17/Dec/2018 MAISON GĂ©NĂ©RALE

Mgr Claverie et ses 19 compagnons martyrs

La cérémonie de béatification de Mgr Claverie et ses 19 compagnons martyrs, événement suivi de très près par les médias étrangers, à travers notamment une soixantaine de demandes d'accréditation de journalistes étrangers, a été retransmise en direct par Canal Algérie DZ, a suscité des réactions intéressantes : nous allons choisir les plus significatives.

La première qu’il faut signaler est l’unanimité qui met en évidence la primeur de l’événement. C'est la première fois qu'un tel événement de l'Église catholique se déroule dans un pays musulman (Liberté). La ville d’Oran, en Algérie, a accueilli une première dans un pays musulman ce samedi 8 décembre, dans la chapelle Notre-Dame de Santa-Cruz (RFI AFRIQUE). Ils sont 19 à être proclamés bienheureux. L’Église catholique voit en eux des martyrs, ce qui veut dire des témoins dans le langage chrétien, parce qu’assassinés au nom de leur foi chrétienne et de leur attachement à un peuple qu’ils n’ont pas voulu quitter quand celui-ci était plongé dans la tourmente d’une effroyable guerre civile (RFI).

Les 19 nouveau bienheureux sont morts en Algérie durant la décennie noire. Ces « 19 martyrs d'Algérie » sont 15 Français, deux Espagnoles, un Belge et une Maltaise, issus de huit congrégations catholiques différentes, assassinés entre 1994 et 1996, pendant la guerre civile en Algérie (FranceSoir).

Cette célébration, qui semblait à beaucoup « impossible », s’est finalement réalisée et a fait passer un message de réconciliation, et de guérison possible des blessures (La Croix). Devant une foule nombreuse, composée de proches des bienheureux, de représentants des quatre diocèses d’Algérie, d’amis algériens, mais aussi de très nombreux officiels – dont le ministre des affaires religieuses, Mohamed Aissa et le wali (préfet) d’Oran –, la célébration a fait passer un message « de réconciliation et de fraternité » (La Croix).

Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est l’Algérie, pays à la mémoire blessée, toujours tiraillé entre la tentation du repli et celle de l’ouverture, qui a accueilli la première béatification dans un pays très majoritairement musulman. Un pays qui s’est même dit prêt, ces derniers mois, à accueillir le pape François, qui « souhaite toujours sa venue », a redit l’évêque d’Oran, Mgr Jean-Paul Vesco… et qui réserve décidément bien des surprises (La Croix).

 

Difficultés

Mais cette béatification délicate reste un sujet délicat, notamment concernant la façon dont elle va être reçue par le peuple algérien. « Le risque, c'est que tout d'un coup, en Algérie ou dans le monde musulman, on se dise : « Voilà une Eglise qui se gausse de ses 19 victimes quand nous on en a eu 200 000 », dont une centaine d'imams, ce qui ne se sait pas du tout en France, soulignait il y a quelques mois Mgr Jean-Paul Vesco l'évêque d'Oran. L'imam de la mosquée qui était au bas de la Casbah, lors du prêche du vendredi suivant l'assassinat du frère Henri Vergès et de la Soeur Paul Hélène, a dénoncé cet assassinat et il a lui même été assassiné. Si c'est de cela dont on parle, alors évidemment, c'est plein de sens ».

C’est précisément le message de cette béatification exceptionnelle, une première en terre d’islam : des hommes et des femmes d’église ont été tués aux côtés de musulmans qui rejetaient la radicalisation et la violence (RFI).

D'où la volonté de l'Église catholique que leur béatification ait lieu en Algérie. Les 19 religieux sont considérés comme étant des martyrs, mais pour Jean-Paul Vesco, les martyrs ce sont ceux qui ont préféré mourir que de renoncer à leur foi. « Ce mot martyr affilié aux 19 pose problème parce qu’il nourrit le contresens de chrétiens tués par des musulmans. Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran a choisi d’animer une conférence-débat afin d’expliquer le sens et les enjeux de cet évènement. « Il n’est pas question de chrétiens ayant été assassinés par des musulmans, mais de chrétiens assassinés avec des musulmans » (https://www.catholiques17.fr). En fait oui, ces 19 ont été tués parce qu’ils étaient chrétiens, mais aussi parce qu’ils étaient des étrangers. A cette époque-là, on tuait aussi les imams, les intellectuels…, ce ne sont pas des victimes de la foi mais des victimes comme toutes ces victimes. » De ce fait, pour lui cette béatification vaut la peine de donner au monde ce témoignage d’une vie ensemble (https://www.catholiques17.fr).

 

Tous refusèrent, malgré les risques, de quitter l'Algérie et sa population, avec qui ils se disaient profondément liés. D'où la volonté de l'Eglise catholique que leur béatification ait lieu en Algérie, selon Mgr Paul Desfarges. « Nous ne voulions pas d'une béatification entre chrétiens, car ces frères et soeurs sont morts au milieu de dizaines et dizaines de milliers d'Algériens » musulmans qui ont péri durant la décennie (1992-2002) (https://www.catholiques17.fr) .

Jean Paul Vesco, l’actuel évêque d’Oran, proposa Oran. Il s’explique : « A mon sens, leur béatification devait être célébrée dans le pays où ils ont vécu là où surtout ils ont choisi de rester aux côtés de leurs amis algériens et musulmans, malgré la menace. » Un tel choix semblait au départ compliqué à concrétiser voire même à se faire accepter par les autorités algériennes. « Mais voilà qu’à ma grande surprise, ma rencontre avec le ministre des Affaires religieuses et la proposition du lieu de béatification fut accueillie favorablement et même avec beaucoup de facilité » (https://www.catholiques17.fr).

Jean Paul Vesco, l’actuel évêque d’Oran a tenu toutefois à évoquer la crainte envers les contresens de cette béatification, le premier étant ici en Algérie dit-il. « Ce serait d’imaginer que l’Eglise, ici en Algérie, voudrait glorifier ces religieux, ce serait grotesque car qu’est-ce que c’est 19 personnes sur les 200 000 victimes algériennes ?». Un contresens qui aurait, estime Jean-Paul Vesco, pour conséquence de séparer l’Eglise du reste du pays. « C’est exactement le contraire de ce que nous voulons faire. Cette béatification est une forme de reconnaissance officielle de la façon dont nous vivons notre religion ici en Algérie. Ça met en lumière non seulement la façon de vivre de l’Eglise ici en Algérie mais aussi la façon dont nous vivons ensemble les uns et les autres » (https://www.catholiques17.fr).

« Le sang mêlé de Mohamed Bouchikhi (22 ans) à celui de Pierre Claverie, à travers cette béatification, va permettre de mettre en lumière ce lien entre chrétiens et musulmans » (https://www.catholiques19.fr)

 

Un grand signe

Le vivre-ensemble dans la paix a constitué un message fort de la part des autorités religieuses musulmanes et chrétiennes, à travers la béatification des religieux chrétiens et l’hommage rendu aux 114 imams assassinés (Le Soir d´Algerie).

La béatification des 19 religieux catholiques, morts en Algérie durant la décennie noire, ce samedi à Oran, est « un grand signe de fraternité de l’Algérie à destination du monde entier », a estimé le Pape François (El Watan.com).

 

1. Dimension politique

Les médias locaux ont été ceux qui ont le plus souligné cette dimension.Cette cérémonie, c’est d’abord une victoire pour les autorités et pour Mohamed Aissa, le ministre des Affaires religieuses. C’est lui qui s’est impliqué pour l’organisation de cette cérémonie, notamment en permettant la venue des familles des bienheureux. Cette célébration, la venue d’un cardinal du Vatican, ce sont des symboles forts pour l’image de l’Algérie. Et c’est ce qu’a affirmé le ministre Mohamed Aissa : « C’est un signe que l’Algérie des musulmans coexiste avec les autres religions » (RFI AFRIQUE).

Pour M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères « le fait de se tenir aujourd'hui ici, toutes confessions confondues, toutes origines confondues, derrière la mémoire de ces religieux reste un signal très fort» (Le Quotidien d'Oran).

En cette occasion, le ministre des Affaires religieuses a rappelé que la réconciliation nationale a pu panser les plaies. « Nous allons tourner la page mais sans oublier. Nous nous orientons vers l'avenir et nous allons œuvrer pour que notre société soit une société de paix et de réconciliation et du vrai vivre-ensemble. » Intervenant également dans l'enceinte de la mosquée, le cardinal Becciu dira : « Nous allons collaborer tous ensemble pour une société juste basée sur la paix et le respect. Nous sommes tous engagés ensemble pour vivre dans la paix » (Le Soir d´Algerie).

La beatification « c'est une reconnaissance très profonde de la part de l'Eglise catholique, suite à une enquête qui a duré cinq années. Il y a eu démonstration que ces moines ont préféré servir en Algérie par dévouement et dévotion », a indiqué, en mi-septembre dernier, le ministre des Affaires religieuses, M. Mohamed Aïssa. « La reconnaissance de ces moines n'exclut en rien la reconnaissance de l'Algérie de leurs efforts. C'est pourquoi la reconnaissance sera aussi politique », a ajouté Mohamed Aïssa (Le Quotidien d'Oran).

Le ministre des Affaires religieuses tiendra à dire, à propos de cet événement organisé par les autorités algériennes en collaboration avec 1'Église catholique d'Algérie, que l'Algérie est « un pays pluriel, cette Algérie qui défend le vivre-ensemble (nom donné à l'esplanade de l'église de Santa Cruz), la cohabitation et la cohésion, et cela montre aussi que l'Algérie est un pays de droit respectant la liberté de culte, et où la liberté de conscience est garantie par la Constitution" » (Liberté).

Le ministre des Affaires religieuses, voulant répliquer aux critiques par rapport à cette béatification, a expliqué que c'est "une initiative de l'Algérie et je suis fier qu'elle émane de l'Église catholique d'Algérie, et de son évêque de nationalité algérienne" (Liberté).

Les autorités algériennes avaient une ligne rouge : la politique de réconciliation nationale. Mais pour les Algériens présents à la béatification, il n’était pas question de politique, mais plutôt de recueillement et de partage (RFI).

 

2. Dimension inter-religieuse

La célébration de la béatification dans un pays islamique a également eu une dimension de dialogue inter-religeux, de vivre-ensemble et de compréhension.

Invités à pénétrer dans l'impressionnante salle de prière de la mosquée, tous les convives de confession musulmane et chrétienne étaient en communion autour d'un même discours : paix et vivre-ensemble (Le Soir d´Algerie).

Le vivre-ensamble dans la paix a constitué un message fort de la part des autorités religieuses musulmanes et chrétiennes, à travers la béatification des religieux chrétiens et l´homage rendu aux 114 imans assassinés (Le Soir d´Algerie).

Les dignitaires musulmans de la ville se sont associés à la célébration en recevant les familles des bienheureux à la Grande Mosquée Ibn Badis, en présence du cardinal Becciu et du ministre algérien des Affaires religieuses.

« Cet événement, nous musulmans, nous y associons avec beaucoup de joie », a dit un imam, Mostapha Jaber, à la Grande Mosquée (FranceSoir).

Mgr Jean-Paul Vesco: « Nous ne pouvons pas commencer cette célébration sans rendre hommage à la Grande Mosquée, aux milliers et milliers de victimes algériennes de ces années 90 » (RFI AFRIQUE).

Le père Thierry Becker, ancien adjoint de Mgr Claverie a rappelé à l'AFP: Leur béatification « montre qu'une vie partagée avec ceux d'une autre religion, c'est chrétien » (FranceSoir).

 

3. Dimension ecclésiale

La béatification a été une occasion de manifester l’identité de l’Église algérienne et sa façon particulière de vivr la vie chrétienne au milieu d’une population majoritairement musulmane. Cette dimention a été soulignée, spécialement par la presse locale.

« Une célébration au Sanctuaire de Santa Cruz est un choix pour une cérémonie modeste à la dimension de notre Église afin qu'elle soit le plus possible conforme à la vocation de notre Église dont nos bienheureux deviennent une belle icône ». Déclaration commune des évêques d’Algérie soulignée par Le Quotidien d'Oran. Mgr Jean-Paul Vesco, évêque d´Oran: « Le sens de ces béatifications, c'est la valeur du témoignage de chrétiens tués avec des musulmans, dans une épreuve qu'ils ont fait leur », a-t-il affirmé. Il ne s'agit pas de braquer les projecteurs sur «les chrétiens victimes de ces violences », mais bien de les mettre « en communion avec tous les Algériens qui en ont lourdement souffert ». (La guerre civile a fait au moins 200.000 morts en Algérie durant les années 1990 – ndlr) (Le Quotidien d'Oran).

L’Église d’Algérie a un fort sentiment de dialogue interreligieux. Cette cérémonie se voulait une cérémonie de partage entre chrétiens et musulmans (RFI AFRIQUE).

Significatif le titre deLe Soir d´Algerie : « Religieux musulmans et chrétiens en communion ».

« Dans une allocution du pape François, lue à l'occasion de cette cérémonie, aide, dit-il, à panser les blessures du passé et créer une dynamique nouvelle du vivre-ensemble. Le pape remercie le président de la République d'avoir permis l'organisation de cette célébration tout en rendant hommage aux fils et filles de l'Algérie victimes de la même violence » (Le Soir d´Algerie).

Monseigneur Jean-Paul Vesco a invité les fidèles présents dans le sanctuaire de Notre-Dame de Santa Cruz à observer une minute de silence « en hommage au peuple algérien et à ses dirigeants qui ont su retrouver le chemin de la paix malgré des blessures encore si douloureuses » (RFI).

 

4. Dimension prophétique

Parce qu’ils ont vécu l’amitié entre chrétiens et musulmans jusqu’au bout, parce qu’ils ont annoncé « l’amour universel envers tous », la reconnaissance par l’Église de ces 19 nouveaux bienheureux est bien un acte prophétique (La Croix).

 

Document « La paix soit avec vous »

Comme synthèse de cette rencontre, nous pouvons offrir une icône et un document. L’image significative est celle de l’icône réalisée pour la célébration : on y voit les 19 religieux béatifiés, la tête auréolée de doré. Et en bas à droite, Mohamed Bouchikhi. Il était le chauffeur de l’évêque d’Oran. Mohammed, 22 ans, a été tué en même temps que Mgr Pierre Claverie, devant l’évêché d’Oran, le 1er août 1996. Son carnet de notes se clôt par cette prière en arabe littéraire, qui a été lue pendant la célébration :

 « Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Je vous dis : la paix soit avec vous. Je remercie celui qui va lire mon carnet de souvenirs. Et je dis à chacun de ceux que j’ai connus dans ma vie, que je les remercie. Je dis qu’ils seront récompensés au Dernier Jour. Pardon à celui à qui j’aurais fait du mal. Pardon à celui qui me pardonnera au jour du Jugement. Pardon à celui qui aurait entendu de ma bouche une parole méchante. Je me souviens de ce que j’ai fait de bien dans ma vie. Que Dieu dans sa toute-puissance, fasse que je Lui sois soumis et qu’il m’accorde sa tendresse » (La Croix).

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F. Antonio Martínez Estaún, Postulateur Général

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