
Lennéagramme des passions
Le Frère Lluís Serra Llansana, Province de l'Hermitage, collabore depuis quelques années aux programmes de formation de l'Escorial. Il anime des séminaires de connaissance personnelle à travers l'ennéagramme, sujet sur lequel il a présenté il y six ans une thèse de doctorat à l'Université Ramon Llull de Barcelone, où il a collaboré aux postes de direction et d'enseignement. Il vient de publier le livre “El eneagrama de las pasiones. Anatomía psicológica de las pasiones dominantes” (L'ennéagramme des passions. Anatomie psychologique des passions dominantes), qui sera suivi prochainement d'un autre, “El eneagrama de las relaciones” (L'ennéagramme des relations).
Ci-dessous nous reproduisons un entretien avec l'auteur du livre.
Qu'est-ce que l'ennéagramme apporte à la formation personnelle des frères et des laïcs?
Intégration et fondement. Sans une base psychologique, on peut se tromper lourdement sur soi-même. Sainte Thérèse de Jésus en a eu une claire intuition : « J'estime qu'une journée d'humble connaissance de soi, même si elle nous a coûté de nombreuses afflictions et travaux, est une plus grande grâce que de nombreux jours d'oraison. » Mais cela n'est pas suffisant. Il faut s'ouvrir à Dieu et à la spiritualité. Sans l'intégration de ces éléments, il y a confusion.
Dans le livre, tu parles des passions…
Je recueille la tradition des moines, initiée par Évagre le Pontique et Jean Cassien, à la lumière des nouvelles avancées en psychologique. Les passions sont les réponses émotionnelles de l'égo qui se transforment en colère, orgueil, vanité, jalousie, avarice, peur, gourmandise, luxure, paresse. Ce sont des attitudes très (auto)destructrices.
Est-ce que tu te réfères aux péchés capitaux?
Dans un langage moral, oui. J'essaie d'aborder le substrat psychologique des péchés capitaux, que j'appelle 'passions dominantes' dans le livre. Je bâtis un pont entre psychologie et morale. Sans conscience psychologique, il ne saurait y avoir de conscience morale. On peut interdire, mais ce faisant on ne forme pas. Accompagner et proposer : tâche extrêmement importante pour les éducateurs.
Parler de « passions » peut sembler « vieux jeu » aux jeunes d'aujourd'hui…
Mon expérience m'apprend le contraire. Ils sont passionnés par la connaissance de soi. Nous leur avons appris à regarder le monde extérieur et cela ne suffit pas. La technologie les fascine, mais le monde intérieur est incroyable. Dans la Divine Comédie Dante ne va pas seul ; il est accompagné amoureusement vers un voyage d'initiation qui n'admet pas de retour en arrière. Là nous pénétrons dans le noyau de l'éducation. Comme dans Matrix, il s'agit d'avaler le cachet rouge pour pénétrer dans la vérité de soi-même.
Comment peut-on combattre les passions?
Il faut se réveiller et être conscients pour s'ouvrir à la vie intérieure. Nous agissons de forme mécanique, nous adoptons des conduites compulsives, nous ne découvrons pas la vérité sur nous-mêmes, nous nous montrons incapables de (nous) aimer et nous perdons notre liberté. Pour désamorcer un explosif, il faut d'abord voir comment il a été fabriqué. Nous devons approfondir nos manières de penser et de sentir, nos instincts… Ce n'est pas une sinécure!
L'ennéagramme est-il utile pour cela?
On pourrait le comparer à un GPS qui peut nous orienter, mais c'est nous qui tenons le volant et qui décidons. Les passions dominantes expliquent clairement ce qui se passe dans le monde actuel. Sans l'avarice, la crise économique et financière qui engendre tant de souffrance, spécialement chez les classes pauvres, ne se serait pas produite. Le culte de l'image et du succès, traits propres à la vanité, nous empêche de vivre à fond et nous transforme en esclave des apparences.
Les passions n'ont-elles pas de connotations négatives?
Sans aucun doute. Ce sont des expressions de l'égo qui produit tant de dégâts en nous. En être conscient et les désamorcer, cela nous ouvre à la vertu, à l'essence, à l'amour, c'est-à-dire ce que nous cherchons tous.
As-tu donné des cours de cette discipline à des enseignants ? Et avec quel résultat?
Oui, mais je mets toujours une condition : les participants peuvent être invités, mais jamais obligés. En quelques jours seulement d'échanges, ils se sont plus profondément connus entre eux qu'après trois ans de relations 'normales'. On quitte les relations superficielles et on entre dans une dynamique constructive et sincère.