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L?émotion du peuple cubain
Je te salue affectueusement de Cienfuegos, à Cuba. Cette fois, les nouveautés que je t’apporte m’ont beaucoup encouragé. Elles peuvent aussi te réjouir. Le cœur des événements, ami lecteur, est la Vierge de la « Caridad del Cobre », Patronne de Cuba. Nous fêterons bientôt le 4e centenaire du recouvrement de l’image, qui flottait sur la mer. C’était en 1612. Le témoignage écrit d’un des trois personnages-clef de l’événement se trouve aux Archives des Indes de Séville.
Mes nouvelles ont à voir, cette fois, avec l’émotion d’un peuple, le peuple cubain. La Vierge arrive, ponctuellement attendue, sur une camionnette. La scène se répète des dizaines de fois, devant les gens qui attendent, nerveux : quelques douzaines sous la pluie ou le soleil, si cela se passe en pleine campagne, à l’abri. Quatre mille, tel une rivière, dans les villes plus grandes. Et toujours au rythme des airs connus scandés par les klaxons des voitures. « Cela donne la chair de poule », disent les gens. C’est l’expression religieuse de tout un peuple, 50 ans après.
Les gens sortent dans la rue avec la joie de la fête. La procession est encadrée par la police. Il est bon de prendre en compte plus de 50 ans de silence, où l’expression de la foi allait de pair avec les interdits, les reproches, les pertes profondes, l’exil, les agressions, « tu ne rentreras pas à l’université », « tu n’auras pas de travail », « la religion est un opium », « ton rapport aura des suites… »
Je me dis que l’Eglise catholique est aujourd’hui, pour ce peuple, un lieu sûr et un lieu d’espérance. Suis-je le témoin d’une présence silencieuse, humble et souffrante des croyants qui ont su attendre ? Je n’en sais rien, mais il me semble que je suis en train de toucher ne serait-ce qu’un peu des « semailles et des moissons ».
Les peines qui sont dans notre cœur, tu les connais, et moi aussi. Sur ces pages je cite les prières des gens simples, écrites dans le livre des visites de ma paroisse. Tu pourras en tirer tes propres conclusions, en lisant le cœur des gens.
Les chroniques de ces jours sont riches de témoignages d’une belle fête partout où passe l’Image de la Vierge. Et elle passera sur toute l’île, de l’orient à l’occident. Elle a déjà parcouru plus de la moitié du chemin, un diocèse après l’autre : elle arrive dans de petits villages, des maisons de campagne, places et églises, pour recevoir l’hommage des gens qui, spontanément lancent des vers. Avec les moyens très modestes des communautés on décore des estrades, on accroche des drapeaux et on éclaire d’humbles scènes.
Sur la photo que je t’envoie on peut voir mon quartier, fait de bâtiments simples (identiques dans tout le pays). Le programme préparé a pu me sembler trop pauvre : quatre chants d’église, bien chantés, sur une musique de fond. Et les gens (qui pour la plupart ignorent ce monde de la foi), écoutent avec respect, applaudissent chaleureusement et chantent la « Guantanamera » avec des paroles à la Vierge.
Mais attention! Les plus étonnés de cette marée humaine qui m’entoure sont les Cubains eux-mêmes ! Après 55 minutes de spectacle, la procession s’ébranle. Tous répètent à haute voix : « Bénisse, Mère, nos familles ! »
Ce que je supposais être une menace à l’ordre est devenu un soutien : des dizaines d’enfants avec leurs parents tiennent la corde géante pour que la voiture de la Vierge puisse se frayer un passage en avançant… Dans l’église on comprend mieux le programme : une veillée mariale très simple, nuit des visites, Rosaire des Aurores, bénédiction des enfants au petit matin, avant de partir pour l’école, bénédiction des femmes enceintes, messe avec de l’encens, et… de nouveau dans la rue pour visiter d’autres quartiers dans ce que l’on appelle « maisons-mission ». Tu sais, les gens allument des cierges, prient en silence quelques secondes, prennent des photos de l’image, reçoivent une image à mettre dans le portefeuille, donnent de l’argent… J’ai l’impression, comme tant d’autres, que « quelqu’un m’a visité et m’a apporté une grande paix ».
Mais d’un autre côté, ne va pas si vite, attends une seconde ! Tu crois qu’à Cuba il n’y a que « ce spectacle de la foi simple » ? Tant s’en faut ! La jeunesse connaît des problèmes de plus en plus gros ; la faible économie qui permet difficilement d’arriver en fin de mois ; des familles qui vivent dans leur chair la douloureuse séparation « entre La Havane et Miami », comme dit la chanson du Pont, de Ricardo Arjona…et beaucoup d’autres situations difficiles. Des problèmes ? Beaucoup.
Et malgré cela, les évêques de Cuba ont décidé, entre autre, de célébrer le 4e Centenaire de la Vierge de la « Caridad », en avançant pas à pas, pendant toute une année. Tu sais, les critiques, les hommes politiques, les spécialistes coucheront leurs idées sur les colonnes des journaux en vue d’influencer l’opinion publique. Quant à moi, plongé dans la réalité, j’ai vécu ce que je te raconte, surpris de ce cadeau d’unité inattendu. Il me semble comprendre que l’Esprit de Dieu est assez habile pour faire surgir, à partir de ce chaos social que chacun organise ou dont il souffre là où il est, UN VENT D’ESPÉRANCE ET DE PAIX AU BÉNÉFICE DE TOUS.
Je me réjouis avec toi de te montrer le cœur du peuple cubain, tout en bénissant la Vierge de le visiter.
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Affectueusement,
Germán