Le F. Louis et sa propre conception de la Societé de Marie

Essai d’histoire des origines à partir des compagnons et disciples du P. Champagnat
F. AndrĂ© Lanfrey – 12/09/2018

Comme il est normal, la Vie du P. Champagnat parle essentiellement de lui, mĂŞme si nous apprenons beaucoup de choses sur ses premiers compagnons. Elle insiste sur le caractère charismatique de l’œuvre, mais nous renseigne passablement sur les alĂ©as et les progrès de son organisation institutionnelle. Ceci dit, le lecteur doit se souvenir que, durant presque un siècle, et tout spĂ©cialement aux origines, l’institut n’a pas Ă©tĂ© organisĂ© selon le droit canonique. Il convient donc de vĂ©rifier la signification exacte de certains titres et fonctions originels dont nous croyons parfois Ă  tort connaĂ®tre le sens. C’est particulièrement le cas avec des concepts tels que « supĂ©rieur Â», « directeur Â», maĂ®tre des novices, noviciat…

Par exemple, la biographie du F. Bonaventure rĂ©serve quelques surprises. NĂ© en 1804 Ă  PĂ©lussin, Antoine Pascal, domestique Ă  Ampuis, est admis au noviciat le 31 mai 18301 et prend l’habit le 9 octobre 1830 après un peu plus de trois mois de postulat, en pleine ambiance antireligieuse suite Ă  la RĂ©volution de juillet 1830. EnvoyĂ© Ă  Sorbiers, sa vertu fait l’admiration du F. Cassien, pourtant particulièrement difficile2. Le 12 juin 1831 il fait ses vĹ“ux temporaires pour trois ans ; mais dès le 12 octobre de la mĂŞme annĂ©e3 il prononce ses voeux perpĂ©tuels.

La cause de cette seconde profession prĂ©cipitĂ©e nous est donnĂ©e par le F. Avit (Annales, 1830 § 147) : « Il fit profession en octobre 1831 et remplaça le F. Louis comme maĂ®tre des novices Â». Il est vrai que sa dĂ©termination Ă  entrer dans la vie religieuse en un moment particulièrement difficile a dĂ» impressionner le P. Champagnat et la communautĂ©, d’autant qu’en 1831 il a 27 ans. Il paraĂ®t nĂ©anmoins Ă©trange qu’un Frère, si rapidement formĂ©, ait pu accĂ©der Ă  une fonction importante, faisant de lui le successeur du premier disciple de Champagnat.

Il faut tout d’abord apporter quelques nuances aux dates. S’il est vrai qu’en 1831 le F. Louis est envoyĂ© Ă  Charlieu, le F. Bonaventure ne lui aurait succĂ©dĂ© qu’après un sĂ©jour Ă  Sorbiers, vers 18334. Mais l’essentiel est ailleurs : il ne faut pas confondre la « maison de noviciat Â» c’est-Ă -dire L’Hermitage et le « noviciat Â» proprement dit, constituĂ© par les jeunes gens en formation dans lequel la formation religieuse s’accompagne de l’enseignement de disciplines profanes telles que lecture, Ă©criture, grammaire, arithmĂ©tique, Ă©criture5. Le mot « Ă©cole normale Â»6 commence d’ailleurs Ă  remplacer le terme « noviciat Â». MĂŞme après avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une telle formation, le F. Bonaventure, n’était certainement pas capable de donner des leçons de matières profanes. Mais sa fonction de maĂ®tre des novices Ă©tait celle de modèle et surveillant des jeunes et moins jeunes gens en formation mais pas de directeur spirituel. Comme le dit le F. Avit :

« Le F. Bonaventure devint un excellent maĂ®tre des novices. Il les instruisait autant par ses exemples que par ses paroles Â» (Annales, 1831, § 153).

Et c’est ce qu’il va faire « pendant près de vingt ans Â» jusqu’en 18517. Il passera les douze dernières annĂ©es de sa vie comme responsable de la ferme de St Genis Laval et mourra le 20 octobre 1865 (Lettres II, p. 99) entourĂ© de la vĂ©nĂ©ration des Frères (Biographies, p. 120…129). Son dernier emploi montre bien que, s’il avait Ă©tĂ© un religieux fervent, il n’avait guère Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme un homme instruit ni une personnalitĂ© de premier plan. Aussi, lorsque nous employons le terme Â« maĂ®tre des novices Â» il convient de ne pas commettre d’anachronisme : ce n’est qu’avec les constitutions romaines de 1903 que le titre prendra un sens canonique prĂ©cis.

Les Directeurs des maisons de noviciat

Le F. Bonaventure cesse ses fonctions peu de temps avant la rĂ©daction des Règles du gouvernement de 1854, dont le chapitre III est consacrĂ© aux « Règles du Frère directeur des maisons de noviciat Â». C’est dans la première section qu’il est question du « maĂ®tre des novices Â» qui doit possĂ©der Ă  un haut degrĂ© dix-neuf qualitĂ©s telles que « foi vive Â» (n° 1), « esprit d’oraison Â»(n° 2)… Â« une conduite exemplaire Â»(n° 12)»… mais aussi « une instruction suffisante sur les sciences propres aux Frères Â» (n° 18)… et mĂŞme « une grand expĂ©rience de la mĂ©thode d’enseignement propre Ă  l’institut Â» (n° 19). Le F. Bonaventure ne manquait pas de la plupart de ces qualitĂ©s, mais sur l’instruction et la pĂ©dagogie il devait ĂŞtre faible.

Les sept autres sections parlent de la rĂ©ception des postulants, de leur admission Ă  la prise d’habit et de leur envoi dans une Ă©cole ; elles rappellent « comment le Frère directeur des novices Â» doit assurer la direction de conscience… Mais la neuvième section intitulĂ©e « Conduite que doit tenir le Frère Directeur dans la direction de sa maison Â» nous fait comprendre que ce directeur est chargĂ© non seulement du noviciat mais aussi de l’administration de sa maison et mĂŞme au-delĂ  : « Il pourra remplacer provisoirement les Frères des Ă©tablissements dĂ©pendant de son noviciat […] Il a une sorte d’autoritĂ© sur tous les Frères de la Province Â» recevant mĂŞme leur compte de conscience. A chaque retraite il rend compte de l’état du temporel et de l’état financier des maisons dĂ©pendant de son noviciat. Bref ! Il est un peu moins qu’un provincial et nettement plus qu’un maĂ®tre des novices. C’est un Directeur de maison provinciale.

Dans l’organigramme de l’institut de 1854 la fonction de maĂ®tre des novices est donc absorbĂ©e par celle du Directeur de maison de noviciat qui dĂ©lègue Ă  un « maĂ®tre des novices Â» le soin quotidien des aspirants en formation. MĂŞme plus instruits que n’était le F. Bonaventure vers 1833, ceux-ci n’ont pas de statut officiel.

Une tradition originelle 

Cette constatation nous entraĂ®ne Ă  remonter avant 1833 et Ă  nous poser la question suivante : le F. Bonaventure a-t-il vraiment succĂ©dĂ© au F. Louis, ou bien celui-ci n’était-il pas plus qu’un maĂ®tre des novices, mais le directeur de la maison de L’Hermitage ?

Et cette question nous renvoie Ă  l’annĂ©e 1819 : celle de l’élection, par les Frères, de Jean-Marie Granjon comme Directeur (Vie, Ch. 6 p. 69-73). Le rĂ©cit de son activitĂ©, certainement idĂ©alisĂ©, donne une bonne idĂ©e de ce que l’on attend d’un directeur de maison de noviciat : « Constamment Ă  la tĂŞte de ses Frères, il Ă©tait le premier partout, et partout il donnait l’exemple de la rĂ©gularitĂ©, de la piĂ©tĂ© et de toutes les vertus religieuse Â»â€¦ Dans le chapitre 7 de la Vie (p. 77-79), le F. Jean-Baptiste nous rappelle la conduite du P. Champagnat dès qu’il loge avec les Frères. Bien qu’il soit le supĂ©rieur, il insiste sur sa proximitĂ© avec les Frères : « Comme le bon pasteur il Ă©tait toujours Ă  la tĂŞte de son petit troupeau : il travaillait avec les Frères soit Ă  cultiver la terre, soit Ă  faire des clous Â». Les Frères le vĂ©nèrent mais n’ont guère d’égards pour lui. Il n’empiète pas sur les fonctions du F. Jean-Marie : « â€¦ il se reposa […] sur ce dernier de tout le dĂ©tail des affaires, lui laissa toute libertĂ© d’agir Â»â€¦ En somme il y a une nette distinction entre le directeur chargĂ© de la communautĂ© au quotidien et le supĂ©rieur qui assume la direction spirituelle de chaque Frère8 mais aussi les relations avec l’archevĂŞchĂ©, les curĂ©s et les communes.

Les chapitres suivants montrent que ce gouvernement à deux têtes fonctionne plus ou moins. A la fin de 1821 (Ch. 8, p. 94-95) le F. J.M. Granjon qui « voulait des autres la même perfection (que lui)9» est envoyé à Bourg-Argental et remplacé à La Valla par le F. Louis qui assumera les fonctions mêlées de directeur et maître des novices que les constitutions de 1854 ne feront que reprendre.

L’escapade du F. Jean-Marie à Aiguebelle au printemps 1822 perturbe la nouvelle organisation puisque le F. Louis doit le remplacer à Bourg-Argental en 1822-23. Mais il a sans doute assuré la formation du F. Stanislas et des postulants de la Haute-Loire durant l’été 1822 et ne s’est rendu à Bourg-Argental qu’à la fin de 182210.

Quel Frère a pu exercer la direction de la fin de 1822 Ă  celle de 1823 ? Le F. Jean-Marie Granjon est restĂ© Ă  La Valla après son retour d’Aiguebelle, avec le titre de directeur, mais dans quelle mesure a-t-il Ă©tĂ© capable de l’exercer11 ? La première lettre conservĂ©e de M. Champagnat, du 1° dĂ©cembre 1823, permet de clarifier quelque peu la situation. Le F. J.M. Granjon est alors directeur Ă  St Symphorien-le-Château depuis la Toussaint, dans un lieu Ă©loignĂ© du centre de la sociĂ©tĂ©12. Il est nĂ©anmoins plus qu’un simple directeur local : le P. Champagnat, tout en mĂ©nageant peut-ĂŞtre sa susceptibilitĂ©, l’informe de la marche de l’ensemble de la sociĂ©tĂ©.

Nous apprenons donc que le F. Michel, Ă  Bourg-Argental, « fait très bien Â». Le F. Louis serait-il rentrĂ© Ă  La Valla ? C’est probable, mĂŞme si le F. Jean-Baptiste (Annales de Bourg-Argental) nous dit qu’il est restĂ© deux ans (1822-1824)13 dans ce poste. Mais c’est en 1823 que le F. Louis s’inscrit Ă  la confrĂ©rie du SacrĂ©-CĹ“ur de La Valla, signe qu’il est prĂ©sent dans la paroisse dès la fin de cette annĂ©e. La mĂŞme lettre nous apprend que le F. Jean-François, (Etienne RoumĂ©sy) est retirĂ© de Saint Sauveur-en-Rue malgrĂ© ses rĂ©ticences ; et la Vie nous dit que le P. Champagnat « l’avait appelĂ© Ă  la maison-mère pour lui confier la direction des travaux et le soin du temporel  (Vie, Ch. 14, p. 153)». Mais cette expression  Â« soin du temporel Â» ne signifie pas de simples tâches matĂ©rielles ou administratives. En fait, le F. Jean-François serait devenu le directeur de la maison de noviciat qui, depuis peu, reçoit beaucoup de novices peu instruits et très jeunes comme le dit la lettre du P. Champagnat.

La prĂ©sence du F. Louis Ă  La Valla paraĂ®t justifiĂ©e par l’afflux de novices depuis 1822 sans que nous sachions comment Champagnat a coordonnĂ© les fonctions des deux responsables. Le chapitre 12 de la Vie nous donne peut-ĂŞtre un dĂ©but d’explication car c’est en 1823 que, projetant la construction de L’Hermitage, il nous dit : « Il parcourut avec deux de ses principaux Frères les pays d’alentour Â» afin de dĂ©terminer le lieu le plus adĂ©quat. Et l’on ne voit guère que les F. Jean-François et Louis qui correspondent Ă  La Valla au statut de « principaux Frères Â».

Il faut cependant tenir compte de l’arrivĂ©e d’un troisième personnage : le F. Stanislas, entrĂ© en fĂ©vrier 1822, ayant pris l’habit en octobre et, nous dit sa biographie (p. 60), dĂ©sirant « le servir (Champagnat) et prendre soin du temporel de la maison Â». Rapidement le F  Stanislas devient le fac totum du P. Champagnat, s’occupant notamment de sa chambre et lui rendant toutes sortes de services qu’il n’a pas le temps d’accomplir lui-mĂŞme. Par ailleurs, son biographe insiste sur le soin qu’il prend des postulants et novices, comme s’il exerçait pratiquement la fonction d’auxiliaire d’un maĂ®tre des novices.

Il faudrait donc considĂ©rer qu’en 1823 -1824 la hiĂ©rarchie de l’association des Frères est ainsi constituĂ©e :

  • Le P. Champagnat : supĂ©rieur ecclĂ©siastique officieux et fondateur, mais aussi vicaire de la paroisse.
  • Le F. Jean-Marie, directeur gĂ©nĂ©ral Ă©lu, mais Ă©loignĂ© Ă  .St Symphorien-le-Château.
  • Les F. Jean-François et F. Louis assurant conjointement la direction de La Valla et secondant les projets d’extension de Champagnat.
  • Les autres directeurs d’école.
  • Quelques Frères employĂ©s, dont le F. Stanislas, plus particulièrement attachĂ© au service du Fondateur, mais tendant Ă  Ă©largir ses compĂ©tences Ă  d’autres domaines, notamment le soin des novices.

Il ne faut donc pas se laisser trop influencer par le récit du F. Jean-Baptiste qui focalise ensuite toute l’attention sur le P. Champagnat agrandissant la maison et préparant la construction de L’Hermitage tout en assumant ses tâches vicariales. En fait, il doit tenir compte d’un directeur élu devenu quelque peu encombrant et s’appuyer sur quelques auxiliaires capables d’assumer au quotidien le suivi d’un groupe comportant des frères en divers lieux, des novices et des pensionnaires.

Emergence du projet de la branche des prĂŞtres et crise institutionnelle

La construction de L’Hermitage et l’arrivĂ©e de M. Courveille Ă  l’étĂ© 1824 vont perturber  cette organisation, essentiellement Ă  La Valla oĂą celui-ci se considère comme le supĂ©rieur, tandis que le P. Champagnat est occupĂ© Ă  construire avec la plupart des Frères. Rien n’est dit alors sur les relations entre les F. Jean-François, Louis et M. Courveille. Nous savons cependant que le noviciat et le petit pensionnat restent Ă  La Valla puisque, durant la construction de la maison, un postulant abuse d’un pensionnaire, scandale que le P. Champagnat, agissant en supĂ©rieur, vient rĂ©primer Ă©nergiquement (Vie, 2° partie, Ch. XIII p. 419).

Au dĂ©but de dĂ©cembre 1824 M. Courveille, envoyĂ© par l’archevĂŞchĂ©, se rend Ă  Charlieu, Ă  100 km au nord de L’Hermitage pour y fonder une Ă©cole14. Et le chef des trois Frères qui l’accompagnent est le F. Louis15. Le choix peut paraĂ®t logique : La Valla n’a pas besoin de deux Frères responsables en plus de M. Courveille et il faut un homme expĂ©rimentĂ© pour assumer une fondation dans une ville, loin du centre de la sociĂ©tĂ©. D’autre part, l’instituteur que les Frères doivent remplacer formait des novices et M. Courveille envisage de fonder une maison missionnaire avec noviciat de frères. Le F. Louis va effectivement fonder l’école dans des conditions dĂ©licates et la diriger de dĂ©cembre 1824 jusqu’à octobre 1825, ce qui paraĂ®t un temps bien court pour asseoir l’œuvre.

Nous ne savons oĂą il se trouve dans les moments dĂ©cisifs de fin 1825-fin 1827. Certainement pas Ă  Bourg-Argental, comme le suppose le P. Coste16. Très probablement Ă  L’Hermitage oĂą Champagnat, qui vient d’être Ă©lu supĂ©rieur, a besoin de lui. Mais alors, pourquoi le F. Jean-Baptiste, qui lui est très favorable17, ne parle-t-il jamais de lui lors de la querelle entre les Frères anciens et M. Courveille en 1826 ?

D’autre part, qui est le Frère directeur de la maison de noviciat de L’Hermitage ? Y en a-t-il mĂŞme un ? En effet, l’arrivĂ©e de M. Courveille en 1824 et celle de M. Terraillon en 1825 ont rendu caduque l’organisation antĂ©rieure qui d’ailleurs, du fait de la conduite erratique du F. Jean-Marie, fonctionnait assez mal. Surtout, le projet a complètement changĂ© : il s’agit maintenant de constituer la SociĂ©tĂ© de Marie avec une branche de prĂŞtres et une de Frères, la première gouvernant la seconde.

En attendant, dès 1824 il y a partage des tâches entre M. Courveille, qui se considère comme supĂ©rieur, et Champagnat qui se charge du temporel sans renoncer Ă  sa supĂ©rioritĂ©18. On a l’impression d’une rĂ©pĂ©tition de l’organisation de 1819 : un supĂ©rieur et un directeur, sauf que les deux tâches sont assurĂ©es par des prĂŞtres. Ne resteraient aux Frères que les fonctions d’intendant et de maĂ®tre des novices, la première exercĂ©e par le F. Jean-François, la seconde par le F. Louis, placĂ©s sous l’autoritĂ© de prĂŞtres en dĂ©saccord.

Pour faire cesser la dualité à la tête de la société19 M. Courveille tente de se faire élire comme supérieur par les Frères assemblés20. L’élection du P. Champagnat en octobre 1825 montre clairement que l’influence des Frères anciens demeure forte et que l’idée d’une fondation de l’institut à La Valla en janvier 1817 est déjà établie. Mais cette élection, comme le montre le récit du F. Jean-Baptiste, atteint aussi Champagnat qui se trouve supérieur malgré lui tandis que M. Courveille est rétrogradé au rang de Directeur. Ses prérogatives ne sont d’ailleurs pas minces puisqu’il a en charge le noviciat et la direction directe de la maison de L’Hermitage21. Si important que soit le choix des Frères sur le plan symbolique, pratiquement il affaiblit la position de Champagnat.
Et puis, la société reste gouvernée par trois prêtres22 et les Frères sont cantonnés dans les tâches subalternes. La déconvenue est particulièrement grande chez ceux qui avaient assumé des tâches de responsabilité avant l’arrivée des prêtres, et qui se retrouvent sous la direction directe de M. Courveille. Ils vivent aussi une crise de confiance envers Champagnat qui, en voulant intégrer des prêtres, a modifié ce qu’ils croyaient être le projet primitif. Ils en tirent les conséquences chacun à sa manière.

Une crise de confiance des principaux Frères anciens

Nous savons que le F. Jean-François part rejoindre un projet de fondation Ă  Larajasse23 et qu’en mars l’archevĂŞchĂ© constate son refus de revenir Ă  L’Hermitage (Lettres II, p. 290). Le F. Jean-Marie Granjon, n’est restĂ© qu’un an Ă  St Symphorien-le Château. Revenu Ă  L’Hermitage il se livre Ă  des excentricitĂ©s rapportĂ©es par le F. Jean-Baptiste, avant d’être renvoyĂ© 24». D’après le mĂ©moire Bourdin (OM1/754) il aurait Ă©lu domicile dans une cabane oĂą il  forgeait, sans doute, des clous25. Comme Jean-Claude Bonnet, admis Ă  L’Hermitage le 2 septembre 1826, prend l’habit le 2 dĂ©cembre 1826 sous le nom de F. Jean-Marie, J.M. Granjon est donc sorti quelque temps avant. Le renvoi du seul directeur Ă©lu marque une rupture dĂ©finitive avec l’époque de La Valla.
Quant au F. Louis, c’est le moment de sa tentation du sacerdoce, que le F. Jean-Baptiste expose de manière très allusive26 en soulignant l’obĂ©issance du F. Louis. NĂ©anmoins le texte dit clairement que le F. Louis a longtemps persistĂ© dans ses intentions malgrĂ© l’avis opposĂ© du P. Champagnat. Comme le F. Louis (1802-1847) ne participe pas Ă  la première Ă©mission de voeux perpĂ©tuels le 11 octobre 1826 il est Ă©vident qu’à cette date la crise est dĂ©jĂ  commencĂ©e.  Ses vĹ“ux perpĂ©tuels en septembre 1828 marquent la fin de ses hĂ©sitations. C’est donc une crise durable fondĂ©e, comme chez ses deux compagnons, sur une double crise de confiance : envers Champagnat et envers la SociĂ©tĂ© de Marie  nouvelle manière.  Elle pourrait avoir commencĂ© dès 1825, ce qui expliquerait que, lorsque le P. Champagnat tombe malade vers NoĂ«l 1825, il y ait carence des plus anciens responsables, parce qu’ils ne sont pas en position de responsabilitĂ© et dĂ©fiants envers l’évolution de l’œuvre27.

Les leaders les plus anciens faisant dĂ©faut, c’est l’heure du F. Stanislas, jusque-lĂ  personnalitĂ© de second plan. Il a plusieurs atouts : d’une part, admis Ă  La Valla en fĂ©vrier 1822, juste avant l’arrivĂ©e des postulants de la Haute-Loire, il fait figure, relativement, de frère ancien ; d’autre part, très liĂ© Ă  Champagnat, il est non seulement son garde-malade, mais encore son porte-parole. C’est donc lui qui fait pratiquement office de directeur de L’Hermitage au moment oĂą Champagnat est trop faible, les Frères les plus anciens en retrait, et les autres Frères, jeunes et moins jeunes, Ă  la recherche d’un guide. Il est très reprĂ©sentatif d’une catĂ©gorie de Frères très attachĂ©s affectivement Ă  Champagnat sans trop rĂ©flĂ©chir sur l’aspect institutionnel de la SociĂ©tĂ©.

Refondation de la branche des Frères

A la Toussaint 1826 Champagnat est dĂ©sormais le supĂ©rieur incontestĂ©. Il ne renonce pas Ă  la crĂ©ation d’une SociĂ©tĂ© de Marie avec des prĂŞtres, mĂŞme s’il ne sait comment celle-ci adviendra. D’ailleurs, des trois compagnons principaux des premiers temps il ne reste qu’un F. Louis hĂ©sitant. Par contre, la liste des neuf frères qui font pour la première fois des vĹ“ux perpĂ©tuels nous donne une bonne idĂ©e de ceux qui ont suivi un frère Stanislas devenu, contre toute attente, leader de la refondation : les F. Antoine Couturier, Laurent Audras, François Rivat, Stanislas Fayol, Joseph Ponset , Paul PrĂ©her, Etienne Poinard, Damien Mercier, et Jean-Pierre Deville. Ce sont tous des Frères de second rang, y compris le F. François qui n’a que dix-huit ans. Mais quels Frères capables Ă©paulent alors Champagnat ? Le F. Louis, qui n’a pas prononcĂ© de vĹ“ux en 1826, a rendu publique sa rĂ©serve envers la refondation de la sociĂ©tĂ© des Frères. MĂŞme s’il n’est pas inactif il est peu probable qu’il se soit alors occupĂ© des novices. Il y a d’ailleurs fort peu de vĂŞtures cette annĂ©e-lĂ 28. Le F. Stanislas a certainement continuĂ© Ă  assumer le rĂ´le de leader des Frères et plus ou moins l’encadrement des novices. Mais les lettres de Champagnat aux autoritĂ©s ecclĂ©siastiques en 1827 sont claires : il est seul 29!

Et nous savons qu’à partir de 1827 viendront de jeunes ecclĂ©siastiques pour l’épauler. La mĂŞme annĂ©e le F. Louis part Ă  Saint Paul-en-Jarret remplacer le directeur qui s’est noyĂ© au mois de juillet. En prononçant ses vĹ“ux perpĂ©tuels le 8 septembre 1828, il adhère au nouvel ordre des choses, mais ce sont Ă  nouveau les prĂŞtres qui assument l’essentiel des responsabilitĂ©s comme le dit clairement la lettre 11 de Champagnat Ă  M. Cattet en dĂ©cembre 1828 :

« La sociĂ©tĂ© des Frères ne peut pas positivement ĂŞtre regardĂ©e comme l’œuvre de la SociĂ©tĂ© de Marie, mais seulement comme une branche postĂ©rieure Ă  la sociĂ©tĂ© elle-mĂŞme Â».
Cette affirmation ne signifie pas seulement que la fondation de la communautĂ© de La Valla le 2 janvier 1817 est postĂ©rieure Ă  la consĂ©cration du 26 juillet 1816, mais surtout que la vĂ©ritable fondation de l’œuvre des Frères date de 1826. Et le P. Champagnat ajoute : « Nous aurions encore besoin d’un sujet pour la bonne administration de l’œuvre des Frères, qui commence Ă  marcher30 Â». Il demande donc un prĂŞtre pour la fonction d’économe car il ne peut « donner au temporel de la maison qu’un temps très insuffisant Â». Puis il donne la liste des prĂŞtres qui exercent des emplois :

  • M. SĂ©on  qui « s’occupe du spirituel de la maison Â», de la fabrique de rubans et de l’aide pastoale aux paroisses alentour.
  • « M. Bourdin a l’intendance des classes des novices, de l’écriture, du calcul, du chant, du catĂ©chisme, de la librairie des Ă©tablissements et de la petite chapelle Â»
  • Lui-mĂŞme s’occupe « de la marche gĂ©nĂ©rale Â» : visites des Ă©tablissements, correspondances… Â« de la rĂ©ception des novices… Â».

Il est donc clair que dĂ©sormais L’Hermitage est une maison de noviciat gouvernĂ©e par des prĂŞtres, Champagnat Ă©tant le supĂ©rieur des deux branches. Si le F. Louis exerce la fonction de maĂ®tre des novices c’est sous la direction des P. Champagnat et Bourdin. En tout cas, la biographie du F. Bonaventure nous apprend qu’en 1830 il est « directeur du noviciat31 Â» au sens de modèle et surveillant des novices, comme sera le F. Bonaventure.

Permanence du débat entre deux modèles de Société des Frères


Une tradition des Pères Maristes, dont le P. SĂ©on est l’auteur, a laissĂ© entendre que le P. Champagnat avait doutĂ© un temps de la fondation de la SociĂ©tĂ© des prĂŞtres. Je verrais plutĂ´t que, dans la phase 1825-1830, il a donnĂ© prioritĂ© Ă  une SociĂ©tĂ© de Marie dont les Frères sont sous la direction des Pères. La fondation des Frères Ă  La Valla le 2 janvier 1817 n’aurait Ă©tĂ© qu’une phase prĂ©liminaire dĂ©sormais dĂ©passĂ©e. Le F. Louis a eu bien du mal Ă  entrer dans cette perspective. Ou faut-il aller jusqu’à envisager que, conscient de la mutation de l’œuvre, il ait voulu, en devant prĂŞtre, prendre place dans la nouvelle Ă©quipe dirigeante32?  

Quand il prononce ses vœux perpétuels à la fin de 1828 il se rend certainement compte que les Pères Maristes, sont peu satisfaits de leurs fonctions d’encadrement des Frères et évoluent vers la mission et l’affiliation au P. Colin. Et la Révolution de 1830 va fortement contribuer à accélérer le processus de séparation.

Eloignement des Pères Maristes et émergence d’une nouvelle élite de Frères


La situation du noviciat change brusquement Ă  la fin de 1831 puisque le P. Bourdin, prĂ©sent Ă  L’Hermitage depuis l’étĂ© 1828, est autorisĂ©, en septembre, Ă  s’installer Ă  Belley. C’est très probablement en octobre de la mĂŞme annĂ©e que le F. Louis se rend Ă  Charlieu oĂą il restera jusqu’en 1836. Cette nomination est due aux circonstances : les Frères de Charlieu, suite Ă  la RĂ©volution de 1830 sont en difficultĂ© et le P. Champagnat a besoin sur place d’un directeur solide. Mais cet Ă©loignement du F. Louis, contrairement aux Ă©pisodes prĂ©cĂ©dents Ă  Bourg-Argental, Charlieu en 1824 et St Paul en Jarret en 1827 sera durable. Manifestement, le P. Champagnat ne tient plus Ă  sa prĂ©sence Ă  L’Hermitage car il a sous la main des disciples plus proches de son esprit. Et ce sont entre autres les F. François, Jean-Baptiste et Jean-Marie qui prendront la place des cadres prĂ©cĂ©dents. C’est comme auxiliaire de cette nouvelle Ă©lite qu’il faut situer le F. Bonaventure.
Ces changements ramènent partiellement l’œuvre de Champagnat à la situation antérieure à 1824 puisque, ne pouvant plus guère compter sur le diocèse ni sur les Pères Maristes, le Fondateur va devoir s’entourer de Frères pour encadrer la maison de L’Hermitage et gouverner des établissements plus nombreux. Paradoxalement, le F. Louis, qu’on aurait pu penser capable d’exercer à nouveau des responsabilités importantes, est écarté, comme si, entre le P. Champagnat et lui, subsistait un contentieux.


Le témoignage des carnets du F. François.

Nous savons par les Lettres du P. Champagnat qu’à partir de 1836 le F. François devient son bras droit Ă  L’Hermitage, mais sans titre officiel. Cependant, prĂ©sent Ă  L’Hermitage dès sa profession perpĂ©tuelle en 1826, il assume depuis longtemps de nombreuses tâches dans la maison. Son carnet « notes.retraites Â» n° 302, commencĂ© en 1819, suggère qu’à partir de 1828 il est formateur Ă  L’Hermitage comme le montrent ces paroles tirĂ©es d’une confĂ©rence  du P. Champagnat :
« La classe33 d’ici doit ĂŞtre le modèle de celles de tous les Ă©tablissements. Les abus qu’on y souffrirait auraient donc de graves consĂ©quences par l’indulgence qu’ils pourraient avoir sur les autres maisons. Faites votre possible et ayez une confiance sans bornes en JĂ©sus et en Marie. (ibid. 18 jjer34 ) Â»

Probablement en avril 1829 il dĂ©clare :
« Prier pour obtenir le discernement qui m’est si nĂ©cessaire. Consulter souvent le Seigneur et les personnes par lui prĂ©posĂ©es, pour placer Ă  propos les punitions, les louanges, les blâmes, etc.
Il cite les paroles d’une confĂ©rence du 15 mai :
« Un maĂ®tre des novices doit s’insinuer dans l’esprit de chacun d’eux, aller au-devant et tâcher de connaĂ®tre leurs peines, leurs inquiĂ©tudes, etc. … soit pour le règlement, soit pour leur vocation. Â»
Et il ajoute un peu plus loin :
« Si le F. qui est chargĂ© des novices Ă©tait un saint, ils le seraient aussi : on se reproduit dans ceux que l’on forme. Â»
En juillet il est encore plus clair :
« Je suis comme sur un lieu Ă©levĂ©. Mes Frères ont tous les yeux sur moi. Quelle rĂ©gularitĂ©, quelle piĂ©tĂ©, quelle modestie ! On imite plutĂ´t le mal que le bien. Â»
Un peu plus tard (p. 159-162] il esquisse une sorte de programme concernant la formation :
« A rĂ©former : nĂ©gligence,  leçons, rĂ©citation, Ă©criture, visite, pĂ©nitences donnĂ©es cabales empĂŞchĂ©es, travail, Ă©mulation, exciter. A pratiquer : prudence, Ă©galitĂ© de caractère, Ă©nergie, bon exemple, charitĂ©. Ceux qui s’opposent Ă  l’ordre de Dieu, attirent sur eux la condamnation. (Rom. 13). Le Seigneur m’a chargĂ© d’une bien pesante croix. Je dois la porter pour l’amour de Dieu, avec courage, fermetĂ© et constance pour le salut de mes Frères. (Confn35, 7 9bre). Â»
En 1828-1830 le F. François est donc chargé de la classe du noviciat et exerce les fonctions de maître des novices, peut-être sous la direction du F. Louis. A partir de 1831 il multiplie les réflexions sur le gouvernement des hommes
« Les plus hautes dignitĂ©s sont des piĂ©destaux, de grands fardeaux, de vraies servitudes, d’honorables tortures, des Ă©lĂ©vations qui rapetissent les hommes sans mĂ©rite. On reste ce que l’on est. […] Ceux qui gouvernent sont comme les corps cĂ©lestes qui ont beaucoup d’Ă©clat et n’ont point de repos. (Blanchard : Ecole des mĹ“urs. T. III, p. 329)26
« Il y a beaucoup Ă  lire, Ă  dire, Ă  Ă©crire, Ă  examiner. Je ne puis ni Ă©tudier, ni parler, ni mĂ©diter. Mon Dieu, inspirez-moi, instruisez-moi, dirigez-moi, changez-moi, guĂ©rissez-moi, transformez-moi. Prière pour Mgr l’ArchevĂŞque (Heures de Lyon), appliquĂ©e au SupĂ©rieur.
« Les voies de la douceur, du sentiment et de la religion sont les plus efficaces sur le cĹ“ur des jeunes gens. […]  Si quelqu’un parle, qu’il paraisse que c’est Dieu qui parle par sa bouche. Si quelqu’un exerce quelque ministèegrave;re, qu’il le fasse comme n’agissant que par la vertu que Dieu lui donne ; afin qu’en tout Dieu soit glorifiĂ© par JĂ©sus Christ. (I St Pierre, 4). Â»
Dans le carnet 303 qui commence au cours de 1831 il va encore multiplier les citations des maĂ®tres spirituels sur le gouvernement, en particulier celui des novices. Et il semble qu’en 1832 (carnet 303 p. 318), annĂ©e oĂą les Pères Maristes quittent L’Hermitage, il accède au rang de responsable de niveau plus Ă©levĂ©, peut-ĂŞtre dĂ©jĂ  de directeur de la maison : « Que fais-je sur ce siège, oĂą ont paru tant de saints religieux, de pieux missionnaires et surtout notre vĂ©nĂ©rĂ© Fondateur ! Â»


La Direction de L’Hermitage

La première lettre de Champagnat adressĂ©e au F. François date du 28 aoĂ»t 1836. PlacĂ© en son absence Ă  la tĂŞte de la maison, il doit assurer le bon ordre parmi les Frères. Ce sont les trois prĂŞtres (Servant, Matricon et Besson) qui sont chargĂ©s « de la haute surveillance Â» mais le F. François prĂ©side un conseil  constituĂ© par les P. Matricon, Besson, F. Stanislas et F. Jean-Marie. De fait, sinon officiellement, le F. François est directeur de L’Hermitage.
De nouveau Ă  Paris en 1838, le P. Champagnat envoie le 20 juin au F. François, une lettre (n° 186) dans laquelle, après avoir mentionnĂ© les deux aumĂ´niers -les P. Matricon et Besson – il salue dans l’ordre les F. Louis, Jean-Baptiste, Jean-Marie, Stanislas, Hippolyte, Jean-Joseph, ThĂ©ophile, Pierre, Pierre-Joseph, Etienne, Bonaventure « et tous les novices Â». C’est un bon rĂ©sumĂ© de l’état de l’administration : les trois premiers Frères citĂ©s sont, après le F. François, les hommes du gouvernement gĂ©nĂ©ral de l’institut : les officiers en somme. Les Frères suivants sont les responsables des divers services de la maison.
Le F. Avit (Annales de l’institut, 1838, § 385-387) nous a prĂ©cisĂ© le rĂ´le passablement Ă©clectique des trois officiers :

  • Le F. Jean-Baptiste « aide au F. François Ă  gouverner Â» et fait des confĂ©rences aux Frères et aux novices.

Quant au F. Bonaventure « maĂ®tre des novices Â», « il formait plus par ses exemples que par ses leçons Â».
En fait, les officiers participent au gouvernement général, à la formation et à l’administration locale, comme le faisaient les prêtres de L’Hermitage en 1828. Dix ans après, les aumôniers sont cantonnés au domaine spirituel.


D’un directeur général à un autre (1819-1839)

L’élection27 d’un directeur gĂ©nĂ©ral et de deux assistants en octobre 1839 ne sera que l’officialisation d’une Ă©volution dĂ©jĂ  sensible peu après 183028. Le F. Louis, pourtant le premier disciple, et personnage central jusqu’en 1831, n’y aura pas sa place 29. Certes, le F. François ne succède pas au P. Champagnat : il n’est que directeur gĂ©nĂ©ral, endossant un titre qu’avait portĂ© J.M. Granjon en 1819. Mais le P. Colin, qui prĂ©side pourtant l’élection de 1839, ne se sentira pleinement supĂ©rieur des Frères qu’après le Testament spirituel du P. Champagnat quelques jours avant sa mort. Et lorsque le F. Louis meurt en 1847, l’indĂ©pendance des Frères est en marche et le F. François commence Ă  prendre le titre de SupĂ©rieur GĂ©nĂ©ral. Il nous faudrait donc distinguer, dans l’histoire de la fondation de l’Hermitage plusieurs phases institutionnelles distinctes :

  • Le temps de La Valla  (1817-1824) : celui d’un compagnonnage Champagnat-Frères chargĂ© d’ambigĂĽitĂ©s, le premier visant Ă  crĂ©er une SociĂ©tĂ© de Marie Ă  fondement sacerdotal ; les seconds envisageant la sociĂ©tĂ© des Frères comme autonome voire unique.
  • Le temps de L’Hermitage avant 1830, Champagnat plaçant les Frères sous la tutelle des prĂŞtres, malgrĂ© de fortes rĂ©sistances.
  • L’époque 1830- 1840 qui voit les prĂŞtres se dĂ©tacher de L’Hermitage et Champagnat s’appuyer sur une nouvelle Ă©lite dont le F. François est la tĂŞte et le F. Bonaventure un comparse fort apprĂ©ciĂ©.

Finalement, le F. Louis a Ă©tĂ© le seul Ă  avoir traversĂ© les trois Ă©poques, non seulement en disciple fidèle mais aussi en compagnon lucide, et parfois critique, du P. Champagnat. Et il en a payĂ© le prix. C’est Ă  travers le destin de cet homme, par ailleurs spirituel Ă©minent, que l’on perçoit le moins mal un vaste dĂ©bat autour de deux statuts-clĂ©s : le supĂ©rieur et le directeur ; le prĂŞtre et le laĂŻc. Le dĂ©bat ne sera clos qu’avec les constitutions de 1854 qui accordent le titre de supĂ©rieur gĂ©nĂ©ral Ă  un laĂŻc. Dans une certaine mesure c’est le triomphe posthume du F. Louis et de l’esprit des origines. Et ce n’est pas un hasard si le F. Jean-Baptiste, en 1856, fera une large place au F. Louis dans la Vie de Champagnat avant d’en prĂ©senter une double Ă©vocation au dĂ©but des Biographies de quelques Frères en 1868.


F. André Lanfrey, septembre 2018

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1  Dans les Biographies de quelques Frères, on donne la date du 27 juin 1830. Son entrĂ©e aurait suivi de près la dĂ©fection de cinq novices (Biographie) dont l’un d’Ampuis qui se rĂ©pand en propos dĂ©favorable Ă  L’Hermitage . Mais nous pouvons nous demander si ces dĂ©fections ne suivent pas en fait la RĂ©volution des trois glorieuses de fin juillet 1830, gĂ©nĂ©ratrice d’une effervescence gĂ©nĂ©rale. Le F. Jean-Baptiste, prĂ©occupĂ© de dĂ©velopper sa thĂ©orie de la substitution (2° biographie) aurait pu manipuler la chronologie. En tout cas, le F. Bonaventure ne semble ĂŞtre entrĂ© effectivement que le 27 juin.

2 Son séjour pose un problème chronologique évoqué par la F. Paul Sester (Lettres II, p. 99) car, en 1831, Louis Chomat et Césaire Fayol n’ont pas encore pris l’habit.

3 Dans son p.v. de profession le F. Bonaventure indique le 2 octobre 1831.

4 C’est la thèse du F. Paul Sester dans la notice biographique du F. Bonaventure (Lettres II p. 99).

5 Voir Ă  ce sujet OFM/104, datable de 1827-28.

6 Une partie des « novices Â» des noviciats des F.E.C sont des laĂŻcs venus se former Ă  l’enseignement.

7 La lettre de convocation au chapitre gĂ©nĂ©ral, le 17 avril 1852, cite son nom parmi les Frères Ă©ligibles en prĂ©cisant : « ancien maĂ®tre des novices Â». Son successeur est le F. Pascal (Biographies de quelques Frères p. 364) en 1852. NommĂ© assistant en 1854, il n’aura pas le temps de durer dans cette fonction.

8 Le F. Jean-Baptiste prĂ©cise (p. 78) « il mangeait seul Â» c’est-Ă -dire sur une table Ă  part.

9 Vie, Ch. 8, p. 95 et Biographie de quelques Frères p. 21

10 Ce qui expliquerait la sympathie qu’éprouve à son égard le F. Jean-Baptiste Furet, entré fin mars 1822 et qui aurait été sous sa direction jusqu’à sa prise d’habit en octobre 1822.

11 Voir à ce sujet le Mémoire Bourdin, (OM1/754) qui suggère une crise assez longue.

12 Dans les Monts du Lyonnais, très au nord de la vallée du Gier. C’est peut-être à la fois une mise à l’écart et l’occasion pour le F. Jean-Marie de faire un nouveau départ.

13 Il a été remplacé par le F. Barthélemy.

14 Il faut remplacer M. Grizard, disciple de l’ancien vicaire général Bochard

15 M. Courveille envisage de fonder un noviciat de Frères.

16 Les annales de B.A. nous donnent la liste des directeurs : F.BarthĂ©lemy (1824-26) puis F. Antoine.

17 C’est lui qui écrit sa biographie (Annales de l’institut, 1847, § 42).

18 Sa rĂ©pression du scandale Ă  La Valla le montre bien. Et en octobre 1824 il donne aux Frères un « petit Ă©crit Â» (Vie, Ch. 12, p. 133-135).

19 M. Terraillon n’assume que les fonctions d’aumônier.

20 Il n’agit pas par pure ambition : il veut constituer une SociĂ©tĂ© de Marie lyonnaise et certainement clarifier la situation Ă  L’Hermitage.

21 D’où ses grandes exigences quant à la formation et de nombreux renvois (Vie, ch. 13, p. 142).

22 M. Terraillon n’assumant que les fonctions d’aumônier.

23 Dans les Monts du Lyonnais. Il y est attiré par M. Colomb de Gast, vicaire à Larajasse, qu’il a connu à St Sauveur. certainement rencontré à St Sauveur (Notice biographique, OM4 p. 246-247).

24 Lettres, II, notice biographique p. Voir Vie, Ch. 15, p. 151-153 et OM1/ 754. La Vie pkaraĂ®t mĂ©langer deux phases : d’abord Ă  La Valla en 1822-23 ; et Ă  L’Hermitage en 1825-26. Ses excentricitĂ©s ont peut-ĂŞtre recommencĂ© Ă  St Symphorien, d’oĂą son rappel.

25 C’est une activitĂ© hivernale qu’il aurait pu pratiquer en janvier-mai 1826. Il semble ĂŞtre restĂ© dans la maison jusqu’à la retraite d’octobre 1826 : les Frères qui s’y rendent demandent oĂą il se trouve et on les dissuade d’aller le visiter (OM1/754). Voir aussi les Annales de l’institut, 1825 § 9.

26 Vie Ch. 14 p. 155. Aurait-il voulu quitter la SociĂ©tĂ© de Marie ou changer de statut Ă  l’intĂ©rieur de celle-ci ? En tout cas, le P. Matricon, ancien Ă©lève de Champagnat et futur aumĂ´nier de L’Hermitage, Ă  peine plus jeune et certainement bien connu du F. Louis, reçoit la tonsure le 23 juillet 1826 et sera ordonnĂ© prĂŞtre le 31 mai 1828.

27 Le F. J.M. Granjon, qui forge dans sa cabane de L’Hermitage, exprime symboliquement ce refus en reproduisant les travaux du premier hiver 1817.

28 Comment les Frères ont-ils ressenti son refus de prononcer des vĹ“ux en 1826 ?

29 Seul prĂŞtre. (OM1/173)

30 Un parole significative dix ans après le commencement à La Valla.

31 Il faut interprĂ©ter cette expression comme l’équivalent de « maĂ®tre des novices Â».

32 La pratique de proposer le sacerdoce à des frères jugés particulièrement capables était assez courante dans les congrégations. Et des prêtres de L’Hermitage, par exemple M. Terraillon, auraient pu encourager le F. Louis dans ce sens.

33 Du noviciat.

34 …janvier.

35 Confession.

36 Ajouté dans l’interligne au-dessus.

37 En fait le sondage des frères entériné par les Pères.

38 Le F. Louis-Marie, entré en 1832, supplantera le F. Jean-Marie, mais celui-ci deviendra quelques années plus tard le directeur de la maison de noviciat de St Paul-Trois-Châteaux.

39 En 1839 il n’obtient que quelques voix.

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