Lettres à Marcellin

Frère Barthelemy

1840-03-16

St. Symphorien dOzon, le 16 mars 1840.
Très cher Révérend Père Supérieur, votre bénédiction,
Vers la fin de février, jappris des nouvelles de votre santé, mais si affligeantes que jen ai été désolé jusquà ce que peu après jen ai su dautres, sur le même sujet, un peu plus consolantes. Veuillez avoir la bonté de me confirmer ces dernières et men donner de plus rassurantes encore sil vous est possible. Le plaisir que vous me ferez sera au-dessus de toute expression.
Je saisis cette occasion de vous demander de vos nouvelles pour vous parler de notre pauvre établissement de St. Symphorien-dOzon. Je vous prie que, dans ce que je vais vous dire, vous ayez nul égard à mon sentiment propre et à ma manière de voir, parce que, si les choses dont je vais vous entretenir un instant vous portaient à prendre définitivement une décision que vous avez été sur le point de prendre dautres fois, je prétends ny être pour rien devant Dieu. Faites en cela ce que vous croirez le meilleur, et le plus conforme à la volonté de Dieu et le plus avantageux pour la Société de Marie.
Voici, le plus brièvement que jai pu, les raisons sur lesquelles je forme mon raisonnement et ma manière de penser, et que je me crois obligé de vous faire part dans cette occasion
1º Jamais cet établissement nira bien tant quil sera régi et soutenu comme il lest aujourdhui. Cest lopinion de tous les Frères et dautres qui lont connu daussi près que moi; ce qui suit vous prouvera peut-être lassertion que javance, mais, si vous en doutez, veuillez envoyer le cher F. Louis Marie qui sera bien dans le cas de voir par lui-même létat des choses et de vous en faire en-suite un fidèle rapport; après vous saurez mieux ce que vous devez en juger. Ah! que je voudrais quil vint au plutôt!
2º La conduite que tient M. le Curé touchant cette école, décèle, en apparence, une insouciance qui désole; je sais fort bien que dans le secret de son coeur il y tient beaucoup, mais il paraît que ça ne va que jusque là. Du moins ce que je vois me le fait présumer. Lannée dernière il a visité une seule fois lécole. Cette année-ci il nest pas encore venu, hormis le jour de la visite de lInspecteur, ce qui arrive une fois chaque année. De cette visite je ne lui sais nul gré, parce quil peut sen dispenser. Je crois que si je ne mettais jamais les pieds à la cure, il ne saurait jamais rien de ce qui se passe dans les classes. Lorsque je vais le voir pour lui demander son avis, concernant un tel enfant ou tous en général, il me dira bien ce quil faut faire ou il me laissera libre, mais, cest dune manière si froide en apparence que souvent je serais tenté de rien lui demander.
3º Si vous nous retiriez dici vous réjouiriez surtout deux membres du comité local de surveillance, et un 3ème (M. le Maire) serait bientôt consolé. Tous les trois voudraient, sils le pouvaient faire, avoir lécole communale à linstituteur privé, ils ne sen vantent pas publiquement, mais je lai su tout de même de bonne part. A moi, ils me font le meilleur accueil possible et je leur rend le pareil le mieux que je puis, mais je me méfie beaucoup deux parce que je connais trop bien leur feinte.
4º En outre, la majorité des paroissiens qui ont des enfants aux écoles ne pleure raient pas non plus si nous nous en allions. Notre départ leur ferait, je crois, autant de plaisir que notre arrivée leur en avait fait la première année.
5º Nous avons en ce moment 56 enfants en tout; 39 dans ma classe et 17 dans lautre. Sur ce nombre il y en plusieurs qui ne viennent quune fois par jour, dautres qui sabsentent souvent pour cause doccupation dans ce temps-ci; de sorte que, le nombre de la petite classe varie de 12 à 17, et celui de la mienne va de 24 à 34, rarement il y en a plus à la fois, hormis que le temps soit mauvais. Depuis la Toussaint, nous en avons reçu deux nouveaux seulement et nous en avons perdu 12 ou 15 de ceux qui venaient lannée dernière. Si vous ne renvoyez le Frère Ambroise le plus tard à la fin du carême, il ne faut pas compter den recevoir dautres nouveaux ou du moins fort peu.
6º Je ne me plains nullement du cher Frère Adrien; il a fait et fait toujours tout ce quil peut; mais, son manque dinstruction, son peu dusage et sa grande difficulté pour parler, le mettent tout à fait dans limpossibilité de réussir dans un endroit aussi difficile quici. Avec ce bon Frère jai gagné personnellement, mais en place, la classe, quil fait y a perdu beaucoup. Je suis surpris quon mait donné un adjoint si peu capable pour la classe. Encore, si je ne leût pas un peu dressé et lui avoir appris à faire lire la carte, à se servir du signal, etc., ses enfants nauraient pas plus profité quà St. Sauveur lannée dernière. Je ne lai pas vu passer à lexamen aux vacances dernières, car, je vous assure que, si javais été témoin de son savoir et de sa difficulté pour sexprimer il aurait bien fallu me prier pour lamener avec moi. Du reste je suis fort content de lui, cest un bien brave garçon, il serait très propre à sacquitter dun emploi manuel ou à faire la cuisine ou même la classe dans un endroit moins diffi-cile quici, pourvu quon le forma un peu plus pour cela; il a un désir ardent de sinstruire, voyant quil ne sait que seulement ce qui lui est absolument nécessaire personnellement.
7º Cependant, malgré tout ce que je viens de vous dire concernant mon très cher collaborateur, je préférerais de le garder plutôt que den avoir un autre qui naurait jamais été ici et qui ne serait peut-être pas plus capable que lui. Je mattends, si vous ne pouvez renvoyer le Frère Ambroise au plutôt, à être obligé de nous aller cacher de honte, quand viendra la belle saison, de navoir presque point denfants.
8º Les raisons que jai eues de demander le changement du Frère que je réclame maintenant sont un peu détruites à présent parce quil se porte mieux, à ce que jai ouï dire, et que dailleurs ayant fait des voeux perpétuels depuis peu, jai lieu de croire quil sera un peu plus raisonnable présentement. Au reste, en le réclamant je ne cherche pas mon profit personnel, je vous en assure, car je sais trop les misères que jai eues lannée passée avec lui et quoique jai lieu despérer den avoir bien moins. Cette fois si vous le renvoyez; jen aurai toujours plus quavec le Fr. Adrien. Ainsi veuillez croire quen cela je ne cherche que lavantage de la petite classe et par elle celui de létablissement.
9º Si vous nenvoyez pas quel quun capable de faire une visite en règle, pour examiner sur les lieux ce que je viens de vous écrire vous feriez bien décrire à M. le Curé pour lui demander ce qui est dû, faisant valoir vos besoins et lui faire entendre que les Frères ne font pas le bien dans sa paroisse ayant si peu denfants et un parti si fort contre eux; que vous êtes bien gêné pour dautres établissements où les Frères feront bien mieux quici; et quen un mot, sil ne voit pas moyen de faire marcher son école sur meilleur pied vous serez forcément obligé den retirer les Frères au plus tôt. Je suis sûr quune lettre de ce genre le réveillerait de son profond assoupissement où linsouciance paraît lavoir jeté.
10º Je termine enfin, en vous observant quavec nos 800 francs, les vivres si chers quils le sont, nayant point de jardin (il est tout en cour) on pourra quavec grande peine fournir à la dépense de la nourriture, du vêtement et à lentretien du mobilier qui ne vaut plus guère. Voyez maintenant les raisons que vous avez de nous retirer ou de nous laisser pâtir encore. Jai fait mon devoir en vous disant ce que jai cru devoir vous dire. Faites à présent ce que vous jugerez à propos sans faire nulle attention à mon sentiment et à mon avis, ainsi que je vous en ai prié dès le commencement de celle-ci.
Si vous aviez la bonté de me renvoyer la présente avec un mot vis-à-vis chaque article, vous me feriez plaisir. Néanmoins, faites ce que vous souhaiterez. En attendant le plaisir de vous voir ou au moins de recevoir de vos nouvelles je vous embrasse et suis avec un très profond respect, Mon très Révérend Père, votre très humble et très obéissant serviteur et fils en J.C.,
F. Barthelemy
P.S. Je ne crois pas que M. le Curé ait reçue la lettre dont vous maviez dit de lui demander sil avait reçue.

fonte: AFM 121.12

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