais jamais mis une pierre sur l'autre. »

Quand le bâtiment principal était en construction, un ami qui lui rendait visite lui demanda quelles ressources il envisageait d'utiliser pour payer cette entreprise audacieuse. « Je prendrai l'argent là où je l'ai toujours pris dans le trésor de la Providence[3]» fut sa réponse pleine de confiance.

Avoir Marie présente à notre esprit est tout aussi important. A la Visitation, elle porta le Christ à Jean le Baptiste avec simplicité, générosité et charité ; elle Le présenta aux bergers et aux mages avec les mêmes dispositions. Et Marie attendit que les premiers signes de foi prennent naissance parmi les apôtres pour se mettre en retrait de sorte que toute leur attention se centre sur Jésus[4]. Nous ferons bien de tenir compte de son exemple et d'imiter son comportement.

Structure de cette circulaire

Cette circulaire comprend quatre parties. La première vise à donner une compréhension des fondements historiques et théologiques de nos activités apostoliques. Par conséquent, je commence par considérer la signification du charisme et de la relation qu'il y a entre consécration et mission, puis, je continue en examinant brièvement ce que Marcellin et nos Constitutions et Statuts maristes nous disent au sujet de la mission et la nature de nos œuvres.

Dans la deuxième partie, j'examine le sujet de l'identité et de la vie apostolique maristes aujourd'hui. Ainsi j'aborde un certain nombre de sujets : les ressemblances et différences qui existent entre la vocation d'un Frère de Marcellin et celle d'un partenaire laïque mariste, la place de choix de l'école catholique et la nécessité de nouvelles orientations apostoliques, la place des efforts apostoliques de notre Institut parmi les autres activités de l'Église, la place et le rôle des institutions dans nos efforts pour répandre l'Évangile.

La troisième partie est consacrée à l'ardent désir du Fondateur de faire connaître et aimer Jésus par les jeunes et les enfants pauvres. Que signifie aujourd'hui cette orientation alors que nous nous trouvons dans 76 pays et que nous avons à faire à encore un plus grand nombre de cultures ? Aussi quels pièges devons-nous éviter en nous efforçant de mettre notre attention pour les pauvres de Dieu au cœur de toutes nos œuvres ?

Ce qui est peut-être le plus frappant dans cette troisième partie de la circulaire, c'est mon utilisation répétée de l'expression « les jeunes et les enfants pauvres » plutôt que l'expression plus courante « les enfants et les jeunes, spécialement les plus abandonnés ». J'ai choisi la première plutôt que la seconde pour diverses raisons. D'abord, dans ses lettres, le Fondateur parlait souvent des jeunes et des enfants pauvres quand il réfléchissait au but de notre Institut.

Aussi l'emploi d'expressions telles que « les moins favorisés » et « une option préférentielle mais non exclusive pour les pauvres » donne l'impression de ne rien faire d'autre que d'atténuer ce qui a été un appel clair et constant de la part de l'Église et de nombreux Chapitres généraux et provinciaux depuis la fin de Vatican II. Il nous faut choisir comment répondre de notre mieux à ce défi en tant qu'Administration générale, Provinces et Districts.

Ceci étant dit, nous devons aussi nous rappeler que lorsque nous nous efforçons de répondre aux appels à nous engager avec les plus marginalisés, nous parlons d'un changement profond de notre cœur. Peu importe le lieu où les frères de ma province ou de mon district me demandent de servir, je dois porter en moi un cœur ouvert aux pauvres.

Je termine la circulaire par un débat sur la mission ad gentes. Aujourd'hui, bien des experts suggèrent que les temps où les peuples se sont convertis au christianisme en grand nombre touchent à leur fin[5]. Si leur intuition se révèle exacte, alors il est d'autant plus nécessaire pour nous d'avoir une vue très claire du sens et du but de notre Institut aujourd'hui. Sans cela nous ne pourrons pas prendre des décisions courageuses sur nos apostolats et dans bien d'autres domaines de notre vie.

Pour bien comprendre le sens et la place de la mission ad gentes dans notre vie mariste aujourd'hui, nous devons aussi clarifier ce que signifie être Église aujourd'hui. Depuis Vatican II, dans bien des parties du monde nous nous sommes écartés du modèle d'une Église triomphante et nous avons entrepris de nous décrire comme une communion, le Peuple de Dieu, des serviteurs prophétiques[6]. Quand nous pensons à la mission, nous en sommes aussi venus à comprendre que nous pouvons utiliser d'autres termes que « l'envoi en mission »[7], des termes tels que rassemblement et solidarité.

Le terme de solidarité par exemple nous aide à apprécier le fait que Dieu a confié à Jésus la mission non seulement d'être avec nous et de nous révéler notre Dieu, mais aussi de vivre pleinement une vie humaine. Jésus a partagé la vie des gens ordinaires de son temps. Leurs luttes pour la vie étaient les siennes, et aussi leurs déboires et leurs joies, leur sens de l'histoire et leur conscience d'être un peuple aimé et sauvé par Dieu.

Par conséquent la mission de Jésus ne fut pas quelque chose qu'il choisit en sus de devenir homme ; sa mission fut de partager notre vie. L'orientation de vie vint de sa solidarité avec les gens ordinaires de son époque[8].

Étant au cœur de la mission de Jésus, la solidarité doit aussi être au cœur de la mission de l'Église, donc au cœur de mon travail et du vôtre. Comme Lui, nous devons prendre part à la vie et aux conditions d'existence des gens parmi lesquels nous avons été appelés à servir, en comprenant toujours que le partage de la vie d'une communauté n'est pas un préliminaire à la mission mais plutôt au cœur de sa signification[9]. Mais alors est-ce que cette notion ne va pas de soi ? La communauté et l'esprit de service sont des éléments essentiels de toute vie qui mérite le nom de chrétienne.

Vous et moi, nous ferions bien alors d'examiner notre vie et nos œuvres avec les yeux et le cœur de ce simple prêtre de campagne et de ce Père Mariste que nous appelons notre Fondateur. Il a engendré ses Petits Frères de Marie en vue d'une mission. Il a envisagé notre vie apostolique comme étant au cœur de notre identité comme frères.

En disant ceci, je ne veux pas dire que Marcellin nous a conçus comme des travailleurs pour l'Église, mais plutôt qu'il a insisté pour que tous les aspects de notre vie – prières, communauté, structures pour la direction et l'animation de l'Institut, et bien d'autres aspects – existent pour le service de la mission. 

Le 20ieme Chapitre Général

Le message « retourne-toi, repens-toi et vis » que l'on trouve au chapitre 30 du Livre du Deutéronome a inspiré les membres de notre 20ième Chapitre général, en les aidant à trouver un foyer et une structure pour leur réunion et en enrichir les résultats. L'expression « Choisissons la Vie » est devenue leur mot d'ordre, et a inspiré de façon manifeste leur message final.

Depuis la fin de cette assemblée, nous sommes progressivement devenus plus conscients de ce qu'il va nous coûter à chacun de nous personnellement et à notre Institut dans son ensemble si la même profonde expérience de conversion proposée aux Israélites doit être la nôtre : rien de plus et rien de moins que la circoncision de nos cœurs.

Le prix en sera demandé dans tous les domaines de notre vie, y compris celui de nos œuvres apostoliques. Ces œuvres ont autant à faire avec une attitude du cœur qu'avec une activité spécifique. On ne peut jamais les réduire uniquement à une série de services, bien qu'ils soient rendus au nom du Seigneur. 

Une discussion continuelle

Avec peut-être une exception pour la formation initiale, depuis la fin de Vatican II, peu de sujets ont provoqué autant de discussions et parfois de dissensions dans certaines régions de l'Institut que nos œuvres apostoliques. Qui devons-nous servir ? Où devons- nous servir ? Que sommes-nous appelés à faire ? Ce sont des questions dont les membres de nos Provinces et Districts des cinq continents continuent à débattre.

Nous sommes face à un double défi aujourd'hui quand nous en venons à toute discussion sur la mission et l'activité apostolique. Le premier c'est d'éviter de nous tromper nous-mêmes. Quand nous sommes confrontés à la nécessité de prendre des décisions au sujet de nos implications apostoliques, nous devons être sûrs que c'est l'œuvre de Dieu que nous faisons et non la nôtre. Pendant tout processus de discernement, par exemple, nous pouvons ressentir de la nostalgie, de la peur ou craindre de heurter un groupe ou un autre. Bien que ces éléments puissent faire naturellement partie de ce processus, ils ne doivent jamais être les critères retenus pour prendre une décision apostolique.

Pour bien discerner, il nous faut en arriver à un état d'indifférence spirituelle. Si vous et moi avons un jour à examiner pleinement le défi de la vie apostolique mariste aujourd'hui, il nous faut prier pour obtenir cette grâce d'indifférence.

Le second défi que nous avons à affronter aujourd'hui dans le domaine de la mission et de la vie apostolique, c'est de savoir lire les signes des temps. Nous devons être sans crainte pour accomplir ce devoir, et cela suppose non seulement d'étudier et d'analyser ces signes mais aussi d'entreprendre l'action nécessaire découlant de nos découvertes.

Voici un exemple. Les membres du 20ième Chapitre général ont affirmé cette conviction : « … l'éducation est un lieu privilégié de l'évangélisation et de la promotion humaine. » En même temps ils ont aussi proposé un défi. « Nous brûlons du désir que nos institutions soient plus porteuses d'évangile et promotrices de justice. Nous proclamons le droit à une éducation pour tous et nous voulons impliquer notre mission mariste dans cet engagement[10]. »

Comme notre Fondateur, s'exprimant au sujet des institutions éducatives, les membres du Chapitre sont allés au-delà de la demande de programmes et de moyens adaptés, de programmes correspondant aux besoins et aux aptitudes des étudiants, et de haut niveau académique. Ils ont décrit les écoles et les autres institutions maristes comme des communautés où les jeunes apprennent prendre l'évangile au sérieux. Nos efforts pour fusionner la foi religieuse et le projet d'éducation et de formation de la future génération devraient être évidents pour tous ceux qui rendent visite à nos institutions.

En tant que frères de Marcellin et partenaires laïques maristes, nous sommes appelés à faire connaître et aimer Jésus aux jeunes et aux enfants pauvres. Confronté au monde de la France après la Révolution de 1789, Marcellin prit très vite conscience de la nécessité d'avoir des idées neuves et des initiatives apostoliques audacieuses. Comme bien d'autres fondateurs avant lui, il y répondit avec audace en utilisant les moyens à sa disposition. L'Eglise dans son ensemble a bien souvent abordé son rôle missionnaire de la même façon.

Aujourd'hui, par exemple, nous vivons dans un monde où la mondialisation façonne le contexte dans lequel nous agissons, et ainsi nous sommes appelés une fois encore à assurer notre apostolat de façons à la fois renouvelées et nouvelles. Les progrès en technologie donnent des moyens qui n'étaient pas à la disposition de la plupart des gens il y a quelques décennies. Aujourd'hui cependant, pour de nombreuses raisons, ces avantages sont hors de portée de millions de personnes vivant dans des conditions indignes de leur dignité humaine. Actuellement, dans le monde, il y a près de 200 millions d'enfants qui sont exclus des rudiments d'éducation[11]et 800 millions d'adultes qui sont illettrés[12].

Cette situation a été décrite plus complètement par un groupe qui s'est réuni à Rome au mois de novembre 2005 pour participer à une rencontre des Académies pontificales des Sciences et des Sciences sociales pour étudier le sujet de la Mondialisation et l'Education. Ses membres en ont conclu que l'éducation reste extraordinairement inégale pour la population mondiale et que le « fossé d'inégalité » s'élargit entre les écoles fréquentées par les pauvres et celles dont les élèves ne sont pas pauvres. De plus, ils ont souligné que l'enseignement primaire en particulier reste très insuffisant dans certaines parties du monde et que les acquisitions de base si souvent enseignées à ce niveau-là – la lecture, l'écriture et le calcul – sont devenues insuffisantes dans le contexte mondial[13].

Le rapport des Nations Unies sur la Jeunesse 2005 a aussi cité la mondialisation dans sa liste des cinq domaines prioritaires d'inquiétude pour les enfants et les jeunes partout dans notre monde. Les quatre autres étaient : l'influence des technologies sur l'information et la communication, le sida/VIH, l'engagement sans précédent dans les conflits armés et les différences entre générations[14].

Les difficultés que nous avons à affronter sont donc évidentes. Ce qui reste en question est notre type de réponse. Est-ce que les démarches que nous faisons pour affronter les défis de la mission et de la vie apostolique seront des démarches innovatrices et tournées vers le futur, jusqu'au point d'être même totalement inattendues et courant le risque de pénétrer dans des territoires inexplorés ?[15]Ou est-ce que l'histoire estimera nos plans comme n'étant guère plus qu'une tentative de restaurer le passé ?

Aussi, nous devons nous poser ces questions :

•Quels sont les buts et la place de l'école catholique aujourd'hui dans les nombreux pays et les nombreuses cultures où l'Institut est présent, et comment ces institutions pourraient être renouvelées et transformées pour mieux répondre aux besoins des enfants pauvres et des jeunes ?

•Quelles initiatives au nom de la justice devrions-nous entreprendre avec les nouvelles générations ?

•Quelles réponses pouvons-nous apporter aux besoins nouveaux qui apparaissent parmi les jeunes et les enfants pauvres, ceux qui sont sans logement ou sans famille, ceux qui sont marginalisés dans les sociétés dans lesquelles ils vivent, ceux qui sont réduits en esclavage, exploités, sans espoir ?

•Quel est notre rôle dans les programmes d'éducation qui cherchent à créer plus de compréhension, de réconciliation et de guérison chez les jeunes catholiques et leurs pairs d'autres religions, aussi bien que dans les communautés et les nations auxquelles ils appartiennent ?

•Enfin, que signifient les changements qui se produisent dans notre monde pour la mission confiée à notre Institut ?

Alors que nous devons éviter les pièges du passé, nous ne pouvons pas éviter le défi de travailler avec d'autres pour créer une nouvelle vision morale, qui convienne à un monde multiculturel où la dimension internationale est la norme plutôt que l'exception.

En 1903, nos frères de France ont affronté leur propre épreuve d'innovation. Comme conséquence de ce qu'on a communément appelé les lois de sécularisation, durant cette seule année, plus de 900 frères ont quitté leur pays. Un nombre à peu près équivalent est resté. Pendant les années suivantes, les membres de chaque groupe ont eu leurs moments de doute et d'épreuves, mais tous ont fait une contribution très importante à l'histoire de l'Institut, de l'Église et du monde dans son ensemble.

De façon fondamentale, ceux qui ont quitté la France ont aidé à déplacer le centre des efforts de l'Institut de l'Europe vers un monde plus vaste. Avec quels résultats finalement ? L'ensemble complexe et multiculturel de disciples, frères et laïcs maristes aussi, qui existent aujourd'hui, au travail dans tous les continents.

Ceux qui sont partis en mission ad gentes il y a plus d'un siècle avaient peu de préparation spécifique pour ce qui les attendait. Cependant, ils avaient beaucoup de foi, la volonté de faire confiance à Marie et à sa protection, la vertu de simplicité et un esprit d'audace et de zèle. Disons-le simplement : ils vivaient le rêve de Marcellin et de son cœur généreux. Et ce qui est tout aussi important, ils ont répondu aux signes de leur temps de façon innovante et tournée vers l'avenir.

Quelque éprouvants que les événements de 1903 aient pu être, nous comprenons rétrospectivement quelle bénédiction ils sont devenus pour l'Institut et sa mission. Aujourd'hui, une fois encore, comme groupe, nous avons besoin de nous approprier l'esprit de 1903. En le faisant, non seulement nous rallumerons notre passion pour la mission ad gentes mais nous élargirons aussi nos horizons et deviendrons plus aptes à répondre aux besoins de l'Eglise dans les zones marginales d'aujourd'hui et de notre époque. 

Défis pratiques

Nous affrontons beaucoup de défis aujourd'hui dans notre vie apostolique. Dans plus d'une Province, par exemple, les frères restent divisés sur l'objectif approprié de notre travail. Certains pensent que nos énergies sont les mieux employées à travailler dans des écoles et d'autres institutions qui depuis des années aident l'Église et les jeunes de façon excellente, et qui ont la possibilité de continuer à le faire aussi bien pendant ce nouveau siècle. D'autres, dans les mêmes unités administratives, sont également convaincus que les besoins nouveaux et urgents chez de nombreux jeunes aujourd'hui sont d'évidents « signes des temps » qui nous appellent ailleurs à ce moment de notre histoire.

Dans d'autres Provinces et Districts, bien des frères semblent avoir perdu leur orientation pour ce qui est de notre apostolat. En l'absence d'un plan provincial dans ce domaine, leur travail manque souvent de but et leurs contacts avec les enfants et les jeunes sont pleins d'hésitation. Certains aussi qui se sont trouvés écartés du monde des jeunes redoutent que toute initiative de leur part pour y retourner ne soit qu'un échec.

Enfin dans quelques Provinces et Districts, il y des frères qui ont perdu tout sens de mobilité. Ayant passé la plus grande partie de leur vie religieuse à travailler dans la même activité ou la même région de leur Province ou District, ils sont maintenant effrayés d'un changement et ainsi, ils refusent de se déplacer ou même de faire face à un besoin évident. C'est triste à dire, tout en étant impliqués dans une activité de l'Institut, ils ne vivent peut-être plus une vie de mission.

Ceci étant dit, commençons. 

 

QUESTIONS POUR RÉFLÉCHIR

Veuillez prendre quelques instants pour lire les questions ci-dessous et y répondre. Elles sont ici pour vous aider à réfléchir sur ce que vous avez lu dans les dernières pages. Ayez à votre disposition une plume ou un crayon et un bloc de papier pour le cas où vous voulez prendre des notes, écrire une expression ou une pensée que vous aimeriez retrouver, ou noter une réflexion plus importante. Gardez ces notes ; elles vous seront utiles par la suite, soit pour les retrouver soit pour toute discussion sur ce que vous avez lu.

I

Que signifie pour vous personnellement le mot mission ? Comment est-il généralement compris par les frères de votre Province ou District ? A la lumière de votre définition, quelles œuvres apostoliques spécifiques de votre unité administrative estimez-vous être conformes à notre mission ?

2

 Décrivez toutes tensions autour de la mission et de la vie apostolique qui existent actuellement dans votre Province ou District. Quelle en est, d'après vous, la cause profonde et que peut-on faire pour y faire face ? Maintenant réfléchissez un moment sur les domaines d'accord collectif sur la mission et notre apostolat dans votre Province ou District à ce moment de son histoire. Comment en est-on arrivé à un consensus sur ce sujet ?

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PREMIÈRE PARTIE

Points fondamentaux 

Il y a plusieurs années, j'ai rencontré un prêtre dans un atelier ici à Rome ; c'était le recteur d'un des séminaires de langue anglaise de la ville. Au cours de notre conversation, j'ai appris qu'il avait aussi été élève d'une de nos écoles maristes de l'ancienne province de Grande-Bretagne. Il m'a parlé longuement et avec gratitude de son éducation mariste. Comme nous arrivions à la fin de nos échanges, cet homme d'âge mûr a résumé ses impressions par ces mots : « J'étais un garçon de la classe ouvrière lorsque j'ai rencontré vos frères. Quand je revois aujourd'hui cette époque de ma vie, je comprends que ces hommes m'ont donné beaucoup plus que des connaissances. Oui, ils ont fait beaucoup plus que cela : vos frères m'ont ouvert une fenêtre sur le monde, à moi et à beaucoup d'autres. »

Est-ce que ce résultat n'était pas en partie ce que le Fondateur avait en vue quand en janvier 1830 il adressa ces mots de tendresse et d'encouragements à Fr. Barthélémy : « Que je voudrais avoir le bonheur d'enseigner, de consacrer d'une manière plus immédiate mes soins à former ces tendres enfants ! »[1]

Le message de Marcellin à Barthélémy continue comme suit : « Que votre occupation est relevée. Qu'elle est sublime ! Vous êtes continuellement avec ceux avec qui Jésus-Christ faisait ses délices, puisqu'il défendait expressément à ses disciples d'empêcher les enfants de venir à lui. Et vous, mon cher ami, non seulement vous ne voulez pas leur empêcher, mais vous faites tous vos efforts pour les lui conduire.

Dites à vos enfants que Jésus et Marie les aiment bien tous : ceux qui sont sages parce qu'ils ressemblent à Jésus-Christ qui est infiniment sage, ceux qui ne sont pas encore sages parce qu’ils le deviendront. Dites-leur aussi que la Sainte Vierge les aime aussi parce qu'elle est la mère de tous les enfants qui sont dans nos écoles. Dites-leur aussi que je les aime bien moi-même, que je ne monte pas une fois au saint autel sans penser à vous et à vos chers enfants[2]. »

Quelques années plus tard, vers la fin juillet 1833, Marcellin écrivit une fois de plus sur le travail de son Institut. Cette fois-ci, cependant, sa lettre était adressée à Mgr Alexandre Raymond Devie de Belley. Le Fondateur demandait un report de la date de la prise en charge par les frères d'une école près de la commune de Chaveyriat. Cette lettre est éminente à cause des remarques du Fondateur sur le but de l'Institut ; il écrivait : « J'ai de plus en plus de l'attrait pour cette bonne œuvre qui, bien examinée, ne s'écarte pas de mon but puisqu'elle concerne principalement l'éducation des pauvres[3]. »

Dans les lettres du Fondateur, il en est d'autres qui se réfèrent à l'apostolat. Trois, par exemple, ont été écrites en réponse à une demande pour que des frères travaillent dans une institution pour les malentendants qui se trouvait à Saint-Etienne[4]. Marcellin voulait accepter ce projet mais il voulait d'abord que ses frères soient formés. S'impatientant de l'attente, les autorités de la ville se tournèrent finalement vers les Frères des Écoles Chrétiennes.

Pourquoi citer ces lettres au Fr. Barthélémy, à Mgr Devie, et celles qui concernaient l'institution des malentendants ? C'est pour donner au Fondateur l'occasion de s'exprimer en ses propres termes sur le but de l'Institut. C'est aussi pour illustrer que le cœur de notre charisme mariste repose sur ces trois éléments : premièrement, l'expérience de l'amour de Jésus et Marie pour chacun d'entre nous, deuxièmement, l'ouverture et la sensibilité aux signes de notre temps, et troisièmement, un amour concret des enfants et des jeunes, surtout ceux qui sont en grands besoins[5]

« Il nous faut des frères. »

Le projet du Fondateur de créer une communauté de frères enseignants remonte au temps de son séminaire. Une fois qu'il eut été installé dans son premier poste en paroisse à La Valla, de nombreux facteurs l'ont poussé à mettre ce plan à exécution.

Tout d'abord, il devint très sensible à l'état de l'éducation en France à cette époque. Et c'est avec raison. A la suite de la Révolution, le système scolaire de la nation était en crise. Les établissements primaires, qui existaient presque partout avant 1789, avaient presque tous disparu[6]et la plupart des enseignants à l'époque de Marcellin sont décrits par au moins un historien de cette époque comme « irréligieux, ivrognes, immoraux et la lie de la race humaine[7]. »

La Valla aussi n'échappait pas aux conséquences de cette triste situation. Le Fondateur en conclut rapidement qu'en dépit des réformes éducatives de Napoléon, la qualité de l'instruction de l'école des enfants du village n'était pas ce qu'elle devrait être. Pareillement, un rapport sur la région de la Loire où se trouve La Valla décrivait ce tableau inquiétant sur l'état de l'éducation : « Les jeunes vivent dans la plus profonde ignorance et s'adonnent à une vie dissolue très inquiétante[8]. »

Les préoccupations de Marcellin sur l'état de l'enseignement en France à cette époque et les directives de Louis XVIII pour que chaque paroisse assure l'instruction de tous les enfants, y compris ceux dont les familles ne pouvaient pas payer, ont dû peser lourdement sur son esprit et son cœur, ce matin où il fut appelé auprès du lit de Jean-Baptiste Montagne qui était mourant.

De diverses façons la rencontre de Marcellin avec le jeune homme l'a aidé à voir plus clairement la mission que l'Esprit avait préparée pour lui. Il trouvait là une victime de l'exclusion. Son besoin évident de réconfort et d'instruction sur la foi a décidé de la réponse du Fondateur et finalement a consumé toute sa vie.

Alors qu'il ne peut y avoir aucun doute qu'en créant notre Institut, Marcellin répondait au besoin intense d'assurer une bonne instruction religieuse aux jeunes et aux enfants pauvres et de sa région, il y a des raisons pour croire que sa vision était plus large que cela. Pour le Fondateur, l'éducation était plus qu'un moyen pour transmettre quelques notions et quelques chiffres, ou même des principes de notre foi. Pour Marcellin Champagnat, l'éducation était un moyen puissant de former et de transformer les esprits et les cœurs des enfants et des jeunes.

Par exemple, il écrivait : « S'il ne s'agissait que d'enseigner les sciences humaines aux enfants, les frères ne seraient pas nécessaires… Si nous ne prétendions que donner l'instruction religieuse, nous nous contenterions d'être de simples catéchistes… Mais notre but est de faire mieux ; nous voulons… leur donner l'esprit, les sentiments du christianisme, les habitudes religieuses, les vertus du chrétien et du bon citoyen. Pour cela il faut que nous soyons instituteurs, que nous vivions au milieu des enfants, et qu'ils soient longtemps avec nous[9]. »

Le Fondateur voulait que les efforts de ses premiers frères créent une profonde différence dans la vie de tout enfant ou jeune confié à leurs soins. Et il les encourageait aussi à prier pour ceux qu'ils étaient appelés à servir, à les aimer et à gagner leur respect. Du point de vue de Marcellin, ses frères et tous ceux qui leur étaient associés devaient être des apôtres de la jeunesse. Par conséquent, le temps passé parmi les enfants et les jeunes devait être important, leur présence était marquée par un esprit de fraternité plus que tout autre chose et leur enthousiasme pour parler de l'amour de Jésus et de Marie était clairement affirmé. 

Le charisme

Nous avons souvent entendu dire que par-delà les ; dons de sa personnalité et les circonstances historiques, le charisme du Fondateur eut une influence prépondérante pour donner forme à sa personne et à l'orientation de sa vie. Mais que signifie réellement ce mot ? Il n'est pas facile de répondre à cette question.

Tout d'abord, au long de l'histoire le charisme a été défini de façons diverses. Certains ont utilisé ce terme pour décrire un type de personnalité spécifique ou pour caractériser certains mouvements. D'autres ont insisté pour dire qu'il a trait à des réalisations spécifiques en harmonie avec les inspirations d'un père fondateur. Malheureusement aucune de ces définitions ne jette beaucoup de lumière sur notre de style de vie aujourd'hui ou sur l'importance qu'y tiennent le rôle et la place du charisme.

Il est important d'en arriver à une juste définition du mot charisme pour une toute autre raison. Sans charisme, nous serions incapables d'apprécier pleinement les appels de Marcellin dans sa vie ou la nôtre. Donc pour ce motif, le charisme se définit comme un don gratuit de l'Esprit pour le bien de l'Eglise et l'utilité de tous[10]. Nous ne devrions pas le confondre avec la grâce. Un charisme est accordé à cause de l'amour de Dieu pour le monde, la grâce à cause de l'amour gratuit de Dieu pour la personne[11].

Saint Paul a écrit longuement au sujet des charismes. Leur présence universelle et leur caractère unique l'ont intrigué. Il a souligné qu'un charisme était donné à telle personne et un autre à telle autre, mais pour le bien de tous[12]. Paul nous a aussi aidés à comprendre que le charisme qui fait partie de la vie de chacun d'entre nous est un élément important pour cette transformation progressive du cœur qui devrait marquer nos vies. Pour lui, la présence de l'amour était la meilleure indication qu'une conversion avait eu lieu, un amour qui se montrait plus par des actes que par des mots vides. Lorsqu'il écrit à la communauté chrétienne de Corinthe, Paul a fait la même remarque : l'Amour est patient, aimable et il ne plastronne pas[13].

Malheureusement, à part dans les textes de Paul, le terme charisme n'apparaît pas souvent dans le Nouveau Testament. En conséquence, la plupart d'entre nous aujourd'hui ont peine à croire que nous avons nous-mêmes un don personnel de l'Esprit pour le bien de tous. Et c'est ainsi que nous affrontons le défi de mieux comprendre les nombreuse façons dont Dieu choisit d'être présent en nous pour le bien de tous. 

Le charisme dans un institut religieux

Quand le mot charisme est utilisé en référence à un Institut religieux, il prend une signification différente

de celle qui s'applique à un individu. Il y a deux raisons à cette différence : le charisme d'un Institut se prolonge dans le temps et il a été façonné par bien des personnes différentes. La présence de ces deux éléments, la durée dans le temps et l'influence de bien des personnes différentes déplace un charisme du domaine personnel à celui de l'Eglise universelle.

Pendant les années qui ont suivi Vatican II, les écrits du Pape Paul VI ont grandement contribué à nos connaissances sur les charismes et nous ont aidés à clarifier leur signification pour notre époque. « Le charisme de la vie religieuse » écrit-il « loin d'être né de 'la chair et du sang' ou de découler d'une mentalité qui se conforme au monde moderne est le fruit de l'Esprit-Saint qui est toujours à l'œuvre au sein de l'Eglise[14]. » Le Pape a poursuivi en vue d'identifier plusieurs signes caractéristiques de la présence d'un charisme : la fidélité au Seigneur, l'attention aux signes des temps, des initiatives audacieuses, la constance dans le don de soi, l'humilité pour supporter l'adversité et le désir de faire partie de l'Église.

Le charisme qui a été donné à l'Église et au monde par Marcellin Champagnat est donc beaucoup plus que j certaines œuvres estimées conformes à sa vision originelle, plus qu'un style de prières ou d'une spiritualité particulière – si importants qu'ils puissent être – et plus qu'un composite des qualités qui ont été celles de la vie du Fondateur.

Le charisme de notre Institut n'est rien moins que la présence du Saint Esprit. Permettre au Saint Esprit de travailler en nous et à travers nous peut donner naissance à des résultats surprenants. L'histoire suivante illustre ce point.

En 1686, après plus de trente années d'exil à Bilbao en Espagne, deux Irlandaises, membres de la Congrégation dominicaine, sont reparties pour leur terre natale. Elles l'ont fait à la demande instante du Provincial des Frères de Saint Dominique de ce temps ; il estimait que les conditions étaient assez sûres pour rouvrir un couvent à Galway dans l'Ouest de l'Irlande.

Acceptant le défi, Juliana Nolan et Mary Lynch firent route vers leur pays dans un bateau découvert. Elles le firent en sachant bien qu'à leur arrivée en Irlande elles devraient faire face à bien des inconnues. Quand l'histoire complète et définitive de la vie dominicaine dans l'Église sera écrite, ces deux femmes vont y tenir des places importantes. Elles ont supporté l'exil, la guerre, les soulèvements politiques, les lois pénales humiliantes contre les catholiques, les voyages risqués et l'insécurité financière pour restaurer la vie dominicaine dans le pays de leur naissance. Mary avait 60 ans quand elle entreprit cette tâche, sa compagne Juliana avait 75 ans[15].

Qui, sinon le Saint Esprit, pourrait donner à aucun d'entre nous le courage pour faire ce qu'ont fait ces deux femmes ? Un authentique renouveau a un prix et parfois le prix qu'on nous demande de payer peut être vraiment très élevé. Si nous sommes vraiment intéressés par le renouveau de notre Institut aujourd'hui, cependant, il nous faut mettre de côté des excuses telles que l'âge, le tempérament, la crainte de l'avenir etc. et poursuivre le travail à notre portée.

Certains des meilleurs éléments de la vie religieuse apostolique sont le zèle, l'esprit de foi, l'endurance et l'audace pour accepter un grand défi. Ces qualités étaient sûrement évidentes dans la vie de Marcellin Champagnat.

Le Fondateur a été le premier à saisir et à vivre le charisme mariste, et il l'a fait avant qu'il soit mis en forme dans des coutumes et des règles. Et le même charisme a bien continué à être évident dans sa vie pendant

les années qui ont suivi la rédaction de la règle de 1837. Le charisme de notre Institut a aussi continué à se développer durant deux autres périodes : l'une comprenant l'expérience de Marcellin et des premiers frères, l'autre s'inspirant d'une tradition qui dérivait de cette expérience.

Marcellin voyait tous les événements de sa vie, les échecs aussi bien que les succès, avec un regard de foi. De la même manière, il savait prendre un risque là où les autres auraient conseillé la prudence, car il savait la différence entre le fait de prendre des risques et l'insouciance.

La vie du Fondateur comprend maints exemples de la présence de l'Esprit Saint : il s'est mis à recruter ses Petits Frères de Marie dans les deux premiers mois de son arrivée à La Valla. Peu après, il acheta la maison que nous connaissons aujourd'hui comme le Berceau et il y établit une communauté.

Marcellin a aussi entrepris de construire l'Hermitage sept ans seulement après nous avoir fondés et juste une année ou deux après que l'Institut ait connu sa première sérieuse crise de vocations. En construisant cette maison, le Fondateur ne se contenta pas de faire des plans seulement pour les recrues qu'il avait mais pour les nombreuses autres qu'il croyait devoir venir. Il faisait de grands rêves et voulait se dépenser pour les faire vivre.

Sa foi dans la présence continuelle de Dieu l'a aidé à supporter des épreuves et des événements de sa vie qui en auraient écrasé d'autres. Il avait aussi pleine confiance en la protection et l'intercession de Marie ; elle était vraiment pour lui une compagne et une sœur dans la foi. Une fois que ceux qui l'imploraient avaient fait de leur mieux, c'était de sa responsabilité de mener à bien leurs requêtes[16].

Aujourd'hui, nous devons nous demander : Croyons-nous vraiment que l'Esprit qui était si actif et si vivant dans le Fondateur travaille avec nous aujourd'hui ? Est- ce que nos actes démontrent cette assurance ? Par exemple, est-ce que nous imitons Marcellin en trouvant notre inspiration et notre force dans son charisme ? C'est bien ce qu'a fait François quand il priait d'avoir la grâce de devenir un « portrait vivant du Fondateur ». Il demandait à Dieu de rendre évident en lui et en ses frères le même charisme dont nous parlons aujourd'hui. 

Charisme et structures

Avec le temps les charismes donnent naissance à des structures qui deviennent leur aspect institutionnel et garantissent la validité de leur expression. La règle de 1837 qui, révisée, correspond aujourd'hui à nos Constitutions et Statuts, n'est que l'un des exemples de la manière dont un charisme est institutionnalisé.

Alors que les charismes développent des structures, ces dernières peuvent aussi changer de temps en temps. Ces évolutions se produisent en réponse à des circonstances nouvelles ou quand les structures en place ne rendent plus compte de l'expérience de l'Institut et de ses membres. Nous parlons d'un processus de renouveau. Parfois cela se produit lentement avec le temps ; d'autres fois cela nous est imposé par les circonstances.

Les quatre dernières décennies de la vie religieuse ont été marquées par de nombreux changements dramatiques. Un bon nombre d'observateurs voudraient identifier l'appel de Vatican II pour l'adaptation et le renouveau de la vie religieuse comme la source du bouleversement qui s'est produit. En fait, le changement qui s'est produit dans notre façon de vivre à été si prononcé que nombre de commentateurs ont suggéré que nous éprouvons un changement paradigmatique dans notre compréhension de la vie religieuse. Que signifie cela exactement et quelle influence ce changement a-t- il sur le charisme ?

Les paradigmes sont des concepts qui nous aident à donner un sens à notre expérience. Le théologien Jon Sobrino les compare aux gonds d'une porte. Des moments de crise et de mauvais fonctionnement des gonds se produisent quand des gonds vieux et usés ne peuvent plus porter le poids de toute la porte. Cette situation demande la pose de nouveaux gonds pour que la porte puisse tourner et bien tourner[17].

Les paradigmes sont utiles dans la mesure où ce qu'ils aident à expliquer prime sur ce qu'ils n'arrivent pas à expliquer. Quand le contraire est vrai, un changement de paradigme a lieu. Un nouveau modèle est nécessaire pour expliquer le changement qui s'est produit. Par exemple, pour la plupart d'entre nous qui avons dépassé l'âge de 50 ans, le mot famille signifie la plupart du temps un père, une mère et des enfants. Quand la 'famille' en question n'entre pas dans ce paradigme, nous avons tendance à la caractériser par 'une famille monoparentale' une 'famille d'accueil', une 'famille recomposée' et ainsi de suite. Cependant, dans nombre de pays aujourd'hui où le paradigme de 'famille nucléaire' a eu une signification pendant longtemps, les gens cherchent un nouveau modèle pour les aider à comprendre le changement de nature de la famille.

La plupart d'entre nous ont lu d'anciens paradigmes sur la vie religieuse pendant la période monastique, l'époque des ordres mendiants ou, plus récemment, l'ère des Instituts religieux de vie apostolique.

Si le paradigme ou modèle qui nous aide à expliquer notre façon de vivre change aujourd'hui, l'expression de notre charisme ne peut manquer d'en être affectée. A une époque de réforme de la vie religieuse, nous sommes appelés à entreprendre un processus de discernement et à retrouver l'esprit de nos origines.

Le défi que nous affrontons pendant un temps de renouveau ou de changement paradigmatique est différent : imaginer à nouveau notre charisme à la lumière des signes des temps. Et cela veut dire avoir à faire avec le Saint Esprit. Ce n'est pas facile. Les capitulants de notre 20ièmeChapitre général nous l'ont rappelé quand ils ont souligné que comme Institut nous avions encore à faire un discernement à partir de l'Evangile en vue de transformer nos œuvres apostoliques[18].

Vatican II nous a appris que nous ne pouvions pas enfermer l'Esprit Saint. Le charisme de notre Institut doit être vécu et gardé non seulement par ceux d'entre nous qui en sont membres ; il doit aussi se développer et s'approfondir en union avec le Peuple de Dieu, lui- même en état de croissance continue.

Le Concile nous a aussi rappelé que nous ne devons pas mettre de limites à la générosité de Dieu. Avant Vatican II, la sagesse conventionnelle pensait autrement. La plupart des gens pensaient que les charismes étaient limités à des Instituts religieux particuliers et à leurs membres. Le charisme d'Ignace semblait n'exister que chez les Jésuites, celui de François que chez les Franciscains, l'inspiration de Dominique n'était qu'à la disposition des membres de son Ordre de Frères prêcheurs. Aujourd'hui cependant, nous comprenons que le charisme qui est venu dans notre monde à travers Marcellin Champagnat touche les cœurs et capture l'imagination à la fois des frères et des laïcs.

Dernier point. Nous ne pouvons jamais réduire le charisme à la seule tradition. D'un côté, il nous impose des restrictions, mais d'autre part, il nous provoque à nous dépasser. Nous sommes appelés à trouver un juste équilibre entre les deux. Agir ainsi aide chacun à comprendre la différence qui existe entre le travail apostolique d'un groupe et d'un autre.

Le charisme de tout groupe, y compris le nôtre, est une tradition vibrante, qui est source de vie et se contrôle elle-même, ayant ses racines dans l'interaction entre la tradition ancienne et les appels de l'Esprit Saint pour aborder les défis d'aujourd'hui et de demain.

Par exemple, notre Institut a pris naissance, en partie pour faire face à un urgent besoin humain non résolu, au nom de Jésus. Notre charisme mariste était un ingrédient spécifique dans le mélange dont l'époque avait besoin. Il est tout aussi important aujourd'hui pour déterminer notre apostolat comme Institut, à la lumière des signes des temps et des appels de l'Eglise. Alors que nous lisons soigneusement ces signes et écoutons ces appels, notre charisme nous aidera à répondre à cette question : Quels travaux pouvons-nous honnêtement estimer être les nôtres ?

De mon point de vue, il y a trois caractéristiques fondamentales de notre apostolat.

Tout d'abord, il demande à ce que nous fassions connaître et aimer Jésus. Par conséquent, les institutions d'éducation telles que les écoles secondaires dans lesquelles beaucoup de nos frères et de nos partenaires laïques travaillent doivent être plus que de beaux centres académiques avec d'excellents résultats d'admission à l'université. Ils devraient aussi être des lieux où les jeunes entendent proclamer l'Evangile en paroles et en actes.

Toutefois, dans certaines parties du monde, les circonstances peuvent nous porter à avoir une approche différente du travail d'évangélisation. Les enseignements de Vatican II nous rappellent que Dieu est présent dans des traditions différentes des nôtres, et que chaque personne doit prendre ses décisions en matière de foi et de croyance. Par conséquent, dans des situations religieuses pluralistes, nous témoignons du Royaume de Dieu en vivant ostensiblement nos traditions et notre engagement religieux, et en encourageant ceux avec qui nous sommes en contact à pratiquer leur foi d'après leur héritage religieux.

Ensuite, nos efforts apostoliques nous tournent vers les enfants et les jeunes. Diverses congrégations sont nées pour travailler parmi des groupes différents de personnes dans le besoin ; notre appel est pour les jeunes.

Troisièmement, parmi les jeunes, nous travaillons de façon plus spécifique pour ceux qui sont pauvres et marginalisés. Si nous ne leur apportons pas la Parole de Dieu, qui le fera ?

Y a-t-il des exceptions lorsque nous en venons aux populations que nous sommes appelés à servir ? Alors que notre objectif, ce sont les jeunes, et les pauvres parmi eux, la possibilité d'autres activités n'est pas complètement exclue dans certains cas. Les frères d'une Province ou d'un District, par exemple, peuvent permettre à l'un de nos frères de prendre pour un temps un travail qui n'est pas en conformité avec notre charisme, mais qui est très clairement un grand besoin pour l'Eglise locale. Toutefois notre charisme nous guide clairement quand il s'agit d'un service que nous faisons pour l'Église.

Pendant les premières années de notre Institut, les frères et le Fondateur lui-même se sont engagés dans des œuvres qui n'étaient pas en conformité avec notre but principal. La pratique du Fondateur de recevoir à l'Hermitage un certain nombre de personnes âgées, y compris certaines qui étaient incurables, illustre bien ce point[19]. Marcellin recevait des dons pour financer cet effort de la part d'une bienfaitrice nommée Marie Fournas.

En lui écrivant au printemps 1833, le Fondateur lui disait cela : « Puisque notre maison devient de plus en plus peuplée, nous avons besoin, pour la bonne œuvre en question, d'un local indépendant, ce qui demande une dépense de sept ou huit mille francs, sans quoi nous nous verrions obligés de renoncer à cette bonne œuvre, à laquelle nous nous employons, mais sans nuire à notre but principal[20]. » Pour Marcellin, le but de notre Institut était clair. Oui, si possible, il voulait répondre à d'autres besoins pressants de son temps. Mais il ne le faisait que dans la mesure où ces efforts ne le détournaient pas du but originel pour lequel il avait fondé ses Petits Frères de Marie.

Avant d'aller plus loin, je veux indiquer que parfois dans le passé, nous avons défini notre apostolat de façon trop étroite. En conséquence, nous étions connus plus pour un travail particulier, l'enseignement, que pour qui nous étions, des frères appelés à proclamer la Parole de Dieu aux jeunes et aux enfants pauvres.

Beaucoup ont souffert inutilement pendant des années durant lesquelles le travail de l'enseignement devenait presque un synonyme de l'identité des Frères de Marcellin. Beaucoup de ceux qui étaient incapables d'assurer ce travail, à cause de l'âge, de la santé, ou du fait que leurs talents apostoliques auprès des jeunes se trouvaient ailleurs, ressentaient – ou on leur faisait ressentir – qu'ils n'étaient pas pleinement membres de l'Institut. Nous ne pouvons pas refaire le passé, mais nous pouvons tenir compte de ses leçons.

Alors que notre service apostolique auprès des enfants pauvres et des jeunes a besoin d'être clairement défini, nous devons aussi éviter d'être trop restrictifs. En outre, nous devons nous rappeler que tandis que notre vie apostolique comprend le travail spécifique que nous faisons, elle est faite de bien plus. Notre vie de prière et de communauté y joue un rôle. Il n'est pas bon d'accomplir des merveilles en classe ou dans mon travail avec les enfants de la rue si, en même temps, j'ignore les frères avec qui je vis et j'oublie d'avoir Jésus comme centre et passion de ma vie. 

Consécration pour la mission

Comme religieux apostoliques, nous sommes appelés à une vie de service. Plusieurs images pourraient venir à l'esprit quand nous pensons au mot service : partager notre temps, nos talents, le travail d'éducation avec d'autres, montrer un esprit de générosité, donner des soins aux enfants, aux personnes âgées et infirmes ou à d'autres groupes. Tous ces exemples tombent sous le titre de service.

Accepter le fait que le service a une tendance altruiste est chose facile. Il n'est pas aussi facile cependant de reconnaître cette réalité que quelqu'un qui assure un service peut le faire de façon désintéressée. Dans la vie politique, par exemple, les personnes ne sont pas connues pour assurer leur service avec désintéressement. Pour le moins, la plupart d'entre elles espèrent que tout service rendu à un électeur entraînera une voix supplémentaire le jour des élections. Nous en sommes venus à attendre ce type de comportement de la part d'hommes politiques, et vraiment de telles ambitions sont légitimes dans le monde politique[21].

Cependant, bien plus qu'un désir de succès, Jésus et son message, à la fois avec un esprit de service désintéressé, doivent être la motivation de tout ce que nous faisons. En prenant une attitude de désintéressement, nous avons la certitude que c'est l'Évangile de Jésus et non l'ambition qui nous anime dans notre apostolat. Quand nous en venons à la vie spirituelle, ceux qui font montre d'un esprit d'indifférence ne sont pas indifférents. Mais ils s'intéressent aux autres plutôt qu'à eux- mêmes, et ils se rendent disponibles à tout ce que le Seigneur pourrait leur demander.

Comme chrétiens, nous sommes invités à entrer dans le Mystère pascal, et à vivre la mort et la résurrection de Jésus dans notre vie de chaque jour. Comme pour tout appel d'amour, un chrétien est invité à se livrer, à imiter le Christ dans son modèle de dépouillement en vue d'être pleinement transformé par la vie divine.

Alors que Paul VI a parlé longuement des charismes, Jean-Paul II a préféré employer le terme de consécration quand il a débattu de la mission. Malheureusement ces deux mots – consécration et mission – sont parfois opposés, et certains soutiennent que l'identité de la vie religieuse repose sur la consécration, tandis que d'autres insistent que son cœur est la mission.

Un Institut religieux comme le nôtre existe dans le Peuple de Dieu par son engagement pour une mission évangélique que notre Fondateur a définie pour nous et par la façon dont la mission nous a été transmise à travers notre histoire. Nous sommes consacrés pour la mission ; c'est le point central de la relation contractuelle que nous avons avec Dieu et entre nous. Et ce contrat – comme tout engagement dans la vie – doit être entretenu, gardé et développé par ceux qui s'y sont engagés[22].

La vie consacrée elle-même est mission. Comme mission, il est logique qu'elle soit visible. Notre amour pour Dieu exprimé par la radicalité des conseils évangéliques, un intérêt passionné pour ceux qui sont pauvres et dans le besoin, et un engagement pour la vie communautaire doivent être traduits dans des comportements que les autres peuvent voir et comprendre. Ces comportements sont également précieux pour les nouveaux membres ; ils les orientent en leur donnant un sens d'appartenance. Sans de tels comportements collectifs, il n'y a pas de visibilité ; sans visibilité, il n'y a pas de témoignage[23].

Comme frères, nous affrontons un défi dans ce domaine. Pendant le processus de renouveau, nous avons mis de côté une série de comportements qui pendant bien des années avaient aidé à distinguer notre façon mariste de vivre de celle des autres. Par exemple, nous étions vêtus de façon particulière et uniforme, nous observions partout certaines coutumes et célébrions les mêmes cinq « grandes fêtes mariales ». Comme le temps passait, nous en sommes venus à comprendre que bien de ces vieilles manières d'être et de faire avaient fait leur temps. Malheureusement, alors que nous avons mis de côté nombre de ces vieilles manières d'être et de faire, nous n'avons pas encore atteint un consensus sur les nouveaux comportements à adopter, lesquels seraient ajustés à la réalité d'aujourd'hui et aux besoins apostoliques.

Comme je l'ai mentionné dans mon adresse d'ouverture aux frères assemblés pour notre récente Conférence générale au Sri Lanka, notre respect pour les différences est peut-être l'une des raisons de notre échec pour arriver à un accord dans ce domaine. Ceux qui ont participé à Vatican II s'attendaient à l'apparition de différences entre les instituts religieux alors que le processus du renouveau se mettait en route, et ils estimaient que cette évolution était positive. Comme ces Instituts en revenaient au charisme de leurs fondatrices et fondateurs et qu'ils l'adaptaient aux besoins de leurs temps, ils allaient inévitablement apparaître différents les uns des autres. Tout récemment le document Vita Consecrata a soutenu ce point de vue.

Cependant, ce que le Concile n'avait pas prévu totalement, c'est l'importance des différences qui allaient se produire à l'intérieur des Instituts eux-mêmes. Pour certains groupes aujourd'hui, ces différences internes sont considérables. Si d'importantes différences continuent à exister avec le temps dans notre Institut ou, en d'autres termes, si les conceptions de ses membres dans des domaines tels que les vœux, la signification et la place de la vie communautaire, la spiritualité continuent à diverger, la tâche de former une identité commune et la possibilité de donner un témoignage communautaire deviendront de plus en plus difficiles.

En travaillant à former une identité commune et en décidant des nouvelles façons d'exprimer cette identité comme Institut, nous devons accepter le fait que tandis que la diversité va continuer à exister entre notre Institut et les autres, une moindre diversité à l'intérieur de l'Institut devra progressivement devenir la norme.

Il y a par contre une autre raison pour expliquer notre lenteur à adopter de nouvelles pratiques communes et de nouveaux comportements : nous craignons qu'en faisant ainsi, nous retournions au passé, dans une tentative de restaurer ce qui a pu être bon il y a un demi-siècle ou plus. Ne craignez pas que cela se produise. Les coutumes du passé convenaient pour le passé. Cependant, si jamais nous voulons rétablir la valeur de témoignage de la vie religieuse, nous devrons trouver de nouveaux signes pour nous aider à le faire, et il nous faudra relever ce défi en tant que groupe.

Notre échec pour identifier et évaluer tout ce que nous avons appris pendant le processus du renouveau a eu ses conséquences. Nous avons évité de nous poser des questions telles que : Comment nos pratiques habituelles expriment-elles notre amour pour Jésus-Christ et notre engagement ecclésial de façon crédible ? Comment renforcent-elles ou gênent-elles notre mission ? Est-ce qu'elles promeuvent une plus grande passion pour l'Évangile et pour le service des pauvres ?[24]

Le Saint Esprit a la suprême responsabilité pour exercer la mission à laquelle nous prenons part. Notre institut, comme les autres communautés religieuses, est une résultante de la présence du Saint Esprit dans le peuple de Dieu, un charisme à cet égard. Comme membres de l'Institut, vous et moi devons laisser à l'Esprit la liberté d'agir en nous et à travers nous.

Comme religieux frères consacrés à la mission, nous sommes appelés à suivre l'exemple de Jésus. Chez Lui, il n'y a pas de recherche ambitieuse personnelle dans son enseignement, ni dans ses miracles et ses actes de guérison, ni dans ses discussions avec les Pharisiens et les Saducéens.

Comme frères, nous avons aussi la responsabilité de témoigner de la personne de Jésus plus totalement et plus intensément. Nous devons nous distinguer à la fois dans l'Eglise et dans le monde par le service désintéressé que nous rendons au nom du Christ. Si nous ne réussissons pas à rester fidèles à notre choix de nous identifier radicalement avec le Christ, nous ne deviendrons qu'un autre groupe d'activistes ou de militants politiques ou sociaux.

Une histoire, attribuée à Charles Péguy, contient tout à fait la même remarque. Il s'agit d'un homme qui vient de mourir et arrive au ciel où un ange se mit à l'interroger : « Où sont tes blessures ? » lui de- manda-t-il. Incapable de cacher sa perplexité, l'homme dit : « Des blessures ? Je n'ai point de blessures » L'ange soupira et demanda : « N'y avait-il donc rien qui eût mérité le combat dans ta vie ? Rien qui eût valu le don de ta vie ? » Ce que nous souffrons pour les autres nous définit et fait de nous ce que nous sommes. 

Marcellin aujourd'hui

Aujourd'hui, près de deux siècles après notre fondation, si Marcellin Champagnat arrivait à la porte de la maison provinciale ou du district dans n'importe quelle de nos unités administratives et partait de là pour faire un pèlerinage pour examiner les œuvres de ses frères et de leurs partenaires laïques, il serait certainement impressionné et rendrait grâces pour ce que nous faisons au nom de l'Évangile.

Il serait probablement aussi stupéfait par les ressources – spirituelles, humaines et financières – que nous avons à notre disposition aujourd'hui pour continuer son apostolat d'aider les jeunes et les enfants pauvres des campagnes à devenir de bons chrétiens et de vertueux citoyens. En son temps et à son époque, le Fondateur n'aurait pas pu imaginer toutes les bénédictions que Dieu accorderait à son Institut, aussi bien à ses membres qu'à ses œuvres.

Au milieu de tout ce qu'il verrait et entendrait, cependant, je crois que Marcellin pourrait aussi soulever quelques questions. Des questions franches et néanmoins troublantes. Des questions telles que : Existe-t- il des preuves suffisantes pour dire que nous présentons l'Evangile de Jésus-Christ aux jeunes et aux enfants pauvres à l'aube du troisième millénaire ? Lorsque les jeunes chrétiens confiés à nos soins quittent nos cours et nos institutions, ont-ils appris à connaître et à aimer Jésus-Christ ? Est-ce que les valeurs et les enseignements de sa Bonne Nouvelle sont bien présents dans leurs vies de tous les jours ? Lorsque les enfants et les jeunes d'autres religions qui vivent parmi ceux dont nous avons la charge nous quittent, emportent-ils avec eux une aptitude au dialogue, un esprit de tolérance et une plus grande estime de leurs croyances ?

Frères, ce que nous faisons, nous le faisons bien. N'en doutez pas. Visitez une œuvre mariste aujourd'hui et vous avez de grandes chances de trouver un groupe de confrères et de laïcs hommes et femmes travailleurs et dévoués qui se dépensent avec succès dans un projet de grande valeur.

Nous courons le risque, cependant, de devenir les victimes de notre propre succès. Nous pouvons nous plonger dans ce que nous faisons à un point tel que nous ne savons plus prendre le temps pour évaluer nos résultats ou pour nous demander si oui ou non nous devrions assurer ce travail en priorité. Par conséquent, des évaluations périodiques sont essentielles, en ayant toujours à l'esprit qu'on ne nous demande pas de réussir, mais plutôt d'être fidèles. Nos Constitutions et Statuts l'expriment ainsi : 

Notre Institut, don de l'Esprit Saint à l'Église

est pour le monde une grâce toujours actuelle.

Nos communautés, simples et fraternelles,

sont un appel à vivre selon l'esprit des béatitudes.

Le témoignage de nos vies données

et notre engagement apostolique

encouragent ceux qui nous entourent,

plus particulièrement les jeunes,

à construire une société plus juste

et révèlent à tous le sens de l'existence humaine[25].

 

Marcellin et les qualités d'un éducateur mariste

La personnalité de Marcellin eut une profonde influence sur nos premiers frères. Nous savons qu'ils l'aimaient comme le grand frère et le père qu'il était. C'était un mentor pour chacun dans le meilleur sens de ce mot.

Il n'y a pas de doute que le Fondateur était aussi un modèle attrayant pour ce qui était de la vie apostolique. C'était un homme plein d'amour pour Dieu. Nourrie par la prière, sa passion pour Jésus et Marie devenait toujours plus profonde. Comme apôtre, il vivait son idéal si intensément que les autres étaient portés à lui ressembler et à vivre comme lui. Le cœur de Marcellin brûlait de proclamer la Bonne Nouvelle[26].

C'était aussi un homme qui osait rêver ; au milieu des défis que devaient affronter l'Eglise et l'Etat dans la France postrévolutionnaire, le Fondateur imaginait des possibilités qui allaient bien au-delà des vues de beaucoup de ses contemporains[27].

Les rêves sont une chose ; avoir le zèle de leur donner vie en est une tout autre. Là encore, le Fondateur fut merveilleux. Sa détermination et son dynamisme, souvent mentionnés comme « amour du travail », tout comme sa créativité et son audace[28]lui ont donné le courage d'acheter la petite maison de La Valla, de l'équiper aussi bien que possible, de chercher ses premières recrues et de continuer le travail en cours.

Son christianisme était pratique ; il avait les aptitudes pour trouver les solutions s'appliquant aux problèmes auxquels il était confronté et un don pour obtenir le meilleur chez les autres. Et au milieu des doutes et des préoccupations qu'il a dû avoir, il était soutenu par sa simplicité, son indéfectible confiance en la présence de Dieu, et sa confiance en Marie et en sa protection.

Aujourd'hui l'Esprit Saint qui était si actif chez notre Fondateur désire vivre et souffler en vous et en moi. La présence en chacun de nous du charisme qui a d'abord vu le jour dans l'Eglise et dans le monde à travers Marcellin Champagnat nous donne le droit de nous prévaloir de sa tradition. Que nous servions dans l'école ou un autre cadre avec les jeunes, ce charisme est évident dans notre style mariste distinctif : une simple présence parmi les jeunes, une approche sans prétention de tous ceux que nous rencontrons, un esprit de famille, l'amour du travail ; tout cela fait à la manière de Marie[29].

En nous rappelant les points débattus jusqu'à présent, il nous faut avancer maintenant pour explorer plusieurs sujets qui concernent de manière toute particulière notre vie apostolique mariste aujourd'hui.

  

QUESTIONS POUR RÉFLÉCHIR

 Une fois encore, prenez quelques instants pour lire les questions ci- dessous et y répondre. Comme précédemment, elles sont ici pour vous aider à réfléchir sur ce que vous avez lu dans les dernières pages qui précèdent. Prenez une plume ou un crayon et un bloc de papier pour le cas où vous voudriez prendre des notes, écrire une expression ou une pensée dont vous aimeriez vous souvenir, ou pour développer une réflexion plus détaillée. Gardez ces notes ; elles vous seront utiles plus tard soit comme rappel, soit pour une discussion sur ce que vous avez lu.

1

 Imaginez que vous êtes Marcellin Champagnat et que vous visitez certaines des œuvres apostoliques de votre Province ou District aujourd'hui. Quelles sont vos premières impressions à partir de ce que vous voyez et entendez ? Maintenant, faites le tour des lieux, parlez avec ceux qui sont impliqués dans ce travail et ceux qui en bénéficient. Plus tard dans la journée, alors que vous réfléchissez à vos visites, et suivant l'éclairage présenté par nos Constitutions et Statuts, qu'est-ce qui vous rend fier de ces initiatives apostoliques ? Qu'est-ce qui vous laisse inquiet ? Quelles améliorations aimeriez-vous voir ? Qu'est-ce qui manque ?

2

 Qu'est-ce qui vous porte à croire que le charisme si vivant et si actif de notre Fondateur existe aujourd'hui en vous et chez les frères de votre Province ou District, et chez les laïcs qui collaborent avec nous ? Quelles preuves avez-vous pour justifier votre point de vue ?

3

 Reprenez l'histoire de votre prise de conscience de la présence de ce charisme dans votre vie. Écrivez quelques notes sur une période où la présence de notre charisme mariste a été particulièrement puissante dans votre vie et votre expérience.

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2ièmePARTIE          

Identité et vie apostolique mariste aujourd'hui 

Vatican II a été un moment déterminant pour les laïcs dans l'Eglise catholique et pour nous religieux. La proclamation de l'appel universel à la sainteté qui a retenti à partir de cette assemblée s'adressait aux deux groupes. Ce fut enfin une affirmation sans ambiguïté que tous les chrétiens sont des baptisés ; pour la mission : la mission de proclamer le royaume de Dieu et son imminence.

Avant le second Concile du Vatican, les laïcs, hommes et femmes, étaient considérés presque totalement comme des aides pour ceux qui étaient regardés comme les vrais serviteurs de l'Église : les évêques, les prêtres et les religieux. Considérés comme n'ayant pas de mission eux-mêmes, les laïcs étaient autorisés à aider ceux qui apparemment en avaient une. Comme résultat des décisions prises pendant le Concile, cependant, les laïcs, hommes et femmes, sont passés de la position d'aides à celle de partenaires majeurs pour la mission, et ils ont pris plus pleinement les rôles associés au sacrement de baptême : prêtre, roi et prophète.

La prophétie est au cœur de la mission de l'Église. Appelés par Dieu, les prophètes sont envoyés pour rappeler les interventions salvatrices de Dieu par le passé, pour nous inciter à la conversion dans le présent, et pour nous pousser à construire une nouvelle communauté humaine selon la promesse de Dieu[1].

Alors que le rôle, l'identité, la mission du laïc catholique, homme ou femme, ont été en quelque sorte clarifiés au cours de Vatican II, on ne peut pas dire la même chose pour nous les membres des Instituts religieux. De bien des façons, nous sommes ressortis du Concile dans un état de confusion.

Rétrospectivement, l'identité préconciliaire de la vie consacrée peut paraître plutôt élitiste, la poursuite de la perfection individuelle étant donnée le plus souvent comme sa raison d'être. Ceux d'entre nous qui ont fait un noviciat avant le milieu des années soixante pourraient se rappeler d'avoir appris que le but de l'Institut était la gloire de Dieu et la sanctification de ses membres. Cette description était suivie par une déclaration sur nos œuvres, l'apostolat spécifique pour lequel notre Institut était fondé.

Avant Vatican II, cet Institut, comme la vie religieuse en général, formait une société fermée avec des normes et des règles très précises. Chez nous, ces dernières aidaient à entretenir un sens profond de l'identité de notre groupe. Il ne faut donc pas s'étonner que le rôle du supérieur à cette époque ait consisté à veiller à ce que nous adhérions aux normes et observions les règles.

Dans l'Église postconciliaire, notre façon de vivre n'est plus présentée comme un état de perfection en soi, mais plutôt comme une façon de progresser en amour et en sainteté pour certains croyants. De plus, la suite du Christ est vue plus clairement comme la norme ultime et la règle suprême de toutes les communautés religieuses plutôt que l'adhésion à une suite de règles. 

Les laïcs maristes

Le Pape Jean-Paul II avait la conviction que l'Église de notre époque deviendrait éventuellement connue comme celle des laïcs. En supposant qu'il ait raison, nous faisons bien de nous demander comment nous, comme frères, nous pouvons le mieux aider à réaliser la mission des laïcs, hommes et femmes, dans l'Église et le monde d'aujourd'hui.

Le partenariat mariste n'est qu'une réponse à cette question. Il a été reconnu plus pleinement dans les années qui ont suivi Vatican II et son fondement se trouve dans la mission commune et l'appel prophétique que nous partageons tous comme fruits du sacrement de baptême. Mais le partenariat va beaucoup plus loin que la participation à une œuvre commune; il s'agit de partager notre foi et des valeurs communes, d'aimer Jésus-Christ et de faire l'expérience collective dans laquelle Marcellin captive nos cœurs et saisit nos imaginations.

De plus, le partenariat avec ceux qui partagent notre vie apostolique est une caractéristique de l'identité mariste, témoignant du fait que notre Église est capable ; d'une ecclésiologie de communion. Aujourd'hui, ce témoignage est plus important que jamais.

Trop souvent par le passé, les activités de l'Église ont révélé une ecclésiologie basée sur le pouvoir et la hiérarchie, un résultat en contradiction avec les principes de l'Évangile[2]. Comme des hommes et des femmes qui partagent un même charisme en vivant et travaillant ensemble, nous sommes appelés à témoigner que la situation peut et doit être différente.

Peu de gens devraient s'étonner d'un tel point de vue. Comme je l'ai mentionné plus tôt, un des nombreux dons de Vatican II a été la réalisation que le charisme du Fondateur appartient à l'Église et non seulement à ses Petits Frères. Ainsi, de nos jours, beaucoup de laïcs mettent en question l'idée que le charisme est un trésor n'appartenant qu'aux frères. Ils affirment que chaque laïc mariste, homme ou femme, a aussi sa propre histoire à raconter, qu'il ou elle a son propre chemin de foi et sa propre expérience personnelle du Fondateur et de sa spiritualité.

Si nous écoutons ces histoires et ces récits de chemins de foi, si en venons à apprécier plus pleinement ces rayonnements de Marcellin et de sa spiritualité parmi nous, nous serons bien plus aptes à partager ce que nous avons en commun et à respecter les différences[3] qui existent entre l'identité des uns comme Petits Frères de Marcellin et celle des autres comme laïcs maristes, hommes ou femmes. 

Différences

Certains d'entre nous se sentent mal à l'aise dans tout débat sur les différences et expriment leur inquiétude que le mot « différence » puisse vouloir dire plus qu'il ne laisse supposer ; cela va demander une comparaison.

Nier les différences là où elles existent nous empêche de saisir la nature unique et complémentaire de la vocation du frère et de celle du laïc mariste, homme ou femme et nous empêche également de distinguer clairement l'identité de chacun.

Les différences sont évidentes dans l'ensemble de l'Église. Par exemple, l'Esprit de Dieu donne une variété de vocations, de charismes et d'apostolats. La diversité des fonctions est en conformité avec le modèle organique de l'Église. Saint Paul l'exprime ainsi : « Le corps ne se compose pas d'un seul membre, mais de plusieurs[4]. »

La diversité existe aussi dans la vie religieuse. Pourtant, nul n'a suggéré que les ordres religieux séculaires soient meilleurs que ceux qui sont plus récents, ou que les congrégations monastiques soient d'une certaine façon supérieures aux ordres mendiants ou aux Instituts apostoliques.

En discutant des similitudes et des différences qui existent entre nous, Frères de Marcellin, et nos partenaires laïques, il nous faut apprécier non seulement ce que nous partageons en commun, mais aussi ce en quoi nous différons. 

Coresponsabilité[5]

Pour développer le partenariat laïque aujourd'hui, il nous faut être frères les uns envers les autres et avec nos partenaires de la mission. Et cela signifie s'écouter les uns les autres et s'instruire mutuellement, en partageant notre héritage spirituel et apostolique et en entretenant une attitude de coopération.

Par conséquent, lorsque nous utilisons le terme ; « nos » apostolats, nous décrivons un partenariat entre les frères de Marcellin et les laïcs maristes. Le temps est venu d'aller au-delà de la simple invitation faite à des laïcs de se joindre à nous dans nos œuvres pour les voir coresponsables de ces œuvres.

Dans les dernières années et dans beaucoup de provinces, certains laïcs, hommes et femmes, ont pris des rôles de responsables à l'intérieur de ces œuvres. Ceux d'entre nous qui sont frères ont été invités à les soutenir par des formations maristes, le témoignage de nos vies religieuses et la promotion des valeurs apostoliques maristes. En aidant les laïcs à vivre plus pleinement leur vocation, nous en viendrons à comprendre toujours plus la grâce de notre propre vocation comme frères. 

Tous ne sont pas enthousiastes

Toutefois, certains frères parmi nous n'ont admis l'idée d'un partenariat mariste qu'avec des réticences. Le voyant comme un autre signe de diminution, ils l'estiment nécessaire par suite de la diminution du nombre des frères. Bien de nos partenaires laïques ont perçu cette ambivalence. Lors d'une rencontre de frères et de laïcs, par exemple, un enseignant d'une de nos écoles maristes a dit au groupe : « J'ai parfois l'impression que si vous frères vous étiez assez nombreux pour faire marcher ces œuvres, nous ne compterions pas beaucoup. »

Cependant le mouvement de partenariat mariste a peu à faire avec la diminution des effectifs. Ce n'est plutôt que l'un des nombreux développements de l'évolution globale de notre genre de vie. En outre, ce mouvement ne réussira pas à mûrir sans une présence et un engagement actifs à la fois des frères et des laïcs, hommes et femmes. Par conséquent, les efforts pour promouvoir les vocations et promouvoir le partenariat doivent se compléter mutuellement.

Le mouvement vers le partenariat mariste peut mieux se comprendre en réfléchissant à un besoin universel dans le monde complexe et troublé d'aujourd'hui. Répondre à ce besoin est vital pour notre mission de préparer convenablement les enfants pauvres et les jeunes pour la venue du Royaume, une venue qui va demander une pluralité de perspectives et d'expériences, à la fois transculturelles et internationales. 

Tous ne sont pas des partenaires

En même temps, ce ne sont pas tous les laïcs impliqués dans l'apostolat mariste qui sont partenaires. Pour certains, leur travail est simplement une profession. Ils veulent bien assurer leur travail mais ils ont peu ou pas d'intérêt à partager la vision ou la spiritualité de Marcellin.

Nous pourrions considérer ceux qui sont impliqués dans l'apostolat mariste comme faisant partie de deux groupes : ceux qui sont au cœur d'un travail particulier et les autres pour qui un travail est seulement une activité qui les satisfait.

Il serait malheureux de laisser une telle situation se poursuivre. Chacun d'entre nous à une responsabilité pour promouvoir l'unique série de valeurs qui a toujours marqué un apostolat mariste et guidé notre travail avec les enfants pauvres et les jeunes.

Le Père Champagnat, par exemple, a parlé de la nécessité d'avoir une attention personnelle pour nos élèves et de gagner leur respect. Pour ce faire, nous devons avoir avec chacun d'entre eux une relation qui est authentique et directe, et faire tout ce que nous pouvons pour qu'ils développent une conscience morale bien équilibrée et acquièrent une série de valeurs sur lesquelles ils pourront bâtir leur vie. Avec le temps, nous en venons à ressembler à un grand frère ou une grande sœur et à créer le type d'esprit de famille sur lequel le Fondateur insistait. « Pour bien élever les enfants » disait-il souvent, « il faut les aimer et les aimer tous également[6]. »

Ces valeurs doivent être évidentes chez tous ceux qui prennent le nom de maristes. De même, elles devraient de toute évidence être présentes dans toute institution prétendant exercer un apostolat dans la tradition de Marcellin Champagnat. Si ce n'est pas le cas, nous avons l'obligation de mieux promouvoir ces valeurs.

Marie qui a élevé Jésus de Nazareth est notre modèle pour ce travail ; nous lui permettons d'inspirer notre foi et de façonner en nous notre démarche pédagogique. Elle était prophète et amie de Dieu. Comme elle, vous et moi sommes appelés à faire de la relation que nous avons avec Dieu le fondement sur lequel construire notre vie. 

Planifier l'avenir

Progressivement, des collègues, des élèves de nos écoles et d'autres œuvres, des confrères qui ont été profès dans l'Institut pendant quelque temps et leurs familles, des hommes et des femmes du mouvement Champagnat de la Famille Mariste, des volontaires laïques, des étudiants et d'autres redécouvrent la spiritualité de Marcellin Champagnat. Le fait que tant de personnes continuent à redécouvrir une source d'inspiration dans cette spiritualité atteste de la vitalité et de la force qui continuent à animer nos apostolats.

Aujourd'hui, cependant, nous pourrions aller plus loin en commençant à développer des réseaux parmi ceux qui exercent un apostolat mariste : qu'ils enseignent dans une institution d'éducation, qu'ils promeuvent un programme d'alphabétisation pour les laissés pour compte de l'école, qu'ils travaillent avec les enfants des rues, qu'ils enseignent le catéchisme ou qu'ils prennent part à l'un des nombreux apostolats parrainés par les maristes, un tel réseau devrait les soutenir tous au point de vue personnel et spirituel.

La forme de ces réseaux apostoliques maristes peut être différente d'un lieu à un autre. En arriver au modèle le plus réalisable va demander une large consultation, de franches discussions et des prises de décision réfléchies, mais je suis persuadé que l'existence de tels modèles aidera à apporter une contribution mariste spécifique à la nouvelle évangélisation des jeunes qui se met en place. 

L'identité de notre Institut

Comment pouvons-nous renforcer l'identité de notre Institut ? En nous mettant d'accord sur un objectif clair pour sa vie et son activité[7]. Cette décision n'entraîne pas que chacun de nous doive s'engager dans un même travail ou qu'il vive et travaille en un même endroit ou dans les mêmes conditions. Cela signifie plutôt que toute personne qui nous observe peut répondre rapidement à cette question : « Pour quoi cet Institut est-il connu ? »

Car l'identité de n'importe quel groupe devient évidente quand nous pouvons décrire : premièrement, son caractère ou son essence, la « substance » dont il est fait, deuxièmement, les traits qui le distinguent des autres groupes et, troisièmement, son degré de similitude ou de continuité dans le temps.

Beaucoup d'évolutions qui se sont produites dans le sillage de Vatican II ont affaibli l'un ou l'autre de ces éléments, entraînant une certaine confusion quant à l'identité de la vie religieuse en général et de notre identité propre comme Institut en particulier.

Par exemple, dans certaines Provinces ou Districts, pendant les années qui ont suivi le Concile, des frères se sont permis de s'engager dans des activités qui – alors qu'elles coïncidaient avec la définition de l'apostolat principal de l'Institut – étaient différentes de nos implications traditionnelles. En outre, dans quelques cas, pour diverses raisons, certains ont eu l'autorisation d'entreprendre d'autres activités apostoliques que celles pour lesquelles nous avons été fondés[8].

Par la suite, beaucoup de frères de ce dernier groupe ont perdu le sentiment d'être envoyés par l'Institut. Les Provinciaux et Supérieurs de district des unités administratives impliquées se sont aussi trouvés moins libres de prendre des engagements de la part de leur Province ou District pour des services vers des besoins humains pressants et non résolus, en tout semblables à ceux qui avaient saisi le cœur de notre Fondateur et l'avaient poussé à agir. Il leur manquait simplement le personnel nécessaire.

Un scénario comme celui qui vient d'être décrit peut éventuellement devenir destructeur pour notre Institut ou tout autre Institut. Pourquoi ? Parce que la vitalité et la viabilité de notre Institut dépendent, au moins en partie, de son aptitude à faire preuve d'une raison solide pour son existence et à s'engager dans une mission collective qui soit crédible[9]. Comme d'autres congrégations apostoliques, nous avons été fondés surtout pour faire face à un besoin précis. Un type d'apostolat est au cœur de notre fondation.

Bien que l'exercice puisse paraître à certains pénible et provocateur, il nous faut nous rappeler à nous-mêmes aujourd'hui que ce sont nos frères et l'Institut, et personne d'autre, qui nous envoient en mission pour faire un travail apostolique particulier. Perdre de vue cet important aspect de notre vie va éventuellement transformer toute entreprise apostolique en rien de plus qu'un travail professionnel, laissant le Provincial et son Conseil accomplir des tâches plus couramment associées à celles d'une agence pour l'emploi plutôt qu'à un Institut religieux apostolique comme le nôtre.

Comme les autres Instituts religieux, nous sommes un groupe social[10]. En tant que tel, nous pouvons assurer plus efficacement l'apostolat de notre Institut lorsque nous travaillons ensemble. Dans la plupart des cas, des personnes unies dans un commun effort et travaillant les unes avec les autres ont un plus grand impact que celui qu'on obtient dans la plupart des initiatives individuelles. Des engagements collectifs, même brefs, révèlent quelque chose d'un groupe et de sa nature, chose que des engagements individuels ne font pas.

En même temps, une façon radicale de vivre selon l'Évangile dans un Institut comme le nôtre a son prix. De façon idéale, en choisissant librement de vivre la Parole de Dieu, nous sommes profondément engagés dans la vie de l'Institut. Conséquemment, cela donne à nos frères un droit considérable sur notre personne, notre temps et nos talents. Nous résistons à la tentation de regarder notre mode de vie comme orienté vers notre bien-être et notre développement personnel.

Dans les dernières années, l'entrée régulière et importante de certains d'entre nous dans des services diocésains ou paroissiaux a aussi eu un impact préjudiciable sur l'identité apostolique de la vie religieuse. Cela a surgi précisément dans l'Eglise pour faire face à des besoins humains urgents et délaissés. En conséquence, historiquement, notre Institut et d'autres comme lui, tout en étant indépendant de la structure hiérarchique de l'Eglise, y ont joué un rôle complémentaire[11].

Cependant la diminution du clergé séculier dans certains pays aujourd'hui, alors que la paroisse continue d'être définie comme le premier lieu de la vie ecclésiale, a eu comme conséquence que certains de nos frères ont été poussés à prendre du service dans l'administration des paroisses ou à jouer d'autres rôles qui traditionnellement n'étaient pas les nôtres. Cette évolution, aussi bien que la diminution des établissements dont nous avons la charge, a compromis le rôle prophétique que nous, comme frères, nous avons dans l'Eglise[12]. Pour rester fidèles à notre charisme et à notre but, nous devons réexaminer ces évolutions et leurs conséquences à long terme, et réorienter nos efforts quand c'est nécessaire.

En même temps, il nous faut reconnaître que certains de nos frères anciens ont accepté des fonctions paroissiales pour diverses raisons pratiques. Contraints de quitter l'enseignement, ils ont pris un travail en paroisse pour rester actifs. Leur effort leur permet de continuer à travailler pour l'Église dans son ensemble, pour l'Institut et pour ceux auxquels ils rendent service.

Il se peut que de nouveaux modèles de vie religieuse apparaissent dans certaines régions du monde où d'autres éléments que la mission commune, la vie communautaire et la spiritualité soudent ce groupe de personnes et les aident à donner un sens à leur engagement pour l'Évangile. Néanmoins, notre Institut doit continuer à accorder la priorité à ceux d'entre nous – qu'il faut soutenir activement en paroles et en actes – qui désirent poursuivre ensemble un apostolat collectif et organisé tout en travaillant à insuffler une nouvelle vie à ce qui fut notre inspiration des origines. 

La place et la raison d'être des institutions

En plus, dans ces dernières années, certains d'entre nous en sont venus à regarder les institutions avec méfiance. Assez souvent avec de bonnes raisons. Pour rester vivante, toute institution doit être périodiquement évaluée et, au besoin, se transformer. La plupart aussi doivent se rappeler de temps en temps la raison de leur fondation. Malheureusement, aucun d'entre nous ne peut garantir qu'une institution va profiter de ces mesures correctives nécessaires.

Et pourtant, les institutions ont la possibilité d'être un puissant moyen de changements sociaux. Elles ont aussi plusieurs autres buts : donner à ceux qui y travaillent une plus grande visibilité dans la communauté locale et leur assurer une place où ils peuvent entrer en contact avec des jeunes qui pourraient être intéressés à rejoindre notre Institut.

Pendant le processus de renouveau qui est en cours depuis Vatican II, les responsables de certaines de nos Provinces ou Districts ont décidé que notre service dans l'une ou l'autre institution avait atteint son terme. Ils ont transmis à d'autres la prise en charge de ces fondations. Rétrospectivement, cependant, nous pouvons nous être dégagés trop rapidement de nos implications dans certaines institutions. En agissant ainsi nous n'avons pas seulement perdu une possibilité de contact avec les jeunes, mais aussi la possibilité d'influer sur la future orientation de nos ressources vers le charisme de notre congrégation.

Gardons l'idée suivante bien présente à l'esprit : les institutions qui continuent à être fidèles à leur projet fondateur et celles qui peuvent être transformées de façon à être plus attentives aux signes des temps, peuvent être pour nous une ressource très estimable pour notre mission. Dans les années passées, bien des institutions maristes ont été fondées pour l'éducation des enfants pauvres et des jeunes. C'est le sujet vers lequel nous tournons maintenant notre attention. 

 

QUESTIONS POUR RÉFLÉCHIR

Prenez quelques instants pour lire les questions ci-dessous et y répondre. Comme précédemment, elles sont ici pour vous aider à réfléchir sur ce que vous avez lu dans les pages qui précèdent. Prenez une plume.

1

 Quelles ont été vos expériences de partenariat avec des laïcs ? . Faites une liste de trois résultats avantageux de ce mouvement pour ceux y sont impliqués, pour notre Institut ou pour notre Église ? Quels obstacles reste-t-il à surmonter dans le domaine du partenariat avec les laïcs ?

2

 Prenez un peu de temps pour décrire les institutions de votre Province ou District. À quoi ressemblent-elles ou que font-elles ? Quels traits vous indiquent qu'une institution doit se réformer ?

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3ièmePARTIE

Mission, vie apostolique et les pauvres 

Dans les dernières années – souvent de façon forte et émouvante – beaucoup a été dit et écrit sur les travaux de notre Institut et sur les jeunes et les enfants pauvres qui forment une grande part de la population mondiale. Quelle relation y a-t-il entre les deux ? Encore plus important, à la lumière de notre charisme, du vœu de pauvreté et des appels de l'Église et des Chapitres généraux) et provinciaux de nous mettre au service de ceux qui sont en marge de la société, où sommes-nous appelés à mettre nos énergies apostoliques en tant que groupe aujourd'hui et demain ?

Nul doute qu'il y a des unités administratives dans l'Institut où les frères et leurs partenaires laïques ont répondu à ces questions de façon satisfaisante. L'ayant fait, ils ont peut-être aussi mis en place un plan d'action visant à les aider à réaliser ce qui a été décidé.

Cependant, la majorité de nos frères ne sont pas encore arrivés à des réponses définitives quant à ces questions. En vérité, en essayant de le faire, de grandes différences d'opinion sont souvent apparues. Par exemple, il y a des Provinces et des Districts dont les membres n'ont pas encore atteint un consensus sur la signification du terme « les pauvres ». Il y a aussi, dans d'autres unités administratives, la suggestion que, si nous changeons l'orientation de nos efforts pour travailler avec les enfants et les jeunes marginaux, ce serait pour certains montrer un manque de considération pour une grande partie du passé. Ils demandent : « Sommes-nous appelés à abandonner un système d'écoles qu'il a fallu tant d'années à construire et les sacrifices de tant d'entre nous pour les faire bien fonctionner ? » Ces institutions, soulignent-ils, ont été jusqu'à présent un bon moyen d'évangélisation, nous permettant de rendre un service inestimable à l'Eglise et au tissu social des pays dans lesquels elles se trouvent.

Il y a finalement quelques Provinces et Districts dont les frères semblent s'être dispensés d'une réflexion et d'un débat sérieux sur le service que nous sommes appelés à rendre aux jeunes et aux enfants pauvres. Ils ont redéfini l'expression les pauvres pour l'adapter à leurs circonstances ou, plus ou moins consciemment, ces unités ont emprunté les critères de leur culture bien qu'ils soient contraires à ceux de l'Evangile. Un certain nombre ne voient pas la contradiction qui surgit quand leur niveau de vie ou celui de leur communauté dépasse ce que l'on trouve dans la vie quotidienne de leurs collègues laïques.

La situation est particulièrement troublante quand ceux qui sont impliqués sont des citoyens d'une nation économiquement en difficulté ou vivent dans une telle région. Certains, par exemple, réalisant que leur région est déjà considérée comme pauvre aux yeux de la communauté mondiale peuvent insister pour dire que des caractéristiques comme la simplicité de vie réclamée par nos Constitutions et Statuts sont des données dues aux circonstances locales. D'autres rationalisent, se convainquant qu'une série de règles différentes s'applique, et quelques-uns se rabattent sur la culture pour soutenir que, à cause de leurs engagements religieux, leurs compatriotes s'attendent à ce qu'ils vivent mieux que la moyenne des gens.

Sans tenir compte des lieux où nous vivons ou du degré de richesse ou de pauvreté qui existe chez les gens que nous servons, nous sommes tous appelés à vivre d'une façon marquée par une évidente simplicité, une volonté de retrousser nos manches et de travailler manuellement suivant les besoins, une attitude de respect pour tous ceux qui travaillent dans nos centres apostoliques ou nos maisons, peu importe leur activité.

Nul, donc, qui se dit membre de l'Institut de Marcel- lin ne peut se dispenser d'aborder le sujet de nos activités et de leur rapport avec les jeunes et les enfants pauvres de notre monde. Et il y a diverses façons d'entreprendre cet effort.

Une de ces façons est d'entretenir un esprit de dévouement et de zèle dans notre vie apostolique. Une autre est d'adopter autant que possible les conditions des plus pauvres que nous servons afin de mieux comprendre leurs réalités. Faire nôtre l'expérience des margina- ' lisés nous donne aussi plus de crédibilité comme évangélisateurs.

Telle fut l'expérience de Gandhi quand il s'immergea progressivement dans sa mission de résistance pour la cause de la justice. Même si lui-même et sa femme s'étaient engagés à une vie de célibat après onze ans de mariage, ce ne fut que lorsqu'il se vêtit simplement et qu'il prit goût à la rue comme un pauvre qu'il devint un témoin crédible et que les masses de l'Inde se mirent à le suivre. Aussi longtemps qu'il resta à part de la majorité de ses concitoyens, il attira peu de personnes à sa cause. Cependant, lorsqu'il accepta les circonstances de leurs vies, beaucoup se levèrent et le rejoignirent[1].

 Le plus souvent, lorsque nous tentons de simplifier nos vies, notre esprit de zèle devient plus intense. En nous encourageant à être « le feu sur la terre[2]», les membres de notre 20ièmeChapitre général ont réaffirmé que l'éducation doit être notre domaine privilégié pour l'évangélisation et la promotion humaine. Ils ont aussi exprimé leur gratitude à l'égard des frères et de leurs partenaires laïques qui travaillent dans nos écoles et nos autres œuvres. En même temps, ils nous ont interpellés vous et moi pour que nous soyons sûrs que chacune de nos institutions soit reconnue pour sa promotion des valeurs évangéliques et des principes de justice sociale.

En poursuivant dans la même lignée, les membres du Chapitre nous ont rappelé que vivre pleinement notre option préférentielle pour les pauvres est une tâche inachevée. Il est difficile de récuser l'exactitude de leur remarque. Après tout, nous avons encore à poursuivre, dans chaque Province et District, et au niveau de l'Administration générale, le modèle de discernement basé sur l'Evangile, qui sera nécessaire si nous voulons vraiment transformer nos œuvres.

Il y a peu de raisons d'être découragés, cependant, puisque nous ne sommes pas seuls pour faire face à ces défis. Prenons un seul exemple. Il y a plusieurs années, alors qu'ils réfléchissaient sur le sujet de l'usage des biens matériels, les membres de l'Union des Supérieurs généraux ont fait remarquer que leurs rêves pour refonder leurs Instituts resteraient juste des rêves, s'ils ne parvenaient pas non plus à considérer la façon dont ils avaient acquis leurs biens et les géraient, les sommes qu'ils avaient accumulées, l'usage de leur patrimoine et de leur argent, et la façon dont ils partageaient ce qu'ils avaient.

Dans les pages suivantes, je projette d'aborder plusieurs points spécifiques à propos de nos œuvres comme Institut, et des jeunes et des enfants pauvres qu'il nous est demandé de servir. Pour le faire, je vais d'abord essayer de clarifier ce que nous entendons par l'expression « les pauvres ». J'imagine que certains vont lever les bras d'exaspération en lisant cette dernière ligne et insister sur le fait que cette question a déjà été résolue pour nous comme Institut il y a longtemps. Peut-être pour certains d'entre nous, mais apparemment pas pour tous. Jusqu'à ce que nous arrivions à un consensus sur ce sujet au niveau fondamental du langage, il n'y aura pas de comportement commun, seulement une incompréhension et un désaccord qui vont se poursuivre.

Puis nous devons tomber d'accord sur une autre expression : une option pour les pauvres. Cette notion prend racine dans l'Ecriture et l'enseignement social catholique et a été une source d'inspiration pour plusieurs articles de nos Constitutions et Statuts maristes. Les principes sur lesquels se base l'option pour les pauvres ont aussi été des éléments qui ont guidé les efforts de renouveau de beaucoup de nos Provinces et Districts durant les années qui se sont écoulées après le second Concile du Vatican.

Notre tâche sera facilitée si nous pouvons comprendre plus pleinement les raisons pour lesquelles certains ; efforts du passé pour appliquer une option pour les pauvres ont rencontré de la résistance dans certaines parties de l'Institut. Bien que cette réaction reflète l'expérience de l'Eglise dans son ensemble, comment l'expliquer ?

Après tout, les papes, depuis la fin du Concile, aussi bien que les documents écrits et les décisions prises à bien des rencontres nationales et internationales de l'Institut durant cette même période ont insisté sur ce point : une option pour les pauvres est un élément à la fois central et essentiel pour renouveler notre mode de vie.

Enfin, je conclurai en suggérant des étapes concrètes que vous et moi, aussi bien que nos Provinces et nos Districts, pouvons prendre pour mieux réaliser le message de l'Évangile, notre inspiration fondatrice, et pour répondre aux appels récents que nous adresse l'Eglise de consacrer nos efforts au soin des jeunes et des enfants pauvres.

Avant d'aller plus loin sur le sujet, je dois cependant admettre que, au cours de ces dernières années, un certain nombre de nos frères se sont étonnés très fort du fait que notre appel à nous mettre au service des enfants et des jeunes pauvres ait été à peine souligné pendant leurs années de formation. Ils demandent : « Pourquoi cette question est-elle devenue maintenant si centrale ? »

C'est une bonne question qui mérite une réponse. Tout d'abord, tout processus de rénovation et de transformation dans lequel un groupe se trouve impliqué brise toujours la routine. Il laisse aussi à un grand nombre de ceux qui sont concernés l'impression d'être perdus en mer. Ils comprennent qu'ils ne peuvent pas retourner d'où ils viennent, mais en même temps ils ne savent pas vraiment où ils vont.

Depuis la fin de Vatican II, notre Institut a pris au sérieux l'appel de l'Église d'étudier nos origines et d'être attentifs aux signes des temps. Les lettres du Fondateur ont été classées systématiquement et le contexte dans lequel chacune a été écrite a été expliqué clairement. De nouvelles traductions de certains documents de l'Institut ont été faites et d'autres ont été disponibles pour la première fois dans les quatre langues officielles de l'Institut. Disposant de toutes ces ressources, nous avons pu mieux percevoir le Fondateur et ses projets des débuts, ce que nous n'avions pas dans les années antérieures.

Ensuite, comme on l'a souvent mentionné, notre Église a invité de façon spéciale les religieux et les religieuses à aller vers les pauvres dans les années récentes. Ces appels ont été constants et toujours passionnés.

Plutôt que de résister, il nous faut accepter l'esprit de notre Fondateur. Marcellin n'était pas un imprudent, mais il était audacieux, novateur dans ses réponses, et intrépide dans ses actions. Il a surpris ses contemporains à maintes reprises. Voici un simple exemple : bien que Marcellin fut presque constamment endetté tout au long de sa vie, quand il mourut les frères découvrirent qu'il les avait quittés sans pratiquement laisser de dettes. A l'exception d'un emprunt exceptionnel – qui fut rapidement payé grâce à la générosité d'un bienfaiteur – nos premiers frères n'ont pas hérité de dettes de notre Fondateur. Dieu veuille que nous ayons le courage aujourd'hui de vivre le christianisme pratique de cet homme et de ce saint agréablement simple ! 

Ceux qui sont pauvres

En dépit de ce que nous pourrions décider de considérer comme pauvreté, au regard de ses aspects dans notre situation locale, quand le Fondateur parlait des pauvres, il avait clairement à l'esprit les enfants et les jeunes qui étaient économiquement sans ressources. Il nous faut garder ce trait à l'esprit, car il y a bien des formes de pauvreté dans notre monde d'aujourd'hui et au moins autant de définitions. Mais comme frères de Marcellin, nous ne sommes pas appelés à répondre à toutes ces formes de pauvreté.

Certains chercheurs sociaux emploient des indicateurs quantitatifs pour déterminer qui est pauvre. Avec ce système, le revenu d'une personne, son niveau d'accessibilité à l'eau potable, à une nourriture de qualité, à un bon logement, à une protection de santé, à des possibilités d'éducation, à des services gouvernementaux efficaces et non corrompus, et une foule d'autres points servent à identifier ceux qui sont marginalisés et ceux qui ne le sont pas.

D'autres soulignent des facteurs qualitatifs pour mesurer la pauvreté. Par exemple, beaucoup de personnes qui sont pauvres souffrent d'être sous-estimées. Ce manque de confiance en soi est à la fois le résultat et la cause de leur pauvreté. Quand des personnes ne se respectent pas elles-mêmes, elles sont souvent méprisées par les autres. Cette situation est particulièrement pénible pour les jeunes et les enfants pauvres. Selon une autre approche, les auteurs du Rapport mondial sur la jeunesse 2005[3]des Nations Unies suggèrent que la précarité est la condition habituelle des pauvres, spécialement de ceux qui se lancent dans la vie.

Le Frère Benito, dans sa circulaire Sur l'usage des biens matériels a souligné combien facilement les milieux dans lesquels nous sommes peuvent influencer notre compréhension de la pauvreté[4]. Il nous a invités par exemple à juger de la vraie nécessité de bien des dépenses faites pour créer ce que l'on pourrait décrire comme une école mariste d'excellence.

Il y a peu de raisons, parfois, de s'étonner que des frères qui vivent et travaillent quotidiennement parmi les pauvres soient devenus sceptiques et considèrent tous nos discours sur les pauvres et le vœu de pauvreté comme guère plus qu'une rhétorique vide[5].

Pourtant, aux temps de Marcellin, les difficultés financières étaient évidentes dans la vie des gens que lui et ses frères servaient. Non seulement il le dit dans sa lettre de juillet 1833 à Mgr Devie de Belley[6]déjà citée plus haut, mais il reprend ce sujet en juillet 1839 quand il écrit au maire de Charlieu. Une ligne de la lettre du Fondateur dit ceci : « Nous espérons que le Seigneur bénira, enfin, les efforts que vous faites pour procurer l'instruction religieuse aux enfants pauvres qui, sans votre zèle, en auraient été privés à cause de l'indifférence de la plupart des parents[7]. »

La préférence de Marcellin pour les enfants pauvres était évidente non seulement dans ce qu'il écrivait mais aussi dans la façon dont lui et nos premiers frères vivaient. Par exemple, ceux qui furent nommés à l'école de Charlieu ont apparemment dû faire face à des conditions moins qu'idéales. Le Frère Avit nous dit que pendant plusieurs années les trois frères sur place ont été contraints de changer sans cesse de bâtiments pour leurs classes.

Cependant, l'arrivée d'un nouveau maire, M. Guénault, sembla apporter quelques soulagements. Il fit déplacer leurs classes et cuisine dans un bâtiment d'un étage proche de l'école secondaire et leur fit part de ses plans pour ajouter un deuxième étage l'année suivante afin de leur procurer un logement. Ils furent évidemment satisfaits de cette nouvelle puisque tous trois dormaient à la mairie, au milieu de la ville, depuis longtemps[8]. On peut dire que la vie simple de ces hommes était évidente pour tous et chacun ; ils partageaient vraiment le sort des gens qu'ils servaient. 

Défi

La vie consacrée n'a pas été créée seulement pour éradiquer la pauvreté. Si c'était la seule logique pour cette façon de vivre l'Evangile, elle disparaîtrait alors chaque fois que la condition critique des pauvres serait soulagée. Très clairement, des instituts comme le nôtre ont pris naissance et continuent à prospérer pour des raisons autres que les services que leurs membres rendent aux pauvres.

Toutefois, à cette période actuelle de son histoire, l'Église a pris l'initiative d'encourager les religieux et les religieuses à orienter leurs efforts principalement vers ceux qui se trouvent en situation de pauvreté. Par exemple, à leur synode de 1971, les évêques participants ont demandé à agir au nom de la justice « une dimension constitutive de la prédication de l'Évangile. »

Travailler avec des pauvres fait aussi partie du charisme de fondation de notre Institut, et un nombre extraordinaire de Chapitres généraux et provinciaux ont pris des décisions qui nous orienteront davantage vers les enfants et les jeunes pauvres et marginalisés. Aussi, comme si la vision du Fondateur n'était pas suffisante pour nous convaincre de ce qui devrait être le centre d'intérêt de nos efforts aujourd'hui, nous avons aussi l'Eglise et de nombreux autres facteurs qui nous poussent dans cette direction.

Depuis nos premiers jours, trois aspects essentiels de notre identité comme Frères de Marcellin ont été clairs : vivre et travailler au milieu des jeunes, évangéliser d'abord par l'éducation et parfois par d'autres moyens, faire montre d'un souci particulier pour les jeunes et les enfants pauvres, ceux qui vivent en marge de la société. Etudions-les l'un après l'autre.

Qu'arriverait-il si nous devions soudainement utiliser toutes nos ressources pour des programmes établis pour des personnes âgées plutôt que de les concentrer sur les jeunes ? Nous perdrions un aspect important de notre identité, un aspect qui nous a distingués des autres pendant près de 200 ans. Peu de personnes sauraient désormais qui nous étions.

Pareillement, nous avons toujours soutenu que les écoles et les autres œuvres que nous administrons pour le service des jeunes représentent beaucoup plus qu'une solution de remplacement pour ce que l'Etat ou des agences privées peuvent offrir en termes d'éducation et de service de l'enfance. Si nous devions soudainement réorienter nos écoles pour en faire des institutions privées mises en place pour augmenter les chances d'admission à l'université, nous perdrions un autre aspect essentiel de notre identité. Car nos écoles en elles-mêmes ne sont pas ce qui est important, mais elles sont avant tout destinées à être des lieux où les jeunes viennent pour aimer le Seigneur plus totalement.

Le même raisonnement peut tout à fait s'appliquer à notre appel à travailler avec ceux qui sont le plus dans le besoin. Nos efforts pour répondre courageusement à cette invitation doivent être évidents non seulement dans nos documents, mais aussi dans tout ce que nous disons et faisons. 

Une option pour les pauvres

La notion d'option pour les pauvres a son centre dans cette signification biblique : ceux qui vivent en marge sont les instruments privilégiés de la providence de Dieu[9]. Maintes fois, Dieu a choisi les faibles pour renverser les puissants, les stupides pour confondre les sages.

À la fois l'Ancien et le Nouveau Testaments contiennent de nombreux exemples de délaissés et d'exclus qui jouent un rôle vital pour le salut de l'humanité. Moïse, par exemple, a protesté disant qu'il avait un discours lent et hésitant. En dépit de cela, il fut choisi pour conduire le peuple de Dieu. Le plus jeune fils de Jessé, David, qui est resté au dehors dans le froid à garder les moutons quand Samuel vient chercher un successeur pour Saul, est devenu le plus grand roi d'Israël.

Dans le Nouveau Testament, ce sont Marie, Anne, Siméon, Pierre, Jacques, Jean et Marie de Magdala qui ont pu reconnaître le Messie. Comme membres des anawim ou pauvres de Yahvé, ils ne furent pas scandalisés que Jésus soit venu comme un Serviteur souffrant plutôt que comme un roi conquérant.

Une authentique option pour les pauvres comprend trois mouvements : la solidarité, l'analyse et l'action. 

Solidarité

Pour nos orientations et à la lumière de notre charisme, le mot solidarité est employé ici pour décrire un choix délibéré de notre part pour entrer dans le monde des enfants et des jeunes marginalisés dans la société. En faisant ainsi nous en venons à partager leurs luttes et leurs désarrois ainsi que leurs joies et leurs espérances. L'article 34 de nos Constitutions et Statuts l'exprime ainsi aux lignes 4 à 12 :

Guidés par la voix de l'Église

et selon notre vocation propre,

nous sommes solidaires des pauvres

et de leurs causes justes.

Nous leur donnons notre préférence,

partout où nous sommes

et quel que soit notre emploi.

Nous aimons les lieux et les maisons

qui nous font partager leur condition,

et nous saisissons les occasions de contact

avec les réalités de leur vie quotidienne.

La solidarité avec les jeunes et les enfants pauvres peut conduire à une transformation du cœur, nous forçant à revoir nombre de nos opinions à propos de l'usage des biens, de la simplicité de vie et de l'obligation de parler haut et fort pour dénoncer toute injustice que nous rencontrons. Une fois encore, l'article 34 de nos Constitutions et Statuts nous le rappelle aux lignes 1 à 4 :

Par fidélité au Christ et au Fondateur, nous aimons les pauvres. Bénis de Dieu, ils nous attirent ses faveurs et nous évangélisent.

La solidarité cependant n'est pas un droit sur lequel nous pouvons insister ou que l'on peut considérer comme acquis. C'est plutôt un cadeau offert par des personnes qui sont pauvres et vivent en marge de la société où elles se trouvent. Elles en font le don quand elles le veulent et comme elles le veulent, et seulement à ceux qui viennent à eux libres de toutes attitudes de paternalisme ou de suffisance. Si le don de la solidarité arrivait enveloppé dans un colis, la carte l'accompagnant porterait ce message : en dépit de différences évidentes à l'arrière-plan comme la couleur de la peau ou la langue, nous vous voyons comme ne faisant qu'un d'esprit et de cœur avec ceux qui sont pauvres parmi nous.

Un exemple personnel peut aider à illustrer cela. Pendant ma dernière année de scolasticat et mes premières années d'enseignement, j'étais engagé comme volontaire à temps partiel pour aider à reconstruire deux bâtiments dans le voisinage de la ville de New York à East Harlem. A cette époque, cette zone était économiquement en déclin et de nombreuses maisons étaient laissées vides ou en très mauvais état. Le fait que le prix total d'achat des deux bâtiments que nous rénovions ne s'élevait qu'à 2000 $ est une preuve des difficultés financières et d'autres difficultés que connaissaient les résidents de ce quartier.

Un samedi après-midi pendant un temps de repos durant le travail de construction, je me suis mis à causer avec une jeune femme du voisinage qui s'appelait Gloria. Pendant notre conversation, elle me dit : « Seán, nous apprécions tout ce que les frères font pour nous, mais vous ne serez jamais l'un des nôtres. » Surpris, je lui ai demandé ce qu'elle voulait dire. Gloria continua : « Vous avez de l'instruction, vous pouvez aussi nous quitter ce soir. Je n'ai rien contre le fait que vous avez de l'instruction ; vous avez travaillé pour cela. Mais nous qui sommes nés dans ce voisinage n'avons pas la même liberté que vous et les autres frères avez. » La solidarité est un don, nous ne pouvons pas nous en prévaloir. 

Les anawim d'aujourd'hui

Dans l'esprit des auteurs de l'Ancien Testament, le mot « pauvre » ne concernait pas seulement ceux qui avaient peu ou pas d'argent. Il comprenait des groupes qui étaient économiquement défavorisés mais aussi ceux qui manquaient de position sociale et/ou étaient traités injustement par des gouvernants étrangers ou des autorités de leur propre pays.

Ces gens étaient opprimés parce qu'ils étaient pauvres et étaient de ce fait à la merci de gens sans scrupules. Ils étaient pauvres aussi parce qu'on les avait trompés et privés de leurs droits. De plus, leur statut social comme veuves, orphelins, réfugiés, etc., les rendait faciles à exploiter.

C'était le groupe auquel le prophète Sophonie faisait allusion quand il rappelait aux Israélites que même dans les pires moments il y aurait un reste de fidèles au milieu d'eux. Connue comme les anawim ou les pauvres de Yahweh, cette communauté de foi était dans l'attente de la venue du Messie.

Les hommes et les femmes qui formaient les anawim trouvaient leur sécurité et leur dignité, non dans les signes extérieurs du monde matériel, mais en Dieu. Jésus s'y référait dans le Sermon sur la montagne : « Heureux les pauvres de cœur car le royaume des cieux est à eux ; heureux les doux, car ils auront la terre en partage[10]. »

Jésus aussi s'est vidé de lui-même et s'est fait pauvre, pour que nous puissions devenir riches. À son époque, il n'avait pas besoin de se dire solidaire des marginalisés car il était de leur nombre. Il se donnait aux pécheurs, aux malades et aux rejetés de la société.

Aussi il nous incite à lutter continuellement, dans les réalités quotidiennes, pour redresser les torts de ceux qui sont abandonnés, seuls et étrangers, pour protéger la dignité des pauvres et soutenir les opprimés alors qu'ils luttent pour arriver à la liberté.

Quand nous nous engageons dans une option pour les pauvres, nous commençons à ressembler à ceux qui attendaient ardemment la venue du Seigneur. En faisant ainsi nous prenons notre place parmi les membres des anawim du monde moderne, le groupe de fidèles qui proclament le Royaume de Dieu et son imminence et s'engagent à vivre radicalement sa Bonne Nouvelle. Le défi que nous présentent aujourd'hui l'Eglise et les documents de notre Institut n'est pas seulement un appel à travailler avec les pauvres ; c'est plutôt une invitation à rejoindre leurs rangs par une vie simple, un témoignage prophétique et finalement une révolution du cœur. 

Analyse

Le deuxième aspect de l'option pour les pauvres – l'analyse – est aussi bien rendu par l'article 34 de nos Constitutions et Statuts aux lignes 13 à 20 :

Le souci des pauvres

nous pousse à découvrir

les causes de leur misère

et à nous libérer de tout préjugé

ou indifférence à leur égard.

Il nous fait devenir plus responsables

dans l'usage de nos biens

que nous devons partager

avec les plus démunis d'entre eux.

 

Nous évitons de les choquer

par un train de vie trop confortable.

 

Le travail d'analyse commence par un processus de discernement et de réflexion personnelle. Nous commençons par nous demander : Pour quelle raison ce groupe d'enfants et de jeunes a-t-il été marginalisé ? Quelles en ont été les douloureuses conséquences ? Nous jetons aussi un regard pour voir comment nous aurions pu être personnellement de connivence avec cette situation d'injustice. Disons-le simplement : Que fai- sons-nous qui renforce l'isolement de ceux qui sont marginalisés dans notre société ?

Vient ensuite la solution du problème. Nous nous engageons à travailler ensemble avec ceux que nous servons pour remédier à la situation présente. Puis nous joignons nos efforts aux leurs pour trouver des solutions salutaires et réalistes. Ces deux étapes – trouver des remèdes et s'assurer de l'aide des autres pour les appliquer – sont mieux réalisées si nous travaillons avec ceux dont les droits ont été bafoués. S'ils doivent un jour surmonter leur sentiment d'impuissance, les pauvres et les marginalisés doivent être habilités à prendre la parole et à agir en leur nom propre. 

Le vœu de pauvreté

Certains peuvent penser qu'ils comprennent bien la condition difficile des pauvres et des marginalisés parce qu'ils pratiquent le vœu de pauvreté[11]. Ici il nous faut être prudent. Sans aucun doute, notre vœu nous pousse à vivre simplement et à travailler pour le bien commun. Par exemple, l'article 42 de nos Constitutions et Statuts nous le rappelle :

Nous vivons concrètement la pauvreté

personnelle et communautaire

en menant une vie laborieuse et sobre,

sans recherche du superflu.

Le vœu nous apprend aussi l'importance de compter sur Dieu[12]. Tout au long de sa vie, le Fondateur n'a jamais cessé d'inculquer cette leçon à nos premiers frères. « Mettez votre confiance en Dieu. » leur conseillait-il. « Croyez que la Providence vous bénira et vous soutiendra et pourvoira à vos besoins. »

Marcellin avait naturellement une confiance illimitée en Dieu. Sinon aurait-il pu rester serein face à ses dettes et ses autres difficultés ? Comme si Dieu récompensait cette confiance, à sa mort, le Fondateur a pu laisser à nos premiers frères plus de 200.000 francs en biens de propriété, sans aucune dette, sauf quelques milliers de francs encore dus pour une propriété achetée l'année avant sa mort. Et, comme si Dieu avait décidé de récompenser la confiance de Marcellin jusqu'au bout, un généreux bienfaiteur remboursa cette dette peu de temps après.

La simplicité est un autre élément important de notre vœu de pauvreté. Et là encore le Fondateur nous sert d'exemple. Il se contentait lui-même du sort des autres, ne prenait pas de grands airs et se sentait mal à l'aise quand les autres le faisait valoir. Sa vie nous sert de bon exemple. Comme pour souligner ce point, nos Constitutions et Statuts nous rappellent que :

 Notre pauvreté apparaît aussi dans la simplicité

qui doit marquer notre manière d'être,

notre style de vie et notre action apostolique.

 

Elle nous demande de faire fructifier nos talents,

de partager ce que nous sommes et ce dont nous disposons,

spécialement notre temps personnel[13]

Le vœu de pauvreté tourne notre regard vers le bien commun plutôt que vers l'individualisme. Il nous rappelle que la seule richesse que nous avons en cette vie c'est notre temps, et il nous incite à le bien utiliser. Comment utilisons-nous notre temps ? Au service des jeunes ou de nous-mêmes ? Bien vécu, ce vœu ouvre nos cœurs et nos esprits au don de la solidarité.

Le Fondateur aimait les pauvres et voulait en conséquence que nous nous mettions d'abord à leur service. La vie simple et souvent rude de nos premiers frères les maintenait proches de la réalité de la vie de leurs élèves et de leurs familles. Dans l'Institut aujourd'hui, la situation est très différente. Nous devons être attentifs à ne pas croire que notre vœu de pauvreté nous donne à la fois la compréhension et la connaissance pratique du sort malheureux des personnes qui sont matériellement pauvres et marginalisées.

Par exemple, il y a une énorme différence entre prendre la décision de ne pas manger aujourd'hui, pour une raison ou une autre, et le fait de n'avoir réellement rien à manger. A la lumière de notre vœu de pauvreté et par désir de solidarité avec les pauvres, nous pourrions choisir de ne prendre qu'un repas par jour pour une période assez longue. En faisant cela, nous devons cependant ne jamais oublier ce fait important : demain un repas sera prêt pour nous, même si ce n'est qu'un seul repas. Est-ce que chaque pauvre peut se dire la même chose avec la même assurance ? Probablement non. Le mieux qu'il pourrait se dire serait : « J'aimerais bien pouvoir manger quelque chose aujourd'hui, et Dieu seul sait si j'aurai quelque chose à manger demain. »

Ce sont deux réalités radicalement différentes. Nous traitons les pauvres avec condescendance lorsque nous nous persuadons, qu'à cause de notre vœu de pauvreté, nous partageons leur condition difficile. Nous avons une liberté que les pauvres n'ont pas, qu'ils soient femmes, hommes ou enfants. Recevoir le don de la solidarité devrait donc nous rendre humbles plutôt que de nous enorgueillir. 

Résistance

Aujourd'hui, tout le monde dans l'Église ou notre Institut n'est pas pleinement convaincu qu'une option pour les pauvres et une action appropriée soient des éléments nécessaires au renouveau. Comment pouvons-nous bien expliquer ce phénomène et comment pouvons-nous aider tous ceux que cela concerne à mieux comprendre la signification et la place qu'une telle option a dans la vie de chacun de nous, de notre Institut et de l'Église ?

Pour commencer, nous devons nous souvenir que la notion d'option pour les pauvres est un thème dominant du plan d'ensemble pour le renouveau de l'Église depuis au moins les trente dernières années. Bien que le Pape Jean-Paul II ait parfois apporté des réserves quant à l'usage de ce terme, à partir des années 80 et par la suite il a fait référence de temps à autre à une option préférentielle pour les pauvres dans certains de ses discours quand il était en visite en Amérique latine. Il y a aussi fait référence dans son encyclique de 1987 Sollicitudo rei socialis[14]et de nouveau, en 1994, dans la lettre apostolique Tertio Millenio Adveniente[15].

Ceux qui sont exclus, les gens apparemment sans importance de nos sociétés, jouent vraiment un rôle vital dans l'histoire du salut de l'humanité. Comme il a été mentionné plus tôt, le trait distinctif d'une option pour les pauvres inspirée de la Bible est la conviction que, en dépit des apparences contraires, les marginaux ont quelque chose de spécial à apporter à chacun de nous. Nous devrions donc nous donner du mal pour consacrer du temps et de l'attention à ces enfants et à ces jeunes qui n'appartiennent pas au milieu normal et pour trouver les moyens de les y faire accéder.

Dans notre vie de chaque jour, nous devons donc nous demander : Pouvons-nous créer un espace en nous pour entendre les voix dissonantes ? Pouvons- nous trouver une place pour ceux qui sont souvent considérés comme des intouchables par la société en général, cette société mondiale dans laquelle nous sommes de plus en plus impliqués ? 

Ne pas assumer

Pourquoi tant de nos frères et collègues laïques sont-ils réticents à s'engager dans une option pour les pauvres ? Sûrement pas par mauvaise volonté. Mais beaucoup craignent le type de changement radical qu'ils verraient apparaître dans notre Institut et dans l'Église si de telles initiatives se produisaient. En conséquence, ils peuvent éviter ou écarter ce sujet soit en l'atténuant, soit en l'interprétant mal.

D'autres craignent une perte de considération. Comme membres de l'Eglise, par exemple, nous avons souvent utilisé les institutions associées à l'éducation, aux soins de santé, aux moyens de communication pour instiller les valeurs chrétiennes dans les sociétés où nous étions. Cela est certainement vrai de nous comme frères : nous avons utilisé nos écoles et nos institutions et d'autres organismes dont nous sommes responsables pour inculquer les principes de notre foi aux élèves qui nous sont confiés[16].

Mais, comme propriétaires de ces établissements d'éducation, nous sommes aussi devenus, pays après pays, une partie de l'ordre établi, obtenant la considération de beaucoup de gens à cause de la qualité de l'enseignement que nous offrons. Cette considération entraîne des privilèges et plusieurs craignent de les perdre. Nous pouvons alors succomber à la tentation de conserver les principales structures des sociétés dans lesquelles nous vivons, même lorsqu'un changement est justifié.

Nous ne sommes pas les seuls à nous sentir mal à l'aise devant le changement. Des membres de la plus vaste communauté ecclésiale ont manifesté leur incompréhension et leur colère ces dernières années quand des membres de certains instituts religieux ont quitté ou réduit certains apostolats familiers pour prendre des œuvres qui s'adressent directement aux pauvres[17]

Action

Les membres de notre 20ièmeChapitre général nous ont encouragés à rechercher de nouveaux projets pour exprimer notre option préférentielle pour les pauvres. Ils nous ont aussi rappelé que la formation initiale et continue des frères et des laïcs devrait constamment être attentive au monde des marginalisés.

Aussi, aujourd'hui, si nous ne l'avons pas déjà fait, nous devons mettre de côté la rhétorique qui a parfois dominé les discussions sur la nécessité de servir les pauvres parmi nous, et au lieu de cela imaginer à quoi peut ressembler une réponse créatrice et courageuse à ce défi dans les nombreuses situations concrètes dans lesquelles se trouve notre Institut. Notre réponse doit être aussi audacieuse et de grande portée que l'initiative de mission ad gentes actuellement en cours dans l'Institut.

Tout d'abord, nous devons retrouver la mentalité apostolique du Fondateur. Son but, comme on l'a dit auparavant, était de proposer un type d'évangélisation qui formerait de bons chrétiens et de bons citoyens. Mais comment atteindre ce but aujourd'hui dans les multiples ; situations dans lesquelles nous nous trouvons ?

Deuxièmement, nous devons reconnaître le bon travail accompli par plusieurs depuis la fondation de notre Institut jusqu'à présent, tant dans les formes traditionnelles d'apostolat que dans les nouvelles. Et nous devons remercier Dieu d'avoir béni nos efforts de manière extraordinaire. Oui, nous avons travaillé dur ; mais c'est la grâce de Dieu qui a rendu cela possible.

Troisièmement, nous devons examiner de près les nombreux essais honnêtes qui ont été faits au cours des cinq décennies pour élargir nos efforts apostoliques en vue d'inclure de plus en plus ceux qui vivent aux marges des sociétés où nous vivons et travaillons. Nombre de ces initiatives peuvent servir de modèles pour ce qui pourrait être possible à l'avenir.

Quatrièmement, nous devons admettre, en commençant nos projets, qu'il n'y a pas de solution unique aux défis que nous affrontons dans nos projets apostoliques pour les jeunes et les enfants pauvres. De plus, les conclusions auxquelles nous arrivons ne seront pas également applicables dans tous les secteurs de notre Institut. Mais il nous faut insister, en même temps, pour dire que nul n'est exempt du travail difficile que cela entraîne, des questions franches qu'il faut se poser, et parfois, des échanges fougueux quand les opinions diffèrent, que les incompréhensions surgissent et que les sentiments sont vigoureux.

Nous ne devrions ni craindre ni éviter ces réalités. Elles font partie de la vie et de tout discernement sincère. Quand tout est dit et fait, cependant, nous devons viser à avoir sur la table quelques plans réalistes et novateurs, et nous efforcer d'accepter qu'ils varient d'une Région, d'une Province ou d'un District à l'autre dans l'Institut.

Le Père Champagnat a sans doute été un homme pratique, mais il était aussi honnête à l'excès, décidé à prendre des risques, résolu dans les buts qu'il poursuivait pour ses frères et notre Institut.

Cinquièmement, chaque Province ou District et l'Administration générale devraient avoir à tout le moins un plan à longue échéance pour la mission auprès des enfants et des jeunes pauvres, un plan auquel chacun de leurs membres participe. Le plan récemment mis en chantier pour l'Usage évangélique des biens est un moyen important d'atteindre cette fin.

Il nous faut aussi éviter les extrêmes en abordant le travail qui est devant nous. Il y aura ceux qui disent : « Nous devons laisser tout ce que d'autres ont mis en place pendant des années, nous détourner du passé, repartir entièrement à neuf. »

D'autres vont argumenter en disant que les réalités de l'économie locale et les finances de la Province ou du District, ou la situation particulière du pays lui-même, ou encore la crainte de heurter quelques-uns, nous indiquent que nous devons avancer à pas de tortue. Soyons honnêtes. Comme Institut, nous avons débattu de ces questions pendant presque un demi-siècle. Si nous ne l'avons pas encore fait, le temps est venu de tomber d'accord sur un plan d'action audacieux, orienté vers l'avenir et que nous sommes capables d'appliquer. Le temps est passé où nous pouvons dresser des plans qui semblent plaire à tous et en vérité ne satisfont personne, particulièrement ceux que nous sommes appelés à servir.

Sixièmement, sachant bien que c'est au mieux une solution partielle, chaque Province et District doit aménager un plan d'ensemble de longue portée pour la mission auprès des enfants et des jeunes, en y incluant les pauvres et les marginalisés ; c'est un plan qui concernera chaque personne, chaque communauté, chaque œuvre ; et institution de l'unité administrative.

Je dis un plan d'ensemble parce que la tendance chez beaucoup d'entre nous par le passé a été de mettre en route une ou deux créations nouvelles en réponse aux rappels périodiques de l'Institut au sujet de l'appel à se mettre au service de ceux qui vivent en marge de la société. Une telle solution a un impact sur certains, mais ne réussit pas à obtenir la transformation totale du cœur exigée par une authentique vie évangélique.

Aujourd'hui, notre réponse doit être plus radicale et plus vaste, affectant chacun des membres de la Province. En même temps, si elle doit être efficace, elle doit aussi être viable, en termes de ressources humaines, financières et spirituelles.

Pour organiser et mettre en place un tel plan, il faudra une large consultation, obtenir un engagement de temps et d'énergie de la part de chacun et étudier soigneusement les enseignements sociaux de l'Église, les documents de l'Institut et les ressources de chaque Province et District. La réalisation de tout plan définitif doit aussi se faire avec soin, chaque étape trouvant appui sur celle qui a précédé. Le changement n'est jamais facile. S'il est fait trop rapidement, il suscite seulement des résistances ; s'il est réalisé trop lentement, l'enthousiasme peut mourir.

En même temps, nous devons admettre que tandis que chaque membre de la Province ou du District doit être impliqué dans cet effort, tous n'ont pas à jouer le même rôle. Certains, par suite de leur tempérament et/ou des aptitudes qu'ils ont, sont bien adaptés pour aider directement les jeunes et les enfants pauvres.

Pareillement, il y a ceux parmi nous qui, à cause de ces mêmes facteurs – traits de personnalité et/ou aptitudes personnelles – sont plus particulièrement orientés dans une autre direction que l'implication au jour le jour dans la vie des pauvres. Tous les membres ont la même responsabilité de s'engager dans le plan général de la Province ou du District dans ce domaine, mais tous ne sont pas nécessairement engagés de la même façon. Dans tous nos efforts pour être au service des jeunes et des enfants pauvres, nous devons aussi toujours être rigoureux en examinant les motivations de nos décisions et de nos actions. Sommes-nous vraiment motivés par le service des plus démunis ou par notre éventuel besoin de nous sentir vertueux ?

Les faits et les chiffres ne changent pas les cœurs, l'expérience le fait. Vivre et travailler parmi les jeunes et les enfants pauvres ou prendre part à un effort pour travailler dans ce but peut mieux nous transformer et nous porter à nous consacrer de nouveau à la cause de la justice. Regardez l'archevêque Oscar Romero. Il connaissait les statistiques avant d'être en contact avec la vie et la réalité de ceux qui souffraient de pauvreté. Cependant, son cœur commença à changer seulement quand il entra en contact personnel avec des hommes, des femmes et des enfants dont la misère était aussi évidente que les causes de leur misère.

Idéalement, une fois nos cœurs transformés, nous développerons une plus grande compassion pour ceux dont nous nous approcherons. Cependant, en vivant et en travaillant avec les enfants et les jeunes qui sont pauvres, nous courons le risque de nous illusionner. Si un tel engagement me pousse à me justifier moi-même et à devenir normatif, je ferais bien d'examiner les motifs de mes actions. La présence de Dieu est toujours évidente chez ceux dont la vie est un vivant exemple des béatitudes, car vraiment leurs cœurs ont été transformés par ceux qu'ils servent. 

Remarques

La mission et les ministères étaient vivement présents dans les esprits et les cœurs des membres de notre 20ièmeChapitre général quand ils ont écrit leur Message. Ils ont souligné que l'authentique renouveau de nos œuvres avait sa source dans notre passion pour Jésus- Christ et sa Bonne Nouvelle[18].

Les membres du Chapitre ont aussi reconnu que beaucoup d'entre nous se sont déjà mis en route sur le chemin qui conduit à un changement du cœur. Et ainsi ils ont réitéré l'idée que nous formons des communautés pour le service de la mission et ils nous ont encouragés tous à faire les démarches pour rénover toutes nos communautés pour qu'elles deviennent un lieu de pardon et de réconciliation[19], une école de foi pour nous- mêmes et pour les jeunes pauvres que nous sommes appelés à servir. Ouvrez vos communautés au service du monde, voilà le défi que nous ont lancé les capitulants ; faites-en des lieux de vie évangélique au service de la mission et, par la simplicité de votre style de vie, devenez crédibles pour ceux qui vous voient.

Les membres de notre 20ièmeChapitre général ont réaffirmé que l'éducation est le moyen privilégié d'évangélisation et de promotion humaine. Us ont en même temps exprimé le brûlant désir que nos institutions soient des signes clairs des valeurs de l'Évangile et de promotion de la justice sociale. En proclamant le droit à l'éducation pour tous, ils nous ont invités à impliquer notre mission mariste dans cette campagne[20].

Enfin, ils ont aussi reconnu le dur travail fait à ce jour dans plusieurs domaines. À titre personnel, des frères ont simplifié leur style de vie. Des Provinces et des Districts ont entrepris une évaluation de leurs ressources apostoliques en vue d'orienter davantage leurs efforts vers les pauvres et les marginalisés. Nous ne pouvons pas être accusés de n'avoir pas essayé, mais nous devons aussi admettre qu'il reste encore beaucoup à faire.

Notre nouvelle implantation auprès des Nations Unies à Genève avec « Franciscans International » est un exemple d'une nouvelle initiative apostolique de l'Administration générale. Son but est de nous donner une tribune à partir de laquelle nous aurons voix au chapitre au sein des politiques établies et des décisions prises par la communauté internationale pour alléger les souffrances et la misère des jeunes.

En collaborant d'abord avec des membres des Congrégations Dominicaines et Franciscaines et avec beaucoup de laïcs, hommes et femmes, nous travaillerons à influencer la politique des Nations Unies en ce qui affecte la vie des enfants et des jeunes à travers le monde.

Comme Institut, il nous faut garder notre efficacité en travaillant dans leur intérêt et affronter les défis qui se présentent à deux niveaux : le service direct aux marginalisés et les efforts pour écarter les forces qui sont les premières responsables de leur misère.

Si nous cherchons un secteur où investir nos énergies pour renouveler notre vie apostolique, nous devons regarder plus loin que nous-mêmes. Par exemple, je me rappelle bien que l'on m'a demandé il y a plusieurs années de nettoyer la chambre d'un frère d'âge moyen qui venait de mourir subitement. C'était un homme actif, très engagé dans son apostolat, novateur et agréable, et qui avait beaucoup d'amis et de collègues.

Je fus frappé de voir qu'il possédait si peu de choses. Quelques vêtements, quelques livres et effets personnels. En une heure tout fut emballé et étiqueté. Je m'interrogeais sur la réaction de quelqu'un à qui on aurait demandé la même chose pour moi, si j'étais mort subitement comme lui. Le travail aurait certainement pris plus d'une heure ! Je réalisais aussi qu'il avait ce qu'il lui fallait pour vivre et travailler alors que j'avais tellement plus de choses inutiles.

Voici quelques questions : Premièrement, que faisons-nous pour revitaliser la mission de notre Institut et ses œuvres ? Si faire de Jésus le centre et la passion de nos vies est la façon d'accomplir cela, que faisons-nous pour nous assurer que cela va se produire ? Oui, c'est le Seigneur qui, en définitive, nous poussera à répondre généreusement aux besoins humains urgents en rapport avec notre projet des origines. Il faut nous assurer de ne pas mettre d'obstacles sur son chemin.

Deuxièmement, par le choix d'un travail apostolique communautaire, par notre façon de vivre et par notre témoignage public nous devons aussi résister à ces valeurs dans nos cultures et dans le monde en général qui minent nos efforts pour arriver à une conversion radicale, personnelle et institutionnelle. Parmi ces valeurs contemporaines, nous remarquons l'individualisme, le matérialisme, le consumérisme, la corruption et le manque de respect pour la vie humaine.

Ne vous y trompez pas : un authentique renouveau de la vie consacrée et de nos œuvres nous conduira, avec le temps, aux marges de la société. La volonté de Dieu, sans doute, est ce qui déterminera le résultat de nos efforts pour cette double rénovation, mais nous devons aussi commencer à inverser l'évolution en cours dans bien des parties du monde aujourd'hui, pour assimiler notre mode de vie à la culture populaire. En même temps, nous devons également nous efforcer d'être reconnus d'abord par notre joie évidente au service de Dieu, par la simplicité de notre vie et par notre présence parmi les plus abandonnés de la société. Nous pouvons atteindre cet idéal seulement si nous évitons la trahison beaucoup trop familière et tragique de la vie consacrée qui se produit quand nous donnons généreusement notre cœur au temps de notre première profession, puis que nous le reprenons morceau par morceau chaque année qui passe.

Cette tâche sera une tâche stimulante. Notre engagement public à vivre les conseils évangéliques plus intensément est un premier pas dans cette direction. En faisant le vœu de mettre tous nos biens en commun, de vivre notre sexualité humaine de manière chaste dans le célibat et de permettre à notre Institut et à ses membres d'avoir un droit considérable sur notre temps, nos talents et nos énergies, nous témoignons de valeurs qui diffèrent de celles qui sont estimées par beaucoup de nos contemporains.

En nous assurant que nos institutions éducatives sont des écoles qui visent à former des prophètes, qui forment avec succès des garçons et des filles qui ont pris l'évangile à cœur, et en exerçant notre apostolat dans un esprit de service désintéressé, nous témoignons de valeurs opposées à la culture ambiante. Puissent éventuellement nos institutions être reconnues comme des lieux où nous accueillons chaque enfant qui frappe à notre porte !

En concluant la section de leur Message sur la mission et la solidarité, les capitulants nous ont rappelé notre devoir incessant de prendre part aux efforts missionnaires de l'Église dans son ensemble[21]. C'est vers ce sujet que nous porterons maintenant notre attention.

  

QUESTIONS POUR RÉFLÉCHIR

Comme précédemment, prenez quelques instants pour lire les questions ci-dessous et y répondre. Elles sont ici pour vous aider à réfléchir sur ce que vous avez lu dans les dernières pages qui précèdent. Prenez une plume ou un crayon et un bloc de papier pour le cas où vous voudriez prendre des notes, écrire une expression ou une pensée dont vous aimeriez vous souvenir, ou pour développer une réflexion plus détaillée. Gardez ces notes ; elles vous seront utiles plus tard soit comme rappel soit pour une discussion sur ce que vous avez lu.

1

 Qu'en est-il de votre expérience lorsqu'il s'agit de travailler avec des pauvres ? Quels en ont été les défis et les résultats heureux ? Quelle est votre propre réponse face aux appels de l'Église et de nos récents Chapitres généraux à orienter notre Institut vers les pauvres ?

2

 Considérez maintenant l'histoire de votre Province ou District quand il s'agit de travailler avec les pauvres. Est-ce que les initiatives dans ce domaine ont été bien accueillies par les frères de la Province ou du District, ou ont-elles provoqué des résistances ? Quelle est votre propre réponse à cet effort ?

3

 Faites une ébauche détaillée du Plan pastoral d'une Province ou d'un District pour se mettre au service des pauvres. Quelles démarches feriez-vous pour impliquer tous les membres de votre unité administrative ainsi que des partenaires laïques ?

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4ièmePARTIE  

Mission ad gentes

Pourquoi conclure cette circulaire avec un débat sur la mission ad gentes ? Parce que c'est un des éléments qui se trouve au cœur de notre identité comme Petits Frères de Marcellin. La mission en Océanie fut le premier cadeau fait par l'Église en 1836 à la Société de Marie qui venait d'être approuvée ; le nom du Fondateur était en tête de liste des volontaires prêts à être envoyés dans le Pacifique. Son zèle pour la mission ad gentes fait  partie du legs qu'il nous a laissé. « Tous les diocèses entrent dans nos vues » a-t-il dit plus d'une fois. « L'Église universelle est le territoire de notre société[1]. »

Quand nous en venons à la mission ad gentes aujourd'hui, nous faisons face à une série de réalités différentes de celles que Marcellin et ses confrères prêtres de la Société de Marie ont affrontées. Aussi, nous devons nous demander : Quels facteurs ont influencé l'évolution de la mission ad gentes entre leur époque et la nôtre ? Quelles forces sont à l'œuvre aujourd'hui qui nous poussent dans une nouvelle direction ?

Pour plus de clarté, laissez-moi définir le terme mission ad gentes. Avant Vatican II, le mot gentes s'employait pour parler de ceux qui étaient hors de l'Église catholique. Ils étaient considérés comme vivant dans l'incroyance et le péché, et le sentiment commun les destinait à l'éternelle damnation. Aujourd'hui, grâce à Dieu, leur situation s'est améliorée. Nous sommes maintenant beaucoup plus conscients du fait que tout au long de l'histoire, l'action salvatrice de Dieu a été présente continuellement dans les nombreuses cultures qui composent notre monde et dans la foi de tous les peuples[2].

Au début de notre débat, nous pouvons aussi tirer profit de certaines informations de l'histoire de l'Église sur la mission ad gentes. Par exemple, des efforts dans ce domaine n'ont pas toujours fait l'objet d'une activité régulière. En fait, le texte pressant de saint Matthieu dans lequel le Christ envoie ses disciples dans toutes les nations ne semble avoir été pris largement en compte qu'au 17ièmesiècle[3].

Par le passé, ceux qui ont choisi d'être missionnaires ont généralement utilisé les structures déjà existantes pour atteindre leurs buts. Nous savons, en fait, que l'apôtre Paul a suivi les chemins et les routes commerciales de l'empire romain pour son travail d'évangélisation. De même, les efforts missionnaires qui ont commencé dans la dernière partie du 15ièmesiècle étaient en lien avec les plans d'expansion des puissances européennes. Les voyages des explorateurs fournissaient aux missionnaires le transport nécessaire, ainsi que la protection et un soutien financier.

On le comprend, l'histoire de chacune de ces périodes a aussi formé le langage associé à la mission ad gentes. Par exemple, nous pouvons faire remonter à la période coloniale des expressions comme « gagner des âmes au Christ » et « sauver des griffes de Satan ceux qui allaient se perdre. » Elles reflètent l'esprit d'une Église militante et triomphante à la recherche de convertis qui faisait partie intégrante de l'ère des explorations. Depuis environ 1850 jusqu'au début des années 1960, beaucoup de missionnaires trouvaient leur inspiration dans ce modèle d'Eglise. Son message était clair : il fallait implanter l'Eglise dans les terres païennes et gagner au Christ les incroyants[4]. La plupart d'entre nous ont considéré les missionnaires comme des hommes et des femmes héroïques qui ont quitté leur pays et leur famille pour travailler au-delà des mers. Formés à prendre des initiatives et à vivre à la dure, ils étaient le plus souvent des personnes indépendantes qui étaient fières de leur vie rude et de leur audace.

La colonisation a aussi influencé les méthodes que les missionnaires ont utilisées pour évangéliser. En croyant que, d'une certaine manière, ils civilisaient les peuples indigènes de la région dans laquelle ils étaient venus, bien des missionnaires, prêtres, sœurs et frères cherchaient à imposer leur propre civilisation, avec son style d'éducation, d'habitudes et de traditions au détriment des cultures locales de ceux qu'ils catéchisaient.

Nous aurions tort cependant de conclure que la mission ad gentes n'était guère plus qu'un sous-produit des efforts pour construire un empire dans les siècles passés. Car souvent les missionnaires prenaient le parti des populations locales contre leurs colonisateurs et devenaient par leurs paroles les principaux détracteurs de l'édification de cet empire. Un bon nombre d'entre eux ont travaillé dur pour conserver la culture locale en mettant par écrit les langues orales indigènes, alors même que les explorateurs essayaient de les éliminer.

Aujourd'hui, notre compréhension de la mission ad gentes a progressé et est plus nuancée que par le passé. Par exemple, bien que nous reconnaissions que nous, comme chrétiens, nous continuons à témoigner du Royaume de Dieu, nous acceptons aussi le fait que ceux qui ne partagent pas notre foi portent également témoignage de l'action salvifique de Dieu parmi eux. Les hindous, les bouddhistes, les musulmans, les disciples de Confucius, de Tao, les adhérents des religions cosmiques, les humanistes et d'autres peuvent partager avec nous leur expérience religieuse de Dieu et les valeurs fondamentales de leurs vies. 

Aujourd'hui et dans l'avenir

Si la clôture de Vatican II a marqué un tournant dans notre compréhension théologique de la nature et du but du travail missionnaire, notre opinion du monde alors que nous entrons dans le 21ièmesiècle nous a rendus plus conscient que l'activité missionnaire requerra à l'avenir une promptitude à écouter les autres et une ouverture pour partager notre foi avec eux. Cependant, le Concile n'a pas été le seul agent de notre ouverture actuelle. La décolonisation vers le milieu du siècle dernier et la croissance de beaucoup de nouvelles nations ont aussi joué un rôle, spécialement en Afrique.

D'autres formes de turbulence ont suivi immédiatement le Concile Vatican II. Les changements associés à la mission ad gentes ont semblé déroutants et se dérouler à une allure inquiétante. Certains fidèles et bien des missionnaires eux-mêmes ont demandé un moratoire sur la mission telle qu'elle était alors comprise.

En 1981, un symposium parrainé par un groupe appelé SEDOS[5], a toutefois changé significativement notre approche de la mission ad gentes après Vatican II. Au cours de cette rencontre, un changement de centre d'intérêt s'est produit : fini le questionnement sur le but de la mission mais un approfondissement sur la façon dont la mission devait se faire. Ce fut une importante percée qui aurait des implications pour les années à venir.

En dépit de cette avancée, des questions continuaient à s'imposer au sujet de la mission ad gentes. En vue d'apporter plus d'éclaircissements sur cette situation, le regretté pape Jean-Paul II a demandé une ferveur renouvelée dans ce domaine de la vie de l'Église. Dans son encyclique Redemptoris Missio, il fit ressortir les fondements théologiques de la mission dans l'espoir d'aider chacun au cœur de l'Église à saisir ce que les Pères conciliaires avaient d'abord à l'esprit quand ils ont écrit sur ce sujet. Puis, le Pape continuait à décrire les horizons de la mission aujourd'hui, et aussi les moyens de les atteindre. Il terminait par une réflexion sur la spiritualité missionnaire. 

Les changements de notre monde

Nous avons vu précédemment que la mission ad gentes s'est exercée dans différents contextes historiques. Cela n'est pas moins vrai aujourd'hui. De nouvelles façons de comprendre la mission ad gentes ont bien vu le jour pendant Vatican II et les années qui ont suivi, mais les changements dans le monde dans lequel la mission ad gentes se déroule ont eu aussi un effet sur ce que nous pensons sur ce sujet.

Deux de ces transformations ont une portée sur notre discussion maintenant. La première est l'arrivée de la mondialisation et la seconde est que le fait que les conversions massives au christianisme semblent toucher à leur fin[6].

La mondialisation n'est pas facile à définir. Beaucoup de ceux qui la critiquent la voient comme une force destructrice qui méprise la culture, appauvrit les gens, mine la démocratie, impose les valeurs occidentales, exploite l'environnement, intronise l'avidité. D'autres, ayant un point de vue différent, regardent la mondialisation de manière plus favorable. Ils estiment que c'est un développement souhaitable qui abat les frontières, renverse les gouvernements tyranniques, libère les individus et améliore financièrement la vie de ceux qu'elle touche[7].

Cependant, en général, le mot mondialisation est devenu une forme abrégée pour décrire le nouvel ordre mondial depuis la fin de guerre froide en 1989. Des avancées extraordinaires dans les technologies des communications, les débuts d'un réalignement des états-nations, et plusieurs autres évolutions semblent nous orienter vers un monde plus interconnecté et interdépendant dans les prochaines années[8].

Malheureusement, la majorité de la population mondiale se trouve aujourd'hui exclue de ce nouvel ordre mondial. En tant qu'Eglise et membres d'un Institut religieux dans cette Eglise, nous aurons à faire face à ces inégalités dans les années à venir. Cependant, que nous chantions les louanges de la mondialisation ou que nous détestions ce que nous considérons être ses méfaits, elle va bien représenter l'ordre mondial avec lequel nous aurons à faire dans l'avenir.

Ce que certains appellent « l'ancrage de la géographie religieuse » est un autre changement significatif dans le monde aujourd'hui qui influence la mission ad gentes. Selon ceux qui défendent ce point de vue, les temps où nous avons vu beaucoup de personnes se convertir au christianisme sont terminés[9].

Tout d'abord, les hommes ou les femmes qui se convertissent au christianisme ou à l'islam sont issus essentiellement de traditions locales, orales, parfois connues comme religions indigènes. Et, à travers l'histoire, ces gens semblent être passés assez aisément de la foi de leurs ancêtres à celle des religions universelles plus répandues. Mais une fois qu’ils ont fait ce pas, ils ne vont vraisemblablement pas changer de nouveau d'affiliation.

Il y a deux exceptions à cette règle. Ceux qui n'ont pas encore été intégrés pleinement dans leur nouvelle foi et ceux qui, pour une raison ou une autre, en ont été aliénés peuvent, en fait, rejoindre une autre Eglise. Le fait que le pourcentage de la population mondiale chrétienne soit demeuré à peu près le même qu'il y a un siècle, en dépit des grands efforts d'évangélisation des cent dernières années, donne quelque crédit à la notion d'un ancrage de la géographie religieuse[10].

Ce fut au milieu de tous ces développements entourant la mission que Jean-Paul II a écrit l'encyclique Redemptoris Missio, mentionnée plus haut. Dans cette lettre datée du 7 décembre 1990, le Pape entreprit de restaurer le moral missionnaire et il fit aussi une distinction très claire entre la mission ad gentes et d'autres types d'activité missionnaire.

Il l'a fait en suggérant que la mission s'exerce dans trois situations distinctes. D'abord, il a parlé de mission ad gentes, la voyant comme une mission soit envers des groupes qui ne connaissent pas Jésus et son évangile, soit qui vivent dans des communautés chrétiennes pas suffisamment mûres pour donner à la foi chrétienne une position forte localement et pour la proclamer an autres. Ensuite, le Pape décrit une situation presque en opposition avec celle qui vient d'être mentionnée : le soin pastoral de communautés chrétiennes qui ont déjà en place de solides structures ecclésiales. Finalement, il signale des communautés où des groupes de baptisés ont simplement perdu le sentiment de vivre leur foi. Le Pape parle de ce dernier groupé comme ayant besoin d'une « nouvelle évangélisation » ou d'une « ré-évangélisation ».

Pour Jean-Paul II, la vraie signification de la mission ad gentes est évidente : il s'agit de travailler en régions frontières. Et il insiste pour dire que nous n'avons plus le loisir de définir ces frontières uniquement en termes de géographie. Au contraire, il suggère qu'il y a beaucoup de mondes différents qui forment ensemble « les nations ». Parmi ceux-ci, le Pape comprend les mondes des jeunes, des femmes, des enfants, des pauvres, des mégapoles, des médias, des groupes ethniques et culturels, de ceux qui s'intéressent à la justice, à la paix et à l'écologie, aux arts, à la culture et aux sciences, et ceux qui cherchent un sens plus profond à la vie.

En écrivant sa litanie de définitions du mot gentes, Jean-Paul II identifie parfois la culture comme une importante caractéristique de la mission ad gentes. Mais il ne prétend pas que ce soit la seule base pour définir notre tâche. Pour lui, l'expression mission ad gentes signifie travailler aux frontières de l'Église avec de nombreuses définitions possibles de frontière[11].

Néanmoins, tout le monde n'a pas été d'accord avec le point de vue que Jean-Paul II exprimé dans Redemptoris Missio. On a craint que sa définition soit trop vaste[12]. Cependant, il a essayé en partie de nous éloigner d'une compréhension de la mission ad gentes trop limitée à un territoire pour nous en proposer une compréhension plus globale.

Nous affrontons ce même défi aujourd'hui dans l'Institut. Le Fondateur avait raison quand il disait : « L'Église universelle est le champ de notre société. » En tenant compte de nos activités, cependant, un observateur pourrait se demander si oui ou non nous sommes d'accord avec lui aujourd'hui. Nous sommes un Institut international qui souvent manque de se comporter comme tel. Comme nos concitoyens, il nous est difficile parfois de sortir de notre cadre paroissial et d'embrasser une perspective internationale et transculturelle. Mais c'est le monde qui émerge aujourd'hui ; c'est le monde dans lequel devront trouver leur place les enfants et les jeunes au service desquels nous sommes. Il nous faut être au premier plan de ces développements pour en indiquer la direction et non pas à la fin pour fermer la marche.

Il ne sera pas facile d'abandonner nos vieilles habitudes de penser la mission de l'Eglise et notre apostolat. Cela voudra dire non seulement de changer la façon dont nous considérons ces importants aspects de nos vies, mais aussi adapter nos structures en conséquence. Dit simplement, nous devons travailler à un changement de mentalité du groupe. Finalement, nous devons affronter cette question : Que veut dire former de bons chrétiens et de bons citoyens chez les jeunes et les enfants pauvres dans le monde d'aujourd'hui, et quels sont les meilleurs moyens pour le faire ?

A travers ce processus de réflexion et d'analyse, nous devons garder un respect mutuel les uns pour les autres et être ouverts pour écouter les différents points de vue. En même temps, il nous faut accepter le fait que, finalement, nous devons agir. Le changement ne peut pas se produire trop soudainement, mais des initiatives audacieuses doivent aussi faire partie du décor. En leur absence, nous pouvons facilement nous satisfaire des réussites du passé.

Comme Institut et comme unités administratives formant cet ensemble, nous devons éviter cette tendance à nous replier sur nous-mêmes, car la perte de l'esprit missionnaire est l'un des premiers signes qu'un groupe a commencé une marche lente vers la mort. Par contre, les membres de toute Province et en vérité de tous ceux qui lui sont associés sont tonifiés par un sentiment de fierté devant le courage montré par ceux qui partent pour une mission extérieure.

Par conséquent, aucune Province ne peut se permettre de chercher des excuses au sujet de la mission ad gentes, pas plus que son engagement dans ce domaine ne peut attendre que toutes choses sur le front intérieur soient en ordre. Etre vraiment chrétien, vraiment Église et vraiment Frères de Marcellin exige que nous soyons partie de l'Eglise universelle.

L'histoire nous a montré que notre façon de vivre ne peut garder sa vitalité que si elle est ouverte au changement et parfois à une transformation radicale. S'accrocher au passé c'est perdre graduellement contact avec la vie de l'Esprit Saint qui guide l'Eglise vers l'avenir. Se comporter ainsi aujourd'hui serait une tragédie pour notre Institut et sa mission, mais encore plus pour les jeunes qui ont été confiés à nos soins. 

Un projet pour notre Institut

Dans les six pages qui suivent, je répète sous forme adaptée quelques parties de la lettre d'invitation pour notre projet de nouvelle mission ad gentes que j'ai envoyée à chaque frère plus tôt dans l'année. Je le fais simplement pour souligner certains des points signalés dans cette lettre. Le texte complet de la lettre se trouve dans l'appendice A.

Pendant notre septième Conférence générale au Sri Lanka, il y a eu la présentation d'un projet d'une nouvelle mission ad gentes pour notre Institut. Ceux qui étaient présents en ont eu une présentation complète ainsi que des détails sur l'origine et la structure du projet et un calendrier pour sa mise en exécution. Le débat qui s'en est suivi pendant la Conférence a fait surgir de nombreuses suggestions utiles pour affiner et améliorer la proposition.

Pendant les mois qui ont suivi, il y a eu d'autres rapports sur le projet et juste après Noël 2005, j'ai écrit une lettre à chaque frère l'invitant à considérer quel sens avait pour lui dans sa vie d'aujourd'hui ce projet, à la lumière des appels de l'Eglise et des besoins de notre Institut, et des jeunes et des enfants pauvres auxquels il doit se destiner.

Dans cette lettre, j'ai signalé que le projet de mission ad gentes qui a été présenté à la Conférence est conforme à la longue histoire des réalisations de notre Institut dans ce domaine. Pour le justifier, il nous suffit de regarder l'article 90 de nos Constitutions et Statuts maristes. Ce texte nous rappelle que : 

Comme l'Église, notre Institut est missionnaire

et nous devons avoir une âme missionnaire

à l'exemple de Marcellin Champagnat qui affirmait :

« Tous les diocèses du monde entrent dans nos vues. » 

Depuis l'époque du Fondateur, notre Institut a gardé la pratique continue d'envoyer des frères en mission. En 1903 seulement, par exemple, environ 900 de nos frères ont quitté la France par suite des lois récemment votées sur la sécularisation. Ils sont partis avec un esprit de courage, de foi et d'audace, car il y avait peu d'autres possibilités pour les aider à se préparer à affronter les défis à venir. L'audace de ces hommes pendant un temps de crise qui demandait des orientations nouvelles a donné à notre Institut la possibilité d'assurer une présence évangélisatrice dans 76 pays de par le monde.

Finalement, après de nombreuses années, l'Administration générale a pris des mesures pour promouvoir activement la mission à l'étranger. En témoignent les maisons internationales de formation de Grugliasco et Bairo en Italie qui, après la Seconde Guerre mondiale jusque vers le milieu des années soixante, ont pris en charge la préparation de frères pour la mission ad gentes. Le juvénat Saint-François-Xavier de Grugliasco a été le premier à fermer ses portes quand, en mai 1960, le Conseil général prit la décision de le vendre. Bairo, le siège à la fois du postulat et du noviciat, a continué pendant quelques années de plus[13].

Durant plus de 20 ans, les frères volontaires pour la mission au niveau de l'Administration générale ont été invités à entrer en contact avec le Supérieur général pour lui faire savoir leur désir de servir. Une liste de noms a été établie et ceux qui étaient sur cette liste ont été appelés le plus souvent durant des périodes agitées comme après le génocide du Rwanda en 1994.

Nous lisons à l'article 46 du document Choisissons la Vie émanant du 20ièmeChapitre général que le temps est venu d'écrire un nouveau chapitre de notre histoire missionnaire. Nous croyons que le nouveau projet de mission ad gentes que nous avons proposé est une réponse à ce défi et une tentative sérieuse de construire l'avenir de la vie mariste et de la mission pour ce nouveau siècle.

Néanmoins, des questions peuvent encore se poser concernant l'origine de cette récente proposition et on peut se demander comment elle correspond aux appels de l'Église aujourd'hui, aux signes des temps, aux directives de nos Constitutions et Statuts maristes et des récents Chapitres généraux. De façon plus importante encore, certains peuvent exprimer de l'inquiétude quant à l'impact de la proposition sur les Provinces et Districts qui fournissent ces nouveaux missionnaires. Combien en recherchons-nous ? Combien de temps faudra-t-il pour les identifier ? Quelle préparation avons-nous en vue pour ce projet ? 

L'origine du projet

Au cœur du projet pour la nouvelle mission ad gentes, il y a ce rêve : pendant les quatre prochaines années, envoyer 150 frères ou plus vers de nouvelles œuvres apostoliques dans les pays d'Asie et en envoyer aussi un plus petit nombre à ces provinces restructurées qui n'ont pas atteint les niveaux nécessaires de vitalité et de viabilité dont elles ont besoin pour assurer leur avenir.

Cette proposition est aussi conforme aux appels actuels de l’Eglise et aux signes des temps. Par exemple, le regrette pape Jean-Paul II écrivant dans Vita Consecrata exprimait son optimisme pour la vie religieuse et son avenir. Il présentait ce défi perspicace : « Vous n'avez pas seulement une histoire glorieuse à rappeler et à raconter, mais une grande histoire à construire. Regardez vers l'avenir… » En prenant cette nouvelle initiative, nous ajoutons une page à cette grande histoire.

Le Conseil général croit, comme beaucoup de nos frères et de nos partenaires laïques maristes, que notre mode de vie a une place importante, une place vraiment essentielle dans notre Eglise aujourd'hui. Bien des choses qui se sont passées ces quarante dernières années environ ont été utiles, nous aidant à regarder le passé, à faire le point sur le présent et, finalement, à nous faire avancer vers l'avenir. Il est maintenant temps de créer la vie et la mission mariste que nous envisageons pour demain. 

Pourquoi l'Asie ?

Plusieurs raisons nous poussent à faire de l'Asie l'objectif de cette nouvelle initiative missionnaire. Tout d'à bord nos Constitutions et Statuts soulignent que notre Institut a un souci particulier pour les pays qui n'ont pas été évangélisés et pour les jeunes Eglises. Deuxièmement, l'article 45 de Choisissons la Vie encourage l'esprit de mission ad gentes. De plus il invite les provinces à travailler ensemble pour promouvoir une telle mission, et demande que des frères puissent se déplacer facilement d'une Province à une autre pour des projets de solidarité, d'évangélisation et d'éducation.

Troisièmement, le défunt Pape a aussi présenté ce défi durant les années avant sa mort : « Tout comme au premier millénaire la Croix fut plantée sur le sol européen, au second millénaire sur le sol américain et africain, qu'on puisse, au troisième millénaire, recueillir une grande moisson de foi sur ce continent de l'Asie si vaste et si vivant[14]. » Ses paroles étaient très connues, car environ une dizaine d'années plus tôt, il avait écrit au numéro 37 de Redemptoris Missio : « Il existe des pays et des aires géographiques et culturelles sans communauté chrétienne autochtone ; ailleurs, ces communautés sont si petites qu'elles ne constituent pas un signe clair de présence chrétienne ; il peut se faire aussi qu'elles manquent de dynamisme pour évangéliser leur société ou qu'elles appartiennent à des populations minoritaires qui ne sont pas intégrées dans la culture nationale dominante. Sur le continent asiatique en particulier, vers lequel devrait se diriger en priorité la mission ad gentes, les chrétiens sont en petite minorité, même si parfois on y constate des mouvements de conversion significatifs et de remarquables modes de présence chrétienne[15]. »

Troisièmement, l'Asie est la terre d'à peu près les deux tiers de la population mondiale et cependant nous avons un peu moins de 200 de nos 4.200 frères qui y travaillent. Les Nations Unies aussi estiment que l'Asie du sud est la région la plus pauvre du monde en ce qui concerne la jeunesse. Les jeunes y sont en grand nombre : presque la moitié de la population de l'Asie du sud a moins de 24 ans. Dans ce nombre, presque la moitié vit encore avec moins de deux dollars par jour.

Enfin, l'Asie mariste est en cours de restructuration et nos frères de cette région envisagent actuellement au moins deux modèles de réorganisation qui conduiront à une viabilité et une vitalité accrues. Alors que la portée de ces propositions s'étend bien au-delà des frontières de la vie mariste actuelle en Asie, nous voulons travailler en coopération avec les unités administratives actuelles pour pt épurer et appliquer le plan. Plusieurs frères ont déjà grandement aidé ces régions.

Je crois fermement que cet appel pour une nouvelle mission ad gentes en Asie vient de l'Esprit-Saint. Je prie aussi pour que dans un siècle, quand les historiens reprendront et écriront l'histoire de cette période de notre Institut, ils pourront dire que nous avons relevé ce défi avec courage, audace et espérance, et que dans toute l'Asie de cette époque il y aura beaucoup de preuves de notre présence et de nos œuvres. 

Une nouvelle approche de la  Mission “ad gentes”

Sans vouloir critiquer les approches antérieures de la mission ad gentes, nous devons admettre qu'un nouvel élan s'impose aujourd'hui. Par exemple, le simple fait que nous vivons et servons l'Eglise dans un autre pays et une autre culture, ne peut plus être pris comme preuve que nous sommes engagés dans la mission ad gentes. Plus convaincant serait notre effort à incarner notre foi dans la culture locale et à entreprendre un dialogue sérieux avec ceux qui ne partagent pas notre foi. Alors que par le passé, les frontières géographiques étaient un important critère pour définir la mission ad gentes, pendant les années à venir, pouvoir dialoguer avec une autre culture, témoigner de respect mutuel et soutenir la réconciliation seront également des facteurs très importants.

Une telle approche de la mission ne signifie pas que notre Institut et d'autres devraient ignorer la géographie comme facteur définissant la mission ad gentes. Elle suggère plutôt que quand on en vient à la mission ad gentes aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement des missions étrangères mais aussi d'une mission globale. En nous engageant dans la première forme, nous acceptons la responsabilité de l'évangélisation de peuples dans certaines terres lointaines. Et, en le faisant, nous entreprenons aussi une mission globale, en nous engageant en faveur de certaines valeurs fondamentales qui sont vitales pour le bien-être de la société et de la création dans son ensemble. Dans notre monde aujourd'hui, cela veut dire un engagement pour les droits humains à une échelle mondiale et une volonté de travailler avec d'autres pour aménager un ordre mondial politiquement et économiquement équitable, respectueux de la création.

Aujourd'hui, des moyens de communication grandement améliorés et des transports rapides permettent d'envisager de nombreux modèles différents de mission ad gentes dans notre Institut dans son ensemble. Il continuera toujours à y avoir ceux d'entre nous qui quittent leur pays d'origine pour la vie entière afin de proclamer la Bonne Nouvelle soit dans des terres où elle ne l'a pas été, soit là où l'Eglise n'est pas assez forte pour la soutenir. Ces missionnaires s'intègrent parmi les gens au service desquels ils travaillent. C'est une interprétation classique de la mission ad gentes qui continue à être motivante aujourd'hui. Quand la motivation de ceux qui choisissent ce type de vie est d'aller vers les autres, ce don total d'eux-mêmes est un modèle pour nous tous.

Dans l'Institut aujourd'hui, cependant, deux nouveaux modèles de mission ad gentes apparaissent. Le premier se compose de frères et de partenaires laïques qui passent une grande partie de leur temps au service d'une mission étrangère et reviennent dans leur pays en emportant avec eux une vision et un esprit missionnaires.

Le second groupe comprend les gens qui ne quittent jamais leur pays d'origine. Les frontières qu'ils franchissent ne sont pas géographiques mais plutôt sociales et culturelles. Ces frères et leurs partenaires laïques entreprennent un travail de l'Institut parmi les enfants et les jeunes les plus marginalisés dans leur société. Leur place est parmi les plus abandonnés, ceux au service desquels il n'y a personne aujourd'hui.

Ayant dit cela, nous devrions hésiter avant de renoncer à nos engagements pour aller travailler au-delà des mers. Tout d'abord, la majorité des frères de notre Institut sont originaires des pays occidentaux bien que la grande majorité de la population mondiale se trouve dans les pays non occidentaux. Ensuite, vivre dans l'une des différentes cultures du Sud et de l'Est pendant un temps suffisamment long présente un énorme défi face aux valeurs et aux visions occidentales qui sont dominantes dans l'Institut et la vie de tant d'entre nous.

Pour adopter un nouveau modèle de mission, nous devons subir une transformation radicale. Tout comme le processus de restructuration nous a mis sur un chemin de plus grande internationalité et de transculturalité, ainsi le nouveau projet de mission ad gentes produit des effets similaires. Ces deux cheminements peuvent non seulement nous conduire vers ce nouveau siècle et nous préparer à ce qui doit arriver, mais nous fournir aussi les moyens de transformer nos cœurs, ce que nous désirons tous.

Ce n'est pas une période facile de l'histoire de notre Institut, pas plus qu'une période facile pour beaucoup d'entre nous personnellement. Certaines initiatives de ces dernières années nous ont troublés et nous ont portés à nous demander quand nous pourrions nous attendre à ce que les choses se calment à nouveau.

En dépit de la confusion, nous devons admettre que les démarches entreprises pour restructurer notre Institut et que notre nouvelle initiative pour la mission ad gentes en ont éveillé beaucoup de leur sommeil et nous ont porté à nous poser des questions fondamentales sur notre style de vie et notre manière de vivre en ce début du 21ièmesiècle. Le défi qui est devant nous maintenant est le suivant : Quelle sera notre réponse ?

Sera-t-elle celle du jeune homme riche qui a trouvé que le prix d'une vie pleine était trop élevé, suivant les termes de Dieu et non les siens ? Ou sera-t-elle celle de Marie, la mère de Jésus, notre Bonne Mère et notre sœur dans la foi ? Après avoir interrogé l'ange, elle acquiesça : « Qu'il me soit fait selon ta parole ! » C'est à vous et à moi de choisir. Prions pour avoir la grâce de choisir sagement.

  

QUESTIONS POUR RÉFLÉCHIR

Prenez quelques instants pour lire les questions ci-dessous et y répondre. Comme précédemment, elles sont ici pour vous aider à réfléchir sur ce que vous avez lu dans les pages précédentes. Prenez une plume ou un crayon et un bloc de papier pour le cas où vous voudriez prendre des notes, écrire une expression ou une pensée dont vous aimeriez vous souvenir, ou pour développer une réflexion plus détaillée. Gardez ces notes ; elles vous seront utiles plus tard soit comme rappel soit pour une discussion sur ce que vous avez lu.

1

 L'esprit de la mission ad gentes semble avoir fléchi dans notre Institut au cours des dernières années. Tandis que le nombre de frères en mission à l'étranger est, il est vrai, un peu plus élevé qu'il y a 15 ans, leur moyenne d'âge a fortement augmenté. Pouvez-vous trouver des facteurs dans votre Province ou District qui semblent décourager les frères à affronter le défi de la mission ad gentes ? Que peut-on faire pour contrer ces facteurs ?

2

 La nouvelle initiative de mission ad gentes en Asie semble avoir frappé l'imagination de beaucoup à l'intérieur et à l'extérieur de l'Institut. Qu'est-ce qui, dans ce projet, provoque cette réaction ? Quelle est votre propre attitude quant à l'initiative de la mission ad gentes en Asie et comment croyez-vous qu'elle affectera l'avenir de l'Institut et de sa mission ?


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CONCLUSION

Nous arrivons à la fin de ces réflexions sur la mission de l'Église et de nos œuvres apostoliques comme Petits Frères de Marie ou comme partenaires laïques. Les domaines que nous avons considérés, bien que brièvement, ont été variés, mais chacun occupe une place importante dans ce sujet.

Quand nous en venons à la mission de l'Église et de nos œuvres apostoliques comme Institut, nous réalisons que très souvent nous ne sommes pas à la hauteur de l'idéal que nous nous sommes donné. A ces moments-là, savoir que Jésus Christ a confié sa mission à des hommes et des femmes très imparfaits peut être une grande consolation. Il suffit de lire l'histoire de la trahison de saint Pierre ou du scepticisme de Thomas, de voir la crainte des apôtres blottis au cénacle pour comprendre qu'eux aussi ont souffert d'incertitudes, ont souvent été troublés et ont expérimenté le doute, même s'ils pouvaient voir et entendre le Seigneur directement.

Le Saint Esprit a toujours été et continuera à être le principal agent pour réaliser la tâche qui nous est confiée. Le Saint Esprit, présent chez tous ceux qui écoutent et proclament la Parole de Dieu, travaille en nous et avec nous pour nous aider à accomplir des œuvres merveilleuses.

Le mot évangéliser signifie littéralement apporter la bonne nouvelle[16]. Saint Luc résume ce que signifie cette expression quand il fait dire à Jésus les paroles du prophète Isaïe : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer la libération des captifs et rendre la vue aux aveugles, libérer les opprimés, proclamer l'année de grâce du Seigneur[17]. »

Le Fondateur a été un vivant exemple de zèle évangélique. Sa passion jaillissait de son intense certitude de l'amour que Jésus avait pour lui et pour nous tous. Très souvent, il disait à nos premiers frères : « Quand je vois des jeunes, j'ai un ardent désir de leur faire le catéchisme, de leur faire comprendre combien Jésus les aime. »

Comme notre Fondateur, nous croyons en la présence de Dieu. Nous comptons sur Marie et sur sa protection et nous prenons ses attitudes d'humilité, de simplicité et de désintéressement. Ainsi nous sommes plus aptes à chercher, de façon désintéressée, les jeunes là où ils peuvent se trouver, surtout ceux qui ont besoin du Christ à cause de leur pauvreté matérielle et spirituelle[18].

En continuant une tradition que nous a transmise notre Fondateur, nous donnons à ceux qui sont confiés à nos soins une éducation holistique. Son but est la formation de l'esprit, du corps et du cœur. En présentant la Bonne Nouvelle à la fois en termes personnels et sous la forme de la vision de Jésus sur la communauté humaine, nous affirmons ce qui est source de vie pour nos élèves et nous les aidons à avoir un regard critique sur les valeurs qui sous-tendent leur conduite et leurs choix de priorités.

En éduquant une nouvelle génération à la solidarité et pour la solidarité, nous formons les jeunes à être des agents de changements sociaux et nous les encourageons a prendre îles responsabilités pour l'avenir de l'humanité Nous les mettons face au devoir de construire une plus grande justice dans leur propre milieu et leur société, et d'être plus conscients de l'interdépendance entre les nations.

Si vous et moi cherchons à y voir plus clairement l'identité de notre Institut aujourd'hui, nous n'avons qu'il tourner notre attention vers nos Constitutions et Statuts.

Tout d'abord, leur texte nous dit que, peu importe nos tâches apostoliques, nous évangélisons à la fois comme personnes et comme communautés[19]. Nous accomplissons ce but par le témoignage de nos vies et par des contacts personnels qui sont marqués par une capacité à écouter et à échanger des idées. Pareillement lorsque nos communautés sont de vivants exemples d'amour fraternel et de vie consacrée, elles servent présence évangélisatrice dans l'Eglise locale.

Deuxièmement, nos Constitutions et Statuts nous rappellent que lorsque nous en venons au travail apostolique auquel le Seigneur nous a appelés, la prière doit être la source de notre inspiration et de notre force. Un même temps, ce travail apostolique – et toutes les personnes et préoccupations qu'il inclut – est ce qui nous ramène à la prière.

Leur texte nous lance le défi de donner la préférence aux pauvres, de vivre simplement, de chercher les racines des causes de la pauvreté et de nous libérer de tout pie jugé ou indifférence envers ceux qui sont moins fortunés. Prenant aussi en compte les liens entre évangélisation et développement humain, leur texte nous entraîne à aider ceux qui sont dans le besoin et à travailler avec ceux qui luttent pour la paix et la justice dans notre monde[20].''7

Enfin, nos Constitutions et Statuts nous rappellent que notre Institut, ouvert à tous les apostolats qui sont en lien avec son charisme fondateur, considère que la proclamation directe de la Parole de Dieu est un élément essentiel de sa mission[21].98 Tout en respectant la conscience et les talents des enfants et des jeunes auprès desquels nous travaillons, nous les engageons à un dialogue sur la vie et nous les mettons en contact avec la Parole de Dieu et l'Esprit Saint à l'œuvre dans leurs cœurs.

Oui, chaque fois que nous regardons nos vies et notre mission avec les yeux du Fondateur et que nous lisons les documents de l'Institut, nous constaterons que les réponses à nos questions sur la mission et notre vie apostolique ne sont pas hors d'atteinte mais, en fait, toutes proches de nous. Elles sont déjà dans notre bouche et notre cœur. Nous n'avons qu'à les proclamer, les faire nôtres et à les mettre en pratique.

 

 Avec toute mon affection

et l'assurance de mes prières,

 

                    Frère Seán D. Sammon, FMS

                           Supérieur général


 

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APPENDICE

 

Lettre d'invitation personnelle

du Frère Sean Sammon

à chaque frère de l'Institut pour

joindre la mission ad gentes.

 

2 janvier 2006

Fête de la Fondation de l'Institut

        Cher Frère, 

Le temps des fêtes de Noël et du Nouvel An touche à sa fin. Nous avons célébré les fêtes de saint Etienne, des saints Innocents et de saint Jean l'Évangéliste ; aujourd'hui nous marquons le 189e anniversaire de la fon dation de notre Institut par Marcellin, et la fête de l'Épiphanie approche. Chacune de ces commémorations annuelles nous rappelle que nous sommes à la croisée de l'ancienne et de la nouvelle année. Celle qui vient de s'écouler occupera sa place dans l'histoire alors que la nouvelle prend vie. Quelle espérance ce nouveau commencement apporte à chacun de nous chaque année !

Je t'écris aujourd'hui pour t'annoncer un nouveau commencement, mais cette fois pour notre Institut. J'écris aussi pour lancer une invitation à plusieurs parmi vous. Veuille lire cette lettre attentivement en gardant à l'esprit cette question : Est-ce que le Seigneur te demande d'accepter l'invitation contenue dans ces pages, une invitation à donner ton nom pour notre nouveau programme de mission ad gentes ?

Durant la récente Conférence générale, Luis Sobrado et moi avons présenté les grandes lignes de ce projet. Plus précisément, nous avons donné à ceux qui étaient présents un aperçu général d'une nouvelle initiative pour la mission ad gentes ainsi que des détails quant à son origine, sa structure et son calendrier. Des discussions ultérieures durant la Conférence ont fait surgir plusieurs suggestions utiles pour affiner et améliorer la proposition. Plusieurs frères nous ont assurés de leur solide appui pour ce que nous avions à l'esprit.

Pendant les semaines qui ont suivi notre présentation, des exposés sur cette proposition ont été publiés dans Dernières Nouvelles et Bulletin, ainsi que dans la page web de l'Institut à www.champagnat.org. Malheureusement, le manque d'espace et la nature de ces médias n'ont permis qu'une description sommaire des grandes idées du projet. C'est pourquoi j'écris aujourd'hui à chaque membre de l'Institut pour donner des détails sur ce projet et pour te demander de considérer sérieusement et dans la prière la possibilité d'y participer.

Premièrement, les membres de la 7ièmeConférence générale ont été mis au courant de plusieurs initiatives en vue de bâtir l'avenir de la vie et de la mission maristes dans le monde. Par exemple, on a exposé des plans détaillés pour rénover et mieux équiper l'Hermitage en France pour en faire un centre mondial de spiritualité mariste, de patrimoine et de mission. On a aussi discuté de plans préliminaires pour assurer un suivi à la récente année mariste des vocations et de plans pour une conférence internationale sur la mission mariste en 2007 ; on a de même lancé un appel aux provinces et districts qui ne se sont pas encore restructurés à le faire.

Deuxièmement, le projet de mission ad gentes que nous présentons prolonge les actions prises dans l'insti tut autrefois. Nous n'avons qu'à consulter nos Constitutions et Statuts pour comprendre l'origine de cette toute dernière proposition. L'article 90 nous rappelle que : « Comme l'Église notre Institut est missionnaire, et nous devons avoir une âme missionnaire, à l'exemple du Père Champagnat qui affirmait, 'Tous les diocèses du monde entrent dans nos vues.' »

Notre Institut est missionnaire par nature. Rappelez-vous que Marcellin lui-même désirait servir en Océanie et que seulement l'obéissance aux instructions du Père Colin et sa pauvre santé l'ont contraint à demeurer en France plutôt que de partir pour le Pacifique. Depuis le temps du Fondateur jusqu'à nos jours, la pratique d'en voyer des frères dans les missions s'est perpétuée dans l'Institut.

Puis, en 1903, environ 900 de nos frères ont quitté la France à cause des nouvelles lois de sécularisation. Us sont partis avec courage, foi et audace car ils avaient bien peu d'autres choses pour les aider à se préparer aux défis qui les attendaient. L'audace de ces hommes, durant une période de crise qui réclamait l'innovation, permet à notre Institut aujourd'hui de revendiquer une présence évangélisatrice dans 76 pays.

Enfin, durant de nombreuses années, l'Administration générale a pris l'initiative de promouvoir les missions à l'étranger. Considérez nos maisons internationales de formation de Saint-François-Xavier et de Bairo qui pendant des années ont été responsables de la préparation des frères pour la mission ad gentes.

De surcroît, depuis plus de 20 ans, les frères qui désirent se porter volontaires pour les missions de l'Administration générale ont été invités à informer le Supérieur général de leur disponibilité. Une liste a été dressée et c'est surtout en période troublée que l'on a fait appel à eux, comme ce fut le cas après le génocide rwandais en 1994.

Plus récemment, nous trouvons dans le document Choisissons la vie du 20ièmeChapitre général la suggestion suivante : le temps est venu d'écrire un nouveau chapitre de notre histoire missionnaire. Nous croyons que le projet proposé répond à ce défi et aide à bâtir l'avenir de la vie et de la mission maristes à l'aube de ce nouveau siècle.

Notre Institut a donc une longue histoire de mission ad gentes. Tu peux cependant t'interroger encore sur l'origine de la récente proposition et comment elle s'accorde avec les appels de l'Eglise d'aujourd'hui, aux signes des temps, aux directives de nos Constitutions et Statuts et aux derniers Chapitres généraux ? Plus important encore, quel sera son impact sur les provinces et les districts dont les nouveaux missionnaires proviendront ? Combien de personnes cherchons-nous ? Combien de temps faudra-t- il pour les identifier et les préparer ? Je tenterai ici de répondre brièvement à ces questions et à d'autres. 

L'origine du projet

Au cœur de ce projet de la mission ad gentes nous trouvons un rêve : celui d'envoyer au cours des prochaines quatre années 150 ou davantage de frères dans de nouveaux champs d'apostolat en Asie, et aussi un petit nombre dans les provinces restructurées qui ne sont pas parvenues à un niveau satisfaisant de vitalité et de viabilité pour assurer leur avenir.

Cette proposition est aussi en harmonie avec les appels actuels de l'Église et les signes des temps. Par exemple, le regretté Pape Jean-Paul II, dans son document Vita Consecrata, après le Synode, s'est dit optimiste quant à la vie religieuse et à son avenir. Il nous a lancé ce défi : « Vous n'avez pas seulement à vous rappeler et à raconter une histoire glorieuse, mais vous avez à construire une grande histoire ! Regardez vers l'avenir… » (n° 110) C'est ce que nous faisons en entreprenant cette nouvelle initiative. 

Confusion au sujet de la mission

Durant les années après Vatican II, beaucoup de confusion est apparue quant à la nature de ce qu'on avait appelé jusqu'alors le travail missionnaire. Avant le Concile, un modèle d'Église militante et triomphante dominait. En tant que catholiques, on nous enseignait qu'il n'y avait pas de salut hors de l'Église ; le travail du missionnaire était clair : évangéliser et convertir.

Vatican II a considéré de manière plus généreuse les croyants des autres religions. L'Église, qui est mainte nant décrite comme le Peuple de Dieu, va plus loin qu'une approche de « hors de l'Église, point de salut. » Cette nouvelle compréhension de la nature de l'Église a soulevé des questions quant au but de la mission, et cela parmi les missionnaires eux-mêmes.

La crise, toutefois, n'était pas que théologique. La décolonisation et la promotion de nouveaux états en pays de mission ont causé un moratoire sur la mission. Toutefois, en 1981, durant une réunion du SEDOS, un changement de direction s'est effectué. Au lieu de met tre en question le but de la mission, on a relevé le défi de considérer la manière dont la mission devrait se vivre dans l'Église contemporaine et le monde.

Malheureusement, cette nouvelle direction n'a pas réussi à dissiper la confusion. Le fait que Jean-Paul II ait senti le besoin d'écrire l'encyclique Redemptoris Missio dix ans après cette prise de position du SEDOS suggère que l'inquiétude vis-à-vis de la mission persistait sous la surface des discussions.

La lettre du Pape, la première encyclique sur la mission depuis la fin de Vatican II, est une présentation éloquente des fondations théologiques de ce sujet ainsi qu'un appel à renouveler la ferveur missionnaire dans l'Eglise. Jean-Paul II explore les horizons de la mission aujourd'hui et parle des moyens pour s'en approcher. L'encyclique qui se termine par une réflexion sur la spiritualité missionnaire emprunte un ton d'urgence pour que l'Eglise recentre ses efforts dans ce dessein. Ce texte révèle les inquiétudes du Pape : la motivation missionnaire fléchit et l'activité missionnaire diminue.

Cela a certainement été vrai dans notre Institut durant les années qui ont suivi le Concile. Le tableau ci-dessous, par exemple, démontre que bien que le nombre de frères officiellement nommés dans les missions d'outremer ait augmenté au cours des 15 dernières années, leur âge moyen a aussi augmenté régulièrement pour atteindre 12 ans de plus au cours des dernières années.

Nombre de frères assignés aux missions à l'étranger

(1989-2004) :               

Date      Nombre  Age

1989      553      51.37

1994      571      55.34

1999      576      60.04

2004      596      63.76

 

Notre proposition

Le Conseil général croit comme beaucoup de nos frères et partenaires laïques maristes que notre mode de vie est important, voire essentiel dans l'Église aujourd'hui. Notre Institut a subi des pertes en différentes régions au cours des dernières années : perte d'hommes capables, perte d'identité et de but, et dans certains cas de prestige et de réputation. Nous sommes en quelque sorte passés par une période de transition et de purification. Tout ce qui est survenu au cours de ces quelque quarante années ou plus a été utile et nous a aidés à examiner le passé, à faire l'inventaire du présent et éventuellement à nous tourner vers l'avenir. Maintenant, le temps est venu d'assurer l'avenir de la vie et de la mission maristes pour aujourd'hui et demain.

Plusieurs raisons expliquent pourquoi nous avons choisi l'Asie pour cet effort missionnaire. Première ment, nos Constitutions et Statuts nous disent que « Les pays non évangélisés et les jeunes Eglises sont l'objet de la sollicitude de l'Institut. » (Const. Deuxièmement, le précédent Pape a aussi présenté ce défi durant les dernières années de sa vie : « Tout comme au premier millénaire la Croix fut plantée sut le sol européen, au second millénaire sur le sol américain et africain, on puisse, au troisième millénaire, te cueillir une grande moisson de foi sur ce continent si vaste et si vivant. » (Ecclesia in Asia, n° 1)

Troisièmement, les deux tiers de la population humaine vit en Asie et pourtant nous y comptons moins de 200 frères sur 4.200. Les Nations Unies identifient aussi l'Asie du sud comme l'une des régions les plus pauvres si nous considérons les jeunes, et ils y sont nombreux : près de la moitié de la population de l'Asie méridionale a moins de 24 ans. De ce nombre, près de la moitié vit avec moins de deux dollars par jour.

Enfin, l'Asie mariste est en train de se restructurer et nos frères de cette région réfléchissent présentement a deux modèles de réorganisation pour accroître leur viabilité et leur vitalité. Bien que cette préposition embrasse beaucoup plus que les frontières actuelles de la vie mariste en Asie, nous voulons travailler en coopération avec les unités administratives existantes alors que nous planifions notre implantation. De nombreux frères sur place nous ont déjà beaucoup aidés.

En 2006, nous prévoyons donc débuter un programme de discernement et de préparation de six mois pour un premier groupe d'environ 30 frères qui iront en Asie. Ce cours se donnera à Davao aux Philippines et le personnel comprendra une équipe de deux frères, les Frères Tim Leen et Alfredo Herrera, et ce cours se donnera deux fois l'an.

Au cours des dernières années, nous avons été invités par des évêques d'Asie à envoyer des frères pour diverses œuvres. Afin d'assurer une bonne communication avec la hiérarchie de la région, j'ai demandé aux Frères Michael Flanigan et Rene Reyes de servir de délégués du Supérieur général dans ce travail avec les Églises locales afin que les œuvres entreprises soient en harmonie avec notre but et notre charisme, et répondent aussi aux besoins de notre temps. De plus, j'ai demandé au Frère Luis Sobrado, notre Vicaire général, d'assumer la responsabilité générale de coordonner et de mettre en place cette nouvelle initiative de mission ad gentes. Je remercie ces frères d'avoir accepté généreusement. 

Ce que je te demande

En entreprenant cette nouvelle initiative nous réalisons tous que la nature de la mission ad gentes a changé au cours des dernières années. Un changement s'est opéré : partant de la seule proclamation de la Parole de Dieu pour déboucher sur un esprit de dialogue et de proclamation. À cause de cela, tu peux te demander ce que je te demande.

Tout d'abord, tes prières pour ce projet et ceux qui y sont impliqués. Veuille donc demander les bénédictions divines pour ce projet et les personnes concernées. Si une passion pour Jésus et sa Bonne Nouvelle n'est pas au cœur de cette entreprise, il s'ensuivra très peu pour l'avènement du Royaume.

Ensuite, je te demande de réfléchir dans la prière sur ce que le Seigneur te demande à ce moment de ta vie religieuse. Est-ce que le Seigneur t'appelle à donner six ou neuf ans de ta vie dans une mission d'Asie ? Cette période de service s'ajoutera aux six mois de discerne ment aux Philippines et au temps nécessaire pour étudier une langue ou pour toute autre préparation avant le début de ton travail. Une question devient véritable ment imminente : Pouvons-nous aujourd'hui susciter notre propre 1903 avec des résultats qui seront aussi probants dans un siècle que l'ont été les efforts de nos frères qui nous ont précédés, il y a un siècle ?

Oui, l'absence de frères dans leur province d'origine pendant six ou neuf ans sera un sacrifice pour tous ceux impliqués, mais elle sera aussi une bénédiction. A leur retour, ces missionnaires apporteront avec eux une autre expérience de la vie et de la mission maristes. Ils enrichiront les communautés et les œuvres auxquelles ils appartiendront tout comme ils seront aussi enrichis par ceux qui auront travaillé dans leur pays en leur absence.

En ce qui concerne la langue, nous désirons que tous apprennent l'anglais ainsi que la langue du pays où ils seront assignés. L'anglais est la langue de communication de la plupart de nos frères en Asie, du moins dans l'Institut et entre les unités administratives. Le temps nécessaire sera fourni de sorte que ceux impliqués puis sent apprendre bien les langues qu'ils doivent maîtriser.

Un mot de consolation pour ceux qui croient que toutes les langues asiatiques sont difficiles. Plusieurs de nos frères d'Asie m'ont rassuré en me disant que certaines langues asiatiques comme celles en usage à Bornéo ou en Malaisie peuvent être apprises assez bien pour la communication quotidienne en environ six mois, après un programme d'immersion totale. Il est évident que, comme pour toute langue, il faudra plus de temps et d'étude pour développer une bonne connaissance de la langue en question.

Si tu crois être appelé à participer à ce projet, je te demande de contacter directement le Frère Luis Sobrado par lettre, par télécopie à l'adresse [code international] 1 425 952-1382, ou par poste électronique à l'adresse vicgen@fms.it.

En conclusion, permets-moi de te dire que je crois que cet appel pour un nouveau projet de mission ad gentes en Asie est l'œuvre de l'Esprit. Je prie pour que dans un siècle, lorsque les historiens regarderont le passé et écriront l'histoire de cette période de notre Institut, ils pourront dire que nous avons relevé le défi avec courage, audace et espérance, et que l'Asie d'alors donnera de nombreuses preuves de notre présence et de nos efforts.

 Puisse Dieu continuer à bénir et à protéger chacun de vous et à vous faire sien ! Puissent Marie et Marcel- lin être vos constants compagnons, aujourd'hui et dans les jours à venir !

Avec toute mon affection et l'assurance de mes prières,

 

                   Frère Seán D. Sammon, FMS

               Supérieur général

 

 

 

 

REMERCIEMENTS

Un mot pour remercier plusieurs frères de l'Institut ainsi que des amis et des collègues qui ont lu les esquisses de cette circulaire ci qui ont offert des suggestions utiles. Je leur en suis tous reconnaissant. Merci au Fr. Donnell Neary, FMS, pour son aide incessante durant  ce projet, à Sr Marie Kraus, SND de Namur, et au Fr. Gérard Bereton, FMS, qui ont édité le texte anglais, et à ceux qui l'ont traduit en français (Fr. Joannès Fontanay, FMS), portugais (M. Ricardo Tescarolo) et espagnol (Fr. Carlos Martin Hinojar, FMS).

Je leur en suis tous très reconnaissant



[1] Frederick McMahon, Strong Mind, Gentle Heart (Drummoyne, NSW: Marist Brotlu t v 1988) p. 115.

[2] Preaching the gospel in the 21st century.

[3] Mission in Today s World, pp. 204-205.

[4]  Ibid., pp. 186-189.

[5]  Pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec cette organisation, le SEDOS, ou le Service Documentation et d'Étude, ressemble surtout à un forum formé d'Instituts de Vie Con crée qui s'engagent à approfondir leur compréhension de la mission en général. Notre ] stitut est membre de cette organisation depuis plusieurs années.

[6] Preaching the gospel in the 21st century.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Robert Schreiter, C.PP.S., Challenges today to mission ad gentes, http://www.sedos.of english/schreiter_l htm.

[10] Ibid.

[11] Mission in Today's World, pp. 206-207.

[12] Aylward cité dans Dorr, Mission in Today's World, pp. 215-217.

[13] Hno. Luis DiGuusto, Historia del Instituto de los Hermanos Maristas (Rosario: Imprim Tecnigrafica, 2004).

[14]  Jean-Paul II, Exhortation Apostolique Post-Synodale, Ecclesia in Asia; http://www.vatican.va/holy Jatht john_paulji/apost_exhortations/documents/hfjp-ii_exh_06111999_ecclesia-in-asiaJr.html

[15]  Jean-Paul II, Encyclique Redemptoris Missio, 1990,37 ; http://www.vatican.va/edocs/FRA020: _INDEX.HTM

[16] Mission in Today's World, p. 11.

[17]  Luc 4,18.

[18] Constitutions, 82.

[19]  Constitutions, 82.

[20]  Constitutions, 86.

[21]98 Constitutions,

 

 



[1]  Dr. Vianney Fernando, Président de la Conférence épiscopale du Sri Lanka. Homélie, 20 septembre 2006, Negombo, Sri Lanka.

[2]  Lcl2,49.

[3]  Rapport mondial sur la jeunesse 2005, http://www.un.org/esa/socdev/unyin/french/wyr05.htm

[4]  Benito Arbués, FMS, A propos de nos biens matériels (Rome: Maison générale, 31 octobre 2000) (30)4.

[5]  Ibid.

[6]  Lettres, 28.

[7]  Lettres, 262.

[8]  Ibid., Note.

[9] Mission in Today's World, pp. 151-152.

[10] Mt 5, 3-5. 5

[11] Michael Himes, "Returning to our Ancestral Lands," Review for Religious (59) 1, January/February 2000, pp. 20-24.

[12]  Constitutions, 31.

[13]  Constitutions, 32.

[14]  http://www.vatican.va/edocs/FRA0079/_INDEX.HTM

[15]  http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/ apost_letters/documents/hf_jp-ii_apl_l0111994_ tertio-millennio-adveniente_fr.html

[16] Mission in Today's World, pp. 224-225. 57 Dr. Vianney Fernando, Président de la Conférence épiscopale du Sri Lanka. Homélie, 20 septembre 2006, Negombo, Sri Lanka.

[17]  Ibid.

[18]  Actes du 20e Chapitre générale.

[19] Ibid., 24.

[20] Ibid., 33.

[21] Ibid., 36.


 


[1] Michael Maladoss, SJ, "Religious in the Evangelizing Mission of the Church" in Union of Superiors General, éd., Consecrated Life Today: Charisms in the Church for the World (Middlegree, Slough: St. Pauls, 1994) p. 131.

[2]  Religious Life in America.

[3]  Actes du 20e Chapitre général, 49.

[4] 1 Co 12,6-11.

[5] Peter-Hans Kolvenbach, SJ, "Cooperating with Each Other in Mission," October 7, 2004, Creighton University; http://www.creighton.edu/CollaborativeMinistry/Kolvenbach/Co- operating.html

[6] Vie, p.550.

[7] Miriam Ukeritis, "Religious Life s Ongoing Renewal: Will Good Intentions Suffice?" Review for Religious (55) 2, March/April 1996, p. 118-132.

[8] Ibid., pp. 127-128.

[9] David Nygren and Miriam Ukeritis, The Future of Religious Orders in the United States (Westport, CT: Praeger, 1993) pp. 238-239.

[10] Patricia Wittberg, Creating a Future for Religious Life (Mahwah, NJ: Paulist Press, 1991).

[11] Nygren and Ukeritis, The Future of Religious Orders in the United States, pp. 250-251.

[12]  Ibid.

 



[1] Lettres de M. J. B. Champagnat, Casa Generalizia dei Fratelli Maristi, Rome, 1985, n° 14.

[2] Lettres, 14.

[3] Lettres, 28.

[4] Stephen Farrell, FMS, Achievement from the Depths (Drummoyne: Marist Brothers, 1984) p. 230.

[5]  La Mission éducative mariste, Un projet pour aujourd'hui, Institut des Frères Maristes, 1998, p. 36-38 ; Constitutions, 2.

[6]  Rapport au Conseil d'État, présenté par Chaptal, ministre de l'Intérieur, 18 brumaire an IX. Cf. Dictionnaire Buisson Pédagogique, Vol. 5, « Consultât, » pp. 514-515.

[7]  Grégroire, Annales de la Religion, t. II, p. 210.

[8] Achievement from the Depths, p. 63.

[9] Vie, p. 547.

[10] P. Octavio Balderas, "The Challenges of a New Expression of the Charism and Spirituality of Religious," in Charism and Spirituality (Rome: Editrice "il Calamo" s.n.c., 1999) pp. 75-83.

[11] John C. Haughey, SJ, "The three conversions embedded in personal calling," John C. Haughey, SJ (éd.), Revisiting the Idea of Vocation: Theological Explorations (Washington, DC: Catholic University Press, 2004) p.11.

[12]  1 Co 12,7.

[13]  1 Co 13, 4 et suivants.

[14]  Exhortation apostolique de Sa Sainteté Paul VI. Evangelica Testificatio: sur le renouveau de la vie religieuse selon les enseignements du Concile Vatican II, 11.

[15] Helen Mary Harmey, OP, "Emerging from our struggle?" Religious life Review, (45)238, May/June 2006, pp. 181-186.

[16] Lettres, 20.

[17] Jon Sobrino, Spirituality of Liberation: Toward Political Holiness (Maryknoll, NY: Orbis Press, 1990).

[18]  Actes du 20e Chapitre général, 11.

[19] Lettres, 21.

[20] Ibid.

[21] Sean Sammon, FMS, Religious Life in America, (Staten Island, NY: Alba House, 2002).

[22] Constitutions, 11.

[23] Doris Gottemoeller, "Religious Life: Where Does It Fit?" Review for Religious, (52) 2, March/April 1998, p. 157.

[24] Sean Sammon, FMS, A Time for Décision Making (Opening address, Seventh General Conférence, Negombo, Sri Lanka, September 7, 2005).

[25] Constitutions, 154.

[26]  Actes du 20e Chapitre général, 15.

[27]  La Mission éducative mariste, p. 29-30.

[28]  Actes du 20e Chapitre général, 15.

[29]  La Mission éducative mariste, p. 61-67.


[1]  Constitutions et Statuts, Chapitre 5, Éditions Luis Vives, 1987, pages 71-83.

[2]  Le nom de ce document en langue anglaise est : In the Footsteps of Marcellin Champagnat

[3]  Frère Jean-Baptiste, Vie de Marcellin Joseph-Benoit-Marcellin Champagnat (Éd. du Centenaire, Rome, 1989, . 307.

[4]  Constitutions, 84.

[5]  Robert Schreiter, C.PP.S., Prêcher l'Evangile au XXIe siècle, http://www.dominicains.ca. providence/francais/documents/schreiter-fr.htm

[6] Donald Door, Mission in Today's World (Maryknoll, NY: Orbis books, 2000) pp. 188 l'H)

[7] Ibid., p. 190.

[8]  Ibid., p. 190-192.

[9]  Ibid., p. 192

[10]  Actes du 20ième Chapitre général, (Institut des Frères Maristes, Rome, 2002) 33.

[11]  Mondialisation et éducation, Académies pontificales des Sciences et des Sciences sociales, 30 mars 2006, Vol. 35, n° 41 Origines, CNS service de documentation 674-676.

[12]  Acter 20ième Chapitre général, 7.

[13]  Mondialisation et éducation, Académies pontificales des Sciences et des Sciences sociales.

[14]  Rapport mondial sur la jeunesse 2003, http://www.im.org/esa/socdev/unyin/french/wyr05.htm

[15] Constitutions, 83.

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