
Peut-on vivre l?espérance derrière les barreaux ?
Le Frère Bernardino Pascual Juárez nous raconte l’expérience mariste vécue à Sullana, au Pérou, par la communauté mariste des frères et des laïcs de la Province de Santa Mariá de los Andes, principalement l’expérience du F. Félix Seata qui visite la prison de la ville de Piura, construite pour accueillir 1.600 prisonniers. Cette prison abrite 3,248 détenus, dans une surpopulation extrême.
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Ils ne sont pas tombés dans l’oreille de sourds les appels du Chapitre qui nous ont été lancés, à nous qui vibrons de l’esprit même de Marcellin Champagnat « pour être avec ceux qui n’ont ni voix ni foyer », « rendre visible l’amour du Père pour les marginaux du monde », « nous rapprocher des périphéries et des situations émergentes », ancrés dans le désir de conformer notre vie dans l’esprit de l’évangile de Marc 25, 31… et appelés à servir en communauté.
Je suis membre d’une communauté qui a ouvert son âme, sa vie et son cœur afin d’être des témoins et de concrétiser ce chapitre de l’Évangile qui est, à la fois, une porte d’entrer dans le cœur de Jésus et de sortie vers le cœur des hommes, ceux-ci inclus… « J’étais en prison et vous êtes venus me visiter… », « J’étais malade et vous êtes venus jusqu’à moi… ».
Pourquoi plonger notre vie communautaire dans ces milieux ? Peut-être parce que nous avons été touchés par le besoin de servir dans l’esprit du XXIIe Chapitre. Au nom de la communauté, un frère reconnu pour sa simplicité et son enthousiasme, en réfléchissant sur sa vie personnelle et sur ce que le Chapitre l’a amené à intégrer rapidement comme appels impérieux, a partagé : « Je ne sais pas si ce que j’ai déjà décidé en mon for intérieur je l’ai pris du Chapitre ou si cela s’adresse à moi et à la communauté comme un projet d’unité et d’harmonie avec plan miséricordieux de l’évangile : J’EN VIENS À M’INTERROGER : PEUT-ON VIVRE L’ESPÉRANCE DERRIÈRE LES BARREAUX ? S’approcher des périphéries et des situations émergentes : peut-il y avoir plus grande périphérie que celle d’une prison ? »
Le frère de notre communauté, Frère Félix Seata y Gutiérrez, délégué à la prison chaque jour, assure un rapprochement dans le but de nous aider à comprendre la réalité qui peut s’y vivre, et qu’il vit lui-même, afin d’aller à leur rencontre, avec la conviction que chaque personne a, même dans ces circonstances, la possibilité de « rendre visible l’Amour du Père miséricordieux dans les marginaux de notre monde ».
Oui, chaque semaine il nous rapporte des nouvelles qui reflètent ce qui se vit, non seulement chrétiennes, mais aussi très humaines. Nous sommes choyés qu’il partage ces expériences avec la communauté et aussi avec ceux qui vont lire ces réflexions en lui posant quelques questions afin d’unir nos sentiments aux siens.
Frère Félix, pourquoi visiter une prison ?
Ni pour juger, ni pour condamner, ni pour enquêter, ni pour défendre. Simplement pour montrer aux prisonniers, au nom de Dieu, son amour miséricordieux et leur dire, dans ces moments de désespérance : Dieu est force et espérance !
Décris-nous, Frère, ce qui ressemble le plus à ce que tu vis : est-ce « humain », « inhumain » ?
Les barreaux ne sont jamais humains. Cela dépendra de l’idée que nous avons d’un centre pénitencier; si nous le voyons comme un châtiment, si nous le voyons comme un centre de réhabilitation ou si nous le voyons comme un endroit où l’on enferme des personnes dangereuses pour la société. C’est pourquoi tous les traitements et toutes les conditions qu’ils vivent et qui portent atteinte à leur dignité seront toujours inhumaines, quelque qu’ait été leur délit. C’est le langage de l’Évangile, très différent de la réaction viscérale de la majorité de la société qui exige châtiment et vengeance. 24 personnes ne peuvent pas vivre dans 9 mètres carrés.
Est-ce que tu remarques un changement chez certaines personnes du milieu depuis que tu y es présent ?
Certains attendent avec fébrilité le jeudi qui est ma journée de visite et qui te disent que tu es la seule visite qu’ils reçoivent durant l’année, qu’ils sentent que tu es un ami et qui te disent qu’ils prient pour toi tous les jours, et que si tu as une difficulté sur la rue, tu peux compter sur eux : je ne sais pas si c’est l’expression de l’amitié, du changement, de la réflexion. Si tu es la seule chose qu’ils aient en dehors de Dieu, ils te disent que tu ne peux pas les laisser tomber. Je ne me fais pas d’illusion sur les résultats : ici, les statistiques n’ont pas de valeur. Je laisse entre les mains de Dieu le mystère de l’intimité et de la conversion. Ils peuvent parfois nous surprendre, comme le bon larron.
F. Félix, qu’elle a été ta plus grande joie depuis que tu es dans ce milieu pénal
Qu’ils me sentent l’un d’eux, qu’ils me parlent de leurs sentiments les plus intimes, qu’ils m’invitent à partager leur menu, et qu’ils m’expriment leur appréciation et leur amitié. Je suis la seule personne qui entre dans leurs quartiers à haute sécurité le jeudi.
C’est la communauté qui t’envoie. Est-ce qu’ils te demandent comment et avec qui tu vis, et pourquoi tu les visites ? Qu’est-ce que tu leur dis, Frère ?
Grâce à Dieu, nous sommes de ceux qui y vont du nom de l’Église, comme des frères ou des parents qui les aiment. Dans ce cas-ci, ils nous reconnaissent comme des catholiques parce qu’ils savent que nous n’allons pas y faire du prosélytisme. Ils ont plus de visites des protestants que des catholiques. Les évangélistes sont plus sectaires, mais aussi ils te respectent quand tu y vas. Pour ne pas te confondre avec les protestants, ils t’appellent ‘padrecito’ – petit père. Ils te demandent de prier pour eux, ne pas arrêter de les visiter. Que tu communiques avec leurs familles et que tu visites leurs enfants, leur épouse, leur maman, etc. Ils te répètent sans cesse que tu es le seul à prier pour eux. Nous sommes une communauté intéressée à leurs problèmes. Ce qu’ils me demandent le plus, c’est de les bénir, et eux me donnent leur bénédiction.
Frère Félix, qu’est-ce que, par tes visites, tu apportes à la BONNE EPÉRANCE DE NOTRE PROJET DE VIE, en nous racontant ce que tu expérimentes dans le milieu carcéral ?
Pendant qu’ils espèrent le samedi de gloire d’une sortie du pénitencier pour refaire leur vie avec espoir et enthousiasme, ils vivent leur Vendredi Saint prolongé durant tant d’années en espérant rencontrer des Cyrénéens, comme nous, qui rendent un peu moins lourd le poids de leur croix. Il y a plus à faire qu’à panifier, écrire ou parler. Mettre la main à la pâte. Ils nous attendent déjà. « J’étais en prison et vous êtes venus me visiter ». « J’étais malade et vous m’avez apporté l’Eucharistie ». Vous, ma communauté, vous avez aussi d’autres périphéries : des malades, des maisons de personnes âgées. Courage ! Remettez-les à Dieu et à la Vierge, spécialement durant ce mois de mai.