Lettres Ă  Marcellin

FrĂšre Louis Marie

1836-12-29

V.J.M.J.
La CÎte-St.André, le 29 décembre 1836.
Mon Révérend PÚre,
Je me trouve dans la plus dĂ©solante perplexitĂ© qui, je crois, puisse marriver. M. Douillet veut que je fasse le bail que vous connaissez, seulement pour la forme avec une contre dĂ©claration qui le rendra de nul effet. Il faudrait quil fut fait ce soir parce quil doit ĂȘtre prĂ©sentĂ© au conseil du comitĂ© cantonal dinstruction. Nous comptons beaucoup sur M. le CurĂ© qui fait partie de ce conseil pour avoir un avis favorable, et nous avons beaucoup Ă  craindre, sil ny est pas. Cependant M. le CurĂ© part demain, non pas, il est vrai, dĂ©finitivement, mais pour plusieurs jours, huit, et peut ĂȘtre quinze. Si nos piĂšces Ă©taient faites, il retarderait dun jour son dĂ©part, ou convoquerait les membres du comitĂ© ce soir et demain la rĂ©union aurait lieu. Il ny a que moi qui arrĂȘte. M. le CurĂ© dĂ©sire que je me dĂ©cide Ă  passer outre. M. Douillet me tourmente. M. le Maire et tout le public qui ne savent pas oĂč nous en sommes avec M. Douillet sĂ©tonne de nos dĂ©lais. Tous ne voyant dans ce bail quune formalitĂ© insignifiante. Deux fois je me suis dĂ©cidĂ© Ă  interprĂ©ter vos volontĂ©s et Ă  signer et le bail et la contre dĂ©claration. Enfin, jarrive de chez M. le Directeur du SĂ©minaire qui mavait dit hier de passer outre. Je lui ai dit: Monsieur, vous voyez ma position; je ferai ce que vous me direz sans y repenser ensuite. Il ma dit: Eh bien, Ă©crivez; pressez la rĂ©ponse. Je lui ai dit que je pouvais lavoir au bout de six jours; jespĂšre que vous aurez la bontĂ© de me rĂ©pondre pour ce terme lĂ .
M. Douillet me dit: Je ne puis rĂ©gler mes affaires sans la prĂ©sence de M. Champagnat; je ne puis le faire sitĂŽt. Il me donne Ă  entendre que cela nira pas loin cependant; que sa position lennuie, quil voit bien quil fait souffrir; et que quand ce en serait que par amour propre, il se lasserait dĂȘtre toujours comme un oiseau sur la branche. Il me fait espĂ©rer quil ira faire un voyage Ă  lHermitage pour cette affaire. Je lui ai dit: Faites moi une promesse dun bail gĂ©nĂ©ral dici Ă  trois mois Ă  un prix qui nexcĂ©dera pas 700 f. Il ma rĂ©pondu que cette promesse Ă©quivaut au bail, quil ne pourrait la faire quĂ  vous et quil fallait votre signature.
M. Douillet mobjecte que pour des arrangements partiels jexpose à faire tomber tout létablissement, que je cours aprÚs les branches, tandis que je laisse couper le tronc; que ce nest en moi que scrupule; que si vous étiez là vous ne balanceriez pas; que lAcadémie peut nous poursuivre à toute heure; que cest renvoyer encore de quinze jours que décrire; quil est impossible de bien sexpliquer dans une lettre et que, par conséquent, la réponse peut encore mal à propos mettre dans lembarras, etc, etc. Je lui ai répondu: Voici ce que jai dit ce matin à M. le Curé qui me raisonnait aussi: Je crois, M. le Curé, que par complaisance, le P. Champagnat accorderait cette affaire à M. Douillet; mais quaussi, voyant que lui tire en arriÚre pour le cuisinier, pour la Marthe, pour le linge, pour larrangement définitif et nous tient ainsi au crochet, il pourrait bien dire, puisque M. Douillet ne veut rien faire, à quoi bon nous aussi aller en avant et toujours céder. M. Douillet na pas voulu accepter la promesse que je lui ai proposée, de faire au moins le bail dans trois mois. De sorte que, tout bien pesé, je reste incertain de la volonté de mon Supérieur, et je puis difficilement me décider. Jai répété tout cela à M. Douillet. Alors il ma dit: Si vous voulez écrire dans ce sens là, cest inutile, on ne vous permettra pas. Il ma fait alors la comparaison du tronc et de la branche. Dailleurs, ma-t-il-dit, en définitif et en tirant les choses au clair, vous prétendez me forcer par ce moyen. Cest inutile, je ne puis faire tout de suite une disposition générale. Vous vous exposez inutilement à renverser tout létablissement. Ces mots mont frappé. Je mes suis retrouvé trÚs indécis et je suis arrivé à cinq heures du soir que je broche cette lettre avant davoir pris mon parti. M. Contamin, Directeur du Séminaire, ma dit: M. le Curé na plus le titre de Curé. Sur lordo sa cure est vide; il est installé comme Vicaire général. Je doute quil ait voix délibérative dans le comité. Alors nous sommes convenus tous deux de vous tout communiquer.
Je sens que je dĂ©brouille bien mal ce galimatias de difficultĂ©s, de consultations et de rĂ©ponses, de dĂ©cisions et dindĂ©cisions; mais je crois cependant, en rĂ©sultat, quil est prudent de mautoriser Ă  passer ce bail pour la forme. Le public, je veux dire, les MM. du sĂ©minaire, de la Cure et autres, nous trouveraient peu honnĂȘtes de pousser M. Douillet de cette maniĂšre. Je serais assez portĂ© Ă  croire aussi quon perdrait bien son temps de le vouloir prendre par cet endroit. Je crois encore que M. Douillet ne passera pas lannĂ©e sans le dĂ©cider, et mĂȘme PĂąques. En le mĂ©nageant un peu, il me semble quil deviendra accommodable. Dailleurs, ou il faut ne pas se tenir Ă  ses paroles, ou bien on doit compter quil ne restera pas long temps dans la position fausse oĂč il se trouve.
Il se plaint beaucoup dans laffaire de Philippe de ce quil na pas Ă©tĂ© averti; il attend de votre part une nouvelle rĂ©ponse. Veuillez lui manifester votre volontĂ© dune maniĂšre claire, et cependant adoucie autant que possible et un peu raisonnĂ©e. Je lui disais un jour: Mais, Monsieur, quand vous auriez sur les novices le droit que vous prĂ©tendez et qui ne peut pas ĂȘtre, vous en devriez pas lĂ©tendre Ă  un cuisinier des FrĂšres. Car, enfin, oĂč serions-nous si le SupĂ©rieur ne pouvait pas le changer? Supposer un cuisinier comme Philippe qui ne veuille pas suivre nos rĂšgles de cuisine, qui veuille se conduire Ă  sa tĂȘte ou selon ses vues Ă©trangĂšres Ă  notre oeuvre, comment pourrait-on y mettre ordre. Nest-il pas Ă©vident que par lĂ  mĂȘme quun novice est reçu Ă  la cuisine il passe sous lautoritĂ© du SupĂ©rieur, et doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme sujet de la SociĂ©tĂ©? Il ne savait que rĂ©pondre. Encore, me disait-il, les grosses convenances auraient voulu que je fusse prĂ©venu. Je crois que sans le grand froid et laffaire de lAcadĂ©mie, qui est urgente, il serait allĂ© Ă  lHermitage. Ce voyage serait bon et utile, je crois, pour faire ou prĂ©parer au moins bien des choses.
Il me semble que vous pourriez fort bien lui dire que vous mautorisez Ă  faire le bail en question Ă  condition que laffaire de Marthe, de Philippe sarrangera comme vous lentendez; ou bien quil ira sexpliquer lui-mĂȘme Ă  lHermitage sur tout cela, et voir comme on pourra arranger tout pour la plus grande gloire de Dieu.
Je rĂ©sume ma lettre parce que je vois quelle est embrouillĂ©e, jai la tĂȘte remplie de trop de choses:
1Âș M. Douillet dĂ©sire un bail pour la forme avec une contre dĂ©claration qui lannule.
2Âș Il ne veux sarranger en dĂ©finitif quavec vous.
3Âș LAcadĂ©mie presse beaucoup parce quĂ  tout heure nous pouvons ĂȘtre dĂ©noncĂ©s et voir notre Ă©cole fermĂ©e.
4Âș M. Douillet, en refusant la promesse du bail, me dit verbalement que les choses sarrangeront sous peu.
5Âș Il sent tout ce que sa position a de gĂȘnant pour nous, de faux pour lui.
6Âș Le linge est encore chez la Marthe; mais je nai pas insistĂ© depuis mon retour.
7Âș Pour Philippe, il attend le rĂ©sultat des reprĂ©sentations quil a chargĂ© le F. Jean Louis de vous faire.
8Âș Le droit davoir des pensionnaires me suivra toujours, je pense, de sorte que nous travaillons autant pour nous et plus que pour lui en cas mĂȘme de fĂącheux arrangement.
9Âș Il semble que ce sera un lien de plus Ă  M. Douillet pour nous laisser les choses.
Jai vu M. le Curé, je lui ai tout dit. Il a tout noté. Il en parlera à Mgr. Il est de notre avis sur des points, et sur dautres il ne doit pas se prononcer par égard à M. Douillet, mais jai connu quil sentait tout ce que létat actuel des choses avait dincommode pour nous. Je nai pas le temps de vous dire davantage.
Votre tout dévoué et respectueux fils,
F. Louis Marie.
P.S. Une réponse au plus tÎt, sil vous plaßt; ou envoyez quelquun qui voit tout et qui juge. Tout bien considéré, mon avis serait de laisser faire le bail.

fonte: AFM 121.5

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