irculaires 394

Charles Howard

1987-11-01

Les vocations

Introduction
1. La situation actuelle
2. Les changements aujourd'hui
2.1 Changements dans la société et dans les attitudes sociales
2.2 Changements dans l'Église et dans les comportements d'Église
2.3 Vie religieuse
3.La base théologique des vocations
3.1Initlative de Dieu
3.2 Diversité des vocations
3.3 Médiation
3.4 Accepter l'appel
3.5 Vocation et prière
3.6 L'importance de la foi
3.7 Vocation et mission
3.8 Remarque finale
4. Fidélité au Fondateur, à son charisme et à son esprit
4.1 Sa foi dans notre vocation. L'estime qu'il avait de ce don
4.2 La prière pour les vocations
4.3 L'inébranlable confiance de Marcellin
4.4 Action en temps de crise
5. Suggestions pour réflexion et action
5.1 La responsabilité de chaque Frère
5.2 Planification provinciale pour la promotion des vocations
5.3 «Allez les trouver personnellement»
5.4 Une expérience de communauté mariste
5.4.1 Une communauté vibrante
5.4.2 Une communauté priante
5.4.3 Une communauté invitante
5.4.4 Une communauté missionnaire
5.4.5 Une communauté mariste
5.4.6 Une communauté accueillante
5.5 Accompagnement
5.6 Groupes
5.7 Familles
5.8 Un problème particulier
Conclusion

394

V.J.M.J.

 CIRCULAIRES DES SUPERIEURS GENERAUX

DE

L’INSTITUT DES FRERES MARISTES DES ECOLES 

 Volume XXIX 

LES VOCATIONS 

ROME, FËTE DE LA TOUSSAINT, 1987. 

En la fête de la Toussaint, 1987 

     Mes chers Frères,

Puissiez-vous être des hommes qui savent aimer !

Vous allez dire que c'est là une drôle d'introduction pour une lettre, mais je viens tout juste de lire quelques extraits de la vie du Frère André Roche un Frère français décédé à l'âge de 51 ans. Ses confrères lui ont rendu ce magnifique hommage en disant de lui qu'il « savait aimer » ; et ceci ressort également des témoignages de ses élèves, des maîtres et des parents qui ont vécu avec lui.

Marie est pour nous le modèle de ce que doit être notre amour. D'elle, « nous apprenons comment aimer les gens et nous devenons, à notre tour, des signes vivants de la tendresse du Père. D'un cœur ouvert et disponible, nous accueillons les jeunes qui nous sont confiés. Marie nous inspire une réponse désintéressée à leurs appels et une constante sollicitude pour eux ». (Const. 21.)

Ainsi donc, je profite de cette occasion pour demander dans la prière que nous soyons des hommes remplis de la science d'aimer, et que nous sachions nous donner aux autres avec un cœur généreux qui ne craigne pas l'abnégation et le sacrifice.

Venons-en maintenant au sujet de cette Circulaire : Les Vocations. 

LES VOCATIONS

Introduction

La tâche assignée au XVlllième Chapitre général consistait à mettre au point les Constitutions définitives et la plus grande partie du Chapitre a été consacrée à la composition de ce texte.

Le Chapitre a aussi pris le temps de donner un coup d’œil aux priorités qui se manifestent dans la situation actuelle. C'est de l'une d'elles que je veux parler dans cette circulaire : la question des vocations et le souci pastoral que nous devons cultiver.

Les deux derniers Chapitres généraux nous avalent poussés à traiter cette question comme une urgence et ce souci est aiguisé inexorablement par les chiffres des statistiques de l'Institut qui, depuis vingt ans, ne manifestent aucun signe de redressement.

Beaucoup de Provinces sont gravement concernées et souffrent de cette situation. C'est une mince consolation de se dire que les Frères maristes ne sont pas les seuls à subir cette crise et que presque toutes les congrégations religieuses traversent le même désert ; néanmoins, cela peut nous aider grandement à voir notre situation à nous, dans une perspective plus large, soit au niveau des Provinces, soit au niveau de l'Institut.

Dans un certain sens, Il n'y a pas grand’ chose de neuf à ajouter sur le sujet. D'ailleurs, personne n'a la formule magique concernant les vocations. Dans cette lettre, je voudrais vous apporter quelques données pour réfléchir, prier et agir. C'est un sujet très étendu et, de plus, les situations varient grandement d'une Province à l'autre ; c'est pourquoi, je n'essaierai pas de traiter le sujet in extenso. Certains aspects importants, comme par exemple, les critères à appliquer dans le choix des candidats, ne seront pas traités ici ; vous trouverez dans le Guide de la Formation une information plus pratique sur ce point et sur l'ensemble de la pastorale des vocations.

Ce que je me propose de faire est de vous livrer quelques observations sur la situation actuelle, de vous parler des fondements théologiques de la Vocation et de faire quelques réflexions sur la manière de penser et d'agir de Marcellin Champagnat, en face des vocations. Enfin, je vous ferai part de quelques suggestions qui peuvent s'avérer utiles à cet apostolat si important.

Je demande à chaque Frère de prendre ce sujet très au sérieux. II s'agit là d'un aspect de notre fidélité au Fondateur et à son charisme. Il arrive, parfois, qu'on entende un Frère dire qu'II ne serait pas disposé à encourager un jeune à devenir religieux. Je connais même une congrégation de sœurs qui, pour des raisons particulières, a décidé de ne plus accepter de nouvelles vocations : elles n'en ont plus, d'ailleurs, depuis vingt ans. Cette décision inhabituelle a été prise collectivement et après un long discernement. Mais quand un Frère, pris individuellement, dit qu'il ne serait pas disposé à encourager quelqu'un à entrer dans notre vie religieuse, cela semble, pour le moins, la preuve d'une excessive présomption. Pour beaucoup d'entre nous, le danger qui nous guette n'est-il pas plutôt celui de l'apathie et de la négligence ? Souvenons-nous de ce que disent nos Constitutions : «Tous les Frères de la Province ont à cœur l'éveil dès vocations» (Art. 94). Nous en sommes tous responsables et nous avons tous un rôle à jouer. Je développerai ce point plus en détail dans la suite de cette circulaire.

1. La situation actuelle

Beaucoup parmi nous pensent que, parmi les facteurs qui interviennent dans ce déclin des vocations, il y a, sans doute, une crise de la culture et de la foi, mais aussi une profonde mutation de société, spécialement dans les pays occidentaux. Prenons deux exemples. En France, un pourcentage élevé de nos vocations venait du mIlieu rural, où des familles profondément chrétiennes avalent habituellement un grand nombre d'enfants. Or, ces vingt-cinq dernières années ont bouleversé de fond en comble cette situation. De même, au Canada, les vocations étaient abondantes et la plupart venaient de familles nombreuses. Une étude faite sur huit cents prêtres canadiens a montré qu'ils venaient de familles ayant, en moyenne, 8,6 enfants. Or, actuellement, au Canada, ce chiffre se situe à 1,7 et, dans la partie francophone où sont nos Frères, il est tombé à 1,4. Nous constatons donc un changement dramatique, sur deux générations seulement.

Ainsi donc, il y a des facteurs sur lesquels nous n'avons que peu ou pas de prise et j'en citerai d'autres, plus loin. Le problème, c'est que nous ignorons les facteurs sur lesquels, au contraire, nous pouvons avoir quelque influence. En d'autres termes, le danger est de jeter toute la faute sur les facteurs extérieurs à nous : changement de culture, changement d'attitude des jeunes, manque d'estime pour la vocation de Frère, changements dans l'Eglise, accent mis sur la réalisation personnelle, esprit matérialiste, etc. Il serait insensé de les ignorer mais il serait peu avisé d'en déduire que nous ne pouvons plus rien. Il s'agit de savoir si nous nous limitons à être des spectateurs passifs des événements ou si, au contraire, nous essayons d'analyser la situation de notre Province pour y porter remède, dans la mesure de nos limites humaines.

Une constatation s'impose : aucun autre moment de notre histoire n'a connu une baisse des effectifs aussi généralisée et aussi prolongée. Avant cette situation actuelle, nous avons eu affaire à deux crises de croissance. Tout d'abord, celle de 1822, quand le manque de nouvelles vocations pendant trois ans semblait compromettre le développement de la Congrégation naissante. La seconde, quand les lois françaises de 1902-1903 obligèrent les religieux soit à choisir q'exil soit à retourner dans la vie civile. La reprise fut lente et II fallut attendre 1926 pour retrouver les chiffres de 1902.

D'autres congrégations dont l'histoire est plus longue ont traversé des crises plus nombreuses que la nôtre. Les Frères des Écoles Chrétiennes ont eu quatre grandes régressions, de même que les Dominicains. Ne parlons pas des Jésuites, rayés de la carte d'Europe, puis de la carte de l'Eglise, pendant quarante ans. Ces crises, en général, étalent consécutives aux changements politiques de l'Europe occidentale, comme c'est le cas de la Révolution française en 1789 et des autres révolutions qui ont suivi ; ou bien elles étalent le fait d'une législation qui empêchait pratiquement les congrégations de travailler dans tel pays, ou encore de la pression exercée par un gouvernement sur l'Église, limitant l'influence de celle-ci, spécialement dans le domaine de l'éducation. Des estimations chiffrent à quelque trois cent mille les religieux en 1770 et à soixante-quinze mille en 1825. Or, ce déclin brutal a été suivi d'une période de grand accroissement.

Mais la différence, quant aux chiffres et au recrutement, entre la crise actuelle et les crises antérieures réside en ce que, aujourd'hui, nous ne pouvons pas établir aussi aisément un rapport de cause à effet, à moins, bien sûr, de se contenter d'explications simplistes. Ce qui semble clair, c'est que de nombreux facteurs entrent en jeu, envahissant et imprégnant la plupart des cultures et des systèmes politiques.

Pour un grand nombre de congrégations, y compris la nôtre, c'est vers le milieu des années soixante que la plupart des religieux sont affectés. Il est intéressant de faire remarquer que bien des comptes rendus, par exemple celui de la Commission pontificale sur la vie religieuse aux USA ont laissé entendre que "le grand boom des vocations entre 1945 et 1960 était une période anormale". C'est presque tout de suite après que le déclin a commencé et il est intéressant de noter que, ça et là, les effets se font ressentir déjà avant le concile Vatican II.

Par bonheur, il existe actuellement des signes d'un heureux changement attendu, au sujet des vocations. Quelques Provinces semblent avoir double le cap et enregistrent une augmentation du nombre de leurs novices. Bien souvent, les chiffres sont trompeurs et, dans le cas des noviciats, il est encore plus difficile de voir clairement la situation, du fait que le Noviciat dure actuellement deux ans, tandis que jadis il ne durait qu'une année. Cependant, la réalité et les perspectives vocationnelles, dans quelques secteurs du monde mariste, sont plus prometteuses aujourd'hui que les années précédentes.

2. Les changements aujourd'hui

Sans doute est-il encore trop tôt pour avancer un jugement bien net sur quelques-unes des raisons qui ont engendré le déclin actuel, déclin qui transcende les frontières tant nationales que culturelles. Mais il vaut probablement la peine d'examiner quelques aspects du bouleversement social de ces dernières années car il a eu un impact considérable sur le monde, sur l'Eglise et sur la vie religieuse.

2.1 Changements dans la société et dans les attitudes sociales

Beaucoup parmi nous ont vu et ont vécu, ces quarante dernières années, une révolution profonde dans la société et dans les attitudes sociales. Elle a surgi comme une séquelle de la seconde guerre mondiale, suite au développement de la technologie, de la philosophie moderne, suite aussi aux luttes politiques et économiques de notre temps et à la mise en échec des voies traditionnelles.

Si l'on peut tenter une comparaison, II ne s'agit pas tant d'un pavé dans la mare que d'une poignée de cailloux laissant cette mare pleine d'éclaboussures et de vaguelettes où j'on ne distingue aucun dessin précis : c'est complexe et confus. Aussi est-ce bien difficile de faire une analyse cohérente de toutes ces tendances qui se manifestent dans le monde d'aujourd'hui.

Quelques-unes des plus évidentes seraient le sécularisme, le déclin du sacré et des valeurs à base religieuse, le phénomène de consommation, la prédominance d'une économie exploiteuse, la puissance de la technologie, la lutte pour l'autonomie, de nouvelles attitudes face au rôle des femmes dans la société et dans l'Eglise, une approche différente à j'égard de la liberté, de j'autorité et de j'obéissance et un changement d'attitude face à l'affectivité, à l'intimité, à la sexualité, une natalité en baisse, une instabilité culturelle généralisée.

Dans la plupart des pays, quelques-unes de ces tendances sont manifestes, à des degrés divers cependant. Mais dans certains, ces tendances et d'autres encore sont en train de façonner un nouveau concept de la personne, maîtresse de son propre sort, et possédant j'immense pouvoir de mettre en route, organiser et développer un monde en évolution, un nouveau type d'homme, «cet homme, comme dirait Paul VI , qui ne veut plus croire qu'il a besoin d'être racheté», ce «nouvel» homme qui a encore cet autre pouvoir de non seulement se détruire lui-même mais de détruire toute j'humanité.

2.2 Changement dans d'Église et dans les comportements d'Église.

Le pape Jean XXIII a reconnu que l'Eglise devait faire face aux changements révolutionnaires qui remodelaient la société moderne ; les «portes et fenêtres» de l'Eglise devaient s'ouvrir toutes grandes sur ce qui se passait dehors. D'où son insistance sur un concIle d'«aggiornamento».

Il avait confiance que « les lumières de ce concile seraient pour l'Eglise, une source d'enrichissement spirituel ». Après avoir puisé en lui de nouvelles énergies, elle regarderait sans crainte vers l'avenir.

En effet, lorsque auront été apportées les corrections qui s'imposent, et grâce à q'instauration d'une sage coopération mutuelle, l'Eglise fera en sorte que les hommes, les familles, les nations tournent réellement leur esprit vers les choses d'En-Haut.

Dans le cours actuel des événements, Dieu nous conduit vers un nouvel ordre des relations humaines qui, par les efforts des hommes et au-delà même de leurs attentes, est dirigé vers l'accomplissement des insondables desseins de Dieu. Et toutes choses, même les différences humaines, concourent au plus grand bien de l'Eglise. (Discours d'ouverture du Concile, 11 octobre 1962.)

Nous le savons, la route vers le «nouvel ordre des relations humaines» s'est avérée longue et rocailleuse pour l'Eglise. Ij y a eu des changements violents en son sein et dans ses relations avec le monde. Nous ne pouvons pas ici entrer dans tous les détails. Qu'il suffise de mentionner quelques-uns des plus significatifs : une Église qui accepte de dialoguer avec le monde et les autres religions, une Église servante, qui a envers les laïcs une nouvelle approche, qui sent qu'elle doit se rénover, qui se met en question, avec, bien sûr, toute la confusion et la bagarre qui va en découler.

Dans cette révolution au sein de la société et dans le bouleversement qui s'ensuivait pour l'Eglise, le pape Jean a vu la main de Dieu qui faisait avancer son Église et lui infusait une nouvelle vitalité. Aujourd'hui l'aggiornamento et la revitalisation de l'Eglise restent encore à bien définir et à compléter. Cependant, peu à peu, émerge un nouveau sens de l'Eglise vue comme peuple de Dieu, humain et vulnérable mais conduit par l'Esprit, groupé autour du Christ et qui rendant témoignage. Cette Église est là pour servir le peuple, maintenir l'homme dans sa dignité, établir le Royaume dans q'amour et la fraternité, dans la justice et la sainteté. Mais, est-il besoin de le dire, elles ne manquent pas les différences humaines dont parlait le Pape.

2.3 Vie religieuse

Quand on considère, même rapidement, comment la société et l'Eglise endurent les douleurs de l'enfantement, on ne s'étonne plus que la vie religieuse n'ait pas pu rester impassible, mais ait été marquée aussi par ce changement.

C'est dans cette même période que nous avons reçu le mandat de rénover notre congrégation. Comme Paul VI l'écrivait dans sa belle lettre aux religieux sur le Renouveau de la Vie religieuse : «une compréhension profonde des tendances actuelles et des besoins du monde moderne doivent faire jaillir vos propres sources d'énergie avec une vigueur et une fraîcheur renouvelées. Cette tâche est d'autant plus sublime qu'elle est plus difficile».

On nous a demandé de redéfinir notre charisme, de réfléchir sur notre style de vie, notre pratique de l'autorité et d'en faire q'évaluation, d'adapter notre vie communautaire et notre apostolat aux besoins du monde actuel, de restructurer nos signes de formation et de nous situer dans une nouvelle définition de l'Eglise et du laïcat.

La vie religieuse est comme coincée dans une banquise de valeurs et d'accentuations qui changent, du fait de la société, de l'Eglise ou de la vie religieuse elle-même.

Ces recherches et changements ont eu leur côté enrichissant et vivifiant. Mais parfois aussi on a abouti à une pénible confusion, un affaiblissement de l'identité et on s'est laissé absorber par quelques valeurs fausses de la société.

A mon avis, nous sommes sans aucun doute, passés par la période la plus difficile et la plus trouble de q'histoire de l'Institut, le seul autre moment comparable pouvant être q'expulsion des Frères français de 1903. La même remarque vaut pour la grande majorité des autres congrégations. Donc affirmer, comme certains le font, que la baisse des entrées et le grand nombre des sorties vient d'une déficience des dirigeants ou du manque d'esprit religieux est trop simple. Le fait que le phénomène soit pratiquement universel et atteigne la plupart des familles religieuses montre assez qu'il faut recourir à une explication plus globale.

Un facteur évident est l'ensemble des bouleversements sociaux, autrement dit la révolution culturelle de ces trente dernières années, surtout dans l'Europe occidentale et les pays de culture identique. La relation de la Commission pontificale mentionnée plus haut nous encourage pourtant à relativiser : «Dans notre effort, dit-elle, pour comprendre ce qui s'est passé, il sera bon de noter que au cours des cinq derniers siècles il y a eu trois grandes mutations culturelles dans le monde occidental : la Réforme, la Révolution française et la période actuelle. Mais chaque fois, le déclin a été suivi d'une nouvelle floraison de la vie religieuse.»

II ne faut donc pas conclure qu'aujourd'hui les hommes ne sont plus appelés à la vie religieuse. Mais il est par contre très facile de voir qu'il y a eu parfois une perte de confiance réellement destructrice soit chez ceux qui ont la charge d'appeler, soit chez ceux qui sont appelés et qui refusent de s'engager de façon définitive, ballottés qu'ils sont par un flux et reflux continuels. N'oublions pas, que, pour les jeunes de notre temps, à la différence de beaucoup d'entre nous, le seul monde qu'ils ont connu, c'est un monde en rapide mutation. Il y a encore une autre dimension dont nous sommes tous conscients, et c'est j'importance croissante du rôle des laïcs dans l'Eglise. Je me souviens toujours de ce que me disait un ami, Provincial d'une congrégation cléricale, il y a vingt ans : son souhait qu'il n'y ait plus de vocations sacerdotales pendant dix ans dans tel diocèse. Cela semblait scandaleux de la part d'un homme plein de discernement. En fait ce qu'il voulait dire c'est que, s'il cessait provisoirement d'y avoir des vocations sacerdotales, le diocèse visé serait obligé de laisser plus de responsabilité aux laïcs et ses dirigeants devraient se mettre à étudier ce que Vatican pI a dit sur le rôle du laïcat dans l'Eglise.

Ce rapide survol suffit à montrer que les causes profondes de la crise sont variées et complexes. Ne les ramenons pas à une analyse trop simpliste, par exemple : la baisse des vocations est le résultat du déclin de la pratique du chapelet. Ne réduisons pas la guérison à un remède-miracle, par exemple : «ramenez les Frères à ce qui est leur but : la classe, et les forces nous reviendront».

Je rabâche, allez-vous dire, mais si nous nous fixons sur une vue trop simpliste des choses, cela peut nous empêcher de faire un bon discernement de la situation. Selon le mot de Paul VI, il faut viser à une «compréhension en profondeur des tendances actuelles».

Une dernière remarque pour conclure cette partie. Le nombre des vocations n'est pas nécessairement un bon indicateur de la vitalité d'une Province. Il y a quelques Provinces avec peu de vocations mais qui possèdent une vitalité apostolique et une créativité remarquables.

3. La base théologique des vocations

Pour examiner sérieusement le problème des vocations aujourd'hui, il sera bon de nous rappeler très brièvement quelques données théologiques de base à partir desquelles peut se comprendre la vie chrétienne.

3.1 Initiative de Dieu

«Quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père et va dans la terre que je te montrerai» (Gen. 12).

Tel est l'appel de Dieu à Abraham, le premier de la série d'appels divins qui se manifestent dans l'Ancien et le Nouveau Testaments. L'Écriture nous montre Dieu appelant qui il veut, à être son Peuple choisi, à être prêtre ou prophète, chef ou apôtre. Quel que soit l'élu – fût-il le plus humble du peuple— Samuel, David, Jérémie, c'est toujours le Seigneur qui prend l'initiative. C'est Dieu qui fait entendre l'appel ; c'est lui qui donne la vocation. Jésus l'a bien souligné : «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis» (Jn 15, 16). Et toujours —d'Isaïe à Paul, de Marie de Nazareth aux pêcheurs du lac, l'appel du Seigneur est personnel et individuel. Il nous appelle «par notre nom». Ij nous invite chacun à ce qui est essentiellement une manière particulière de connaître le Seigneur et d'entrer en relation avec lui.

Tout appel s'ouvre en effet sur une relation personnelle, sur une alliance avec lui, et c'est de cette rencontre avec un Créateur et Sauveur dynamique que peut naître une tâche, un service, qu'une mission peut être donnée pour manifester l'alliance et la rendre opérante.

La vocation est un don de l'amour de Dieu et cet amour nous invite à être des compagnons qui travaillent avec lui à bâtir le royaume du Père parmi les hommes.

3.2 Diversité des vocations

L'appel chrétien de base c'est le «Suis-moi» de Jésus par lequel il m'invite à le choisir comme Seigneur et Sauveur, à être son disciple, son collaborateur, à faire partie de son Église. De cet appel naît l'alliance du baptême et mon entrée dans la vie chrétienne. Tout baptisé est appelé à une relation nouvelle avec la Sainte Trinité, à un partage de la vie de Dieu et à une mission envers ses frères et sœurs.

La manière dont chacun de nous doit être compagnon de Jésus et travailler avec lui nous est manifestée par l'appel spécifique qui va préciser la direction que doit prendre mon engagement. Chacun reçoit le don de manifester l'Esprit en vue du bien de tous. L'Esprit donne un message de sagesse à l'un et de science à l'autre ; à un autre, le même Esprit donne la foi, à un autre encore, le seul et même Esprit accorde des dons de guérison ; à un autre le pouvoir de faire des miracles, à un autre la prophétie, à un autre le discernement des esprits, à un autre le don de parler en langues, à un autre encore celui de les interpréter. Mais tout cela, c'est le seul et même Esprit qui le produit, distribuant à chacun ses dons selon sa volonté (Cor / 12,7-11).

L'appel à suivre une direction spécifique – comme prêtre, religieux, laïc – ne contraint cependant pas. Je suis libre d'accepter ou de refuser j'appel. Le Seigneur invite, il ne réquisitionne pas. Et quoique l'appel —c'est le cas de la vocation de Marcellin – puisse sembler venir du dehors, renversant nos plans et nous amenant à choisir une vie que jusque-là nous avions à peine entrevue, cependant en fait cet appel ne fait que lier ensemble des richesses humaines qui s'étalent déjà développées en moi sous l'influence créative de l'Esprit et les organiser autour d'un nouveau noyau. La plupart d'entre nous peuvent repasser les étapes de l'approfondissement graduel du sens de leur vocation qu'ils ont parcourues pendant le juvénat et le noviciat, comment mûrissait le sens de ce qui était vrai pour eux. Car Dieu habituellement ne nous impose pas un appel trop abrupt. L'Écriture nous le montre préparant patiemment la voie à son appel, le traçant avec habileté et amour. L'appel du peuple hébreu au Sinaï, l'appel aussi des Apôtres, ne viennent qu'au bout d'un long contact et d'une révélation progressive. Et tel fut le cas de la plupart d'entre nous. C'est vrai qu'un événement extérieur peut déclencher ma décision, mais antérieurement il y avait déjà une inclination et une orientation au-dedans de moi. Elles ont fait surface dans mon histoire mais elles mûrissaient sous la conduite de l'Esprit qui m'orientait vers des valeurs, des attitudes, des intérêts, des principes, des préférences.

Avant de passer à un autre point, j'ajoute un mot sur la vocation chrétienne en général. Cette lettre traite de la vocation de Frère mariste, mais c'est une grande joie pour nous tous de vivre en un temps où toute l'Eglise prend très au sérieux la vocation de tous les chrétiens, où est vraiment reconnue la vocation de tout baptisé, qu'il soit laïc, religieux ou prêtre. Toute vocation est unique, comme toute personne est unique dans le plan de Dieu, et toute personne est appelée à jouer un rôle particulier dans la construction du Royaume. Ces dernières lignes, je les écris étant à Lagos, Nigeria, pendant le symposium des évêques d'Afrique et de Madagascar. Un évêque africain a dit tout uniment que la force la plus grande et la plus significative dans l'évangélisation de quelque pays africain, c'est la femme. Le Père Sean Fagan, S. M., secrétaire général des Pères maristes, a parlé du laïcat dans l'Eglise comme du «géant endormi». Nous avons le bonheur de vivre en un temps où le géant se réveille. Plus encore, notre rôle 'est de contribuer à ce réveil. Je vous invite tous à suivre très attentivement les rapports du Synode sur le laïcat.

3.3 Médiation

C'est ceci —la certitude que Dieu façonne le cœur humain pour sa vocation— qui nous encourage à être appelants. Nous reconnaissons le bien qu'il y a déjà dans un jeune, et, avec beaucoup de délicatesse et de doigté, nous, lui suggérons qu'il se pourrait bien que le Seigneur l'ait préparé et l'appelle à la vie sacerdotale ou religieuse. Cela, c'est être médiateur de l'appel de Dieu à quelqu'un, comme Marcellin l'a été pour ses deux premiers disciples. Le travail pastoral pour les vocations repose sur ce principe : mettre en jeu une médiation opportune et authentique au moment voulu.

Jésus agit ainsi dans son contact avec les gens ; sa personnalité est telle que certains sont attirés à lui, des disciples l'entourent et à certains, auxquels il trouve les qualités voulues, il lance un appel direct et leur offre un nouveau style de relations avec lui et une nouvelle tâche. («Venez avec moi et je vous ferai pêcheurs d'hommes». Mc 1, 17.)

Parfois la médiation à ses débuts est dans le témoignage de vie ; combien d'entre nous ont trouvé un début d'appel dans la vie et l'influence d'un Frère connu et admiré ? Le début et la maturation d'une vocation semble souvent dépendre de médiations qui orientent vers des expériences humaines qui attirent les jeunes, parce qu'elles leur disent quelque chose au sujet de la vie, de la finalité d'une vie et du plan que Dieu a sur leur vie.

3.4 Accepter l'appel

Accepter la vocation qui m'est donnée, c'est accepter que peu à peu tout mon être avec sa volonté de vivre, d'aimer et d'agir se centre sur le Christ. C'est le Père que me choisit, c'est l'Esprit qui me prépare à accueillir l'appel mais c'est toujours Jésus qui me rend évident le divin appel car c'est à une union personnelle et à une collaboration avec lui que je suis appelé. Le don de la vocation apporte avec lui une présence et une puissance de Dieu qui me rend capable de bien vivre cette vocation. Avec le don, je reçois le pouvoir de vivre ce don en plénitude. Marcellin a le sens de cela quand il dit à sa famille : «Puisque Dieu veut que j'embrasse cette vocation, il me donnera l'intelligence et tout ce dont j'ai besoin pour réussir dans mes études» (Vie, p. 332).

En acceptant j'appel du Seigneur, je prends l'engagement de réévaluer et de purifier mes valeurs afin de viser plus haut. Le fait même d'un tel engagement est une source d'aide qui renforce ma fidélité et rend plus totale ma réponse à l'appel.

La vocation n'est donc pas ce moment d'une très forte prise de conscience que j'expérimente au moment de ma décision. C'est plutôt l'entrée dans le développement d'une relation spéciale avec Dieu qui va durer toute une vie. Un développement vital et progressif. Chaque jour, Dieu, dans sa fidélité, renouvelle l'appel. Chaque jour apporte son appel particulier, chaque jour le dialogue avec Dieu m'ouvre un nouvel aspect de la vie qu'on mène en sa compagnie.

Notre cheminement d'hommes consacrés est merveilleusement décrit dans j'article 46 de nos Constitutions :

«Notre vie de consacrés est un cheminement dans la foi, l'espérance et l'amour.

Jésus a interpellé chacun de nous. Nous avons entendu la parole : «Sois sans crainte.» Nous avons dépassé nos peurs et nos hésitations pour nous engager à sa suite.

Guidés par le Père Champagnat, nous avançons ensemble, jour après jour, le cœur plein de gratitude, encouragés par témoignage de fidélité des Frères qui nous ont précédés.

Nous pourrons, en chemin, connaître le doute, la tiédeur, le dessèchement du cœur et même ses égarements à la recherche de fausses consolations. Nous en sortirons vainqueurs surtout par le recours à Marle et avec j'aide de nos Frères.

Sûrs de la fidélité de Dieu, nous ne remettons pas en question son appel. Nous ressentons alors la joie de vivre en vérité le don total à Dieu et aux autres.»

3.5 Vocation et prière

«L'idée d'un service exclusif de Dieu ne peut germer que dans un cœur qui prie» (Jean-Paul II).

Ma vocation s'éveille et grandit dans une atmosphère de prière. Je deviens conscient de l'appel et de la relation à laquelle Dieu m'invite, dans la prière qui est ouverture, écoute et accueil actif de sa Parole. La vraie prière m'aide à comprendre mon propre moi, mon identité et le sens de ma mission dans la vie.

Il s'en dégage un besoin évident de nourrir la vie de prière de ceux qui cherchent le sens de leur vie, qui peut-être vont être appelés. Un aspect vital du souci pastoral des vocations consiste à aider les jeunes à développer leur vie de prière. La réponse à j'appel sera le fruit de la prière, d'une expérience spirituelle. Ce doit être un des points essentiels dans notre travail pour les vocations.

Notre vocation n'est pas d'être uniquement des professeurs. Nous ne sommes pas à la recherche de jeunes qui voudraient travailler pour la jeunesse comme professeurs ou autrement. Nous avons à être attentifs à ceux qui désirent suivre Jésus-Christ comme consacrés et dont la mission sera de travailler au service des jeunes. L'expérience spirituelle est la plus importante. Le pape Jean-Paul II parlant aux religieux, voici quelques années, leur disait : «Les gens vous connaissent et vous apprécient pour ce que vous faites, mais votre véritable valeur vient de ce que vous êtes». Peut-être qu'à certains moments nous oublions cela nous-mêmes.

3.6 L'importance de la foi

Accepter l'appel du Seigneur, pour lui confier la direction de toute ma vie, demande une foi active. Je ne peux répondre au Seigneur, dialoguer avec lui dans la prière et suivre ses directives que si j'ai la foi. Il faut que je reconnaisse le Seigneur comme ma Vois, ma Vérité, ma Vie, et c'est dans ce cas seulement que ses comportements et ses valeurs, si opposés soient-ils aux appréciations culturelles courantes assurent plénitude à ma vie et accomplissement à ma destinée. Ma foi me rend capable de confiance et ma confiance me rend capable de risquer cette obéissance à l'appel qui semble une folle.

La foi active va croissant au sein d'une communauté croyante : famille chrétienne ou paroisse qui inculque la foi, l'exprime en adoration et en service d'autrui et apporte à cette foi aide et soutien.

Or voici justement une des difficultés d'aujourd'hui pour les vocations dans certains pays : la foi de la communauté a baissé. L'«Eglise domestique» qu'est la famille et l'Eglise locale qu'est la paroisse ont, pour les raisons vues ci-dessus, perdu de la profondeur et de la conviction d'une foi naguère à toute épreuve. Aussi devient-il d'autant plus difficile d'entendre l'appel du Seigneur et de lui répondre. Une des questions-clés que doivent se poser aujourd'hui ceux qui s'occupent de vocations est celle-ci : Comment donner à l'éducation de la foi la base qu'il faut pour des jeunes qui doivent entendre l'appel du Seigneur et y répondre ? En quelques pays, nous pouvons ajouter une autre question : Comment aider les jeunes à faire grandir leur amour envers l'Eglise, Corps du Christ et peuple en marche ?

3.7 Vocation et mission

Le lien entre la vocation individuelle et la communauté de foi est tressé à fils multiples.

C'est à travers une communauté que j'ai reçu les prémices de ma vocation chrétienne, à travers la médiation de bien des personnes. Pour la plupart d'entre nous, la médiation principale est celle de nos parents, non seulement pour le tout début, mais aussi pour la suite fidèle d'un appel plus déterminé.

La vocation baptismale se renforce donc en moi par mon contact avec une communauté de foi ; à partir de ce contact, je me forme les images de ce que saint Paul appelle les divers charismes dans l'Eglise, les différents appels spécifiques du Christ qui investissent tels ou tels «élus» d'une mission envers la communauté et le monde. La richesse diversifiée de Jésus est là présente dans cette mise en commun des charismes et des services par laquelle les fidèles se mettent à l’œuvre dans l'Eglise et au-delà de l'Eglise.

Être appelé, c'est aussi être envoyé ; toute alliance est aussi mission envers le peuple ; toute vocation spécifique constitue l'appelé à la fois comme homme-de-Dieu et homme-pour-les-autres. La vocation m'est donnée pour ma croissance et ma sainteté, mais aussi pour que d'autres trouvent en moi une médiation qui promeuve leur croissance et leur sanctification. Vocation et mission ne sont pas deux éléments séparés ; de même que la lumière répand la lumière de par sa propre nature, de même que le feu répand la chaleur qui est son être intérieur, de même une vocation s'exprime spontanément dans le service qui fait comme partie d'elle-même.

C'est la communauté de l'Eglise (l'Eglise en général, la paroisse, la famille) qui doit éveiller, promouvoir et soutenir les vocations. C'est l'Eglise qui authentifie quand elle y reconnaît l'Esprit, le charisme des vocations spécifiques. À leur tour, tous ces charismes construisent l'Eglise, l'enrichissent d'une nouvelle sainteté et viennent combler un besoin de cette Église d'une façon novatrice. Commentant l'interdépendance des vocations à l'intérieur de l'Eglise, le Pape dit : «Chacun, au sein de l'Eglise, a reçu une vocation. L'exercice ne doit pas en être isole dans la sphère personnelle du moi, mais doit donner lieu aussi au développement d'autres vocations. En fait, les diverses vocations sont complémentaires et toutes convergent vers une unique mission.» (Jean-Paul pI, Message pour la journée mondiale de prière pour les vocations, 11 février 1987.)

3.8 Remarque finale

Suite à ces brèves observations sur la théologie des vocations, on commence à voir émerger quelques principes de base et aussi quelques voies possibles pour répondre à la situation actuelle. Dans les chapitres suivants, j'essayerai d'en expliquer quelques-uns plus à fond.

4. Fidélité au Fondateur, à son charisme et à son esprit

La leçon d'histoire telle que nous la présente le P. R. Hostie, S. J., dans son livre : «Vie et mort des congrégations religieuses», et aussi les directives de Vatican II, particulièrement dans le document : «Renouveau de la Vie religieuse», insistent sur l'importance fondamentale du Fondateur et de son charisme pour la vie d'un Institut, que ce soit pour le renouveau de la vie religieuse dans les membres du groupe ou pour le maintien de la vitalité de l'Institut dans l'Église d'aujourd'hui.

Si nous devons survivre au déclin de notre vocation et entrer dans un nouveau cycle vital, ce sera donc par une nouvelle floraison du charisme de Marcellin parmi nous. Il y a vingt ans, des auteurs parlaient de «refonder» les Congrégations religieuses. Ces dernières années l'expression est redevenue populaire chez quelques-uns. Si elle veut dire nouvelle infusion de l'Esprit donnant vie nouvelle à ce qui était sec et se désertifiait, nous pouvons l'accepter dans le sens de la prophétie d'Isaïe :

«Je verserai l'eau sur le sol assoiffé, des ruisseaux sur la terre sèche. Je mettrai mon esprit sur vos descendants, mes bénédictions sur vos enfants. Ils croîtront comme l'herbe au bord de l'eau, comme des peupliers près des rivières.»

Dans ma circulaire précédente (25 déc. 1986. pp. 20-21), j'ai souligné l'importance de comprendre plus profondément le patrimoine dont nous héritons en recevant le charisme et l'esprit du Père Champagnat : l'expérience de l'Esprit-Saint qui lui a été donnée, la source de sa spiritualité et de son zèle apostolique qui revêt aussi d'un caractère distinctif notre communauté religieuse.

Même notre effroi à voir baisser nos effectifs et échouer le recrutement peut tourner au bien dans ce cas, car il nous force à étudier l'attitude du Fondateur à l'égard de la vocation. Le Bx Marcellin a beaucoup à nous dire à ce sujet et je voudrais ici souligner quatre points-clefs :

•sa foi dans notre vocation et l'estime qu'il avait de ce don ;

•sa prière pour les vocations ;

•sa confiance inébranlable ;

•sa manière d'agir en temps de crise.

4.1 Sa foi dans notre vocation. L'estime qu'il avait de ce don

Marcellin comprenait la vocation comme un don venu de l'amour de Dieu, et comme une grâce d'intervention de Marie dans la vie d'un homme choisi pour lui appartenir. Marcellin parlait toujours de son appel en termes d'émerveillement et de gratitude.

«La vocation à la vie religieuse est une grâce merveilleuse», disait-il au Frère Stanislas. Aux Frères réunis pour assister à son Extrême-onction, il parlait avec amour et estime de sa propre expérience de vie dans la Société :

«Qu'il fait bon mourir dans la Société de Marie. C'est aujourd'hui, je vous l'avoue, ma plus grande consolation.»

Il trouve si évident le bonheur de la vie religieuse qu'il veut en voir d'autres jouir du même bonheur. Parlant à un jeune découragé par le Père Courveille qui lui avait présenté la vie religieuse sous un jour bien sombre, Marcellin va dire :

«Je vous assure que vous trouverez plus de satisfaction et de joie au service de Dieu que ne pourraient vous en procurer tous les plaisirs du monde. Le divin Sauveur qui est la vérité même déclare que son joug es doux et son fardeau léger.»

Et, un jour, passant près d'un groupe de jeunes ouvriers, il disait :

«Quels bons novices ils feraient s'ils venaient nous rejoindre. S'ils connaissaient le bonheur de servir Dieu et de travailler pour le salut des âmes, avec quelle joie ils quitteraient tout pour entrer dans notre noviciat.»

Permettez-moi une digression. Une partie de l'histoire de ma propre vocation est liée au témoignage d'un groupe d'«ouvriers».

Ma famille venait de déménager de Melbourne à Sydney. L'après-midi du samedi qui suivit, mon père était allé voir les deux collèges catholiques pas trop loin de notre maison. Au début il trouva l'école, mais il ne put découvrir la résidence des Frères. Par contre, il aperçut un groupe d'«ouvriers» qui construisaient un mur dans les dépendances de l'école. Mon père leur demanda où il pourrait bien trouver les Frères. Les Frères, c'était eux ! Mon père qui était un ardent ouvrier fut enchanté de découvrir que ces hommes étaient des Frères et aussitôt il décida que c'était là que son fils irait à l'école. J'étais inscrit dès le lundi suivant. Cinq mois plus tard j'entrais au juvénat !

Pour le Père Champagnat, la vie de Frère Mariste conserve toute sa valeur même lorsque en 1822, le noviciat de La Valla est vide et que, selon toutes apparences, il ne semble pas que d'autres vocations doivent venir. D'autres auraient pu voir en cela une indication que leurs plans n'étaient pas selon Dieu, mais le Fondateur, «bien que profondément peiné par cette rareté des vocations» ne fut pas ébranlé dans sa conviction que Dieu et Marie voulaient créer quelque chose de neuf et d'enrichissant au sein de l'Église.

La foi de Marcellin dans la beauté et l'importance de la vocation de Frère Mariste illustre exactement ce que Jean-Paul Il soulignait en parlant aux religieux de Grande-Bretagne en 1982. J'ai cité le texte dans ma dernière circulaire, mais il vaut la peine de le répéter :

«Croyez au Christ ressuscité.

Croyez en votre vocation personnelle.

Croyez que le Christ vous a appelés parce qu'il vous aimait.

à l'inspiration spécifique et au charisme de votre Institut.

Croyez à votre mission dans l'Église.»

Chacun de nous a sa propre foi dans la valeur et la beauté de la vocation de Frère Mariste ; chacun de nous a expérimenté le bien qu'elle nous donne de faire aux jeunes. Le fait d'avoir peu de recrues montre donc que les jeunes d'aujourd'hui négligent ou dédaignent un don à la fois beau et vivifiant fait par l'Esprit-Saint à Marcellin Champagnat et à chacun de nous. Pourquoi cela ?

Les images qui motivent les jeunes dans le choix d'une vie se forment généralement à partir de leurs expériences personnelles qui sont souvent renforcées ou influencées par leurs contacts avec des adultes à la fois disponibles et enthousiastes pour parler du genre de vie qui est le leur et qui commence à intéresser ces jeunes.

L'adulte qui a une expérience de vie peut décrire le travail qu'il fait et le genre de vie qu'il mène, avec ses occasions, ses aventures, ses difficultés, ses risques, les sentiments qu'il y éprouve, les moments fastes, le bien qu'il peut y faire. Les jeunes vivent ces expériences par procuration et conservent des images attrayantes que leur communique quelqu'un qui est heureux de parler de sa vie et d'un travail où il met sa joie et sa foi, qu'il accomplit avec savoir-faire et confiance, et où il trouve son épanouissement.

Quelquefois, la vie et le travail du Frère peuvent être présentés de façon moins évidente et moins attrayante ; l'image retenue peut être floue et banale. Pourquoi ? Peut-être parce que certains d'entre nous trouvent que leur propre vie est terne et prosaïque, même s'ils la vivent avec un vrai sens de service envers Dieu et son peuple, une vraie fidélité à l'appel. Dans certains pays, la profession enseignante n'est guère appréciée et l'image du professeur n'est pas des plus attirantes. Peut-être aussi, dans quelques Provinces, l'image du Frère manque de clarté parce que nous doutons de nous-mêmes, de notre identité.

Cela soulève quelques questions importantes. Apprécions-nous vraiment ce que nous avons reçu par le don de notre vocation ? Croyons-nous vraiment en ce don de notre vocation ? Croyons-nous vraiment en ce don et en sommes-nous heureux, non seulement sous son aspect de travail, mais dans la fraternité qu'il nous apporte, dans le sentiment de communauté, dans l'expérience d'une vie intérieure qui fait que tout me devient possible ?

Savoir grandement apprécier ce que déjà nous possédons en propre est important, parce que les jeunes, quand ils regardent la vie religieuse, ne considèrent pas seulement la dimension travail. Ils ont pu avoir quelque contact avec notre vie communautaire et notre prière aussi et ils sondent un peu le mystère de ce style de vie et ce qui, en fin de compte, en est le soutien. Ils peuvent être amenés à y réfléchir plus à fond si quelqu'un leur présente un tableau clair, vrai et attirant de ce qui fait notre vie. Parfois cela ressort simplement de la qualité de vie qui rayonne de la vie d'un Frère : il y a en lui quelque chose qui attire et éveille un désir de le suivre. «Quand notre vie rayonne la joie et l'espérance chrétiennes, nous donnons aux jeunes l'envie de s'engager à la suite du Christ» (Constitutions, 82). Mais il faut aller plus loin ; il faut être prêt à «rendre raison, à quiconque le demande, de l'espérance qui est en nous.» (Pi 3, 15).

En d'autres termes, nous devons être prêts à partager notre expérience de ce que c'est qu'être Frère Mariste, et à la partager avec les jeunes qui manifestent de l'intérêt. Non seulement notre expérience de ce que nous faisons, mais aussi de ce que voudra dire pour lui : vivre en fraternité, appartenir à telle communauté, vivre en intimité avec Jésus et Marie. C'est l'impact de la foi solide que nous avons en notre vocation, c'est notre enthousiasme pour le don qui nous a été fait, qui créera une image attirante et inspirante pour un jeune.

Parler de mon expérience intérieure, parler ouvertement de mes relations avec Jésus et Marie n'est pas facile. Ce partage de foi est difficile même entre nous en communauté. Partager notre vie intérieure : sentiments, efforts, convictions, avec les jeunes peut gêner notre sens de l'intimité.

En tout cas, le problème est là ; nous nous trouvons dans une situation où notre appel, cet appel exceptionnellement précieux pour l'Église et pour le monde risque bien de ne plus être entendu par les jeunes. Cet appel à devenir chacun promoteur de vocations, en étant prêt à partager avec d'autres notre foi, notre conviction, notre enthousiasme, notre expérience d'un épanouissement, d'un centuple qui se produit dans une fraternité mariste vécue au service des jeunes. Cet appel à accueillir volontiers des jeunes dans nos maisons pour leur faire connaître expérimentalement notre vie communautaire et notre vie de prière, aspects de notre vocation qui, d'habitude, sont très peu vus et peu compris. J'ai demandé à un Provincial combien de ses communautés aimeraient recevoir quelques aspirants pour un week-end. «Peut-être deux», m'a-t-il répondu.

Nous devons être prêts à sacrifier un peu de nos goûts personnels et communautaires pour faire connaître et apprécier notre vocation. Après tout, ce n'est quand même pas plus que ce qu'a fait Jésus quand il a invité deux jeunes intéressés par lui, à «venir et voir» où il demeurait. Ils sont venus et ils ont vu où il habitait et ils ont passé le reste de ce jour avec lui ! (Jn 1, 39.)

Avant de passer au point suivant, je voudrais souligner un aspect de cette foi en notre vocation.

Récemment, j'étais en transit, entre Haïti et Chicago, et je devais passer la douane à Miami. La dame du contrôle des passeports remarqua que j'étais Frère Mariste et elle me demanda si je connaissais tel Frère. Oui, répondis-je, je le connais, ainsi que les autres de sa communauté que j'ai visitée, — «Eh bien, me dit-elle, mon fils est allé à cette école et c'est ce qui lui est arrivé de meilleur !»

Je mentionne cet incident parce que plus je voyage en divers pays, plus je suis convaincu qu'en beaucoup d'endroits, le besoin de Frères est tout aussi urgent, ou même plus, qu'au temps du Père Champagnat. Il y a tant d'endroits où les jeunes ont le besoin le plus extrême de trouver des hommes qui soient pour eux des Frères. Parlant au début de l'année à un groupe d'évêques français, le Pape évoquait la longue tradition de souci pastoral envers la jeunesse qu'il y avait en France et il soulignait son importance pour les jeunes d'aujourd'hui. On pourrait en dire autant de beaucoup de pays, et, en quelques-uns, il s'agit vraiment d'un besoin extrême.

4.2 La prière pour les vocations

«La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux : priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson». (Mat 9, 38.)

Pendant la crise des vocations de 1822, Marcellin garde en main la situation, comme il le fera au cours de son existence de Fondateur, pour les autres crises qui viendront, qu'elles soient de nature politique, ecclésiastique ou financière. Sa première réaction face à une difficulté ou à un problème, c'est la prière. Il prie avec ferveur pour implorer secours. Il ne prie pas pour son œuvre à lui, mais il prie pour que Jésus et Marie veuillent protéger et soutenir l'œuvre qu'ils ont fait naître. C'est Jésus et Marie qui ont «bâti la maison», ce sont eux les auteurs de la fondation de l'Institut ; donc de sa bonne continuation. L'extrait suivant de la «Vie du Père Champagnat» (pp. 123-124) dépeint bien la situation : «Cette pénurie qui menaçait l'existence même de la petite Congrégation, fut pour son Fondateur une véritable épreuve ; mais loin de le décourager, elle ne servit qu'à exciter son zèle et augmenter sa confiance en Dieu.

Ne comptant sur aucun moyen humain pour mettre fin à cet état de choses, bien convaincu d'ailleurs que la vocation est l'œuvre de Dieu, et que c'est lui qui dirige dans les communautés ceux qu'il appelle à la vie religieuse, il mit toute sa confiance en sa divine bonté, et lui adressa d'ardentes prières pour le conjurer de lui envoyer de nouveaux enfants.»

Jamais il ne manque de faire appel à Marie, en qui il a une confiance inébranlable. Il célèbre la messe, fait des neuvaines en son honneur et, avec une simplicité d'enfant, lui rappelle que, étant mère, supérieure et protectrice de sa communauté, elle doit en prendre soin et l'empêcher de s'éteindre.

«C'est votre œuvre, dit-il ; c'est vous qui nous avez réunis, malgré les contradictions du monde, pour procurer la gloire de votre divin fils ; si vous ne venez à notre secours, nous périrons, nous nous éteindrons comme une lampe qui n'a plus d'huile. Mais si cette œuvre périt, ce n'est pas la nôtre, c'est la vôtre ; car c'est vous qui avait tout fait chez nous ; nous comptons donc sur vous, sur votre puissant secours, et nous y compterons toujours.»

 Sa vie nous apprend que ce n'était pas là une prière «magique», une prière-pour-la-pluie qui doit automatiquement faire pleuvoir des vocations. C'est plutôt une prière qui met en condition d'attention à l'Esprit-Saint dans notre vie comme dans la vie de la communauté et de la société qui nous entoure.

Or cette sensibilité ne s'acquiert que dans une atmosphère de prière contemplative. D'où la sagesse de Marcellin dans sa toute première réaction à la crise des vocations : une fervente prière.

Jean-Paul Il a la même conviction : «L'avenir des vocations est entre les mains de Dieu, mais d'une certaine façon il se trouve aussi entre nos mains. La prière est notre force : grâce à elle les vocations ne manqueront pas, l'appel divin ne manquera pas d'être écouté. Prions le Maître afin que personne ne se sente étranger ou indifférent à cet appel, mais qu'au contraire chacun s'interroge et mesure ses propres capacités, ou mieux : que chacun redécouvre ses propres réserves de générosité et de responsabilité». (Documentation catholique, 5 avril 1987, p. 345 : discours du 23.02.1987.)

Ce n'est que dans la prière que l'on devient conscient de ce que dit l'Esprit, que l'on trouve sagesse et force pour aller dans la direction qu'il montre. Cette direction sera conforme au charisme mariste, même si les détails de la mise en application peuvent varier suivant les temps et les lieux. La vraie prière pour les vocations doit normalement passer en action.

4.3 L'inébranlable confiance de Marcellin

Comme beaucoup d'entre nous le savent, mes Frères, une visite à l'Hermitage peut faire vibrer bien des fibres de notre cœur et graver dans l'esprit bien des images : la chambre du Fondateur, la salle du Chapitre, les bois, les jardins, le cimetière, le Gier, et dans tous ces lieux le sentiment d'une présence du Fondateur.

Une de ces images est le rocher, le simple rocher taillé à la verticale, encore marqué par la morsure du pic et du burin. Et Marcellin finit par acquérir quelque chose de la force et de la solidité du roc. C'est peut-être là l'explication de ces statues qui l'ont campé si solidement. Littéralement c'est sur le roc qu'il a construit l'Hermitage et ce roc c'était aussi une inébranlable confiance en Jésus et Marie. Si désespérée que fût la situation, si blessé ou si harassé qu'il se sentît personnellement, il n'a jamais perdu l'espoir dans les «Cœurs Sacrés». Il a partagé avec ses Frères cette confiance à toute épreuve, calmant leurs craintes, ramenant les difficultés à une juste perspective, leur redonnant courage, que le danger menaçant pour l'Institut soit venu d'une violence anticléricale ou d'une crise de vocations.

«Mes Chers Frères, s'écriait-il en 1826, quand aurons-nous des sentiments dignes de Dieu ? Ne nous a-t-il pas donné assez de preuves de sa bonté pour nous apprendre à compter sur sa Providence ?

Pourquoi lui manquer de confiance dans l'épreuve, pourquoi douter de l'avenir de cette congrégation et la croire perdue, quand il lui plaira de retirer l'instrument dont il s'est servi jusqu'ici pour la conduire ? Cette communauté est son œuvre ; il n'a besoin de personne pour la soutenir, il la fera réussir sans les hommes et malgré les hommes». ,(Vie, p. 337.)

4.4 Action en temps de crise

Nous venons de le voir, cette prière en temps de crise débouche sur l'action : et cela fait partie du dynamisme de Champagnat.

Aux moments difficiles, il implore invariablement l'aide d'En-Haut par la prière et puis il accomplit toutes les démarches concrètes que l'expérience, les consultations ou la réflexion lui suggèrent comme étant indiquées. «Au reste ce qu'il nous importe c'est de faire de notre côté ce que Dieu veut, c'est-à-dire notre possible et après cela nous tenir tranquilles et laisser agir sa Providence. Dieu sait mieux que nous ce qui nous convient». (Vie, p. 253.)

Dans la crise des vocations de 1822, il semblait bien que le Fondateur des Frères ne pouvait pas grand’ chose. Cependant Marcellin n'a négligé aucune des possibilités même les plus minimes. Il a autorisé un candidat, même s'il ne lui faisait pas bonne impression, à recruter des vocations dans la région de St Pal-en-Chalencon. L'arrivée inespérée de huit jeunes postulants marque un tournant dans l'évolution du recrutement mariste. Remarquons que c'est en partageant sa vie avec celle de ces jeunes, en leur ouvrant son expérience de Marie, que le Fondateur crée une image de vie mariste qui les fascine. Par ailleurs, le Fondateur semble désormais voué à une lutte continuelle pour procurer logement et formation à un nombre presque encombrant de jeunes qui sollicitent leur admission. Cependant ce flot constant de recrues ne coulait pas seulement par miracle. Marcellin se souvenait de sa propre vocation et de la leçon de 1822 ; il prenait des moyens concrets pour empêcher le recrutement de flancher. C'était souvent une intention de sa prière personnelle et de la prière communautaire. Il envoyait des Frères recruteurs dans les villes et villages ; il savait bien accueillir et encourager les nouveaux venus, les suivre habilement et sans plaindre sa peine pour leur faire franchir les difficultés de leur formation puis de leur travail.

Et nous-mêmes, dans la crise actuelle, quand nous sortons de notre prière, quelle action allons-nous entreprendre ? La situation varie considérablement d'un pays à l'autre, d'une culture à l'autre, mais permettez-moi quelques suggestions pour notre réflexion et notre action. Pour certains d'entre vous, la plus grande partie de ce que va suivre vous paraîtra évident et peut-être le pratiquez-vous déjà. Mais ce n'est pas le cas partout. 

5. Suggestions pour réflexion et action

5.1 La responsabilité de chaque Frère

Le Concile Vatican Il a souligné que «le devoir de cultiver les vocations revient à la communauté tout entière qui s'en acquitte avant tout para une vie pleinement chrétienne. Ce sont principalement les familles et les paroisses qui doivent collaborer à cette tâche : les familles animées par un esprit de foi, de charité et de piété, devenant une sorte de premier séminaire ; les paroisses offrant aux adolescents eux-mêmes une participation à la fécondité de leur vie. Les maîtres et tous ceux qui, d'une manière quelconque ont la responsabilité de la formation des enfants et des jeunes gens, les associations catholiques surtout, auront le soin d'éduquer les adolescents qui leur sont confiés de manière qu'ils puissent percevoir la vocation divine et y répondre de grand cœur.» (Optatam totius, §2, p. 27.)

Il est consolant de noter que au récent congrès national français sur les vocations en juin 1987, un tiers des délégués étaient des laïcs.

Si l'on jette un coup d'œil sur notre histoire, on voit que c'est au sein d'une crise des vocations sacerdotales dans le diocèse de Lyon qu'un prêtre, allant chez lui en vacances passa chez les Champagnat, leur parla des besoins de l'Église, questionna les garçons et encouragea Marcellin qui essayait péniblement d'exprimer l'idée qu'il avait d'être appelé par Dieu. Si ce prêtre n'avait pas parlé à Marcellin, celui-ci aurait bien pu ne jamais sentir se préciser cet appel et il n'y aurait jamais eu de Frères Maristes dans l'Église. Or, ce prêtre inconnu ne semble pas avoir été un recruteur officiel, mais seulement quelqu'un qui a su prendre sur ses congés pour faire ce qu'il pouvait pour résoudre un problème de vocations. Et le rôle qu'il joue dans la vie de Marcellin est décisif. Face à la situation actuelle, chacun de nous doit être prêt à jouer un rôle dans l'apostolat des vocations. Nous sommes donc indirectement concernés dans ce domaine ; le témoignage que nous donnons, l'image que nous présentons de la vie du Frère Mariste, tout cela influence les jeunes pour ou contre l'Église, pour ou contre la vie religieuse. Et nous-mêmes nous sommes affectés par les résultats vocationnels ; notre moral, notre champ d'apostolat et son maintien, notre sentiment d'épanouissement : tout est lié jusqu'à un certain point aux entrées dans notre noviciat.

Aujourd’hui, que tant de noviciats sont vides, chaque Frère doit apporter sa contribution. Il est vrai que dans l'organisation de la Province, il y a des Frères qui ont reçu plus largement mission à cet égard : promoteurs des vocations, coordinateurs du recrutement, et cetera… qui travaillent à plein temps dans ce ministère. Mais la situation est si urgente qu'on ne peut leur laisser toute la responsabilité à eux seuls. Quand une partie du corps est grièvement blessée, tous les autres sens se hâtent à mettre tout en œuvre pour calmer sa douleur et lui apporter force et guérison ; quand un bateau est en danger tout l'équipage risque sa vie pour apporter le maximum d'énergie et de savoir-faire afin de le sauver. Il n'est pas question que quelqu'un reste de côte disant aux autres ce qu'ils doivent faire, ou qu'il se torde les mains en criant au pire.

Les vocations, le recrutement concernent la vie même des Frères Maristes. Impossible de rester indifférent ou à l'écart des efforts qui peuvent rendre vigueur à cette vie. Chacun de nous a la responsabilité de travailler activement pour que notre Province, notre Institut, et, plus largement l'Église, trouve les vocations sacerdotales et religieuses dont elle a tellement besoin. Nous devons avoir le courage et le souci de devenir des messagers de l'annonce du Seigneur aux jeunes d'aujourd'hui comme nous le disent nos Constitutions :

«Tous les Frères de la Province ont à cœur l'éveil des vocations». (Art. 94.)

Une dimension importante de notre responsabilité consiste à encourager les Frères qui ont un rôle spécial à jouer dans l'apostolat des vocations. Souvent leur travail est très ardu, leurs ressources sont limitées ; peut-être aussi leurs résultats sont faibles et parfois cela se complique encore par un manque de compréhension de la part d'autres Frères. Heureusement ce n'est pas toujours le cas. Je parlais récemment avec l'un de ces Frères et je lui demandais quel appui il recevait de la part d'autres Frères. Il m'a cité des exemples intéressants, par exemple ce cas d'un Frère de 90 ans qui l'encourage continuellement oralement et par lettre. Puisse-t-il y en avoir beaucoup de cette sorte !

5.2 Planification provinciale pour la promotion des vocations

Nos Constitutions et le Guide de la formation soulignent l'importance d'un plan provincial de formation qui comprend «une étude des questions posées par la pastorale des vocations…. Le Frère Provincial avec son Conseil précise le plan d'action et en suit l'exécution» (Constitutions, 95.1 – cf. 94.1).

Il serait absurde de se lancer sans plan ou de faire seulement de petits efforts peu convaincus pour en élaborer un : les poissons n'ont pas tellement l'habitude de sauter d'eux-mêmes dans le bateau. Pour être «pêcheurs d'hommes», el faut un plan.

Le plan provincial doit comprendre :

a) Les grands traits du programme de promotion vocationnelle et les voies et moyens d'accueillir des jeunes qui s'intéressent à nous.

Evidemment, ceci implique que nous ayons des contacts significatifs avec les jeunes qui sont à l'âge où ils peuvent prendre des décisions sur leur avenir. En maints pays cela supposera un apostolat postscolaire. Ce sont là presque des évidences, mais qui sont, me semble-t-il, parfois oubliées.

b) Les principales activités envisagées pour la promotion vocationnelle à travers l'année : soit les plus ordinaires dans nos écoles, soit d'autres (rencontres, initiatives apostoliques, retraites, pèlerinages, accompagnement individuel, contact avec les familles).

c) Les moyens par lesquels chaque communauté doit s'intéresser au travail de promotion vocationnelle, et comment le promoteur local des vocations peut être aidé et encouragé.

d) La formation des principaux Frères engagés dans ce travail (animateurs, promoteurs, accompagnateurs). Ceci est très important.

e) Les prévisions pour une évaluation périodique et un nouveau plan

f) Notre contribution dans le domaine de promotion des vocations au sens le plus large, par exemple collaboration avec les prêtres, les sœurs, les religieux, les laïcs, dans la promotion des vocations simplement chrétiennes, actions communes, et cetera.

Comme mentionné précédemment, cette lettre concerne d'abord la vocation de Frère Mariste. Cependant tous ceux qui s'occupent de vocations doivent s'intéresser aux vocations pour l'Église entière, vocations de laïcs, de sœurs, de frères, de prêtres. Ceci est particulièrement important pour ceux qui ont une fonction spéciale dans la pastorale des vocations et pour ceux qui travaillent dans des écoles mixtes ou lycées.

Pour compléter le plan provincial, il faut aussi une équipe provinciale de promotion vocationnelle, et, vu l'urgence de la situation, il ne faut pas hésiter à mettre nos meilleurs éléments dans cette tâche.

Normalement l'équipe a comme centre la personne-clé qu'est le promoteur provincial des vocations, et le dynamisme de cette équipe va dépendre de lui en grande partie.

Il faut le mettre à plein temps à ce travail, si c'est possible, lui fournir les moyens dont il aura besoin et lui apporter le soutien le plus cordial dans sa tâche. C'est une responsabilité exigeante et celui qui l'exerce peut se sentir bien isolé par la nature même de ce travail. Si, en plus, tous ses efforts semblent n'avoir qu'un tout petit résultat, il faut qu'il soit solide pour tenir le coup. Les autres membres de l'équipe doivent donc coopérer à fond avec lui, que ce soit les promoteurs locaux des vocations, les Frères chargés de l'accompagnement des jeunes, les Frères des maisons de formation, car «l'entente entre les formateurs et les animateurs de la pastorale des vocations est indispensable pour permettre un travail efficace» (Constitutions, 95.3).

L'équipe doit se réunir périodiquement pour réfléchir sur l'efficacité des programmes, pour les réajuster, pour mettre au point les programmes de formation au service de ceux qui sont chargés de l'accompagnement, pour réviser le matériel de publicité et les méthodes, etc. …

Dans quelques pays les jeunes ont changé, radicalement. Notre contact avec eux pour les aider dans le discernement d'une vocation et dans leur formation doit évidemment en tenir compte. Quelques Provinces acceptent très bien l'idée, mais en fait on pourrait dire qu'elles ne l'acceptent pas, car elles ne semblent pas du tout décidées à faire les efforts nécessaires pour préparer des Frères au discernement et à la formation des vocations. Je parlais récemment avec un groupe de Provinciaux et je leur disais qu'il est assez normal, à la fin d'un mandat de Provincial d'avoir des regrets pour toutes les choses inaccomplies. Mais je leur disais aussi : J'espère en tout cas que nul d'entre vous n'a le genre de regrets qui consisterait à n'avoir pas mis sur un bon pied le ministère de la pastorale des vocations et de la formation dans sa Province. Ne pas réaliser ce minimum, c'est jouer avec la vie des Frères et avec la mission qu'ils ont reçue du Seigneur. Un Provincial et un Conseil provincial qui mettent le discernement des vocations et la formation sur une base solide dans leur Province rendent à celle-ci un immense service.

5.3 «Allez les trouver personnellement»

Nous avons déjà parlé du grand amour que Marcellin Champagnat avait pour la vocation mariste, et cette attitude d'émerveillement, d'appréciation et d'amour nous la partageons avec lui… Cela nous amène :

• à être enthousiastes pour notre style de vie, à avoir une plus grande confiance dans le travail des vocations, une plus grande spontanéité pour parler de notre expérience de Dieu et de Marie, de notre vie fraternelle et de notre action auprès des jeunes.

• à être plus décidés pour encourager les jeunes à réfléchir à l'appel qu'ils ont pu recevoir, pour présenter l'appel du Seigneur à la vocation sacerdotale et religieuse comme une invitation qui pourrait bien s'adresser à eux. La Pape y insistait dans un de ses premiers discours :

«Dieu est toujours libre d'appeler qui il veut, mais il appelle ordinairement par l'intermédiaire de nos personnes et de nos paroles. N'ayez donc pas peur d'appeler. Descendez au milieu de vos jeunes. Allez personnellement à leur rencontre et appelez-les. Les cœurs de nombreux jeunes et moins jeunes sont prêts à vous écouter… Nous devons appeler. Le Seigneur fera le reste. Accomplissons ce ministère avec un cœur large.» (6 mai 1979.)

Les mots du Pape : «Allez les trouver personnellement» pourraient interloquer certains d'entre nous. Nos Constitutions (art. 83) nous encouragent à faire exactement la même chose. «Nous rejoignons les jeunes là où ils sont.» Nous n'avons pas à attendre qu'ils viennent à nous. Voilà un avis très important pour des apôtres et qui doit être source de beaucoup de créativité.

La rapidité des changements, un fossé qui risque de s'élargir entre les vieilles générations et la jeunesse actuelle peuvent rendre bien difficile le contact personnel de quelques Frères avec les jeunes. Il y a des Frères âgés qui se sont magnifiquement adaptés et qui gardent des liens étroits avec les jeunes, mais d'autres trouvent qu'ils ne sont pas à l'aise avec la culture des nouvelles générations. Ils peuvent enseigner valablement et même ils y ont du plaisir, mais ils trouvent difficile d'aller plus loin vers un engagement plus personnel. Le contact avec un jeune qui s'établit de maître à élève peut être distant et professionnel, mais il peut aussi être chaleureux et amical. Cela dépend beaucoup de notre tempérament, de notre sécurité intérieure et de notre manière de comprendre l'idée de présence telle qu'elle se dégage de Champagnat, c'est-à-dire l'idée de vivre au milieu des enfants.

Il y a aussi une espèce d'écoute qui fait partie de notre contact avec les jeunes. Le Frère qui accepte le jeune tel qu'il est, qui l'encourage à dépasser le superficiel, qui élargit la vision de la réalité dont le jeune se contente, l'aide ainsi à construire un sens de soi-même plus complet et plus cohérent, et à ouvrir des canaux pour les énergies et les aspirations d'un cœur jeune et généreux.

Habituellement le jeune est enthousiaste à la pensée d'une vie bien remplie, ouverte à toutes les possibilités, mais en même temps, il n'est pas sûr de lui et il est la proie de toutes sortes de pressions. Notre contact avec lui pour le mener à Jésus et Marie dans la prière, pour lui attester que les valeurs d'évangile sont bien vivantes et significatives pour les gens d'aujourd'hui, pour insister sur l'amour unique et inconditionnel que Dieu a pour lui personnellement, tout cela donne une stabilité dans son agitation et son angoisse et encourage aussi son enthousiasme créatif.

Notre contact doit dépasser l'amitié entre-toi-et-moi ; dans l'idéal celle-ci devrait engendrer une communauté de soutien, un groupe de soutien formé de jeunes de même mentalité. J'en parlerai plus loin.

Laissez-moi finir cette section avec un extrait d'un message spécial de la journée de prière pour les vocations de cette année. «Parler   de vocation de façon générale n'est pas suffisant pour amener les jeunes à s'engager dans une vie consacrée. Vu le type d'hommes qu'ils sont, ces appels doivent être explicites et personnels. C'est la méthode de Jésus.»

5.4 Une expérience de communauté mariste

Une autre avenue vers l'action dans notre travail sur les vocations concerne la communauté. Quand on a demandé aux trois cents jeunes qui assistaient à un festival de jeunesse organisé par les Frères d'une de nos Provinces, quels aspects de ce festival les avaient le plus frappé – il avait duré une semaine – beaucoup ont répondu : «voir les Frères dans leur travail, leur vie, leur prière commune, vraiment Frères les uns pour les autres».

Quelques-uns avaient connu les Frères à l'école comme maîtres ou directeurs sportifs, mais ils les avaient rarement vus en situation communautaire, dans les relations fraternelles. Ces jeunes ont été impressionnés par ce qu'ils voyaient, car parmi les jeunes il y a une soif de communauté, même si, en même temps, ils en fuient les exigences.

L'année passée, le Pape a parlé de communautés de foi et de leur place pour éveiller et faire croître les vocations. Il a employé les termes : «vibrants, priantes, invitantes, missionnaires», pour décrire ces communautés, particulièrement les communautés paroissiales ou les groupes spéciaux dans l'Église. Je voudrais dire quelque chose de nos communautés maristes dans les mêmes termes, tout en n'oubliant jamais qu'il n'y a pas ce qu'on peut appeler une communauté parfaite. Il y aura toujours un fossé entre ce que nous sommes et ce que nous professons être. Notre vie se passe à réduire ce fossé, mais aussi à accepter humblement qu'il existe.

5.4.1 Une communauté vibrante

Si notre communauté est vivante et animée par un vouloir dans la confiance, par un dynamisme partagé, s'il y a vraiment des relations chaleureuses et actives parmi les Frères, alors les jeunes qui viennent séjourner chez nous sentiront le pouls de la vie, de la vitalité.

5.4.2 Une communauté priante

Au cœur de notre communauté, il y a Jésus. Marie nous réunit comme les membres de sa famille (Const. 9) autour de son divin Fils qui est la raison d'être de notre vie comme Frères. Il est «au milieu de nous» et notre capacité à vivre comme des «hommes qui aiment» vient de notre contact avec lui et avec Marie dans une prière personnelle et communautaire. La force de notre amour réciproque et notre authenticité comme communauté mariste sont très liées à la qualité de notre vie de prière.

«Réunie dans la foi au nom de Jésus, c'est d'abord dans la prière que notre communauté s'édifie chaque jour.» (Const. 57.)

Frères, si vous avez visité Taizé, vous aurez expérimenté le pouvoir d'une communauté de prières pour attirer des jeunes et pour stimuler leur prière personnelle. Ce qui est intéressant c'est la manière dont les moines de Taizé ont su adapter l'office divin pour qu'il soit compris par les jeunes d'aujourd'hui et que ceux-ci puissent y entrer avec respect et enthousiasme. Dans nos propres maisons, avec les jeunes qui viennent prier avec nous, nous pouvons trouver le moyen de faire passer la parole de Dieu jusqu'à eux par notre prière communautaire, et d'exprimer nos besoins et nos désirs, en formes qui puissent leur paraître simples et satisfaisantes.

Taizé aussi, avec l'accent mis sur l'Église, peuple de Dieu rassemblé autour du Christ, étend l'idée de communauté au-delà d'un groupe immédiat jusqu'au corps à dimension mondiale de ceux qui croient, avec un souci particulier pour ceux qui souffrent, pour les pauvres, les affligés, ceux qui ont tout perdu. Si les jeunes trouvent dans notre prière et notre vie communautaires le même sens d'appartenir à des Frères et sœurs dans le Christ et d'être chargés d'eux, cela élargira leur mission et développera le sens du service dans leur cœur jeune et généreux.

5.4.3. Une communauté invitante

La promotion des vocations ne se limite pas à inviter des jeunes dans notre communauté, à partager un repas ou une prière, à les faire vivre avec nous quelques jours. Une expérience de convivialité est bonne, mais il faut être prêt à aller plus loin et à partager avec un jeune notre expérience de vie de Frère Mariste.

Et si nous trouvons en lui une réponse, avec «la bonne santé, la bonne volonté et le désir sincère de plaire à Dieu» que Marcellin évoquait en invitant Pierre Labrosse à entrer chez nous (Lettres 23, 1. 8-9), alors il faut sans hésitation l'inviter à réfléchir à la possibilité de venir nous rejoindre. Nous avons eu tendance à adopter une attitude d'attente patiente : on attend du jeune qu'il prenne l'initiative d'entrer dans notre programme de formation. Pourtant Jésus et Champagnat employaient l'invitation directe à ceux qui venaient, sans penser qu'ils empiétaient sur la liberté de ceux qu'ils appelaient.

J'aime à penser que beaucoup de Frères peuvent suggérer à des jeunes bien choisis et réfléchissant à leur vocation chrétienne, qu'une des possibilités à envisager est la vocation de Frère ou de Prêtre. Quelquefois cela va même sans dire.

Certains Frères cependant ont une extrême réticence à aborder cette question parce qu'ils ont très peur de faire pression sur un jeune. En cela, ils ont raison. Mais cette réticence peut aussi venir d'une influence trop forte exercée sur eux, jadis, pour les faire entrer dans un juvénat sans qu'ils aient su de quoi il s'agissait. Un Frère me disait, par exemple, que le dernier jour de classe, le Directeur l'avait appelé pour lui dire qu'il allait au juvénat l'année suivante. Et, comme si une nouvelle inspiration subite était venue à ce Directeur, il ajouta : «Dis donc à ton meilleur ami d'y aller aussi». Ils sont devenus tous deux d'excellents Frères. Mais je ne voudrais pas justifier la méthode employée. C'est la nature et les termes de l'invitation qui permettent de juger si l'on a invité ou fait pression.

5.4.4 Une communauté missionnaire

Nous sommes des religieux apostoliques, envoyés par l'Église pour porter la Bonne Nouvelle du Christ aux jeunes, «particulièrement les plus délaissés» (Const. 80). Notre sens de la mission, notre sentiment d'être envoyés doit devenir une évidence pour tous ceux qui vivent avec nous, ou qui nous visitent. Nous avons été envoyés pour continuer la mission de Jésus-Christ et cet esprit apostolique doit transpirer dans toute notre vie. Une communauté qui a un sens aigu de la mission ne risque guère d'avoir un problème d'identité. Notre apostolat est un apostolat communautaire et nos Constitutions le disent bien :

«Nous travaillons d'une manière d'autant plus efficace que la communauté est unie et accueillante, animée par l'esprit de prière et de zèle». (Const. 82.)

Une partie de l'«accueil» dont parle l'article consiste à engager les jeunes dans un travail apostolique avec nous. Cela leur donne une expérience de notre esprit mariste et une première idée de notre style de vie qui peuvent puissamment les attirer, spécialement si notre vie rayonne la joie, l'espérance chrétienne et un intérêt actif pour autrui (cf. Const. 82). Il y a de beaux exemples de Frères qui entraînent des jeunes dans de multiples activités apostoliques : cours de catéchèse, camps pour enfants pauvres et pour enfants handicapés, construction de maisons pour les pauvres, visite des vieillards, etc.

Les jeunes qui ont un idéal s'attendent certainement à trouver chez nous un grand souci des pauvres et autres délaissés. Sinon, ils iront voir ailleurs et personne ne pourra le leur reprocher. L'effort communautaire pour porter le Christ aux autres éveille aussi un souci missionnaire pour les pays qui ne peuvent pas entendre parler de Jésus et pour les lieux où les jeunes Églises doivent lutter pour s'établir. La situation des gens qui ont besoin de notre aide, la générosité exigée des missionnaires, suscitent chez les jeunes un vif intérêt. Nous devons les encourager et les aider s'ils se croient appelés à être missionnaires, soit comme Frères, soit comme laïcs.

5.4.5 Une communauté mariste

La vraie communauté mariste est marquée par la simplicité du style de vie, l'ouverture et l'authenticité dans nos relations. D'une certaine façon, les jeunes aspirent à la simplicité de vie ; quant à l'authenticité, elle est vitale pour eux. Même si leur vie concrète s'écarte de cet idéal, c'est une qualité qu'ils veulent trouver chez les adultes bien insérés dans la société. Les jeunes tolèrent facilement des points faibles, mais ils rejettent vigoureusement tout manque d'authenticité. Ils ne s'attendent pas à nous trouver parfaits, mais ils exigent que nous soyons tout à fait authentiques.

La communauté mariste est FRATERNITÉ, une fraternité qui s'ouvre aux autres. Cela veut dire être frère de tous et surtout des enfants, des jeunes, des pauvres, des nécessiteux. Il faut que les jeunes trouvent cela quand ils viennent à nous, dans le vif intérêt que nous leur portons, dans nos soucis, nos efforts pour créer un esprit de famille où ils puissent éprouver un sentiment «d'appartenance».

La communauté mariste tire sa vie et ses inspirations de Jésus et de Marie. Ceux qui rendent visite à nos communautés devraient pouvoir observer que Jésus et Marie occupent chez nous la première place et que nous en parlons tout naturellement dans nos rencontres et partages communautaires. Nos Constitutions (art. 2) parlent de Marcellin Champagnat «saisi par l'amour de Jésus et de Marie pour lui-même et pour les autres». Cette proximité de Jésus et de Marie devrait se refléter dans la vie de ceux qui sont à leur suite et dans leurs communautés.

Ceux qui viennent devraient trouver dans la communauté mariste une appréciation enthousiaste de la vie et du travail de Marcellin Champagnat et une grande envie de la faire connaître, lui et sa spiritualité. C'est une personnalité attrayante et les jeunes sont pris par son humanité proche du réel, son ardeur à communiquer la vie, sa compassion active pour les jeunes défavorisés ou en détresse. Dans quelques Provinces, je crois que nous avons grandement sous-estimé l'attrait que Champagnat exerce sur les jeunes. Par contre, dans d'autres, j'ai pu échanger avec des groupes de jeunes qui sont très fortement attirés vers lui par son zèle et sa spiritualité.

Il est normal que l'attrait pour le Fondateur, ses qualités humaines et spirituelles, retentisse dans les cœurs de ceux qui ont un idéal et un sens des valeurs du même ordre, et que cela constitue parfois un élément de l'appel du Saint-Esprit. Les jeunes s'attendent normalement à voir les mêmes qualités se refléter dans nos vies à nous.

Un dernier point. Il est vraiment beau de voir que, dans beaucoup de nos 'communautés, il y a une plus grande ouverture aux membres de la famille des Frères et aux autres en général. Ceci peut être réalisé sans perdre aucun des éléments essentiels de l'esprit de communauté qui nous est propre. En bien des communautés il y a l'espace et l'occasion d'aller plus loin dans cet esprit d'hospitalité en accueillant quelques réfugiés ou des gens sans abri (cf. Luc 2,7).

5.4.6 Une communauté accueillante

Les promoteurs de vocations nous disent qu'un des plus grands obstacles qui semblent empêcher les jeunes d'entrer dans la vie sacerdotale où religieuse est le «complexe de seuil». Ils peuvent être attirés par l'idéal, la fraternité, le service aux défavorisés, tout ce que notre vie peut leur présenter, mais arrivés au seuil de la décision, ils en restent là. Ils se trouvent incapables de franchir ce seuil pour atteindre un niveau d'engagement. Ils craignent d'engager leur avenir par quelque «oui» qui supposerait la durée. Et nous pouvons bien les comprendre ; toute leur expérience de vie joue sur le temporaire et le relatif. S'engager pour la vie c'est s'enchaîner à l'imprévisible. Et cette peur est plus grande si l'engagement de vie semble se faire dans une situation où la rigidité et l'autocratie peuvent facilement se substituer à la liberté personnelle pour l'étouffer. L'exercice de la liberté personnelle apparaît si important à l'homme moderne ! Il peut accepter de la soumettre au contrôle du groupe si la cause qu'il épouse exige cette subordination ; il peut adapter sa liberté aux besoins de ses «frères et sœurs», mais il est souvent rétif pour livrer sa liberté à des structures qui peuvent sembler rigides.

En somme, pour un jeune d'aujourd'hui, prendre une orientation de vie est beaucoup plus complexe et difficile que jadis. Beaucoup parmi nous, ont fait un choix relativement simple, alors qu'ils étaient bien jeunes. Leur formation a consisté à se laisser porter par les structures en place. Une telle formation, qui avait alors sa richesse, n'est sans doute plus adaptée aux temps que nous vivons.

C'est dans un tel cas qu'une communauté accueillante peut grandement détendre l'inquiétude d'un jeune qui se sent attiré à notre vie, mais qui est incapable de s'engager à y entrer. La communauté peut apaiser ses craintes en lui faisant expérimenter la créativité qu'elle manifeste en vivant l'idéal mariste.

Quelques-unes de nos communautés vont trouver difficile d'être pleinement «accueillantes» en ce sens. Un écrivain a comparé quelques communautés religieuses à ces villages haut perchés si communs en certains pays, avec leurs rues étroites, où l'on est sur la défense et plutôt méfiants par rapport aux non-résidents, où l'on vit un certain style et un certain rythme de vie qui a sans doute ses richesses, mais qui souvent est réticent au changement.

J'ai connu aussi des communautés dominées par un groupe qui était là depuis des années. De bons Frères, souvent même très religieux. Mais c'était leur communauté, et les nouveaux venus dans la communauté étaient mis au courant. Non pas de façon brutale ou dominatrice mais plutôt rappelés discrètement à l'ordre : «C'est ainsi que nous faisons ici». Il serait pourtant normal que des jeunes puissent mettre en question le pourquoi de certains modes d'agir, normal aussi qu'ils soient mécontents si on ne veut pas le savoir. Un sain et authentique questionnement peut aider la communauté dans sa créativité à la recherche d'une vie plus évangélique ; dans un meilleur accueil, une meilleure hospitalité, un meilleur support tant de ses propres membres que des étrangers. Certainement des jeunes franchiraient plus facilement notre seuil pour s'agréger à notre famille s'ils trouvaient des signes d'une créativité guidée par l'Esprit plutôt que des structures passablement rigides qui correspondent plus à des goûts de quelques-uns et à leur agrément qu'à des raisons évangéliques.

Je n'ai pas du tout l'intention d'être un juge sévère, mais il arrive que des jeunes Frères souffrent beaucoup dans certains types de communautés. Et assez souvent, cette souffrance qui n'est pas à vrai dire ignorée n'est pourtant pas reconnue.

Parlant des jeunes en recherche de vocation, les Constitutions nous disent que «nos communautés les encouragent en les invitant et en leur réservant un accueil fraternel» (94.2). C'est assez dire que des communautés sont peut-être à établir dans telle ou telle Province avec une dimension d'accueil qui soit une de leurs tâches spécifiques, une partie du programme de pastorale des vocations.

Dans quelques pays, des congrégations acceptent des jeunes pour un an de vie communautaire avec les religieux, soit avec l'idée d'un partage de la vie et du travail de la communauté, soit tout simplement pour leur donner une occasion de développer plus pleinement leur vie spirituelle.

L'expérience de ces communautés est très intéressante et assez souvent l'impact de ces jeunes sur la vie communautaire est très considérable. Il peut être source de croissance dans le cas d'une communauté assez ouverte pour accepter une nouvelle génération et l'accueillir vraiment. Ce n'est pas toutes les communautés qui peuvent remplir ce rôle. Le problème n'est pas que la communauté soit parfaite, mais. de bien des façons, directes et indirectes, ces jeunes vont nous interpeller, et sur bien des aspects : autorité, sens d'une coutume, structure, tout. Oui, cela peut-être très stimulant, et aussi très dérangeant.

5.5 Accompagnement

Il est vital de reconnaître l'importance d'un accompagnement attentif et patient pour encourager et discerner une vocation. Ici encore, nous avons l'exemple du Fondateur quand il «accompagne» Louis Chomat et Césaire Fayol (les Frères Cassien et Arsène).

«Le Vénéré Père, qui ne devançait jamais la grâce et qui ne s'attachait qu'à la seconder dans les âmes, instruisit ces deux jeunes gens, les dirigea et les forma à la plus haute vertu pendant dix ans, sans jamais les engager en aucune manière à entrer dans la Congrégation bien qu'il fût profondément convaincu qu'ils en feraient partie un jour. » (Biographies, p. 157.)

Un tel «accompagnement» désintéressé, centré seulement sur le bien des jeunes, prêt à attendre patiemment le moment du Seigneur, correspond bien aux besoins de la jeunesse d'aujourd'hui. J'ai un ami intime qui n'est entré que récemment au noviciat après trois ans de discernement spirituel. Parlant d'accompagnement, il faut reconnaître qu'en bien des Provinces, les jeunes qui viennent chez nous sont plus âgés qu'il y a vingt ans. Quelques-uns ont déjà exercé un métier, habité un appartement, donc joui d'une indépendance toute différente de ceux parmi nous qui sont entrés au juvénat à 13 ans, quittant… une bicyclette d'occasion. Dans un de nos Districts d'un pays du Tiers-Monde, sur cinq reçus au postulat cette année, trois avaient terminé leurs études normales pour devenir instituteurs et un avait été au travail pendant trois ans.

Dans ma Province d'origine, quand nous terminions le noviciat, ordinairement à l'âge de 18 ou 19 ans, nous étions envoyés dans les communautés pour y enseigner un peu pendant six mois. L'un des conseils que l'on nous donnait alors était que nous aurions très peu de choses à dire pendant ces six mois. La théorie était que nous n'avions pas grand’ chose à apporter et qu'il s'agissait avant tout d'apprendre à partir de l'expérience de nos aînés. Il y a de la sagesse dans cette façon de faire ; pourtant, un tel conseil n'est guère adapté à aujourd'hui. La plupart des jeunes désirent poser des questions. Leurs questions peuvent déranger ; parfois ce sont des questions que des hommes plus âgés ont négligé de poser.

Bien des jeunes sont ouverts à la discussion. Ils cherchent quelque raison de vivre et ils sont prêts à écouter. Souvent par contre, ils sont moins développés spirituellement et affectivement qu'ils ne le sont intellectuellement, et ils ont besoin de quelqu'un qui les accompagne, qui soit un ami sympathique à qui ils puissent dire leurs espérances, leurs peurs, leurs rêves.

C'est ce que l'«accompagnement» tâche d'apporter, le service de l'attention, de l'écoute, de la compréhension, de l'acceptation, à mesure que le jeune essaie de mettre le mystère de sa vie en relation avec Dieu et autrui. Cet accompagnement vise à clarifier ce qui se passe dans l'intime du jeune, ce qui l'aide à grandir comme chrétien, à chercher et trouver sa place dans l'Église et dans le monde.

Le premier pas du processus, c'est d'établir une relation de liberté et de confiance en l'autre, à l'intérieur de laquelle le jeune puisse commencer à parler de lui-même et de sa situation. Aussi l'accompagnateur doit-il être quelqu'un qui n'effraie pas, qui sait écouter, qui accepte l'autre sans le juger et quelqu'un qui soit bien dans sa peau de Frère Mariste. Il aide gentiment le jeune à regarder sa propre vérité, reconnaître ses qualités et aussi les blocages qu'il laisse s'installer en lui-même et qui gênent sa croissance et paralysent ses efforts vers l'idéal.

Le Frère invitera aussi le jeune à «ouvrir son cœur à la volonté du Père et à grandir dans une attitude mariale de disponibilité» (Const. 93). Cela suppose aussi de les aider à s'établir dans une vie de prière et une vie sacramentelle bien réglées et à prendre le goût de l'Écriture, de les pousser vers une prise de conscience des besoins d'autrui.

La tâche d'accompagnateur, telle que décrite ici, ne va pas, j'espère, vous paraître d'une exigence qui dépasse vos possibilités et vos aptitudes. Je suis très content d'apprendre que quelques Provinces ont eu des sessions pour préparer un peu les Frères «accompagnateurs» auprès de candidats maristes éventuels. La confiance que peuvent donner de telles rencontres est inappréciable. Notre amour des jeunes dans leur recherche et leur générosité, notre compréhension des différents milieux, cultures, mentalités, notre respect pour le travail de l'Esprit, notre sens de Marie, comme présence qui apporte à la fois douceur et maturité, tout cela met une base de départ à l'accompagnement. Cette base peut être élargie par une formation ultérieure, des lectures, l'expérience, les divers moyens d'échange avec des hommes ou des femmes qui sont déjà expérimentés dans ce travail et par la direction spirituelle que nous cherchons pour nous-mêmes dans notre quête de Dieu. Aider les autres à «revêtir le Seigneur Jésus» est évidemment un très fort stimulant pour notre croissance humaine et spirituelle.

Il ne s'agit pas que tous ceux qui vont recevoir l'accompagnement deviennent frères ou prêtres, mais tous auront été aidés à vivre plus pleinement leur vie chrétienne, et c'est déjà là un précieux service et aux personnes et à l'Église.

5.6 Groupes

Beaucoup parmi nous ont grandi en des temps qui, même s'ils avaient des aspects difficiles, étaient spirituellement favorisés. Nous avons grandi dans des communautés de foi solides, stables : la famille, l'école catholique, la paroisse, des communautés où notre propre foi était formée, soutenue ; quand arrivait l'appel de Dieu, nous pouvions donner une réponse dans la foi.

Mais aujourd'hui, en bien des pays, l'influence formatrice et la solidité de ces communautés sont sur leur déclin, et c'est une des raisons qui rendent plus difficile à un jeune d'entendre l'appel du Seigneur. Sa foi n'a reçu ni l'éducation de départ, ni le soutien en cours de route qu'a reçus la nôtre.

Cependant ce déclin de l'influence des communautés de foi traditionnelle a son contrepoids. C'est la contribution faite par d'autres groupes et qui prend une nouvelle importance. Je veux parler des groupes apostoliques : groupes de prières, mouvements de jeunes, organisations de retraites, convivialités, Pâque des jeunes. Ces groupes n'ont pas pour premier but d'éveiller des vocations. Mais ils fonctionnent comme des communautés où on peut trouver appui et croissance pour être à même de répondre au Seigneur. Le groupe initie à la prière, à la conversion, à un travail en commun qui fait vivre aux jeunes leur foi et leur engagement envers l'Église, envers ceux qui se trouvent en situation difficile, et c'est là un excellent terrain pour des semences de vocations ecclésiastiques ou religieuses qui peuvent ainsi germer dans de bonnes conditions.

Quelques groupes —c'est spécialement le cas de REMAR en Amérique latine— vont plus loin. Ils partagent la spiritualité mariste avec leurs membres et les engagent dans le travail des Frères.

J'ai été très heureux d'apprendre qu'une Province vient de lancer un Cours d'été d'une semaine pour les Frères qui travaillent avec des groupes de jeunes. Ces Frères s'engagent à suivre le Cours pendant trois étés et à travailler avec des groupes apostoliques pendant l'année scolaire. C'est exigeant… bien sûr ! Mais c'est vital pour la Province. Et nous ne devons pas oublier qu'il était fréquent chez beaucoup d'entre nous de consacrer un temps considérable à l'entraînement des équipes sportives, aux camps et autres activités de ce genre, pour aider les jeunes. Et nous étions très heureux de le faire, de nous donner de cette façon.

Il me semble que lorsqu'il sera bien développé, le mouvement Famille Mariste apportera aussi un puissant stimulant pour les vocations. Si nous aidons à former les gens dans la spiritualité et l'esprit de Marcellin Champagnat, si nous les encourageons à travailler pour les autres et à leur apporter le soutien communautaire de la Famille Mariste, cela nous assurera une excellente formation au discernement des vocations. J'espère pouvoir revenir là-dessus dans une circulaire ultérieure.

5.7 Familles

Ce que j'ai dit plus haut à propos des «communautés de foi» m'amène à dire un mot du rôle joué par les parents et les familles dans la promotion des vocations aujourd'hui. Les parents ont un rôle à jouer pour éveiller celles-ci, mais nous connaissons tous de parents qui détournent tant qu'ils peuvent leurs enfants de cette idée-là. D'autres, chrétiens engagés, trouvent bien difficile de leur donner là-dessus un encouragement explicite. C'est un signe des temps sur lequel il faut être attentif.

Une recherche récente à cet égard dans un pays a montré que «le facteur individuel le plus fort pour empêcher une vocation est le manque d'encouragement donné aux jeunes… L'encouragement, ou l'absence d'encouragement est le facteur qui détermine si oui ou non un jeune pense à la vocation sacerdotale ou religieuse» (Docteur William McCready, Ouvriers de la vigne, Washington, 1984).

En bien des cas, les parents sont dans une position de force pour ce qui concerne le choix que va faire leur enfant. S'ils encouragent un éventuel attrait chez le jeune, celui-ci se sent plus décidé à faire les premiers pas ; s'ils découragent, ils risquent bien d'être cause du dessèchement du petit germe qui poussait.

Une enquête récente aux USA auprès de familles catholiques engagées qui avaient une vraie vie de foi et aussi quelque forme de prière en famille, a révélé que la plupart de ces parents aimeraient que leur fils se fasse religieux ou prêtre, mais que très peu d'entre eux les y encourageaient positivement. Le sentiment de quelques-uns était que, aujourd'hui, les laïcs peuvent servir l'Église dans des formes qui autrefois étaient le domaine des religieux ou des prêtres ; et la plupart jugeaient inutile d'encourager leurs enfants à entrer dans la vie religieuse s'ils ne pouvaient pas avoir un contact régulier avec un religieux ; or, en quelques pays ce contact devient de plus en plus rare !

Tout ceci en tout cas pour dire que les parents ont besoin de notre aide dans leur attitude à l'égard de l'avenir d'un enfant. Ils ne veulent l'influencer dans aucun sens pour le choix de son avenir, et donc ils se taisent en lui laissant faire le choix lui-même. On peut comprendre cela, mais on voudrait espérer que les parents aient une idée claire de ce que signifie la vie religieuse et que, autant eux-mêmes que leurs enfants aient contact avec des prêtres et des religieux qui vivent bien leur vie. Comme nos Constitutions l'envisagent, «la pastorale des vocations s'étend aux familles, invitées à réfléchir sur les différents états de vie et à prier pour l'éveil des vocations» (93.1).

Le contact avec les parents, la disponibilité pour parler de la vocation à la vie religieuse avec eux et pour leur communiquer la foi que nous avons en notre propre vocation, aideront à chasser l'impression qu'ils peuvent avoir que la vie religieuse aujourd'hui est instable, incertaine et pas heureuse. Cette communication et cette coopération avec les parents dans l'orientation de leurs enfants vers l'avenir est un des domaines négligés de l'apostolat des vocations et nous avons du travail à faire pour donner toute son importance à cette dimension du recrutement.

Heureusement il y a des exceptions. Dans quelques-unes de nos écoles il existe des groupes de parents qui ont bien travaillé à la promotion des vocations. Là encore, je mets beaucoup d'espoir dans notre mouvement de Famille Mariste.

5.8 Un problème particulier

Je me demande combien d'entre nous, mes chers Frères, à un moment ou l'autre de leur vie, ont entendu la question-bateau : «Pourquoi n'allez-vous pas jusqu'au bout et ne devenez-vous pas prêtre ?» Dans beaucoup de pays, il est vrai, on n'entend plus cette question parce que le travail magnifique des Frères, hier et aujourd'hui, au sein de l'Église locale a gravé l'image du Frère comme celle d'un homme qui a en soi-même sa justification et qui tire sa valeur propre d'être une forme de dévouement chrétien unique en son genre.

Cependant dans quelques pays encore, la forme de consécration du religieux laïc est vue comme un choix mineur et comme une indication d'un manque de capacité. Le rapport du SECAM sur le souci pastoral des vocations en Afrique en 1984, note ceci :

«En Afrique il y a un nombre considérable d'Instituts de Frères… Cette vocation semble la moins comprise et la moins connue à certains endroits… avec comme résultat qu'elle attire moins les jeunes ! … la vocation de Frère est, selon les statistiques, en perte de vitesse… en général on la considère comme une vocation de seconde catégorie, une dernière ressource pour ceux qui ne peuvent arriver à la prêtrise, faute d'avoir le niveau voulu d'intelligence…, comme le Frère ne dit pas la messe, sa vocation est incomplète».

C'est bien malheureux qu'il en soit ainsi mais il ne faut pas nous laisser décourager. Des Frères bien formés, vivant à plein le charisme mariste et engagés à plein dans le travail pastoral de l'Église locale pourraient vite modifier cette vision excessivement cléricale.

Conclusion

Nous voilà à la fin de notre réflexion. Le tableau est assez sombre et le problème urgent, mais pas du tout désespéré. Les causes du déclin, nous l'avons vu, ne sont pas simples, mais elles ne sont pas non plus toutes hors de notre atteinte. Nous sommes remontés jusqu'au Fondateur pour nous faire guider et nous inspirer dans nos difficultés et nous avons considéré la réalité de l'amour constant et attentif que Jésus et Marie ont pour nous ; nous avons réfléchi à l'importance de la foi en notre vocation, de la prière dans notre vie, d'une ferme confiance, spécialement d'une confiance en la puissance et en la direction de Marie, à qui nous appartenons. Nous avons examiné les lignes d'actions qui nous sont possibles : invitation personnelle au jeune, communauté accueillante qui peut lui donner quelque expérience de notre vie, quelque partage de notre mission et l'accompagner pour discerner son appel. Nous avons examiné aussi l'importance de programmer une action et d'y mettre nos meilleurs sujets. Finalement nous avons évoqué brièvement le rôle de la famille et la contribution que divers groupes peuvent aussi apporter.

Il reste encore une question. À quel point suis-je responsable ? Mes Frères, j'invite chacun de vous à se mettre à la tâche. Jésus et Marie sont fidèles ; ils ne vont pas arracher ce qu'ils ont planté, mais ils veulent évidemment que cela donne des fruits nouveaux.

J'ai confiance, grande confiance, qu'en comptant sur eux et sur notre bien-aimé Fondateur, nous pouvons ensemble faire beaucoup pour redresser la situation actuelle.

Ce que je demande à chacun de vous maintenant c'est de réfléchir et prier pour découvrir votre rôle particulier. Qu'est-ce que le Seigneur vous demande de faire ? En pratique je vous invite à trouver une heure dans les prochains jours pour vous asseoir tranquillement et écrire ce que vous faites actuellement pour cet apostolat et ce que sentez appelés à faire à l'avenir, soit dans votre communauté, soit dans la Province. Si vous jugez bon de m'envoyer une copie, j'en serai très heureux. Si les communautés n'ont pas déjà eu des rencontres pour examiner ensemble, ce sujet, je leur demande de les organiser.

Je répète aux plus jeunes ce que j'ai dit en Espagne au Congrès des Jeunes Frères, l'année passée, quand je leur ai demandé d'être prêts à jouer un rôle spécial dans l'apostolat des vocations :

«Je vous presse de jouer ce rôle avec audace et courage, avec cœur et esprit de prière. Je vous rappelle que pour d'autres jeunes d'aujourd'hui, vous êtes signes d'espérance et d'amour. Que votre expérience de Dieu vous aide à toucher les cœurs. Est-il concevable qu'il n'y ait point d'autres jeunes qui soient appelés, comme vous, à servir la jeunesse d'aujourd'hui dans la vocation d'apôtres et de Frères ?

Vous savez les besoins extrêmes des jeunes d'aujourd'hui, leur besoin d'avoir des Frères, des Frères qui veuillent les écouter, et pas seulement leurs paroles, mais ce qu'ils ont au fond du cœur, des Frères qui les aiment sans rien attendre en retour, des Frères qui veuillent protéger les faibles, les adolescents, les marginaux.

Vous avez le privilège d'être parmi les plus efficaces interprètes du charisme pour les jeunes d'aujourd'hui. Le vieillissement de l'Institut est une interpellation pour nous tous et une responsabilité particulière pour les jeunes Frères dans la communication entre l'Institut et les jeunes dans les deux directions : introduire les jeunes à la voie mariste et traduire pour l'Institut les besoins et les espoirs des jeunes. Si vous faites vraiment cela, d'autres certainement voudront être des Champagnat modernes pour les jeunes».

Frères, je vous souhaite la paix, la joie et la sagesse du Christ ressuscité en proportion de la générosité que vous mettez dans cet apostolat des vocations, et je vous laisse dans les cœurs de Jésus et de Marie.

Fraternellement en J.M.J.-Champagnat, 

          Frère Charles Howard, Supérieur général.

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